LA DISPUTE DE LEIPZIG (1519)
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle TABLE DES MATIERES
LIVRE VII. LA DIÈTE DE WORMS. 1521. .......................................................... 159
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME
LIVRE V. LA DISPUTE DE LEIPZIG. (1519.)
CHAPITRE I.
DANGERS de Luther. — Dieu le sauve. Le pape envoie Miltit1 — La ruse d'or. —
Voyage du légat. —Effroi des amis de Luther
CHAPITRE II.
Mort de Maximilien. — Guerres dans l'empire. — Inter-règne CHAPITRE III.
Miltitz chez Spalatin.—Terreur de Tezel.— Entrevue entre Nikita et Luther. —
Accord.— Le baiser du nonce. — Tend devant Miltit1 — Lettre de Luther au pape. — Nature de la Réformation. —Travaux de Luther.— Il est appelé à Trèves, puis renvoyé à la prochaine diète
CHAPITRE IV.
Progrès de la Réforme en Allemagne,—en Suisse,— en Belgique, — en France, —
En Angleterre, — en Espagne, — en Italie
CHAPITRE V.
Le combat semble fini en Allemagne. — Eck le ranime. — Débats entre Eck et Carlstadt.—La question du pape.— Luther répond.—Sa foi et son courage.—Refus, du duc George. —Opposition de l'Évèque.—Mosellanus et Érasme.
CHAPITRE VI.
Arrivée de Eck et des Wittembergeois à Leipzig.—Amsdorf, les étudiants.—Placards de l'Evêque.—Eck et Luther. — La Pleisaenbourg.—Publicité et juges de la dispute CHAPITRE VII.
Le cortège. — Invocation du Saint-Esprit. — Portraits de Luther, de Carlstadt et du docteur Eck. —,Les livres de Carlstadt. — Question du libre arbitre. — Mérite de convenance — Forces naturelles.—Point où Rome et la Réforme se séparent. — Le cahier de Carlstadt.—Les tribunes: — Mélanchton pendant la dispute.—Concession du docteur Eck
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VIII.
Prédication de Luther.—La bourgeoisie de Leipzig. — Querelles des étudiants et des docteurs.—Le duc George.
CHAPITRE IX.
Dispute entre Eck et Luther. — La primauté de Rome. —Elle est de droit humain. — Égalité des Évêques. —Qui est le fondement, Pierre ou Jésus-Christ ? —
Eck insinue que Luther est Hussite. — Luther se déclare pour des doctrines de Huss. — Agitation dans l'auditoire. --Plaisanterie du docteur Eck CHAPITRE X.
Le fou de cour.— Luther à la messe. —Parole du Duc. —Le purgatoire. — Les indulgences, etc.—Fin de la dispute.
CHAPITRE XI.
Intérêt des laïques à la dispute. — Opinion de Luther. —Aveux du docteur Eck.—
Vanteries des Romains.—Effets de la dispu te .—Pol iandre. Cel lari us. — Le jeune prince d'Anhalt. — Les étudiants de Leipzig. — Cruciger. -- Vocation de Mélanchton. — Affranchissement de Luther
CHAPITRE XII.
Activité du docteur Eck. —Il attaque Mélanchton. —Écrit de Mélanchton. —
Fermeté de Luther. — Controverse entre Emser et Luther. — Staupitz s'éloigne. —
La rose d'or présentée
CHAPITRE XIII.
Luther publie son premier commentaire sur les Galates — Nouvelles attaques.—
Aveuglement des adversaires.—Premières idées sur la Cène. — Le sacrement ne suffit pas sans la foi. —Luther accusé d'être né en Bohème. — Force de la parole de Dieu. — Eck attaqué dans divers écrits. — Il part pour Rome. —Intrépidité de Luther
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle LIVRE VI. Là BULLE DE BOXE. (1520).
CHAPITRE I.
Élection d'un Empereur.—Caractère de Maximilien.— Prétendants à l'Empire.—
Charles.—François e.—Henri Dispositions des Allemands et du pape.—La couronne offerte à Frédéric de Saxe qui la refuse.—Chartes est élu.
CHAPITRE II.
Luther écrit à l'Empereur.— Condamnation des universités de Cologne et de Louvain. Dangers de Luther.— Teutleben à Rome. — Instructions de l'Électeur pour cette cour. —Fermeté de Luther. — Craintes de Mélanchton. — Des nobles allemands se déclarent pour la• Réforme. Schaumbourg, Sickingen, Cronberg, Ulric de Hutten.—Luther devient plus libre Page 99 à, io8.
CHAPITRE III.
Discours sur tes bonnes oeuvres.--La foi source des oeuvres. — Ce qui donne la foi.
CHAPITRE IV.
Appel à la noblesse chrétienne de la nation allemande. —Défiance de soi-même.—
Les trois murailles. — Tous les chrétiens sont prêtres.—Le magistrat doit ç7rriger le clergé.—Abus de Rome. — Le pape. — L'Italie ruinée par la cour de Rome. —
Dangers de l'Allemagne.—Appel.—Réforme du pape.—Les légats.—Les moines. —
Le célibat des prêtres. Les fêtes. —Les Bohémiens. — Les universités. —
L'empire. — Conclusion. —Succès de cet appel.—Puissants effets CHAPITRE V.
Rome s'éveille.—Motifs de sa résistance.—Elle hésite d'abord.—Efforts du docteur Eck.—Rome se décide,—Dieu opère la séparation.—Un prêtre suisse plaide pour Luther auprès de Rome.—Le consistoire romain.—Exorde de la bulle d'excommunication. —Condamnation de Luther.
CHAPITRE VI.
Mélanchton à Wittemberg. —Son mariage. — Catherine. —Vie domestique. —
Bienfaisance et débonnaireté. — Christ et l'antiquité. — Travail, conversations, amour des lettres. —Sa patrie et sa mère—Révolte d'étudiants 18
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VII.
Luther veut envoyer des évangélistes en Italie. Discours sur la sainte messe.—La Captivité babylonienne de l'Église.—Le baptême. — Abolition des autres vcenx. —
Manière dont la Réforme a procédé
CHAPITRE VIII.
Chapitre des Augustins à Eisleben. — Instances de Miltit1 —Députation de l'ordre à Luther.—Miltitz à l'Électeur.—Conférence entre Miltitz et Luther. — Lettre de Luther à Léon X. — Livre sur la liberté du chrétien. — Union de Christ et du fidèle. — Liberté et servitude
CHAPITRE IX.
La bulle en Allemagne. — Faute du pape en la remettant au docteur Eck. —
Comment il est accueilli. — Mort de Miltit1 — La bulle à Erfurt; — à Wittemberg. — Intervention de Zwingle
CHAPITRE X.
Luther se recueille devant Dieu.—Ce qu'il pense de la bulle. — Bilibald, Charitas et Clara Pirckheimer. — Hommes enveloppés dans la condamnation. — Écrit de Luther contre la bulle de l'Antechtist.—Le pape défend de croire. —Les écrits de Luther brûlés en divers lieux. —La gouvernante des PaysBas.—Le comte de Nassau.—Luther tranquille.
CHAPITRE XI.
Luther s'apprête à répondre.—Appel à un concile universel. —Luther brûle la bup du pape. — Signification de cet acte. — Déclaration de Luther dans l'académie. —
Paroles sur le pape. — Écrit de Mélanchton. — Comment Luther rassure ses amis. —Mélanchton sur les troubles que la vérité occasionne. — Fondements des articles condamnés par la bulle. — Luther est seul. — Il annonce des choses nouvelles. —Nécessité de la gràce.— Rétractation de Luther CHAPITRE XII.
Couronnement de Charles-Quint. — Le nonce Aléandre. —Démarches des nonces auprès de l'Empereur contre les livres et la personne de Luther. — L'Électeur donne audience aux nonces. — Position difficile de l'Électeur. — Son neveu, Jean-Frédéric, parle pour Luther. — Confiance du Réformateur.—Réponse de l'Électeur aux nonces.—Leur indignation.—Érasme, chef du juste-milieu, à Cologne.—Ses 19
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle craintes.--Érasme chez l'Électeur. — Franches déclarations. — Ses conseils et sa politique. —Système de Charles-Quint.
CHAPITRE XIII.
Persécution dans le confessionnal. — Luther sur la confession (Unterricht der Beichtkinder). —Manifestation de l'Ante-christ, contre Catharin. — Enthousiasme pour Luther. — Satires, Ulric de Hutten. — Cris sur l'incendie de Lukher. —
Gravures de Lucas Cranach. — Un écrit d'Emser. — Le carnaval à Wittemberg. —
Staupitz est intimidé. — Travaux de Luther. — Son intrépidité.—Son humilité. —
Puissance de la Réforme.
LIVRE VII. LA DIÈTE DE WORMS. 1521. (Janvier—Mai.) CHAPITRE I.
Victoires de la Parole de Dieu. — La Diète à Worms. — MŒ tif qui y attire les princes.—Difficultés.—L'Empereur demande Luther.—Celui-ci se déclare prét à partir.—L'Électeur refuse de l'amener à Worms.— Méandre voit dans son voyage l'état des esprits.--Il s'oppose à ce qu'on entende Luther.—Les discours d'Aléandre font peu d'effet à Worms.--n réveille Rome. —Le pape prononce l'excommunication contre Luther.—Luther sur la communion avec Christ. —Fulmination de la bulle. —
Luther expose ses motifs dans la Réforme
CHAPITRE II.
Projet que forment les diplomates de la cour impériale. —Jean Glapion confesseur de Charles. — Pontanus chancelier de lilecteur.—Conférences entre le confesseur et le chancelier. — Inutilité de cette manoeuvre.—Proposition d'un Dominicain. —
Activité d'Aléandre.—Luther craint la violence.
CHAPITRE III.
Charles-Quint invite Aléandre à convaincre la Diète.—Le nonce se rend à l'assemblée — Son discours. — Luther accusé. — Rome justifiée. —Appel à Charles V contre Luther.—Effet da discours du nonce.— Les princes veulent maintenir les griefs de la nation. — Discours du duc George. — Différence entre le duc et Luther. — Caractère de la Réformation. — Cent un griefs présentés à l'Empereur. — Charles cède en quelque chose. — kléandre s'oppose à la comparution de Luther. —Les grands d'Espagne. — Paix de Luther. — Le Magnificat.—Luther veut aller à Worms pour mourir, mais non pour se-rétracter 20
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IV.
Charles-Quint se résout à citer Luther à Worms.—Lui donnera-t-on un sauf-conduit?—Sommation de l'Empereur.—Le sauf-conduit.--Craintes de l'Électeur.—Le Jeudi saint à Rome. —Promulgation de la bulle in Coena Domini.—Le pape et Luther.—Le héraut impérial arrive à Wittemberg. —L'Évangile en Poméranie.—
Mélanchton veut partir avec Luther — Amsdorf, Schurf et Suaven l'accompagnent.—Hutten à Charles V. --Prière au nom de l'Allemagne CHAPITRE V.
Départ de Luther.—Le portrait de Savonarola.—On affiche à Weimar sa condamnation. — Ceux d'Erfurt viennent à sa rencontre.—Juste Jonas.—Luther prêche à Erfurt.— Le salut par la foi et pour les oeuvres.—Luther indisposé. —
Concours du peuple. — Courage de Luther. — Luther et un officier. —Séjour à Francfort.—Plan des courtisans impériaux.—Glapion chez Sickingen.—Fermeté indomptable de Luther. P. 275 à 290.
CHAPITRE VI.
Entrée dans Worms. — Le chant des morts. —Conseil tenu par Charles-Quint.—
Capiton et les temporiseurs. — Concours autour de Luther. — Il est cité à comparaître. — Lettre de Hutten.—Troubles de Luther. — Sa prière. — Sa marche vers la Diète.—Parole du vieux général G. de Freundsberg. —Imposante assemblée.— Victoire sur Rome. —Encouragement de quelques princes CHAPITRE VII.
Silence. — Questions du Chancelier. — Intervention de Schurf.— Réponse de Luther.—Sa sagesse. — Parole de Charles-Quint.—Alarmes des amis de Luther. —
Sa fermeté.— Outrages des soldats espagnols.— Conseil donné à Luther. —Sou serment à l'Écriture.—Luther dans la cour de l'hôtel de ville. — Allocution du Chancelier. — Discours de Luther. — Trois genres d'écrits. — Il demande qu'on prouve son erreur. —Paroles d'avertissement à la Diète. — Il répète son discours en latin. — Réprimande du Chancelier. — « Me voici; je ne puis autrement : Dieu m'assiste! Amen. s — L'assemblée se lève
CHAPITRE VIII.
Tumulte au retour.—Effets de la comparution.—Le verre de bière du duc Éric.
L'Électeur et Spalatin. — Intrigues d'Aléandre.—Message de l'Empereur à la Diète.—On propose de mettre Luther à mort.—Sentiments postérieurs de Charles-Quint. — Vive opposition. — Enthousiasme du peuple pour Luther. — Voix de 21
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle conciliation. — Permission de l'Empereur. —Craintes de l'Électeur.—Concours chez Luther. —Visite de Philippe de Hesse
CHAPITRE IX.
