Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Vol 1 by Jean-Marie Merle D'Aubigne - HTML preview

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Cependant ils l'attaquèrent, d'après le témoignage de Luther lui-même, avec une affabilité qui lui inspira pour eux beaucoup d'estime, mais en même temps avec force et discernement. Luther, de son côté, montra une admirable douceur dans la défense, 242

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle une incomparable patience à écouter les objections de ses adversaires, et toute la vivacité de saint Paul à résoudre les difficultés qui lui étaient faites. Ses réponses, courtes, mais pleines de la Parole de Dieu, remplissaient d'admiration tous ceux qui l'entendaient. « Il est « en tout semblable à Érasme, disaient plusieurs; mais en « une chose il le surpasse : c'est qu'il professe ouvertement u ce qu'Érasme se contente d'insinuer'. [11]»

La dispute approchait de sa fin. Les adversaires de Luther s'étaient retirés avec honneur du champ de bataille; le plus jeune d'entre eux, le docteur George Niger, restait seul aux prises avec le puissant athlète : effrayé des propositions hardies du moine augustin, et ne sachant plus à quels arguments recourir, il s'écria avec l'accent de la crainte : « Si nos paysans entendaient de telles choses, ils « vous lapideraient et vous tueraient '[12] » A ces mots, une hilarité générale éclata dans l'auditoire.

Jamais auditeurs n'avaient cependant écouté avec autant d'attention une dispute théologique. Les premières paroles du réformateur avaient réveillé les esprits. Des questions qui peu auparavant n'eussent trouvé qu'indifférence étaient à cette heure pleines d'intérêt. On lisait sur les physionomies de plusieurs des assistants les idées nouvelles que les assertions hardies du docteur saxon faisaient naître dans leur esprit.

Trois jeunes gens surtout étaient vivement émus. L'un d'eux, nommé Martin Bucer, était un dominicain, âgé de vingt-sept ans, qui, malgré les préjugés de son ordre, paraissait ne pas vouloir perdre une seule des paroles du docteur. Né dans une petite ville de l'Alsace, il était entré à seize ans dans un couvent. Il montra bientôt tant de moyens, que les moines les plus éclairés conçurent de lui de hautes espérances' [13] «

Il sera un jour l'ornement de notre ordre,» disaient-ils. Ses supérieurs l'avaient envoyé à Heidelberg, pour qu'il s'y livrât à l'étude de la philosophie, de la théologie, du grec et de l'hébreu. A cette époque Érasme publiait plusieurs de ses ouvrages, Bucer les lut avec avidité.

Bientôt parurent les premiers écrits de Luther. L'étudiant alsacien s'empressa de comparer la doctrine du réformateur avec les saintes Écritures. Quelques soupçons sur la vérité de la religion du pape s'élevèrent dans son esprit [14]. C'est ainsi que la lumière se répandait en ces jours. L'électeur palatin distingua ce jeune homme.

Sa voix forte et sonore, l'agrément de ses manières, l'éloquence de sa parole, la liberté avec laquelle il attaquait les vices dominants, faisaient de lui un prédicateur distingué.

Il fut nommé chapelain de la cour, et il remplissait ces fonctions quand on annonça le voyage de Luther à Heidelberg. Quelle joie pour Bucer! Personne ne se rendit avec plus d'empressement dans la salle du couvent des augustins. Il s'était muni de papier, de plumes et d'encre : il voulait cou- cher par écrit tout ce que dirait le docteur. Mais pendant que sa main traçait avec rapidité les paroles de Luther, la main de Dieu écrivait en caractères plus ineffaçables dans son cœur les grandes vérités qu'il entendait. Les premières lueurs de la doctrine de la grâce se répandirent dans son âme pendant cette heure mémorable [15]. Le dominicain fut gagné à Christ.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Non loin de Bucer se trouvait Jean Brenz, ou Brentius, alors âgé de dix-neuf ans.

Brenz, fils d'un magistrat d'une ville de la Souabe, avait été inscrit à treize ans sur le rôle des étudiants de Heidelberg. Nul ne montrait tant d'application. Quand minuit avait sonné Brenz se levait, et se mettait à l'ouvrage. Il en contracta tellement l'habitude que durant toute sa vie il ne put plus dormir après cette heure. Plus tard il consacra ses moments tranquilles à.la méditation des Écritures. Brenz fut un des premiers à s'apercevoir de la lumière nouvelle qui paraissait alors en Allemagne. Il l'accueillit avec une âme pleine d'amour [16]. H lut avidement les écrits de Luther.

Mais quel ne fut pas son bonheur quand il put l'entendre lui-même à Heidelberg, L'une des propositions du docteur frappa surtout le jeune Brenz ; ce fut celle-ci : «

Celui-là n'est pas justifié devant « Dieu qui fait beaucoup d'œuvres, mais celui qui, sans « œuvres, croit beaucoup en Jésus-Christ. »

Une femme pieuse de Heilbronn, sur le Necker, épouse d'un sénateur de cette ville, nommé Snepf, avait, à l'exemple d'Anne; consacré au Seigneur son fils premier-né, avec le vif désir de le voir se vouer à la théologie. Ce jeune homme, né en 1495, fit de rapides progrès dans les lettres; mais, soit par goût, soit par ambition, soit pour suivre le désir de son père, il se livra à l'étude de la jurisprudence. La pieuse mère voyait avec douleur son fils, son Ehrhard, suivre une autre carrière que celle à laquelle elle l'avait consacré. Elle l'avertissait, elle le pressait, elle le sommait sans cesse de se souvenir du vœu qu'elle avait fait au jour de sa naissance'[17]. Enfin, vaincu par la constance de sa mère, Ehrhard Snepf se rendit. Bientôt il goûta lui-même tellement ses nouvelles études, que rien au monde n'eût pu l'en détourner.

Il était intimement lié avec Bucer et Brenz, et ils demeurèrent amis toute leur vie; «

car, dit l'un de leurs historiens, les amitiés fondées sur l'amour des lettres .et de la «

vertu ne s'éteignent jamais. » Il assistait avec ses deux amis à la dispute de Heidelberg.

Les paradoxes et la lutte courageuse du docteur de Wittemberg lui imprimèrent un nouvel élan. Rejetant l'opinion vaine des mérites humains, il embrassa la doctrine de la justification gratuite du pécheur.

Le lendemain, Bucer se rendit auprès de Luther. « J'eus « avec lui, dit-il, une conversation familière et sans témoins, le repas le plus exquis, non par les 1nets, mais

« par les vérités qui m'étaient proposées. Quoi que ce fût « que j'objectasse, le docteur répondait à tout et expliquait « tout avec la plus parfaite clarté. Oh ! Plût à Dieu que «

j'eusse le temps de t'en écrire davantage' [18]!... »

Luther lui-même fut touché des sentiments de Bucer : « C'est le « seul frère de son ordre, écrivait-il à Spalatin, qui ait de la « bonne foi; .c'est un jeune homme de grandes espérances. « II m'a reçu avec simplicité; il a conversé avec Mi avec avidité. Il est digne de notre confiance et de notre « amour [19]. »

Brenz, Snepf, d'autres encore, pressés par les ‘vérités nouvelles qui commencent à se faire jour dans leur esprit, vont de même voir Luther; ils parlent, ils confèrent avec lui; ils lui demandent des éclaircissements sur ce qu'ils n'ont pas compris [20]. Le 244

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle réformateur, appuyé sur la Bible, leur répond; chacune de ses paroles fait jaillir pour eux une nouvelle lumière; un nouveau monde s'ouvre devant eux.

Après le départ de Luther, ces hommes généreux commencèrent à enseigner à Heidelberg. Il fallait poursuivre ce que l'homme de Dieu avait commencé, et ne pas laisser s'éteindre le flambeau qu'il avait allumé. Les écoliers parleront, si les docteurs se taisent. Brenz, quoiqu'il fût encore si jeune, expliqua saint Matthieu, d'abord dans sa propre chambre ; puis, le local devenant trop petit, dans l'auditoire de philosophie.

Les théologiens, pleins d'envie à la vue du grand concours d'auditeurs que ce jeune homme attirait, s'irritèrent. Brenz prit alors les ordres, et transporta ses lectures dans le collège des chanoines du Saint-Esprit. Ainsi le feu déjà allumé en Saxe le fut aussi dans Heidelberg. La lumière multipliait ses foyers. Ce fut, comme on l'a dit, le temps des semailles pour le Palatinat.

Mais ce ne fut pas le Palatinat seulement qui recueillit les fruits de la dispute de Heidelberg. Ces amis courageux de la vérité devinrent bientôt de grands flambeaux dans l'Église. Ils occupèrent tous des places éminentes, et prirent part à beaucoup de débats auxquels la Réformation donna lieu. Strasbourg, et plus tard l'Angleterre, durent aux travaux de Bucer une connaissance plus pure de la vérité. Snepf la professa d'abord à Marbourg, puis à Stuttgart, à Tubingue et à Iéna. Brenz, après avoir enseigné à Heidelberg, le fit longtemps à Halle en Souabe et à Tubingue. Nous retrouverons plus tard ces trois hommes.

Cette dispute fit avancer Luther lui-même. Il croissait de jour en jour dans la connaissance de la vérité. « Je suis, « disait-il, de ceux qui ont fait des progrès en écrivant et « en instruisant les autres, et non pas de ceux qui de rien « deviennent tout à coup de grands et de savants docteurs,»

Il était plein de joie de voir avec quelle avidité la jeunesse des écoles recevait la vérité naissante, et il se consolait ainsi de ce que les vieux docteurs étaient si fort enracinés dans leurs opinions. « J'ai la magnifique espérance, disait-il, que « de même que Christ, rejeté par les Juifs, est allé vers les Gentils, nous verrons maintenant aussi la vraie théologie, « que rejettent ces vieillards aux opinions vaines et fantastiques, accueillie par la génération nouvelle'. [21] »

Le chapitre étant terminé, Luther pensa à retourner à Wittemberg. Le comte palatin lui remit pour l'Électeur une lettre datée du ter mai, dans laquelle il disait « que «

Luther avait montré tant d'habileté dans la dispute, qu'il « en rejaillissait une grande gloire sur l'université de Wittemberg. » On ne voulut point permettre qu'il s'en retournât à pieds. Les augustins de Nuremberg le conduisirent jusqu'à Würzburg. De là il alla à Erfurt avec les frères de cette ville. A peine y était-il arrivé, qu'il se rendit à la maison de Jodocus, son ancien maître. Le vieux professeur, très affecté et très scandalisé de la route que son disciple avait prise, avait coutume de mettre devant toutes les sentences de Luther un thêta, lettre dont se servaient les Grecs pour indiquer la condamnation [22]. Il avait écrit au jeune docteur pour lui adresser des 245

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle reproches, et celui-ci désirait répondre de bouche à ses lettres. N'ayant pas cité roi, il écrivit à Jodocus -« Toute l'université, à « l'exception l'un seul licencie, pense comme moi. Il y a « plus : le prince, l’évêque, plusieurs autres prélats, et « tout ce que nous avons de citoyens éclaires, déclarent « d'une voix unanime que jusqu'à présent ils n'avaient ni connu ni entendu Jésus-Christ et son Évangile. Je suis « prêt à recevoir.

vos corrections; et quand même elles se« raient dures, elles me paraîtraient très douces. Épanchez « donc votre cœur sans crainte; déchargez votre colère. Je « ne veux ni ne puis être irrité contre vous. Dieu et ma « conscience en sont témoins' [23]»

Le vieux docteur fut touché des sentiments de son ancien élève. Il voulut savoir s'il n'y avait pas moyen d'enlever le thêta condamnateur. Ils eurent une expectation ; mais elle fut sans résultat. « Je lui ai du moins fait comprendre, dit « Luther, que toutes leurs sentences étaient semblables à « cette bête qui, à ce qu'on dit, se mange elle-même. Mais « on a beau parler à un sourd. Ces docteurs s'attachent obstinément à leurs petites distinctions, bien qu'ils avouent « n'avoir pour les soutenir que les lumières de la raison « naturelle, comme ils disent, chaos ténébreux pour nous « qui n'annonçons d'autre lumière que Jésus-Christ, seule. « et véritable lumière [24]. »

Luther quitta Erfurt dans la voiture du couvent_ qui le conduisit à Eisleben. De là, les augustins du lieu, fiers d'un docteur qui jetait tant d'éclat sur leur ordre et sur leur ville, où il avait vu le jour, le firent mener à Wittenberg avec leurs propres chevaux, et à leurs frais. Chacun voulait donner une marque d'affection et d'estime à cet homme extraordinaire qui grandissait à chaque pas.

Il arriva le samedi-après l'Ascension. Le voyage lui avait fait du bien, et ses amis le trouvèrent plus fort et de meilleure mine qu'avant son départ'. [25] Ils se réjouirent de tout ce qu'il leur rapporta. Luther se reposa quelque temps des fatigues de sa course et de la dispute de Heidelberg; mais ce repos ne fut qu'une préparation à de plus rudes travaux.

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FOOTNOTES

[1] Luth. Ep., I, p. 98.

[2] Pedester yeuiam. (Ibid.)

[3] Ibid., p. 105.

[4] Ibid., p.104.

[5] Luth. Ep., I, p. 106.

[6] fi IhA lutbt bel Gott Mun kbatliebee Credo». (Luth. Ep. , I, p. III.) • 7 Ibid.

[7] Justorum open essent mortalia nisi pio Dei timore, ab ipsismet justis, ut mortelle timerentur. (Luth. Op. lai., I, p. 55.)

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[8] Lei iram Dei operatur, occidit, matedicit, reum holt, judicat, damnat, quic-quid non est in Christo.

[9] Lez dicit : Fac hoc ; et nunquam fit. Gratis dicit Crede in hune; et jam facts sunt omnia. ■ (Luth. Op. lat., I, p. 55.)

[10] Amor Dei non invenit, sed creat suum diligibile ; amor hominis e a SUO diligibili.

[11] Bucer, dans Scultetet. Annal. eveagçl. renouai., p. Bei.

[12] Si rustici hies audirent, certe lapidibus vos obruerent et interficerent. (Luth. Ep., I, p. M.)

[13] Prodentioribus monachis spem de se prœclaram escitavit. s (Melch. Adami Mita Buceri. p. 211.)

[14] Cum doctrinam in sis traditam cum sacris litteris contulisset, qutedam in pontificia religions suspecta babere ccepit.. (Ibid.)

[15] Primam lucem purioris sententite de justificatione in suo pectore sensit. (Melch.

Adami Vita Buceri, p. 211.)

[16] biens Dei beneficium loetus Brentius agnoyit , et grata mente amplexu est. (Ibid.)

[17] Crebris interpellationibus eum voti quod de nato ipso fecerat admoneret, et a studio jùris ad theologiam quasi conviens avocaret. s (fdeich. Adami Souei Vita.)

[18] Gerdesius, Monument. antiq., etc.

[19] Luth. Ep., 1, p. 412.

[20] I Luth. Ep.. I, p. 119.

[21] « Veui au em curru qui lerain pedester.. (Ibid., p. 110.)

[22] Omu bus placit•s meis nigrum theta praeligit.. (Ibid., p. iii.)

[23] Lu'h. Ep., I, p.111.

[24] « Nisi dictamine rationis naturalis, quod apud nos idem Pst quod chaos 4ene-iratun., qui non prsedicamus aliam lucem quam Christum Jesum lucem veram et solam. 4 (Ibid )

[25] a Ita ut nounullis videar (seins habitior et curpulentior. D (Ibid.) 247

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle LIVRE IV - LUTHER DEVANT LE LÉGAT MAI-DÉCEMBRE 1518

CHAPITRE I

La vérité avait enfin levé la tête au sein de la chrétienté. Victorieuse des organes inférieurs de la papauté, elle devait entrer en lutte avec son chef même. Nous allons voir Luther aux prises avec Rome.

Ce fut à son retour de Heidelberg qu'il prit cet essor. Ses premières thèses sur les indulgences avaient été mal comprises. Il se décida à en exposer le sens avec plus de clarté. Aux cris qu'une haine aveugle faisait pousser à ses ennemis, il avait reconnu combien il était important de gagner en faveur de la vérité la partie la plus éclairée de la nation : il résolut d'en appeler à son jugement, en lui présentant les bases sur lesquelles reposaient ses convictions nouvelles. Il fallait bien une fois provoquer les décisions de Rome : il n'hésite pas à y envoyer ses explications. Les présentant d'une main aux hommes impartiaux et éclairés de son peuple, de l'autre il les pose devant le trône du souverain pontife.

Ces explications de ses thèses, qu'il appela Résolutions' [1], étaient écrites avec beaucoup de modération. Luther cherchait à adoucir les passages qui avaient le plus irrité, et il faisait preuve d'une vraie modestie. Mais en même temps il se montrait inébranlable dans ses convictions, et il défendait avec courage toutes les propositions que la vérité l'obligeait à soutenir. Il répétait de nouveau que tout chrétien qui a une vraie repentance possède sans indulgence la rémission des péchés; que le pape, comme le moindre des prêtres, ne peut que déclarer simplement ce que Dieu a déjà pardonné; que le trésor des mérites des saints, administré par le pape, était une chimère, et que l'Écriture sainte était la seule règle de la foi. Mais entendons-le lui-même sur quelques-uns de ces points.

Il commence par établir la nature de la vraie pénitence, et oppose cet acte de Dieu qui renouvelle l'homme aux momeries de l'Église romaine. « Le mot grec P.Z-CCORXTE., «

dit-il, signifie : Revêtez un nouvel esprit, un nouveau « sentiment, ayez une nouvelle nature, en sorte que, cessant d'être terrestres, vous deveniez des hommes du « ciel...

Christ est un docteur de l'esprit, et non de la « lettre, et ses paroles sont esprit et vie. Il enseigne donc u une repentance selon l'esprit et la vérité, et non ces pénitences du dehors dont peuvent s'acquitter sans s'humilier les pécheurs les plus orgueilleux ; il veut une repentance qui puisse s'accomplir dans toutes les situations de « la vie, sous la pourpre des rois, sous la soutane des « prêtres, sous le chapeau des princes , au milieu de ces « pompes de Babylone où se trouvait un Daniel, comme « sous le froc des moines et sous les haillons des mendiants '• »

Plus loin on trouve ces paroles hardies : « Je ne m'embarrasse pas de ce qui plaît ou déplaît au pape. Il est « homme comme les autres hommes. Il y a eu plusieurs « papes qui ont aimé, non-seulement des erreurs et des « vices, mais encore des choses plus extraordinaires.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Sur la première thèse. « Toute le pape comme pape, c'est-à-dire quand il parle « dans les canons, d'après les canons, ou quand il arrête « quelque article avec un concile, mais non quand il parle « d'après sa tête. Si je faisais autrement, ne devrais-je pas redire avec ceux qui ne connaissent pas Jésus-Christ, que « les horribles massacres de chrétiens dont Jules II s'est « souillé ont été les bienfaits d'un pieux berger envers les «

brebis du Seigneur [2]?...

« Je dois m'étonner, continue-t-il, de la simplicité de « ceux qui ont dit que les deux glaives de l'Évangile représentaient, l'un le pouvoir spirituel, l'autre le pouvoir matériel. Oui, le pape tient un glaive de fer; et il s'offre « ainsi à la chrétienté, non comme un tendre père, mais « comme un tyran redoutable. Ah ! Dieu irrité nous a «

donné le glaive que nous avons voulu, et nous a retiré « celui que nous avons dédaigné.

En aucun lieu du monde « il n'y a eu des guerres plus terribles que parmi les chrétiens Pourquoi l'esprit habile qui a trouvé ce beau « commentaire n'a-t-il pas interprété d'une manière aussi « subtile l'histoire des deux clefs remises à saint Pierre, et « établi comme dogme de l'Église, que l'une sert à ouvrir « les trésors du ciel, et l'autre les trésors du monde [3]?

« Il est impossible , dit-il encore , qu'un homme soit « chrétien sans avoir Christ; et s'il a Christ, il a en même « temps tout ce qui est à Christ. Ce qui donne la paix à « nos consciences, c'est que par la foi nos péchés ne sont « plus à nous, mais à Christ, sur qui Dieu les a tous jetés; « et que, d'autre part, toute la justice de Christ est à nous, « à qui Dieu l'a donnée. Christ pose sa main sur nous, et « nous sommes guéris. Il jette sur nous son manteau, et « nous sommes couverts; car il est le Sauveur de gloire « béni éternellement'. [4]»

Avec de telles vues de la richesse du salut de Jésus-Christ, il n'y avait plus besoin d'indulgences.

Luther, tout en attaquant la papauté, parle honorablement de Léon X. « Les temps où nous sommes sont si mauvais, dit-il, que même les plus grands personnages ne peuvent venir au secours de l'Église. Nous avons cc maintenant un très bon pape en Léon X. Sa sincérité, sa science, nous remplissent de joie. Mais que peut faire « seul cet homme si aimable et si agréable? Il était digne certainement d'être pape dans des temps meilleurs. Nous « ne méritons de nos jours que des Jules H et des Alexandre VI.

»

Il en vient ensuite au fait : « Je veux dire la chose en a peu de mots et hardiment : L'Église a besoin d'une réformation. Et ce ne peut être l'œuvre ni d'un seul homme, «

comme le pape, ni de beaucoup d'hommes, comme les « cardinaux et les Pères des conciles, mais ce doit être celle « du monde entier, ou plutôt c'est une œuvre qui appartient à Dieu seul. Quant au temps où une telle réformation doit commencer, celui-là seul le sait qui a créé les « temps... La digue est enfoncée, et il n'est plus en notre « pouvoir de retenir les flots qui se précipitent avec impétuosité. »

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Telles sont quelques-unes des déclarations et des pensées que Luther adressait aux hommes éclairés de sa patrie. La fête de la Pentecôte approchait, et ce fut à cette époque où les apôtres rendirent à Jésus-Christ ressuscité le premier témoignage de leur foi, que Luther, nouvel apôtre, publia ce livre plein de vie, où il appelait de tous ses vœux une résurrection de l'Église. Le samedi 22 mai 1548, veille de la Pentecôte, il envoya son ouvrage à l'évêque de Brandebourg, son ordinaire, en lui écrivant :

« Très digne père en Dieu il y a quelque temps, lors« qu'une doctrine nouvelle et inouïe touchant les indulgences apostoliques commença à retentir en ces contrées, les savants et les ignorants s'en émurent, et « plusieurs personnes qui m'étaient les unes connues, les « autres inconnues de visage, me sollicitèrent de publier « de vive voix ou par écrit ce que je pensais de la nouveauté, je ne veux pas dire de l'impudence de cette doctrine.

Je me tins d'abord silencieux et retiré. Mais enfin « les choses en vinrent à un tel point, que la sainteté du « pape en fut compromise.

« Que devais-je faire ? Je crus ne devoir ni approuver, ni « condamner ces doctrines, mais établir une dispute sur ce « point important, jusqu'à ce que la sainte Église eût prononcé.

Personne ne s'étant présenté au combat auquel j'avais « convoqué tout le monde, et mes thèses ayant été considérées, non comme matière à discussion, mais comme « des propositions arrêtées [5], je me vois obligé d'en publier une explication. Daignez donc recevoir ces pauvretés [6] que je vous présente, très clément évêque. Et afin « que tout le monde puisse voir que je n'agis point avec « audace, je supplie Votre Révérence de prendre la plume « et l'encre, d'effacer ou même de jeter au feu et de brûler tout ce qui peut lui déplaire. Je sais que Jésus-Christ « n'a pas besoin de mon travail et de mes services, et qu'il « saura bien sans moi annoncer à son Église de bonnes « nouvelles.

Non que les bulles et les menaces de mes en« nervis m'épouvantent; bien au contraire.

S'ils n'étaient « pas si impudents et si déhontés, personne n'entendrait « parler de moi : je me blottirais dans un coin, et j'y étudierais seul pour moi-même. Si cette affaire n'est pas celle « de Dieu, elle ne sera certes pas non plus la mienne, ni « celle d'aucun homme, mais chose de néant. Que la gloire « et l'honneur soient à Celui auquel seul ils appartiennent!»

Luther était encore rempli de respect pour le chef de l'Église. Il supposait à Léon de la justice et un amour sincère de la vérité. Il veut donc s'adresser aussi à lui. Huit jours après, le dimanche de la Trinité, 30 mai 1518, il lui écrivit une lettre dont voici quelques fragments :

«Au très bienheureux Père Léon X, souverain évêque, « le frère Martin Luther, augustin, souhaite le salut éternel !

« J'apprends, très saint Père, que de mauvais bruits courent à mon égard, et que l'on met mon nom en mauvaise odeur devant Votre Sainteté. On m'appelle hérétique, «

apostat, perfide, et de mille autres noms injurieux. Ce « que je vois m'étonne; ce que 250

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle j'entends m'épouvante. « Mais l'unique fondement de ma tranquillité demeure : « c'est une conscience pure et paisible. Veuillez m'écouter, « ô très saint Père, moi qui ne suis qu'un enfant et qu'un « ignorant. »

Luther raconte l'origine de toute l'affaire, puis il continue ainsi :

« On n'entendait dans toutes les tavernes que des plaintes sur l'avarice des prêtres, que des attaques contre la puissance des clefs et du souverain évêque. Toute l'Allemagne en est témoin. A l'ouïe de ces choses, mon zèle s'est « ému pour la gloire de Christ, me semble-t-il, ou, si l'on « veut l'expliquer autrement, mon sang jeune et bouillant s'est enflammé.

