«
»
Nâga
Nâga
Nâga : L’Histoire de la population nâga
Licence CC BY-NC-ND 2.0 FR — 2018 Hervé Cariou
Déjà parus
Scythia : L’étonnante Histoire de l’antique Irlande
Brittia : L’Histoire méconnue des Bretons
Keltia : L’étrange Histoire des Celtes
La licence Creative Commons BY-NC-ND 2.0 FR vous permet de partager, copier,
distribuer et communiquer le matériel par tous moyens et sous tous formats selon les
conditions suivantes.
Attribution. Vous devez créditer l’ouvrage et intégrer un lien vers la licence.
Pas d’Utilisation Commerciale. Vous n’êtes pas autorisé à faire un usage
commercial de cet ouvrage.
Pas de modifications. Dans le cas où vous effectuez un remix, que vous transformez,
ou créez à partir du matériel composant l’ouvrage original, vous n’êtes pas autorisé à
distribuer ou mettre à disposition l’ouvrage modifié.
Pas de restrictions complémentaires. Vous n’êtes pas autorisé à appliquer des
conditions légales ou des mesures techniques qui restreindraient légalement autrui à
utiliser l’ouvrage dans les conditions décrites par la licence.
Auteur : Hervé Cariou
Crédits images en fin d’ouvrage
Éditeur : editor@cariou.info
Site : cariou.info
P a g e | 2
Nâga : L’Histoire de la population nâga
Table des matières
P a g e | 3
Nâga : L’Histoire de la population nâga
Introduction
Selon le Bhâgavata purâna, un texte de l’Inde antique, Ananta est l’avatar de
Nârâyana, le créateur. Ananta serait un des premiers êtres de la « création » et
deviendra ultérieurement le premier « raja » d’une population dite « nâga ».
Selon une légende du Tibet, Padmasambhava, un maître bouddhiste, aurait caché
et préservé les 108 écrits les plus sacrés qui lui furent confiés au royaume des Nâga
(sans « s »). À Sala Kaeo Ku (Thaïlande), le serpent à sept têtes des Nâga protège
le Bouddha.
Soma, la « mère » de la population khmère, était une nâga. Sur le site d’Angkor
Vat, le serpent à sept têtes des Nâga est également présent. « Angkor » est un
dérivé dialectique du khmer « nokor », lui-même dérivé du sanskrit « nagara »
(nagar, cité).
Sans rentrer dans le détail de la mythologie de l’Inde qui compte 200 000 divinités
(…), on compte trois panthéons principaux.
P a g e | 4
Nâga : L’Histoire de la population nâga
Le premier se résume à un seul membre, Nârâyana. Cela constitue un premier
indice sur l’existence d’un monothéisme « primitif » en Inde qui pourrait dater du
IIe millénaire av. J.-C.
Le second panthéon se décline au pluriel et une trinité domine : Brahma, Civa et
Vishnou. La tradition assimile Nârâyana et Vishnou mais le premier est une
divinité autochtone et le deuxième est postérieur à l’invasion de l’Inde par des
locuteurs indo-européens. Cette nouvelle mythologie serait donc un apport des
envahisseurs.
Enfin, les membres dominants du troisième panthéon sont moins connus : Indra,
Varouna, Vicvakarma et Yama. Lorsqu’on étudie leurs pérégrinations, on note des
similitudes avec le panthéon grec et cela donne : Indra pour Zeus, Varouna pour
Poséidon, Vicvakarma pour Héphaïstos et Yama pour Hadès. Cette dernière
mythologie pourrait donc être liée aux incursions d’Alexandre en Inde.
Nârâyana
Pour comprendre le personnage de Nârâyana, nous utiliserons le Bhâgavata
purâna. Voici quelques extraits (commentés) de la traduction française d’Eugène
Burnouf publiée en 1840 sous le titre Le Bhâgavata purâna.
« Après avoir vénéré Nârâyana, Nara, le meilleur des hommes, la divine
Sarasvatî, Vyâsa, que l’on récite ce livre qui donne la victoire. »
Nara et Vyâsa sont des Richĭs et le second serait l’auteur du Bhâgavata purâna.