Conférence de médiation chez l'Archevêque de Trèves. — Aléandre et Cochlœus. —
Exhortation du chancelier Wehe à Luther.—R épouse. —Conversation privée.--
Visite de Cochlœus à Luther.—Souper chez l'Archevêque de Trèves. —Une tentative faite à l'hôtel de Rhodes.—On propose un concile—Dernier entretien de Luther et de l'Archevêque.— Le remède. —Visite à un ami malade. — Luther reçoit l'ordre de quitter Worms.—Réponse.—Départ .
CHAPITRE X.
La journée de Worms.—Luther à Cranach—Lettre à l'Empereur et aux États de l'Empire.—Luther chez le Prince-Abbé de Hirschfeld. — Luther prêche à Isenac. —
Plusieurs princes quittent la Diète.—Influence d'Aléandre.—Charles-Quint signe la condamnation de Luther.—L'Édit de Worms.— La fin ou le commencement ? —
Luther se rend chez ses parents à Mora.—Il est attaqué et enlevé.—Les voies de Dieu.—On conduit Luther au château de la Wartbourg. On lui donne les habits d'un chevalier—Sa captivité
LIVRE VIII. LES SUISSES. (1484-1522).
CHAPITRE I.
Mouvement en Suisse. —Source de la Réformation. — Son unité et sa diversité. —
Caractère démocratique en Suisse. —Service étranger.—Moralité CHAPITRE II.
Le Tockenbourg. — Un chalet des Alpes. — Une famille de pitres.-- Le jeune Ulric. — On le mène à Wesen. — Ulric à Bàle.—Ulric à Berne.—Le couvent des Dominicains.—Jetzer. —Les apparitions. — La passion du frère lai. L'imposture découverte.—Zwingle à Vienne ;—à Bile.—Musique.—Théologie scolastique. —
Wittembach enseigne l'Évangile. — Léon Juda.—Vocation CHAPITRE III.
Zwingle curé à Glaris. — Amour de la guerre des Glaronnais. — Le cardinal de Sion. — Zwingle reçoit une pension du pape. — Guerre. Le labyrinthe. — Glaris et Zwingle en Italie. — Zwingle à son retour étudie le grec. — Autorité de la Parole de Dieu. — Les Pères. — Zwingle et Luther. —Zwingle et les auteurs païens. —
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Comparaison entre Paris et Glaris. — Zwingle chez Érasme à Bâle. — Oswald Myconius.Scène de brigands. — Écolampade. — Respect pour Zwingle. — Zwingle à la bataille de Marignan. — Sa méthode de prédication. — Qui a commencé la Réformation ? — Découverte. —Prière. — Passage des intérêts du monde à ceux du ciel
CHAPITRE IV.
Notre-Dame d'Einsidlen. — Zwingle y est appelé.— Regrets à Glaris. — L'abbé de Rechberg. Geroldsek. —Société d'études. — Capiton. — Zwingle copie le N. T. — Il voit de près la superstition. — Ses discours à Einsidlen. Sensation. — llédion à Einsidlen. — Paroles de Zwingle aux légats. — Rome veut le gagner par les honneurs. — L'évêque de Constance. —Samson et les indulgences arrivent en Suisse. — Opposition de Zwingle. — Stapfer. Amis de Zwingle. — Myconius à Zurich.
CHAPITRE V.
La cathédrale de Zurich. — Élection du prédicateur. —Zwingle proposé. — Fable. —
Accusation contre Zwingle. —Ses confessions. — Les desseins de Dieu se développent. —Léon Juda remplace Zwingle. — Arrivée à Zurich. — Exhortation du Chapitre. — Zwingle déclare ses intentions. — Il commence à expliquer saint Matthieu. — Nature et effet de sa prédication. — Fiislin et Riuschlin. —
Opposition. — Caractère de Zwingle. — Goût pour la musique. — Affabilité.—
Ordre de sa journée. — Le colportage.
CHAPITRE VI.
Samson à Berne. — Son départ. — Les âmes du cimetière de Bade. Le doyen de Bremgarten. — Le jeune Henri Bullinger. — Samson et le doyen. — Combats intérieurs de Zwingle. —. Il préche contre les indulgences. — Samson est renvoyé de Zurich et de la Suisse.
CHAPITRE VII.
Zwingle va aux bains de Pfeffers. — Les voies de Dieu pour former ses serviteurs.—
La a grande mort. »--Zwingle retourne à Zurich. — Il est atteint de la peste. —
Hymne au commencement de sa maladie, — Au milieu. — Craintes dans Zurich et dans la Suisse. — Hymne à la fin de sa maladie. —Joie générale. —Effet du fléau pour la Réformation et pour la Réforme. Oswald Myconius est appelé à Lucerne. —
Il encourage Zwingle. Zwingle fait un voyage à Bâle. — Prédication de Capiton. —
Hédion le remplace. — Réunions particulières. — Conrad Grébel. — Douceur de Zwingle.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VIII.
Deux mille personnes converties à Zurich. — Comparaison entre Zwingle et Luther. — Doctrine de Zwingle. — Chute de l'homme. — Expiation de l'homme-Dieu. — Non-mérite des oeuvres. — Puissance de l'amour pour Christ. — Christ est la loi du chrétien. — Élection. — Christ seul est le maître de Zwingle. — Voix dans toute la Suisse sur la prédication de Zwingle. — Son abattement et son courage. —
Il appelle Staheli.—Premier acte du magistrat.—Attaques contre Zwingle. —
Galster meurt à Schaffouse pour la vérité.
CHAPITRE IX.
Berthold Haller vient de Berne à Zurich voir Zwingle. — Celui-ci l'affermit. —
L'Évangile à Lucerne. — Persécutions contre Oswald Myconius. — Prédications de Zwingle. — Henri Bullinger. Gérold Meyer de Knonau, disciple de Zwingle. Roubli prêche à Bile et doit le quitter. — Wissemburger à l'hôpital. — La guerre éclate entre Charles V et le pape d'un côté, François Ier de l'autre. — Zwingle prêche contre les capitulations
CHAPITRE X.
Le carême de 1522. Zwingle prêche contre les préceptes d'hommes.—
Fermentation. — La vérité croît dans les combats. — Des députés de l'évêque de Constance arrivent à Zurich. — Ils portent leur accusation devant le clergé, puis devant le petit conseil. -- Danger. — Appel au grand conseil. — Accusation du Coadjuteur. — Altercation contre le Coadjuteur et Zwingle.—Réponse de celui-ci. —
Arrêté du grand conseil.— Les évangéliques triomphent. —Attaque d'Hoffman.
CHAPITRE XI.
Deuil et joie en Allemagne. — Lettre anonyme et avis sur les dangers de Zwingle. —
Mandement de l'Évêque. — Lettre de l'Évêque au CHAPITRE de Zurich. —
Réponse de Zwingle : Archétélès. — L'Évêque se tourne vers la Diète. — Arrêté et rigueur de cette assemblée. —Les moines de Zurich s'encouragent. — Zwingle comparaît. — Déclaration courageuse. —Les nonnes d'Oetenbach.—Bataille de la Bicoque.--Adresse de Zwingle à Schwitz contre les capitulations.
CHAPITRE XII.
Le Français Lambert à Zurich.. Tristesse de Myconius. —Sermon du commandeur Schmidt de Husnacht à Lucerne. —Le carnaval à Berne.—Les « mangeurs de morts
» par Nicolas Manuel.—Le crâne de sainte Anne.—La réforme à Appenzell. — Les Grisons.— Conduite dissolue des prêtres. — Mariage de Zwingle 24
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE XIII.
Convocation des ministres évangéliques à Einsidlen. — Requête à l'Évêque. — Le célibat. — Requête aux confédérés. —Les hommes d'ensidlen se séparent. — Grébel et Hottinger cités.—Une scène dans un couvent. — Myconius reçoit les requêtes.—
Leur effet à Lucerne.—Le chanoine Kilchmeyer. —Haller cité à l'hôtel de ville. —
Hollard et Vannius à Fribourg. —Destitution de Myconius.--Il a recours à Dieu.—
Zwingle le console. — Oswald quitte Lucerne. — Premier acte de rigueur de la Diète. — Consternation des frères de Zwingle. —Réponse et courage du Réformateur. — L'avenir. •— Prière de Zwingle
FIN DE LA TABLE DU TOME SECOND.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle LIVRE V. LA DISPUTE DE LEIPZIG (1519.)
CHAPITRE I.
Les dangers s'étaient accumulés autour de Luther et de la Réformation. L'appel du docteur de Wittemberg à un concile général était un nouvel attentat envers la puissance papale. Une bulle de Pie II avait prononcé la grande excommunication contre les empereurs mêmes qui oseraient se rendre coupables d'une telle révolte. [1]
Frédéric de Saxe, peu affermi encore dans la doctrine évangélique, était prêt à renvoyer Luther de ses États Un nouveau message de Léon X aurait donc jeté le Réformateur au milieu d'étrangers qui eussent craint de se compromettre en recevant un moine que Rome avait maudit. Et si même l'épée de quelque noble se fût élevée pour le défendre, ces simples chevaliers, méprisés des puissants princes de l'Allemagne, eussent dû bientôt succomber dans leur hasardeuse entreprise.
Alors tout était fini. [2]
C'est ici l'un de ces grands moments de l'histoire, où l'on voit comme à l'œil l'action providentielle de Dieu. Dieu seul pouvait alors sauver Luther, et il le sauva par son ennemi même, par Léon X. An moment où tous ses courtisans le poussaient à des mesures de rigueur, et où un dernier coup eût fait tomber son adversaire en ses mains, ce pape changea subitement de conduite et entra dans des voies de conciliation et d'apparente douceur On peut dire sans doute qu'il se fit illusion sur les dispositions de l'Électeur, et les crut plus favorables à Luther qu'elles ne l'étaient en réalité ; on peut admettre que la voie publique, l'esprit du siècle, ces puissances toutes nouvelles alors, lui parurent entourer le. Réformateur d'un inaccessible boulevard; on peut supposer, comme l'a fait un de ses historiens, [3], qu'il suivit les mouvements de son jugement et de son cœur qui inclinait à la douceur et à la modération. Mais cette nouvelle manière d'agir, de Rome, dans un tel moment, est si étrange, qu'il est impossible d'y méconnaître une plus haute et plus puissante main, celle de Dieu même.
Tin noble saxon, chambellan du pape et chanoine de Mayence, de Trèves et de Meissen, se trouvait alors à la cour de Rome. Il avait su s'y faire valoir. Il s'était vanté d'être un peu parent des princes saxons, en sorte que les courtisans romains lui donnaient quelquefois le titre de duc de Saxe. En Italie, il étalait sottement sa noblesse germanique; en Allemagne, il imitait gauchement les manières et l'élégance italiennes. Il aimait le vin et son séjour à la cour de Rome avait accru ce vice [4]. Cependant les courtisans romains fondaient sur lui de grandes espérances.
Son origine allemande, ses manières insinuantes, son habileté dans les affaires, tout leur faisait espérer que Charles de Miltitz (c'était son nom) réussirait à arrêter par sa prudence la puissante révolution qui menaçait d'ébranler le monde.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Il importait de cacher le véritable objet de la Mission du chambellan romain. On y réussit sans peine. Quatre ans auparavant, le pieux Électeur avait fait demander au pape la rose d'or. Cette rose, la plus belle des fleurs, représentait le corps de Jésus-Christ; elle était consacrée chaque année par le souverain pontife et offerte à l'un des premiers princes de l'Europe. On résolut de l'envoyer cette fois à l'Électeur.
Miltitz partit, chargé d'examiner l'état des affaires et de gagner Spalatin et Pfeffinger, conseillers de l'Électeur. Il avait pour eux des lettres particulières. En cherchant à se concilier ainsi ceux qui entouraient le prince, Rome espérait devenir bientôt maîtresse de son redoutable adversaire.
Arrivé en Allemagne au mois de Décembre 1518, le nouveau légat s'appliqua, sur sa route, à sonder l'opinion publique. A son grand étonnement, il remarqua, partout où il s'arrêta, que la plupart des habitants étaient pour la Réformation [5]. On parlait de Luther avec enthousiasme. Pour une personne favorable au pape, il en trouvait trois favorables au Réformateur [6]. Luther nous a conservé un trait de sa mission. «
Que pensez-vous du siège de Rome ? » demandait souvent le légat à des hôtesses et à des servantes d'auberge. Un jour, l'une de ces pauvres femmes lui répondit naïvement : « Vraiment, nous ne savons si les siéger que vous avez à Rome sont de pierre ou de bois [7]. »
Le seul bruit de l'arrivée du nouveau légat remplit la cour de l'Électeur, l'université, la ville de Wittemberg et toute la Saxe, de soupçons et de méfiance. « Grâces à Dieu, Martin respire encore,» écrivit Mélanchthon effrayé [8]. On assurait que le chambellan romain avait reçu l'ordre de s'emparer de Luther par ruse ou par violence. On recommandait de tous côtés au docteur de se tenir en garde contre les embûches de Miltitz « Il arrive,» lui di-sait-on, « pour se saisir de vous et vous livrer au pape. Des personnes dignes de foi ont vu les brefs dont il est porteur. . « J'attends la volonté de Dieu,» répondit Luther [9].