« J'avertis quelques-uns des princes de l'Église. Mais les « uns se moquèrent de moi, d'autres firent la sourde « oreille. La terreur de votre nom semblait les enchaîner «

tous. Alors je publiai cette dispute.

« Et voilà, ô très saint Père, voilà l'incendie que l'on dit « avoir mis en flammes le monde entier.

« Maintenant que dois-je faire ?, je ne puis me rétracter, « et je vois que cette publication attire sur moi de toutes « parts une inconcevable haine. Je n'aime point à paraître « au milieu du monde; car je suis sans science, sans esprit, « et beaucoup trop petit pour de si grandes choses, surtout « dans ce siècle illustre où Cicéron lui -même, s'il vivait, « serait obligé de se cacher en un coin obscur.

« Mais, afin d'apaiser mes adversaires, et de répondre « aux sollicitations de plusieurs, voici, je publie mes pensées. Je les publie, saint Père, afin d'être d'autant plus « en sûreté à l'ombre de vos ailes. Tous ceux qui le voudront pourront ainsi comprendre avec quelle simplicité « de cœur j'ai demandé à l'autorité ecclésiastique de m'instruire, et quel respect j'ai témoigné à la puissance des « clefs [7]. Si je n'avais pas mené convenablement mon affaire, il eût été impossible que le sérénissime seigneur «

Frédéric, duc et électeur de Saxe, qui brille parmi les « amis de la vérité apostolique et chrétienne, eût jamais « souffert dans son université de Wittemberg un homme « aussi dangereux qu'on prétend que je le suis.

« C'est pourquoi, très saint Père, je tombe aux pieds de « Votre Sainteté, et je me soumets à elle avec tout ce que « j'ai et tout ce que je suis. Perdez ma cause ou embrassez« la; donnez-moi droit ou donnez-moi tort; ôtez-moi la « vie ou rendez-la-moi, comme il vous plaira. Je reconnaitrai votre voix pour la voix de Jésus-Christ, qui préside et « qui parle par vous. Si j'ai mérité la mort, je ne me refuse « pas à mourir' [8]; la terre appartient au Seigneur avec tout « ce qui est en elle. Qu'il soit loué dans toute l'éternité ! « Amen. Qu'il vous maintienne éternellement! Amen.

« Donné au jour de la Sainte-Trinité, l'an 1518.

« Frère MARTIN LUTHER, augustin. »

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Que d'humilité et que de vérité dans cette crainte de Luther, ou plutôt dans cet aveu qu'il fait que son sang, jeune et bouillant, s'est peut-être trop vite enflammé! On reconnaît ici l'homme sincère, qui, ne présumant point de lui-même, redoute l'influence des passions dans ses actions même les plus conformes à la Parole de Dieu.

Il y a loin de ce langage à celui d'un fanatique orgueilleux.

On voit dans Luther le désir qui le travaille de gagner Léon à la cause de la vérité, de prévenir tout déchirement, et de faire procéder du faite de l'Église cette réformation dont il proclame la nécessité. Certes, ce n'est pas lui qu'on peut accuser d'avoir détruit en Occident cette unité que tant de personnes de tous les partis ont plus tard regrettée.

Il sacrifia tout pour la maintenir : tout, sauf la vérité. Ce furent ses adversaires et non lui qui, en refusant de reconnaître la plénitude et la suffisance du salut opéré par Jésus-Christ, déchirèrent, au pied de la croix, la robe du Seigneur.

Après avoir écrit cette lettre, le même jour encore, Luther s'adressa à son ami Staupitz, vicaire général de son ordre. C'était par son entremise qu'il voulait faire parvenir à Léon ses Résolutions, et son épître.

« Je vous prie, lui dit-il, d'accepter avec bienveillance « les misères, que je vous envoie, et de les faire parvenir « à l'excellent pape Léon X. Non que je veuille par-là vous «

entraîner dans le péril où je me trouve; je veux seul en « courir le danger. Jésus-Christ verra si ce que j'ai dit vient « de lui ou de moi; Jésus-Christ, sans la volonté duquel la «

langue du pape ne peut se mouvoir et le cœur des rois ne « peut rien résoudre. [9]

« Quant à ceux qui me menacent, je n'ai rien à leur répondre, si ce n'est le mot de Reuchlin : Le pauvre n'a « rien à craindre; car il n'a rien à perdre Je n'ai ni biens « ni argent, et je n'en demande pas. Si j'ai possédé autre« fois quelque honneur et quelque bonne renommée, celui à qui a commencé à me les ravir achève son œuvre. Il ne « me reste que ce misérable corps affaibli par tant d'épreuves : qu'ils le tuent, par ruse ou par force, à la gloire de « Lieu! Ils abrégeront peut-être ainsi d'une heure ou deux « le temps de ma vie. Il me suffit d'avoir un précieux Rédempteur, un puissant Sacrificateur, Jésus-Christ, mon « Seigneur. Je le louerai tant que j'aurai un souffle de vie.

« Si quelqu'un ne veut pas le louer avec moi, que m'importe ! »

Ces paroles nous font bien lire dans le cœur de Luther!

Tandis qu'il regardait ainsi vers Rome avec confiance, Rome avait déjà contre lui des pensées de vengeance. Dès le 3 avril, le cardinal Raphaël de Rovere avait écrit à l'électeur Frédéric, au nom du pape, qu'on avait quelques soupçons sur sa foi, et qu'il devait se garder de protéger Luther. « Le cardinal Raphaël, dit celui-ci, aurait eu grand plaisir à me voir brûler par le duc Frédéric'. [10]» Ainsi Rome commençait à aiguiser ses armes contre Luther. C'était dans l'esprit de son protecteur qu'elle voulait lui porter le premier coup. Si elle parvenait à détruire cet abri sous lequel reposait le moine de Wittemberg, il devenait pour elle une proie facile.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Les princes allemands tenaient fort à leur réputation de princes chrétiens. Le plus léger soupçon d'hérésie les remplissait de crainte. La cour de Rome avait habilement profité de cette disposition. Frédéric avait d'ailleurs toujours été attaché à la religion de ses pères. La lettre de Raphaël fit sur son esprit une très vive impression. Mais l'Électeur avait pour principe de ne se hâter en rien. Il savait que la vérité n'était pas toujours du côté du plus fort. Les affaires de l'Empire avec Rome lui avaient appris à se défier des vues intéressées de cette cour. Il avait reconnu que pour être prince chrétien il n'était pas nécessaire d'être esclave du pape.

« Il n'était pas de ces esprits profanes, dit Melanchthon, « qui veulent qu'on étouffe tous les changements, aussitôt « qu'on en aperçoit le principes. Frédéric se soumit à Dieu. « Il lut avec soin les écrits qui paraissaient, et il ne permit « pas qu'on détruisit ce qu'il jugea véritable'[11]. » Il en avait la puissance. Maitre dans ses États, il jouissait dans l'Empire d'une considération au moins aussi grande que celle, qu’on portait à l'Empereur lui-même.

Il est probable que Luther apprit une chose de cette lettre du cardinal Raphaël, remise à l'Électeur le 7 juillet. Peut-être fut-ce la perspective de l'excommunication, que cette missive romaine semblait présager, qui le porta à monter en chaire à Wittemberg , le 15 du même mois, et à prononcer sur ce sujet un discours qui fit une impression profonde. Il y distingua l'excommunication intérieure de l'excommunication extérieure; la première, qui exclut de la communion de Dieu, de la seconde, qui n'exclut que des cérémonies de l'Église. « Personne, dit-il, ne peut réconcilier avec Dieu l'âme déchue, si ce n'est l'Éternel. Personne ne peut séparer un homme de la communion avec « Dieu, si ce n'est cet homme lui-même, par ses propres « péchés. Bienheureux celui qui meurt dans une injuste « excommunication! Tandis qu'il endure un grave châtiment « de la part des hommes, pour l'amour de la justice, il reçoit de la main de Dieu la couronne de l'éternelle félicité... » Les uns approuvèrent hautement ce langage hardi; d'autres s'en irritèrent encore davantage.

Mais déjà Luther n'était plus seul ; et, bien que sa foi n'eût besoin d'aucun autre appui que de celui de Dieu, une phalange qui le défendait contre ses ennemis s'était formée tout autour de lui. Le peuple allemand avait entendu la voix du réformateur. De ses discours, de ses écrits, partaient des éclairs qui réveillaient et illuminaient ses contemporains. L'énergie de sa foi se précipitait en torrents de feu sur les cœurs engourdis. La vie que Dieu avait mise en cette âme extraordinaire se communiquait au corps mort de l'Église. La chrétienté, immobile depuis tant de siècles, s'animait d'un religieux enthousiasme. La dévotion du peuple aux superstitions de Rome diminuait de jour en jour; il y avait toujours moins de mains qui offrissent de l'argent pour acheter le pardon'[12], et en même temps la renommée de Luther ne cessait de croître.

On se tournait vers lui, et on le saluait avec amour et avec respect comme l'intrépides défenseur de la vérité et de la liberté '. Sans doute tous ne découvraient pas la profondeur des doctrines qu'il annonçait. Il suffisait au grand nombre de savoir que le 253

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle nouveau docteur s'élevait contre le pape, et qu'à sa puissante parole l'empire des prêtres et des moines s'ébranlait. L'attaque de Luther était pour eux comme un de ces feux allumés sur les montagnes, qui annoncent à toute une nation le moment de briser ses chaînes. Le réformateur ne se doutait pas de ce qu'il avait fait, que déjà tout ce qu'il y avait de généreux parmi son peuple l'avait par acclamation reconnu pour son chef. Mais pour un grand nombre l'apparition de Luther fut davantage encore. La Parole de Dieu, qu'il maniait avec tant de puissance, pénétra dans les esprits comme une épée à deux tranchants. On vit s'allumer dans beaucoup de cœurs un désir ardent d'obtenir l'assurance du pardon et la vie éternelle. Depuis les premiers siècles, l'Église n'avait pas connu une telle faim et une telle soif de la justice.

Si la parole de Pierre l'Ermite et de Bernard avait agi sur les peuples du moyen âge pour leur faire prendre une croix périssable, la parole de Luther porta ceux de son temps à embrasser la croix véritable, la vérité qui sauve. L'échafaudage qui pesait alors sur l'Église avait tout étouffé; les formes avaient détruit la vie. La parole puissante donnée à cet homme répandit un souffle vivifiant sur le sol de la chrétienté.

Au premier abord, les écrits de Luther entraînèrent également les croyants et les incrédules : les incrédules, parce que les doctrines positives, qui devaient être plus tard établies, n'y étaient pas encore pleinement développées; les croyants, parce qu'elles se trouvaient en germe dans cette foi vivante qui s'y exprimait avec une si grande puissance. Aussi l'influence de ces écrits fut-elle immense; Ils remplirent en un instant l'Allemagne et le monde.

Partout régnait le sentiment intimé qu'on assistait, non à l'établissement d'une secte, mais à une nouvelle naissance de l'Église et de la société. Ceux qui naquirent alors du souffle de l'Esprit de Dieu se rangèrent autour de celui qui en était l'organe. La chrétienté fut partagée en deux camps : les uns combattirent avec l'esprit contre la forme, et les autres avec la forme contre l'esprit. Du côté de la forme étaient, il est vrai, toutes les apparences de la force et de la grandeur; du côté de l'esprit étaient l'impuissance et la petitesse. Mais la forme, dépourvue de l'esprit, n'est qu'un corps vide que le premier souffle peut abattre. Son apparence de pouvoir ne sert même qu'à irriter contre elle, et à précipiter sa fin. Ainsi la simple Parole de la vérité avait créé à Luther une puissante armée.

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FOOTNOTES

[1] Luth. Op. (Lips.), XVII, p. 29 à 113.

[2] Thèse 96.

[3]Thèse O.

[4] Thèse 37.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[5] Non ut disputabilia sed asserta acciperentur. • (Luth., Ep., I, p. lit

[6] Inepties. .

[7] Quam pure simpliciterque ecclesiasticam potestatem et reverentiam clavium quœsierim et c iluerim. (Luth. Ep., 1. p. 121.)

[8] Quare. beatissime Pater, prostratum me pedibus tua Beatitudiuis offero, cum omnibus qua sum et habeo vivdica , oc •ide ; voca . revues; q,proba, reproba, ut placuerit. Voceat tuam, vocem Christi in te prteàidentis et loquentis agnoscam. Si mortem merui, mori non recusabo. (Ibid.)

[9] Luth. Op. (W.), XV, p. 339.

[10] Nec profana j udicia sequens qute tenera initia omnium mutationum celerrime opprimi jubent. s (Melanchth., Vita Luth.)

[11]Deo casait, et en qua: 1,era esse judioavit dekri non voilait.. (Ibid.)

[12] Ibtrescebant manne largentium. » (Cochlœns, 7.) 255

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE II

Il en était besoin; car les grands commençaient à s'émouvoir, et l'Empire et l'Église unissaient déjà leurs efforts pour écarter ce moine importun. Si un prince fort et courageux eût occupé alors le trône impérial, il eût pu profiter de ces agitations religiosités, et, appuyé sur la Parole de Dieu et sur la nation, donner un nouvel élan à l'ancienne opposition contre la papauté. Mais Maximilien était trop âgé, et il était décidé d'ailleurs à tous les sacrifices, pour atteindre ce qu'il regardait comme le but de sa vie, la grandeur de sa maison, et par conséquent l'élévation de son petit-fils.

L'empereur Maximilien tenait alors une diète impériale à Augsbourg. Six électeurs s'étaient rendus en personne à son appel. Tous les États germaniques y étaient représentés. Les rois de France, de Hongrie et de Pologne y avaient leurs ambassadeurs. Ces princes et ces envoyés déployaient tous une grande magnificence.

La guerre contre les Turcs était l'un des sujets pour lesquels la diète était assemblée.

Le légat de Léon X y exhorta vivement la diète. Les états, instruits par le mauvais usage qu'on avait fait auparavant de leurs contributions, et sagement conseillés par l'électeur Frédéric, se contentèrent de déclarer qu'ils réfléchiraient à la chose, et produisirent en même temps de nouveaux griefs contre Rome. Un discours latin publié pendant la diète signalait courageusement aux princes allemands le véritable danger.

« Vous voulez, disait l'auteur, « mettre le Turc en fuite. C'est très bien ; mais je crains «

fort que vous ne vous trompiez sur sa personne. C'est en « Italie et non en Asie que vous devez le chercher'. [1]»

Une autre affaire non moins importante devait occuper la diète. -Maximilien désirait faire proclamer roi des Romains, et son successeur dans la dignité impériale, son petit fils Charles, déjà roi d'Espagne et de Naples. Le pape connaissait trop bien ses intérêts pour désirer de voir le trône impérial occupé par un prince dont la puissance en Italie pourrait lui devenir redoutable. L'Empereur pensait avoir déjà gagné en sa faveur la plupart des électeurs et des états ; mais il trouva une énergique opposition chez Frédéric. En vain le ira-t-il ; en vain les ministres et les meilleurs amis de l'Électeur joignirent-ils leurs prières à celles de l'Empereur; il fut inébranlable, et montra en cette occasion, ainsi qu'on l'a dit, qu'il était d'une fermeté d'âme à ne se départir jamais d'une résolution quand il en avait-une fois reconnu la justice. Le dessein de l'Empereur échoua.

Dès lors ce prince chercha à obtenir la bienveillance du pape, pour le rendre favorable à ses plans; et pour lui donner une preuve particulière de son dévouement, il lui écrivit le 5 août la lettre suivante : « Très saint Père, nous « avons appris, il y a quelques jours, qu'un frère de l'ordre des Augustins, nommé Martin Luther, s'est mis à «

soutenir diverses propositions sur le commerce des indulgences ; ce qui nous déplaît d'autant plus que « ledit frère trouve beaucoup de protecteurs, parmi les« quels sont des personnages puissants'. Si Votre Sainteté « et les très dignes Pères de l'Église. (Les cardinaux) n'emploient pas bientôt leur autorité pour mettre fin à ces « scandales, non-256

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle seulement ces pernicieux docteurs séduiront les gens simples, mais ils entraîneront de grands princes dans leur ruine. Nous veillerons à ce que tout ce « que Votre Sainteté arrêtera à cet égard pour la gloire « du Dieu tout-puissant soit observé par tous dans notre « Empire. »

Cette lettre a dû être écrite à la suite de quelque discussion un peu vive entre Maximilien et Frédéric. Le même jour l'Électeur écrivit à Raphaël de Rovere. Il avait sans doute appris que l'Empereur s'adressait au pontife romain, et, pour parer le coup, il se mettait lui-même en communication avec Rome.

« Je n'aurai jamais d'autre volonté, dit-il, que de me « montrer soumis à l'Église universelle.

« Aussi, n'ai-je jamais défendu les écrits et les sermons « du docteur Martin Luther.

J'apprends d'ailleurs qu'il s'est « toujours offert à paraître, avec un sauf-conduit, devant « des juges impartiaux, savants et chrétiens, afin de dé« fendre sa doctrine et de se soumettre, dans le cas où on « le convaincrait par l'Écriture elle-même'. [2]»

Léon X, qui jusqu'à cette heure avait laissé l'affaire aller son train, réveillé par les cris des théologiens et des moines, institua à Rome une cour ecclésiastique chargée de juger Luther, et près laquelle Sylvestre Prierio, le grand ennemi du réformateur, était à la fois accusateur et juge. La cause fut bientôt instruite'[3], et la cour somma Luther de comparaître en personne devant elle, dans un délai de soixante jours.

Luther attendait tranquillement à Wittemberg le bon effet que la lettre pleine de soumission adressée par lui au pape devait, à ce qu'il pensait, produire, lorsque le 7

août, deux jours seulement après le départ des lettres de Maximilien et de Frédéric, on lui remit la citation du tribunal romain. « Au moment où j'attendais la bénédiction, dit-il, « je vis fondre sur moi les foudres. J'étais la brebis qui « trouble l'eau du loup.

Tezel échappa, et moi je devais « me laisser manger. [4]»

Cette citation jeta Wittemberg dans la consternation ; car quelque parti que prît Luther, il ne pouvait échapper au danger. S'il se rendait à Rome il devait y devenir la victime de ses ennemis. S'il refusait d'y aller, il serait, selon l'usage, condamné par contumace, sans pouvoir échapper, car on savait que le légat avait reçu du pape l'ordre de tout faire pour irriter l'Empereur et les princes allemands contre lui. Ses amis étaient consternés. Le docteur de la vérité ira-t-il porter sa vie à cette grande cité enivrée du sang des saints et du sang des martyrs de. Jésus? Suffira-t-il qu'une tête s'élève du sein de la chrétienté asservie, pour qu'elle tombe? Cet homme, que Dieu paraît avoir formé pour résister à une puissance à laquelle jusqu'à présent rien n'a pu résister, sera-t-il aussi renversé? Luther lui-même ne voyait que l'Électeur qui pût le sauver; mais il préférait mourir plutôt que de compromettre son prince. Ses amis tombèrent enfin d'accord sur un expédient qui n'exposerait pas Frédéric. Qu'il refuse à Luther un sauf-conduit, et celui-ci aura une cause légitime pour ne pas comparaître à Rome. [5]

257

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le 8 août, Luther écrivit à Spalatin pour lui demander que l'Électeur employât son influence pour le faire citer en Allemagne. « Voyez, écrivit-il aussi à Staupitz, de quelle

« embûche on use pour s'approcher de moi, et comment « je suis entouré d'épines. Mais Christ vit et règne, hier, « aujourd'hui et éternellement. Ma conscience m'assure « que c'est la vérité que j'ai enseignée, bien qu'elle devienne « plus odieuse encore quand c'est moi qui l'enseigne. L'Église est le ventre de Rébecca. Il faut que les enfants s'entre-poussent, même jusqu'à mettre la mère en danger [6]. « Au reste, demandez au Seigneur que je n'aie pas trop « de joie dans cette épreuve. Que Dieu ne leur impute pas cernai.

Les amis de Luther ne se bornèrent pas à des consultations et à des plaintes. Spalatin écrivit, de la part de l'Électeur, à Renner, secrétaire de l'Empereur : « Le docteur «

Martin consent volontiers à avoir pour juges toutes les « universités d'Allemagne, excepté celles d'Erfurt, de Leipsig et de Francfort-sur-l'Oder, qui se sont rendues suspectes. Il est lui impossible de paraître à Rome en personne'. [7]»

L'université de Wittemberg écrivit au pape lui-même une lettre d'intercession. « La faiblesse de son corps, disait-elle en parlant de Luther, et les dangers du voyage « lui rendent difficile et même impossible d'obéir à l'ordre de Votre Sainteté. Sa peine et ses prières nous portent à avoir compassion de lui. Nous vous prions donc, « très saint Père, comme des fils obéissants, de vouloir « bien le tenir pour un homme qui n'a jamais été en« taché de doctrines opposées à l'opinion de l'Église romaine. »

L'université, dans sa sollicitude , s'adressa le même jour à Charles de Miltitz, gentilhomme saxon et camérier du pape, très aimé de Léon, X. Elle rendit à Luther, dans cette lettre, un témoignage plus fort encore que celui qu'elle avait osé insérer dans la première. « Le digne père Martin « Luther, augustin, disait-elle, est le plus noble et le plus honorable membre de notre université. Depuis plusieurs « années, nous avons vu et connu son habileté, son savoir, sa haute intelligence dans les arts et dans les lettres, ses mœurs irréprochables et sa conduite toute « chrétiennes. »

Cette active charité de tous ceux qui entouraient Luther est son plus bel éloge.

Tandis qu'on attendait avec anxiété l'issue de cette affaire, elle se termina plus facilement qu'on n'eût pu l'espérer. Le légat de Vio, humilié de n'avoir pas réussi dans la commission qu'il avait reçue de préparer une guerre générale contre les Turcs, désirait relever et illustrer son ambassade en Allemagne, par quelque autre .acte éclatant. Il pensait que s'il éteignait l'hérésie il reparaîtrait dans Rome avec gloire. Il demanda donc au pape qu'on lui remît cette affaire. Léon, de son côté, savait bon gré à Frédéric de s'être opposé si fortement à l'élection du jeune Charles. Il sentait qu'il pourrait avoir encore besoin de son secours. Sans parler davantage de la citation, il chargea son légat, par un 'bref daté du 23 août, d'examiner l'affaire en Allemagne. Le pape ne perdait rien à cette manière de procéder, et même, si l'on pouvait amener Luther à une rétractation, on évitait le bruit et le scandale que sa comparution à Rome eût occasionnés.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Nous vous chargeons, disait-il, de faire comparaitre « personnellement devant vous, de poursuivre et de contraindre sans aucun retard, et aussitôt que vous aurez « reçu cet écrit de nous, ledit Luther, qui a déjà été « déclaré hérétique par notre cher frère Jérôme, évêque d'Asculan'. [8] »

Puis le pape prescrivait contre Luther les mesures les plus sévères :

« Invoquez à cet effet le bras et le secours de notre très « cher fils en Christ, Maximilien, et des autres princes de « l'Allemagne, de toutes les communautés, universités et « potentats, ecclésiastiques ou séculiers. Et si vous l'atteignez, faites-le garder sûrement, afin qu'il soit amené devant nous [9]. »

On voit que cette indulgente concession du pape n'était guère qu'une voie plus sûre d'entraîner Luther à Rome. Viennent ensuite les mesures de douceur :

« S'il rentre en lui-même, et demande grâce pour un tel « forfait, de lui-même et sans y être invité, nous vous donnons le pouvoir de le recevoir dans l'unité de la sainte mère l'Église. »

Le pape en revient bientôt aux malédictions :

« S'il persiste dans son opiniâtreté, et que vous ne puissiez-vous rendre maître de lui, nous vous donnons le « pouvoir de le proscrire dans tous les lieux de l'Allemagne, « de bannir, de maudire, d'excommunier tous ceux qui lui « sont attachés, et d'ordonner à tous les chrétiens de fuir leur présence. »

Cependant ce n'est pas encore assez :

« Et afin, continue le pape, que cette contagion soit « d'autant plus facilement extirpée, vous excommunierez « tous les prélats, ordres religieux, universités, communautés, comtes, ducs et potentats, excepté l'empereur « Maximilien, qui ne saisiraient pas ledit Martin Luther et « ses adhérents, et ne vous les enverraient pas sous due et « bonne garde. — Et si, ce que Dieu préserve, lesdits « princes, communautés, universités et potentats ou quel« qu'un à eux appartenant, offraient de quelque manière « un asile audit Martin et à ses adhérents, lui donnaient « publiquement ou en secret, par eux ou par d'autres, « secours et conseils, nous mettons en interdit ces princes, «

communautés, universités et potentats, avec leurs villes, « bourgs, campagnes et villages, aussi bien que les villes, g bourgs, campagnes et villages où ledit Martin pourrait « s'enfuir, aussi longtemps qu'il y demeurera, et trois jours « après qu'il les aura quittés. »

Cette chaire audacieuse qui prétend représenter sur la terre Celui qui a dit : Dieu n'a point envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui, continue ses anathèmes; et après avoir prononcé les peines contre les ecclésiastiques, elle dit :

259

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Quant à ce qui regarde les laïques, s'ils 'l'obéissent pas « aussitôt, sans aucun retard et sans aucune opposition, à « vos ordres, nous les déclarons infâmes, à l'exception du «

très digne Empereur, inhabiles à s'acquitter de toute action convenable, privés de la sépulture des chrétiens, « et dépouillés de tous fiefs, qu'ils les tiennent soit du « siégé apostolique, soit de quelque seigneur que ce puisse être ' »

Tel était le sort qui attendait Luther. Le monarque de Rome a tout conjuré pour sa perte. Il a tout remué, jusqu'à la paix des tombeaux. Sa ruine semble assurée.

