Apocalypse en Krjoy by François TEPES - HTML preview

PLEASE NOTE: This is an HTML preview only and some elements such as links or page numbers may be incorrect.
Download the book in PDF, ePub, Kindle for a complete version.

À chacun son Choix

Au seuil de la quatrième dimension

Après mon licenciement, je me suis retrouvée toute seule chez moi, dans mon petit appartement. J’avais investi toute mes énergies au service de cette entreprise et il ne me restait plus grand chose de mon ancienne vie. Je me rendais compte aussi, petit à petit, du décalage entre mes dernières fonctions professionnelles, odieusement perverties, et mes véritables et authentiques valeurs piétinées par cet aveugle labeur.

Mon rôle d’assistante s’était transformé, ni vu ni connu, en celui d’automate zombi à la solde d’un seul et même despote, et je réalisais que c’était un consensus aveugle qui lui avait permis de bâtir sa pyramide du pouvoir. Et ce même consentement implicite la maintenait subséquemment en cohésion avec, en prime, les grâces de l’assistance sociale et des finances publiques.

Après une période de confusion, j’ai demandé à faire un bilan de ma carrière professionnelle avec une adaptatrice sociale. Je m’imaginais des entretiens privés avec une professionnelle formée à une écoute neutre et bienveillante. Je pensais trouver une personne pleine de ressort, capable de me comprendre et de m’orienter sur de nouvelles pistes. Je me suis en fait retrouvée dans un open-space impressionnant, bardé de petites niches à ciel ouvert, aux prises avec un soudain vertige. L’atmosphère y était oppressante et mugissait de mille et une questions-réponses simultanées, alternées de bips sonores informatiques.

Je me suis un peu calmée et j’ai trouvé un petit siège inoccupé entre deux autres bénéficiaires. Un peu égarée, j’ai attendu mon tour, fermement déterminée à jouer le jeu. À ma profonde déception, je n’ai bénéficié d’aucune véritable écoute ni de bienveillance, encore moins d’un quelconque ressort éclairant. Pire, j’ai changé trois fois d’adaptatrice dans le même mois et il a fallu que je m’adapte aux manières de chacune… tout cela pour la production d’une synthèse que je n’ai du reste jamais reçu.

C’était pourtant la raison d’être, in fine, de ces centres d’adaptation au travail : aider l’inadapté à cocher des petites cases, celles correspondant aux aptitudes expressément attendues à Prvimozk, puis le pousser à expurger son bagage de compétences au travers d’un tamis amèrement discriminatoire.

Une synthèse, très officielle, était systématiquement produite en fin de bilan et présentée au bénéficiaire du traitement. La personne accompagnée devait alors la lire à haute voix et l’approuver, pour ensuite la signer. Je savais pour ma part que je ne collais plus au moule de Prvimozk car j’avais commencé à penser par moi-même et cela transparaissait ouvertement dans mes entretiens. J’en avais décidément trop dit, alors j’ai poliment refusé de signer en partant.

Je ressentais cependant le besoin d’être entendue, à défaut d’être comprise. Je me suis alors rapprochée de mon médecin traitant, un ajusteur médical plutôt sympa mais qui ne m’a pas beaucoup aidé. Il a écouté ce qu’il pouvait entendre et m’a orienté vers la zatvoriatrie qu’il disait efficace pour traiter mes troubles d’humeur. J’avais besoin de le croire.

La zatvoriatrie malheureusement ne m’a pas soulagé en quoi que ce soit. Son obscurantisme a plutôt failli m’enfoncer plus qu’autre chose. Mon zatvoriatre ne m’a pas plus écouté que mon ajusteur médical, je crois même qu’il ne m’a jamais regardé dans les yeux. En fait, je ne me souviens pas d’un réel contact avec ce monsieur. Il m’avait cependant immédiatement catalogué et son diagnostic, savamment tranché, était sans appel. Mes inquiétudes étaient infondées, mes observations personnelles délirantes, et je souffrais d’un début de quelque chose dont il cherchait encore la bonne étiquette mais qu’il fallait absolument traiter ici et maintenant.

Je suis repartie, le cœur serré, en lui promettant de revenir très vite. Je conservais en vérité, et tristement en mon cœur, le souvenir d’amies qui ont eu affaire au traitement qu’il me proposait. Cela les avait irrémédiablement transformé en mort-vivantes et j’en étais encore profondément affectée.

Au comble du désespoir, je voyais s’effilocher mes derniers repères autour de moi et ressentais l’horrible sensation de dégringoler intérieurement, avec une tension telle que j’avais littéralement l’impression d’imploser. Cela dit, et très paradoxalement, une paix indicible m’envahissait par moments. Je ressentais alors comme une nouvelle présence s’installer en mon cœur, durablement.

J’avais aussi le sentiment confus mais prégnant qu’un genre nouveau d’élan se préparait en coulisse, et que des changements sociétaux conséquents déjà s’opéraient discrètement. C’était une intuition forte, mais je ne portais alors que peu de crédit à ce ressenti. J’avais envie d’y croire, bien sûr, parce que je voulais que ça bouge, mais j’avais surtout besoin de valider ou infirmer mon diagnostic zatvoriatrique avec prudence… étais-je complètement cinglée ?

Et puis c’est arrivé, d’un seul coup ! Les évènements se sont carrément précipités mais je ne m’attendais pas à ça. Pas un seul instant j’aurai pu imaginer un tel scénario. J’avais l’impression que subitement, le monde entier avait basculé en pleine science-fiction ! Un virus mortel, échappé d’un laboratoire de recherche et propagé parmi la population… une épidémie mondiale !!

Alerte générale, branle-bas de combat politique, médiatique, sanitaire et social… toute la population de Krjoy en a été inquiétée. Cet incroyable remue-ménage devait permettre à tous de se déplacer vers la quatrième dimension, celle du grand Choix.

***