En effet, Miltitz arrivait chargé de lettres adressées à l'Électeur, à ses conseillers, aux évêques, et au bourgmestre de la ville de Wittemberg. Il était muni de soixante-dix brefs apostoliques. Si les flatteries et les faveurs de Rome atteignaient leur but, si Frédéric livrait Luther entre ses mains, ces soixante-dix brefs devaient, en quelque sorte, lui servir de passeports. Il voulait en produire et en afficher un dans chacune des villes qu'il aurait à traverser, et il espérait réussir ainsi à traîner sans opposition son prisonnier jusqu'à Rome [10].
Le pape semblait avoir pris toutes ses mesures, Déjà à la cour électorale, on ne savait plus quel parti prendre. On eût résisté à la violence; mais qu'opposer au chef de la chrétienté, parlant avec tant de douceur et de raison apparente ? Ne serait-il pas à propos, disait-on, de cacher Luther quelque part, jusqu'à ce que l'orage fût passé?... Un événement imprévu vint sortir Luther, l'électeur et la Réformation de cette situation difficile. L'aspect du monde changea tout à coup.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le 12 janvier 1519, Maximilien, empereur d'Allemagne, mourut. Frédéric de Saxe, conformément à la constitution germanique, devint administrateur de l'Empire. Dès lors l'Électeur ne craignit plus les projets des nonces. Des intérêts nouveaux vinrent agiter la cour de Rome, la forcèrent à user de ménagement dans ses négociations avec Frédéric, et arrêtèrent le coup que méditaient sans doute Miltitz et de Vio.
Le pape avait un vif désir d'éloigner du trône impérial Charles d'Autriche, déjà roi de Naples. Il pensait qu'un roi, son voisin, était plus à craindre qu'un moine d'Allemagne. Désireux de s'assurer l'Électeur, qui, en cette affaire, pouvait lui être d'un si grand secours, il résolut de donner quelque relâche au moine, pour mieux S'opposer au roi; mais l'un et l'autre firent des progrès malgré lui. Ainsi changea Léon X.
Une autre circonstance vint encore détourner l'orage suspendu sur la Réformation.
Des troubles politiques éclatèrent aussitôt après la mort de l'Empereur. Au sud de l'Empire; la confédération souabe voulait punir 'Urie de Wurtemberg qui lui était devenu infidèle. Au nord, l'évêque de Hildesheim se jetait, les armes à la main, sur l'évêché de Minden et sur les terres du duc de Brunswick. Comment au milieu de ces agitations, les grands du siècle auraient-ils pu attacher quelque importance à une dispute sur la rémission des péchés? Mais Dieu fit surtout servir aux progrès de la Réforme la réputation de sagesse de l'Électeur, devenu vicaire de l'Empire, et la protection qu'il accordait mut nouveaux docteurs. « La tempête suspendit ses fureurs, dit Luther; l'excommunication papale commença à tomber dans le mépris.
A l'ombre du ‘Ïcariat de l'Électeur, l'Évangile se répandit au « loin, et il en résulta un grand dommage pour le papisme [11]. »
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FOOTNOTES
[1] Lettre de l'Électeur à son envoyé à Borne. L. Opp. (L.) XVII, p. 298.
[2] Rationem agendi prorsus oppositam inire statuit. (Cardinal Pallavicini, Hist.
Concil. Trid. Vol. I, p. 51 )
[3] Vie de Léon X par Roscoe. Vol. IV, p. 1.
[4] Nec ab usu immoderato vini abstinuit. (Pallavicini, Hist Concil. Trid. I, p. 69.)
[5] Sciscitatus per viam Mitilius quanam esset in zestimatione Lutherus... sensit de eo cum admiratione homines luqui. ( Pallavicini, Hist. Concil. Trid. Tom. I, p. 51 )
[6] Ecce ubi unum pro papa stare inveni, tres pro te contra papam stabant. ( L. Opp.
Lat. in Prœf. )
[7] Quid nos scire possumus quales vos Romœ habeatis sellas, ligneasne an lapideas ? (Ibid.)
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle
[8] Martinus noster, Deo gratias, adhuc spirat. ( Corpus reformatorum edidit Bretschneider. I, 61.)
[9] Expecto consilium Dei. (L. Epp. I, p. 191. )
[10] Per singula oppida affigeret untiin, et ita tutus me per-duceret Romam. (L. Opp.
Lat. in Powf.)
[11] Tune desiit paululum saevire tempestas... (L. Opp. Lat. in Praef.) 29
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE III
D'ailleurs, pendant un interrègne, les défenses les plus sévères perdaient naturellement de leur force. 'fout devenait plus libre et plus facile. Le rayon de libellé qui vint luire sur ces commencements de la Réforme, développa puissamment cette plante encore délicate, et l'on put reconnaître dès lors combien la liberté politique serait favorable aux progrès du christianisme évangélique.
Miltitz, arrivé en Saxe déjà avant la mort de Maximilien, s'était empressé de se rendre vers son ancien ami Spalatin ; mais à peine avait-il commencé ses plaintes contre Luther, que le chapelain avait éclaté contre Tezel. Il avait instruit le nonce des mensonges et des blasphèmes du vendeur d'indulgences, et lui avait déclaré que toute l'Allemagne attribuait au Dominicain la division qui déchirait l'Église.
Miltitz avait été étonné. D'accusateur, il était devenu accusé. Ce fut sur Tezel que se porta alors toute sa colère. Il le somma de se rendre à Altenbourg pour se justifier devant lui. Le Dominicain, aussi lâche que fanfaron, craignant le peuple que ses fraudes- avaient irrité, avait cessé de courir les villes et les campagnes, et se tenait caché à Leipzig dans le collège de Saint-Paul. Il pâlit en recevant la lettre de Miltit1
Rome même l'abandonne ; elle le menace, elle le condamne ; elle veut le tirer du seul asile où il se croit en sûreté et l'exposer à la colère de ses ennemis... Tezel refusa de se rendre à l'invitation du nonce.
« Certes, écrivit-il à Miltitz le 31 décembre 1518, je ne regretterais pas la peine du voyage si je pouvais sortir de Leipzig sans péril pour ma vie ; mais l'Augustin Martin Luther a tellement ému et soulevé les hommes puissants contre moi, que je ne suis en sûreté nulle part. Un grand nombre de partisans de Luther ont juré ma mort. Je ne puis donc me rendre vers vous [1].» il y avait un contraste frappant entre ces deux hommes, que renfermaient alors le collège de Saint-Paul à Leipzig et le cloître des Augustins à Wittemberg. Le serviteur de Dieu montrait un courage intrépide en présence du danger; le serviteur des hommes, une méprisable lâcheté.
Miltitz avait ordre d'employer d'abord les armes de la persuasion ; et ce n'était que si cette voie ne réussissait pas, qu'il devait produire ses soixante-dix brefs, et faire en même temps usage de toutes les faveurs romaines pour porter l'Électeur à réprimer Luther. Il témoigna donc le désir d'avoir une entrevue avec le Réformateur.
Leur ami commun, Spalatin, offrit sa maison pour cet usage, et Luther quitta Wittemberg le 2 ou le 3 janvier, pour se rendre à Altenbourg.
Miltitz épuisa dans cette entrevue toutes les finesses d'un diplomate et d'un courtisan romain. A peine Luther fut-il arrivé, que le nonce s'approcha de lui avec de grandes démonstrations d'amitié. « Oh ! pensa Luther, comme sa violence s'est changée en douceur! Ce nouveau Saut venait en Allemagne, armé de plus de 30
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle soixante-dix brefs apostoliques, pour me conduire vivant et chargé de chaînes dans l'homicide Rome; mais le Seigneur l'a renversé en chemin [2].»
« Cher Martin » lui dit le chambellan du pape, d'une voix caressante, «je croyais que vous étiez un vieux théologien, qui, assis tranquillement derrière son poêle, avait des quintes théologiques; mais je vois que vous êtes encore un jeune homme et dans vos meilleures années [3].
« Savez-vous, » continua-t-il en prenant un ton plus grave, « que vous avez enlevé le monde entier au pape et que vous vous l'êtes attaché [4]? » Miltitz n'ignorait pas que c'est en flattant l'orgueil des hommes qu'on réussit le mieux à les séduire; mais il ne connaissait pas celui auquel il avait affaire.
« Quand j'aurais une armée de vingt-cinq mille des hommes, ajouta-t-il, je n'entreprendrais vraiment pas de vous enlever de ce pays et de vous conduire à Rome e. Rame, malgré sa puissance-, se sentait faible devant un pauvre moine; et le moine se sentait fort devant Rome. « Dieu arrête sur le rivage les flots de la mer, disait Luther, et il les arrête... avec du sable. [5]»
Le nonce, croyant avoir ainsi préparé l'esprit de son adversaire, poursuivit en ces termes : « Bandez vous-même. La plaie que vous avez faite à l'Église, et que seul vous pouvez guérir. Gardez-vous,[6] » ajouta-t-il en laissant couler quelques larmes,
« gardez-vous d'exciter une tempête qui causerait la ruine de l'humanité [7]. » Puis il en vint peu à peu à insinuer qu'une rétractation pouvait seule réparer le mal; mais il adoucit aussitôt ce que ce mot pouvait avoir de choquant, en donnant à entendre à Luther qu'il avait pour lui la plus haute estime, et en s'emportant contre Tezel. Le filet était tendu d'une main habile, comment ne pas y être pris?
« Si l'archevêque de Mayence m'avait parlé ainsi dès le commencement, » dit plus tard le Réformateur cette affaire n'aurait pas fait tant de bruit [8]. »
Luther prit alors la parole, et exposa avec calme, mais- avec dignité et avec force, les justes plaintes de l'Église; il exprima toute son indignation contre l'archevêque de Mayence, et se plaignit noblement de la manière indigne dont Rome l'avait traité, malgré la pureté de ses intentions. Miltitz, qui ne s'était pas attendu à un langage aussi ferme, sut cependant maîtriser sa colère.
« Je vous offre, reprit Luther, de garder à l'avenir le silence sur ces matières et de laisser cette affaire mourir d'elle-même, pourvu que de leur côté mes adversaires se taisent; mais si l'on continue à m'attaquer, bientôt d'une petite querelle naîtra un combat sérieux. Mes armes sont toutes prêtes.— « Je ferai plus encore, ajouta-t-il un instant après, « j'écrirai à Sa Sainteté, pour reconnaître que j'ai été un peu trop violent, et pour lui déclarer que c'est comme un enfant fidèle de l'Église que j'ai combattu des prédications qui attiraient sur elle les moqueries et les injures du peuple; je consens même à publier un écrit, dans lequel: j'inviterai tous ceux qui 31
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle lisent mes livres, à ne point y voir « d'attaques contre l'Église romaine, et à lui demeurer soumis. Oui, je suis disposé à tout faire et à tout supporter ; mais quant à une rétractation, ne l'espérez jamais de moi.»
Miltitz comprit, au ton décidé de Luther, que le plus sage était de paraitre satisfait de ce que le réformateur voulait bien promettre. Il proposa seulement qu'on prenne un archevêque pour arbitre de quelques points qu'il y aurait à débattre. « Soit, dit Luther; mais je crains fort que le pape ne veuille pas accepter un juge; dans ce cas, je n'accepterai pas non plus le jugement du pape, et alors la lutte recommencera. Le pape composera le texte, et moi j'en ferai le commentaire. »
Ainsi se termina la première entrevue de Luther et de Miltitz [9] Ils en eurent une seconde, dans laquelle la trêve ou plutôt la paix fut signée. Luther fit aussitôt part à l'Électeur de ce qui s'était passé.
« Sérénissime prince et très-gracieux seigneur, lui écrivit-il, je m'empresse de faire connaître très- humblement à Votre Altesse Électorale, que Charles de Miltitz et moi sommes enfin tombés d'accord et avons terminé l'affaire en arrêtant les deux articles suivants :
« Premièrement ; il est défendu aux deux partis de prêcher, d'écrire et d'agir davantage quant à la dispute qui s'est élevée.
« Secondement; Miltitz fera immédiatement con- naître au Saint-Père l'état des choses. Sa Sainteté ordonnera à un évêque éclairé de s'enquérir de l'affaire, et d'indiquer les articles erronés que je dois rétracter. Si l'on me prouve que je suis dans l’erreur, je me rétracterai volontiers, et je ne ferai plus rien qui puisse nuire à l'honneur ni à l'autorité de la sainte Église romaine [10]. »
L'accord ainsi fait, Miltitz parut tout joyeux. Depuis cent ans, s'écria-t-il, aucune affaire n'a causé plus de souci que celle-ci aux cardinaux et aux courtisans romains.
Ils auraient donné dix mille ducats, plutôt que de consentir à ce qu'elle durât plus longtemps [11]. »
Le chambellan du pape n'épargnait aucune démonstration auprès du moine de Wittemberg. Tantôt il témoignait de la joie, tantôt il versait des larmes. Cet étalage de sensibilité toucha peu le Réformateur; mais il se garda de faire connaître ce qu'il en pensait. « Je n'eus pas l'air de comprendre « ce que signifiaient ces larmes de crocodile g, » dit-il. On prétend que le crocodile pleure quand il ne peut saisir sa proie.
