Histoire de la Réformation du Seizième Siècle_Vol 2 by Jean-Marie Merle D'Aubigne - HTML preview

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Le dévouement de Zwingle ne devait pas rester sans récompense. La Parole de Christ, prêchée avec tant d'énergie, devait porter des fruits. Plusieurs magistrats étaient gagnés; ils avaient trouvé dans la Parole de Dieu leur consolation et leur force. Affligé de voir les prêtres, et surtout les moines dire effrontément, du haut de la chaire, tout ce qui leur venait à l'esprit, le Conseil rendit un arrêté par lequel il leur ordonna de n'avancer dans leurs discours « que ce qu'ils auraient puisé « dans les sources sacrées de l'Ancien et du Nouveau Testament [28]. » Ce fut en 1520 que le pouvoir civil intervint ainsi pour la première fois dans l'œuvre de la Réformation, agissant en magistrat chrétien, disent les uns, puisque le premier devoir du 300

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle magistrat est de maintenir la Parole divine et de défendre les intérêts les plus précieux des citoyens; — ôtant à l'Église sa liberté, disent les autres, l'asservissant au pouvoir séculier et donnant le signal de cette série de maux qu'a enfantés depuis lors l'union de l'Église et de l'État. Nous ne prononcerons point ici dans cette grande controverse, qui de nos jours est soutenue en plusieurs pays avec tant de chaleur. Il nous suffit d'en signaler l'origine à l'époque de la Réformation. Mais il y a autre chose encore à signaler; l'acte de ces magistrats fut lui-même un effet produit par la prédication de la Parole de Dieu. La Réformation sortit alors en Suisse des simples individualités et entra dans le domaine de la nation. Née dans le cœur de quelques prêtres et de quelques lettrés, elle s'étend, elle s'élève, elfe prend position dans les lieux supérieurs. Comme les eaux de la mer, elle monte peu à peu, jusqu'à ce qu'elle recouvre une immense étendue.

Les moines étaient interdits; on leur ordonnait de ne prêcher que la Parole de Dieu, et la plupart ne l'avaient jamais lue. L'opposition provoque l'opposition. Cet arrêté devint le signal d'attaques plus violentes contre la Réformation. On commença à comploter -contre le curé de Zurich. Sa vie fut en danger. Un soir que Zwingle et ses vicaires s'entretenaient tranquillement dans leur maison, des bourgeois arrivèrent avec précipitation, leur disant : « Avez-vous de solides verrou aux portes? « Soyez cette nuit sur vos gardes. — Nous avions « souvent de telles alarmes, ajoute Stâheli; mais « nous étions bien armés [29], et l'on faisait pour nous « la garde dans la rue. »

On avait pourtant recours ailleurs à- des moyens plus violents encore. Un vieillard de Schaffhouse, nommé Galster, homme juste et d'une ardeur rare à son âge, heureux de la lumière qu'il avait trouvée dans l'Évangile, s'efforçait de la communiquer à sa femme et à ses enfants; son zèle, peut-être indiscret, attaquait ouvertement les reliques, les prêtres et les superstitions dont ce canton était rempli.

Il devint bientôt un objet de haine et d'effroi, même pour sa famille. Le vieillard, présageant de funestes desseins, quitta, le cœur brisé, sa maison, et s'enfuit dans les forêts voisines. vécut là quelques jours, se nourrissant de ce qu'il pouvait trouver, quand tout à coup, c'était la dernière nuit de Pan 1520., des flambeaux éclairèrent en tous sens la forêt, et des cris d'hommes, des aboiements de chiens furieux retentirent sous ses sombres ombrages. Le Conseil avait ordonné une battue dans les bois pour le découvrir. Les chiens trouvèrent leur proie.

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FOOTNOTES

[1] Quum ergo °mues homines in Adamo mortui sunt.... donec per Spiritum et gratiam Dei ad vitam que Deus est excitentur. ( Zw. Opp. I, p. 203.)— Ces paroles et d'autres que nous avons citées, ou que nous citerons encore, sont tirées d'un écrit que Zwingle publia en 1523, et où il recueillit en corps de doctrine ce qu'il prêchait 301

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle déjà alors depuis plusieurs années. ‘ Hic recensere ccepi, dit-il lui-même, quz ex verbo Dei prtedicavi. ( Ibid., p. 228. )

[2] Christus verus homo et verus Deus. ... (Ibid., p. w6.)

[3] Deus enim aaternus, quum sit qui pro nabis moritur passionem ejus aeternam et perpetuo salutarem esse oportet. ( Ibid.)

[4] Mon voluit ut nos vitae restitueret ( Ibid., p. 204. )

[5] Necesse fuit ut voluntas humana in Christo se divinge submitteret. (Ibid. )

[6] Hostia est et victima, satisfaciens in seternum pro pèccatis omnium fidelium.

( Ibid., p. 253. Expurgata peccata multi-tudinis, hoc est, fidelis populi. (Ibid., p. 264.)

[7] Sequitur meritum nostrorum operum, nihil esse quam vanitatem et stultitiam, ne dicam impietatcm et ignorantem impudentiam. ( Ibid., p. 290. )

[8] Qubtqtiot ad Deum venerunt unquam, per mortem Christi ad Dèum'venisse.

(Ibid.

[9] Certus est quod quidquid ex Deo est, bOntini sit. Si erg0 Evangehum ex Deo, bonum est. ( Ibid., p. 208. )

[10] !. Quanta caritate nos titres et perduelles.... ( Ibid., 207.)

[11] Tum enim totus a Christo pendet. Christus est ei ratio, çonsilium, justifia, innoeentia et tota salus. Christus in eo vivit, in eo agit. ( Ibid, p. 233. )

[12] Bonus vir in amore justitios liber et Lieus vivit. (Lbid., p. 234-)

[13] Ubi Deus, illic cura est et studium, ad opera bons urgens et impellens.... (Ib. p.

2:3.)

[14] Vita ergo pii hominis nihil &Und est, nisi perpetua qurdam et' indefessa boni operatio, quam Deus incipit, ducit et absolvit... ( Ibid., p. 295.)

[15] Quum ergo Deus pater nos elegit ex gratia sua, traxitque et vocavit, cuir eum accedere non auderemus? (lb., p. 287. )

[16] Quam concors sit spiritus Dei, dum nos tam prcicul dissiti, nihil colludentes, tam concorditer Christi doctrinal docemus. (Zw. Opp. I, 276.)

[17] Quam fortin sis in Christo prsCdicando. (Zw. Epp., p. i 6o.)

[18] O Helvètiam longe feliciorem, si tandem liceat te a bellis conquiescerel (Zw.

Epp. z 28. )

[19] At video mendacium esse cum audiaris per imam Helvetiam. (Ibid. 135.) 302

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[20] Sequar te quoad potero... (Ibid. i34. )

[21] Ut capite felicis patrite nostrae a morbo erepto, sanitas tandem in reliqua membra reciperetur. (Ibid. 147.)

[22] Omnia sursum deorsumque moventur. ( Ibid. 142. ).

[23] Ut nihil proferre caput queat, cujus non contrarium e re-gione emergat. (Ibid.)

[24] Ecclesiam pute, ut sanguine parta est, ita sanguine instaurari. ( Ibid. 143.)

[25] Ro plates armabis Hercules qui &muni tot hactenus boum efferant. ( Ibid. 144. )

[26] E ti a mai fulmine Jovis istius fulminetav. ( Ibid.)

[27] Mise. Tig. II 679-696. Wirs I, 7g, 78.

[28] Vetuit eos Senatus quicquam prœdicare quod non ex sacrarum Literarum utriusque Testamenti fon tibus hausissent. ( Zw. Opp. III, 28.) Tome II. 3o

[29] Wir. waren •abeit gut gerüstet. ( Mise. Tig. 11, 68i. Wir1 1,334.) 303

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IX

Le malheureux vieillard fut traîné devant le magistrat, et sommé d'abjurer sa foi; comme il demeurait inébranlable, il fut décapité L'année dont cette sanglante exécution signala le premier jour, était à peine commencée, lorsque Zwingle vit arriver chez lui à Zurich un jeune homme d'environ vingt-huit ans, d'une belle stature, dont les dehors annonçaient la candeur, la simplicité et la timidité [1]. Il dit se nommer Berthold Haller. Zwingle, à ce nom,[2]' embrassa le célèbre prédicateur de Berne, avec cette affabilité qui donnait tant d'agrément à ses manières. Haller„

né à Aldingen en Wurtemberg [3], avait d'abord étudié à Rottweil sous Rubellus, puis à Pforzheim, où il avait eu Simler pour maître et Mélanchthon pour condisciple.

Les Bernois étaient alors décidés à appeler les lettres dans le sein de leur république, que les armes avaient rendue si puissante. Rubellus et Berthold, âgé de vingt et un ans, s'y rendirent. Quelque temps après, Haller fut nommé chanoine et phis tard prédicateur de la cathédrale. L'Évangile que Zwingle prêchait, était parvenu jusqu'à Berne ; Haller crut, et dès lors il désira voir cet homme puissant qu'il respectait déjà comme un père. Il alla à Zurich, où Myconius l'avait annoncé.

Ainsi se rencontrèrent Haller et Zwingle. Haller, l'homme plein de douceur, faisait à Zwingle la confidence de ses peines, et Zwingle, l'homme fort, lui inspirait du courage. « Mon esprit, disait un jour Berthold « à Zwingle, est accablé;... je ne puis supporter « tant d'injustices. Je veux abandonner la chaire et « me retirer à Bâle vers Wittenbach, pour ne plus « m'occuper que des saintes lettres. » —.« Ah, ré«

pondit Zwingle, moi aussi je sens le Couragement s'emparer de moi, quand je me vois injuste« ment déchiré. Mais Christ réveille ma conscience « par le puissant aiguillon de ses terreurs et de ses « promesses. il m'alarme en disant : Celui qui aura « honte de moi devant les hommes, j'aurai honte «de lui devant mon Père; et il me rend la paix « en ajoutant : Celui qui me confessera devant les « hommes, je le confesserai devant mon Père. O « mon cher Berthold, réjouissez-vous! Notre nom «

est écrit en traits ineffaçables dans les fastes des 'cc citoyens d'en haut [4]. Je suis prêt à mourir pour « Christ [5]. Que vos farouches oursins, ajoutait-il, « entendent la doctrine de Jésus-Christ, et vous « les verrez s'adoucir [6]. Mais il faut entreprendre

« cette tâche avec une grande douceur; de peur « que se retournant, ils ne se jettent sur vous avec furie. » Le courage revint à Haller. « Mon âme, « dit-il à Zwingle, s'est réveillée de son sommeil. « Il faut que j'évangélise. Il faut que Jésus-Christ « soit rétabli dans ces murs, d'où il a été si longtemps exilé'. [7] » Ainsi le flambeau de Berthold s'alluma au flambeau d'Ulric, et le timide Haller se jeta au milieu d'ours féroces, qui, grinçant les dents, dit Zwingle, cherchaient à le dévorer.

C'était cependant ailleurs que la persécution devait commencer en Suisse. La belliqueuse Lucerne se présentait comme un adversaire armé de pied en cap, et la lance en arrêt. L'esprit militaire dominait dans ce canton, ami des capitulations, et les grands de la cité fronçaient le sourcil dès qu'ils entendaient une parole de paix 304

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle propre à mettre un frein à leur humeur guerrière. Cependant, des écrits de Luther ayant pénétré dans cette ville, quelques habitants se, mirent à les parcourir. Quelle horreur les saisit! Il leur semble qu'une main infernale a tracé ces lignes; leur imagination s'effraye, leurs yeux s'égarent, et ils pensent voir leur chambre se remplir de démons, qui les entourent, et qui fixent sur eux leurs regards avec un sarcastique sourire [8].... Ils ferment précipitamment le livre et le jettent loin d'eux avec effroi. Oswald, qui avait entendu raconter ces singulières visions, ne parlait de Luther qu'avec ses amis les plus intimes, et se contentait d'annoncer simplement l'Évangile de Christ. On entendait néanmoins dans toute la ville ces cris : « Il faut brûler Luther et « le maître d'école, (Myconius) [9]! » « Je suis as« sailli par mes adversaires, comme un navire par « les tourmentes de la mer [10], » disait Oswald à l'un ale ses amis. Un jour, au commencement de 1520, il fut à l'improviste sommé de comparaître devant le Conseil. «Il vous est enjoint, lui dit-on, de ne « point lire les écrits de Luther à vos élèves, .de « ne pas le nommer devant eux, et même de ne «

jamais penser à lui [11]. » Les seigneurs de Lucerne prétendaient on le voit, étendre bien loin leur juridiction. Peu après, un prédicateur s'éleva en chaire contre l'hérésie.

Tout l'auditoire était ému; les regards se portaient sur Oswald, car quel autre que lui le prédicateur aurait-il pu avoir en vue ? Oswald demeurait tranquille à sa place, comme si la chose ne l'eût pas concerné. Mais au sortir de l'église, comme il marchait avec son ami, le chanoine Xylotect, l'un des conseillers, passa près d'eux, encore tout agité : «Eh bien ! » leur dit-il avec violence, « disciples de Luther, pourquoi ne défendez-vous pas votre maître? » Ils ne répondirent rien. « Je vis, disait Myconius, parmi des loups sauvages ; « mais j'ai cette consolation que les dents manquent à la plupart. Ils mordraient, s'ils le pouvaient, et « ne le pouvant, ils aboient. '».

Le Sénat s'assembla, car le tumulte croissait parmi le peuple. « C'est un luthérien, »

dit l'un des conseillers ; « c'est un propagateur de nouvelles « doctrines! » dit un autre; « c'est un séducteur de à la jeunesse! » dit un troisième. —« Qu'il comparaisse!

Qu’il comparaisse! » Le pauvre maitre d'école comparut, et entendit de nouveau défenses et menaces. Son âme simple était froissée, abattue. Sa douce épouse ne le consolait qu'en versant des larmes. « Chacun s'élève contre moi, » s'écriait-il dans son angoisse, « Assailli par tant de tempêtes, « où me tourner et comment échapper?... N'était « le secours de Christ, j'aurais depuis longtemps u succombé sous tant de coups I... » — « Qu'importe, » lui écrivit le docteur Sébastien Hofrneister, de Constance, « que Lucerne veuille ou non « vous garder? La terre est toute au Seigneur. Tout « pays est la patrie de l'homme courageux. Quand « nous serions les. lus méchants des hommes, notre « entreprise est juste, car nous enseignons la Parole« de Christ. »

Tandis que la vérité rencontrait à Lucerne tant d'obstacles, elle était victorieuse à Zurich. Zwingle travaillait sans relâche. Voulant méditer la sainte Écriture tout 305

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle entière dans les langues originales, il s'était mis avec zèle à l'étude de l'hébreu, sous la direction de Jean Boschenstein, élève de Reuchlin. Mais s'il étudiait l'Écriture, c'était pour la prêcher.