Comment échappera-t-il à cette immense conjuration? Mais Rome s'était trompée; le mouvement suscité par l'Esprit de Dieu ne pouvait être dompté par les décrets de sa chancellerie.

On n'avait pas même gardé les apparences d'une enquête juste et impartiale. Luther avait été déclaré hérétique, non-seulement avant d'avoir été entendu, mais encore bien avant la fin du temps qui lui avait été donné pour comparaître. Les passions, et nulle part elles ne se montrent plus fortes que dans les discussions religieuses, font passer pardessus toutes les formes de la justice. Ce n'est pas seulement dans l'Église romaine, c'est dans les Églises protestantes qui se sont détournées de l'Évangile, c'est partout où n'est pas la vérité, que l'on retrouve à son égard de si étranges procédés. Tout est bon contre l'Évangile. On voit souvent des hommes qui, dans tout autre cas, se feraient scrupule de commettre la moindre injustice, ne pas craindre de fouler aux pieds toutes les règles et tous les droits, dès qu'il s'agit du christianisme et du témoignage qu'on lui rend.

Lorsque plus tard Luther eut connaissance de ce bref, il en exprima son indignation : «

Voici, dit-il, le plus remarquable de l'affaire : le bref a été donné le 23 août, et « moi, j'ai été cité le 7 août; en sorte qu'entre la citation « et le bref il s'est écoulé seize jours.

Or, faites le compte, « et vous trouverez que monseigneur Jérôme, évêque d'Asculan, a procédé contre moi, a prononcé le jugement, m'a condamné et déclaré hérétique, avant que la citation me fût parvenue, ou tout au plus seize jours « après qu'on me l'avait remise. Maintenant, je le demande, « où sont donc les soixante jours qui me sont accordés dans « la citation? Ils ont commencé. le 7 août, ils devaient finir « le 7

octobre... Est-ce là le style et la mode de la cour de « Rome, qu'en un même jour elle cite, exhorte, accuse, « juge, condamne et déclare condamné un homme qui est « si éloigné de Rome, et qui ne sait rien de toutes ces « choses? Que répondent-ils à tout cela? Sans doute qu'ils « ont oublié de se purger le cerveau avec de l'ellébore, « avant de mettre en œuvre de tels mensonges'. [10]»

Mais en même temps que Rome déposait en cachette ses foudres dans les mains de son légat, elle cherchait, par de douces et flatteuses paroles, à détacher de la cause de Luther le prince dont elle redoutait le plus le pouvoir. Le même jour, 23 août 1518, le pape écrivait à l'électeur de Saxe. Il avait recours aux arts de cette vieille politique que rus avons déjà signalée, et il essayait de flatter l'amour-propre du prince.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Cher fils, disait le pontife de Rome, quand nous pensons à votre noble et louable race, à vous, qui en êtes le « chef et l'ornement; quand nous nous rappelons comment « vous et vos ancêtres avez toujours désiré maintenir la foi « chrétienne, l'honneur et la dignité du Saint-Siège, nous « ne pouvons croire qu'un homme qui abandonne la foi «

puisse s'appuyer sur la faveur de Votre Altesse, et lâcher « hardiment la bride à sa méchanceté. Cependant, il nous « est rapporté de toutes parts qu'un certain frère Martin « Luther, ermite de l'ordre de Saint-Augustin, a oublié, « comme enfant de malice et contempteur de Dieu, son « habit et son ordre, qui consistent dans l'humilité et « l'obéissance, et qu'il se vante de ne craindre ni l'autorité « ni la punition d'aucun homme, assuré qu'il est de votre « faveur et de votre protection.

« Mais comme nous savons qu'il se trompe, nous avons « trouvé bon d'écrire à Votre Altesse et de vous exhorter, « selon le Seigneur, à veiller à l'honneur du nom d'un «

prince aussi chrétien que vous, à vous défendre de ces calomnies, vous l'ornement, la gloire et la bonne odeur « de votre noble race, et à vous garder, non-seulement « d'une faute aussi grave que celle qu'on vous impute, « mais encore du soupçon même que la hardiesse insensée « de ce frère tend à faire planer sur vous. »

Léon X annonçait en même temps à Frédéric qu'il avait chargé le cardinal de Saint-Sixte d'examiner la chose, et il lui ordonnait de remettre Luther entre les mains du légat, « de peur, » ajoutait-il en revenant encore à son argument favori, « que des gens pieux de notre temps ou des temps « futurs ne puissent un jour se lamenter et dire : La plus « pernicieuse hérésie dont ait été affligée l'Église de Dieu « s'est élevée par le secours et la faveur de cette haute et « louable maison'. [11]»

Ainsi Rome avait pris toutes ses mesures. D'une main elle faisait respirer le parfum, toujours si enivrant, de la louange, et de l'autre elle tenait cachées ses vengeances et ses terreurs.

Toutes les puissances de la terre, empereur, pape, princes et légats, commençaient à s'émouvoir contre cet humble frère d'Erfurt, dont nous avons suivi les combats intérieurs. Les rois de la terre se trouvent en personne, et les princes consultent ensemble contre le Seigneur et contre son oint.

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FOOTNOTES

[1] Schrtick, K. Gesch. y. d. R., I, p. 156.

[2] Derensores et patronos etiam potentes quos dictus frater consecutua est. a (Raynald, ad an. 1518.)

[3] Luth. Op. (L.), XVII, p. 189.

[4]Uterus Rebeccfe est : parvulos in eu collidi necesse est, etiam usque ad periculum matris. v (Luth. Ep., I, p. 138.)

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[5] Luth. Op. (L.)*, XVII, p. 173.

[6] Luth. Op. MI., I, p. 183 et 184. —

[7] Luth. Op. (L.), XVII, p. 171 et 172.

[8]Dictmn Lutherum hœreticum per praedictum auditorem jam declaratum. Brno Leoni. X ad Thomam.)

[9] Brachio cogas atque compellas, et eo in potestate tua redacto, eum sub lideli custodia retineas, ut corbin noble sistatur. » (Ibid.)

[10] Luth. Op. (L.), XVII, p. 176.

[11] Luth. Op. (L.), XVII, p. i73.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE III

Cette lettre et ce bref n'étaient point arrivés en Allemagne, et Luther était encore dans la crainte de se voir obligé de comparaître à Rome, lorsqu'un heureux événement vint raffermir son cœur. Il lui fallait un ami dans le sein duquel il pût verser ses peines, et dont l'amour fidèle le consolât à l'heure de l'abattement. Dieu lui fit trouver tout cela dans Melanchthon.

George Schwarzerd était un habile maître armurier de Bretten, petite ville du Palatinat. Le 44 février 4497 il lui naquit un fils qui fut nommé Philippe, et qui s'illustra plus tard sous le nom de Melanchthon. Bien vu des princes palatins, de ceux de Bavière et de Saxe, George était doué de la plus parfaite droiture. Souvent il refusait des acheteurs le prix qu'ils lui offraient, et s'il apprenait qu'ils étaient pauvres, il les obligeait à reprendre leur argent. H se levait habituellement à minuit, et faisait alors, à genoux, sa prière. S'il lui arrivait de voir venir le matin sans l'avoir faite, il était mécontent de soi tout le jour. Barbara, femme de Schwarzerd, était fille d'un magistrat honorable nommé Jean Reuter. Elle était d'un caractère tendre, un peu portée à la superstition, du reste pleine de sagesse et de prudence. C'est d'elle que sont ces vieilles rimes allemandes bien connues :

Paire amène n'appauvrit pas.

•Être au temple n'empêche pas. ft Graisser le char n'arrête pas. Bien mal acquis ne produit pas. Livre de Dieu ne trompe pas. •

Et ces autres rimes

« Ceux qui veulent plus dépenser Que leur champ ne peut rendre,

•Devront finir par se ruiner;

•Plus d'un se fera pendre. [1]

Le jeune Philippe n'avait pas onze ans lorsque son père mourut. Deux jours avant d'expirer, George fit venir son fils près de son lit de mort, et l'exhorta à avoir toujours présente la pensée de Dieu : « Je prévois, dit l'armurier « mourant, que de terribles tempêtes viendront ébranler « le monde. J'ai vu de grandes choses ; mais de plus «

grandes se préparent. Que Dieu te conduise et te dirige !» Après que Philippe eut reçu la bénédiction paternelle, on l'envoya à Spire pour qu'il ne fût pas témoin de la mort de son père. Il s'éloigna tout en larmes.

L'aïeul du jeune garçon, le digne bailli Reuter, qui lui-même avait un fils, tint lieu de père à Philippe, et le prit dans sa maison avec George son frère. Peu de temps après, il donna pour précepteur aux trois jeunes garçons Jean Hungarus, homme excellent, qui plus tard, et jusque dans le plus avancé, annonça l'Évangile avec une grande force. Il ne passait rien au jeune homme. Il le punissait pour chaque faute, mais avec sagesse :

« C'est ainsi, dit « Melanchthon en 1554, qu'il a fait de moi un grammairien. « Il 263

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle m'aimait comme un fils, je l'aimais comme un père, « et nous nous rencontrerons, je l'espère, dans la vie éternelle '[2] »

Philippe se distingua par l'excellence de son esprit, par sa facilité à apprendre et à exposer ce qu'il avait appris. Il ne pouvait demeurer dans l'oisiveté, et il cherchait toujours quelqu'un avec qui il pût discuter sur ce qu'il avait entendu [3]. Il arrivait souvent que des étrangers instruits passent par Bretten et visitaient Reuter. Aussitôt le petit-fils du bailli les abordait, entrait en conversation avec eux, et les pressait tellement dans la discussion, que les auditeurs en étaient dans l'admiration. A la force du génie il joignait une grande douceur, et il se conciliait ainsi la faveur de tous. Il bégayait; mais, comme l'illustre orateur des Grecs, il s'appliqua avec tant de soin à se corriger de ce défaut, que plus tard on n'en aperçut plus aucune trace.

Son grand-père étant mort , le jeune Philippe fut envoyé avec son frère et son -jeune oncle Jean à l'école de Pforzheim. Ces jeunes garçons demeuraient chez une de leurs parentes, sœur du fameux Reuchlin. Avide de connaissances, Philippe fit, sous la conduite de George Simler, de rapides progrès dans les sciences, et surtout dans l'étude de la langue grecque, pour laquelle il avait une véritable passion. Reuchlin venait souvent à Pforzheim. Il fit chez sa sœur la connaissance de ces jeunes pensionnaires, et il fut bientôt frappé des réponses de Philippe. Il lui donna une grammaire grecque et une Bible. Ces deux livres devaient faire l'étude de toute sa vie.

Lorsque Reuchlin revint de son second voyage en Italie, son jeune parent, âgé de douze ans, fêta le jour de son arrivée, en jouant devant lui, avec quelques amis, une comédie latine qu'il avait lui-même composée. Reuchlin, ravi du talent du jeune homme, l'embrassa tendrement, l'appela son fils bien-aimé, et lui donna en riant le chapeau rouge qu'il avait reçu lorsqu'il avait été fait docteur. Ce fut alors que Reuchlin changea son nom de Schwarzerd en celui de Melanchthon [4]. Ces deux mots signifient terre noire, l'un en allemand et l'autre en grec. La plupart des savants du temps traduisaient ainsi leur nom en grec ou en latin.

Mélanchthon, à douze ans, se rendit à l'université de Heidelberg. Ce fut là qu'il commença à étancher la soif de science qui le consumait. Il fut reçu bachelier à quatorze ans. En 1512 Reuchlin l'appela à Tubingue, où un grand nombre de savants distingués se trouvaient réunis [5]. Il fréquentait à la fois les leçons des théologiens, celles des médecins et celles des jurisconsultes. Il n'y avait aucune connaissance qu'il ne crût devoir rechercher. Ce n'était pas la louange qu'il poursuivait, mais la possession et les fruits de la science.

L'Écriture sainte l'occupait surtout. Ceux qui fréquentaient l'église de Tubingue avaient remarqué qu'il avait souvent en main un livre dont il s'occupait entre les services. Ce volume inconnu paraissait plus grand que les manuels de prières, et l'on répandit le bruit que Philippe lisait alors des ouvrages profanes. Mais il se trouva que le livre objet de leurs soupçons était un exemplaire des saintes Écritures, imprimé peu auparavant à Bâle par Jean Frobenius. Il continua toute sa vie cette lecture avec 264

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle l'application la plus assidue. Toujours il avait sur lui ce volume précieux, et il le portait à toutes les assemblées publiques auxquelles il était appelé'. Rejetant les vains systèmes des scolastiques, il s'attachait à la simple parole de l'Évangile. « J'ai de Mélanchthon, écrivait alors Érasme « à Œcolampade, les sentiments les plus distingués et des « espérances magnifiques. Que Christ fasse seulement que u ce jeune homme nous survive longtemps. Il éclipsera « entièrement Érasme'. [6]» Néanmoins Mélanchthon partageait les erreurs de son siècle. « Je frémis , dit-il à une « époque avancée de sa vie, quand je pense à l'honneur « que je rendais aux statues, lorsque je me trouvais encore u dans la papauté'. »

En 1514 il fut fait docteur en philosophie, et il commença alors à enseigner. Il avait dix-sept ans. La grâce, l'attrait qu'il savait donner à ses enseignements, faisaient le plus frappant contraste avec la méthode dépourvue de goût que les docteurs, et surtout les moines, avaient jusqu'alors suivie. Il prit une vive part au combat dans lequel Reuchlin se trouvait engagé avec les obscures de son siècle. D'une conversation agréable, de mœurs douces et élégantes, aimé de tous ceux qui le connaissaient, il jouit bientôt dans le monde savant d'une grande autorité et d'une solide réputation.

Ce fut alors que l'électeur Frédéric conçut l'idée d'appeler un savant distingué comme professeur des langues anciennes à son université de Wittemberg. Il s'adressa à Reuchlin, qui lui indiqua Mélanchthon. Frédéric comprit tout l'éclat que ce jeune helléniste répandrait sur une institution qui lui était si chère. Reuchlin, ravi de voir un si beau champ s'ouvrir pour son jeune ami, lui écrivit ces paroles de l'Éternel à Abraham : « Sors de ton pays et a d'avec ta parenté et de la maison de ton père, et je rendrai « ton nom grand, et tu seras béni. Oui, continue le vieillard, « j'espère qu'il en sera ainsi de toi, mon cher Philippe, mon œuvre et ma consolation'[7]. Mélanchthon reconnut dans cette vocation un appel de Dieu. A son départ l'université fut dans la douleur; il y avait pourtant des jaloux et des ennemis. Il quitta sa patrie en s'écriant : «

Que la volonté du Seigneur s'accomplisse ! [8] » Il avait alors vingt et un ans.

Mélanchthon fit le voyage à cheval, dans la compagnie de quelques marchands saxons, comme on se joint à une caravane dans le désert; car, dit Reuchlin, il ne connaissait ni les lieux ni les routes'. Il présenta ses hommages à l'Électeur, qui se trouvait à Augsbourg. A Nuremberg, il vit l'excellent Pirckheimer, qu'il connaissait déjà; à Leipsig, il se lia avec le savant helléniste Mosellanus. L'université donna dans cette dernière ville un festin à son honneur. C'était un repas vraiment académique. Les plats se succédaient en grand nombre, et à chaque plat nouveau l'un des professeurs se levait et adressait à Mélanchthon un discours latin préparé d'avance. Celui-ci improvisait aussitôt une réponse. A la fin, lassé de tant d'éloquence : « Hommes très «

illustres, leur dit-il, permettez-moi de répondre une fois « pour toutes à vos harangues; car, n'étant point préparé, « je ne saurais mettre dans mes réponses autant de variété

« que vous dans vos allocutions. » Dès lors les plats arrivèrent sans l'accompagnement d'un discours [9].

265

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le jeune parent de Reuchlin arriva à Wittemberg le 25 août 1518, deux jours après que Léon X eut signé le bref adressé à Cajetan et la lettre à l'Électeur.

Les professeurs de Wittemberg ne reçurent pas Mélanchthon avec autant de faveur que l'avaient fait ceux de Leipsig. La première impression qu'il produisit sur eux ne répondit pas à leur attente. Ils virent un jeune homme, qui semblait plus jeune encore que son âge, d'une stature peu apparente, d'un air faible et timide. Est-ce là cet illustre docteur que les plus grands hommes du temps, Érasme et Reuchlin, élèvent si haut?... Ni Luther, dont il fit d'abord la connaissance, ni ses collègues, ne conçurent de grandes espérances en voyant sa jeunesse, son embarras et ses manières.

Quatre jours après son arrivée, le 29 août, il prononça son discours d'inauguration.

Toute l'université était assemblée. Le jeune garçon, comme l'appelle Luther [10], parla en une latinité si élégante et montra tant de science, un esprit si cultivé, un jugement si sain, que tous ses auditeurs furent dans l'admiration.

Le discours terminé, tous s'empressèrent de le féliciter; mais personne ne ressentait plus de joie que Luther. Il se hâta de communiquer à ses amis les sentiments qui remplissaient son cœur. « Melanchthon, écrivait-il à Spalatin, le « 31 août, a prononcé, quatre jours après son arrivée, une « si belle et si savante harangue , que tous l'ont écouté « avec approbation et avec étonnement. Nous sommes « bientôt revenus des préjugés qu'avaient fait naître sa stature et sa personne; nous louons et nous admirons ses « paroles; nous rendons grâces au prince et à vous, pour « le service que vous nous avez rendu. Je ne demande pas « d'autre maître de grec. Mais je crains que son corps délicat ne puisse supporter nôs aliments, et que nous ne « le gardions pas longtemps, à cause de la modicité de son « traitement. J'apprends que les gens de Leipsig se vantent

« déjà de pouvoir nous l'enlever. 0 mon cher Spalatin, « prenez garde de ne pas mépriser son âge et sa personne. « Cet homme est digne de tout honneur [11]»

Mélanchthon se mit aussitôt à expliquer Homère et l'Épitre de saint Paul à Tite. Il était plein d'ardeur. « Je ferai « tous mes efforts, écrivait-il à Spalatin, pour me concilier « à Wittemberg la faveur de tous ceux qui aiment les lettres « et la vertu'.

[12]» Quatre jours après l'inauguration, Luther écrivait encore à Spalatin : « Je vous recommande très particulièrement le très savant et très aimable Grec Philippe. « Son auditoire est toujours plein. Tous les théologiens « surtout viennent l'entendre. Il fait que tous, de haut, de « bas et de moyen étage, se mettent à apprendre le grec » [13]

Mélanchthon savait répondre à cette affection de Luther. Il découvrit bientôt en lui une bonté de. caractère, une force d'esprit, un courage, une sagesse, qu'il n'avait trouvés jusqu'alors chez aucun homme. Il le vénéra et il l'aima. « S'il est quelqu'un, disait-il, que j'aime avec force, et « que mon esprit tout entier embrasse, c'est Martin «

Luther [14]. »

Ainsi se rencontrèrent Luther et Mélanchthon; ils furent amis jusqu'à la mort. On ne peut assez admirer la bonté et la sagesse de Dieu, qui réunissait deux hommes si 266

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle différents, et pourtant si nécessaires l'un à l'autre. Ce que Luther avait en chaleur, en élan , en force , Mélanchthon l'avait en clarté, en sagesse, en douceur. Luther animait Mélanchthon , Mélanchthon , modérait Luther. Ils étaient comme ces couches de matière électrique, l'une en plus, l'autre en moins, qui se tempèrent mutuellement. Si Mélanchthon avait manqué à Luther, peut-être le fleuve se fut-il débordé. Lorsque Luther manqua à Mélanchthon, Mélanchthon hésita, céda même, là où il n'aurait pas dû céder '[15]. Luther fit beaucoup avec puissance. Mélanchthon ne fit pas moins peut-être en suivant une voie plus lente et plus tranquille. Tous deux étaient droits, ouverts, généreux; tous deux, pleins d'amour pour la Parole de la vie éternelle, la servirent avec une fidélité et un dévouement qui dominèrent toute leur vie.

Au reste, l'arrivée de Mélanchthon opéra une révolution, non-seulement à Wittemberg, mais encore dans toute l'Allemagne et dans tout le monde savant. L'étude qu'il avait faite des classiques grecs et latins et de la philosophie lui avait donné un ordre, une clarté, une précision d'idées, qui répandaient sur tous les sujets qu'il traitait une nouvelle lumière, une inexprimable beauté. Le doux esprit de l'Évangile fécondait, animait ses méditations, et les sciences les plus arides se trouvaient revêtues dans ses expositions d'une grâce infinie, qui captivait tous les auditeurs. La stérilité que la scolastique avait répandue sur l'enseignement cessa. Une nouvelle manière d'enseigner et d'étudier commença avec Mélanchthon. « Grâce à lui, dit un illustre historien allemand [16], Wittemberg devint l'école de la nation.

Il était, en effet, d'une grande importance qu'un homme qui connaissait à fond le grec enseignât dans cette université, où les nouveaux développements de la théologie appelaient maltes et disciples à étudier dans la langue originale les documents primitifs de la foi chrétienne. Dès lors. Luther se mit avec zèle à ce travail. Le sens de tel ou tel mot grec qu'il avait jusqu'alors ignoré éclaircissait tout à coup ses idées théologiques. Quel soulagement et quelle joie n'éprouva-t-il pas quand il vit, par exemple, que le mot grec percivotcc, qui selon l'Église latine désignait une pénitence, une satisfaction exigée par l'Église, une expiation humaine, signifiait en grec une transformation ou une conversion du cœur? Un épais brouillard se dissipa alors tout à coup devant ses yeux. Les deux sens donnés à ce mot suffisent pour caractériser les deux Églises.

L'impulsion que Mélanchthon donna à Luther pour la traduction de la Bible est l'une des circonstances les plus remarquables de l'amitié de ces deux grands hommes. Déjà, en 1517, Luther avait commencé quelques essais de traduction. Il se procurait autant de livres grecs et latins qu'il pouvait en acquérir. Maintenant, aidé de son cher Philippe, son travail prit un nouvel essor. Luther obligeait Mélanchthon à prendre part à ses recherches; il le consultait sur les passages difficiles; et cette œuvre, qui devait être l'un des grands travaux du réformateur, avançait plus sûrement et plus vite.

267

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Mélanchthon, de son côté, apprenait à connaître une théologie nouvelle. La belle et profonde doctrine de la justification par la foi le remplissait d'étonnement et de joie; mais il recevait le système que professait Luther avec indépendance, et en lui faisant subis la forme particulière de son intelligence; car, quoiqu'il n'eût que vingt et un ans, il était de ces esprits prématurés qui entrent de bonne heure en une pleine possession de toutes leurs forces, et qui sont eux-mêmes dès leurs premiers pas.

Bientôt le zèle des maîtres se communiqua eux disciples. On pensa à réformer la méthode. On supprima, avec l'agrément de l'Électeur, certains cours qui n'avaient qu'une importance scolastique ; on donna en même temps aux études classiques un nouvel essor. L'école de Wittemberg se transformait, et le contraste avec les autres universités devenait toujours plus saillant. Cependant on se tenait encore dans les limites de l'Église, et l'on ne se doutait nullement d'être à la veille d'une grande bataille avec le pape, sans doute, dans zèle, il oublia quelquefois Rome, Prierio, Léon et la cour ecclésiastique devant laquelle il devait comparaître.

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FOOTNOTES

[1] Almosen geben armt nicht, etc. Wer rnehr verzehren, etc. n (Muller'. Reliquien.) I 31

[2] Dilesit me ut (ilium, et ego eum ut patrem : et conveniemus, spero, in Titi te!erna..

(Melanchth., Explicat. ming.)

[3] Quiescere non poterat, sed quœrebat ubique aliquem eum quo de ouais disputaret..

(Camerarius, Vita Melanchth., p. 7.)

[4] Camerarius, Vira Philip. Melanchthonis, p. 16.

[5]a 15 prorsus obscurabit Erasmum. (Er. Ep., 1, p. 4034

[6] a Cohorresco quando cogito quomodo ipse accesserim ad statuas in papatu..

(Explicat. avang.)

[7] ileum opus et meum solatium. a (Corp. Ref., 1, p. 33.)

[8] Des Wegs und der Orte unbekannt. s (Ibid., p. 30.)

[9] Camerarius, Fila

p. 26.

[10] Puer et adoleteentulus, si testent consideres. s (Luth. Ep., I, p. 141.)

[11] Luth. Ep., 1, p. 133.

[12] Wittembergam litteratis ac bonis omnibus concilient. ( Corp. Ref., 1, p. 51.1

[13] Summos cum mediis et l'Amis, studiosos facit grtecitatis. (Luth. Ep., 1, p. 140. ) 268

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[14] Martinum, si omnino in rebus humanis quidquam, vehementissime diligo et animo integerrimo complector. s (Melanchth., Ep., I, p. 411.)