Miltitz invita Luther à souper. Le docteur accepta. Son hôte mit de côté la roideur attribuée à sa charge, et Luther se laissa aller à la gaîté de son caractère: Le repas fut joyeux [12], et le moment de se séparer étant venu, le légat tendit les bras au 32
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle docteur hérétique, et le baisa [13]. « Baiser de Judas, » pensa Luther. « J'eus l'air, écrivit-il à Staupitz, de ne pas comprendre toutes ces manières italiennes [14]. »
Ce baiser devait-il véritablement réconcilier entre elles Rome et la Réforme naissante ? Miltitz l'espérait, et il s'en réjouissait, car il voyait de plus près que les courtisans de Rome les terribles suites que la Réformation pouvait avoir pour la papiste. Si Luther et ses adversaires se taisent, se disait-il, la dispute sera finie, et Rome.; en faisant nitre des circonstances favorables, regagnera toute son ancienne influence: Il semblait donc qu'on fût bien près de la fin du débat. Rome avait tendu lei bras, et le Réformateur paraissait s'y être jeté; mais cette œuvre était, non d'un homme, mais de Dieu. L'erreur de Rome a été de voir la querelle d'un moine, là où il y avait un réveil de l'Église.' Les baisers d'un chambellan du pape ne pouvaient pas arrêter le renouvellement de la Chrétienté.
Miltitz, fidèle à l'accord qu'il venait de conclure, se rendit d'Altenbourg à Leipzig, où se trouvait Tezel. Il n'était pas besoin de lui fermer la bouche;' car,' plutôt que de parler, il se fût caché, s'il l'eût pu dans les entrailles de la terre; mais le nonce voulait décharger sur lui sa colère. A peine arrivé à Leipzig, Miltitz fit citer le malheureux Tezel. Il l'accabla de reproches, l'accusa d'être l'auteur de tbUt lë trial et le menaça de l'indignation du pape r. Ce n'était pas assez [15] L'agent de la maison Fuggergni se trouvait alors à Leipzig, fut confronté avec lui. Miltitz présenta au Dominicain les comptes de cette maison, les papiers qu'il avait lui-même signés, et lui prouva qu'il avait dépensé inutilement ou volé des sommes considérables... Le malheureux, que' rien n'épouvantait au jour de ses triomphes, fut accablé sous ces justes accusations; il tomba dans le désespoir; sa santé s'altéra; il ne savait plus où cacher sa honte.
Luther apprit le misérable état de son ancien adversaire, et seul il en fut touché. «
J'ai pitié de Tezel, » écrivait-il à Spalatin [16]. Il ne s'en tint pas à ces paroles. Ce n'était pas l'homme qu'il avait haï, c'étaient ses mauvaises actions. Au moment où Rome l'accablait de sa colère, il lui écrivit une lettre pleine de consolation. Mais tout fut inutile. Tezel, poursuivi par les remords de sa conscience, effrayé par les reproches de ses meilleurs amis, et redoutant la colère du pape, mourut misérablement quelque temps après. On crut que la douleur avait causé sa mort
[17].
Luther, fidèle aux promesses qu'il avait faites- à Miltitz, écrivit au pape le 3 mars la lettre suivante:
« Bienheureux Père! Que Votre Béatitude daigne tourner ses oreilles paternelles, qui sont comme celles de Christ même, vers votre pauvre brebis et écouter avec bonté son bêlement. Que ferai-je, très-saint Père ? Je ne puis supporter l'éclat de votre colère, et je ne sais comment y échapper. On me demande de me rétracter. Je me bâterais de le faire, si cela pouvait conduire au but que se propose. Mais les 33
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle persécutions de mes adversaires ont répandu au loin mes écrits, et ils, sont trop profondément gravés dans les cœurs, pour qu'il soit possible de les en retirer. Une rétractation ne ferait que déshonorer toujours plus l'Église de Rome, et placer sur les lèvres de tous un, cri d'accusation contre elle. Très-saint Père! Je le déclare en présence de Dieu et de toutes ses créa- tures; je n'ai jamais voulu et je ne veux point encore porter atteinte, par la force ou par la ruse, à la puissance de l'Église romaine, ni à celle de Votre Sainteté. Je reconnais que rien dans le ciel ni sur la terre ne doit être mis au-dessus de cette Église, si ce n'est Jésus-Christ, le Seigneur de tous »
Ces paroles pourraient paraître étranges, et même répréhensibles, dans la bouche de Luther, si l'on ne se rappelait qu'il vint à la lumière, non tout à coup, mais par une marche lente et progressive. Elles témoignent, ce qui est fort important, que la Réformation n'a pas été simplement une opposition à la papauté. Ce n’est pas la guerre faite à telle ou telle forme, ce n'est pas telle ou telle tendance négative qui l’a accomplie. L'opposition au pape n'y fut qu'en seconde ligne. Une vie nouvelle, une doctrine positive en furent le principe générateur. « Jésus-Christ Seigneur de tous, et qui doit être préféré à tout, » et à Rome elle-même, comme le dit Luther à la fin de sa lettre, voilà la cause essentielle de la révolution du XVÌ siècle.
Il est probable que quelque temps auparavant, le pape n'eût pas laissé passer inaperçue une lettre où le moine de Wittemberg refusait nettement toute rétractation. Mais. Maximilien était mort : on s'occupait du choix de son successeur, et la lettre de Luther fut négligée, au milieu des intrigues politiques qui agitaient alors la ville du pontife.
Le Réformateur employait mieux son temps que son puissant adversaire. Tandis que Léon X, occupé des intérêts qu'il avait comme prince temporel, mettait tout en œuvre pour écarter du trône un voisin qu'il redoutait, Luther croissait chaque jour en connaissances et en foi. Il étudiait les décrets des papes; et les découvertes qu'il faisait modifiaient beaucoup ses idées. « Je lis les décrets « des pontifes, écrit-il à Spalatin, et (je te le dis à « l'oreille) je ne sais si le pape est l'Antéchrist lui« même ou s'il est son apôtre, tellement Christ y « est dénaturé et crucifié '• [18]»
Cependant il estimait toujours l'ancienne Église de Rome, et ne pensait point à une séparation. « Que l'Église romaine, » dit-il dans l'explication qu'il avait promis à Miltitz de publier, « soit honorée de Dieu « par-dessus toutes les autres, c'est ce dont on ne peut « douter. Saint Pierre, saint Paul, quarante-six papes, «plusieurs centaines de milliers de martyrs, ont « répandu leur sang dans son sein et y ont vaincu « l'enfer et le monde, en sorte que le regard de Dieu « repose tout particulièrement sur elle. [19] Quoique tout « s'y trouve maintenant en un bien triste état, ce n'est « pas un motif pour se séparer d'elle. Au contraire, « plus les choses y vont mal, plus on doit lui demeurer attaché; car ce n'est pas par la séparation « qu'on la rendra meilleure. Il ne faut pas abandonner Dieu à cause du 34
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle diable, et les enfants de Dieu « qui se trouvent encore à Rome, à cause de la multitude des méchants. Il n'y a aucun péché, aucun « mal qui doive détruire la charité, ni rompre l'unité. « Car la charité peut toute chose, et rien n'est difficile à l'unité [20]. »
Ce ne fut pas Luther qui se sépara de Borné : ce fut Rome qui se sépara de Luther, et qui rejeta ainsi la foi antique de l'Église catholique dont il était alors le représentant. Ce ne fut pas Luther qui enleva à Rome son pouvoir, et qui fit descendre son évêque d'un trône usurpé; les doctrines qu'il annonçait, la parole des apôtres que Dieu manifestait de nouveau dans l'Église universelle avec un grand pouvoir et une admirable pureté, purent seules prévaloir contre cette puissance, qui depuis des siècles asservissait l'Église.
Ces déclarations de Luther, publiées à la fin de février, ne satisfaisaient point encore Miltitz et de Vit>. Ces deux vautours, ayant l'un et l'antre manqué leur proie, s'étaient retirés dans les murs antiques de Trèves. Là, secondés par le prince archevêque, ils espéraient atteindre ensemble le but que chacun d'eux avait manqué isolément. Les deux nonces comprenaient qu'il n'y avait plus rien à attendre de Frédéric, revêtu dans l'Empire du pouvoir suprême. Ils voyaient que Luther persistait à refuser toute rétractation.
Le seul moyen de réussir était de soustraire le moine hérétique à la protection de l'Électeur et de l'attirer près d'eux. Quand une fois le Réformateur sera à Trèves, dans un État soumis à un prince de l'Église, il sera bien habile s'il en sort • sans avoir pleinement satisfait aux exigences du souverain pontife. Ils se mettent aussitôt à l'œuvre. » dit Miltitz à l'Électeur-archevêque de Trèves, « a accepté Votre Grâce « comme arbitre. Appelez-le donc (levain vous.» L'Électeur de Trèves écrivit en conséquence, le 3 mai, à l'Électeur de Saxe pour le prier de lui envoyer Luther.
De Vio, et ensuite Miltitz lui-même, écrivirent aussi à Frédéric, pour lui annoncer que la rose d'or était arrivée à Augsbourg chez les Fugger. C'était, pensaient-ils, le moment de frapper le coup décisif.
Mais les choses sont changées; ni Frédéric, ni Luther ne se laissent ébranler.
L'Électeur a colin-pris sa nouvelle position. Il ne craint plus le pape; bien moins encore craint-il ses serviteurs. Le Réformateur, vouant Miltitz et de Vio réunis, devine le sort qui l'attend, s'il se rend à leur invitation. « Partout, dit-il, de toute manière on « cherche ma vie '. [21] » D'ailleurs il a demandé que le pape se prononce, et le pape, tout occupé de couronnes et d'intrigues, n'a point parlé. Luther écrivit à Miltitz: « Comment pourrai-je mie « mettre en route sans un ordre de Rome, au milieu « des troubles dont l'Empire est agité? Comment « affronter tant de périls, et m'exposer à des dépenses si considérables, moi le plus pauvre des « hommes ?»
L'Électeur de Trèves, homme sage, modéré, ami de Frédéric, voulait ménager celui-ci. Il n'avait d'ailleurs aucune envie de se mêler de cette affaire, à moins d'y être 35
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle positivement appelé. Il convient donc avec l'Électeur de Saxe, qu'on en renverrait l'examen à la prochaine diète, et ce ne fut que deux ans plus tard, à Worms, qu'elle s'assembla.
Tandis qu'une main providentielle écartait l'un après l'autre tous les dangers qui menaçaient Luther, celui-ci s'avançait avec courage vers un but qu'il ignorait lui-même. Sa réputation grandissait; la cause de la vérité se fortifiait; le nombre des étudiants de Wittemberg augmentait, et parmi eux se trouvaient les jeunes hommes les plus distingués de l'Allemagne. «Notre ville, écrivait Luther, « peut à peine recevoir tous ceux qui y arrivent ; » et dans une autre occasion : « Le nombre des étudiants augmente excessivement et comme une « eau qui déborde [22].»
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FOOTNOTES
[1] Lèscher. II, 567.
[2] Sed per viam a Domino prostratus... mutavit violentiam in benevolentiam fallacissime simulatam. (L. Epp. I, p. 206.)
[3] O Martine, ego credebam te esse senem aliquem theo-logum, qui post fornacem sedens... (L. Opp. Lat. in Prœf.)
[4] Quod orbem totuin mihi conjunxerim et papa abstraxerini. (L, Epp. I, p. 231.)
[5] Si haberem 25 millia armatorum, non confiderem te posse a me Romam perdnci.
(L. Opp. Lat. in Prœf.)
[6] L. Opp. W.) XXII.'
[7] Profiisis laerymis ipsum °ravit, ne tam perniciosam chris tiano generi tempestatem cieret. (Pallavicini. I, 52. )
[8] Non evasisset res in tantum tumultum. (Opp. Lat. in Pra3f.)
[9] Und die Sache sich,zu Todo bluten. ( L. Epp. 207.)
[10] gisse quod majorem illi sollicitudinem incussissit.(Pallavicini. Tom. I, p. 52.
)
[11] Ego dissimulabam has crocodili lacrymas a me intelligi. (L. Epp. I, 216.)
[12] Atque vesperi, me accepté), convivio lœtati sumus. (Ibid. 231.)
[13] Sic amice discessimus etiam cum osculo (Judas scilicet.) (Ibid. 2'6.)
[14] Has italitates. (L. Epp. L 23t.)
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle
[15] Vérhis niinisque pontificiis ita fregiehominem, hactenus terribilem cunctis et imperterritum stentorem. (L. Opp: in Pref.)
[16] Doleo Tetzelium...... (L. Epp. I, p. 223.)
[17] Sed conscientia indignitate Papœ forte occubuit. (L. Opp. in Ptsief.
[18] Nescio an Papa sit Antichristus ipse vel apostolus ejus. (L. Epp. 1, 239.) -
[19] Turne II. 2
[20] L. Opp. L. XVII, 224.
[21] Video ubique, undique, quocumque modo, animam meam quaeri. (L. Epp. 1, 274. 76 mai.)
[22] Sicut aqua inundans. L. Epp. I, p. 278 et 279.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IV
Mais déjà ce n'était plus en Allemagne seulement que la voix du Réformateur se faisait entendre. Elle avait passé les frontières de l'Empire, et commençait à ébranler, parmi les divers peuples de la chrétienté, les fondements de la puissance romaine. Frobenius, fameux imprimeur de Bâle, avait publié la collection des œuvres de Luther. Elle se répandit avec rapidité. A Bâle, l'évêque lui-même, applaudissait à Luther. Le cardinal de Sion, après avoir lu ses ouvrages, s'écria avec un peu d'ironie, en jouant sur son nom : « O Luther, tu es « un véritable Luther ! »
(Un véritable purificateur, Lauterer).