Le vendredi, les paysans, qui venaient en foule apporter leurs denrées au marché de la ville, se montraient avides de la Parole de Dieu. Pour satisfaire à ces besoins, Zwingle s'était mis dès le mois de décembre 1520 à exposer les Psaumes chaque vendredi, en se préparant sur le texte même. Les réformateurs unirent toujours des études savantes à des travaux pratiques; ces travaux étaient le but, ces études n'étaient que le moyen. Ils étaient à la fois hommes de cabinet et hommes du peuple.

Cette union de la science et de la charité est un trait caractéristique de cette époque.

Quant à ses prédications du dimanche, Zwingle, après avoir-exposé selon saint Matthieu la vie du Seigneur, montra ensuite, en expliquant les Actes des apôtres, comment la doctrine de Christ s'était répandue. Puis il exposa les règles de la vie chrétienne d'après les Épîtres à Timothée; il se servit de l'Épître aux Galates pour combattre les erreurs de doctrine, et il y joignit les deux Épîtres de saint. Pierre, pour montrer aux contempteurs de saint Paul qu'un même esprit animait ces deux apôtres; il termina par l'Épître aux Hébreux, afin d'exposer, dans toute leur étendue, les bienfaits qui découlent du don de Jésus-Christ, le souverain sacrificateur des chrétiens.

Mais Zwingle ne s'occupait pas seulement des hommes faits; il cherchait à apporter aussi à la jeunesse un feu sacré qui l’animaient. Un jour de cette année 1521, comme il était occupé dans son cabinet à étudier les Pères de l'Église, en recueillant les passages les plus frappants et les classant avec soin dans un gros volume, il vit entrer un jeune homme, dont la figure l'intéressa vivement' [12]. C'était Henri Bullinger, qui, de retour d'Allemagne, venait le voir, impatient de connaître ce docteur de sa patrie, dont le nom était déjà célèbre dans la chrétienté. Le beau jeune homme fixait successivement ses regards sur le Réformateur et sur ses livres; il y avait là comme une vocation à faire de même. Zwingle l'accueillit avec cette cordialité qui lui gagnait tous les cœurs. Cette première visite eut une grande influence sur toute la vie de l'étudiant, de retour aux foyers paternels.

Un autre jeune homme avait aussi gagné mon cœur; c'était Gérald Meyer de Knonau. Sa mère, Anna Reinhardt, qui occupa plus tard une place importante dans la vie de Zwingle, avait été d'une grande beauté, et ses vertus la distinguaient encore. Un jeune homme d'une famille noble, Jean Meyer de Knonau, élevé à la cour de l'Évêque de Constance, dont il était parent, avait conçu une vive passion pour Anna ; mais celle-ci appartenait à une famille bourgeoise. Le vieux Meyer de Knonau avait refusé son consentement à leur union, et après le mariage, avait déshérité son fils. En 1513, Anna resta veuve avec un fils et deux filles, et ne vécut plus que pour l'éducation de ses pauvres orphelins. Le grand-père était impitoyable.

Un jour cependant, la servante de la veuve ayant pris avec elle le jeune Gérald, 306

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle enfant plein de grâce et de vivacité, alors âgé de trois ans, et s'étant arrêtée avec lui sur le marché aux poissons, le vieux Meyer, qui se trouvait à une fenêtre [13], le remarqua, suivit ces yeux ses mouvements, et demanda à qui appartenait ce bel enfant, si brillant de fraîcheur et de vie. « C'est celui de « votre fils! »lui répondit-on.

Le cœur du vieillard s'émut; aussitôt ses glacés se fondirent; tout fut oublié, et il serra dans ses bras la femme et les enfants de son fils. Zwingle s'était attaché, comme à son, propre enfant, à ce jeune, noble et courageux Gérold, qui devait mourir, à la fleur de son âge, près du Réformateur, le glaive à la main, et entouré, hélas! Des cadavres de ses ennemis. Pensant que Gérold ne trouverait pas à Zurich assez de ressources pour ses études; Zwingle l'envoya, en 1591, à Bâle.

Le jeune de Knonau n'y rencontra pas Hédion, l'ami de Zwingle. Capiton, obligé d'accompagner l'archevêque Albert au couronnement de Charles-Quint s'était fait remplacer à Mayence par Hédion. Bâle avait ainsi perdu coup sur coup ses plus fidèles prédicateurs; cette église semblait abandonnée; mais d'autres hommes parurent. Quatre mille auditeurs se pressaient dans l'église de Guillaume Roubli, curé de Saint-Alban. Il attaquait la messe, le purgatoire et l'invocation des saints; mais cet homme turbulent et avide d'attirer sur soi l'attention publique, s'élevait contre les erreurs plutôt qu'en faveur de la vérité. Le jour de la Fête-Dieu, il se joignit à la grande procession, et, au lieu des reliques qu'on avait coutume de promener, il fit porter devant lui les saintes Écritures, magnifiquement reliées, .avec ces mots en grands caractères : « LA BIBLE : c'est « ici la vraie relique; les autres ne sont que des ossements de morts. » Le courage orne le serviteur de Dieu; l'affectation le dépare. L'œuvre d'un évangéliste est de prêcher la Bible, et non d'en faire un orgueilleux étalage. Les prêtres irrités accusèrent Roubli auprès du Conseil. Un attroupement couvrit aussitôt la place des Cordeliers. « Protégez « notre prédicateur, » dirent les bourgeois au Conseil. Cinquante dames de distinction intercédèrent en sa faveur; mais Roubli dut quitter Bâle. Il trempa plus tard, comme Grébel, dans les désordres anabaptistes. La Réformation, en se développant, rejeta partout la paille qui se trouvait mêlée au bon grain.

Alors, de la plus modeste des chapelles, se fit entendre une voix humble, annonçant avec clarté la- doctrine évangélique. C'était celle du jeune Wolfgang Wissemburger, fils d'un conseiller d'État et chapelain de l'hôpital. Tous ceux qui dans Bâle avaient des besoins nouveaux s'attachèrent au débonnaire chapelain, plus qu'à l'orgueilleux Roubli lui-même. Wolfgang se .mit à lire la messe en allemand. Les moines renouvelèrent leurs clameurs; mais cette fois ils échouèrent, et Wyssem-burger put continuer à prêcher l'Évangile; « car, « dit un vieux chroniqueur, il était bourgeois, et son père conseiller » Ces premiers succès de ta Réforme à Bâle en annonçaient de plus grands encore. En même temps, ils étaient d'une haute importance pour le progrès de cette œuvre dans toute la confédération. Zurich n'était plus seule. La savante Bâle commençait à entendre avec charme la nouvelle parole. Les bases du 307

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle nouveau temple s'élargissaient. La Réformation atteignait en Suisse un développement plus avancé.

C'était pourtant à Zurich que se trouvait-le centre du mouvement. Mais des événements politiques importants, et qui déchirèrent le cœur de Zwingle, vinrent, pendant le cours de l'an 1523, distraire en quelque manière les esprits, de la prédication de l'Évangile. Léon X, qui avait offert à la fois son alliance à Charles-Quint et à François 1er, s'était enfin décidé pour l'Empereur. La guerre entre les deux rivaux allait éclater en Italie. « Il ne restera du pape que ses oreilles'', [15]»

avait dit le général français Lautrec. Cette mauvaise plaisanterie augmenta la colère du pontife. Le roi de France réclama le secours des cantons suisses, qui, à l'exception de Zurich, s'étaient alliés avec lui; il l'obtint. 'Le pape se flatta d'engager Zurich dans sa cause, et le cardinal de Sion, toujours intrigant, se confiant en son habileté et en son éloquence, accourut dans cette cité, pour obtenir des soldats en faveur de son maitre. Mais il éprouva de la part de son ancien ami Zwingle une vigoureuse opposition.- Celui-ci s'indignait à la pensée de voir des Suisses vendre leur sang à l'étranger; son imagination lui représentait déjà les glaives des Zurichois se croisant, sous l'étendard du pape et de l'Empereur, dans les plaines de l'Italie, avec les glaives des confédérés réunis sous les drapeaux de la France; et à ces scènes fratricides son âme patriotique et chrétienne frémissait d'horreur.

Il tonnait de la chaire : « Voulez-vous déchirer et renverser la confédération ? On se jette sur les loups qui dévorent les bêtes -de nos troupeaux, et l'on ne fait « aucune résistance à ceux qui tournent autour de « nous pour dévorer des hommes! [16] ...

Ah ! C’est avec raison que les manteaux et les chapeaux qu'ils portent, sont rouges; secouez ces vêtements, il en « tombera des ducats et des couronnes : mais tordiez-les, et vous en verrez ruisseler le sang de « votre frère, de votre père, de votre fils et de «

votre meilleur ami... [17] Zwingle fit entendre en vain sa voix énergique. Le cardinal au chapeau rouge réussit; et deux mille sept cents Zurichois partirent sous le commandement de Georges Bergues. Zwingle en eut l'âme brisée. Son influence ne fut pourtant pas perdue. De longtemps les bannières de Zurich ne devaient plus se déployer et sortir des portes de la ville pour des princes étrangers.

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FOOTNOTES

[1] Wirz I, 51o. Sebast. Wagner, von Kirchhofer, p. ;8.

[2] Animi tui candorem, simplicem et simplicitatem candidissimam, hac tua pusilla qmidem epistola.... ( Zw. F,pp. p. i86. )

[3] Ita ipse in literis MSC. ( J. J. Hott. III. 54.)

[4] Scripta tamen habeatur in (astis supernorum civium. (Zw. Epp. p. 186. ) 308

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[5] Ut mori pro Christo non usque adeo detrectem apud me. (Ibid. 187. )

[6] Ut ursi tui ferociusculi, audita Christi doctrina, man-suescere incipiànt.

(Ibid. )— On sait que Berne porte un ours dans ses armes.

[7] Christum, cucullatis nugis longe a nobis exulem... pro virili restituerim.... (Ibid.)

[8] Dum Lutherum semel legerint, ut putarent stubellam suam plenam esse doemonibus.... ( Zw. Epp. 137.)

[9] Clamatur hic per totam civitatem Lutherumcomburendum et ludi magistrum.

(Ibid. 153.)

[10] Non aliter me impellunt quam procellœ mariste 'mem, aliquam. (Ibid. 159.)

[11] Imo ne in mentem eum admitterem. (Ibid.)

[12] Ich hal) by Im ein gross Buch gesehen, Locorum com-munium, Als ich by Ihm wass, A°. 1521, dorinnen er Senten-tias und dogrnata Patrum, flyssig Jedes an seinem ort ver-zeichnet. (Bullinger MSC.)

[13] Lüget dess Kindts grossvater zum f4nster uss, und ersach das kind in der lischerbrànten (Kure ), so fràch (frisch) imd &Mich sitzen... (Archives des Meyer de Knonau,.citées dans une notice sur Anna Reinhard, Erlangen 1835 par M. Gérold Meyer de Knonau.) Je dois à la complaisance de cet ami quelques recherches sur des points obscurs de la vie de Zwingle.

[14] Dieweil er ein Burger war und sein Vater des Rattes. (Fridolin Ryff's Chronik.)

[15] Disse che M. di Lutrech et M. de l'Escu havia ditto che'I voieVa che le recchia del papa fusse la major parte restasse di la so persona. (Gradenigo, ambass. venit. à Rome, MSC. 1523.)

[16] Sagt wie es ein fromme Eidtgnossschafft zertrennen und umbkehren wiirde.

(Bullinger MSC.)

[17] Sie tragen billig rothe hüt und mantel, dan schute nian sie, so fallen Cronen und Duggaten heraus, winde man sie, so tint deines Bruders, Vaters, Sohns und guten Freunds Bic heraus. ( Ibid. )

309

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE X

Froissé dans ses sentiments comme citoyen, Zwingle se consacra avec un nouveau zèle à annoncer l'Évangile. Il prêchait avec une énergie croissante. « Je ne cesserai, disait-il de travailler à « restaurer l'antique unité de l'Église de Christ [1].» Il commença l'année 1522, en montrant quelle différence il y a entre les préceptes de l'Évangile et, les préceptes des hommes. Le temps du carême étant arrivé, il éleva la voix avec plus de force encore. Après avoir posé les fondements de l'édifice nouveau, il voulait déblayer les décombres de l'ancien. « Depuis quatre ans, » dit-il à la foule assemblée dans la cathédrale, « vous avez reçu avec une soif ardente la sainte doctrine de l'Évangile. « Embrasés des flammes de la charité rassasiés des douceurs de la manne céleste, il vous est « impossible de trouver encore quelque goût aux

«tristes aliments des traditions humaines [2]. » Puis, attaquant l'abstinence obligée des viandes en certains temps : « Il en est, » s'écria-t-il, avec sa rude éloquence, « qui prétendent que manger de la « viande est un mal, et même un grand péché, « bien que Dieu ne l'ait jamais défendu, et qui ne « regardent pas comme un crime de vendre à l'étranger de la chair humaine et de la traîner à la « boucherie [3]!... » A ces mots hardis les amis des capitulations militaires, qui se trouvaient dans l'assemblée, tressaillirent d'indignation et de colère, et jurèrent de ne pas l'oublier.

Tout en prêchant avec tant de force, Zwingle disait encore la messe; il observait les usages établis par l'Église, et s'abstenait même de viande aux jours fixés. Il était persuadé qu'il fallait d'abord éclairer le peuple. Mais certains esprits turbulents n'agissaient pas avec autant de sagesse. Roubli, réfugié à Zurich, se laissait aller aux écarts d'un zèle exagéré. L'ancien curé de Saint-Alban un capitaine bernois, et un membre du grand Conseil, Conrad Buber, se réunissaient souvent chez ce dernier, pour manger de la viande le vendredi et le samedi, et ils en tiraient gloire.

La question du maigre préoccupait tins les esprits. Un Lucernois étant venu à.

Zurich: « Vous autres, chers confédérés de Zurich, », dit-il à l'un de ses amis de cette ville, « vous faites mal de manger de la viande « pendant le carême. »— Le Zurichois : « Vous prenez pourtant aussi la liberté, messieurs de Lu« cerne, d'en manger dans les jours défendus. »— Le Lucernois : « Nous l'avons achetée du pape.

»— Le Zurichois -: « Et non du boucher.... Si c'est « d’argent, qu’il s'agit en cette affaire, l'un vaut « bien l'autre assurément '. » Le Conseil ayant reçu plainte contre les transgresseurs des ordonnances ecclésiastiques, demanda l'avis des curés.

Zwingle répondit que l'action de manger de la viande tous les jours n'était pas blâmable en elle-ma ne; trais que l'on devait s'abstenir de le faire* tant que l'autorité compétente n'aurait rien décidé à cet égard. Les autres membres du clergé adhérèrent à cet avis.