[15] Calvin écrit à Sleidan : Dominus eum fortiore spiritu iustruat, ne graveur ex ejus timiditate jacturam sentiat posteritas..

[16] Malik.

269

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IV

Les doux épanchements d'une amitié naissante, et au milieu des travaux bibliques auxquels il se livrait avec un nativeau, Cependant ce n'étaient là que des moments fugitifs; et ses pensées se reportaient toujours sur le tribunal redoutable devant lequel d'implacables ennemis l'avaient fait citer. De quelles erreurs cette pensée n'eût elle pas rempli une âme qui eût cherché autre chose que la vérité! Mais Luther ne tremblait pas : plein de foi en la fidélité et en la puissance de Dieu, il demeurait ferme, et il était tout prêt à s'exposer seul à la colère d'ennemis plus terribles que ceux qui avaient allumé le bûcher de Jean Huss.

Peu de jours après l'arrivée de Mélanchthon, et avant que la résolution du pape qui transportait de Rome à Augsbourg la citation de Luther pût être connue, celui-ci écrivit à Spalatin : « Je ne demande pas, lui dit-il, que notre « souverain fasse la moindre chose pour la défense de mes « thèses, je veux être livré et jeté seul entre les mains de « tous mes adversaires. Qu'il laisse tout l'orage éclater sur u moi. Ce que j'ai entrepris de défendre, j'espère pouvoir « le soutenir, avec le secours de Christ. Quant à la violence, « il faut bien lui céder; néanmoins, sans abandonner la « vérité'. [1]»

Le courage de Luther se communiquait; les hommes les plus doux et les plus timides trouvaient, à la vue du danger qui menaçait le témoin de la vérité, des paroles pleines de force et d'indignation. Le prudent, le pacifique Staupitz écrivit à Spalatin, le 7

septembre : « Ne cessez« d'exhorter le prince, votre maître et le mien, à ne pas se laisser épouvanter par le mugissement des lions. Qu'il défende la vérité, sans s'inquiéter ni de Luther, ni de Staupitz, ni de l'ordre. Qu'il y ait un lieu où l'on puisse parler librement et sans crainte.

Je sais que la peste de Babylone, j'allais presque dire de Rome, se déchaîne contre quiconque attaque les abus de ceux qui vendent a- Jésus-Christ. J'ai vu moi-même précipiter de la chaire « un prédicateur qui enseignait la vérité je l'ai vu, bien « que ce fût un jour de fête, lier et traîner dans un cachot. « D'autres ont vu des choses plus cruelles encore. C'est « pourquoi, ô très cher, faites en sorte que Son Altesse persiste dans ses sentiments'. [2]»

L'ordre de comparaître à Augsbourg devant le cardinal légat arriva enfin. C'est à l'un des princes de l'Église de Rome que Luther allait maintenant avoir affaire. Tous ses amis le sollicitèrent de ne point partir'. Ils craignaient que déjà pendant le voyage on ne lui tendît des pièges et qu'on n'attentât à sa vie. Quelques -uns s'occupaient à lui chercher un asile. Staupitz lui-même , le craintif Staupitz, se sentit ému à la pensée des dangers auxquels allait être exposé ce frère Martin qu'il avait tiré de l'obscurité du cloître, et qu'il avait lancé sur cette scène agitée, où maintenant sa vie était en péril.

Ah ! N’eût-il pas Mieux valu pour le pauvre frère demeurer à jamais inconnu. [3] Il était trop tard. Du moins il voulait tout faire pour le sauver. Il lui écrivit donc, de son couvent de Salzbourg, le 15 septembre, pour le solliciter de fuir et de chercher un asile 270

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle auprès de lui. « Il me semble, lui disait-il, que le monde « entier est irrité et coalisé contre la vérité.

Jésus crucifié « fut haï de même. Je ne vois pas que vous ayez autre chose à attendre que la persécution. Personne ne pourra à bientôt, sans la permission du pape, sonder les Écritures et y chercher Jésus-Christ, ce que Christ pourtant or« donne. Vous n'avez que peu d'amis, et plût à Dieu que « la crainte de vos adversaires n'empêchât pas ce petit « nombre de se déclarer en votre faveur ! Le plus sage est a que vous abandonniez pour quelque temps Wittemberg, « et que vous veniez vers moi. Alors nous vivrons et nous mourrons ensemble. C'est aussi là l'avis du prince ajoute Staupitz [4]. »

De divers côtés, Luther recevait les avis les plus alarmants. Le comte Albert de Mansfeld lui fit dire de se garder de se mettre en route, attendu que quelques grands seigneurs avaient juré de se rendre maîtres de sa personne et de l'étrangler ou de le noyer [5]. Mais rien ne pouvait l'épouvanter. Il ne pensa point à profiter de l'offre du sicaire général. Il n'ira point se cacher dans l'obscurité du couvent de Salzbourg, il demeurera fidèlement sur cette scène orageuse où la main de Dieu l'a placé. C'est en persévérant, malgré les adversaires, c'est en proclamant à haute voix la vérité au milieu du monde, que le règne de cette vérité s'avance. Pourquoi donc fuirait-il ? Il n'est pas de ceux qui se retirent pour périr, mais de ceux qui gardent la foi pour sauver leur âme.

Sans cesse retentit dans son cœur cette parole du Maitre qu'il veut servir et qu'il aime plus que la vie : Quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père, qui est aux cieux. On retrouve partout dans Luther et dans la Réformation ce courage intrépide, cette haute moralité, cette charité immense, que le premier avènement du christianisme avait déjà fait voir au monde. « Je suis comme Jérémie, dit Luther au moment dont nous nous occupons, l'homme des querelles et des discordes; mais plus ils augmentent leurs menaces, plus ils multiplient ma joie. Ma femme et mes « enfants sont bien pourvus; mes champs, mes maisons et tous mes biens sont en bon ordre [6]. Ils ont déjà déchiré mon honneur et ma réputation. line seule chose u me reste; c'est mon misérable corps : qu'ils le prennent; « ils abrégeront ainsi ma vie de quelques heures. Mais « quant à mon âme, ils ne me la prendront pas.

Celui qui « veut porter la Parole de Christ dans le monde doit s'attendre à chaque heure à la mort; car notre-époux est un époux de sang [7] »

L'Électeur se trouvait alors à Augsbourg. Peu avant de quitter cette ville et la diète, il avait pris sur lui de faire une visite au légat. Le cardinal, très flatté de cette prévenance d'un prince si illustre, promit à l'Électeur que si le moine se présentait devant lui il l'écouterait paternellement et le congédierait avec bienveillance. Spalatin écrivit à son ami, de la part du prince, que le pape avait nommé une commission pour l'entendre en Allemagne, que l'Électeur ne permettrait pas qu'on le traînât à Rome, et qu'il devait se préparer à partir pour Augsbourg. Luther résolut d'obéir. L'avis que le comte de Mansfeld lui avait fait parvenir le porta à demander à Frédéric un sauf-271

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle conduit. Celui-ci répondit que ce n'était pas nécessaire, et lui envoya seulement des recommandations pour quelques-uns des conseillers les plus distingués d'Augsbourg. Il lui fit remettre quelque argent pour son voyage, et le réformateur, pauvre-et sans défense, partit à pied pour venir se mettre entre les mains de ses adversaires [8].

Avec quels sentiments ne dût-il pas quitter Wittemberg et se diriger vers Augsbourg, où le légat du pape l'attendait ! Le but de ce voyage n'était pas, comme celui du voyage .à Heidelberg, une réunion amicale; il allait comparaitre en présence du délégué de Rome, sans sauf-conduit. Peut-être marchait-il à la mort; mais sa foi n'était pas seulement une foi d'apparat; elle était une réalité en lui. Aussi, lui donna-t-elle la paix, et put il s'avancer sans crainte, au nom du Dieu des armées, pour rendre témoignage à l'Évangile.

Il arriva à Weimar le 28 septembre , et logea dans- le couvent des Cordeliers. L'un des moines ne pouvait détourner de dessus lui ses regards ; c'était Myconius. Il voyait Luther pour la première, fois; il voulait s'approcher, lui dire qu'il lui devait la paix de son âme, que tout son désir était de travailler avec lui. Mais Myconius était gardé de près par ses chefs : on ne lui permit point de parler à Luther [9].

L'électeur de Saxe tenait alors sa cour à Weimar, et c'est probablement pour cette cause que les cordeliers firent accueil au docteur. Le lendemain de son arrivée, on célébrait la fête de Saint-Michel; Luther dit la messe, et fut même invité à prêcher dans l'église du château. C'était une marque de faveur que son prince aimait à lui donner. Il prêcha d'abondance, en présence de la cour, sur le texte du jour, qui était tiré de l'évangile selon saint Matthieu, chap. XVIII, versets 1- à 11. Il parla avec force contre les hypocrites et contre ceux qui se vantent de leur propre justice. Mais il ne parla point des anges, quoique ce fût la coutume le jour de la Saint-Michel.

Ce courage du docteur de Wittemberg, qui se rendait tranquillement et à pied à un appel qui pour tant d'autres avant lui avait abouti à la mort, étonnait ceux qui le voyaient. L'intérêt, l'admiration, la compassion se succédaient dans les cœurs. Jean Kestner, proviseur des cordeliers, frappé d'épouvante à la pensée des dangers qui attendaient son hôte, lui dit : « Mon frère, vous trouverez à Augsbourg des « Italiens, qui sont de savantes gens, de subtils antagonistes, « et qui vous donneront beaucoup à faire. Je crains que « vous ne puissiez défendre contre eux votre cause. Ils vous «

jetteront au feu, et leurs flammes vous consumeront'. [10]» Luther répondit avec gravité : « Cher ami, priez notre Seigneur Dieu, qui est dans le ciel, et présentez-lui un Pa« ter noster pour moi et pour son cher enfant Jésus, dont « ma cause est la cause, afin qu'il use de grâce envers lui. « S'il maintient sa cause, la mienne est maintenue.

Mais s'il « ne veut pas la maintenir, certes ce n'est pas moi qui la « maintiendrai, et c'est lui qui en portera l'opprobre. »

Luther continua à pied son voyage, et arriva à Nuremberg. Il allait se présenter devant un prince de l'Église, et il voulait être mis convenablement. L'habit qu'il portait 272

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle était déjà vieux, et avait d'ailleurs beaucoup souffert dans le voyage. Il emprunta donc un froc à son fidèle ami Wenceslas Link, prédicateur à Nuremberg.

Luther ne se borna pas sans doute à voir Link ; il vit également ses autres amis de Nuremberg, Scheurl, le secrétaire de la ville, l'illustre peintre Albert Durer, auquel Nuremberg élève maintenant une statue, et d'autres encore. Il se fortifia dans le commerce de ces excellents de la terre, tandis que beaucoup de moines et de laïques s'effrayaient de son .passage et essayaient de l'ébranler en le conjurant de rebrousser chemin. Des lettres qu'il écrivit de cette ville montrent l'esprit qui l'animait alors :

«J'ai rencontré, dit-il, « des hommes pusillanimes qui veulent me persuader de « ne pas me rendre à Augsbourg ; mais je suis déterminé « à y aller. Que la volonté du Seigneur s'accomplisse ! « Même à Augsbourg, même au milieu de ses ennemis, Jésus-Christ règne. Que Christ vive; que Luther meure, et « tout pécheur, selon ce qui est écrit Que le Dieu de mon « salut soit exalté [11] Portez-vous bien, persévérez, demeurez « ferme; car il est nécessaire d'être réprouvé ou par les « hommes ou par Dieu : mais Dieu est véritable et l'homme « est menteur '. »

Link et un moine augustin, nommé Léonard, ne purent se décider à laisser Luther marcher seul à la rencontre des dangers qui le menaçaient. Ils connaissaient son caractère, et savaient que, plein d'abandon et de courage, il aurait peut -être peu de prudence. Ils l'accompagnèrent donc. Comme ils étaient à environ cinq lieues d'Augsbourg, Luther., que la fatigue du voyage et les agitations diverses de son cœur avaient sans doute épuisé, fut saisi de violentes douleurs d'estomac. Il crut en mourir.

Ses deux amis, très inquiets, louèrent un char sur lequel on transporta le docteur. Ili arrivèrent à Augsbourg le vendredi 7 octobre au soir, et descendirent au couvent des augustins. Luther était très fatigué. Mais il se remit bientôt; sans doute sa foi et la vivacité de son esprit relevèrent promptement son corps affaibli.

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FOOTNOTES

[1] Luth. Ep., 1, p. 139.

[2] Jen., Ans,,, 1, p. 38,1.

[3] Contra omnium amicorum consilium comparui.

[4] Luth. Ep., 1, p. 61.

[5] Ut vel stranguler, vel haptizer ad mortem.. (Ibid., p. 129.1

[6] Uxor mea et liberi mei provisi sant. (Ibid., p. 129.)

[7] Sic enim sponsus noster, sponsus sanguinum nobis est. (Luth. Ep., 1, p. 129.) Voyez Exode IV, 23.

[8] Vent igitur pedester et pauper Augustam... o (Luth. Op. lat., in pue) 273

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[9] Myconius primum vida Lutherum : sed ab accessu et colloquio ejus tune est prohibitus. n (M. Adami Vite Myconii, p. 176.)

[10] Profecto in ignem te coujicient et flammis eurent. o (Melcb. Adami Vite Myconii, p.

P76. — Myconii Ref. Riet.,p.30.)

[11] Vivat Christus, moriatur Martinus... e (Weismanni Hist. scier. Novi Test., p. 1t65.)

[12]Weismann avait lu cette lettre en manuscrit. Elle n'existe pas dans le recueil de M.

de Wette.

274

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE V

A peine à Atigsbourg, et avant même d'y avoir -vu personne, Luther, voulant rendre au légat tous les honneurs qui lui étaient dus, pria Wenceslas Link d'aller lui annoncer son arrivée. Link le fit, et déclara humblement au cardinal, de la -part du docteur de Wittemberg, que celui-ci était prêt à comparaître devant lui, quand il l'ordonnerait. Le légat se réjouit à cette nouvelle. Il tenait donc enfin le fougueux hérétique; il se promettait bien qu'il ne sortirait pas des murs d'Augsbourg comme il y était entré. En même temps que Link se rendait vers le légat, le moine Léonard partit pour aller annoncer à Staupitz l'arrivée de Luther à Augsbourg. Le vicaire général avait écrit au docteur qu'il viendrait certainement aussitôt qu'il le saurait dans cette ville. Luther ne voulait pas tarder un instant à lui faire connaître sa présence'. [1]

La diète était terminée. L'Empereur et les électeurs s'étaient déjà séparés.

L'Empereur, il est vrai, n'était pas parti ; mais il se trouvait à la chasse dans les environs. L'ambassadeur de Rome restait donc seul à Augsbourg. Si Luther y était venu pendant la diète, il y eût trouvé de puissants défenseurs; mais tout semblait maintenant devoir plier sous le poids de l'autorité papale.

Le nom du juge devant lequel Luther devait comparaître n'était pas propre à le rassurer. Thomas de Vio, surnommé Cajetan, de la ville de Gaète, dans le royaume de Naples, où il était né en 4469, avait donné dès sa jeunesse de grandes espérances. A seize ans il était entré dans l'ordre des Dominicains, contre la volonté expresse de ses parents. Plus tard, il était devenu général de son ordre et cardinal de l'Église romaine.

Mais ce qui était pis pour Luther, ce savant docteur était l'un des plus zélés défenseurs de cette théologie scolastique que le réformateur avait toujours si impitoyablement traitée. Sa mère, assurait-on, avait rêvé durant sa grossesse que saint Thomas en personne instruirait l'enfant qu'elle mettrait au monde et l'introduirait dans le ciel.

Aussi de Vio, en devenant dominicain, avait- il changé son nom de Jacques contre celui de Thomas. Il avait défendu avec zèle les prérogatives de la papauté et les doctrines de Thomas d'Aquin, qu'il regardait comme le plus parfait des théologiens'.

Amateur de la pompe et de la représentation, il prenait presque au sérieux cette maxime romaine, que les légats sont au-dessus des rois, et s'entourait d'un grand apparat. Le ter août il avait célébré dans la cathédrale d'Augsbourg une messe solennelle, et en présence de tous les princes de l'Empire il avait placé le chapeau de cardinal sur la tête de l'archevêque de Mayence, agenouillé devant l'autel, et remis à l'Empereur lui-même le chapeau et l'épée consacrés par le pape. Tel était l'homme devant lequel le moine de Wittenberg allait comparaître, couvert d'un froc qui n'était pas même à lui. Au reste, la science du légat, la sévérité de son caractère et la pureté de ses mœurs, lui assuraient en Allemagne une influence et une autorité que d'autres courtisans romains n'auraient pas facilement obtenues. Ce fut sans doute à cette réputation de sainteté qu'il dut sa mission. Rome avait compris qu'elle servirait admirablement ses vues. Ainsi, les qualités mêmes de Cajetan le rendaient plus 275

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle redoutable encore. Du reste, l'affaire dont il était chargé était peu compliquée. Luther était déjà déclaré hérétique. S'il ne voulait pas se rétracter, le légat devait le faire mettre en prison; et s'il lui échappait, il devait frapper d'excommunication quiconque oserait lui donner asile. Voilà ce qu'avait à faire de la part de Rome le prince de l'Église devant lequel Luther était cité [2].

Luther avait repris des forces pendant la nuit. Le samedi matin 8 octobre, déjà un peu reposé du voyage, il se mit à considérer son étrange situation. Il était soumis, et il attendait que la volonté de Dieu se manifestât, par les événements. Il n'eut pas longtemps à attendre. Un personnage qui lui était inconnu lui fit dire, comme s'il lui eût été entièrement dévoué, qu'il allait se rendre chez lui, et que Luther devait bien se garder de paraître devant le légat avant de l'avoir vu. Ce message venait d'un courtisan italien, nommé Urbain de Serra-Longa , qui avait été souvent en Allemagne comme envoyé du margrave de Montferrat. Il avait connu l'électeur de Saxe, auprès duquel il avait été accrédité, et après la mort du margrave il s'était attaché au cardinal de Vio.

La finesse et les manières de cet homme formaient le plus frappant contraste avec la noble franchise et la généreuse droiture de Luther. L'Italien arriva bientôt au monastère des augustins. Le cardinal l'envoyait afin de sonder le réformateur et de le préparer à la rétractation qu'on attendait de lui. Serra-Longa s'imaginait que le séjour qu'il avait fait en Allemagne lui donnait de grands avantages sur les autres courtisans de la suite du légat; il espérait avoir beau jeu de ce moine allemand. Il arriva accompagné de deux domestiques, et se présenta comme venant de son propre mouvement, à cause de l'amitié qu'il portait à un favori de l'électeur de Saxe, et de son attachement à la sainte Église. Après avoir fait à Luther les salutations les plus empressées, le diplomate ajouta affectueusement :

« Je viens vous donner un bon et sage conseil. Rattachez-vous à l'Église. Soumettez-vous sans réserve au cardinal.

Rétractez vos injures. Rappelez-vous l'abbé Joachim de Florence : il avait, vous le savez, dit des choses hérétiques, et cependant il fut déclaré non hérétique, parce qu'il rétracta ses erreurs. »

Luther parle alors de se justifier.

SERRA-LONGA.

« Gardez-vous de le faire, prétendriez-vous combattre comme en un tournoi le légat de Sa Sainteté [3]

»

LUTHER.

« Si l'on me, prouve que j'ai enseigné quelque chose de contraire à l'Église romaine, je serai mon propre juge et je me rétracterai aussitôt. Le tout sera de savoir si le légat 276

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle s'appuie sur saint Thomas plus que la foi ne l'y autorise. S'il le fait, je ne lui céderai pas. »

SERRA-LONGA.

«Eh 1 eh ! Vous prétendez donc rompre des lances' [4] »

Puis l'Italien se mit à dire des choses que Luther appelle horribles. Il prétendit que l'on pouvait soutenir des propositions fausses, pourvu qu'elles rapportassent de l'argent et qu'elles remplissent les coffres forts; qu'il fallait bien se garder de disputer dans les universités sur l'autorité du pape; qu'on devait maintenir, au contraire, que le pontife peut d'un clin d'œil changer, supprimer des articles de foi, et autres choses semblables'. Mais le rusé Italien s'aperçut bientôt qu'il s'oubliait; il en revint aux paroles douces, et s'efforça de persuader à Luther de se soumettre en toutes choses au légat, et de rétracter sa doctrine, ses serments et ses thèses.

Le docteur, qui dans le premier moment avait ajouté quelque foi aux belles protestations de l'orateur Urbain (comme n'appelle dans ses rapports), se convainquit alors qu'elles se réduisaient à peu de chose, qu'il était beaucoup plus du côté du légat que du sien. Il devint donc un peu moins communicatif, et il se contenta de dire qu'il était tout disposé à montrer de l'humilité, à faire preuve d'obéissance, et à donner satisfaction dans les choses où il se serait trompé. A ces paroles, Serra-Longa s'écria tout joyeux : « Je cours chez le légat; vous allez me suivre. u Tout ira le mieux du monde, et ce sera bientôt fini [5]... »

Il sortit. Le moine saxon, qui avait plus de discernement que le courtisan romain, pensa en lui-même « Ce rusé « Sinon s'est laissé bien mal dresser et bien mal instruire

« par ses Grecs'. » Luther était suspendu entre l'espérance et la crainte. Cependant l'espérance prit le dessus. La visite et les assertions étranges de Serra-Longa, qu'il appelle plus tard un médiateur maladroit [6], lui firent reprendre courage.

Les conseillers et les autres habitants d'Augsbourg auxquels l'Électeur avait recommandé Luther, s'empressèrent tous de venir voir le moine, dont le nom retentissait déjà dans toute l'Allemagne. Peutinger, conseiller de l'Empire, l'un des patriciens les plus distingués de la ville, qui invita souvent Luther à sa table, le conseiller Langemantel, le docteur Auerbach de Leipsig, les deux frères Adelman, tous deux chanoines, plusieurs autres encore, se rendirent au couvent des augustins. Ils abordèrent avec cordialité cet homme extraordinaire qui avait fait un long voyage pour venir se mettre entre les mains des suppôts de Rome. « Avez« vous un sauf-conduit? »

lui demandèrent-ils. -- Non, » répondit le moine intrépide. — « Quelle hardiesse ! »

s'écrièrent-ils alors. «C'était, dit Luther, un mot honnête pour « désigner ma téméraire folie. » Tous, d'une voix unanime, le sollicitèrent de ne pas se rendre chez le légat avant d'avoir obtenu un sauf-conduit de l'Empereur lui-même.

Il est probable que le public avait déjà appris quelque chose du bref du pape dont le légat était porteur.

277

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Mais, répliqua Luther, je me suis bien rendu sans « sauf-conduit à Augsbourg, et j'y suis arrivé à bon port.

« — L'Électeur vous a recommandé à nous ; vous devez « donc nous obéir et faire ce que nous vous disons, » reprit Langemantel avec affection, mais avec fermeté.

Le docteur Auerbach se joignit à ces représentations. « Nous savons, dit-il, qu'au fond du cœur le cardinal est «irrité au plus haut point contre vous'[7]. On ne peut se fier «

aux Italiens [8]. »

Le chanoine Adelman insista de même : « On vous a « envoyé sans défense, et l'on a précisément oublié de vous « pourvoir de ce dont vous aviez le plus besoin [9]. »

Ces amis se chargèrent d'obtenir de l'Empereur le sauf-conduit nécessaire. Ils dirent ensuite à Luther combien de personnes, même d'un rang élevé penchaient en sa faveur.

« Le ministre de France lui-même, qui a quitté il y a peu « de jours Augsbourg, a parlé de vous de la manière la plus « honorable » Ce propos frappa Luther, et il s'en ressouvint plus tard. Ainsi, ce qu'il y avait de plus respectable dans la bourgeoisie de l'une des premières villes de l'Empire était déjà gagné à la Réformation [10].

On en était là de l'entretien lorsque Serra-Longa reparut. « Venez, dit-il à Luther, le cardinal vous attend. Je vais « moi-même vous conduire vers lui. Apprenez comment «

vous devez paraître en sa présence. Quand vous entrerez « dans la salle où il se trouve, vous vous prosternerez de« vaut lui la face contre terre; quand il vous aura dit de «

vous lever, vous vous mettrez à genoux; et pour vous tenir debout vous attendrez encore qu'il vous l'ordonne [11].

Rappelez-vous que c'est devant un prince de l'Église que « vous allez comparaître. Du reste, ne craignez rien : tout « se terminera vite et sans difficulté. »

Luther, qui avait promis à cet italien de le suivre dès qu'il l'y inviterait, se sentit embarrassé. Cependant il n'hésita pas à lui faire part du conseil de ses amis d'Augsbourg, et il lui parla d'un sauf-conduit.

« Gardez-vous bien d'en demander un, reprit aussitôt « Serra-Longa, vous n'en avez pas besoin. Le légat est « bien disposé et tout prêt à finir la chose amicalement. « Si vous demandez un sauf-conduit, vous gâterez toute « votre affaire' [12].

« —Mon gracieux seigneur, l'électeur de Saxe, répondit « Luther, m'a recommandé en cette ville à plusieurs « hommes honorables. Ils me conseillent de ne rien entre«

prendre sans sauf-conduit : je dois suivre leur avis; car « si je ne le faisais pas, et qu'il arrivât quelque chose, ils « écriraient à l'Électeur mon maître .que je n'ai pas voulu «

les écouter. »

Luther persista dans sa résolution, et Serra-Longa se vit obligé de retourner vers son chef pour lui annoncer l'écueil qu'avait rencontré sa mission, au moment où il se flattait de la voir couronnée de succès.