Érasme se trouvait Louvain quand les écrits de Luther parvinrent dans les PaysBas. Le prieur des Augustins d'Anvers, qui avait étudié à Wittenberg, et qui, d'après le témoignage d'Érasme, possédait le vrai christianisme primitif, d'autres Belges encore, les lurent avec avidité. Mais ceux qui ne cherchaient que leurs intérêts, dit le savant de Rotterdam, et qui nourrissaient le peuple de contes de vieilles femmes, firent éclater un sombre fanatisme « de ne saurais vous dire, écrit Érasme à Luther, les « émotions, .les agitations vraiment tragiques aux « quelles vos écrits ont donné lieu T. »
Frobenius envoya six cents exemplaires de ces ouvrages en France et en Espagne.
On les vendit publiquement à Paris. Les docteurs de la Sorbonne les lurent alors avec approbation, à ce qu'il paraît. Il était temps, dirent plusieurs d'entre eux, que ceux qui s'occupent des saintes lettres, parlassent avec une telle liberté. En Angleterre, ces livres furent reçus avec plus d'empressement encore. Des négociants espagnols les firent traduire en leur langue, et envoyer d'Anvers dans leur patrie. «
Certainement,» dit Pallavicini, « ces négociants étaient de sang « maure [1]. »
Calvi, savant libraire de Pavie, porta en Italie tan grand nombre d'exemplaires de ces livres, et les répandit dans toutes les villes transalpines. Ce n'était point l'amour du gain qui animait cet homme de lettres, mais le désir de contribuer au réveil de la piété. La force avec laquelle Luther soutenait la cause de Christ, le pénétrait de joie.
« Tous les hommes savants de l'Italie, écrivait-il, « se joindront à moi, et nous vous enverrons des « vers composés par nos écrivains les plus distingués. »
Frobenius, en faisant parvenir à Luther un exemplaire de cette publication, lui raconta toutes, ces réjouissantes nouvelles, et ajouta : « J'ai vendu « tous les exemplaires, excepté dix, et je n'ai jamais « fait une si bonne affaire. » D'autres lettres encore exprimèrent à Luther la joie que causaient ses ouvrages. Ici Je me réjouis, dit-il, de ce que la vérité plaît si fort, bien qu'elle parle avec si peu de
«science et d'une manière si barbare » [2]
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle FOOTNOTES
[1] 1 Maurorum scirpe prognatis. (Pallav. 1, 91.) 2 Ha bis id gaudeo, quod yttrium taIn barbare et indocte loquens, adeo placet. (L.
Epp. 1, taire.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE V
Tel fut le commencement du réveil dans les divers pays de l'Europe. Si l'on eut excepte la Suisse, Où la prédication de l'Évangile s'était déjà fait entendre, l'arrivée des écrits du docteur de' Wittenberg forme partout la première page de l'histoire de la Réformation. Un imprimeur de Bâle répandit ces premiers germes de la vérité.
Au moment où le pontife romain pense étouffer l'œuvre en Allemagne, elle commence en France, dans les Pays-Bas, en Italie, en Espagne, en Angleterre et en Suisse. Quand Rome abattrait le tronc primitif, qu'importe ? Les semences sont déjà partout répandues.
Tandis que le combat commençait au dehors de l'Empire, il paraissait presque cesser au dedans. Les plus fougueux soldats de Rome, des moines franciscains de Jüterbock, qui avaient imprudemment attaqué Luther, s'étaient hâtés, après une vigoureuse réponse du Réformateur, de rentrer dans le silence. Les partisans du pape- se taisaient. Tezel était hors de combat. Les amis de Luther le conjuraient de ne pas continuer la lutte, et il le leur avait promis. Les thèses commençaient à être oubliées. Cette perfide paix frappait d'impuissance la bouche éloquente du Réformateur. La Réformation paraissait arrêtée. « Mais,» dit plus tard Luther, en parlant de cette époque, «les hommes projetaient, des choses vaines; car le Seigneur
« s'est réveillé pour juger les peuples [1] » cc Dieu ne « me conduit pas, dit-il ailleurs; il me pousse, il « m'enlève. Je ne suis pas maitre de moi-même. Je « voudrais vivre dans le repos; mais je suis précipité au milieu du tumulte et des révolutions [2]. »
Eck le scolastique, l'ancien ami de Luther, l'auteur des Obélisques, fut celui qui recommença le combat. Il était sincèrement attaché à la papauté; mais il semble avoir été dépourvu de véritables sentiments religieux, et avoir fait partie de cette classe d'hommes trop nombreux en tout temps, qui considèrent la science, et même la théologie et la religion, comme des moyens de se faire un nom dans le monde. La vaine gloire se cache sous la soutane du pasteur comme sous l'armure du guerrier.
Eck s'était appliqué à l'art de la dispute selon lis règles des scolastiques, et était passé maître dans ce genre de lutte. Tandis que les chevaliers du moyen âge et les guerriers du siècle de la Réformation cherchaient la gloire dans les tournois, les scolastiques la cherchaient dans les disputes syllogistiques, dont les académies offraient souvent le spectacle. Eck, rempli d'une haute idée de lui-même, fier de ses talents, de la popularité de sa cause, et des victoires qu'il avait remportées dans huit universités de Hongrie, de Lombardie et d'Allemagne, désirait ardemment avoir l'occasion de déployer ses forces et son adresse. Ce « petit moine, » qui avait crû tout à coup jusqu'à devenir géant, ce Luther que jusqu'alors personne n'avait pu vaincre, offusquait son orgueil, et excitait sa jalousie Peut-être, en recherchant sa propre gloire, Eck perdrait-il Rome... Mais la vanité scolastique ne se laisse pas arrêter par une telle considération. Les théologiens, comme les princes, ont su plus d'une fois immolée à leur gloire particulière l'intérêt général. Nous allons voir 40
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle quelles circonstances fournirent au docteur d'Ingolstadt le moyen d'entrer en lice avec son importun rival.
Le zélé, mais trop ardent Carlstadt, s'entendait encore avec Luther. Ces deux théologiens étaient surtout unis par leur attachement à la doctrine de la grâce et par leur admiration pour saint Augustin. Caristadt, enclin à l'enthousiasme, et possédant peu de sagesse, n'était pas un homme que l'adresse et la politique d'un Miltitz pussent arrêter. Il avait publié contre les Obélisques de Eck des thèses où il défendait Luther et la foi qui leur était commune. Eck avait répondu, et Carlstadt ne lui avait pas, laissé le dernier mot [3]. Le combat s'était échauffé. Eck, désireux de saisir une occasion si favorable, avait jeté le gant à Carlstadt; l'impétueux Carlstadt l'avait relevé. Dieu se servit des passions de ces deux hommes pour accomplir ses desseins. Luther n'avait pris aucune part à ces débats, et cependant il devait être le héros de la bataille. Il est des hommes que la force des choses ramène toujours sur la scène. On convint que Leipzig serait le lieu de la discussion. Telle fut l'origine de cette dispute de Leipzig, dès lors si célèbre.
Eck se souciait assez peu de combattre Carlstadt, et même de le vaincre. C'était à Luther qu'il en voulait. Il mit donc tout en œuvre pour l'attirer sur le champ de bataille, et publia à cet effet treize thèses [4], qu'il dirigea contre les doctrines principales déjà professées par le Réformateur. La treizième était ainsi conçue : «
Nous nions que l'Église romaine n'ait pas été élevée au-dessus des autres églises avant le temps (lu pape Sylvestre ; et nous reconnaissons en tout temps comme successeur de saint « Pierre et vicaire de Jésus-Christ, celui qui a occupé le siège de saint Pierre et qui a eu sa foi.» Sylvestre vivait du temps de Constantin le Grand; Eck niait donc par cette thèse que la primauté dont Rome jouissait, lui eût été donnée par cet empereur.
Luther, qui avait consenti, non sans quelque peine, à garder désormais le silence, fut vivement ému à la lecture de ces propositions. Il reconnut que c'était à lui qu'il en voulait, et sentit qu'il ne pouvait avec honneur éviter le combat. « Cet homme, dit-il, nomme Carlstadt son antagoniste, « et en même temps il se jette sur moi.
Mais Dieu « règne. Il sait ce qu'il veut faire résulter de cette « tragédie [5]. Ce n'est ni du docteur Eck ni de moi « qu'il sera question. Le dessein de Dieu s'accomplira, «
Grâce à Eck, cette affaire, qui jusqu'à présent n'a été qu'un jeu, deviendra à la fin sérieuse, et portera un coup funeste à la tyrannie de Rome et du « pontife romain. »
Rome elle-même a déchiré l'accord. Elle a fait plus; en donnant de nouveau le signal du combat, elle a engagé la lutte sur un point que Luther n'avait pas encore directement attaqué. C'était la primauté du pape que le docteur Eck signalait à ses adversaires. Il suivait ainsi le dangereux exemple qu'avait déjà donné Tezel [6].
Rome appela les Coups de l'athlète, et si elle laissa dans le gymnase des membres palpitants, c'est qu'elle avait attiré elle-même sur sa tête son bras redoutable.
41
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle La suprématie pontificale une fois renversée, tout l'échafaudage romain s'écroulait.
Le plus grand danger menaçait donc la papauté. Et cependant ni Miltitz ni Cajetan ne faisaient rien pour empêcher cette nouvelle lutte. S'imaginaient-ils que la Réformation serait vaincue, ou étaient-ils frappés de cet aveuglement qui entraîne les puissants dans leur chute ?
Luther, qui avait donné un rare exemple de modération en gardant si longtemps le silence, répondit sans crainte à la provocation de son antagoniste. Il opposa aussitôt de nouvelles thèses aux thèses du docteur Eck. La dernière était ainsi conçue : «
C'est par de pitoyables décrétales des pontifes romains, composées il y a quatre cents ans et moins, que l'on prouve la primauté de l'Église de Rome; mais cette primauté a contre elle l'histoire digne de foi « de onze cents années, les déclarations des saintes Écritures, et les conclusions du concile de Nicée le plus saint de tous les conciles [7]. »
« Dieu sait, » écrivit-il en même temps à l'Électeur, « que mon intention sérieuse était de une taire, et que j'étais joyeux de voir enfin ce jeu terminé. « J'ai si fidèlement observé le pacte conclu avec le « commissaire du pape, que je n'ai pas répliqué à « Sylvestre Prierias, malgré les insultes des adversaires et les conseils de mes amis. Mais maintenant « le docteur Eck m'attaque, et non-seulement moi, «
mais encore toute l'université de Wittemberg. Je « ne puis permettre que la vérité soit ainsi couverte « d'opprobre [8]. »
En même temps Luther écrivit à Carlstadt : « Je « ne veux pas, excellent André, que vous entriez « dans cette querelle, lui dit-il, puisque c'est à moi «qu'il en veut. Je laisserai là avec joie mes travaux sérieux pour m'occuper des jeux de ces adulateurs
«du pontife romain [9].» Puis, apostrophant son adversaire : « Maintenant donc, mon cher Eck, « lui crie-t-il de Wittemberg à Ingolstadt avec un superbe dédain, « homme fort! Sois courageux et ceins ton « épée sur ta cuisse [10]. Si je n'ai pu te plaire comme « médiateur, peut-être te plairai-je davantage comme antagoniste. Non pas que je me propose de te vaincre, mais parce qu'après tous les triomphes que tu cc as rem portés en Hongrie, en Lombardie, en Bavière « (si du moins nous devons t'en croire), je te fournirai l'occasion d'obtenir le nom de triomphateur de la Saxe et de la Misnie, en sorte que tu seras «à jamais salué du titre glorieux d'auguste'. »
Tous les amis de Luther ne partageaient pas son courage, car personne jusqu'à cette heure n'avait pu résister aux sophismes du docteur Eck. Mais ce qui leur donnait surtout de vives alarmes, c'était le sujet de la querelle... la primauté du pape !
Comment le pauvre moine de Wittemberg ose-t-il s'en prendre à ce géant qui, depuis des siècles, a écrasé tous ses ennemis? Les courtisans tremblent à la cour de l'Électeur. Spalatin, le confident du prince, et l'intime ami du Réformateur, est rempli de crainte. Frédéric est inquiet. Le glaive même de chevalier du Saint-Sépulcre dont il a été armé à Jérusalem, ne suffirait pas à cette guerre. Luther seul 42
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle ne s'épouvante pas. « L'Éternel, pense-t-il, le «livrera entre mes mains! » Il trouve dans la foi qui l'anime de quoi fortifier ses amis : « Je vous « en supplie, mou cher Spalatin, dit-il, ne vous « laissez pas aller à la crainte; vous savez bien que « si Christ n'était pas pour moi, tout ce que j'ai fait « jusqu'à cette heure eût dû causer ma perte. Dernièrement encore n'a-t-on pas écrit d'Italie au « chancelier du duc de Poméranie, que j'avais bouleversé Rome, et qu'on ne savait comment apaiser « le tumulte, en sorte qu'on se proposait de m'attaque non-par les règles de la justice, mais par les « finesses romaines (ce sont les expressions qu'on a employées), c'est-à-dire, je pense, pat le poison, les embûches et l'assassinat?