Les ennemis de la vérité profitèrent de cette circonstance heureuse. L'influence leur échappait; la victoire demeurait à Zwingle; il fallait se hâter de frapper un grand 310

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle coup. Ils assaillirent l'évêque de Constance. « Zwingle, s'écriaient-ils, est le destructeur du troupeau, et non son' pasteur'. [4] »

L'ambitieux. Faber, l'ancien ami de Zwingle, était revenu plein de zèle pour la papauté, d'un voyage qu'il venait de faire à Rome. C'est des inspirations de cette ville superbe que devaient sortir les premiers troubles de la Suisse. Il fallait une lutte décidée entre la vérité évangélique et les représentants du Pontife romain.

C'est dans les attaques qu'on lui livre, que la vérité prend surtout ses forces. Ce fut à l'ombre- de l'opposition et de la persécution que le christianisme naissant acquit cette puissance qui renversa tous ses ennemis. Dieu voulut conduire sa vérité, à l'époque de cette renaissance dont nous bisons l'histoire, dans ces sentiers difficiles.

Les sacrificateurs se levèrent alors, comme au temps des apôtres, contre la doctrine nouvelle. Sans ces attaques, elle fût peut-être demeurée obscurément cachée dans quelques âmes fidèles. Mais Dieu veillait pour la manifester au nende. L'opposition lui ouvrit de nouvelles portes, la lança dans une carrière, nouvelle, et fixa sur elle les yeux de la nation. Ce fut comme le coup de vent, dispersant au loin des -

semences, qui sans- cela peut-être fussent restées oisives dans le lieu qui les recélait.

L'arbre, qui devait abriter les populations helvétiques, était bien planté au fond de leurs vallées, mais il fallait des orages pour affermir ses racines, et pour déployer ses rameaux. Les partisans de la papauté, voyant le feu qui couvait dans Zurich, se précipitèrent dessus pour l'étouffer, et ils ne firent qu'étendre au loin ses flammes.

Le 7 avril 1522, après-midi, on vit entrer dans les murs de Zurich trois ecclésiastiques, députés, de l'Évêque de Constance; deux d'entre eux avaient un air grave et irrité; le troisième paraissait plus doux; c'étaient le coadjuteur de l'Évêque, Melchior Battli, le docteur Brencli, et Jean Vanner, prédicateur de la cathédrale, homme évangélique, et qui garda le silence pendant toute l'affaire. Il était déjà nuit, quand Luti, accourant chez Zwingle, lui dit : «Des « officiers de l'Évêque sont arrivés; un grand coup « se prépare; tous les partisans des anciennes coutumes s'agitent. Un notaire convoque tous les prêtres pour demain matin de bonne heure, dans la salle du chapitre. »

L'assemblée du clergé &étant en effet réunie le lendemain, le 'coadjuteur se leva et prononce un discours que ses adversaires trouvèrent plein de violence et d'orgueil

[5] ; il affecta cependant de ne pas prononcer le nom de Zwingle. Quelques prêtres, récemment gagnés à l'Évangile, et faibles encore, furent anéantis; leur pâleur, leur silence, leurs soupires montraient qu'ils avaient perdu tout courage' [6]. Zwingle se leva et prononça un discours qui ferma la bouche aux adversaires. A Zürich, comme dans les autres cantons,- les plus violents ennemis de la nouvelle doctrine se trouvaient dans le petit Conseil. La députation, battue devant le clergé, porta ses plaintes devant les magistrats; Zwingle était absent, elle n'avait donc pas de réplique à redouter. L'effet parut décisif. On allait condamner l'Évangile et son défenseur sans l'entendre. Jamais la Réformation ne courut en Suisse de plus 311

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle grands date‘ Bers. Elle allait être étouffée dans son berceau. Les conseillers, amis de Zwingle, invoquèrent alors la juridiction du grand conseil; c'était la seule planche de salut qui leur restât encore, et Dieu S'en servit pour sauver la cause de l'Évangile.

Les Deux-Cents furent convoqués. Les partisans de la papauté firent tout pour que Zwingle n'y fût pas admis. Zwingle fit toi» Rami' y paraitre. Il frappait t toutes les portes et remuait, dit-il, toutes les pierres [7]; mais en vain! —« Cela est impossible, disaient les Bourgmestres; je déconseille a arrêté le contraire. » —« Alors, rapporte Zwingle„, je demeurai tranquille, « et je portai la clause avec de, grande soupirs devant « Celui -qui entend les gémissements des captifs, « le suppliant de défendre lui-même son Evangile [8]. L'attente pleine de patience et de soumission des serviteurs de Dieu ne les a jamais trompés.

Le 9 avril, les Deux-Cents s'assemblèrent. « Nous « voulons avoir ici nos pasteurs ! »

dirent aussitôt les amis de 14 résignation qui en étaient membres. Le petit conseil résistait; mais le grand conseil arrêta que les pasteurs seraient présents l'accusation, et répondraient même s'ils le jugeaient convenable. Les députés de Constance furent introduits, puis les trois curés de Zurich, Zwingle, Engelhard et le vieux Bceschli.

Après que les adversaires, ainsi en présence les uns des autres, se furent quelque temps mesurés de le coadjuteur se leva. « Si son cœur et « sa tête eussent été l'égal de sa voix, dit Zwingle, « il eût surpassé pour la douceur Apollon et Or« pliée, et pour la force les Gracques et Démosthène. »

—« La -constitution civile,» dit le champion de la papauté, « et la foi chrétienne elle-même sont menacées. Il a paru des hommes qui enseignent « des doctrines nouvelles, choquantes, séditieuses. Puis, après bien des paroles, fixant ses regards sur le sénat assemblé devant lui ' Demeurez avec l’Eglise ! dit-il, demeurez dans l'Église! Hors d'elle « nul ne peut être sauvé. Les cérémonies seules peuvent amener les simples à la connaissance du « salut z; et les pasteurs des troupeaux n'ont autre

« chose à faire qu'à en expliquer au peuple la signification. [9]

Aussitôt que le Coadjuteur eut achevé son discours, il se leva ;.et déjà il s'apprêtait avec les siens à quitter la salle du conseil, quand Zwingle lui dit vivement : «

Monsieur le Coadjuteur, et vous qui l'accompagnez, demeurez, je vous prie, jusqu'à ce que je me sois justifié. »

LE COADJUTEUR.

« Nous ne sommes chargés de disputer avec qui « que ce soit. »

ZWINGLE

Je veux, non disputer, mais vous exposer sans « crainte ce que j'ai enseigné jusqu'à cette heure. »

312

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle LE BOURGMESTRE BOUST aux députés de Constance.

« Je vous en prie, écoutez ce que le curé veut « répondre. n LE COADJUTEUR.

« Je sais trop à quel homme j'aurais affaire. Ulric

« Zwingle est trop violent pour qu'on discute avec. « lui!

ZWINGLE.

« Depuis quand attaque-t-on un innocent avec « tant de force et refuse-t-on ensuite de l'entendre? « Au nom de la foi qui nous est commune, au« nom du baptême que nous avons reçu Jeun et « l'autre, au nom de Christ, l'auteur du salut et de « la vie, écoutez-moi [9]. Si vous ne le pouvez comme « députés, faites-le du moins comme chrétiens. »

Après avoir fait une décharge en l'air, Rome quittait à pas précipités le champ de bataille. Le Réformateur ne demandait qu'à parler, et les agents de la papauté ne pensaient qu'à fuir. Une cause ainsi plaidée était déjà gagnée d'un côté-, et perdue de l'autre. Les Deux-Cents ne pouvaient plus contenir leur indignation ; un murmure éclatait dans l'assemblée [10]; le Bourgmestre pressa de nouveau les députés. Honteux, interdits, ils retournèrent à leur place. Alors Zwingle dit :-

« Monsieur le Coadjuteur parte de doctrines « séditieuses et qui renversent les lois civiles. Qu'il « sache que Zurich est plus tranquille et plus soumise aux lois qu'aucune autre ville des Helvétiens, ce que tous les bons citoyens attribuent « à l'Évangile. Le christianisme n'est-il pas le plus « puissant boulevard pour garder la justice au milieu d'un peuple'[11] ? Que font toutes les cérémonies, que farder honteusement le visage de Christ et des chrétiens [12]? Oui, il est une autre voie que ces vaines pratiques, pour amener le simple peuple « à la connaissance de la vérité. C'est celle que « Christ et les apôtres ont suivie; c'est l'Évangile « même! Ne craignons pas que le peuple aie le « comprenne! Quiconque croit, comprend. Le peuple peut croire, donc il peut comprendre. C'est ici « une œuvre de l'Esprit divin, et non de la raison humaine [13]. Au reste, que celui qui n'a pas assez « de quarante jours, jeûne, s'il le veut, toute l'année, peu m'importe! Tout ce que je demande, «

c'est que l'on ne contraigne personne à le bite, « et que pour une minime observance, on n'accuse « pas les Zurichois de se séparer de la communion « des chrétiens... »

« Je n'ai pas dit cela, » s'écria le Coadjuteur. ,

« Non, dit son collègue le docteur Brendi, il ne l'a point dit. Mais tout le Sénat confirma l'assertion de Zwingle.

« Excellents citoyens, continua celui-ci, que cette « accusation ne vous émeuve pas!

Le fondement «de l'Église, c'est ce rocher, ce Christ, qui a donné « à Pierre son 313

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle nom, .parce qu'il le confessait avec « fidélité, En toute nation, quiconque croit 'du cœur au Seigneur Jésus est sauvé. C'est hors de cette Église que personne ne peut avoir la Nie [15]. Expliquer, l’Évangile et le suivre, voilà pour noms, ministres de Christ, tout notre devoir. »

« Que ceux qui vivent des cérémonies, se chargent « de les expliquer! » C'était mettre le doigt sur la plaie.

Le Coadjuteur rougit et se tut. Les Deux-Cents se séparèrent. Le même jour ils arrêtèrent que le pape et les cardinaux seraient invités à expliquer le point controversé, et qu'en attendant, on s'abstiendrait de viande pendant le carême.

C'était laisser les choses sur le même pied, et répondre à l'Évêque en cherchant à gagner du temps.

Ce combat avait avancé l'œuvre de la Réformation. Les champions de Rome et de la doctrine nouvelle avaient été en présence, comme sous les yeux de tout le peuple; et l'avantage n'était pas demeuré aux premiers. C'était le premier engagement d'une campagne qui devait être longue, rude, et passer par bien des alternatives de deuil et de joie. Mais une première victoire, à l'ouverture d'une lutte, donne du courage à toute une armée et frappe d'épouvante l'ennemi. La Réformation s'était emparée d'un terrain qu'elle ne devait plus perdre : Si le Conseil se croyait encore obliger à quelques ménagements, le peuple proclamait hautement la défaite de Rome. «, Jamais; disait-il, dans l'exaltation du moment, ils ne pourront réunir de nouveau leurs troupes battues et dispersées'[16]. » «Vous avez, di-«.sait-on à Zwingle, attaqué avec l'esprit de saint « Paul ces faux apôtres et leur Ananias, ces parois «

blanchies . . . Les satellites de l'Antéchrist ne peu« vent plus que grincer les dents contre vous! » Des voix qui venaient du fond de l'Allemagne, le proclamaient avec joie « la gloire de la théologie renaissante [17]. »

Mais en même temps les ennemis de l'Évangile rassemblaient leurs forces. Il n'y avait pas de temps à perdre si on voulait l'atteindre; car il devait être bientôt hors de la portée de leurs coups. Hoffman remit au chapitre une longue accusation contre le Réformateur. « Quand même, disait-il, le curé « pourrait, prouver par témoins quels péchés, « quels désordres ont été commis par des ecclésiastiques dans tel couvent, dans telle rue, dans « tel cabaret, il ne devrait cependant nommer per«

sonne! Pourquoi donne-t-il à comprendre (il est « vrai que je ne l'ai presque jamais entendu moi« même ) que lui seul puise sa doctrine à la source « même, et que les autres ne la cherchent que dans « des égouts et dans des bourbiers [18]? N'est-il pas

« impossible, vu la diversité' des esprits, que tous « les prédicateurs prêchent de même? »

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FOOTNOTES

314

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[1] Ego veterem Christi Ecclesile unitatem instaurare non desinam. (Zw. Opp. III, 47. )

[2] Gustum non aliquis humanarum traditionum cibus vobis arridere'putuerit. ( Zw.

Opp. I, 2. )

[3] Aber menschenfleisch verkoufen und ze Tod schlahen.. -(Zw. Opp. II deuxième partie, p. 3ov.)

[4] Ibid. p. 8.—J, J. Hottinger (III, 77.) Ruchat (1 134 2rne édit.) et d'autres disent que Faber était à la tee de la députation. Zwingle nomme les trois députés et ne parle pas de Faber. Ces auteurs ont confondu sans doute deux charges différentes de la hiérarchie romaine, Celle de Coadjuteur et celle de Vicaire général. Tome II. 3

r

[5] Erat tota oratio vehetnens et stomachi superciliique plena. ( Zw. Opp. III, 8. )

[6] Infirmas qnosdam nuper Christo lucrifactos sacerdotes offensas ea sentirett, ex tacitis palloribus ac suspfiriis. (Ibid. ,P. 9.)

[7] Frustra diu movi omnem lapidem. (Zw. Opp. III, 9.)

[8] Ibi ego quiescere se suspiriis rem agere coepi apud eum qui audit gemitum compeditorue. (Ibid.) •

[9] Unicas esse per quas simplices christiani ad agoitionem salutis inducereutur.

(Zw. Opp. III, so.)

[10] Communem fidem, ob communem baptistuum, ob.

[11] Cbristum vitra salutisque auctorem. (Zw. Opp. 111, I 1.) s. Ccepit murmur audiri civium indignantium. ( ibid..)

[12] Imo Christianisnium ad corn/minerna justitiaru servaudam esse potentissimum. ( Zw. Opp. HF, 13. )

[13] Ceremonias haud quicquam aliud agere, quam et Christo. et ejus fidelibus os oblinere.

[14] Quidquid hic agiter divinolit afltttu, nonbuttiano ratio, cinia. (Ibid.)

[15].. Extra illam nestinetn salvari. (Zw. Opp..1U, 15..1

[16] Ut vulgo jactatum sit, nunquatn ultra copias sarturos. (Zw. Epp. 203.)

[17] Vale renascentis Theologiœ decus. (Lettre d'Urbain Re-t giu,s, Zw. Epp. 205.11.

[18] Die andern aber atisRinnen und lefiitzen. (Situtul.- S41011131 .Wir1 1, 244. ) 315

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE XI

Zwingle se justifia en plein chapitre, dissipant les accusations de son adversaire, «

comme un taureau qui de ses cornes disperse de la paille dans u airs' [1]. » L'affaire, qui avait paru si grave, se termina par des rires aux dépens du Chanoine. Mais Zwingle ne s'arrêta pas là; le 16 avril, il publia un écrit sur le libre usage des aliments' [2].