278

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Ainsi se terminèrent les conférences de ce jour avec l'orateur de Montferrat.

Une autre invitation fut adressée à Luther, mais dans une intention bien différente.

Le prieur des carmélites, Jean Frosche, était son ancien ami. Il avait soutenu des thèses, deux ans auparavant, comme licencié en théologie, sous la présidence de Luther. Il vint le voir, et le pria instamment de venir demeurer chez lui. Il réclamait l'honneur d'avoir pour hôte le docteur de l'Allemagne. Déjà l'on ne craignait pas de lui rendre hommage en présence de Rome; déjà le faible était devenu le plus fort. Luther accepta, et se rendit du couvent des augustins à celui des carmélites.

Le jour ne se termina pas sans qu'il fasse de sérieuses réflexions. L'empressement de Serra-Longa et les craintes des conseillers lui faisaient également comprendre la position difficile dans laquelle il se trouvait. Néanmoins il avait pour protecteur le Dieu qui est dans le ciel, et gardé par lui il pouvait s'endormir sans frayeur, Le lendemain était un dimanche [13]'; il eut ce jour-là un peu plus de repos. Cependant il dut endurer un autre genre de fatigue. Il n'était question dans toute la ville que du docteur Luther, et tout le monde désirait voir, comme il l'écrit à Mélanchthon, « ce nouvel Érostrate qui avait allumé « un si immense incendie [14] » On se pressait sur ses pas et le bon docteur souriait sans doute de ce singulier empressement.

Mais il dut subir encore un autre genre d'importunité. Si l'on était désireux de le voir, on l'était encore plus de l'entendre. De tous côtés on lui demandait de prêcher. Luther n'avait pas de plus grande joie que d'annoncer la Parole. Il eût été doux pour lui de prêcher Jésus-Christ dans cette grande ville et dans les circonstances solennelles où il se trouvait. Mais il montra en cette occasion, comme en beaucoup d'autres, un sentiment très juste des convenances et beaucoup de respect pour ses supérieurs. Il refusa de prêcher, dans la crainte que le légat ne pût croire qu'il le faisait pour lui faire de la peine et pour le braver. Cette modération et cette sagesse valaient bien un sermon sans doute.

Cependant les gens du cardinal ne le laissaient pas tranquille. Ils revinrent à la charge. « Le cardinal, lui dirent« ils, vous fait assurer de toute sa grâce et sa faveur : pour« quoi craignez-vous? » Ils s'efforçaient, en lui alléguant mille raisons, de le décider à se rendre auprès de lui. « C'est « un père plein de miséricorde, » lui dit l'un de ces envoyés. Mais un autre , s'approchant , lui dit à l'oreille : « Ne croyez pas ce qu'on vous dit. Il ne tient pas sa parole'. [15]» Luther demeura ferme dans sa résolution.

Le lundi matin 10 octobre Serra-Longa revint encore à la charge. Le courtisan s'était fait un point d'honneur de réussir dans sa négociation. A peine arrivé : « Pourquoi, «

dit-il en latin, ne venez-vous pas chez le cardinal?... Il « vous attend plein d'indulgence.

Il ne s'agit pourtant que « de six lettres : REVOCA, rétracte. Venez ! vous n'avez rien «

à craindre. » •

279

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Luther pensa en lui-même que c'étaient des lettres importantes que ces six lettres-là; mais sans entrer en discussion sur le fond de la chose, il répondit : « Dès que j'aurai «

obtenu le sauf-conduit, je comparaîtrai. »

Serra-Longa s'emporta en entendant ces paroles. Il insista; il fit de nouvelles représentations; mais il trouva Luther inébranlable. Alors, s'irritant toujours plus : «

Tu t'inia« gins sans doute, s'écria-t-il, que l'Électeur prendra les « armes en ta faveur, et s'exposera pour toi à perdre les « pays 'qu'il a reçus de ses pères?

LUTHER.

« Dieu m'en garde !

SERRA-LONGA.

« Abandonné de tous, où dotic te réfugieras-tu [16]

LUTHER, eu élevant en haut le regard de la foi.

« Sous le ciel: ‘ »

Serra-Longa demeura un instant silencieux, frappé de cette réponse sublimé à laquelle il ne s'attendait pas; puis il continua ainsi :

« Que ferais-tu si tu avais en tes mains le légat, le pape et tous les cardinaux, comme maintenant ils t'ont dans les leurs?

LUTHER.

« Je leur rendrais tout respect et tout honneur. Mais la Parole de Dieu passe pour moi avant tout.

SERRA-LONGA, riant et agitant un de ses doigts à la manière italienne.

« Heim ! Heim tout honneur [17]

je n'en crois rien... »

Puis il sortit, sauta en 'selle et disparut.

Serra-Longa ne revint plus chez Luther; mais il se rappela longtemps et la résistance qu'il avait trouvée chez le réformateur et celle que son maître dut bientôt éprouver lui-même. Nous le retrouverons plus tard demandant à grands cris le sang de Luther.

Il n'y avait pas longtemps que Serra-Longa avait quitté le docteur, lorsque celui-ci reçut enfin le sauf-conduit qu'il désirait. Ses amis l'avaient obtenu des conseillers de l'Empire. Il est probable que ceux-ci avaient consulté à cet égard l'empereur, qui n'était pas loin d'Augsbourg. Il paraîtrait même, d'après ce que le cardinal dit plus tard, que, ne voulant pas l'offenser, on lui demanda son consentement. Peut-être est-ce pour cela que de Vio fit travailler Luther par Serra-Longa ; car s'opposer ouvertement à ce qu'on donnât un sauf-conduit eût été révéler des intentions qu'on voulait tenir 280

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle cachées. Il était plus sûr de porter Luther lui-même à se résister de sa demande. Mais on s'aperçut bientôt que le moine saxon n'était pas homme à plier.

Luther va comparaître. En demandant un sauf-conduit il ne s'est pas appuyé sur un bras charnel; car il sait fort bien qu'un sauf-conduit impérial n'a pas sauvé Jean Iluss des flammes. Il a seulement voulu faire son devoir en se soumettant aux avis des amis de son maître. L'Éternel en décidera. Si Dieu lui redemande sa vie, il est prêt à la donner joyeusement. En ce moment solennel, il éprouve le besoin de s'entretenir encore avec ses amis, surtout avec ce Mélanchthon, déjà si cher à son cœur, et il profite de quelques instants de solitude pour lui écrire.

« Comporte-toi en homme, lui-dit-il, comme d'ailleurs « tu le fais. Enseigne à notre chère jeunesse ce qui est « droit et selon Dieu. Pour moi, je vais être immolé pour «

vous et pour elle, si c'est la volonté du Seigneur [18]. J'aime « mieux mourir, et même, ce qui serait pour moi le plus « grand malheur, être privé éternellement de votre douce

« société, que de rétracter ce que j'ai dû enseigner, et « de perdre ainsi, peut-être par ma faute, les excellentes « études auxquelles nous nous adonnons maintenant.

« L'Italie est plongée, comme -autrefois l'Egypte, dans « des ténèbres si épaisses, qu'on peut les toucher de la « main. Personne n'y sait rien de Christ, ni de ce qui se «

rapporte à lui ; et cependant ils sont nos seigneurs et nos « maîtres pour la foi et pour les mœurs. Ainsi la colère de « Dieu s'accomplit sur nous comme parle le prophète :

« .le leur donnerai des jeunes gens pour gouverneurs, et des « enfants domineront sur eux. Comporte-toi bien selon le « Seigneur, mon cher Philippe, et éloigne la colère de «

Dieu par des prières ferventes et pures.»

Le légat, informé que Luther devait comparaître le lendemain devant lui, réunit les Italiens et les Allemands en qui il avait le plus de confiance, afin de considérer avec eux comment il fallait en agir avec le moine saxon. Les avis furent partagés. Il faut, dit l'un, le contraindre à se rétracter. Il faut le saisir, dit un autre, et le mettre en prison.

Un troisième pensa qu'il valait mieux s'en défaire. Un quatrième, qu'on devait essayer de le gagner par la bonté la douceur. Le cardinal parait s'être arrêté d'abord à ce dernier avis'[19].

Le jour de la conférence arriva enfin [20]. Le légat, sachant que Luther s'était déclaré prêt à rétracter ce qu'on lui prouverait être contraire à la vérité% était plein d'espérance; il ne doutait pas qu'il ne fût facile à un homme de son rang et de son savoir de ramener ce moine à l'obéissance envers l'Église.

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FOOTNOTES

[1] Luth. Ep., 1, p. 144.

[2] I Bulle du pape. (Luth. Op. (L.), XVII, p. (74.) 281

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[3] I Luth. Op. (L.), XVII, p. 179.

[4] « Hune Sinonem, parum consulte instructum arte pelasga. •

[5] (Luth. Ep., 1, p. 144.) Voyez Énéide de Virgile, chaut It.

[6] Mediator ineptus. • (Ibid.)

[7] Sciunt enim eum in me exacerhatissinium battis, quicquid simulet foris.... (Luth.

Ep., I, p. 143.)

[8] Luth. Op. (L.), XVII, p. 20.

[9] Ibid., p. 203.

[10] Seckend., p. 144.

[11] Ibid., p. 130.

[12] Luth. Op. (L.), p. 179.

[13] 9 octobre.

[14] d Omnes cupiunt Yi dere hominem, tanti incendii Herostratum.. (Luth. Ep., I, p.

146.)

[15] Luth. Op. (L.), XVII, p. 205.

[16] Et ubi manebia?... Respondi Sub calo. (Luth. Op., in prtef.)

[17] 33

[18] Ego pro titis et vobis vado immolari... a (Luth. Ep., I, p. 148.)

[19] Luth. Op. (L.), XVII, p. 183.

[20] Mardi 11 octobre.

282

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VI

Luther se rendit chez le légat, accompagné du prieur des carmélites, son hôte et son ami, de deux frères de ce couvent, du docteur Link et d'Un augustin, probablement celui qui était venu de Nuremberg avec lui. A peine était-il entré dans le palais du légat, que tous les Italiens qui formaient la suite de ce prince de l'Église accoururent; chacun voulait voir le fameux docteur, et ils se pressaient tellement autour de lui qu'il avait peine à avancer. Luther trouva le nonce apostolique et Serra-Longa dans la salle où l'attendait le cardinal. La réception fut froide, mais honnête, et conforme à l'étiquette romaine. Luther, suivant l'avis que Serra-Longa lui avait donné, se prosterna devant le cardinal ; lorsque celui-ci lui dit de se relever, il se mit à genoux; et sur un nouvel ordre du légat, il se releva entièrement. Plusieurs des Italiens les plus distingués attachés au légat pénétrèrent dans la salle pour assister à l'entrevue; ils désiraient surtout voir le moine germain s'humilier devant le représentant du pape.

Le légat gardait le silence. Il haïssait Luther comme adversaire de la suprématie théologique de saint Thomas, et chef d'un parti nouveau, actif, contraire, dans une université naissante, dont les premiers pas inquiétaient fort les thomistes. Il aimait à le voir humilié devant lui, et pensait que Luther allait chanter la palinodie, dit un contemporain. Luther, de son côté, attendait humblement que le prince lui adressât la parole; mais, voyant qu'il n'en faisait rien, il prit son silence pour une invitation à parler le premier, et il le fit en ces mots :

« Très digne Père, sur la citation de Sa Sainteté papale, « et sur la demande de mon gracieux seigneur l'électeur « de Saxe, je comparais devant vous comme un fils soumis

« et obéissant de la sainte Église chrétienne, et je recors« nais que c'est moi qui ai publié les propositions et les « thèses dont il s'agit. Je suis prêt à écouter en toute «

obéissance ce dont on m'accuse, et si je me suis trompé, « à me laisser instruire selon la vérité. »

Le cardinal, résolu à se donner les airs d'un père tendre et plein de compassion pour un enfant égaré, prit alors le ton le plus amical; il loua l'humilité de Luther; il lui en exprima toute sa joie, et il lui dit : « Mon cher fils, tu as « soulevé toute l'Allemagne par ta dispute sur les indulgences. J'apprends que tu es un docteur très savant « dans les Écritures, et que tu as beaucoup de disciples. « C'est pourquoi, si tu veux être membre de l'Église, et « trouver dans le pape un seigneur plein de grâce, écoute« moi. »

Après cet exorde, le légat n'hésita pas à lui découvrir d'une seule fois tout ce qu'il attendait de lui, tant sa confiance en sa soumission était grande : « Voici, lui dit-il, «

trois articles que, d'après l'ordre de notre très saint Père, « le pape Léon X, je dois te présenter. Il faut premièrement « que tu rentres en toi-même, que tu reconnaisses tes torts « et que tu rétractes tes erreurs, tes propositions et tes « discours; secondement, que tu promettes de t'abstenir à « l'avenir de répandre tes opinions, et troisièmement, 283

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle que « tu t'engages à être plus modéré et à éviter tout ce qui « pourrait attrister ou bouleverser l'Église. »

LUTHER.

« Je demande, très digne Père, qu'il me soit donné communication du bref du pape en vertu duquel vous avez reçu plein pouvoir de traiter cette affaire. »

Serra-Longa et les autres Italiens de la suite du cardinal ouvrirent de grands yeux en entendant une telle demande; et bien que le moine allemand leur eût déjà paru un homme fort étrange, ils ne purent revenir de l'étonnement que leur causa une parole aussi hardie. Les chrétiens, accoutumés aux idées de justice, veulent qu'on procède justement envers les autres et envers eux-mêmes; mais ceux qui agissent habituellement d'une façon arbitraire sont tout surpris quand on leur demande de procéder selon les règles, les formes et les lois.

DE VIO.

« Cette demande, très cher fils, ne peut t'être accordée. Tu dois reconnaître tes erreurs, prendre garde à l'avenir à tes paroles, et ne pas manger de nouveau ce que tu auras vomi, en sorte que nous puissions dormir sans trouble et sans soucis; alors, d'après l'ordre et l'autorité de notre très saint Père le pape, j'arrangerai l'affaire.

LUTHER.

Veuillez donc me faire connaître en quoi je puis avoir erré. »

A cette nouvelle demande, les courtisans italiens, qui s'étaient attendus à voir le pauvre Allemand crier grâce à genoux, furent frappés d'une surprise plus grande encore. Aucun d'eux n'eût voulu s'abaisser à répondre à une question si impertinente.

Mais de Vio, qui regardait comme peu généreux d'écraser ce chétif moine du poids de toute son autorité, et qui se confiait d'ailleurs en sa science pour remporter une victoire facile, consentit à dire à Luther ce dont on l'accusait, et même à entrer en discussion avec lui. Il faut rendre justice à ce général des dominicains. On doit reconnaître en lui plus d'équité, plus de sentiment des convenances, et moins de passion, qu'on n'en a montrée souvent depuis dans des affaires semblables. Il prit un ton de condescendance, et il dit :

« Très cher fils, voici deux propositions que tu as avancées et que tu dois avant tout rétracter : 10 Le trésor des « indulgences n'est point composé des mérites et des souffrances de notre Seigneur Jésus-Christ. 20 L'homme qui « reçoit le saint sacrement doit avoir la foi en la grâce qui « lui est offerte. »

L'une et l'autre de ces propositions portaient, en effet, un coup mortel au négoce romain. Si le pape n'avait pas le pouvoir de disposer à son gré des mérites du Sauveur; si en recevant les billets que négociaient les courtiers de l'Église on ne recevait pas une partie de cette justice infinie, ces papiers perdaient toute leur valeur, et on ne devait 284

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle pas en faire plus de cas que d'un chiffon ordinaire. Il en était de même pour les sacrements. Les indulgences étaient plus ou moins une branche extraordinaire du commerce de Rome ; les sacrements rentraient dans son commerce habituel.

Les revenus qu'ils produisaient n'étaient pas minces. Prétendre que la foi était nécessaire pour qu'ils apportassent à l'âme chrétienne un bienfait véritable, c'était leur ôter tout attrait aux yeux du peuple; car la foi, ce n'est pas le pape qui la donne : elle est hors de son pouvoir; elle ne procède que de Dieu. La déclarer nécessaire, c'était donc enlever des mains de Rome et la spéculation et ses profits. Luther, en attaquant ces deux doctrines, avait imité Jésus-Christ. Dès le commencement de son ministère, il avait renversé les tables des changeurs et chassé les marchands du temple. Ne faites pas de la maison de mon père un lieu de marché, avait-il dit.

« Je ne veux point, pour combattre ces erreurs, continua Cajetan, invoquer l'autorité de saint Thomas et « des autres docteurs scolastiques; je ne veux m'appuyer « que sur la sainte Écriture et parler avec toi en toute « amitié. »

Mais à peine de Vio avait-il commencé à développer ses preuves, qu'il s'écarta de la règle qu'il avait déclaré vouloir suivre *[1]. Il combattit la première proposition de Luther par une extravagante [2] du pape Clément, et la seconde par toutes sortes d'opinions des scolastiques. La dispute s'établit d'abord sur cette constitution du pape en faveur des indulgences. Luther, indigné de voir quelle autorité le légat attribuait à un décret de Rome, s'écria :

« Je ne puis recevoir de telles constitutions comme des preuves suffisantes pour de si grandes choses. Car elles tordent la sainte Écriture et ne la citent jamais à propos.

DE VIO.

« Le pape a autorité et pouvoir sur toutes choses.

LUTHER, vivement.

« Sauf l'Écriture [3] !

DE VIO, se moquant.

« Sauf l'Écriture !... Le pape, ne le sais-tu pas? est au-dessus des conciles; récemment encore il a condamné et puni le concile de Bâle.

LUTHER.

« L'université de Paris en a appelé.

DE. VIO.

« Messieurs de Paris en recevront la peine. »

285

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle La dispute entre le cardinal et Luther roula ensuite sur le second point, savoir sur la foi que Luther déclarait être nécessaire pour que les sacrements fussent utiles. Luther, suivant son habitude, cita plusieurs passages de l'Écriture en faveur de l'opinion qu'il soutenait ; mais le légat les accueillit par des éclats de rire. « C'est de la foi générale que vous parlez là, dit-il. — Non ! » répondit Luther. —L'un des Italiens, maître des cérémonies du légat, impatienté de la résistance de Luther et de ses réponses, brûlait du désir de parler. Il voulait constamment prendre la parole; mais le légat lui imposait silence. A la fin il dut le réprimander si fort, que le maître des cérémonies, tout confus, quitta la chambre'[4].

« Quant aux indulgences, dit Luther au légat, si l'on peut me montrer que je me trompe, je suis prêt à me laisser instruire. On peut passer là-dessus sans être pour cela mauvais chrétien. Mais quant à l'article de la foi, si je cédais quelque chose, ce serait renier Jésus-Christ. Je ne puis donc ni ne veux céder à cet égard, et, avec la grâce de Dieu, je ne céderai jamais.

DE VIO, commençant à s'irriter.

« Que tu veuilles ou que tu ne veuilles pas, il faut qu'aujourd’hui même tu rétractes cet article, ou bien, pour cet article seul, je vais rejeter et condamner toute ta doctrine.

LUTHER.

Je n'ai pas d'autre volonté que celle du Seigneur. Il fera de moi ce qu'il voudra. Mais quand j'aurais quatre cents têtes, j'aimerais mieux les perdre toutes, que de rétracter le témoignage que j'ai rendu à la sainte foi des chrétiens.

DE VIO.

« Je ne suis point venu ici pour disputer avec toi. Rétracte, ou prépare-toi à souffrir les peines que tu as méritées [5]. »

Luther vit bien qu'il était impossible de terminer la chose dans un entretien. Son adversaire siégeait devant lui comme s'il était le pape lui-même, et prétendait qu'il reçût humblement et avec soumission tout ce qu'il lui disait, tandis qu'il n'accueillait ses réponses, alors même qu'elles étaient fondées sur l'Écriture sainte, qu'en haussant les épaules, et en exprimant de toutes manière l'ironie et le mépris. Il crut que le parti le plus sage serait de répondre par écrit au cardinal. Ce moyen, pensait-il, laisse au moins aux opprimés une consolation. D'autres pourront juger de l'affaire, et l'adversaire injuste, qui par ses clameurs reste maître du champ de bataille, peut en être effrayé'[6].

Luther ayant témoigné l'intention de se retirer : « Veux« tu, lui dis le légat, que je te donne un sauf-conduit pour « te rendre à Rome ? »

Rien n'eût été plus agréable à Cajetan que l'acceptation de cette offre. Il eût été débarrassé ainsi d'une tâche dont il commençait à comprendre les difficultés, et Luther 286

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle et son hérésie fussent tombés en des mains qui auraient su y mettre bon ordre. Mais le réformateur, qui voyait tous les dangers dont il était environné, même à Augsbourg, se garda bien d'accepter une proposition qui n'eût abouti qu'à le livrer, pieds et mains liés, à la vengeance de ses ennemis. Il la rejeta chaque fois qu'il plut à de Vio de la renouveler, ce qui arriva souvent. Le légat dissimula la peine que lui causait le refus de Luther; il s'enveloppa de sa dignité, et congédia le moine avec un sourire de compassion, sous lequel il cherchait à cacher son désappointement, et en même temps avec la politesse d'un homme qui espère mieux réussir une autre fois.

A peine Luther était-il dans la cour du palais, que cet Italien babillard, ce maitre des cérémonies, que les réprimandes de son seigneur avaient obligé de quitter la salle de la conférence, joyeux de pouvoir parler, loin du regard de Cajetan, et brûlant du désir de confondre par ses raisons lumineuses cet abominable hérétique, courut après lui, et commença, tout en marchant, à lui débiter ses sophismes. Mais Luther, ennuyé de ce sot personnage, lui répondit par une de ces paroles mordantes qu'il avait si fort à commandement, et le pauvre maitre des cérémonies, tout confus, lâcha la partie, et rentra honteux dans le palais du cardinal.

Luther n'emportait pas une très haute idée de son adversaire. Il avait entendu de lui, comme il l'écrivit plus tard à Spalatin, des propositions qui étaient tout à fait contraires à la théologie, et qui dans la bouche d'un autre auraient été regardées comme Arch hérétiques. Et pourtant de Vio était estimé comme le plus savant des dominicains. Le second après lui était Prierias. « On peut conclure de « là, dit Luther, ce que doivent être ceux qui se trouvent « au dixième ou au centième rang [7]»

D'un autre côté, la manière noble et décidée du docteur de Wittemberg avait fort surpris le cardinal et ses courtisans. Au lieu d'un pauvre moine réclamant son pardon comme une faveur, ils avaient trouvé un homme libre, un chrétien ferme, un docteur éclairé, qui demandait qu'on appuyât des accusations injustes par des preuves, et qui défendait victorieusement sa doctrine. Tout le monde se récriait dans le palais de Cajetan sur l'orgueil, l'obstination et l'effronterie de cet hérétique. Luther et de Vio avaient mutuellement appris à se connaître, et l'un et l'autre se préparaient à leur seconde entrevue.

Une surprise bien agréable attendait Luther à son retour dans le couvent des carmélites. Le vicaire général de l'ordre des Augustins, son ami, son père, Staupitz, était arrivé à Augsbourg. N'ayant pu empêcher Luther de se rendre en cette ville, Staupitz donnait à son ami une nouvelle et touchante preuve de son attachement en s'y rendant lui-même , dans l'espérance de lui être utile. Cet excellent homme prévoyait que la conférence avec le légat aurait les conséquences les plus graves. Ses craintes et l'amitié qu'il avait pour Luther l'agitaient également. Après une séance aussi pénible, ce fut un rafraîchissement pour le docteur que de serrer dans ses bras un ami aussi précieux. Il lui raconta comment il lui avait été impossible d'obtenir une réponse de quelque valeur, comment on s'était contenté d'exiger de lui une rétractation, 287

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle sans avoir essayé de le convaincre. — « Il faut absolument , dit Staupitz, ré« pondre au légat par écrit. »

D'après ce qu'il venait d'apprendre de la première entrevue, Staupitz n'espérait rien des autres. Il se détermina donc à un acte qu'il crut désormais nécessaire ; il résolut de délier Luther de l'obéissance envers son ordre. Staupitz pensait atteindre par-là deux buts : si, comme tout le présageait, Luther succombait dans cette affaire, il empêcherait ainsi que la honte de sa condamnation ne rejaillit sur l'ordre entier; et si le cardinal lui ordonnait d'obliger Luther au silence ou à une rétractation, il aurait une excuse pour ne la pas faire — La cérémonie s'accomplit selon les formes accoutumées.

Luther sentit tout ce qu'il devait désormais attendre. Son. âme fut vivement émue en voyant rompre des liens qu'il avait formés dans l'enthousiasme de sa jeunesse. L'ordre qu'il a choisi le rejette. Ses protecteurs naturels s'éloignent. Déjà il devient étranger à ses frères. Mais, quoique son cœur soit saisi de tristesse à cette pensée, il retrouve toute sa joie en portant ses regards sur les promesses de ce Dieu fidèle qui a dit : Je ne te délaisserai point; je ne t'abandonnerai point.