Sarasvatî, dans le texte, désigne à la fois une divinité et un lieu. Un Richĭ (ou Rishi)
est un démiurge (créateur) ou un sage. Les Richĭs ont précédé les brahmanes en
Inde et sont associés à la période védique de la culture indienne qui remonte au
moins au IIe millénaire av. J.-C.
P a g e | 5
Nâga : L’Histoire de la population nâga
Un Rishi anime un cours de son « Gurukul » (école), Kaneri Math (Kolhapur, Maharashtra)
« Ceux qui veulent se sauver, abandonnant, sans le calomnier, le culte des chefs
des Bhûtas aux formes terribles, adorent, dans le calme des passions, les portions
de Nârâyana. »
Les Bhûtas désignent les cinq éléments « grossiers » de la nature (espace, air, feu,
eau et terre) alors que Nârâyana désigne le créateur. Ce texte est-il une invitation
à abandonner le chamanisme ?
« À la fin de la période de création, je pénétrai, avec le souffle qui m’animait, dans
le corps du Seigneur, qui voulait dormir au sein de Nârâyana, flottant sur les
eaux de l’Océan, après que l’univers fut rentré en lui. »
Nârâyana désigne à la fois un démiurge et un lieu (voir un corps céleste). Cette
ambivalence entre les personnages et les lieux est une des caractéristiques du
védisme. De nos jours, cette ambiguïté n’est toujours pas résolue.
« C’est Bhagavat, l’Esprit, le premier des êtres, Nârâyana lui-même, qui
trompant le monde à l’aide de Mâyâ, vit caché parmi les descendants de la race
de Vrĭchni. »
P a g e | 6
Nâga : L’Histoire de la population nâga
Selon le texte, Bhagavat était le fils de Yasudêva et le chef des Sâtvats. Il aurait
fondé un culte qui permettait de s’affranchir de tout désir. Ce n’est pas sans
rappeler une dimension philosophique d’une religion plus récente : le
bouddhisme. Yasudêva et Mâyâ sont d’illustres inconnus. Selon les historiens, les
Vrĭchnis (Vrishnis) formaient une ancienne population de l’Inde dont la cité
principale était Dvārakā (Dwarka actuelle, Gujarat). Ils seraient des descendants
des Sâtvats.
Les archéologues de l’Inde connaissent bien la baie de Dwarka. Elle abrite les
ruines sous-marines d’une cité qui daterait du IIe millénaire av. J.-C. Les
différentes explorations sous-marines ont révélé de gros bastions, des forts, deux
passerelles, un temple, des bâtiments publics et des bastions semi-circulaires. Ces
derniers semblaient protéger la cité contre les caprices de l’océan. Les ruines
s’étendent sur un périmètre dont la longueur est d’au moins 1 500 mètres et la
largeur d’au moins 600 mètres.
Vue panoramique de Dwarka
« (…) absorbés dans la contemplation exclusive de la forme suprême de
Nârâyana, affranchis de tout péché, ils obtinrent, avec leur âme libre de tout
attachement, une place au séjour de la béatitude dont la possession est refusée au
méchant, esclave des objets extérieurs. »
Ce passage n’est pas sans rappeler une parabole biblique : « Car il est plus facile à
un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le
royaume de Dieu ». On pourrait même suggérer que le « royaume de Dieu » (ou
des cieux) est une appellation moderne du « séjour de la béatitude ».
P a g e | 7
Nâga : L’Histoire de la population nâga
« C’est à Nârâyana que s’adressent les Vêdas ; les Dêvas sont nés du corps de
Nârâyana ; (…) c’est de Nârâyana que dépend la science ; c’est de Nârâyana que
dépend le salut. »
Prêtre hindou dans la cour du temple, lecture d’un texte védique (Gangotri, Uttarakhand)
Dans le monothéisme actuel, le salut dépend également de Dieu. Dans le texte
biblique, la science n’est pas en reste : « Car il donne à l’homme qui lui est agréable
la sagesse, la science et la joie ». Les Dêvas primordiaux sont Brahma, Civa et
Vishnou et forment le second panthéon de l’Inde. On notera que la tradition
védique peut aussi utiliser le terme dêvas pour désigner les divinités en général.