Cette fermeté inébranlable du Réformateur réjouissait les amis de la vérité, et particulièrement les chrétiens évangéliques de l'Allemagne, si longtemps privés, par la captivité de la Wartburg, du puissant apôtre qui avait le premier levé la tête au sein de l'Église. Déjà des pasteurs et des fidèles fugitifs, à la suite du décret impitoyable que la papauté avait obtenu à Worms, de Charles-Quint, trouvaient un asile dans Zurich. « Oh! Comme je « me réjouis, » écrivait à Zwingle, Nesse, ce professeur de Francfort, que Luther visita en se rendant à Worms, « d'apprendre avec quelle autorité vous annoncez Jésus-Christ! Affermissez par vos « paroles ceux que la cruauté des mauvais évêques « oblige à fuir loin de nos églises en deuil [3]. »

Mais ce n'était pas seulement en Allemagne que les adversaires tramaient des complots funestes contre les amis de la Réformation. Il ne se passait pas d'heure où l'on ne s'entretînt à Zurich des moyens de se débarrasser de Zwingle Un jour, il reçut une lettre anonyme, qu'il communiqua aussitôt à ses deux vicaires [4]. « De tous côtés des embûches Feus entourent, lui disait on ; tin poison martel est prêt pour vous, ôter la Nie [5]. Ife « mangez que dans vente maison, et que du pain « fait par votre propre cuisinière. Les murs de « Zurich renferment des hommes qui machinent « votre ruine. L'oracle qui me l'a révélé, est plus « véritable que celui de Delphes. Je suis des vôtres, « vous me connaîtrez plus tard [6].

Le lendemain du jour où Zwingle reçut cette, mystérieuse épître, au moment où Staheli allait entrer dans l'église de l'Eau, un chapelain l'arrêta et- lui dit : « Quittez en toute hâte la maison de « Zwingle; une catastrophe se prépare. » Des séides, désespérant de voir la Réformation arrêtée par la parole, s'armaient du poignard.

Lorsque de puissantes révolutions s'accomplissent dans la société, des assassins jaillissent ordinairement du fond impur des populations agitées. Dieu garda'

Zwingle.

Tandis que les meurtriers voyaient échouer leurs trames, les organes légitimes de la papauté s'agitaient de nouveau. L'Évêque et ses conseillers résolurent de recommencer la guerre. De toutes parts la nouvelle en vint à Zwingle. Le Réformateur, s'appuyant sur la Parole de Dieu, dit avec une noble fierté : «Je lés crains... comme un rivage escarpé craint les ondes menaçantes..., -tyuy`giphrp—

avec Dieu!» ajoute-t-il [7].

316

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le 2 mai, Évêque de Constance publia un mandement on, sans inom-vner ni Zurich, ni Zwingle, il se plaignait de ce que des gens artificieux renouvelaient -des

'doctrines condamnées, et de ce que savants et ignorants -discutaient en tous lieux -

sur les plus redoutables mystères. Le prédicateur de la cathédrale de Constance, Jean Wanner, fut le premier attaqué. «J'aime mieux, dit-il, 'être chrétien, avec la

'haine de plusieurs, que d'abandonner Christ pour l'amitié du monde'. [8]»

Mais c'était à ‘Zurich qu'il fallait écraser l'hérésie naissante; Fiber et l'Évêque savaient que &tringle .avait plusieurs ennemis parmi les chanoines. On voulut se servir de cette haine: Vers la fin de mai, arriva à Zurich une lettre de l'Évêque, adressée au Prévôt à son chapitre. « Fils de l'Église, -« disait le prélat, que ceux qui veulent périr, périssent! Mais que personne ne vous enlève à. [9] « » En même temps l'Évêque sollicitait les chanoines d'empêcher que les coupables doctrines qui

'enfantaient des sectes -pernicieuses, ne 'fussent prêchées dans leur sein et discutées, soit en particulier, soit en public. Cette lettre ayant été lue dans le chapitre, tous /es yeux se fixèrent sur Zwingle. Celui-ci, comprenant ce que ce regard signifiait : « Vous pensez, dit-il, je le vois, que ' « c'est moi que cette lettre concerne; veuillez me « la remettre, et, Dieu aidant, j'y répondrai. ».

Zwingle répondit dans son Archétélès, mot qui signifie « commencement et fin; ». «

car, dit-il, j'espère que cette première réponse sera aussi la « dernière. » il y parlait d'une manière très-respectueuse de l'Évêque et rejetait sur quelques intrigants, toutes les attaques de ses ennemis. « Qu'ai-je donc « fait? disait-il; j'ai appelé tous les hommes à la « connaissance de leurs propres plaies; je me suis «.efforcé de les amener au seul vrai Dieu et à Jésus« Christ, son fils. Je me suis servi pour' cela, non « d'exhortations captieuses, mais de paroles simples « et vraies, telles que les fils de la Suisse peuvent « les comprendre. » Puis, passant de la défense à l'attaque :

« Jules César, ajoutait-il avec finesse, « se voyant frappé à mort, s'efforça de rapprocher « les bords de son vêtement, afin de tomber avec « décence. La chute de vos cérémonies est proche! « Faites du moins qu'elles tombent convenablement, « et que la lumière soit partout promptement substituée aux ténèbres'. [10]»

Ce fut là tout le succès qu'obtint la lettre de l'Évêque au chapitre de Zurich. Puisque toutes les remontrances amicales étaient vaines; il fallait frapper des coups plus décisifs. Faber et Landenberg portent ailleurs leurs regards; c'est vers la Diète, vers le Conseil de la nation helvétique, qu'ils se tournent enfin' [11]. Des députés de l'Évêque y arrivent; ils exposent que leur maitre a défendu par un mandement à tous les prêtres de son diocèse d'innover dans les choses de doctrine ; que son autorité étant méconnue, il lime le secours des chefs de la Confédération, pour l'aider à maintenir dans l'obéissance les rebelles, et à défendre l'antique et véritable foi'. Les ennemis de la Réformation dominaient dans cette première assemblée de la nation. Déjà; peu auparavant, elle avait rendu un arrêté qui interdisait la prédication à tous les prêtres, dont les discours portaient, disait-on, la discorde 317

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle parmi le peuple. Cet arrêté de la Diète, qui, pour la première fois, s'occupait de la Réformation, n'avait pas eu de suite : mais maintenant, voulant sévir, cette assemblée cita devant elle Urbain Weiss, pasteur de Fislispach, près de Bade, que le bruit public accusait de prêcher la nouvelle foi et' de rejeter l'ancienne. Weiss fut relâché pour quelque temps sur l'intercession de plusieurs et sous la caution .de cent florins, que ses paroissiens présentèrent.

Mais la Diète avait pris parti; elle venait d'en faire preuve; partout le courage revenait aux moines et aux prêtres. A Zurich, déjà après le premier arrêté de cette emblée, mles *mit vue se Montrer plus impérieux. Plusieurs membres du Conseil avaient l'habitude de visiter, matin et soir, les trois couvents, et même d'y prendre leurs repos. Les dues endoctrinaient ces bénévoles commerciaux, et les sollicitaient de faire rendre au gouvernement un arrêté eu leur faveur. « Si Zwingle « ne veut pas se taire, disaient-ils, nous crieras « encore plus fort! » La Diète s'était rangée du côté des oppresseurs. Le conseil de Zurich en savait que faire. Le ' juin, il rendit une ordonnance, par laquelle il défendit de prêcher contre les moines: mais à peine l'arrêté était-il rendu, «qu'il se fit deus «la chambre du conseil un bruit soudaine dit la chronique de Bullinger„ ((en sorte que chacun se « regarda [12]. »

La paix, ne se rétablit point, le combat qui se livrait du haut de la chaire, s'échauffait toujours plus. Le conseil nomma une députation, qui fit comparaître dans la demeure du Prévôt los pasteurs de Zurich et les lecteurs et prédicateurs des couvents; après une vive discussion, le Bourgmestre enjoignit aux deux partis de ne rien prêcher qui pût troubler la concorde. « Je ne puis « accepter cette injonction, dit Zwingle; je veux « prêcher l'évangile librement, et une condition « aucune, conformément à l'arrêté qui a été rendu « précédemment. Je suis évêque et pasteur de Zuccrial; c’est à moi que le soin des âmes a été con« fié. J'ai prêté serment, et non les moines. Ce « sont eux qui doivent céder, et non pas moi. S'ils prêchent des mensonges, je les contredirai, et « jusque dans la chaire de leur propre couvent. Si «

moi-même je prêche une doctrine contraire au saint Évangile, alors je demande à être repris, « non-seulement par le chapitre, mais encore par « quelque citoyen que ce soit ; et de plus, à être « puni par le Conseil.» —« Nous, dirent les moines, « nous demandons qu'il nous soit permis de pré« cher les doctrines de saint Thomas. » La commission du Conseil, ayant délibéré, ordonna «qu'on « laissât là Thomas, Scot et les autres docteurs, et « qu'on ne prêchât que le saint Évangile. » Ainsi, la vérité avait encore une fois remporté la victoire. Mais la colère des partisans de la papauté s'en accrut. Les chanoines ultramontains ne pouvaient cacher leur colère. Ils regardaient Zwingle dans le chapitre avec impudence, et semblaient de leurs yeux demander sa vie'[13].

Ces menaces n'arrêtaient pas Zwingle. Il y avait un lieu dans Zurichois, grâce aux Dominicains, la lumière n'avait point encore pénétré : c'était le couvent de femmes d'Oetenbach. Les filles des premières familles de Zurich y prenaient le voile. Il 318

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle parut injuste que ces pauvres personnes, renfermées dans les murs de leur monastère, fussent les seules à ne point entendre la Parole de Dieu. Le grand conseil ordonna à Zwingle de s'y rendre. Le Réformateur monta dans cette chaire, livrée jusqu'alors aux Dominicains, et y prêcha « sur la «clarté et la certitude de la Parole de Dieu I. » II publia plus tard ce discours remarquable, qui ne demeura pas sans fruit et qui irrita encore plus les moines.

Une circonstance vint étendre cette haine et la porter dans beaucoup d'autres cœurs.

Les Suisses, ayant à leur tête Stein et Winkelried, venaient d'essuyer à la Bicoque une sanglante défaite. Ils s'étaient élancés avec impétuosité sur l'ennemi; mais l'artillerie de Pescaire et les lansquenets de ce Freundsberg, que Luther avait rencontré à.la porte de la salle de Worms, avaient renversé et chefs et drapeaux, et l'on avait vu tomber et disparaître tout à la fois des compagnies entières.

Winkelried et Stein, des Mulinen, des Diesbach, des Bonstetten, des Tschudi, des Pfyffer, étaient restés sur le champ de bataille. Schwitz, surtout, avait été moissonné. Les débris sanglants de cet affreux combat étaient rentrés' en Suisse, portant partout le deuil sur leurs pas. Un cri de douleur avait retenti des Alpes au Jura, et du Rhône jusqu'au Rhin.

Mais personne n'avait ressenti une peine aussi vive que Zwingle. Il écrivit aussitôt une adresse à Schwitz, pour détourner les citoyens de ce canton du service étranger.

« Vos ancêtres, n leur dit-il avec toute la chaleur d'un cœur suisse, ont combattu leurs ennemis pour défendre leur liberté; « mais ils n'ont jamais mis des chrétiens à mort, pour gagner de l'argent. Ces guerres étrangères «font fondre sur notre patrie d'innombrables calamités. Les fléaux de Dieu châtient nos peuples « confédérés, et la liberté helvétique est près de se « perdre entre tes caresses intéressées et les haines « mortelles de princes étrangers* [14]. « Zwingle donnait la- main à Nicolas de Flue, et renouvelait les instances de cet homme de paix. Cette exhortation ayant été présentée à l'assemblée du peuple de Schwitz, y produisit un tel effet qu'il y fut arrêté de s'abstenir provisoirement pendant vingt-cinq ans de toute capitulation.

Mais bientôt le parti français fit révoquer cette résolution généreuse, et Schwitz fut dès lors le canton le plus opposé à Zwingle et à son œuvre: Les disgrâces mêmes que les partisans des capitulations étrangères attiraient sur leur pays, ne faisaient qu'accroître la haine de ces hommes contre le ministre courageux qui s'efforçait d'Obliger de sa patrie tant d'infortunes et de honte. Il se forma de plus en plus dans la confédération un parti violent contre Zurich et contre Zwingle. Les coutumes de l'Église et les pratiques des embaucheurs, ensemble attaquées, s'appuyaient mutuellement, pour résister au souffle impétueux qui menaçait de les abattre à la fois. En même temps les ennemis se multiplièrent au dehors. Ce ne fut plus seulement le pape, mais ce furent encore les autres princes étrangers, qui jurèrent une haine impitoyable à la Réformation. Elle prétendait leur enlever ces hallebardes helvétiques auxquelles leur ,ambition et leur orgueil avaient, dû tant de 319

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle triomphes .... Il resta à la cause de l'Évangile Dieu et les plus excellents du peuple : c'était assez leurs, de diverses contrées, la Providence divine amenait à son aide des hommes poursuivis pour leur foi.

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FOOTNOTES

[1] Ut cornu vehemens taurus aristas. ( Zw. Epp., p. »3.)

[2] De delectu et libero ciborum usu. (Zw. Opp. I, p. s.)

[3] Et ut iis, qui oh malorum episcoporum sœv. itiam a nobis submoventur, prodes>e velis. (Zw. Epp. p. 208. )

[4] Nulla praeterierat bora, in qua non fierent... consulta? houes insidiosissittœ.

( Osw. Myc. Vit, Zvv.)

[5] °Eirotiect cripiumcc /uxpà. ( Zw. Zpp. 9g• )

[6] Ick agnosces me postea. ( Ibid.)

[7] Quos ita metuo, ut litus altum finetunit.undasintandium. (rZw. Epp. 2o3.)

[8] Malo esse Christianus cura multorum quam quere Christum propter mundanorum. amicitiam. (lbid. 200 du 22 mai. )

[9] Nemo vos taies ecciesiœ, de eeelesia .toHnt! (Zw. Opp, 35, )

[10] Nam er ein anderen weg an die Hand; schike seine Boten... etc. ( Buffinger MSC.)

[11] Und den wahren altea glanben erhallten. (Ibid.)*

[12] von einem jedem Bürger wyssen. (Bulling. MSC.)

[13] Oculos in me procacius torquent, ut cujus caput peti gauderent. ( Zw. Opp. III, 29.)

[14] 1 gôttlich Vermanung an die cérsamen, etc., eidgnossen zu Schwy1 (Zw. Opp.