Les conseillers de l'Empereur ayant fait savoir au légat, par l'évêque de Trente, que Luther était muni d'un sauf-conduit impérial, et lui ayant fait dire en même temps de ne rien entreprendre contre le docteur, de Vio s'emporta, et répondit brusquement par ces paroles toutes romaines : « C'est bien; mais je ferai ce que le pape commande'. [8]»

Nous savons ce que le pape avait commandé.

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FOOTNOTES

[1] Luth. Op. (L.), XVII, p. 180.

[2] On nomme ainsi certaines constitutions des papes, recueilles et ajoutées au corps du droit canon.

[3] Selva Scriptura.

[4] Luth. Op. (L.), XVII, p. 180.

[5] Luth. Op. (L.), X1711; p. 180, 183, 2C8, etc.

[6] Ibid., p. 209.

[7] Luth. Ep. , I, p.173.

[8] Luth. Op. (L.), XVII, p. 201.

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FOOTNOTES

[1] Mercredi 12 octobre.

288

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[2] Luth. Op. (L.), XVII, p. 181 et 209.

[3] Digladiatum, bataillé. (Luth. Ep., I, p. 18i.)

[4] Luth. Op. (L.), XVII, p. 186.

[5] Ibid., p. 183.

[6] Luth. Op. (L.), XVII, p. 187.

289

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VIII

Le vendredi 14 octobre Luther retourna chez le cardinal, accompagné des conseillers de l'Électeur. Les Italiens se pressaient comme à l'ordinaire autour de lui, et assistaient en grand nombre à la conférence. Luther s'avança et présenta au légat sa protestation. Les gens du cardinal regardaient avec étonnement cet écrit, si audacieux à leurs yeux. Voici ce que le docteur de Wittemberg y déclarait à leur maître' [1]:

« Vous m'attaquez sur deux points. D'abord, vous m'opposez la constitution du pape Clément VI, dans laquelle « il doit être dit que le trésor des indulgences est le mérite «

du Seigneur Jésus-Christ et des saints, ce que je nie dans « mes thèses. »

« Panormitanus » (Luther désignait par ce nom Ives, auteur du fameux recueil de droit ecclésiastique intitulé Panormia , et évêque de Chartres à la fin du onzième siècle), «

Panormitanus déclare dans son premier livre qu'en « ce qui regarde la sainte foi, non-seulement un concile « général, mais encore chaque fidèle, est au -dessus du « pape, s'il peut citer des déclarations de l'Écriture et des « raisons meilleures que celles du pape La voix de notre « Seigneur Jésus - Christ s'élève beaucoup au-dessus de « toutes les voix des hommes, quels que soient les noms qu'ils portent. •

« Ce qui me cause le plus de peine et me donne le plus « à penser, c'est que cette constitution renferme des doc« trines tout à fait opposées à la vérité. Elle déclare que le mérite des saints est un trésor, tandis que toute l'Écriture témoigne que Dieu récompense bien plus richement que nous ne l'avons mérité. Le prophète s'écrie : Seigneur, n'entre point en jugement avec ton serviteur, car « nul homme vivant ne sera trouvé juste devant toi [2] Malheur aux hommes, quelque honorable et quelque louable « que leur vie puisse être, dit saint Augustin, s'il devait « être prononcé sur elle un jugement dont la miséricorde « fût exclues ! [3]

« Ainsi les saints ne sont pas sauvés par leurs mérites, « mais uniquement par la miséricorde de Dieu, comme je « l'ai déclaré. Je maintiens ceci et j'y demeure ferme.

Les paroles de l'Écriture sainte qui déclarent que les saints « n'ont pas assez de Chapitre VII

Le lendemain' [1] on se prépara de part et d'autre à la seconde entrevue, qui paraissait devoir être décisive. Les amis de Luther, résolus à l'accompagner chez le légat, se rendirent au louvent des carmélites. Le doyen de Trente, Peutinger, l'un et l'autre conseillers de l'Empereur, et Staupite y arrivèrent successivement. Peu après, le docteur eut la joie de voir se joindre à eux le chevalier Philippe de Feilitzsch et le docteur Ruhel, conseillers de l'Électeur, qui avaient reçu de leur maître l'ordre d'assister aux conférences, et de protéger la liberté de Luther. Ils étaient depuis la veille à Augsbourg. Ils devaient se tenir à ses côtés, dit Mathésius, comme, à Constance, le chevalier de Chlum se tint aux côtés de Jean Huss. Le docteur prit de plus un notaire, et, accompagné de tous ses amis, il se rendit chez le légat.

290

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Dans ce moment, Staupitz s'approcha de lui : il comprenait toute la situation de Luther; il savait que si son regard n'était fixé sur le Seigneur, qui est la délivrance de son peuple, il devait succomber : « Mon cher frère, lui dit-il « avec gravité, rappelez-vous constamment que vous avez commencé ces choses au nom du Seigneur Jésus-Christ. » Ainsi Dieu entourait son humble serviteur de consolations et d'encouragements.

Luther, en arrivant chez le cardinal, y trouva un nouvel adversaire : c'était le prieur des dominicains d'Augsbourg, qui était assis à côté de son chef. Luther, conformément à la résolution qu'il avait prise, avait écrit sa réponse. Les salutations d'usage étant terminées, il lut d'une voix forte la déclaration suivante : Je déclare que j'honore la sainte Église romaine, et « que je continuerai à l'honorer.

J'ai cherché la vérité dans « des disputes publiques, et tout ce que j'ai dit, je le regarde encore à cette heure comme juste, véritable et chrétien. Cependant je suis homme, et je puis me tromper. Je suis donc disposé à me laisser instruire et corriger dans les choses où je puis avoir erré. Je me déclare « prêt à répondre de bouche ou par écrit à toutes les objections et à tous les reproches que peut me faire le seigneur légat.

Je me déclare prêt à soumettre mes thèses « aux quatre universités de Bâle, de Fribourg en Brisgau, «.de Louvain et de Paris, et à rétracter ce qu'elles déclareront erroné. En un mot, je suis prêt à tout ce qu'on peut « exiger d'un chrétien. Mais je proteste solennellement « contre la marche qu'on a voulu imprimer à cette affaire, « et contre la prétention étrange de me contraindre à me « rétracter sans m'avoir réfuté [2].

»

Sans doute rien n'était plus équitable que ces propositions de Luther, et elles devaient mettre très fort dans l'embarras un juge auquel avait été prescrit à l'avance le jugement qu'il devait rendre. Le légat, qui ne s'était pas attendu à cette protestation, chercha à cacher son trouble, en affectant de rire de la chose, et en revêtant tous les dehors de la douceur. « Cette protestation, dit-il à Luther, en souriant, « n'est point nécessaire; je ne veux disputer avec toi ni en public ni en particulier, mais je me propose d'arranger « l'affaire avec bonté et comme un père. » Toute la politique du cardinal consistait à mettre de côté les formes sévères de la justice, qui protégé ceux qui sont poursuivis, et à ne traiter la chose que comme une affaire d'administration entre un supérieur et son inférieur : voie commode, “en ce qu'elle ouvre à l'arbitraire le champ le plus vaste.

Continuant de l'air le plus affectueux : « Mon cher ami, dit de Vio, abandonne, je te prie, un dessein inutile; rentre plutôt en toi-même, reconnais la vérité, et je « suis prêt à te réconcilier avec l'Église et le souverain « évêque... Rétracte, mon ami, rétracte, telle est la volonté du pape. Que tu le veuilles ou que tu ne le veuilles pas, peu importe!

Il te serait difficile de regimber contre « l'aiguillon... »

291

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Luther, qui se voyait traité comme s'il était déjà un enfant rebelle et rejeté par l'Église, s'écria : « Je ne puis me « rétracter; mais je m'offre à répondre, et par écrit. Hier «nous avons assez débattu [3]. »

De Vio fut irrité de cette expression, qui lui rappelait qu'il n'avait pas agi avec assez de prudence; mais il se remit, et il lui dit en souriant : « Débattu [4] mon cher fils ; je «

n'ai pas débattu avec toi : je ne veux pas non plus dé- « battre; mais je suis prêt, pour plaire au sérénissime électeur Frédéric, à t'entendre et à t'exhorter amicalement « et paternellement. »

Luther ne comprenait pas que le légat fût si fort scandalisé de l'expression qu'il avait employée; car, pensait-il, si je n'avais pas voulu parler avec politesse, j'aurais dû dire, non débattre, mais disputer et quereller; car c'est vraiment ce que nous avons fait hier.

Cependant de Vio, qui sentait qu'en présence des témoins respectables qui assistaient à la conférence, il fallait au moins paraître chercher à convaincre Luther, en revint aux deux propositions qu'il lui avait signalées comme des erreurs fondamentales, bien résolu à laisser le réformateur prendre la parole le moins possible. Fort de sa volubilité italienne, il l'accable d'objections, auxquelles il n'attend pas la réponse. Tantôt il plaisante, tantôt il gronde; il déclame avec une chaleur passionnée; il mêle les choses les plus bizarres ; il cite saint Thomas et Aristote; il crie et s'emporte contre tous ceux qui pensent autrement que lui; il apostrophe Luther. Celui-ci plus de dix fois veut prendre la parole ; mais le légat l'interrompt aussitôt, et l'accable de menaces.

Rétractation ! rétractation ! voilà tout ce qu'il demande de lui; il tonne, il règne, il veut seul parler'. Staupitz prend sur lui d'arrêter le légat. « Veuillez « permettre, lui dit-il, que le docteur Martin ait le temps « de vous répondre. » Mais le légat recommence ses discours : il cite les extravagantes et les opinions de saint Thomas; il a pris son parti de pérorer pendant toute l'entrevue. S'il ne peut convaincre et s'il n'ose frapper, il prétend du moins étourdir.

Luther et Staupitz virent clairement qu'il fallait renoncer à l'espérance, non-seulement d'éclairer de Vio par une discussion, mais encore de faire une profession de foi utile. Luther en revint donc à la requête qu'il avait faite au commencement de la séance, et que le cardinal avait alors éludée. Puisqu'il ne lui était pas permis de parler, il demandait qu'il lui fût au moins permis d'écrire et de remettre sa réponse écrite au légat. Staupitz l'appuya; plusieurs autres assistants joignirent leurs instances aux siennes, et Cajetan, malgré toute sa répugnance pour ce qui est écrit, car il se souvenait que les écrits restent, y consentit enfin. On se sépara. L'espérance qu'on avait eue de terminer l'affaire dans cet entretien, était ajournée : il fallait attendre ce qui résulterait de la conférence suivante.

La permission que le général des dominicains avait donnée à Luther de prendre du temps pour répondre, et pour répondre par écrit, sur les deux accusations clairement articulées qu'il lui avait faites touchant les indulgences et la foi, n'était rien de plus 292

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle que ce que la justice exigeait; et pourtant nous devons en savoir gré à de Vio, comme d'une marque de modération et d'impartialité.

Luther sortit de chez le cardinal, joyeux de ce que sa demande lui était accordée. En allant chez Cajetan, et en en revenant, il était l'objet de l'attention publique. Tous les hommes éclairés s'intéressaient de son affaire, comme s'ils avaient dû être jugés eux-mêmes. On sentait que c'était la cause de l'Évangile, de la justice et de la liberté, qui se plaidait alors à Augsbourg. Le bas peuple seul tenait pour Cajetan, et il en donna sans doute quelques marques significatives au réformateur, car celui-ci s'en aperçut'.[5]

Il était toujours plus évident que le légat ne voulait entendre de Luther que ces paroles : « Je rétracte; » et Luther était résolu à ne pas les prononcer. Quelle sera l'issue d'une lutte si inégale ? Comment imaginer que toute la puissance de Rome, aux prises avec un seul homme, ne parviendra pas à l'écraser ? Luther voit ces choses, il sent le poids de cette main terrible sous laquelle il est venu se placer; il perd l'espérance de retourner jamais à Wittemberg, de revoir son cher Philippe, de se retrouver au milieu de cette jeunesse généreuse dans les cœurs de laquelle il aimait tant à répandre les semences de la vie. Il voit l'excommunication suspendue sur sa tête, et il ne doute nullement qu'elle ne vienne bientôt le frapper [6]. Ces prévisions affligent son âme, mais elles ne l'abattent point. Sa confiance en Dieu n'en est pas ébranlée. Dieu peut briser l'instrument qu'il lui a plu d'employer jusqu'à cette heure; mais il maintiendra la vérité. Quoi qu'il arrive, Luther doit la défendre jusqu'à la fin.

Il se met donc à préparer la protestation qu'il veut présenter au légat. Il paraît qu'il y consacra une partie de la journée du 13.mérites doivent être mises au-dessus « des paroles des hommes qui affirment qu'ils en ont trop. « Car le pape n'est pas au-dessus, mais au-dessous de la « Parole de Dieu. »

Luther ne s'en tient pas là : il montre que si les indulgences ne peuvent être le mérite des saints, elles ne sont pas davantage le mérite de Christ. Il fait voir que les indulgences sont stériles et sans fruit, puisqu'elles n'ont d'autre effet que d'exempter les hommes de faire des bonnes œuvres, telles que la prière et l'aumône. « Non, s'écrie«

t-il, le mérite de Christ n'est pas un trésor d'indulgences « qui exempte du bien, mais un trésor de grâce qui vivifie. « Le mérite de Christ est appliqué aux fidèles sans indulgentes, sans clefs, par le Saint-Esprit seul, et non par « le pape. Si quelqu'un a une opinion mieux fondée que la mienne, ajoute-t-il en terminant ce qui regarde ce premier point, qu'il la fasse connaître, et alors je me rétracterai.

« J'ai affirmé, dit-il en en venant au second article, a qu'aucun homme ne peut être justifié devant Dieu, si ce n'est par la foi, en sorte qu'il est nécessaire que « l'homme croie avec une entière assurance qu'il a obtenu a grâce. Douter de cette grâce, c'est la rejeter. La foi du « juste est sa justice et sa vie t. »

Luther prouve sa proposition par une multitude de déclarations de l'Écriture. Veuillez donc intercéder pour moi auprès de notre a très saint seigneur le pape Léon X, ajoute-t-il, afin qu'il a ne me traite pas avec tant de défaveur... Mon âme cherche la lumière 293

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle de la vérité. Je ne suis pas tellement « orgueilleux, tellement désireux d'une vaine gloire, que « j'aie honte de me rétracter si j'ai enseigné des choses « fausses. Ma plus grande joie sera de voir triompher « ce qui est selon Dieu. Seulement qu'on ne me force a pas à faire quoi que ce soit contre le cri de ma on« science. »

Le légat avait pris la déclaration des mains de Luther. Après l'avoir parcourue, il lui dit froidement : « Tu as fait « là un verbiage inutile • tu as écrit beaucoup de paroles «

vaines ; tu as répondu follement aux deux articles, et tu as « noirci ton papier d'un grand nombre de passages de la « sainte Écriture qui ne se rapportent point au sujet. »

Puis, d'un air dédaigneux, de Vio jeta la protestation de Luther, comme n'en faisant aucun cas; et, recommençant sur le ton qui lui avait assez bien réussi dans la dernière entrevue, il se mit à crier de toutes ses forces que Luther devait se rétracter. Celui-ci fut inébranlable. « Frère [4] « frère ! s'écrie alors de Vio en italien, la dernière fois tu as été très bon, mais aujourd'hui tu es tout à fait méchant. » Puis le cardinal commence un long discours, tiré des écrits de saint Thomas ; il élève de nouveau de toutes ses forces la constitution de Clément VI; il persiste à soutenir qu'en vertu de cette constitution ce sont les mérites mêmes de Jésus-Christ qui sont distribués aux fidèles par le moyen des indulgences. Il croit avoir réduit Luther au silence : celui-ci prend quelquefois la parole; mais de Vio gronde, tonne sans cesse, et prétend, comme l'avant-veille, s'agiter seul sur le champ de bataille.

Cette manière avait pu avoir quelque succès une première fois; mais Luther n'était pas homme à la souffrir une seconde. Son indignation éclate à la fin; c'est à son tour de frapper d'étonnement les spectateurs, qui le croient déjà vaincu par la volubilité du prélat. Il élève sa voix retentissante, il saisit l'objection favorite du cardinal, et lui fait payer cher la témérité qu'il a eue d'entrer en lutte avec lui. « Rétracte, rétracte » lui répétait de Vio, en lui montrant la constitution du pape. « Eh bien dit Luther, « s'il peut être prouvé par cette constitution que le trésor « des indulgences est le mérite même de Jésus-Christ, je « consens à rétracter, selon la volonté et le bon plaisir de «

Votre Éminence... »

Les Italiens, qui n'attendaient rien de pareil, ouvrent de grands yeux à ces paroles, et ne peuvent se contenir de joie de voir l'adversaire pris enfin dans le filet. Pour le cardinal, il est comme hors de lui; il rit tout haut, mais d'un rire auquel se mêlent l'indignation et la colère ; il s'élance, il saisit le livre dans lequel est contenue la fameuse constitution; il la cherche, il la trouve; et, tout fier de la victoire dont il se croit sûr, il lit à haute voix, avec fougue, et tout haletant [5]. Les Italiens triomphent; les conseillers de l'Électeur sont inquiets et embarrassés ; Luther attend son adversaire. Enfin, quand le cardinal en vient à ces paroles : « Le « Seigneur Jésus-Christ a acquis ce trésor par sa souffrance, » Luther l'arrête : « Très digne Père, lui dit-il, « veuillez bien considérer et méditer avec soin cette parole :

« Il a acquis'[6]. Christ a acquis un trésor par ses mérites, « les mérites ne sont donc pas le trésor; car, pour parler « avec les philosophes, la cause est autre chose que ce «

294

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle qui en découle. Les mérites de Christ ont acquis au pape « le pouvoir de donner de telles indulgences au peuple; « mais ce ne sont pas les mérites mêmes du Seigneur que

« la main du pontife distribue. Ainsi donc, ma conclusion « est véritable, et cette constitution que vous invoquez « avec tant de bruit, rend témoignage avec moi à la vérité « que je proclame. »

De Vio tient encore le livre en ses mains; ses regards sont encore arrêtés sur le fatal passage : il n'y a rien à répondre. Le voilà pris lui-même dans le piège qu'il a tendu; et Luther l'y retient d'une main puissante, à l'inexprimable étonnement des courtisans italiens qui l'entourent. Le légat voudrait éluder la difficulté, mais il n'y a pas moyen : il avait abandonné depuis longtemps et les témoignages de l'Écriture, et les témoignages des Pères; il s'était réfugié dans cette extravagante de Clément VI, et l'y voilà pris. Cependant il est trop fin pour laisser paraître son embarras. Voulant cacher sa honte, le prince de l'Église change brusquement de sujet, et se jette avec violence sur d'autres articles. Luther, qui s'aperçoit de cette manœuvre habile, ne lui permet pas de s'échapper : il serre et ferme de tous côtés le réseau qu'il a jeté sur le cardinal, et rend l'évasion impossible : « Très révérend Père, » dit-il avec une ironie revêtue de toutes les apparences du respect, « Votre Éminence ne peut pourtant pas penser que nous « autres Allemands nous ne sachions pas la grammaire : « être un trésor et acquérir un trésor sont deux choses très « différentes. »

« Rétracte ! lui dit de Vio, rétracte ! Ou si tu ne le fais, « je t'envoie à Rome pour y comparaître devant les juges « qui ont été chargés de prendre connaissance de ta cause.

« Je t'excommunie, toi, tous tes partisans, tous ceux qui « te sont Ou te deviendront favorables, et je les rejette de g l'Église. Tout pouvoir m'a été donné à cet égard par le «

Saint-Siège apostolique [7]. Penses-tu que tes protecteurs « m'arrêtent? t'imagines-tu que le pape se soucie de l'Aile« magne ? Le petit doigt du pape est plus fort que tous les

« princes allemands ne le sont'. [8]»

« Daignez, répond Luther, envoyer au pape Léon X, avec « mes très humbles prières, la réponse que• je vous ai remise par écrit. »

Le légat, à ces paroles, tout content de trouver un moment de relâche s'enveloppe de nouveau dans le sentiment de sa dignité, et dit à Luther avec fierté et colère :

« Rétracte-toi, ou ne reviens pas [9]. »

Cette parole frappe Luther. Cette fois-ci il va répondre autrement que par des discours : il s'incline, et il sort. Les conseillers de l'Électeur le suivent. Le cardinal et ses Italiens, demeurés seuls, se regardent, tout confus d'une telle issue du débat.

Ainsi le système dominicain, recouvert de l'éclat de la pourpre romaine, avait orgueilleusement éconduit son humble adversaire. Mais Luther sentait qu'il est une puissance, la doctrine chrétienne, la vérité, qu'aucune autorité, séculière ou spirituelle, ne saurait jamais subjuguer. Des, deux combattants, celui qui se retira demeura maître du champ de bataille.

295

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle C'est ici le premier pas par lequel l'Église se détacha de la papauté.

Luther et de Vio ne se revirent plus; mais le réformateur avait fait sur le légat une impression puissante, qui ne s'effaça jamais entièrement. Ce que Luther avait dit sur la foi, ce que de Vio lut dans des écrits postérieurs du docteur de Wittemberg, modifia beaucoup les sentiments du cardinal. Les théologiens- de Rome virent avec surprise et mécontentement ce qu'il avança sur la justification, dans son Commentaire sur l'Épitre aux Romains. La Réformation ne recula pas, et ne se rétracta pas; mais son juge, celui qui n'avait cessé de s'écrier : Rétracte! changea de vues, et rétracta indirectement ses erreurs. Ainsi fut couronnée l'inébranlable fidélité du réformateur.

Luther retourna dans le monastère où il avait trouvé l'hospitalité. Il était demeuré ferme ; il avait rendu témoignage à la vérité; il avait fait ce qu'il lui appartenait de faire : Dieu fera le reste! Son cœur était rempli de paix et de joie.

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FOOTNOTES

[1] Ostendit in materia fidei, non modo generale concilium esse super papas, sed etiam quemlibet fidelium, si melioribus nitatur auctoritate et ratione quam papa. • (Luth.

Op. lat., I, p. 209.)

[2] Psaume CXLIII, y. 2.

[3] Confus., IX.

[4] Justifia justi et vita ejus est fides ejus. » (Luth. Op. lat., I, p. 211.)

[5] Legit fervens et anhclans. (Luth. Ep., I, p. 145.)

[6] Acquisivit. a (Luth. Ep. I, p. 145.)

[7] Luth. Op. (L.), XVII, p. 197.

[8] Ibid., (W.), XXII, p. 1331.

[9] Revoca, aut non revertere. (Ibid. (L.), XVII, p. 202.) 296

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IX

Cependant les nouvelles qu'on lui annonçait n'étaient pas rassurantes; le bruit courait dans toute la ville que s'il ne voulait pas se rétracter on devait le saisir et le plonger dans un cachot. Le vicaire général de l'ordre, Staupitz lui-même, assurait-on, devait y avoir consenti Luther ne peut croire ce qu'on dit de son ami. Non ! Staupitz ne le trahira pas. Quant aux desseins du cardinal, à en juger d'après ses propres paroles, il est difficile d'en douter. Cependant il ne veut pas fuir devant le péril; sa vie, comme la vérité elle-même est en des mains puissantes, et 'malgré le danger qui le menace, il se décide à ne pas quitter Augsbourg. [1]

Le légat se repentit bientôt de sa violence; il sentit qu'il était sorti de son rôle, et il voulut tâcher d'y rentrer. A peine Staupitz avait-il terminé son dîner (c'était le matin que l'entrevue avait eu lieu, et l'on dînait à midi), qu'il reçut un message du cardinal, l'invitant à se rendre chez lui. Staupitz y alla, accompagné de Wenceslas Link [2].

Le vicaire général trouva le légat seul avec Serra-Longa. De Vio s'approcha aussitôt de Staupitz, et lui adressa les plus douces paroles. « Tâchez donc, lui dit-il, de persuader « votre moine et de l'engager à faire une rétractation. Vrai« ment, je suis d'ailleurs content de lui, et il n'a pas de « meilleur ami que moi. [3]

STAUPITZ.

« Je l'ai déjà fait, et je lui conseillerai encore maintenant de se soumettre en toute humilité à l'Église.

DE VIO.

« Il vous faut répondre aux arguments qu'il tire de la sainte Écriture.

STAUPITZ.

« Je dois vous avouer, Monseigneur, que cela est au-dessus de mes forces ; car le docteur Martin m'est supérieur et en esprit et en connaissance des saintes Écritures. »

Le cardinal sourit sans doute à cette franchise du vicaire général. Il savait, du reste, lui-même à quoi s'en tenir sur la difficulté de convaincre Luther. Il continua, et dit à Staupitz et à Link :

« Savez-vous bien que, comme partisans d'une doctrine hérétique, vous êtes vous-mêmes exposés aux peines de l'Église ?

STAUPITZ.

« Daignez reprendre la conférence avec Luther; instituez une dispute publique sur les points controversés.

DE VIO, frappé d'effroi à cette pensée,

297

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Je ne veux plus disputer avec cette hôte ; car elle a dans la tête des yeux profonds, et d'étonnantes spéculations. [4] »

Staupitz obtint enfin du cardinal qu'il remettrait par écrit à Luther ce qu'il devait rétracter.