« Je me modère, et, pour l'amour de l'Électeur « et de l'Université,-je garde par-devers moi bien des « choses, que je ferais servir contre Babylone si j'étais ailleurs.
O mon pauvre Spalatin ! Il est impossible de parler avec vérité de l'Écriture et de l'Église, sans irriter la bête. N'espérez donc jamais «me voir en repos, à moins que je ne renonce à la théologie. Si cette affaire est de Dieu, elle ne se « terminera pas avant que tous mes amis m'aient « abandonné, comme tous les disciples de Christ l'abandonnèrent. La vérité demeurera seule, et triomphera par sa droite et non par la mienne, ni par la droite, ni par celle d'aucun homme [11]. Si je succombe, le monde ne périra pas avec moi. Mais, « misérable que je suis! Je crains de n'être pas digne « de mourir pour une telle cause. ».---«Rome, » kribn encore vers le même temps, «Rome brille du désir *de me perdre, et moi je me morfonds à me moquer d'elle [12]. On m'assure qu'on a brillé publiquement à Rome, dans le champ de Flore, Martin Luther eh papier, après l'avoir couvert d'exécrations. J'attends leur fureur «
Le monde entier, poursuit-il, s'agite et chancelle; qu'arrivera-t-il? Dieu le sait. Pour moi, je prévois des guerres *et des désastres. Dieu ait pitié de nous [13]!'
Luther écrivait lettre sur lettre au duc George 7, afin que ce prince, dans les États-duquel Leipzig se trouvait, lui permît de s'y rendre et de prendre part à la dispute; mais il n'en recevait pas de réponse. Le petit-fils du roi de Bohème Podiebrad, épouvanté par la proposition de Luther sur l'autorité du pape, et craignant de voir naître en Saxe les guerres dont la Bohême avait été si longtemps le théâtre, ne voulait pas consentir à la demande du docteur. [14] Celui-ci résolut alors de publier des explications sur cette treizième thèse. Mais cet écrit, loin de persuader le duc George, l'affermit an contraire dans sa résolution ; et il refusa absolument au Réformateur l'autorisation qu'il demandait de disputer, lui permettant seulement d'assister comme spectateur au débat [15]. C'était une grande contrariété pour Luther. .Néanmoins il n'a qu'une volonté, celle d'obéir à Dieu. Il ira, il verra, il attendra.
En même temps le prince favorisait de tout son pouvoir la dispute entre Eck et Carlstadt. George était dévoué à l'ancienne doctrine; mais il était droit, sincère, ami du libre examen, et il ne pensait pas que toute opinion dût être accusée d'hérésie, par cela seul qu'elle déplaisait à la cour de Rome. D'ailleurs l'Électeur Insistait 43
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle auprès de son cousin, et George, affermi par les paroles de Frédéric, ordonna que la dispute eût lient [16].
L'évêque Adolphe de Mersbourg, dans le diocèse duquel Leipzig se trouvait, comprit mieux que Miltitz et Cajetan le danger d'abandonner des questions si importantes aux chances d'un combat singulier. Rome ne pouvait exposer à de tels hasards le fruit du travail de plusieurs siècles. Tous les théologiens de Leipzig, non moins alarmés, suppliaient leur évêque d'empêcher la dispute. Adolphe fit donc au duc George les représentations les plus énergiques. Le duc lui répondit avec beaucoup de sens : «Je suis surpris de voir un évêque « avoir tant d'horreur pour l'antique et louable coutume de nos pères, d'examiner les questions douteuses dans les choses de la foi. Si vos théologiens « se refusent à défendre leurs doctrines, mieux vaudrait avec l'argent qu'on leur donne entretenir de « vieilles femmes et de petits enfants, qui sauraient cc au moins filer et chanter. [17]»
Cette lettre fit peu d'effet sur l'évêque et sur ses théologiens. L'erreur a une conscience secrète qui lui fait craindre qu'on n'examine, même quand elle parle le plus de libre examen. Après s'être avancée avec imprudence, elle se retire avec lâcheté. La vérité ne provoque pas, mais elle tient ferme. L'erreur provoque et s'enfuit. La prospérité de l'université de Wittemberg était d'ailleurs pour celle de Leipzig un objet de jalousie. Les moines et les prêtres de Leipzig suppliaient le peuple, du haut de la chaire, de fuir les nouveaux hérétiques. Ils déchiraient Luther; ils le représentaient, ainsi que ses amis, sous les couleurs les plus noires, afin de fanatiser la classe ignorante contre les docteurs de la Réformation [18]. Tezel, qui vivait encore, se réveilla, pour crier du fond de sa retraite : « C'est le diable qui pousse à ce combat a ! [19] »
Tous les professeurs de Leipzig n'étaient pourtant pas dans les mêmes sentiments; quelques-uns appartenaient à la classe des indifférents, toujours prêts à rire des fautes des deux partis. De ce nombre était le professeur de grec, Pierre Mosellanus.
Il se souciait assez peu de Jean Eck, de Carlstadt et de Martin Luther; mais il se promettait un grand divertissement de leur lutte. « Jean Eck, le « plus illustre des gladiateurs de plume et des rodomonts, écrivit-il à son ami Érasme, Jean Eck, qui, «
comme Socrate dans Aristophane, méprise les dieux « mêmes, en viendra aux mains dans une dispute « avec Andrt Carlstadt. Le combat finira par des grands cris. Dix démocritéens y auront de quoi rire [20].»
Le timide Érasme, au contraire, était effrayé à l'idée d'un combat et sa prudence craintive eût voulu arrêter la dispute. « Si vous vouliez en croire « Érasme, écrivit-il à Melanchthon ; vous vous appliqueriez plus à faire fleurir les bonnes lettres qu'à «
en poursuivre les ennemis [21]. Je crois que de cette manière nous avancerions davantage. Surtout n'ou« huions pas dans la lutte, que nous devons vaincre « non-seulement par l'éloquence, mais aussi par la « modestie et la douceur. » Ni les 44
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle alarmes des prêtres, ni la prudence des pacificateurs ne pouvaient plus prévenir le combat. Chacun prépara ses armes.
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FOOTNOTES
[1] Domitius evigilavit et stat ad judicandos populos. (L. Opp. lat. in Prœf.)
[2] Deus rapuit, pellit, nedum ducit me : non sum compos mei : volt) esse quietus et rapior in medios tumultos. (L. Epp. I, s3r.)
[3] Defensio adversus Eckii monomachiam.
[4]. L. Opp. (L.) XVII. p. 242.
[5] Épon». 27
[6] 1: Ife vol. p. 356.
[7] L. Opp. (L. ) XVII. p. 245.
[8] L. Epp. I, p. 237.
[9] Gaudens et videras posthabeo istorum mea seria Judo. (L. Epp. I, 25r.)
[10] Esto vir fortis et accingere gladio tuo super femur tnum, potentissime! (Ibid.)
[11] Et sola sit veritas, (pue salvet se dextera sua, non mea, non tua, non ullius hominis.... (L. Epp. I, 261, )
[12] Expecto furorem illorum. (Ibid. a8o, du 3o mai 1519.)
[13] Totus orbis nutat et movetur, tam corpore quam anima. (Ibid.)
[14] Ternis literis, a duce Georgio non potui certum obtinere responsum. (Ibid. p.
282.)
[15] Ita ut non disputater sed spectator iuturus Lipsiam in-grederer. (L. Opp. in Prœf.)
[16] Principis nostri verbe firnietus. (L. Epp. 1, es.)
[17] Schneider. Lips. Chr. IV. a68.
[18] Theologi interim me proseindunt.... populum Lipsite inclarnant. (L. Epp. I, 255.)
[19] Das watt der Teufel ! (Ibid. )
[20] Se. ckend. p. 201.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle
[21] Malin] te plus operœ sumere in asserendis bonis litteris, quam in sectandis harum hostibus (Corpus Reform. ed. Bretet-schneider. I, 78, du 22 avril 1519.) 46
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VI
Eck arriva le premier au rendez-vous. Le 21 juin, il entra dans Leipzig avec Poliandre, jeune homme qu'il avait amené d'Ingolstadt, pour écrire la relation de la dispute. On rendit toute sorte d'honneurs au docteur scolastique. Revêtu d'habits sacerdotaux et à la tête d'une nombreuse procession, il parcourut les rues de la ville, le jour de la-Fête-Dieu. Chacun voulait le voir. Tous les habitants étaient pour lui, dit-il lui-même; & pourtant,» ajoute-t-il, « le bruit courait dans tonte la ville que « je succomberais dans ce combat. »
Le lendemain de la fête, le vendredi 24 juin, jour de la Saint-Jean, les Wittembergeois arrivèrent! Carlstadt, qui devait combattre le docteur Eck, était seul dans son char, et précédait tous les autres. Le duc Barnim de Poméranie, qui étudiait Mors à Wittemberg, et qui avait été élu recteur de l'Université, venait ensuite dans une voiture découverte; à ses côtés étaient assis les deux grands théologiens, les pères de la Réformation, Melanchthon et Luther. Melanchthon n'avait pas voulu quitter son ami. « Martin, le soldat du Seigneur, » avait-il dit à Spalatin, a remué ce marais fétide t. Mon esprit s'ira digne quand je pense à la honteuse conduite des « théologiens du pape. Soyez ferme et demeurez avec à nous !
Luther, lui-même, avait désiré que son Aebate, comme on l'a appelé, l'accompagnât.
Jean Lange, -vicaire des Augustins, plusieurs docteurs en droit, quelques maîtres ès arts, deux licenciés en théologie, et d'autres ecclésiastiques, parmi lesquels on remarquait Nicolas Amsdorf, fermaient la marche: Amsdorf, issu d'une famille noble de la Saxe, faisant peu de cas de la carrière brillante à laquelle sa naissance eût pu l'appeler, s'était consacré à la théologie. Les thèses sur les indulgences l'avaient amené à la connaissance de la vérité. Il avait fait aussitôt une courageuse profession de foi [1]. Doué d'une âme forte et d'un caractère véhément, Amsdorf poussa souvent Luther, déjà assez prompt de sa nature à des actes peut-être -
imprudents. Né dans un rang élevé, il ne craignait pas les grands, et il leur paria quelquefois avec une liberté qui approchait de la rudesse. « L'Évangile de Jésus-Christ, disait-il un jour devant une noble assemblée, « appartient aux pauvres et aux affligés, et non pas à «. Vous princes, seigneurs et courtisans, qui vivez a sans cesse dans les délices et dans la joie a.[2])
Mais ce n'était pas là tout le cortège de Wittemberg. Des étudiants accompagnaient en grand nombre leurs maîtres. Eck prétend qu'il y en avait jusqu'à deux cents.
Aimés de piques et de hallebardes, ils entouraient les chars des docteurs, prêts à les défendre et fiers de leur cause.
Tel était l'ordre dans lequel le cortège des Réformateurs arrivait à Leipzig. Comme il avait déjà passé la porte de Grima, et qu'il se trouvait devant le cimetière de Saint-Paul, une roue du char de Carlstadt se brisa. 'L'archidiacre, dont l'amour-47
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle propre jouissait d'une entrée aussi solennelle, tomba dans la boue. Il ne se fit pas de mal, mais il fut obligé de gagner à pied le lieu de sa demeure. Le char de Luther, qui suivait celui de Carlstadt, .le devança rapidement et amena le Réformateur sain et sauf devant sou logis. Le peuple de Leipzig, rassemblé pour voir l'entrée des champions de Wittemberg, vit dans cet accident un fâcheux présage pour Carlstadt; et bientôt on en conclut dans toute la ville, qu'il succomberait dans le combat, mais que Luther y serait vainqueur [3].
Adolphe de Merseburg ne demeurait pas oisif Aussitôt qu'il apprit l'approche de Luther et de Carlstadt, et avant même' qu'ils fussent descendus de leurs voitures, il fit afficher à toutes les portes des églises la défense de commencer la dispute, sous peine d'excommunication. Le duc Georges, étonné de cette audace, enjoignit au conseil de la ville de faire lacérer le placard de l'évêque, et fit jeter en prison le hardi entremetteur qui avait osé exécuter cet ordre [4]. Georges s'était en effet rendu lui-même à Leipzig. Il était accompagné de toute sa *mir, entre autres de ce Jérôme Emser, chez qui Luther avait passé à Dresde une soirée fameuse I. Georges fit aux combattants des deux partis les cadeaux d'usage. « Le duc, » dit Eck avec orgueil, «
me fit présent d'un beau cerf, et il ne, « donna à Carlstadt qu'un chevreuil'. »
A peine Eck eût-il appris l'arrivée de Luther•, qu'il se rendit chez le docteur. « Eh quoi! lui dit-il, « J’ai ouï dire que vous vous refusez à disputer « avec moi. ».
LUTHER.
« Comment disputerais-je, puisque le duc me le « défend? »
ECK.
« Si je ne puis disputer avec vous, je me soucie « fort peu d'en venir aux mains avec Carlstadt. C'est pour vous etc… je suis venu ici [5]. » Puis, après un moment de silence, il ajouta : « Si je vous procure « la permission du duc, paraîtrez-vous sur le champ « de bataille ? »
LUTHER •
v. « joie. S procurez a-moi, et nous combattrons. »-
Eck se rendit aussitôt chez le duc. Il chercha à dissiper ses craintes. Il lui représenta il était certain de la victoire, et que l'autorité du pape, loin de souffrir de la dispute, en sortirait couverte de gloire. C'est au chef qu'il faut s'en prendre. Si Luther demeure, tout demeure. S'il tombe, tout tombe. George accorda la permission demandée.