« Puis les Manus, les Richĭs, les autres êtres, comme les Pitrĭs, les Dieux, les
Dâityas et les hommes, adressèrent, chacun en son temps, des sacrifices à celui
qui pénètre l’univers. Tout cet univers repose au sein du bienheureux Nârâyana,
qui, de sa nature sans attributs, revêtit, au commencement de la création, les
nombreux attributs de Mâyâ, à laquelle il s’était uni. »
Le texte biblique, en hébreu, cite deux populations célestes : Elohim (traduits par
« Dieu » dans les textes non hébraïques) et Nephilim (traduit par « géants »). Le
Bhâgavata purâna fait mieux : il distingue les Manus, les Richĭs (démiurges), les
« autres êtres », les Dieux, les Dâityas et les hommes. Rien de moins.
P a g e | 8
Nâga : L’Histoire de la population nâga
Le texte est disert sur les Manus : ces derniers « donnent l’existence aux
créatures ». Indra est régulièrement associé aux « Dieux » et ces derniers
formeraient le troisième panthéon de l’Inde. Les Dâityas sont des divinités en
conflit permanent avec les Dêvas (le second panthéon…). On peut se risquer au jeu
des correspondances : Manus-panthéon sumérien (« Anunnakis »), Richĭs-
Elohim, Dieux-Nephilim (puis panthéon grec).
« Il habita sur ces eaux créées par lui, pendant mille années ; de là vient qu’il
reçoit le nom de Nârâyana, parce que les eaux qui sont nées de Purucha [sont
appelées Nârâ]. »
Ce passage est peut-être un début d’explication concernant l’ambivalence entre les
personnages et les lieux. Certains noms auraient une étymologie géographique.
« (…) par quel moyen le créateur de toutes choses, Nârâyana, qui ne doit son
origine qu’à lui-même, établit pour les divers êtres une nature, des actions, une
forme et un nom distincts. »
« Le créateur de toutes choses » est une indication supplémentaire sur un
monothéisme primitif de l’Inde.
Les Nâga
Le Bhâgavata purâna est moins prolixe sur les Nâga. Le texte les présente comme
une population distincte de celle des « hommes ». Avant d’étendre les sources à
leur sujet, intéressons-nous à la seule citation qui apporte une indication.
« Le Dieu qui chérit ceux qui lui sont dévoués, entendant ces discours et d’autres
semblables que tenait son peuple, exprimait sa bienveillance par ses regards et
entrait dans la ville. Elle était, comme Bhôgavatî, capitale des Nâgas, gardée par
des Madhus, des Bhôdjas, des Daçârhas, des Arhas, des Kukuras, des Andhakas,
des Vrĭchnis (…) »
P a g e | 9
Nâga : L’Histoire de la population nâga
Ce passage parle d’une ville « comme » Bhôgavatî, la capitale des Nâga. Pour la
tradition védique, Bhôgavatî se situait dans une région mythique dite Patala (ou
Naga-loka) et ses résidents étaient le « peuple-serpent ».
Les Madhus, Daçârhas, Arhas et Kukuras sont d’illustres inconnus. Les historiens
connaissent les Bhojas de Goa, une civilisation du sud-ouest de l’Inde
contemporaine de l’empire romain. Dans la mythologie védique, les Andhakas sont
liés aux Asuras et combattent en permanence les Dêvas. Enfin, nous savons déjà
que les Vrĭchnis formaient une population de l’Inde antique dont l’ancienne
capitale gît au fond de la baie de Dwarka (ouest de l’Inde).
Dans la tradition védique, la frontière entre les divinités et les humains est souvent
mince, voire inexistante. Dans un essai précédent, Scythia : L’étonnante Histoire
de l’antique Irlande, nous avons mis en évidence que le panthéon irlandais était
peuplé de héros des temps passés et qu’ils étaient tous humains.
Le premier chef des Nâga était Shesha, un autre nom d’Ananta, un des premiers
êtres de la « création » de Nârâyana. À propos de ce dernier, nous insérons sa
représentation sur le site de Badami en Inde. C’est peu de dire qu’il est
anthropomorphe.