Le vicaire général retourna vers Luther. Ébranlé par les représentations du cardinal, il essaya de l'amener à quelque accommodement. « Réfutez donc, lui dit Luther, les déclarations de l'Écriture que j'ai avancées. — C'est au-dessus « de mon pouvoir, dit Staupitz. — Eh bien, reprit Luther, « il est contre ma conscience de me rétracter aussi long« temps qu'on n'aura pu m'expliquer ces passages de « l'Écriture. Quoi ! continua-t-il, le cardinal prétend, à ce « que vous m'assurez, qu'il veut arranger ainsi l'affaire, «

sans qu'il y ait pour moi ni honte ni désavantage. Ah ! Ce sont là des paroles romaines, qui signifient en bon allemand que ce serait mon opprobre et ma ruine éternelle. «

Qu'a-t-il d'autre à attendre, celui qui, par crainte des « hommes et contre la voix de sa conscience, renie la « vérité' ? [5] »

Staupitz n'insista pas; il annonça seulement à Luther que le cardinal avait consenti à lui remettre par écrit les points dont il demandait la rétractation. Puis, sans doute, il lui apprit la résolution où il était de quitter Augsbourg, où il n'avait plus rien à faire.

Luther lui communiqua un dessein qu'il avait formé pour consoler et fortifier leurs âmes. Staupitz promit de revenir, et ils se séparèrent pour quelques instants.

Demeuré seul dans sa cellule, Luther tourna ses pensées vers des amis chers à son cœur. Il se transporta à Weimar, à Wittemberg. Il désira informer l'Électeur de ce qui se passait; et, craignant d'être indiscret en s'adressant au prince lui-même, il écrivit à Spalatin, et pria le chapelain de faire connaître l'état des choses à son maître. Il lui raconta toute l'affaire, jusqu'à la promesse faite par le légat de donner par écrit les points controversés, et il termina en disant : « C'est là qu'en est la chose; mais je n'ai ni

« espérance ni confiance dans le légat. Je ne veux pas rétracter une seule syllabe. Je publierai la réponse que je « lui ai remise, afin que s'il en vient à la violence il soit couvert de honte dans toute la chrétienté [6]

Puis le docteur profita de quelques moments qui lui restaient encore, pour donner de ses nouvelles à Ses amis de Wittemberg.

« Paix et félicité, écrivait-il au docteur Carlstadt. Acceptez ce peu de mots comme si c'était une longue lettre; car le temps et les événements me pressent. Une autre « fois je vous écrirai, à vous et à d'autres, plus longuement. « Voilà trois jours que mon affaire se traite, et les choses en « sont au point que je n'ai plus aucun espoir de retourner « vers vous, et que je n'ai plus que l'excommunication à « attendre. Le légat ne veut absolument pas que je dispute, « ni publiquement ni en particulier. II ne veut pas être « pour moi un juge, dit-il, mais un père ; et pourtant il ne « veut entendre de moi que ces paroles : Je me rétracte, et « je reconnais que je me suis trompé. Et moi je ne veux « pas les dire.

298

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Les périls de ma cause sont d'autant plus grands, « qu'elle a pour juges, non-seulement des ennemis implantables mais encore des hommes incapables de la comprendre. Cependant le Seigneur Dieu vit et règne :

«

C’est à sa garde que je me recommande, et je ne doute « pas que, répondant aux prières de quelques âmes pieuses,

«

Il ne m'envoie du secours; je crois sentir que l'on prie « pour moi. Ou bien je retournerai vers vous sans qu'on m'ait fait « du mal; ou bien, frappé d'excommunication, je devrai « chercher ailleurs un refuge.

« Quoi qu'il en soit, comportez-vous vaillamment, tenez « ferme, et exaltez Christ intrépidement et avec joie...

« Le cardinal me nomme toujours son cher fils. Je sais « ce qu'il en faut croire. Je suis néanmoins persuadé que je « serais pour lui l'homme le plus agréable et le plus cher si

« je voulais prononcer cette seule parole : Revoco ; c'est à dire, je me rétracte. Mais je ne deviendrai pas hérétique « en rétractant la foi qui m'a fait devenir chrétien. Plutôt «

être chassé, maudit, brûlé, mis à, mort.

« Portez-vous bien, mon cher docteur, et montrez cette « lettre à nos théologiens, à Amsdorff, à Philippe, à Otten, « et aux autres, afin que vous priiez pour moi, et aussi pour « vous; car c'est aussi votre affaire qui se traite ici. C'est « celle de la foi au Seigneur Jésus-Christ et de la grâce de « Dieu'. »

Douce pensée, qui remplit toujours de consolation et de paix ceux qui ont rendu témoignage à Jésus-Christ, à sa divinité et à sa grâce, quand le monde fait pleuvoir sur eux de toutes parts ses jugements, ses exclusions et sa défaveur,: « Notre affaire est celle de la foi au Seigneur [7] » Et que de douceur aussi dans cette conviction qu'exprime le réformateur : « Je sens que l'on prié pour moi » La Réformation fut l'œuvre de la prière et de la piété. La lutte de Luther et de Vio fut celle de l'élément religieux, qui reparaissait plein de vie, avec les débris expirants de la dialectique raisonneuse du moyen âge.

Ainsi s'entretenait Luther avec ses amis absents. Bientôt Staupitz revint : le docteur Ruhel et le chevalier de Feilitzsch, l'un et l'autre envoyés de l'Électeur' arrivèrent aussi chez Luther, après avoir pris congé du cardinal. Quelques autres amis de l'Évangile se joignirent à eux. Luther, voyant ainsi réunis ces hommes généreux, sur le point de se disperser, et desquels il allait peut-être se séparer lui-même pour toujours, leur proposa de célébrer tous ensemble la cène du Seigneur. Ils acceptent, et ce petit troupeau d'hommes fidèles communie au corps et au sang de Jésus-Christ. Quels sentiments remplissent les cœurs de ces amis du réformateur, dans le moment où, célébrant avec lui l'eucharistie, ils pensent que c'est peut-être la dernière fois qu'il lui sera permis de le faire! Quelle joie et quel amour animent le cœur de Luther en se voyant si gracieusement reçu par son Maître, dans le moment où les hommes le repoussent ! Que cette cène dut être solennelle ! Que cette soirée dut être sainte' [8]!

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le lendemain' [9], Luther attendait les articles que le légat devait lui envoyer. Mais, ne recevant de lui aucun message, il pria son ami le docteur Wenceslas Link de se rendre chez le cardinal. De Vio reçut Link de la manière la plus affable, et l'assura qu'il ne voulait agir qu'en ami. « Je ne « regarde plus, lui dit-il, le docteur Martin Luther comme « un hérétique. Je ne veux point cette fois-ci l'excommunier, à moins qu'il ne me vienne d'autres ordres de Rome. « J'ai envoyé sa réponse au pape par un exprès. » Puis, pour faire preuve de ses bonnes dispositions, il ajoute : « Si le docteur Luther voulait seulement rétracter ce qui « regarde les indulgences, l'affaire serait bientôt finie car, « pour ce qui concerne la foi dans les sacrements, c'est un « article que chacun peut interpréter et entendre à sa manière. » Spalatin, qui rapporte ces paroles, ajoute cette remarque maligne, mais juste : « Il résulte clairement de là « que Rome recherche l'argent plus que la sainte foi et « que le salut des âmes'[10].

Link revint chez Luther : il y trouva Staupitz, et leur rendit compte de sa visite.

Lorsqu'il rapporta la concession inattendue du légat : « Il eût valu la peine, dit Staupitz, « que le docteur Wenceslas eût eu avec lui un notaire et « des témoins, pour coucher par écrit cette parole; car si « un tel dessein venait à être connu, cela porterait un grand « préjudice aux Romains. »

Cependant, plus les paroles du prélat devenaient douces, et moins les honnêtes Germains se confiaient en lui. Plusieurs des hommes de bien auxquels Luther avait été recommandé tinrent conseil. « Le légat, dirent-ils, prépare « quelque malheur par ce courrier dont il parle, et il est « fort à craindre que vous ne soyez tous ensemble saisis « et jetés en prison. »

Staupitz et Wenceslas se décidèrent donc à quitter la ville; ils embrassèrent Luther, qui persistait à demeurer à Augsbourg, et partirent en toute hâte, par deux routes différentes, pour se rendre à Nuremberg, non sans ressentir bien des inquiétudes sur le sort du témoin courageux qu'ils laissaient derrière eux.

Le dimanche se passa assez tranquillement. Mais Luther attendait en vain un message du légat : celui-ci ne lui faisait rien dire. Il résolut enfin de lui écrire. Staupitz et Link , avant de partir, l'avaient supplié de témoigner au cardinal toute la condescendance possible. Luther n'a pas encore essayé de Rome et de ses envoyés : il en est à sa première épreuve. Si la condescendance ne réussit pas, il pourra se tenir pour averti. Maintenant du moins il en doit faire l'essai. Pour ce qui le concerne, il n'y a pas de jour qu'il ne se condamne lui-même, qu'il ne gémisse sur la facilité avec laquelle il se laisse entraîner à des expressions dont la force dépasse la mesure convenable : pourquoi n'avouerait-il pas au cardinal ce que tous les jours il avoue à Dieu ? Luther avait d'ailleurs un cœur facile à émouvoir et qui ne soupçonnait pas le mal. Il prend donc la plume, et, dans le sentiment d'une bienveillance. respectueuse, il écrit au cardinal ce qui suit' :

« Très digne père en Dieu, je viens encore une fois, non « de vive voix, mais par écrit, supplier votre bonté paternelle de m'écouter avec faveur.

300

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le révérend docteur « Staupitz, mon très cher père en Christ, m'a invité à m'humilier, à renoncer à mon propre sens, et à soumettre mon opinion au jugement d'hommes pieux et impartiaux. Il a aussi loué votre bonté paternelle, et m'a tout à fait convaincu des sentiments favorables dont vous êtes «.animé à mon égard. Cette nouvelle m'a rempli de joie. « Maintenant donc, très digne père, je confesse, ainsi la lettre est datée du 7 octobre que je l'ai déjà fait auparavant, que je n'ai pas montré, « comme on dit, assez de modestie, assez de douceur, ni « assez de respect pour le nom du souverain pontife; et, « bien que l'on m'ait grandement provoqué, je comprends « qu'il eût été mieux pour moi de traiter l'affaire avec plus « d'humilité, de débonnaireté et de vénération, et de ne «pas répondre au fou selon sa folie, de peur de lui devenir «

semblable (Proverbes XXVI, 4).

Cela m'afflige fort, et j'en demande pardon. Je veux en « donner connaissance au peuple du haut de la chaire, « comme au reste je l'ai déjà fait souvent. Je veux m'appliquer, avec la grâce de Dieu, à parler autrement. Il y a plus : je suis prêt à promettre, sans qu'on me le demande, « de ne plus dire un seul mot sur le sujet des indulgences « si cette affaire est arrangée. Mais aussi, que ceux qui « m'ont porté à la commencer soient obligés, de leur « côté, à se modérer désormais dans leurs discours ou à « se taire.

« Pour ce qui regarde la vérité de ma doctrine, l'autorité « de saint Thomas et des autres docteurs ne saurait me suffire. Il faut que j'entende, si j'en suis digne, la voix de

« l'épouse, qui est l'Église. Car il est certain qu'elle entend « la voix de l'époux, qui est Christ.

« Je prie donc, en toute humilité et soumission, votre « amour paternel de référer toute cette matière, si incertaine jusqu'à cette heure, à notre très saint seigneur « Léon X, afin que l'Église décide, prononce, ordonne, et « que l'on puisse se rétracter avec une bonne conscience u ou croire avec sincérité '. [11]»

En lisant cette lettre [12] une réflexion se présente encore. On voit que Luther n'agissait point par suite d'un système formé à l'avance, mais uniquement en vertu de convictions imprimées successivement dans son esprit et dans son cœur. Bien loin qu'il y eût chez lui système arrêté, opposition calculée, il était parfois, sans s'en douter, en contradiction avec lui-même. D'anciennes convictions régnaient encore dans son esprit, bien que des convictions opposées y eussent déjà pris place. Et cependant c'est dans ces marques de sincérité et de vérité qu'on est allé chercher des armes contre la Réforme; c'est parce qu'elle a suivi cette loi obligatoire de progrès, qui est imposée en toutes choses à l'esprit humain, qu'on a écrit l'histoire de ses variations; c'est dans les traits mêmes qui montrent sa sincérité, et qui par conséquent la rendent honorable, que l'un des génies chrétiens les plus éminents a trouvé ses objections les plus puissantes inconcevables aberrations de l'esprit de l'homme !

Luther ne reçut pas de réponse à sa lettre. Cajetan et ses courtisans, après s'être si fort agités, étaient devenus tout à coup immobiles. Quelle pouvait en être la raison ?

301

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Ne serait-ce pas le calme qui précède un orage? Quelques-uns sont de l'avis de Pallavicini : « Le cardinal s'attendait, remarque-t-il, à ce que le moine orgueilleux, semblable à « un soufflet enflé, perdrait peu à peu le vent dont il était « rempli, et deviendrait tout à fait humble'. [13] » D'autres, pensant mieux connaitre les voies de Rome, se croient assurés que le légat veut se saisir de Luther, mais que, n'osant en venir de lui-même à de telles extrémités, à cause du sauf-conduit impérial, il attend de Rome la réponse à son message. D'autres encore ne peuvent pas admettre que le cardinal veuille attendre si longtemps. L'empereur Maximilien, disent-Ils, et ceci pourrait bien être la vérité, ne se fera pas plus scrupule de livrer Luther au jugement de l'Église, malgré le sauf-conduit, que Sigismond ne s'en est fait de livrer Huss au concile de Constance. Le légat est peut-être maintenant en négociation avec l'Empereur. L'autorisation de Maximilien peut arriver à toute heure. Autant il montrait auparavant d'opposition au pape, autant, dans ce moment, et jusqu'à ce que la couronne impériale ceigne la tête de son petit-fils, semble-t-il le flatter. Il n'y a pas un instant à perdre. « Préparez, disent à « Luther les hommes généreux qui l'entourent, préparez « un appel au pape, et quittez Augsbourg sans retard. »

Luther, dont la présence dans cette ville est depuis quatre jours tout à fait inutile, et qui a suffisamment montré, en restant après le départ des conseillers saxons envoyés par l'Électeur pour veiller à sa sûreté, qu'il ne craint rien et qu'il est prêt à répondre à tous, se rend enfin aux vœux de ses amis. Mais auparavant il veut instruire de Vio de son dessein; il lui écrit le mardi, veille de son départ. Cette seconde lettre est plus ferme que . la première. Il semble que Luther, voyant que toutes ses avances sont vaines, commence à relever la tête, dans le sentiment de son droit et de l'injustice de ses ennemis.

« Très digne père en Dieu, écrit-il à de Vio, votre bonté « paternelle a vu, oui vu, dis-je, et suffisamment reconnu « mon obéissance. J'ai entrepris un si lointain voyage, au «

milieu de grands dangers, avec une grande faiblesse de corps; et malgré mon extrême pauvreté , sur l'ordre de « notre très saint seigneur Léon X , j'ai comparu en per« sonne devant Votre Éminence; enfin, je me suis jeté aux « pieds de Sa Sainteté, et j'attends maintenant ce qui lui « semblera bon, prêt à reconnaître son jugement, soit qu'il « me condamne, soit qu'il me justifie. J'ai donc le. senti« ment de n'avoir rien omis de ce qui est bienséant à un « fils obéissant de l'Église.

« Je pense en conséquence ne pas devoir prolonger ici « inutilement mon séjour; cela me serait d'ailleurs impossible : je manque de ressources; et votre bonté paternelle m'a commandé d'une voix élevée de ne plus paraitre devant ses yeux, si je ne voulais pas me rétracter.

« Ainsi donc, je pars au nom du Seigneur, voulant cher« cher s'il me sera possible de me rendre dans quelque « lieu où je puisse vivre en paix. Divers personnages plus «

importants que moi m'ont invité à en appeler de votre « boité paternelle, et même de notre très saint seigneur Léon X, mal informé, à lui-même mieux informé. Bien a que 302

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle je sache qu'un tel appel sera beaucoup plus agréable à notre sérénissime Électeur qu'une rétractation, néanmoins, si je n'avais dû consulter que moi-même, je ne a l'aurais pas fait Je n'ai commis aucune faute, je ne dois donc rien craindre. »

Luther ayant écrit cette lettre, qui ne fut remise au légat qu'après son départ, se disposa à quitter Augsbourg. Dieu l'y avait gardé jusqu'à cette heure, et son cœur en louait le Seigneur; mais il ne devait pas tenter Dieu. Il embrassa ses amis, Peutinger, Langemantel, les Adelman, Auerbach et le prieur des carmélites, qui lui avait donné une hospitalité si chrétienne. Le mercredi, avant le jour, il était levé et prêt à partir.

Ses amis lui avaient recommandé de prendre beaucoup de précautions, de peur que, remarquant son dessein, on n'y mit obstacle. Il suivit autant qu'il le put ces conseils.

Un bidet, que Staupitz lui avait laissé, fut amené devant la porte du Couvent. Encore une fois il dit adieu à ses frères; puis il monte et part, sans avoir de bride pour son cheval, sans bottes, sans éperons, sans armes. Le magistrat de la ville lui avait donné pour l'accompagner un huissier à cheval, qui connaissait parfaitement les chemins.

Ce serviteur le conduit, au milieu des ténèbres, par les rues silencieuses d'Augsbourg.

Ils se dirigent vers une petite porte pratiquée dans le mur de la ville. L'un des conseillers, Langemantel, avait donné ordre qu'elle lui fût ouverte. Il est encore en la puissance du légat. La main de Rome peut encore s'étendre sur lui. Sans doute si les Italiens savaient que leur proie leur échappe, ils pousseraient un cri de fureur. Qui sait si l'adversaire intrépide de Rome ne sera pas encore saisi et plongé dans un cachot Enfin Luther et son guide arrivent à la petite porte : ils la passent. Ils sont hors d'Augsbourg, et bientôt ils lancent leurs chevaux au galop, et s'éloignent en toute hâte.

Luther en partant avait laissé son appel au pape entre les mains du prieur de Pomesaw. Ses amis n'avaient pas été d'avis de le remettre au légat. Le prieur était chargé de le faire afficher, deux ou trois jours après le départ du docteur, à la porte de la cathédrale, en présence d'un notaire et de témoins. C'est ce qui eut lieu.

Luther dans cet écrit déclare qu'il en appelle du très saint père le pape, mal informé, au très saint seigneur et père en Christ Léon, Xème du nom, par la grâce de Dieu mieux informé'.[14] Cet appel avait été dressé dans le style et les formes voulus, par le ministère du notaire impérial Gall de Herbrachtingen, en présence des deux moines augustins Barthélemy Utzmair et Wenzel Steinbies. Il était daté du 16 octobre.

Quand le cardinal apprit le départ de Luther, il s'en étonna; et même, à ce qu'il assure dans une lettre à l'Électeur, il s'en effraya, et il s'en épouvanta. En effet, il y avait de quoi l'irriter. Ce départ, qui mettait fin d'une manière si brusque à toutes les négociations, déjouait les espérances dont son orgueil s'était si longtemps flatté. Il avait ambitionné l'honneur de guérir les plaies de l'Église, de rétablir en Allemagne l'influence chancelante du pape; et non-seulement l'hérétique lui échappait sans qu'il l'eût puni, mais même sans qu'il fût parvenu à l'humilier. La conférence n'avait servi qu'à mettre dans un plus grand jour, d'un côté la simplicité, la droiture, la fermeté de Luther, et de l'autre la conduite impérieuse et déraisonnable du pape et de son 303

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle ambassadeur. Puisque Rome n'y avait rien gagné, elle devait y perdre; son autorité, n'ayant pas été raffermie, devait avoir reçu un nouvel échec. Que va-t-on dire au Vatican? Quels messages vont arriver de Rome? On oubliera les difficultés de sa situation ; on imputera à son inhabileté la mauvaise issue de cette affaire. Serra-Longa et les Italiens sont furieux de se voir, eux gens si habiles, déjoués par un moine allemand. De Vio a peine à cacher son irritation. Un tel affront crie vengeance; et nous le verrons bientôt exhaler sa colère dans sa lettre à l'Électeur.

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FOOTNOTES

[1] Luth. Op. (L.), XVII, p. e0.

[2] Ibid., p. 204,

[3] Luth. Op. (L), XVII, p. 185.

[4] Ego uolo amplius eum hac bestia dispufare. Habet enim profundos oculos et mirabiles speculationes in capite suo. • (Myconius, p. 33.)

[5] Luth. Op. Ivir, p. nO.

[6] Luth. Ep., 1, p. 149.

[7] Luth. Ep., I, p. 159.

[8] Luth. Op. (L.), XVII, p. 178.

[9] Samedi 15 octobre.

[10] Luth. Op. (L.), XVIII, p. 182.

[11] Luth. Op. (L.), p.198.

[12] lititoirt du variatiosu, de Bossuet. (Livre I, p. 25, etc.)

[13] a U t follis ille ventosa elatione distentus.... (P. 40.)

[14] itelius informaudum. • (Luth. Op. lat., I, p. 2i9.) 304

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE X

Luther continuait, avec son guide, à fuir loin d'Augsbourg. Il pressait son cheval , et le faisait aller aussi vite que le permettaient les forces du pauvre animal. Il se rappelait la fuite réelle ou supposée de Jean Huss, la manière dont on l'atteignit, et l'assertion de ses adversaires, qui prétendirent que, Huss ayant par cette fuite annulé le sauf-conduit de l'Empereur, on avait eu le droit de le condamner aux flammes [1].

Cependant ces inquiétudes ne firent que traverser le cœur de Luther. Sorti de la ville où il a passé dix jours sous la main terrible de Rome, qui a déjà écrasé tant de milliers de témoins de la vérité et fait rejaillir autour d'elle tant de sang, maintenant qu'il est libre , qu'il respire l'air pur des champs, qu'il traverse les villages et les campagnes , qu'il se voit admirablement délivré par le bras du Seigneur, toute son âme bénit l'Éternel. C'est bien lui qui peut dire à cette heure : Notre âme est échappée, comme l'oiseau, du filet des oiseleurs. Le filet a été rompu, et nous sommes échappés... Notre aide soit au nom de l'Éternel qui a fait les cieux et la terre' [2] Le cœur de Luther est ainsi rempli de joie. Mais ses pensées se reportent aussi sur de Vio : « Le cardinal, se dit-il, aurait aimé « m'avoir entre ses mains et m'envoyer à Rome. Il est sans « doute chagrin que je lui aie échappé. Il s'imaginait qu'il « était maitre de moi à Augsbourg; il croyait m'avoir : « mais il tenait l'anguille par la queue. N'est-ce pas une « honte que ces gens m'estiment à un si haut prix? Ils « donneraient plusieurs écus pour m'avoir, tandis que « notre Seigneur Jésus-Christ a été vendu à peine trente « pièces d'argents.

»

Luther fit ce premier jour quatorze lieues. Le soir, arrivé à l'auberge où il voulait passer la nuit, il était si fatigué (son cheval avait un trot très dur, nous dit un historien), que, descendu de cheval, il ne put se tenir debout, et il s'étendit sur la paille.

Il goûta néanmoins quelque repos. Le lendemain il continua son voyage. Il trouva à Nuremberg Staupitz, qui y visitait les couvents de son ordre. Ce fut dans cette ville qu'il vit pour la première fois le bref que le pape avait envoyé à Cajetan à son sujet. Il en fut indigné; et il est bien probable que s'il avait pu lire ce bref avant son départ de Wittemberg, il n'eût jamais comparu devant le cardinal. «Il est impossible de croire, dit-il, a que quelque chose de si monstrueux soit émané d'un souverain pontife [3]. »

Partout sur la route Luther était l'objet de l'intérêt général. Il n'avait cédé en rien.

Une telle victoire, remportée par un moine mendiant sur un représentant de Rome, remplissait d'admiration tous les cœurs. L'Allemagne semblait vengée des mépris de l'Italie. La Parole éternelle a été plus honorée que la parole du pape. Cette vaste puissance, qui depuis tant de siècles dominait le monde, a reçu un formidable échec.

La marche de Luther fut un triomphe. On s'applaudissait de l'opiniâtreté de Rome, dans l'espoir qu'elle amènerait sa chute. Si elle n'avait pas voulu conserver des gains honteux ; si elle avait été assez sage pour ne pas mépriser les Allemands; si elle avait réformé de criants abus, peut-être, selon les vues humaines, tout fut-il rentré dans cet état de mort duquel Luther s'était réveillé. Mais la papauté ne veut pas céder; et le 305

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle docteur se verra contraint d'amener à la lumière bien d'autres erreurs, et d'avancer dans la connaissance et dans la manifestation de la vérité.

Luther arriva le 16 octobre à Groefenthal, située à l'extrémité des forêts de la Thuringe. Il y rencontra le comte Albert de Mansfeld, le même qui l'avait si fort dissuadé de se rendre à Augsbourg. Le comte rit beaucoup en voyant son singulier équipage. Il s'empara de lui, et l'obligea à devenir son hôte. Bientôt Luther se remit en route.