Le duc avait fait préparer une grande salle dans son palais nominé la Pleisse bourg.
On y avait élevé deux chaires en face l'une de l'autre; des tables y étaient placées pour les notaires chargés de coucher par écrit la dispute, et des bancs pour les 48
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle spectateurs. Les chaires •et les bancs étaient recouverts de belles tapisseries. A la chaire du docteur de Wittemberg était suspendu le portrait de saint Martin, dont il portait le nom ; à celle du docteur Eck, le portrait du chevalier Saint-Georges. «
Nous « verrons, » dit le présomptueux Eck, en regardant cet emblème, « si je ne me mettrai pas à cheval sur « mes ennemis. »Tout annonçait l'importance qu'on attachait au combat.
Le 25 juin, ou se réunit au château pour s'entendre sur l'ordre que l'on devait suivre.
Eck, qui avait plus de confiance en ses déclamations et ses gestes qu'en ses arguments, s'écria : « Nous disputerons librement, d'abondance; et les notaires ne «
coucheront point nos paroles par écrit. ».
CARLSTADT.
« Il a été convenu que la dispute serait écrite, « publiée et soumise au jugement de tous. »
ECK.
« Écrire tout ce qui est dit, c'est alanguir l'esprit des combattants et faire traîner la bataille. « C'en est fait alors de cette verve que demande « une dispute animée.
N'arrêtez pas le torrent des « paroles » [6]
Les amis du docteur Eck appuyèrent sa demande. Carlstadt persista dans ses objections. Le champion de Rome dut céder.
I Eck
«Soit, on écrira; mais du moins la dispute écrite « par les notaires ne sera pas publiée avant qu'elle « ait été soumise à l'examen de certains juges. »
LUTHER.
«La vérité du doctetir Eck et des Eckiens craint. « donc la lumière ? »
Eck
« Il faut des juges ! »
LUTHER.
« Et quels juges ? »
Eck.
« Quand la *dispute sera finie, nous nous enter'« drops pour les nommer. »
Le but des partisans de Rome était évident. Si les théologiens de Wittemberg acceptaient des juges, ils étaient perdus ; car leurs adversaires étaient sûrs à 49
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle l'avance de ceux auxquels on s'adresserait. S'ils les refusaient, on les couvrirait de honte, en répandant partout qu'ils craignaient de se soumettre à des juges impartiaux.
Les Réformateurs voulaient pour juges, non tels ou tels individus dont l'opinion était arrêtée d'avance, mais la chrétienté tout entière. C'était à un suffrage universel qu'ils en appelaient. Du reste, qu'ils soient condamnés, peu leur importe, si en plaidant leur cause en présence du ronde chrétien, ils ont amené quelques âmes à la lumière.
« Luther, dit un historien romain, demandait pour « juges tous les fidèles, c'est-il-dire un tribunal tel « qu'il n'y aurait pas eu d'urne assez vaste pour « contenir ses votes [7]. »
On se sépara. «Voyez quelle ruse ils emploient, » se dirent les uns aux autres Luther et ses amis. « Ils veulent sans doute demander pour juges le « pape ou les universités. »
En effet, le lendemain matin les théologiens de Rome envoyèrent à Luther un des leurs, chargé de lui proposer pour juge... le pape !—« Le pape! » dit Luther, «
comment puis-je l'admettre ? »
« Gardez-vous, s'écrièrent tous ses amis, d'accepter des conditions aussi injustes. »
Eck et les siens consultèrent de nouveau. Ils renoncèrent au pape et proposèrent quelques universités. « Ne nous enlevez pas la liberté que vous nous avez «
auparavant accordée,» répondit Luther. ---«Nous « ne pouvons vous céder sur ce point, » répliquèrent-ils. — « Eh bien ! s'écria Luther, je ne disputerai « pas! * [8]»
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FOOTNOTES
[1] Nec cum carne et sanguine diu contulit, sed statim palam ad alios, fidei confessionem constanter edidit. (M. Adami Vita Amsdorf.)
[2] Weismann, Hist. Eccl. I., p. 1444.
[3] i vol. p. 25o.
[4] Séck. p. Igo.
[5] Si tecum non licet disputare neque cum Carlstatio vola; propter te enim hue veni..(L. Opp..i.0 Erad.)
[6] Melancht. Opp. I, 139. (Keethe ed.
[7] Aiebat, ad universos inortales pertinere judicium, boy est ad tribunal cujus colligendis calculis nulla urna catis capax., t.eI, p. 5 5. ) 50
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle
[8] Opp. (L.1 XVII. p. 245.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VII
On se sépare, et toute la ville s'entretient de ce qui vient de se passer. « Luther, »
s'écrient partout les Romains, « Luther ne veut pas accepter la dispute ! Il ne veut reconnaître aucun juge! ..» On commente, on torture ses paroles; on s'efforce de les représenter de la manière la plus défavorable pour lui. « Quoi! Vraiment? Il ne veut pas disputer? » Disent les meilleurs amis du Réformateur. Ils se rendent auprès de lui, et lui expriment leurs alarmes. « Vous refusez le combat! disent-ils. Votre refus va faire rejaillir sur votre université et «sur votre cause une honte éternelle! »
C'était attaquer Luther par son côté le plus sensible. Eh bien! » Dit-il le cœur rempli d’indignation, « j'accepte les conditions qu'on m'impose ; « mais je me réserve le droit d'appel, et je récuse « la cour de Rome »
Le 27 juin était le jour fixé pour le commencement de la dispute. Dès le matin, on se rassembla dans le grand collège de l'université; et de là, on se rendit en procession'
à l'église de Saint-Thomas, où une messe solennelle fut célébrée, d'après les ordres et aux frais du duc. [1] Le service fini, les assistants allèrent en procession au château ducal. En tète marchaient le duc Georges et le duc de Poméranie; puis venaient des comtes, des abbés, des chevaliers et d'autres personnages de distinction, enfin les docteurs des deux partis. Une garde, composée de soixante-seize bourgeois, armés de hallebardes, accompagnait le cortège, bannières déployées, au son d'une musique guerrière. Elle s'arrêta aux portes du château.
Le cortège étant arrivé au palais, chacun prit place dans la salle où la dispute devait avoir lieu. Le duc Georges, le prince héréditaire Jean, le prince Georges d'Anhalt, âgé douze ans, et le duc de Poméranie occupaient les sièges qui leur étaient destinés.
Mosellanus monta en chaire, pour rappeler aux théologiens, par ordre du duc, de quelle manière ils devaient disputer. « Si .vous vous jetez dans des « querelles, leur dit l'orateur, quelle différence y « aura-t-il entre un théologien qui discute et un duel-« liste effronté ? Qu'est-ce ici que remporter la victoire, si ce n'est ramener un frère de l'erreur ?... « Il semble que chacun doit plus désirer d'être « vaincu que de vaincre [2].»
Ce discours fini, une musique religieuse retentit sous les voûtes de la Pleiàsenbourg; toute l'assemblée se mit à genoux, et l'hymne antique pour l'invocation du Saint-Esprit, Perd, Sancte Spiritus! Fut chantée. Heure solennelle dans les fastes de la Réformation! Trois fois l'invocation fut répétée; et pendant que ce chant grave se faisait entendre, réunis, confondus, les défenseurs de l'ancienne doctrine et les champions de la doctrine nouvelle, les hommes de l'Église du moyen âge et ceux qui voulaient rétablir l'Église des Apôtres, inclinaient très-humblement leurs fronts vers la terre. L'antique lien d'une seule et même communion réunissait encore en 52
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle un faisceau tous ces esprits divers : là même prière sortait encore de toutes ces bouches, comme si un seul cœur l'avait prononcée.
C'étaient les derniers moments de l'unité extérieure, de l'unité morte : une nouvelle unité d'esprit et de vie allait commencer. Le Saint-Esprit était invoqué sur l'Église, et le Saint-Esprit allait répondre, et renouveler la chrétienté.
Les chants et la prière finis, on se releva. La dispute devait commencer; mais l'heure de midi ayant sonné, on la renvoya jusqu'à deux heures.
Le duo réunit à sa table les principaux personnages qui se proposaient d'assister au débat. Après le repas, on retourna au château. La salle était remplie de spectateurs.
Les disputes de ce genre étaient les assemblées publiques de cet âge. C'était là que les représentants du siècle agitaient les questions qui préoccupaient tous les esprits.
Bientôt les orateurs furent à leur poste. Afin qu'on puisse mieux se les représenter, nous donnerons leurs portraits, tels qu'ils ont été tracés par l'un des témoins les plus impartiaux de la lutte.
« Martin Luther est de taille moyenne, et si maigre, à cause de ses nombreuses études, qu'on peut presque compter ses os. Il est dans la force de « l'âge et a une voix claire et sonore. Sa science et « son intelligence des Écritures saintes sont inondé parables; la Parole de Dieu est tout entière sous « sa main [3]. Il a outre cela une grande provision « d'arguments et d'idées. Peut-être pourrait-on désirer en lui, un peu plus de jugement pour mettre « chaque chose à sa place. Dans la conversation il est honnête et affable; il n'a rien de stoïque ni d'orgueilleux; il sait s'accommoder à chacun; sa manière de parler est agréable et pleine de jovialité. « Il montre de la fermeté, et a toujours un air satin-« fait, quelles que soient les menaces de ses adversaires en sorte qu'on est obligé de croire que ce « n'est pas sans l'aide de Dieu qu'il fait de si grandes « choses. On le blâme cependant d'être, en reprenant les autres, plus mordant que cela ne convient « à un théologien, surtout lorsqu'il annonce des « choses nouvelles en religion.
« Carlstadt est plus petit; il a la figure noire et « hâlée; sa voix est désagréable; sa mémoire est « moins sûre que celle de Luther, et il est plus en« clin que lui à la colère. Néanmoins on retrouve « en lui, quoiqu'à un moindre degré, les qualités qui distinguent son ami.
« Eck est d'une stature élevée; il est large des « épaules; sa voix est forte et vraiment allemande. « Il a de bons reins; en sorte qu'il se ferait très-bien « entendre sur un théâtre et qu'il ferait même un « excellent crieur public. Son accent est plutôt grossier que distingué. Il n'a pas cette grâce que louent s tant Fabius et Cicéron. Sa bouche, ses yeux et « tout son visage vous donnent plutôt l'idée d'un « soldat ou d'un boucher que d'un théologien [4]. Il a une excellente mémoire, et s'il avait autant d'intelligence, ce serait vraiment un homme parfait. « Mais il est lent à comprendre, 53
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle et il lui manque le « jugement, sans lequel tous les autres dons sont « inutiles. C'est pourquoi, en disputant, il entasse « une masse de passages de la Bible, de citations «
des Pères et de preuves diverses, sans choix et « sans discernement. Il est outre cela d'une imprudence inconcevable. S'il se trouve embarrassé, il « sort du sujet qu'il traite, s'élance sur un autre, « quelquefois même s'empare de l'opinion de son antagoniste, en se servant d'autres expressions, et «attribue à son adversaire avec une adresse extraordinaire l'absurdité qu'il défendait lui-même. »
Tels étaient, selon Mosellanus, les hommes qui attiraient alors l'attention de la foule qui se pressait Clans la grande salle de la Pleisse bourg. •
La dispute commença entre Eck et Carlstadt.
Eck fixait depuis quelques moments ses regards .sur des objets qui couvraient la tablette de la chaire -de son rival et qui semblaient l'offusquer : c'étaient la Bible et les saints Pères. « Je me refuse à la dis.« pute, s'écria-t-il tout à coup, s'il vous est permis que d'apporter des livres avec vous. Un théologien, avoir recours à ses livres pour disputer! L'étonne--ment du docteur Eck était plus étonnant encore. « C'est une feuille de figuier dont cet Adam se sert comme pour cacher sa honte, dit Luther.
Augustin « pas consulté des livres en combattant contre les « Manichéens? xi N'importe! les partisans de Eck font grand bruit. On se récrie : cc Cet homme n'a pas la « moindre mémoire, » disait Eck. Enfin on arrêta, selon le désir du chancelier d'Ingolstadt, que chacun ne pourrait se servir que de sa mémoire et de 'sa langue. «
Ainsi donc, dirent plusieurs, il ne s'agira « point dans cette dispute de la recherche de la vérité, mais des éloges à donner à la langue et à la « mémoire des combattants.»