II, 2e p. 206.) Tome II. 32

320

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE XII

Le samedi, 12 juillet, on vit entrer dans les rues de Zurich un moine, grand, maigre, roide et dont d’une pièce, revêtu du froc gris des cordeliers, monté sur une ânesse, portant une physionomie étrangère, et dont les pieds nus touchaient presque à terre

[1]. Il arrivait ainsi d'Avignon, et ne savait pas un mot d'allemand. Cependant, au moyen du latin, il parvint à e faire comprendre. François Lambert, c'était son nom demanda Zwingle, et lui remit une lettre de Berthold Haller et Ce père « franciscain, y disait le curé bernois, qui n'est « rien moins que le prédicateur apostolique du couvent général d'Avignon, enseigne depuis près de « cinq ans la vérité chrétienne; il' a prêché en latin « à nos prêtres, à Genève, à Lausanne, en présence « de l'Évêque, à Fribourg, et enfin à Berne, n'ai tant de l'Église, du sacerdoce, du sacrifice de la «

messe, des traditions des évêques romains, et des « superstitions des ordres religieux. Il me semblait « inouï d'entendre de telles choses d'un cordelier « et d'un Français, qualités qui supposent l'une et l'autre, vous le savez, une user de superstitions. [2]

Le Français raconta lui-même à Zwingle, comment les écrits de Luther ayant été découverts dans sa cellule, il avait été obligé de quitter en toute hâte Avignon; comment, le premier, il avait annoncé l'Évangile dans la ville de Genève, et ensuite près du même lac à Lausanne. Zwingle, plein de joie, ouvrit au moine l'église de Notre-Dame, et le fit asseoir dans le chœur, sur un siège, devant le' maître-autel [3].

Lambert y prononça quatre sermons, où il attaqua avec force les erreurs de Rome; mois dans-le quatrième il défendit l'invocation des saints et de Marie.

« Frère! Tu te trompés » lui cria aussitôt une voix animée. C'était celle de Zwingle.

Chanoines et chapelains tressaillirent de joie, en voyant s'élever une querelle entre le Français et l'hérétique curé. Sir Il vous a attaqué, dirent-ils tous à Lambert : «

demandez-lui une dispute publique! » Ainsi fit l'homme d'Avignon, et le 12 juillet, à dix heures, les deux champions-se réunirent dans la chambre de conférences des chanoines. Zwingle ouvrit l'Ancien et le Nouveau Testament, en grec et en latin; il discuta, il enseigna jusqu'à deux heures; et alors le moine français, joignant les mains et les levant vers le ciel' [4]: cc Je te rends grâces, ô Dieu, dit-il, « de ce que, par un organe si illustre, tu m'as donné une connaissance si claire de la vérité !

Désormais, ajouta-t-il en se tournant mers l'assemblée, dans toutes mes détresses j'invoquerai Dieu seul, et je laisserai là tous les chapelets. Demain je me remets en route, et je vais à Bâle voir Érasme de Rotterdam, et de là, à Wittenberg, voir le moine Augustin, Martin Luther. » Et il repartit en effet-sur son âne. Nous le retrouverons plus tard. C'était le premier homme sorti, pour la cause de l'Évangile, du pays de France, qui parut en Suisse et en Allemagne; modeste avant-coureur de beaucoup de milliers.

321

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Myconius n'avait pas de telles consolations : il dut voir au contraire Sébastien Hofmeister, qui était venu de Constance à Lucerne, et y avait prêché avec courage l'Évangile, obligé de quitter cette' cité. Alors la tristesse d'Oswald augmenta. Le climat humide de Lucerne lui était contraire ; la fièvre le consumait; les médecins lui déclarèrent que s'il ne changeait de séjour, il mourrait. « Je ne désire être nulle part plus que près de toi, écrivait-il à Zwingle, et nulle part moins qu'à « Lucerne.

Les hommes me tourmentent, et le climat me consume. Ma maladie, dit-on, est la «

peine de mon iniquité : ah! J’ai beau dire, beau cc faire, tout est poison pour eux ....

Il en est « un dans le ciel, sur qui seul mon espérance repose [5]»

Cette espérance ne fut pas vaine. C'était vers la fin de mars, et le jour de l'Annonciation approchait. L'avant-veille on célébrait une grande fête, en mémoire d'un incendie qui, en 1340, avait réduit en cendres la plus grande partie de la ville.

Déjà tune multitude de peuple des contrées environnantes peuplait Lucerne, et-plusieurs centaines de prêtres y étaient assemblés. Un orateur célèbre prêchait ordinairement en ce jour solennel. Le Commandeur des Johannites, Conrad Schmid de Kiisnaoht, arriva pour s'acquitter de cette fonction. Une foule immense remplissait l'église. Quel fut l'étonnement général en entendant le Commandeur laisser là l'étalage latin auquel on était accoutumé, parler en bon allemand', afin que chacun pût le comprendre, exposer avec autorité, avec une sainte ferveur l'amour de Dieu dans l'envoi de son Fils, prouver avec éloquence que les œuvres extérieures ne sauraient sauver, et que les promesses de Dieu sont véritablement l'essence de l'Évangile! «A Dieu « ne plaise, s'écria le Commandeur devant le peuple

« étonné, que nous recevions un chef aussi plein « de péchés que l'est l'Évêque de Rouie, et que « nous rejetions Jésus-Christ [6]. Si l'Évêque de Rome « distribue le pain de l'Évangile, recevons-le comme « pasteur, mais non comme chef, et s'il ne le distribue pas, ne le recevons en aucune manière. » Oswald ne se possédait pas de joie. « Quel homme! « s'écriait-il; quel discours! Quelle majesté! Quelle autorité !

Quelle abondance de l'Esprit de Christ ! [7]»

L'impression fut générale. A l'agitation qui remplissait la ville succéda un silence solennel; mais tout cela ne fut que passager. Si les peuples ferment l'oreille aux appels de Dieu, ces appels diminuent de jour en jour, et bientôt ils cessent. Ainsi en fut-il à Lucerne.

Tandis que la vérité y était annoncée du haut de la chaire, la papauté était attaquée à Berne dans les réunions joyeuses du peuple. Un laïque distingué, célèbre par ses talents poétiques, et qui fut porté aux premières charges de l'État, Nicolas Manuel, indigné de voir ses compatriotes pillés impitoyablement par Samson, composa des drames de carnaval, où il Attaqua, avec les armes mordantes de la satire, l'avarice, l'orgueil, le faste du pape et de son clergé. Le mardi gras « des Seigneurs » des Seigneurs étaient alors le clergé, et le clergé commençait le carême huit jours, avant le peuple), il n'était question dans Berne que d'un drame, d'un mystère, intitulé les 322

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle 111(4ngeurs de morts, que de jeunes garçons allaient représenter dans la rue de la Croix; et le peuple se pressait en foule à ce spectacle. Sous le rapport de l'art, ces ébauches dramatiques du commencement du seizième siècle offrent quelque intérêt; mais c'est, sous un tout autre point de vue que nous les rappelons; nous préférerions sans doute ne pas avoir à citer du côté de la Réforme des attaques de ce genre; c'est par d'autres armes que la vérité triomphe. Mais l'histoire ne crée pas, elle donne ce qu'elle trouve.

Enfin le spectacle commence au gré du public impatient, assemblé à la rue de la Croix. On voit le pape recouvert d'habits éclatants, assis sur un trône. Autour de lui sont rangés ses courtisans, ses gardes du corps, et une foule confuse de prêtres de haut et de bas étage; derrière eux sont des nobles, des laïques, des mendiants.

Bientôt parait un convoi funèbre; c'est un riche fermier que l'on porte à sa dernière demeure. Deux parents marchent lentement devant le cercueil, un mouchoir à la main. Le convoi étant parvenu devant le pape, la bière est déposée à ses pieds, et alors commence l'action :

PREMIER PARENT, d'un ton lamentable. Que des saints les nobles armées Aient pitié de notre sort! Notre cousin, hélas! est mort Dans la force de ses *nées.

SECOND PARENT. Aucun frais ne nous coûtera Pour avoir prêtres, moines, nonnes.

Fallût-il donner cent couronnes, Sa famille le sauvera De ce terrible purgatoire Dont on nous fait si fort frémir

LE SACRISTAIN, se détachant de la foule qui entoure le pape, et courant en toute bite vers le curé Robert Toujours-Plus. Seigneur Curé! Donnez pour boire! Un gros fermier vient de mourir.

LE CURÉ. Un !... Ma soif n'est pas assouvie : Un mort !.. —mais c'est dix que j'en veux ! Plus il en meurt, mieux va la vie! La mort est le meilleur des jeux. [8]

LE SACRISTAIN. Ah! si cela pouvait se faire! J'aime mieux sonner pour un mort Que de travailler à la terre. Il paie bien et n'a pas tort, LE CURÉ. Si la cloche des morts, du ciel ouvre la porte.... Je ne sais.... mais qu'importe? Elle entasse dans ma maison, Barbeau, brochet, Alite et saumon.

LA NIÈCE DU CURÉ 2. C'est bien; mais ma part je réclame; Dès ce jour il faut que cette âme Me donne un habit blanc, vert, rouge et noir. Avec un joli mouchoir. [9]

LE CARDINAL DE HAUT-ORGUEIL, orné du chapeau rouge, près du pape. Si nous n'aimions des morts le sanglant héritage, Aurions-nous fait périr, à la fleur de leur âge, Des milliers de soldats En de sanglants combats, qu'excita notre intrigue, alluma notre envie ? Par le sang des chrétiens Rome s'est enrichie. C'est pourquoi mon chapeau porte cette couleur. Les morts m'ont engraissé de trésors et d'honneur.

323

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle ÉVÊQUE VENTRE-DE-LOUP.

Avec le droit papal je veux vivre et mourir. Je suis vêtu de soie et dépense à plaisir; Je parais aux combats et je chasse à ma guise. Si je vivais aux temps de la première Église, J'aurais un drap grossier tout comme un villageois Nous étions des bergers et nous sommes des rois! Mais avec les bergers je prétends me confondre...

UNE voix. Quand donc?... L'*QUE.

Quand du troupeau la laine il faudra tondre. Nous sommes des brebis les bergers et les loups; Elles doivent nous paitre ou tomber sous nos coups. Le pape à nos curés défend le mariage :

C'est très-bien. —A ce joug le prêtre le plus sage Ne saurait se soumettre. — Eh bien! C’est mieux encore. Qu'importe le scandale? Il accroît mon trésor, Et je puis d'autant mieux mener un train de prince. Je ne dédaigne pas le profit le plus mince.

Un prêtre avec l'argent a la femme qu'il veut. Quatre florins par an... je me bouche les yeux.

Lui naît il des enfants.... de nouveau la saignée. Sur deux mille florins je compte par année.

S'ils étaient vertueux, je n'aurais pas deux sous Au pape en soit l'honneur! . . . Je l'adore à genoux. Je veux vivre en sa foi, défendre son Église; Je veux jusqu'à la mort que ce dieu me suffise.

LE PAPE.

Le peuple croit enfin qu'un prêtre ambitieux Prut à sa volonté fermer, ouvrir les cieux. Prêchez bien les décrets de l'Élu du Conclave : Alors nous sommes rois, et le laïc esclave. Mais, si de l'Évangile on dresse l'étendard, Tout est perdu pour nous. Il ne dit nulle part

Qu'il faut sacrifier, qu'il faut donner eu prêtre. Pour suivre l'Évangile, il nous faudrait peut-être... Vivre pauvre et mourir dans la simplicité.

Au lieu de ces coursiers oh ma richesse brille,

De ces chars somptueux qui traînent ma famille, Un &non porterait ma sainte majesté'[12].

Non, je saurai garder ce qu'ont légué mes pères. Ma foudre arrêtera des efforts téméraires.

324

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Nous n'avons qu'à vouloir, l'Univers est à nous. C'est un Dieu que le peuple adore' à mes genoux [13]! Je moule, en l'écrasant, sur le trône du monde. Je donne tout aux miens; mars le laïc immonde Doit fuir loin de nos biens, nos tributs et notre or.

Trois gouttes d'eau bénite empliront son trésor.

Nous ne poursuivrons pas cette traduction littérale du drame de Manuel. L'angoisse du clergé, lorsqu'il apprend les efforts des Réformateurs, sa colère contre ceux qui menacent de troubler. Ses désordres, tout cela est peint des couleurs les plus vives.

Les mœurs dissolues dont ce mystère présentait une si frappante image, étaient trop communes pour que chacun ne fût pas frappé de la vérité du tableau. Le peuple était agité. On entendait bien des plaisanteries en sortant du spectacle de la rue de la Groix; mais quelques-uns étaient plus sérieux : ils parlaient de la liberté chrétienne, du despotisme du pape; ils opposaient la simplicité évangélique aux pompes romaines. Bientôt les, mépris du peuple débordèrent dans la rue. Le mercredi des cendres, on promena les indulgences dans toute la ville, en accompagnant cette procession de chants satiriques. Un grand coup avait été porté, dans Berne et dans toute la Suisse, à l'antique édifice de la papauté.

Quelque temps après cette représentation, eut lieu à Berne une autre comédie; mais ici rien n'était inventé. Le clergé, le conseil, la bourgeoisie étaient rassemblés devant la porte Supérieure; ils attendaient le crâne de sainte Anne, que le fameux chevalier Albert de Stein avait été cherché à Lyon. A la fin Stein parut, tenant enveloppée dans une étoffe de soie la sainte relique, devant laquelle l'Évêque de Lausanne avait, à son passage, plié le genou. Le crâne précieux est porté en procession à l'église des Dominicains, les cloches retentissent, on entre dans l'église, on place avec grande solennité le crâne de la mère 'de Marie sur l'autel qui lui est consacré, derrière un somptueux treillis. Mais au milieu de toute cette joie arrive une lettre de l'abbé du couvent de Lyon, ou reposaient les restes de la sainte, annonçant que les moines avaient vendu au chevalier un os' profane pris dans le cimetière, parmi les débris des morts. Cette mystification faite à l'illustre ville de Berne indigna profondément ses citoyens.

La Réformation -avançait sur d'autres points de la Suisse. En 1520, un jeune Appenzellois, Walter Klarer, retourna de l'université de Paris dans son canton. Les écrits de Luther lui tombèrent entre les mains, et en 1522 il prêcha la doctrine évangélique avec tout le feu d'un jeune chrétien. Un aubergiste, membre du conseil appenzellois, nommé Rausberg, homme riche et pieux, ouvrit sa maison à tous les amis de la vérité. Un fameux capitaine, Barthélemy Berweger, qui s'était battu pour Jules II et pour Léon X, étant alors revenu de Rome, persécuta aussitôt les ministres évangéliques. Un jour pourtant, se souvenant d'avoir vu à Rome bien du mal, il se mit à lire la Bible et à suivre les sermons des nouveaux prédicateurs : ses yeux s'ouvrirent, et il embrassa l'Évangile. Voyant que la foule du peuple ne pouvait trouver place dans les temples : « Que l'on prêche dans les champs « et sur les places 325

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle publiques, » dit-il, et malgré une vive opposition, les collines, les prairies et les montagnes d'Appenzell retentirent souvent dès lors de la nouvelle du salut.

Cette doctrine, remontant le Rhin, parvenait même jusque dans l'antique Rhétie.