Il se hâtait, désirant être à Wittemberg le 31 octobre, dans la pensée que l'Électeur s'y trouverait pour la fête de Tous-les-Saints, et qu'il pourrait l'y voir. Le bref qu'il avait lu à Nuremberg lui avait révélé tout le danger de sa situation. En effet, déjà condamné à Rome, il ne pouvait espérer ni de demeurer à Wittemberg, ni d'obtenir un asile dans un couvent, ni de se trouver quelque autre part en paix et en sûreté. La protection de l'Électeur pourrait peut-être le défendre ; mais il était loin d'en être assuré. Il ne pouvait plus rien attendre des deux amis qu'il avait eus jusqu'alors à la cour de ce prince. Staupitz avait perdu la faveur dont il avait longtemps joui, et quittait la Saxe.

Spalatin était aimé de Frédéric; mais il n'avait pas sur lui une grande influence.

L'Électeur lui-même ne connaissait pas assez la doctrine de l'Évangile pour s'exposer, à cause d'elle, à des périls manifestes. Cependant Luther pensa qu'il n'avait rien de mieux à faire que de retourner à Wittemberg, et d'y attendre ce que le Dieu éternel et miséricordieux déciderait de lui. Si, comme c'était la pensée de plusieurs, on le laissait tranquille, il voulait se donner tout entier à l'étude et à l'enseignement de la jeunesse

[4]'.

Luther fut de retour à Wittemberg le 30 octobre. Il s'était hâté inutilement. Ni l'Électeur ni Spalatin n'étaient venus pour la fête. Ses amis furent tout joyeux en le revoyant parmi eux. Il s'empressa d'annoncer le même jour son arrivée à Spalatin : «

Je suis revenu aujourd'hui à Wittemberg sain et sauf, par la grâce de Dieu, lui dit-il; mais « combien de temps j'y resterai, c'est ce que j'ignore... « Je suis rempli de joie et de paix, en sorte que je m'étonne fort que l'épreuve que j'endure puisse paraître si «

grande à tant de grands personnages. [5] »

De Vio n'avait pas attendu longtemps, après le départ de Luther, pour exhaler auprès de l'Électeur toute son indignation. Sa lettre respire la vengeance. Il rend compte à Frédéric de la conférence, avec un air de confiance : « Puisque le frère Martin, dit-il en terminant, ne peut être « amené par des voies paternelles à reconnaître son erreur, à demeurer fidèle à l'Église catholique, je prie Votre Altesse de l'envoyer à Rome, ou de le chasser de « ses États. Sachez bien que cette affaire difficile, méchante et pleine de venin, ne peut durer longtemps encore; car dès que j'aurai fait connaître à notre très saint seigneur tant de ruse et de malice, on en aura bientôt « fini. » Dans un post-scriptum, écrit de sa propre main, le cardinal sollicite l'Électeur de ne pas souiller honteusement son honneur et celui de ses illustres ancêtres pour un misérable petit frère

306

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Jamais peut-être l'âme de Luther ne fut remplie d'une plus noble indignation que lorsqu'il lut la copie de cette lettre que l'Électeur lui envoya. Le sentiment des souffrances qu'il est destiné à endurer, le prix de la vérité pour laquelle il combat, le mépris que lui inspire la conduite du légat de Rome, remplissent à la fois son cœur. Sa réponse, écrite dans cette agitation d'âme, est pleine de ce courage, de cette élévation, de cette foi, qu'on retrouve toujours en lui dans les époques les plus difficiles de sa vie.

Il rend compte, à son tour, de la conférence d'Augsbourg; il expose ensuite la conduite du cardinal, puis il continue ainsi :

« Je voudrais répondre au légat à la place de l'Électeur : « Prouve que tu parles avec science, lui dirais-je; qu'on « couche par écrit toute l'affaire : alors j'enverrai le frère «

Martin à Rome, ou bien je le ferai moi-même saisir et « mettre à mort. Je prendrai soin de ma conscience et de « mon honneur, et je ne permettrai pas qu'aucune tache «

vienne souiller ma gloire. Mais aussi longtemps que ta « science certaine fuit la lumière et ne se fait connaître « que par des clameurs, je ne puis ajouter foi aux ténèbres. « C'est ainsi que je voudrais répondre, très excellent « prince.

« Que le révérend légat, ou le pape lui-même, spécifient « par écrit mes erreurs; qu'ils exposent leurs raisons; « qu'ils m'instruisent, moi qui désire être instruit, qui le «

demande, qui le veux, qui l'attends, tellement qu'un « Turc même ne refuserait pas de le faire. Si je ne me « rétracte pas, et ne me condamne pas, quand on m'aura prouvé que les passages que j'ai cités doivent être corn- « pris autrement que je ne l'ai fait, alors, ô très excellent « Électeur, que Votre Altesse soit la première à me pour« suivre et à me chasser ; que l'Université me repousse et « m'accable de sa colère... Il y a plus, et j'en prends à témoin le ciel et la terre, que le Seigneur Jésus-Christ me rejette et me condamne ! Les paroles que je dis ne me « sont pas dictées par une présomption vaine, mais par «.une inébranlable conviction. Je veux que le Seigneur « Dieu me retire sa grâce, et que toute créature de Dieu « me refuse sa faveur, si lorsqu'on m'aura montré une « meilleure doctrine je ne l'embrasse pas.

« S'ils me méprisent trop, à cause de la bassesse de « mon état, moi pauvre petit frère mendiant, et s'ils refusent de m'instruire dans le chemin de la vérité, que Votre «

Altesse prie le légat de lui indiquer par écrit en quoi j'ai « erré; et s'ils refusent cette faveur à Votre Altesse même, « qu'ils écrivent leur pensée, soit à Sa Majesté Impériale,

« soit à quelque archevêque de l'Allemagne. Que dois-je, « que puis-je dire de plus?

« Que Votre Altesse écoute la voix de sa conscience et « 4e son honneur, et ne m'envoie pas à Rome. Aucun « homme ne peut vous le commander; car il est impossible « que je sois en sûreté dans Rome. Le pape lui-même n'y « est pas en sûreté. Ce serait vous ordonner de trahir le « sang d'un chrétien. Ils y ont du papier, des plumes et « de l'encre; ils y ont aussi des notaires en nombre infini. « Il leur est facile d'écrire en quoi et pourquoi j'ai erré.

« Absent, il en coûtera moins de m'instruire par écrit, que, « présent, de me faire mourir par ruse.

307

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Je me résigne à l'exil. Mes adversaires me tendent de tous côtés des pièges, en sorte que je ne puis nulle part « vivre en sûreté. Afin qu'il ne vous arrive aucun mal à « mon sujet, j'abandonne, au nom de Dieu, vos États. Je « veux aller où le Dieu éternel et miséricordieux veut m'a« voir. Qu'il fasse de moi ce qu'il voudra!

« Ainsi donc, Sérénissime Électeur, je vous salue avec « vénération; je vous recommande au Dieu éternel, et je « vous rends d'immortelles actions de grâces pour tous vos cc bienfaits envers moi. Quel que soit le peuple au milieu « duquel je demeurerai à l'avenir, je me souviendrai éternellement de vous, et je prierai sans cesse avec reconnaissance pour votre bonheur et pour celui des vôtres [6] ...

Je suis encore, grâce à Dieu, plein de joie, et je le bénis « de ce que Christ, le Fils de Dieu, me juge digne de souffrir dans une cause si sainte. Qu'il garde éternellement Votre Altesse illustre ! Amen. »

Cette lettre, si pleine de vérité, fit une profonde impression sur l'Électeur. « Il fut ébranlé par une lettre très « éloquente, » dit Maimbourg. Jamais il n'eût pensé à livrer un innocent entre les mains de Rome; peut-être eût-il invité Luther à se tenir quelque temps caché; mais il ne voulut pas même avoir l'apparence de céder en quelque manière aux menaces du légat. Il écrivit à son conseiller Pfeffinger, qui se trouvait auprès de l'Empereur, de faire connaître à ce prince le véritable état des choses, et de le supplier d'écrire à Rome qu'on mît fin à cette affaire, ou du moins qu'on la fit juger en Allemagne par des juges impartiaux [7].

Quelques jours après, l'Électeur répondit au légat : « Puisque le docteur Martin a paru devant vous à Augsbourg, vous devez être satisfait. Nous ne nous étions pas « attendu à ce que, sans l'avoir convaincu, vous prétendriez à le contraindre à se rétracter.

Aucun des savants qui se « trouvent dans nos principautés ne nous a dit que la doctrine de Martin fût impie, antichrétienne et hérétique. » Le prince refuse ensuite d'envoyer Luther à Rome, et de le chasser de ses États.

Cette lettre, qui fut communiquée à Luther, le remplit de joie. « Bon Dieu! écrivit-il à Spalatin, avec quelle joie je a l'ai lue et relue! Je sais quelle confiance on peut avoir en

« ces paroles, pleines à la fois d'une force et d'une modestie a si admirables. Je crains que les Romains ne comprennent « pas tout ce qu'elles signifient; mais ils comprendront du a moins que ce qu'ils croyaient déjà fini n'est pas même a commencé.

Veuillez présenter au prince mes actions de « grâces. Il est étrange que celui (de Vio) qui il y a peu a de temps encore était moine mendiant comme moi ne « craigne pas d'aborder sans respect les princes les plus a puissants, de les interpeller, de les menacer, de leur « commander, et de les traiter avec un inconcevable « orgueil. Qu'il apprenne que la puissance temporelle est a de Dieu, et qu'il n'est pas permis d'en fouler aux pieds « la gloire [8]. »

Ce qui avait sans doute encouragé Frédéric à répondre au légat sur un ton auquel celui-ci ne s'était pas attendu, c'était une lettre que l'université de Wittemberg lui 308

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle avait adressée. Elle avait de bonnes raisons pour se prononcer en faveur du docteur ; car elle florissait de plus en plus , et elle éclipsait toutes les autres écoles. Une foule d'étudiants y accouraient de toutes les parties de l'Allemagne, pour entendre cet homme extraordinaire, dont les enseignements paraissaient ouvrir à la religion et à la science une ère nouvelle. Ces jeunes gens, venus de toutes les provinces, s'arrêtaient au moment où ils découvraient dans le lointain les clochers de Wittemberg; ils élevaient alors leurs mains vers le ciel, et ils louaient Dieu de ce qu'il faisait luire de cette ville, comme autrefois de Sion, la lumière de la vérité, et l'envoyait jusqu'aux contrées les plus éloignées [9]. Une vie, une activité inconnue jusque-là animait l'université. « On s'excite ici à l'étude à la manière « des fourmis, » écrivait Luther [10].

309

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE XI

Luther, pensant qu'il pouvait être bientôt chassé de l'Allemagne, s'occupait de la publication des actes de la conférence d'Augsbourg. Il voulait que ces actes demeurassent comme un témoignage de la lutte entre Rome et lui. Il voyait l'orage près d'éclater, mais il ne le craignait pas. Il attendait de jour en jour les malédictions de Rome, et il disposait et ordonnait tout, afin d'être prêt lorsqu'elles arriveraient. «

Ayant retroussé ma robe et ceint mes reins, « disait-il, je suis prêt à partir comme Abraham, sans sa« voir où j'irai, ou plutôt sachant bien où, puisque Dieu « est toutes parts [11]. » Il avait le dessein de laisser derrière lui une lettre d'adieu. « Aie alors le courage, écrivait-il à Spalatin, de lire la lettre d'un homme maudit et excommunié. »

Ses amis étaient remplis pour lui de crainte et de sollicitude. Ils le suppliaient de se constituer prisonnier entre les mains de l'Électeur, afin que ce prince le fit garder sûrement quelque part [12].

Ses ennemis ne pouvaient comprendre ce qui lui donnait tant d'assurance. Un jour on s'entretenait de lui à la cour de l'évêque de Brandebourg, et l'on demandait sur quel appui il pouvait se fonder. « C'est Érasme, disait-on, « c'est Capiton, ce sont d'autres hommes savants qui sont « sa confiance. —Non, non, reprit l'évêque, le pape s'inquiéterait fort peu de ces gens-là. C'est sur l'université « de Wittemberg et sur le duc de Saxe qu'il se repose...» Ainsi les uns et les autres ignoraient quelle était la forteresse où s'était réfugié le réformateur.

Des pensées de départ traversaient l'esprit de Luther. Ce n'était pas la crainte des dangers qui les faisait naitre, mais la prévision des obstacles sans cesse renaissants que trouverait en Allemagne la libre profession de la vérité. « Si je demeure ici, disait-il, la liberté de dire et d'écrire « bien des choses me sera ravie. Si je pars, j'épancherai

«librement les pensées de mon cœur, et j'offrirai ma vie à Jésus-Christ 1. »

La France était le pays où Luther espérait pouvoir annoncer la vérité sans entraves.

La liberté dont jouissaient les docteurs et l'université de Paris lui paraissait digne d'envie. Il était d'ailleurs d'accord avec eux sur beaucoup de points. Que fut-il arrivé s'il eût été transporté de Wittemberg en France? La Réformation s'y fût- elle établit comme en Allemagne? La puissance de Rome y eût elle été détrônée, et la France, qui était destinée à voir les principes hiérarchiques de Rome et les principes destructifs d'une philosophie irréligieuse se combattre longtemps dans son sein, fût-elle devenue un grand foyer de lumière évangélique ? Il est inutile de faire à ce sujet de vaines suppositions ; mais peut-être Luther à Paris eût-il changé quelque chose aux destinées de l’Europe et de la France.

L'âme de Luther était vivement émue. Il prêchait souvent dans l'église de la ville, à la place de Simon Heyens Pontanus, pasteur de Wittemberg, qui était presque toujours malade. Il crut devoir, à toute aventure, prendre congé de ce peuple auquel il avait si souvent annoncé le salut. « Je suis, dit-il un jour en chaire, un prédicateur « bien peu 310

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle stable et bien incertain. Que de fois déjà ne « suis-je pas parti tout à coup sans vous avoir salué? Si ce « cas se représentait encore, et que je ne dusse pas revenir, recevez ici mes adieux. » Puis, ayant ajouté quelques autres mots, il finit en disant avec modération et avec douceur : « Je vous avertis, enfin, de ne pas vous laisser épouvanter si les censures papales se décharnent sur moi « avec furie. Ne l'imputez pas au pape, et n'en veuillez de « mal ni à lui ni à quelque mortel que ce soit; mais remettez toute la chose à Dieu '. [13] »

Le moment parut enfin arrivé. Le prince fit entendre à Luther qu'il désirait le voir s'éloigner de Wittemberg. Les volontés de l'Électeur lui étaient trop sacrées pour qu'il ne s'empressât pas de s'y conformer. Il fit donc ses préparatifs de départ, sans trop savoir de quel côté il dirigerait ses pas. Il voulut pourtant réunir une dernière fois ses amis, et il leur prépara, dans ce dessein, un repas d'adieu. Assis avec eux à la même table, il jouit encore de leur douce conversation, de leur tendre et craintive amitié. On lui apporte une lettre... Elle vient de la cour. Il l'ouvre et la lit; son cœur se serre : elle renferme un nouvel ordre de départ. Le prince lui demande « pourquoi il tarde si longtemps à s'éloigner. » Son âme fut accablée de tristesse.

Cependant il reprit courage, et, relevant la tête, il dit avec fermeté et avec joie, en portant ses regards sur ceux qui l'entouraient : « Père et mère m'abandonnent; mais le Seigneur me recueille [14]. » Il fallait partir. Ses amis étaient émus. — Qu'allait-il devenir? Si le protecteur de Luther le rejette, qui voudra le recevoir? Et l'Évangile, et la vérité, et cette œuvre admirable... tout sans doute va tomber avec l'illustre témoin.

La Réformation semble ne plus tenir qu'à un fil; et au moment où Luther quittera les murs de Wittemberg ce fil ne se rompra-t-il pas? Luther et ses amis parlaient peu.

Frappés du coup qui atteignait leur frère, des larmes coulaient de leurs yeux. Mais quelques instants après un second message arrive. Luther ouvre la lettre, ne doutant point d'y trouver une sommation nouvelle. Mais, ô main puissante du Seigneur ! pour le moment il est sauvé. Tout a changé d'aspect. « Comme le nouvel envoyé « du pape espère, lui écrit-on, que tout pourra s'arranger « au moyen d'un colloque, restez encore

'.[15] » Que cette heure fut importante ! et que fut-il arrivé si Luther, toujours empressé à obéir à la volonté de son prince, eût quitté Wittemberg aussitôt après sa première lettre? Jamais Luther, et l'œuvre de la Réformation ne furent plus bas que dans ce moment-là. C'en était fait, semblait-il, de leurs destinées; un instant suffit pour les changer. Parvenu au plus bas degré de sa carrière, le docteur de Wittemberg remonta rapidement et son influence dès lors ne cessa de croître. L'Éternel commande, selon le langage d'un prophète, et ses serviteurs descendent aux abîmes et remontent aux cieux.

Spalatin fit appeler Luther à Lichtenberg pour avoir, d'après les ordres de Frédéric, une entrevue avec lui. Ils y parlèrent longuement de la situation des choses. « Si les «

censures de Rome arrivent, certainement, dit Luther, je ne demeurerai pas à Wittemberg. — Gardez-vous, reprit « Spalatin, de trop précipiter votre voyage en France [16]... » Il le quitta en lui disant d'attendre ses avis. « Recommandez seulement 311

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle mon âme à Christ, disait Luther à ses « amis. Je vois que mes adversaires s'affermissent dans le « dessein de me perdre; mais Christ m'affermit en même « temps dans celui de ne pas leur céder [17]. »

Luther publia alors les Actes de la Conférence d'Augsbourg. Spalatin lui avait écrit, de la part de l'Électeur, de ne point le faire; mais il était trop tard. Le prince, une fois la publication faite, y donna son approbation : « Grand « Dieu! disait Luther dans la préfacé, quel nouveau, quel « étonnant crime, que de chercher la lumière et la vérité !...

« et surtout dans l'Église, c'est-à-dire dans le royaume de « la vérité. » — « Je t'envoie mes Actes, écrivait-il à Link : « ils sont plus tranchants que le seigneur légat ne l'a sans « doute espéré; mais ma plume est prête à enfanter de « bien plus grandes choses.

Je ne sais moi-même d'où me « viennent ces pensées. A mon avis, l'affaire n'est pas «

même commencée [18], tant il s'en faut que les grands « de Rome puissent déjà en espérer la fin. Je t'enverrai ce « que j'ai écrit, afin que tu voies si j'ai bien deviné en «

croyant que l'Antéchrist dont parle saint' Paul règne « maintenant dans la cour de Rome. Je crois pouvoir dé« montrer qu'il est pire aujourd'hui que les Turcs eux« mêmes.

»

De partout revenaient à Luther de sinistres rumeurs. Un de ses amis lui écrivit que le nouvel envoyé de Rome avait reçu l'ordre de se saisir de lui et de le livrer au pape. Un autre lui rapporta qu'étant en voyage il s'était rencontré quelque part avec un courtisan, et que la conversation s'étant engagée sur les affaires qui préoccupaient alors l'Allemagne, celui-ci lui avait déclaré avoir pris l'engagement de remettre Luther entre les mains du souverain pontife. « Mais plus leur furie et leur violente augmentent, écrivait le réformateur, moins je « tremble'[19].

On était à Rome très mécontent de Cajetan. Le dépit qu'on éprouvait de voir échouer cette affaire se porta d'abord sur lui. Les courtisans romains se crurent en droit de lui reprocher d'avoir manqué de cette prudence et de cette finesse qui, à les en croire, devaient être les premières qualités d'un légat, et de n'avoir pas su faire plier, dans une occasion si importante, la roideur de sa théologie scolastique. C'est à lui qu'est toute la faute, disait-on. Sa lourde pédanterie a tout gâté. Pourquoi avoir irrité Luther par des injures et des menaces, au lieu de le ramener par la promesse d'un bon évêché, ou même d'un chapeau de cardinal [20]?

Ces mercenaires jugeaient du réformateur d'après eux-mêmes. Cependant, il fallait réparer cette faute. D'un côté, Rome devait se prononcer; de l'autre, elle devait ménager l'Électeur, qui pouvait lui être très utile pour le choix qu'on allait bientôt être appelé à faire d'un empereur. Comme il était impossible à des ecclésiastiques romains de soupçonner ce qui faisait la force et le courage de Luther, ils s'imaginaient que l'Électeur était beaucoup plus impliqué dans l'affaire qu'il ne l'était réellement. Le pape résolut donc de suivre une autre ligne de conduite. Il fit publier en Allemagne, par son légat, une bulle dans laquelle il confirmait la doctrine des indulgences, précisément dans les points attaqués, mais où il ne parlait ni de l'Électeur ni de 312

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Luther. Comme le réformateur avait toujours dit qu'il se soumettrait à la décision de l'Église romaine, le pape pensait qu'il devait maintenant, ou tenir sa parole, ou se montrer ouvertement perturbateur de la paix de l'Église, et contempteur du Saint-Siège apostolique. Dans l'un et dans l'autre cas le pape semblait n'avoir qu'à gagner; mais on ne gagne rien à s'opposer avec obstination à la vérité. En vain le pape avait-il menacé de l'ex-, communication quiconque enseignerait autrement qu'il ne l'ordonnait; la lumière ne s'arrête pas à de tels ordres. Il eût été plus sage de tempérer par certaines restrictions les prétentions des vendeurs d'indulgences. Ce décret de Rome fut donc une nouvelle faute.

En légalisant des erreurs criantes, il irrita tous les hommes sages, et il rendit impossible le retour de Luther. « On crut, dit un historien catholique, grand ennemi de la Réformation I, que « cette bulle n'avait été faite que pour l'intérêt du pape et des quêteurs, qui commençaient à ne plus trouver « personne qui leur voulût rien donner pour ces indulgences. »

Le cardinal de Vio publia le décret à Lintz en Autriche, le 13 décembre 1518; mais déjà Luther s'était mis à l'abri de ses atteintes. Le 28 novembre il en avait appelé, dans la chapelle du Corps-de-Christ à Wittemberg, du pape à un concile général de l'Église. Il prévoyait l'orage qui allait fondre sur lui; il savait que Dieu seul pouvait le conjurer; mais ce qu'il était lui-même appelé à faire, il le fit. Il devait sans doute quitter Wittemberg, ne fût-ce même qu'à cause de l'Électeur, aussitôt que les malédictions romaines y seraient arrivées : toutefois, il ne voulait pas abandonner la Saxe et l'Allemagne sans une éclatante protestation. Il la rédigea donc; et afin qu'elle fût prête à être répandue au moment où l'atteindraient les fureurs de Rome, comme il s'exprime, il la fit imprimer, sous la condition expresse que le libraire en déposerait chez lui tous les exemplaires.

Mais cet homme, avide de gain, les vendit presque tous, tandis que Luther en attendait tranquillement le dépôt. Luther s'en fâcha ; mais la chose était faite. Cette protestation hardie se répandit partout. Luther y déclarait de nouveau qu'il n'avait pas l'intention de rien dire contre la sainte Église, ni contre l'autorité du siège apostolique et du pape bien conseillé. « Mais, continue-t-il, attendu « que le pape, qui est le vicaire de Dieu sur la terre, « peut, comme tout autre homme, errer, pécher, men« tir, et que l'appel à un concile général est le seul moyen « de salut contre des actions injustes, auxquelles il est « impossible de résister, je me vois obligé d'y avoir recours [21]. »

Voilà donc la Réformation lancée sur un terrain nouveau. Ce n'est plus du pape et de ses résolutions qu'on la fait dépendre, c'est d'un concile universel. Luther s'adresse à toute l'Église, et la voix qui part de la chapelle du Corps-de-Christ doit parcourir tous les troupeaux du Seigneur. Ce n'est pas le courage qui manque au réformateur; il en donne une preuve nouvelle. Dieu lui manquera-t-il ? C'est ce que nous apprendrons les périodes diverses de la Réformation qui doivent encore se dérouler sous nos yeux.

313

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle ________________________________________

FOOTNOTES

[1] Weissmann., Rie Eccl., I. p. 1237. 1 Ps. CXXIV.

[2] Luth. Op. (L.), XVII, p. 202.

[3] Luth. Ep., I, p. 166.

[4] Luth. Op. (L.), 'VII, p. 183.

[5] Luth. Op. (L.), XVII, p. 203.

[6] Ego enim ubicumque ero gentium , illustrissime Dominationis tum nunquam non ero memor... o (Luth. Ep., I, p. 187.)

[7] Luth. Op. (L.), %Y11, p. 244.

[8] Luth. Ep., I, p. 198.

[9] Scultet. Annal., 1, p. 17.

[10] Studium uostrum more formicarum fervet. • (Luth. Ep., I, p. 193.)

[11] Quia Deus ubique. (Ibid., p. 188.)

[12] Ut priucipi nie in captkitatem &cern. s (Ibid., p. 189.)

[13] Deo rem committerent. a (Luth. Ep., I, p. 191.)

[14] Vater nad Butter 'adamien mie, aber der Herr airamt tttieh auf.

[15] Luth. Op., XV, p. 824.

[16] Ne tain cito in Galliam irem. (Luth. Ep., I, p. 195.)

[17] Firmat Christus propositum non cedendi in me. (Ibid., p. 193.)

[18] Res ista necdum habet iuitium suum, meo judicio. • (Luth. Ep., I, p. 193.)

[19] Quo illi magie furunt, et vi affectant viam, e0 minus ego terreor. s (Ibid., p. 19i.)

[20] Sarpi, Concile de Trente, p. 8. Maimbourg, p. 38.

[21] Uscher, Ref. Act.

FIN DU TOME PREMIER.

314

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