Il y avait une fois, en Corée, un artiste peintre nommé Kin-Ton.
Il était célèbre, mais il rêvait d’une gloire plus grande encore que celle dont il jouissait.
Un soir, il vit en rêve un vieillard octogénaire qui lui adressa ces paroles :
« Il existe une rivière céleste, plus merveilleuse que le ciel et plus lumineuse que la plus pure des eaux terrestres. Pour la découvrir il faut observer le ciel chaque nuit ; elle commence son cours à l’endroit même où tombe le reflet rougeâtre d’Orion, qui l'embrase de sa couleur. Fais un tableau de cette rivière, ton œuvre donnera le bonheur à toute la Corée. Mais elle te coûtera la vie. »
Kin se réveilla, il attendit avec impatience la venue de la nuit et regarda le ciel. Tout d’abord, il ne put rien distinguer. Tantôt le ciel était d’un bleu sombre et ne pâlissait qu’autour des étoiles, grosses comme des gouttes de rosée ; tantôt la lune brillait, entourée de la douce lueur d’Orion et dans cette clarté s'éteignaient les étoiles et pâlissait le firmament.
Enfin, après un long examen, Kin réussit à distinguer d’autres parties du ciel qui semblaient onduler comme des flots.
Et il aiguisa tellement sa vue qu'il put apercevoir ce qu’aucun mortel n’avait vu avant lui.
Ceux qui le voyaient ainsi, perdu dans sa contemplation, prétendaient que son âme s’était évadée de son corps pour se perdre dans les profondeurs de l’éther
Le travail de Kin avançait lentement.
Des mois, des années passèrent.
Un jour que Kin contemplait le ciel, — il ne lui restait plus qu’à discerner un dernier reflet, — il cessa soudain de voir et l’azur et tout ce qui l’entourait.
Kin était devenu aveugle. Lorsqu’on entra chez lui au matin, on le trouva mort.
On porta son tableau chez le roi ; celui-ci fit appeler les savants et demanda :
« Qu’est-ce que cela signifie? »
Les savants, après une longue discussion, répondirent :
« Cela ne signifie rien. »
Le tableau fut rélégué dans les archives.
Mais un sage Chinois vint dire à l'empereur de Chine :
« Le célèbre artiste Kin-Ton, de Corée, a peint un extraordinaire tableau. Il faut l’acquérir à n’importe quel prix. »
L’empereur de Chine envoya acheter le tableau et le roi de Corée le céda pour mille cash[4].
Mais les Chinois ayant dû corrompre les ministres coréens, le tableau leur revînt à trente mille cash.
« Que voulez-vous faire de cette ordure? demandèrent les ministres coréens en cachant l’argent dans leurs larges manches.
— Ce que nous voulons en faire? Donnez-nous donc un hameçon. »
Et lorsqu’on eût approché l’hameçon de la toile, il en sortit un poisson vivant.
« Vous le voyez, s’écrièrent les Chinois, vous avez vendu le bonheur de votre pays. »
Et depuis lors la Chine commença à prospérer et la Corée tomba peu à peu dans la misère où elle se trouve encore aujourd’hui.