Nârâyana (site de Badami)
P a g e | 10
Nâga : L’Histoire de la population nâga
Notre hypothèse est que le « peuple-serpent » n’est rien d’autre qu’une population
humaine dont le principal symbole religieux, le serpent à sept têtes, n’est pas passé
inaperçu dans l’Inde antique.
Le Nagaland
Selon le Mahabharata, un autre texte sacré de l’Inde, le royaume nâga était le
territoire d’une population guerrière. La tradition du Sri Lanka a conservé le
souvenir d’une population nâga qui rejoint la tradition védique de l’Inde. Les Nâga
de Padmavati formaient une dynastie au centre de l’Inde à l’époque romaine. Dès
l’époque de la renaissance, les Nâga Sadhus étaient des guerriers ascétiques qui
protégeaient la population contre les élites mongoles de l’Inde.
Portrait de Naga Sadhus
De nos jours, une population nâga est présente en Inde du Nord-est et en Birmanie
du Nord-ouest. Les deux régions sont mitoyennes et leurs résidents nomment leur
bassin géographique et culturel : le Nagaland. Enfin, selon leur tradition, les Nâga
Rajputs actuels sont des descendants d’une caste guerrière, elle aussi protectrice
de l’Inde.
P a g e | 11
Nâga : L’Histoire de la population nâga
Sur le plan géographique, Naga désigne des sites ou des villes aux Philippines, au
Japon, au Myanmar (Birmanie), en Inde et même au Soudan. Naga'a ou Naqa (de
l’arabe an-Naq’a) est une cité en ruine à 170 km au nord-est de Khartoum
(Soudan).
Enfin, le langage naga fait partie de la famille des langues bicol de la péninsule de
Bicol aux Philippines.
Peut-on faire un lien entre ces populations, ces sites et ces langages ? Une seule
discipline peut apporter la réponse : la génétique des populations.
La génétique des populations
La génétique des populations est l’étude de la reproduction des populations.
Auparavant, on étudiait l’évolution du point de vue des individus seulement. Et de
nos jours, on le fait aussi du point de vue des populations.
Les individus sont une distribution de génotypes et c’est la population qui
engendre ces génotypes. Ces derniers contiennent l’information portée par le
génome d’un organisme, contenu dans l’ADN de chaque cellule. Notre génome
humain contient entre 28 000 et 34 000 gènes répartis sur 46 chromosomes
groupés en 23 paires. Une de ces paires est composée des chromosomes qui
déterminent le sexe d’une personne. Un homme porte un chromosome Y et un
chromosome X. Et une femme porte deux chromosomes X.
P a g e | 12
Nâga : L’Histoire de la population nâga
Représentation abstraite de l’ADN
En génétique des populations, les différents chromosomes Y sont regroupés en
« haplogroupes » et chaque haplogroupe est une branche (ou un rameau) de notre
« arbre » génétique.
Le « Y Chromosome Consortium » (YCC, 1991-2012) a défini une première
nomenclature en 2002. Et selon cette nomenclature, notre genre humain cumule
20 haplogroupes majeurs (notés de A à T). Un haplogroupe descend directement
d’un autre ou d’une mutation. Le « A » est le plus ancien mais le « T » n’est pas
forcément le plus récent car certaines branches peuvent « pousser » plus vite que
d’autres.
Pour identifier un hypothétique haplogroupe nâga, nous allons nous intéresser aux
populations actuelles qui perpétuent la tradition des Nâga. Nous en avons trouvé
deux : les populations de langues yerukala et telugu : les Kurru et les Rajus. Elles
sont situées toutes les deux dans l’Andhra Pradesh, un état du sud de l’Inde.
L’haplogroupe génétique « T » est majoritaire chez les Kurru (10 sur un échantillon
de 18 personnes) alors qu’il est minoritaire chez les Rajus (3/19). Concernant ce
même haplogroupe, en Europe, ce sont les Crétois qui ont la plus grande
proportion (2/6). Dans le Caucase et le Moyen-Orient, ce sont les Georgiens de
langues kartvéliennes (1/3), les prêtres zoroastriens d’Iran (2/8) et les juifs d’Irak
(7/32).
En Afrique, le top 4 est en Somalie : les Dir (24/24), l