Un jour, un étranger, venant de Zurich, passa le fleuve et se présenta chez le maître sellier de Flasch, premier village des Grisons. Le sellier, Chrétien Anhorn, écouta avec étonnement les discours de son hôte. « Prêchez, » dit tout le village à l'étranger, qui s'appelait Jacques Burkli. Celui-ci se plaça devant l'autel; une troupe de gens armés, ayant Anhorn en tête, l'entoura -pour le défendre d'une attaque imprévue, et il leur annonça l'Évangile. Le bruit de cette prédication se répandit au loin, et le dimanche, suivant une foule immense accourut. Bientôt une grande partie des habitants de ces contrées demandèrent la cène selon l'institution de Christ. Mais, un jour, le- tocsin retentit tout à coup dans Mayenfeld; le peuple effrayé accourt; les prêtres lui dépeignent le danger qui menace l'Église; puis, à la tête de cette population fanatisée, ils courent à Flasch. Anhorn, qui travaillait dans les champs, frappé d'entendre le son des cloches à une heure si inusitée, retourne précipitamment chez lui, et cache, Burkli dans une fosse profonde, creusée dans sa cave. Déjà la maison était entourée, les portes sont enfoncées, on cherche partout le prédicateur hérétique; mais en vains à la fin, les persécuteurs abandonnent la place La Parole de Dieu se répandit dans toute la ligue des dix juridictions. Le curé de Mayenfeld, de retour de Rome, où, furieux des succès de l'Évangile, il s'était enfui, s'écria ; « Rome m'a rendu évangélique! » et il devint un fervent réformateur.

Bientôt la Réforme s'étendit dans la ligue de la « maison de Didu [14] : « Oh, si tu voyais comment les habitants « des montagnes de la Rhétie jettent loin d'eut lé «

joug de la, captivité babylonienne! A écrivait Salandronius à Vadian.

De révoltants désordres hâtaient le jour où Zurich et les pays voisins briseraient entièrement ce joug. Un maitre d'école marié, désirant devenir prêtre, obtint à cet effet le consentement de sa femme, et ils se séparèrent. Le nouveau curé, trouvant impossible l'accomplissement du vœu du célibat, quitta, par ménagement pour sa femme, le lieu qu'elle habitait, et s'étant établi dans l'évêché de Constance, y forma des liens coupables. Sa femme accourut. Le pauvre prêtre eut compassion d'elle, et renvoyant celle qui avait usurpé ses droits, reprit son épouse légitime, Aussitôt le procureur fiscal dressa sa plainte; le vicaire général s'agita; les conseillers du consistoire délibérèrent . . . et l'on ordonna au curé d'abandonner ou sa femme ou son bénéfice. La pauvre Epouse quitta tonte en larmes la maison de son mari : sa rivale y rentra triomphante. L'Église se déclara satisfaite, et laissa dès lors tranquille le prêtre adultère!

Pen après, un curé de Lucerne enleva une femme mariée et vécut avec elle. Le mari, s'étant rendu à Lucerne, profita de l'absence du prêtre pour reprendre sa femme.

Comme il la ramenait, le curé séducteur les rencontra; aussitôt il se jeta sur le mari 326

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle offensé, et .lui fit une blessure, dont celui-ci Mourut' [15]. Tous les hommes pieux sentaient la nécessité de rétablir la loi de Dieu, qui déclare « le « mariage honorable entre tous'. [16]» Les ministres, évangéliques avaient reconnu que la loi du célibat était d'une origine tout humaine, imposée par les pontifes romains et contraire à la Parole de Dieu, qui, en décrivant le véritable évêque, le représente comme époux et comme père (1 Timothée, ch. 3, y. 2 et 4). Ils voyaient eu même temps que, de tous les abus qui s'étaient glissés dans l'Église, aucun n'avait causé plus de vices et de scandales. Ils croyaient donc que c'était, non-seulement une chose légitime, mais encore un devoir devant Dieu, de s'y soustraire.

Plusieurs d'entre eux rentrèrent alors dans l'ancienne voie des temps apostoliques.

Xylotect était marié. Zwingle se maria aussi à cette époque-. Nulle femme n'était plus considérée dans Zurich qu'Anna Reinhard, veuve de Meyer de Knonau, mère de Gérold. Elle avait été, dès l'arrivée de Zwingle, parmi ses auditeurs les plus assidus; elle demeurait dans son voisinage et il avait remarqué sa piété, sa modestie, sa tendresse pour ses enfants. Le jeune Gérold, qui était devenu comme son fils adoptif, le rapprocha encore plus de sa mère. Les épreuves par lesquelles avait déjà passé cette femme chrétienne, qui devait être un jour la plus cruellement éprouvée de toutes les femmes dont l'histoire nous ait conservé le souvenir, lui avaient donné une gravité qui faisait ressortir davantage encore ses vertus évangéliques' [17].

Elle avait alors environ trente-cinq ans, et sa fortune propre ne montait qu'à quatre cents florins. Ce fut sur elle que Zwingle jeta les yeux pour en faire la compagne de sa vie. Il comprenait tout ce qu'il y avait de sacré, d'intime dans l'union conjugale. Il l'appelait « une très-sainte alliance [18]. « De même que « Christ, disait-il, est mort pour les siens et s'est « donné ainsi tout entier à eux, de même aussi des « époux doivent tout faire et tout souffrir l'un pour « l'autre. » Mais Zwingle, en prenant Anna Rein-liard pour femme, ne fit point encore connaître son mariage. C'est une faiblesse, sans doute, condamnable, de cet homme d'ailleurs si résolu. Les lumières, que lui et ses amis avaient acquis sur la question du célibat, n'étaient pas généraux.

Des faibles pouvaient être scandalisés. Il craignit que son utilité dans l'Église ne fût paralysée, si son mariage était rendu public [19]. Il sacrifia une partie de son bonheur à ces craintes, respectables peut-être, mais dont il .eût dû s'affranchir [20].

Cependant des intérêts plus élevés encore préoccupaient alors les pensées des amis de la vérité-La Diète, comme nous l'avons vu, pressée par les ennemis de la Réformation, avait enjoint aux prédicateurs évangéliques de ne plus prêcher des doctrines qui troublaient le peuple. Zwingle sentit que le moment d'agir était arrivé; et avec cette énergie qui le caractérisait, il convoqua à Einsiedeln les ministres du Seigneur, amis de l'Évangile. La force des chrétiens n'est ni dans la puissance des Une lettre de l'ami intime de Zwingle, Myconius, du 22 juillet 1522, porte : Yale cum uxore quam felicissime. Une autre lettre du même ami, écrite vers la fin de cette 327

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle année, porte aussi : 'ale cum uxore. Le contenu même de ces deux lettres prouve que la date est bien exacte. Mais ce qui est plus fort encore, une lettre écrite de Strasbourg par Bucer, au moment où le mariage de Zwingle fut rendu public, le 14

avril 1524 (la date de l'année manque, mais il est évident que cette lettre est de 1

524), contient plusieurs passages qui montrent que Zwingle était marié depuis longtemps; en voici quelques-uns, outre celui qui est cité dans la note précédente :—

« Professumpalam te maritum legi. Unum hoc desiderabans in te. — Que multo facilius (imam conmubii lui confessionem Antiehristus posset ferre. --vAyamov, ab eo, quod cum fratribus episcopo Constantiensi congressus es, nullus credidi. — Qua ratioue id tam dia celares. . . . non dubitarim, rationibus huc adductum, qua apud virum evangefienm non queant omnino repudiari... etc. » (Zw. Epp., p. 335.) Zwingle ne se maria donc pas en 1524; mais il fit alors connaître son mariage, contracté deux ans auparavant. Les savants éditeurs des lettres de Zwingle disent : Num forte jam Zwinglius Annam Reinhardam, clandestino in mattimonio habebat? p. s'o.

Cela me paraît, non une chose douteuse, mais un fait qui a toute la vérité historique requise.

armes, ni dans les flammes des échafauds, ni dans les intrigues des partis, ni dans la protection des puissants du monde. Elle est dans une profession simple, mais unanime et courageuse, de ces grandes vérités auxquelles' le monde doit être un jour soumis. Dieu appelle surtout ceux qui le servent à tenir ces doctrines célestes fermement élevées en présence de tout le peuple, sans se laisser épouvanter par les cris des adversaires. Ces vérités se chargent elles-mêmes d'assurer leur triomphe; et devant elles, comme jadis devant l'arche de Dieu, tombent les idoles. Le temps était venu où Dieu voulait que la grande doctrine du salut fût ainsi confessée dans la Suisse; il fallait que l'étendard évangélique fût planté sur quelque hauteur. La Providence allait tirer de retraites ignorées des hommes humbles, mais intrépides, pour leur faire rendre un éclatant témoignage, à la face de la nation.

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FOOTNOTES

[1] Kam ein langer, geràder barfiisser Manch- ritte einer Eselin. (Fiissliniettilige IV, 3g.)

[2] A tali Franciscann,'Gef, quai omnia, mare superstitin-

[3] num confluere faciunt, inaudita. (Zw. Epp. 207..)

[4] Bruder da irtest du. (Finslin.Beytr.W, p. 40. ) a. Dass er beyde Hinde zuSammen bob. (Ibid:)

[5] Wolt er keine pracht tryben mit latein schwâtzen, sondera gut teutsch reden.

(Bullinger MSC.)

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[6] Absit a grege Christiano, ut caput tam lutulentum et peccatis plenum acceptans, Christ= abjiciat. ( Zw. Epp. 195.)

[7] Kein kosten soli uns damera drag, Wo wir Manch und Priester mègen ha'n. Und

»M'es kosten hundert kronen. (Bern. Mausol. IV. Wirs. ilesoh. I j 383.)

[8] Je mehr, je besser! Kàmen doch noch zehn! (Bern. Mau¬sol.IV. Wirz. Fc Gesch. I, 383.)

[9] L'allemand emploie une expression plus claire mais moins honnète, Pfieffenmetze.

[10] Wenn mir nicht wàr' mit Todten wohl, So lig nicht mancher Acker voll, etc.

(Bern. Mausol. IV. Wirz K. Gesch I, 383. )

[11] Wenn es siiind, wie im Anfang der Kilchen, Ich triige vielleicht grobes Tuch und Zwirchen. (lb.)

[12] Les expressions allemandes sont très-fortes : So bin Ich auf gut Deutsch ein Hurenwirth, etc. (Bern. Mausol. IV. Wit1 K. Gesch I, 383.)

[13] Wir môchten fast kaum ein Eselcin ha'n.

[14] Sifflai. Samna. VI -- Wirz K. Gesell, I, 975.

[15] x. %oc corn mono redeuntem in itiuere deprehendit, ad-lendit«, lethifereq,ue voinere coedit et tandem moritur. (Zw.BPI). P. 206.)

[16] Ep. anxibibr.chap. rt 3. r. 4.

[17] Anna Reinhard, von Gerold Meyer von Knonan, p. 25.

[18] tin hochheiliges Bündniss. (ibid. 25.)

[19] Qui veritus sis, te marito non tam feliciter usurum Christum in negotio verbi sui. (Zw. Epp‘, p. 335.)

[20] Les biographes et les historiens les plus respectables, et tous les auteurs qui les ont copiés, placent deux ans plus tard le mariage de Zvringle, savoir en avril 1524.

Sans vouloir exposer ici toutes les raisons qui m'ont convaincu que c'était une erreur, j'indiquerai seulement les autorités les plus décisives.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE XIII

Vers la fin de juin et le commencement de juillet 1522, on voyait de pieux ministres se diriger de toutes parts vers la célèbre' chapelle d'Einsiedeln, pour un pèlerinage nouveau [1]. D'Art, dans le canton de Schwitz, venait le curé du lieu, Balthasar Trachsel; de Weiningen, près Bade, le curé Staheli; de Zug, Werner Steiner; de Lucerne, le chanoine Kilchmeyer; d'Uster, le curé Pfister; de Hongg, près de Zurich, le curé Sturnpff, de Zurich même, le chanoine Fabricius, le chapelain Schmid, le prédicateur de l'hôpital Grosmanu, et Zwingle. Léon Juda, curé d'Einsiedeln, reçut avec une grande joie dans l'antique abbaye tous ces ministres de Jésus-Christ.

Depuis le séjour de Zwingle, ce lieu était devenu une citadelle de la vérité et une hôtellerie des justes'. Ainsi, deux cent quinze ans auparavant, s'étaient réunis dans la plaine solitaire du Grütli trente-trois patriotes courageux, décidés à rompre le joug de l'Autriche. Il s'agissait à Einsiedeln de briser le joug de l'autorité humaine dans les choses de Dieu. Zwingle proposa à ses amis d'adresser aux cantons et à l'Évêque une requête pressante, dans le but d'obtenir la libre prédication de l'Évangile, et en même temps l'abolition du célibat forcé, source de si criminels désordres. Tous furent de cet avis [2]. Ulric avait lui-même préparé les adresses. La requête à l'Évêque fut d'abord lue; c'était le 2 juillet 1522; tous les évangélistes que nous avons nommés, la signèrent. Une affection cordiale unissait en Suisse les prédicateurs de .la vérité. Bien d'autres encore sympathisaient avec les hommes réunis à Einsiedeln ; tels étaient Haller, Myconius, Hédion, Capiton, Œcolampade, Sébastien Meyer, Hofmeister et Wanner. Cette harmonie est l'un des plus beaux traits de la Réformation suisse. Ces personnages excellents agirent toujours comme un seul homme, et demeurèrent amis jusqu'à la mort.

Les hommes d'Einsiedeln comprenaient que ce n'était que par la puissance de la foi que les membres de la Confédération, divisés par les capitulations étrangères, pourraient redevenir un seul corps. Mais lettres regards se portaient plus haut.

« La céleste doctrine » dirent-ils à leur chef ecclésiastique dans l'adresse du 2 juillet, cette vérité que le Dieu créateur a manifestée par son Fils au genre humain plongé dans le mal, a été longtemps voilée à nos yeux par l'ignorance, pour ne pas dire par la malice de quelques hommes. Mais ce Dieu tout-puissant a résolu de la rétablir en son état primitif. Joignez-vous à ceux qui demandent que la multitude des chrétiens retourne à son chef qui est Christ'[3] ...

Pour nous, nous avons résolu de promulguer son Évangile avec une infatigable persévérance, et en même temps avec une sagesse telle, que personne ne puisse se plaindre [4]. Favorisez cette entreprise, étonnante peut-être, mais non téméraire.

Soyez comme Moise, sur le chemin, à la tête du peuple au sortir de l'Égypte, et renversez vous-même les obstacles qui s'opposent à la marche triomphante de la vérité. »

330

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Après ce chaleureux appel, les évangélistes réunis à Einsiedeln en venaient au célibat. Zwingle n'avait plus rien à demander à cet égard; il avait pour épouse cette femme du ministre de Christ que décrit saint Paul, grave, sobre, fidèle en toutes choses. » (I Timoth. III, I z.)

