Il y avait une fois, dans la province de Khandiegho, un brave homme nommé Tzou-Ireni.
Tout homme a sa faiblesse et Tzou avait la sienne : il avait rêvé de devenir gouverneur en quelque province.
A cette époque-là, à Séoul, les charges n’étaient plus données selon les mérites, mais vendues contre argent.
Tzou connaissait un ministre prévaricateur auquel il remit peu à peu toute sa fortune.
Le ministre lui promettait toujours une place, en disant :
« Gouverneur, c’est une bien haute fonction! Il faut encore me donner de l'argent. »
Tzou retourna une fois de plus chez lui et ayant vendu ce qui lui restait, il réunit encore trois cents lians et revint à Séoul.
En route, il fit dans une auberge la connaissance de deux voyageurs, le mari et la femme. Celle-ci était sur le point d’accoucher et en effet, la même nuit, elle mit au monde une fille. Mais les parents de l’enfant nouveau-né étaient si pauvres qu’ils ne purent payer la table et les mets qu’on offre à la mère, à cette occasion.
Alors Tzou leur donna son argent, en disant :
« Je suis vieux et solitaire ; à quoi me servirait d’être gouverneur? Vous, vous êtes jeunes, vous avez toute votre vie devant vous. Peut-être mon argent vous portera-t-il bonheur. »
Le mari et la femme remercièrent Tzou qui retourna chez lui.
Dix-sept ans passèrent ; Tzou avait déjà quatre-vingts ans et vivait depuis longtemps dans la misère. Il résolut de voir encore une fois Séoul avant de mourir.
« Peu importe l'endroit où je mendie, » dit-il avec un triste sourire à ses voisins.
Ceux-ci l’écoutaient en hochant la tète : il avait dépensé une fortune qui eût suffi à toute autre que lui pendant deux siècles et il n’avait rien obtenu,
Quand Tzou arriva à Séoul en demandant l’aumône, le devin du beau-père du roi (Po-inguouny) le vit et dit :
« Voici l’homme qui recevra aujourd'hui même les douze charges du royaume. »
Le devin s’en alla chez Po-inguouny, beau-père du souverain, et lorsque celui-ci lui demanda ce qui lui adviendrait ce jour-là, le devin le regarda en face et lui dit :
« Une grande joie. »
Mais Po-inguouny était de mauvaise humeur et répondit :
« Je suis investi de toutes les dignités du royaume ; le roi est l’époux de ma fille ; quelle joie puis-je encore éprouver? A coup sûr on ne m’offrira pas le trône. Qu’y a-t-il donc de nouveau?
— J’ai rencontré aujourd'hui un vieux mendiant, dit le devin, et j’ai lu sur son visage qu’il recevrait aujourd’hui les douze charges du royaume.
— Tu te moques de moi?
— En ai-je l’air?
— Bien! Mais si demain ce mendiant est resté mendiant, tu auras la tête tranchée. Va me chercher cet homme.
— J’ai joué ma tête en parlant! » pensa le devin, et il partit à la recherche du mendiant.
Il le retrouva et l’amena au palais ; tout le monde voulut voir le vieillard, entre autres la belle-mère du roi.
« Mon devin t’a-t-il dit que tu recevrais aujourd’hui les douzes charges du royaume. Comment cela peut-il se faire?
— Je ne sais ce qui arrivera, mais je sais ce qui est, répondit le mendiant, et ce qui est, c’est que je n’ai encore rien mangé aujourd’hui.
— Donnez-lui à manger, dit le beau-père du roi.
— J'ai déjà entendu, je ne sais où, ni quand, cette voix joyeuse et narquoise, dit la femme.
— Ecoute, vieillard, nous te donnerons à manger, à Condition que tu nous fasses connaître toutes tes bonnes œuvres, ajouta son époux.
— Le récit de mes bonnes œuvres ne prendra pas beaucoup de temps ; toutes ensemble, elles ne valent pas une tasse de millet. Il n’y en a qu’une en tout et pour tout j'ai secouru une fois deux pauvres gens.
— Ces pauvres gens eurent une fille, demanda la femme ; ils n’avaient pas de quoi payer la table et les mets qu’on offre à la jeune mère et tu leur vins en aide?
— Gela est vrai.
— Ces gens c’était nous, dit la femme du beau-père du roi, et notre fille est maintenant la femme du roi. Depuis lors, je n’ai cessé de supplier le ciel afin que tu soies retrouvé, tant j’étais impatiente de remercier celui qui nous a secourus dans notre détresse. »
Et la femme du beau-père du roi se jeta aux pieds du vieillard et son mari s'inclina devant lui jusqu’à terre.
La mère s'en alla chez sa fille et lui dit :
« Veux-tu voir ton second père, dont je t’ai parlé plus d’une fois? Il est dans ce palais. »
La fille raconta l’événement au roi son mari et celui-ci alla voir le vieillard.
« Comme nous avons un père, dit le roi, nous appellerons ce vieillard oncle, » titre qui, comme on le sait, est aussi important que les douze charges gouvernementales.
Et le devin du beau-père du roi acquit une telle réputation qu’il gagna bientôt une fortune égale à celle du monarque.