Mais il pensait à ses frères, dont les consciences n'étaient point encore, comme la sienne, affranchies des ordonnances humaines. Il soupirait d'ailleurs après le moment où tous les serviteurs de Dieu pourraient vivre ouvertement et sans crainte au sein de leur propre famille, « tenant leurs enfants, dit l'apôtre, dans la «

soumission et dans toute sorte d'honnêteté. » «Vous « n'ignorez pas, disaient les hommes d'Einsiedeln, « combien jusqu'à présent la chasteté a été déplorablement violée par les prêtres. Lorsque dans la « consécration des ministres du Seigneur, on de« mande à celui qui parle au nom de tous : Ceux « que vous présentez sont-ils justes? —il répond : Ils « sont justes. — Sont-ils savants ?—Ils sont savants. « Mais quand on demande : Sont-ils chastes ? 'Il répond : Autant que le permet la faiblesse hu« manne [5]. » « Tout dans le Nouveau Testament con. « damne un commerce licencieux, tout y autorise « le mariage. »Ici vient la citation d'un grand nombre de passages. « C'est pourquoi, continuent-ils, « nous vous en supplions, par l'amour de Christ, « par la liberté qu'il nous a acquise, par la misère « de tant d'âmes faibles et chancelantes, par les « blessures de tant de consciences ulcérées, par «tout ce qu'il y a de divin ou d'humain .... Permettez que ce qui a été fait avec témérité, soit «

annulé avec sagesse; de peur que le majestueux édifice de l'Église ne s'écroule avec un affreux « fracas, et n'entraîne avec lui une immense ruiner. « Voyez de quels orages le monde est menacé! Si « la sagesse n'intervient, c'en est fait de l'ordre des «

prêtres. »

La requête à la Confédération était plus longue [6]. « Hommes excellents, » ainsi parlaient aux Confédérés, à la fin de cette requête, les alliés d'Einsiedeln, « nous sommes tous Suisses, et vous êtes nos pères. Il en est parmi nous qui se sont montrés fidèles dans les combats, dans les pestes et « dans d'autres calamités. C'est au nom de la véritable chasteté que nous vous parlons. Qui ne cc sait que nous satisferions beaucoup mieux la licence de la chair, en ne nous soumettant point «

aux lois d'une union légitime? Mais il faut faire « cesser les scandales qui affligent l'Église de Christ. cc Si la tyrannie du Pontife de Rome veut nous op« primer, ne craignez rien, héros courageux! L'autorité de la Parole de Dieu, les droits de la liberté cc chrétienne et la puissance souveraine de la grâce, « nous gardent et nous entourent [7]. Nous avons la « même patrie, nous avons la même foi, nous cc sommes Suisses, et la vertu de nos illustres ancêtres a toujours manifesté sa puissance par « une défense indomptable de ceux qu'opprimait « l'iniquité. »

Ainsi c'est dans Einsiedeln même, dans cet antique boulevard de la superstition, qui de nos jours encore est l'un des plus fameux sanctuaires des pratiques romaines, que Zwingle et ses amis levaient d'une main hardie l'étendard de la vérité et de la 331

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle liberté. Ils en appelaient aux chefs de l'État et de l'Église. Ils affichaient leurs thèses comme Luther, mais à la porte du palais épiscopal et à celle des conseils de la nation. Les amis réunis à Einsiedeln se séparèrent calmes, joyeux, pleins d'espérance en ce Dieu auquel ils avaient remis leur cause; et passant, les uns près du champ de bataille de Morgarten, les autres au-dessus de la chaîne de l'Albis, d'autres encore par d'autres vallées ou d'autres monts, ils retournèrent tous à leur poste. « C'était vraiment quelque chose de grand pour ces temps-là', dit Henri Bullinger, que ces hommes eussent ainsi osé se mettre en avant, et se rangeant autour de l'Évangile, se fussent exposés « à tous les dangers. Mais Dieu les a tous gardés, « en sorte qu'aucun mal ne les a atteints ; car Dieu conserve les siens en tout temps. » C'était en effet quelque chose de grand; c'était un grand pas dans la marche de la Réforme, un des jours les plus illustres de la régénération religieuse de la Suisse [8]. Une sainte confédération s'était formée à Einsiedeln. Des hommes humbles et courageux avaient saisi l'épée de l'Esprit, qui est la Parole de Dieu, et le bouclier de la foi. Le gant était jeté; le défi était donné, non plus seulement par un seul homme, mais par des hommes de divers cantons, prêts à sacrifier leur vie ; il fallait attendre la bataille.

Tout annonçait qu'elle serait rude. Déjà cinq jours après, le 7 juillet, le magistrat de Zurich, voulant donner quelque satisfaction au parti romain, fit comparaître Conrad Grebel et Claus Hot-Linger, deux de ces hommes extrêmes, qui semblaient vouloir aller au-delà d'une sage réformation. « Nous vous défendons, dit le bourgmestre Rouste, « de parler contre les moines et sur les points controversés. » A ces mots, il se fit dans la chambre un bruit éclatant, dit une ancienne chronique. Dieu se manifestait tellement dans cette œuvre, que l'on voulait voir partout des signes de son intervention. Chacun regarda étonné autour de soi, sans que l'on pût reconnaître la cause de cette mystérieuse circonstance [9]

Mais c'était surtout dans les couvents que l'indignation était portée à un haut degré.

Chaque réunion qui s'y tenait, soit pour discuter, soit pour se réjouir, voyait éclater quelque attaque nouvelle. Un jour qu'il y avait grand festin dans le couvent de Fraubrunn, le vin étant monté à la tête des convives, ils commencèrent à lancer contre l'Évangile les traits les plus acérée. Ce qui excitait surtout la colère de ces prêtres et de ces moines, c'était cette doctrine évangélique, que, dans l'Église chrétienne, il ne doit pas y avoir de caste sacerdotale, élevée au-dessus des croyants.

Un seul ami de la Réformation, simple laïque, Macrin, maître d'école à Soleure, était présent. il évita d'abord le, combat, passant d'une table à l'autre. Mais enfin, ne pouvant plus endurer les cris emportés des convives, il se leva avec courage, et dit à haute voix : «Oui! « tous les vrais chrétiens sont prêtres et sacrificateurs, suivant ce que dit saint Pierre : Fous-étés sacrificateurs et rois. » A ces mots, l'un des plus intrépides crieurs, le doyen de Burgdorf, homme grand, fort et d'une voix retentissante, partit d'un .éclat de rire, et mêlant la plaisanterie aux injures, il dit : 332

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Ainsi donc, vous autres petits grecs et rats « d'école, vous êtes le sacrificateur royale? . . . belle sacrificateur . . . Rois mendiants. . . . Prêtres sans prébendes et sans bénéfices'. » Et à l'instant prêtres et moines tombèrent d'un même accord sur le laïque impudent.

C'était pourtant dans Lucerne que la démarche hardie des hommes d'Einsiedeln devait produire la plus forte commotion. La Diète était assemblée dans cette ville, et il y arrivait de toutes parts des plaintes sur ces prédicateurs téméraires qui empêchaient l'Helvétie de vendre tranquillement aux étrangers le sang de ses fils.

Le 22 juillet 1522, comme Oswald Myconius était à dîner chez lui, avec le chanoine Kilchmeyer et plusieurs autres hommes bien disposés pour l'Évangile, un jeune garçon, envoyé par Zwingle, se présenta à sa porte [10] Il apportait les deux fameuses pétitions d'Einsiedeln, et une lettre de Zwingle, qui demandait à Oswald de les répandre dans Lucerne.« Mon avis, ajoutait le Réformateur, est que la chose se fasse tranquillement, peu à peu, plutôt que d'un seul coup; car pour l'amour de Christ, il faut savoir ahana donner tout, et même sa femme. »

La crise approchait ainsi pour Lucerne; la bombe y était tombée et devait éclater.

Les convives lisaient les requêtes. . . « Que Dieu bénisse ce commencement [11] ! »

s'écria Oswald, en regardant au ciel. Puis- il ajouta : « Cette prière doit être dès cet instant l'occupation constante de nos cœurs. » Aussitôt les requêtes furent répandues, peut-être avec plus d'ardeur que Zwingle ne l'avait demandé. Mais le moment était unique. Onze hommes, élite du clergé, s'étaient mis à la brèche; il fallait éclairer les esprits, décider les caractères irrésolus, entraîner les membres les plus influents de la Diète.

Oswald, au milieu de ce travail, n'oubliait pas son ami. Le jeune messager lui avait raconté les attaques que Zwingle avait à endurer de la part des moines de Zurich. «

La vérité de l'Esprit saint est invincible, lui écrivit Myconius, le jour même.

« Armé du bouclier des saintes Écritures, tu es « demeuré vainqueur, non dans un combat seule« ment, non dans deux, mais dans trois, et déjà le « quatrième commence . . .. Saisis ces armes puissantes, plus dures que le diamant! Christ, pour

« protéger les siens, n'a besoin que de sa Parole. « Tes batailles inspirent un indomptable courage « à tous ceux qui se sont consacrés à Jésus Christ. [12]

Les deux requêtes ne produisirent point à Lucerne l'effet attendu. Quelques hommes pieux les approuvaient; mais ils étaient en fort petit nombre. Plusieurs, craignant de se compromettre, ne voulaient ni louer, ni blâmer' [13]. « Ces gens, disaient « d'autres, n'amèneront jamais à bonne fin cette « affaire ! » Tous les prêtres murmuraient, parlaient bas, grondaient entre les dents. Quant au peuple, il s'emportait contre l'Évangile. La fureur des combats s'était réveillée dans Lucerne après la sanglante défaite de la Bicoque, et la guerre occupait seule tous les esprits

[14]. Oswald, qui observait attentivement ces impressions différentes, sentit alors 333

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle son courage s'ébranler. L'avenir évangélique qu'il avait rêvé pour Lucerne et la Suisse, semblait s'évanouir. « Notre peuple est aveugle quant aux choses du « ciel, »

dit-il, en poussant un profond soupir. « Il n'y a rien à espérer des Suisses, pour ce qui regarde la gloire de Christ'. [15]»

C'était surtout dans le Conseil et à la Diète que la colère était grande. Le pane, la France, l'Angleterre, l'Empire, tout s'agitait autour de la Suisse, après la défaite de la Bicoque et l'évacuation de la Lombardie par les Français, sous les ordres de Lautrec. Les intérêts politiques n'étaient-ils pas en ce moment assez compliqués, sans que ces onze hommes vinssent avec leurs requêtes y ajouter encore des questions religieuses? Les députés de Zurich penchaient seuls du côté de l'Évangile.

Le chanoine Xylotect, craignant pour sa vie et pour celle de sa femme (car il avait épousé une fille de l'une des premières maisons du pays), avait, en versant des larmes de regret, refusé de se rendre à Einsiedeln et de signer' les adresses. Le chanoine Kilchmeyer, s'était montré plus courageux. Aussi avait-il tout à craindre.

« Un jugement me menace, » écrivait-il le 13 août à Zwingle; « je l'attends avec «

courage . . . » Comme il traçait ces mots, l'huissier du Conseil entra dans sa chambre et l'assigna à comparaître pour le lendemain [16]. « Si l'on me jette « dans les fers, » dit-il en continuant sa lettre, « je « réclame ton secours; mais il sera plus facile de « transporter un rocher de nos Alpes, que de « m'éloigner de la largeur d'un doigt de la Parole de Jésus-Christ. » Les égards que l'on crut devoir à sa famille et la résolution que l'on prit de faire fondre l'orage sur Oswald, sauvèrent le chanoine.

Berthold Haller, peut-être parce qu'il n'était pas Suisse, n'avait pas signé les requêtes. Mais, plein de courage, il expliquait comme Zwingle l'Évangile selon saint Matthieu. Une grande foule remplissait la cathédrale de Berne. La Parole de Dieu agissait avec plus de puissance sur le peuple que les drames de Manuel. Haller fut cité à l'hôtel de ville; le peuple y accompagna cet homme débonnaire et demeura réuni sur la place. Le Conseil était partagé. « Cela concerne l'Évêque, » disaient les hommes les plus influents. « Il faut livrer le prédicateur à monseigneur de Lausanne.» Les amis de Haller tremblèrent à ces paroles et lui firent dire de se retirer en toute hâte. Le peuple l'entoura, l'accompagna, et un grand nombre de bourgeois armés demeurèrent devant sa maison, prêts à faire à leur humble pasteur un boulevard de leurs corps. L'Évêque et .le Conseil reculèrent devant cette énergique manifestation, et Haller fut sauvé. Au reste, Haller n'était pas le seul qui combattît à Berne. Sébastien Meyer réfuta alors la lettre pastorale de l'Évêque de Constance, et en particulier cette banale accusation, que « les disciples de l'Evangile enseignent une nouvelle doctrine, que c'est l'ancienne qui est la vraie. » — « Avoir tort depuis mille ans, dit-il, n'est pas avoir raison pendant « une heure; autrement, les païens auraient dû demeurer dans leur foi. Si les doctrines les plus « anciennes doivent l'emporter, quinze cents ans sont plus que cinq cents ans, et l'Évangile est «

plus ancien que les ordonnances du pape [17].»

334

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle A cette époque, les magistrats de Fribourg surprirent des lettres adressées à Haller et à Meyer par un chanoine de Fribourg nommé Jean Hollard, natif d'Orbe. Ils l'emprisonnèrent, puis le destituèrent, et enfin le bannirent. Un chantre de la cathédrale, Jean Vannius, se déclara bientôt pour la doctrine évangélique; car dans cette guerre, un soldat n'est pas tombé, qu'un autre déjà occupe sa place. «

Comment l'eau bourbeuse du Tibre, disait Vannius, pourrait-elle subsister à côté de l'onde pure que Luther a puisée à la source de saint Paul? » Mais le chantre aussi eut la bouche fermée. « Il y a à peine dans toute la Suisse des hommes plus mal disposés envers la saine doctrine que ne le sont les Fribourgeois, » écrivait Myconius à Zwingle [18].

Il y avait pourtant une exception à faire à l'égard de Lucerne; et Myconius le savait.

Il n'avait pas signé les fameuses requêtes; mais si ce n'était lui, c'étaient ses amis, et il fallait une victime. Les lettres antiques de la Grèce et de Rome commençaient, grâces à lui, à jeter quelque éclat dans Lucerne; on y accourait de divers lieux pour entendre le savant professeur; et les amis de la paix y écoutaient avec charme un son plus doux que celui des hallebardes, des épées et des cuirasses, qui seul jusqu'alors avait retenti dans la belliqueuse cité[19]. Oswald avait tout sacrifié pour sa patrie; il avait quitté Zurich et Zwingle ; il avait perdu la santé; sa femme était languissante ; son fils était en bas âge; si une fois Lucerne le rejetait, il ne pouvait nulle part espérer un asile. Mais n'importe; les partis sont impitoyables, et ce qui devrait émouvoir leur compassion, excite leur colère. Herberstein, bourgmestre de Lucerne, vieux et vaillant guerrier, qui avait acquis un nom célèbre dans les guerres de Souabe et de Bourgogne, poursuivait la destitution du maître d'école, et voulait chasser avec lui du canton son grec, son latin et son Évangile. Il réussit. En sortant de la séance du Conseil, dans laquelle on avait destitué Myconius, Herberstein rencontra le député zurichois Berguer : « Nous vous renvoyons votre maître d'école,

» lui dit-il ironiquement, « préparez-lui un bon logement. » « Nous ne le laisserons pas coucher « en plein air' [20], » répondit aussitôt le courageux député. Mais Berguer promettait plus qu'il ne pouvait tenir.

La nouvelle donnée par le Bourgmestre n'était que trop vraie. Elle fut bientôt signifiée au triste Myconius. Il est destitué, banni, et le seul crime qu'on lui reproche, c'est d'être disciple de Luther [21]. Il porte partout ses regards; et nulle part il ne trouve un abri. Il voit sa femme, son fils, lui-même, êtres faibles et maladifs, repoussés de leur patrie.... et tout autour de lui la Suisse agitée par une forte tourmente, qui brise et détruit tout ce qui ose la braver. « Voici, » dit-il alors à Zwingle, le pauvre « Myconius est chassé par le Conseil de Lucerne...

« Où irai-je?. .. Je ne sais.... Assailli. Vous-même « par de si furieux orages, comment pourriez-vous « m'abriter? Je crie donc dans mes tribulations à « ce Dieu qui est le premier en qui j'espère. Toujours riche, toujours bon, il ne permet pas qu'aucun de 335

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle ceux qui l'invoquent, s'éloigne de sa face, « sans être exaucé. Qu'il pourvoie à mes besoins! »

Ainsi disait Oswald. La parole de consolation ne se fit pas longtemps attendre. Il y avait en Suisse un homme aguerri aux combats de la foi. Zwingle s'approcha de son ami et le releva.

« Les coups par lesquels on s'efforce de renverser la maison de Dieu sont si rudes, lui dit Zwingle, et les assauts qu'on lui livre sont si fréquents, que ce ne sont plus seulement les vents et la pluie qui fondent sur elle, comme l'a prédit le Seigneur ( Matth. VII, s7), mais la grêle et la foudre[22]. Si je n'apercevais le Seigneur qui garde le navire, j'eusse dès longtemps jeté le gouvernail à la mer; mais je le vois, à travers la tempête, affermir les cordages, diriger les vergues, tendre les voiles, que dis-je? Commander aux vents mêmes ... Ne serais-je donc pas un lâche, indigne du nom d'homme, si j'abandonnais mon poste, pour trouver dans la fuite une honteuse mort ?

Je me confie tout entier en sa bonté souveraine. Qu'il gouverne, qu'il transporte, qu'il se hâte, qu'il retarde, qu'il précipite, qu'il arrête, qu'il brise, qu'il submerge, qu'il nous plonge même jusqu'au fond de l'abîme... nous ne craignons rien [23]. Nous sommes des vases qui lui appartiennent. Il peut se servir de nous comme il lui plaît, pour l'honneur et pour l'ignominie. »

Après ces paroles pleines d'une foi si vive, Zwingle continue : « Quant à toi, voici mon avis. Présente-toi devant le Conseil, et pro« nonces-y un discours digne de Christ et de toi, « c'est-à-dire, propre à toucher et non à irriter les cœurs. Nie que tu sois disciple de Luther, déclare que tu l'es de Jésus-Christ. Que tes élèves t'entourent et qu'ils parlent; et si tout cela ne réussit pas, viens vers ton ami, viens vers Zwingle, et regarde notre ville comme tes propres foyers. »

Oswald, fortifié par ces paroles, suivit le noble conseil du Réformateur; mais tous ses efforts furent inutiles. Le témoin de la vérité déni quitter sa patrie; et les Lucernois le décriaient tellement, que partout .les magistrats s'opposaient à ce qu'on lui offrît un asile. « Il ne me reste plus » s'écria le confesseur de Jésus-Christ, l'âme brisée à la vue de tant qu'à mendier de porte en porte de quoi soutenir ma triste vie [24]. »

Bientôt l'ami de Zwingle, son aide le plus puissant, le premier homme qui eût uni en Suisse l'enseignement des lettres et l'amour de l'Évangile, le réformateur de Lucerne, et plus tard l'un des chefs de l'Église helvétique, dut quitter, avec sa faible épouse et son petit enfant, cette ingrate cité, où, de toute sa famille, une seule de ses sœurs avait reçu l'Évangile. Il passa ses ponts antiques ; il salua ces montagnes qui semblent s'élever du sein du lac des Waldstetten jusqu'à la région des nues. Les chanoines Xylotect et Kilchmeyer, les seuls amis que la Réformation comptât encore 336

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle parmi ses compatriotes, le suivirent de près. Et au moment où ce pauvre homme, accompagné de deux êtres faibles, dont l'existence dépendait de lui, les regards tournés vers son lac, versant des larmes sur son aveugle patrie, dit adieu à cette nature sublime, dont la majesté avait entouré son berceau, l'Évangile lui-même sortit de Lucerne, et Rome y règne jusqu'à ce jour [25].

Bientôt la Diète elle-même, assemblée à Bade, excitée par les rigueurs déployées contre Myconius, irritée par les requêtes d'Einsiedeln, qui, livrées à la presse, produisaient partout une grande sensation, sollicitée par l'Évêque de Constance, qui lui demandait de frapper enfin les novateurs, se jeta dans la voie des persécutions, ordonna aux autorités des bailliages communs de lui dénoncer taus les prêtres et laïques qui parleraient contre la foi, fit saisir dans son impatience l'évangéliste qu'elle trouva le plus près d'elle, Urbain Weiss, pasteur de Fislispach, qui avait été antérieurement relâché sous caution, et le fit mener à Constance, où elle le livra à l'Évêque, qui le retint longtemps en prison. « Ce fut ainsi, » dit la chronique de Bullinger, « que commencèrent les persécutions «des Confédérés contre l'Évangile; et cela eut lieu « à l'instigation du clergé, qui en tout temps a traduit Jésus-Christ devant Hérode et Pilate [26]. »

Zwingle ne devait pas être à l'abri de l'épreuve. Les coups les plus sensibles lui furent alors portés. Le bruit de ses doctrines et de ses combats avait passé le Säntis, pénétré dans le Tockenbourg et atteint les hauteurs de Wildhaus. La famille de pâtres, d'où le Réformateur était sorti, en avait été émue. Des cinq frères de Zwingle quelques-uns n'avaient pas cessé de s'occuper paisiblement des travaux des montagnes, tandis que d'autres, à la grande douleur de leur frère, avaient pris quelquefois les armes, quitté leurs troupeaux et servi les princes étrangers. Les uns et les autres étaient consternés des nouvelles que la renommée apportait jusque dans leurs chalets. Déjà ils voyaient leur frère saisi, traîné peut-être à Constance vert son Évêque, et un bûcher s'élevant pour lui à la même place qui avait consumé le corps de Jean Huss. Ces fiers bergers ne pouvaient supporter l'idée d'être appelés les frères d'un hérétique.

Ils écrivirent à Ulric; ils lui dépeignirent leur peine et leurs craintes. Zwingle leur répondit : « Tant que Dieu me le permettra, je m'acquitterai du Ir travail qu'il m'a confié, sans craindre le monde et ses tyrans superbes. Je sais tout ce qui peut m'arriver. Il n'est pas de danger, [27] ' pas de « malheur, que je n'aie dès longtemps pesé avec « soin. Mes forces sont le néant même, et je sais « la puissance de mes ennemis; mais je sais aussi « que je puis tout en Christ qui me fortifie. Quand « je me tairais, un autre serait contraint de faire « ce que Dieu fait maintenant par moi, et moi je « serais puni de Dieu. Rejetez loin de vous, ô mes « chers frères, toutes vos sollicitudes. Si j'ai une « crainte, moi, c'est d'avoir été plus doux et plus « traitable que notre siècle ne le comporte'[28]. Quelle « honte, dites-vous, ne rejaillira pas sur toute « notre famille, si tu es ou brûlé, ou mis à mort « de quelque autre manière 10

337

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle frères bien-aimés! « l'Évangile tient du sang de Christ cette nature « étonnante, que les persécutions les plus violentes, « loin d'arrêter sa marche, ne font que la hâter. «

Ceux-là seuls sont de vrais soldats de Christ, qui « ne craignent pas de porter en leurs corps les « blessures de leur Maître. Tous mes travaux n'ont « d'autre but que de faire connaître aux hommes « les trésors de bonheur que Christ nous a acquis, «

afin que tous se réfugient vers le Père, par la mort de son Fils. Si cette doctrine vous offense, « votre colère ne saurait m'arrêter. Vous êtes mes « frères, oui, mes propres frères, les fils de mon « père, et le même sein nous a portés, — mais si « vous n'étiez pas mes frères en Christ et dans « l'œuvre de la foi, alors ma douleur serait si véhémente, que rien ne saurait l'égaler. Adieu. —Je « ne cesserai jamais d'être votre véritable frère, si « seulement vous ne cessez d'être les frères de Jésus-Christ [29]. »

Les confédérés semblaient se lever comme un seul homme. Les requêtes d'Einsiedeln leur en avaient donné le signal. Zwingle, ému du sort de son cher Myconius, ne voyait dans son infortune que le commencement des calamités. Des ennemis dans Zurich, des ennemis au dehors; les propres parents d'un homme devenant ses adversaires; opposition furieuse de la part des moines et des prêtres; mesures violentes de la Diète et des Conseils; attaques grossières, sanglantes peut-être, de la part des partisans du service étranger; les plus hautes vallées de la Suisse, ce berceau de la Confédération, vomissant des phalanges de soldats invincibles, pour sauver Rome et pour anéantir, au prix de la vie, la foi renaissante des fils de la Réformation, voilà ce que découvrait dans le lointain, en frémissant, l'esprit pénétrant du Réformateur. Quel avenir!

L'œuvre à peine commencé n'allait-il pas se dissoudre? Zwingle, pensif, agité, exposa alors à son Dieu toute son angoisse : « O Jésus, dit-il, tu CC vois comment des méchants et des blasphémateurs étourdissent de leurs cris les oreilles de « ton peuple'. Tu sais combien, dès mon enfance, « j'ai haï tes disputes, et cependant, malgré moi, tu n'as cessé de me pousser au combat... . C'est pourquoi je t'appelle avec confiance, afin que ce « que tu as commencé, tu l'achèves. Si j'ai mal édifié «

quelque chose, abats-le de ta puissante main. Si « j'ai posé quelque autre fondement à côté de toi, « que ton bras redoutable le renverse [30]'. 0 cep plein « de douceur!

Dont le Père est le vigneron, et dont u nous sommes les sarments, n'abandonne pas tes « provins [31]! Car tu as promis d'être avec nous jus« qu'à la consommation des siècles! »

Ce fut le 22 août 1522, que Ulric Zwingle, Réformateur de la Suisse, voyant descendre des montagnes de gros orages sur la frêle nacelle de la foi, épancha ainsi devant Dieu les troubles et les espérances de son âme.

________________________________________

FOOTNOTES

338

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[1] Zu Einsidlen hatten sie aile Sicherheit dahin zu gehen und dort zu wohneu. (J. J.

Hottinger Hely. K. Gesch. III, 86.)

[2] Und wurden eins an den Bischoff zu Constantz und gmein Eidtgnossen ein Supplication zu stellen. (Bullinger MSC.)

[3] Ut universa Christianorum multitudo ad caput suum quod Christus est, redeat.

(Supplicatio quorumdam apud Helvetios earurn. Zw. Opp. Ill, d.)

[4] Evangelium irremisso tenore promulgare statuimus... sIbid.)

[5] Ne quando moles ista non ex patris coelestis sententia constructa, cum fragore longe pernieiosiore corruat. (Ibid. 24.)

[6] Arnica et pia parenesis ad communem Helvetiorum civitatem scripts, ne evangelicap doctrinte cursum impediant, etc. (Zw. OPP• le 39.)

[7] Divini enim verbi auctoritatem, libertatis christianx et divijue gratite praesidium nobis adesse conspicietis. (lb. 63.)

[8] Da lieu die Stube einen grossen Yuan. ( Füsslin Beytr. IV, 3g.)

[9] Cum invalescente Baccho, disputationes imo verius jurgia ... (Zve. Epp. 23o.)

[10] Venit puer, quem misisti, inter prandendum... ( Zw. EPP•, P. 209. )

[11] Deus cœpta fortunet! (Ibid.)

[12] Is permaneas, qui es, in Christo Jesu.... ( Ib., p. 21o.)

[13] Boni qui .pauci sunt, commendant libellos vestros; alii non laudant nec vituperant. (Ibid.)

[14] Belli furor occupat omnia. ( Ibid. )

[15] Nihil ob id apud Helvetios agendum de iis rebus quze Christi gloriam possunt augere. (Ibid.)

[16] Tu vero audi. Mec dum scriberem, irruit prgeco, a Senatoribus missus.... (Zw.

Epp. 213.)

[17] Simml. Samml. VI.

[18] Hoc audio vix alios esse per Helvetiam, qui pejus velint sans doctrine. (Zw. Epp., p. 226.)

[19] Conjux infirma. (Zw. Epp., p. = 92. )

[20] Veniat I efficiemus enim ne dormiendum sit ei sub dio. ( Ibid. 2X6.) •

[21] Nil exprobrarunt nisi quod sim Lutheranus. (Ibid.) 339

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[22] Expellitur ecce miser Myconius a Senatu Lucernano. (Zw. Epp•, p. 215.)

[23] Nec ventos esse, nec imbres, sed grandines et fulmina. (lb. 217.)

[24] Regar, vehat, featinet, numeat, aceeleret, moretur, mergat!... (Ibid.)

[25] Ostiatim quserere quod edam. (Zw. Epp., p. 245. )

[26] Uss anstifften der geis tlichen, Die zu allen Zyten, Christum Pilato und Herodi vfirstellen. (MSC.)

[27] Plus enim metuo ne forte lenior; mitiorque fuerim. ( De semper casta virgine Maria. Zw. Opp. I, p. to4.) .

[28] Si vel ignis vel alio quodam supplicii genere tollaris e medio. (Ibid.)

[29] Vides enim, piissime Jesu, sures eorum septas esse ne. quissimis susurronibus, sycophantis, lucrionibus . . . (Zw. Opp. III, 74.)

[30] Si fundamentum aliud prater te jecero, demoliaris! ( Ibid. 74.)

[31] O suavissima vitis, cujus vinitor pater, palmites vexe nos sumus, sationem tuam ne deseras! (Ibid.)

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