Ne pouvant rapporter en entier cette dispute qui dura dix-sept jours, nous devons, comme le dit un historien, imiter les peintres, qui, lorsqu'il s'agit de représenter une bataille, retracent sur le premier plan les actions les plus célèbres, et laissent les autres dans le lointain
Le sujet de la dispute d'Eck et .de Carlstadt était important : « La volonté de l'homme, avant sa « conversion, disait Carlstadt, ne peut rien faire de « bon : toute bonne œuvre vient entièrement et exclusivement de Dieu, qui donne l'homme, d'abord « la volonté de la faire, et ensuite la force de l'accomplir. »Cette vérité avait été proclamée par la sainte Écriture qui dit : « C'est Dieu qui produit en-vous, le vouloir et l'exécution, selon son bon gré; [5]» et par saint- Augustin, qui, dans sa dispute avec les Pélagiens, l'avait énoncée à peu près dans les mêmes termes. Tonte œuvre dans laquelle l'amour de Dieu, l'obéissance envers Dieu manque, est dépouillée aux yeux de Dieu de ce qui seul peut la rendre vraiment- bonne, fût-elle du reste produite par les motifs humains les plus beaux. Or il y a dans l'homme une-opposition naturelle à Dieu. Il est au-dessus de ses forces de la surmonter. Il 54
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle n'en a pas le pouvoir; il n'en a pas même la volonté. Cela doit donc se faire par la puissance divine.
C'est là la question, si décriée dans le monde, et pourtant si simple, du libre arbitre.
Telle avait été la doctrine de l'Eglise. Mais les scolastiques l'avaient expliquée de manière à la rendre méconnaissable. Sans doute, disaient-ils, la volonté naturelle de l'homme ne peut rien faire qui soit véritablement agréable à Dieu ; mais elle petit faire beaucoup pour rendre l'homme plus capable de recevoir la grâce de Dieu et plus digue de réobtenir. Ils appelaient ces préparations, un mérite de convenance
' ; « parce qu'il est convenable,» disait Thomas d'Aquin, « que Dieu traite avec une
«ri faveur toute particulière celui qui fait un bon « emploi de sa propre volonté. »Et quant à .la »conversion qui doit être opérée dans l'homme, sans douta.
C’était la grâce de Dieu qui, selon les scolastiques, devait l'accomplir, mais sans exclure les forces naturelles. 'Ces forces, disaient-il, Wolf* peut été anéanties par le péché [6] le péché ne fait que mettre obstacle à leur développement ; mais aussitôt que cet obstacle est enlevé (et c'était là, à les entendre, ce que la grâce de Dieu avait à faire), l'action de ces forces recommence. L'oiseau, pour rappeler l'une de leurs comparaisons favorites, l'oiseau qui a été lié quelque temps, n'a dans cet état, ni perdu les forces ni oublié l'art de voler; mais il faut qu'une main étrangère enlève ses liens, afin qu'il puisse de nouveau se servir de ses ailes. Il en est ainsi de l'homme, disaient-ils'. [7]
Telle était la question agitée entre Eck et Carlstadt. Eck avait paru d'abord s'opposer tout à fait aux propositions de Carlstadt sur ce sujet ; mais sentant qu'il était difficile de se maintenir sur le terrain qu'il avait choisi, il dit : « J'accorde que la « volonté n'a pas le pouvoir de faire une bonne « œuvre, et qu'elle le reçoit de Dieu.
» — « Reconnaissez-vous donc, » lui demanda Carlstadt, tout joyeux d'avoir obtenu une telle concession, « qu'une « bonne œuvre vient tout entière de Dieu ? » —« Toute la bonne œuvre vient bien de Dieu, » répondit subtilement le scolastique, «mais non pas « entièrement. » Voilà, s'écria Melanchthon, une trouvaille bien digne de la science théologique. « Une pomme, ajoutait Eck, est produite toute par le « soleil, mais non pas totalement et sans le concours « de la plante [8]. » Jamais on n'a soutenu sans doute qu'une pomme soit toute produite par le soleil.
Eh bien, dirent alors les opposants, pénétrant plus avant dans cette question si délicate et si importante en philosophie et en religion, examinons donc comment Dieu agit sur l'homme, et comment l'homme se comporte dans cette action. « Je reconnais, disait Eck, que la première impulsion pour la conversion de l'homme vient de Dieu, et que « la volonté de l'homme y est entièrement passive » Jusqu'ici les deux antagonistes étaient d'accord. « Je « reconnais, (lisait de son côté Carlstadt, qu'après « cette première action qui vient de Dieu, il faut « qu'il vienne quelque chose de la part de l'homme, « ce que saint Paul appelle volonté, ce que les Pères «
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle nomment consentement. [9]» Et ici, de nouveau l'un et l'autre étaient d'accord. Mais de ce moment ils cessaient de l'être. « Ce consentement de l'homme, » disait Eck, a vient en partie de notre volonté nain« relie, en partie de la grâce de Dieu [10].»—
«Non,» disait Carlstadt, « mais il faut que Dieu crée entièrement « cette volonté dans l'homme [11]. »—Là-dessus Eck de s'étonner et de s'irriter, en entendant des paroles si propres à faire sentir à l'homme tout son néant. « Votre doctrine, s'écrie-t-il, fait de l'homme une « pierre, une bûche, incapable d'aucune réaction!..» — « Eh quoi ! répondent les Réformateurs, la faculté « de recevoir ces forces que Dieu opère en lui, cette « faculté que l'homme possède selon nous, ne le distingue-t-elle pas suffisamment d'une pierre et d'une « bûche ?. . » — « Mais, reprend leur antagoniste,
« vous vous mettez en contradiction avec l'expérience, en refusant à l'homme toute force naturelle. » — « Nous ne nions pas, répliquent ses « adversaires, que l'homme ne possède des forces, « et qu'il n'y ait en lui la faculté de réfléchir, de méditer, de choisir. Nous considérons seulement ces « forces et ces facultés comme de simples instruments, qui ne peuvent rien faire de bon, avant « que la main de Dieu les ait mis en mouvement. « Elles sont comme la scie dans la main de l'homme « qui la tient »
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FOOTNOTES
[1] Opp. (L.) XVII. p. 246,
[2] Seckend. p. 209.
[3] Seine Gelehrsamkeit aber und Verstand in heiliger Schrift ist unvergleichlich, so dass er fast alles im Griff bat. ( nus in Seckend. 206.)
[4] Pallavieini. I, 65.
[5] Epître de saint Paul aux Philippiens. II, t3.
[6] Meri tu m con gruum.
[7] Planck. I, p. 176.
[8] Quanquam totum opus Dei sit, non tamen totalitere Deo esse, quemadmodum totum pomum efficitur a sole, er non a sole totaliter et sine planta efficentia.
(Pallavicini, t. I, p. 58.)
[9] Motionem sen inspirationem prevenientem esse a solo Deo; et ibi liberum arbitrium habet se passive.
[10] Partim a Deo, partial a libero arbitrio.
[11] Consentit homo, sed consensus est donnm Dei. Conseil-tire non est agere.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VIII
La grande question de la liberté était ici débattue, et il était facile de montrer que la doctrine des Réformateurs n'était pas à l'homme la liberté d'un agent moral, et ne faisait pas de lui une machine passive. La liberté d'un agent moral consiste dans le pouvoir d'agir conformément à son choix. Toute action faite sans contrainte extérieure, et en conséquence de la détermination de l'âme elle-même est une action libre. L'âme se détermine par des motifs; mais on voit sans cesse que les mêmes motifs agissent diversement sur diverses âmes. Beaucoup d'hommes n'agissent point conformément aux motifs dont ils reconnaissent pourtant toute la force. Cette inefficacité des motifs provient des obstacles que leur oppose la corruption de l'intelligence et du cœur. Or, Dieu, en donnant à l'homme un nouveau cœur et un nouvel esprit, enlève ces obstacles. Et, en les enlevant, bien loin d'ôter à l'homme la liberté, il ôte au contraire ce qui empêchait l'homme d'agir librement, de suivre la voix de sa conscience, et, selon la parole évangélique, il le rend véritablement libre.
(Jektri, VIII, 36.) » [1]
Un petit incident vint interrompre la dispute. Carlstadt (c'est Eck qui le rapporte) avait préparé divers arguments, et, semblable en cela à beaucoup d'orateurs de nos jours, il lisait ce qu'il avait écrit. Eck ne vit là qu'une tactique d'écolier. Il s'y opposa.' Carlstadt embarrassé, et craignant de ne pas bien se tirer d'affaire si On lui
'enlevait son cahier, insista. « Ah!» dit le docteur scolastique, tout fier de l'avantage qu'il croyait avoir, « il n'a pas «si bonne mémoire que moi! » On s'en remit à des arbitres, qui permirent de lire les passages des Pères, mais arrêtèrent que du reste on parlerait d'abondance.
Cette première partie de la dispute fut souvent interrompue par le bruit des assistants. On s'agitait, on criait. Une proposition malsonnante aux oreilles de la majorité des auditeurs excitait aussitôt leurs clameurs; et alors, comme .de nos jours, il fallait rappeler les tribunes au silence. Les combattants eux-mêmes se laissaient quelquefois emporter par le feu de la discussion.'[2]
Près de Luther se trouvait Melanchthon, qui attirait presque autant que lui les regards. Il était de petite taille, et on ne lui eût pas donné au-delà de dix-huit ans : Luther, celui le dépassait de toute la tête, semblait lui être uni par la plus intime amitié; ils entraient, sortaient, se promenaient ensemble. « A voir Melanchthon,»
raconte un théologien suisse qui étudia à Wittemberg [3] « on dirait un jeune garçon; mais pour l'intelligence, la « science et le talent, c'est un géant, et on ne peut «
comprendre que de telles hauteurs de sagesse et « de génie se trouvent renfermées dans un si petit « corps. [4]» Entre les séances, Melanchthon conversait avec Carlstadt et Luther. Il les aidait à se préparer au combat, et leur suggérait les arguments que sa vaste érudition lui faisait découvrir; mais pendant la dispute, il demeurait tranquillement assis au milieu des spectateurs, et suivait avec attention 57
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle les paroles des théologiens Quelquefois cependant il vint à l'aide de Carlstadt.
Quand celui-ci était près de succomber sous la puissante déclamation du chancelier d'Ingolstadt, le jeune, professeur lui soufflait un mot ou lui glissait un papier où il avait tracé la réponse. Eck, s'en étant une fois aperçue, indigné de ce que ce grammairien, comme il l'appelait, osât se mêler à la dispute, se tourna vers lui, et lui dit avec orgueil: « Taisez-vous, Phi« lippe, occupez-vous de vos études et me laissez « tranquille [5]. » Peut-être Eck prévit-il dès lors quel redoutable adversaire il trouverait plus tard dans ce jeune homme. Luther fut offensé de la grossière insulte dirigée contre son ami. « Le jugement « de Philippe, dit-il, a plus de poids pour moi que « celui de mille docteurs Eck. »
Le calme Melanchthon discerna facilement les faites de cette discussion. « On ne peut qu'être sur« pris, » dit-il avec la sagesse et le charme qui se retrouvent dans toutes ses paroles, « en pensant à « la violence qu'on a mise à traiter toutes ces choses.
Comment eût-ou pu en retirer quelque profit? « L'Esprit de Dieu aime la retraite et le silence : « c'est quand on y demeure, qu'il pénètre dans les « cœurs. L'Épouse de Christ ne se tient pas dans les a rues et les carrefours, mais elle conduit son Époux
« dans la maison de sa mère [6]. »
Les deux partis s'attribuèrent chacun la victoire. Eck mit en œuvre toute sa finesse pour paraître l'avoir remportée. Comme les points de divergence se touchaient presque, il lui arrivait souvent de s'écrier qu'il avait amené son adversaire à son opinion; ou bien, nouveau Protée, dit Luther, il se tournait tout à coup, exposait sous d'autres expressions l'opinion de Carlstadt lui-même, et lui demandait, avec l'accent du triomphe, s'il ne se voyait pas contraint de lui céder.... Et les gens inhabiles, qui n'avaient pu discerner la manœuvre du sophiste, d'applaudir et de triompher avec lui! Cependant Eck, sans s'en apercevoir, concéda dans la dispute beaucoup plus qu'il ne se l'était proposé. Ses partisans riaient à gorge déployée à chacun de ces tours; « mais, dit Luther, je crois « fort qu'ils faisaient semblant de rire, et que c'était « dans le fond pour eux une grande croix, que de « voir leur chef, qui avait le combat par « tant de bravades, abandonner son étendard, « serte Son armée, et devenir un honteux transfuge. »
Trois ou quatre jours après le commencement de la conférence, on avait interrompu la dispute, à cause de la fête des apôtres saint Pierre et. Saint Paul.
Le duc de Poméranie pria Luther de prêcher, à cette occasion, devant lui dans sa chapelle. Luther accepta avec joie. Mais la chapelle fut bientôt remplie, et les auditeurs arrivant toujours en grand nombre, l'assemblée dut se transporter dans la grande salle du château, où se tenait ordinairement la dispute. Luther prêcha, selon le texte dit jour, sur la grâce de Dieu et la puissance de Pierre. Ce que Luther soutenait ordinairement devant un auditoire composé de savants, il l'exposa alors 58
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle devant le peuple. Le christianisme fait également pénétrer la lumière de la vérité dans les plus hautes intelligences et dans les esprits les plus humbles. C'est là ce qui le distingue de toutes les religions et de 'toutes les philosophies. Les théologiens de Leipzig, qui avaient entendu Luther prêcher, s'ennuie, pressèrent de rapporter à Eck les paroles scandaleuses dont leurs oreilles avaient été offensées. « Il faut répondre, s'écrièrent-ils, il faut réfuter publiquement ces subtiles erreurs. »Eck ne demandait pas mieux. Toutes les églises lui étaient ouvertes, et quatre fois de suite il monta en chaire pour déchirer Luther et sou sermon.
Les amis de Luther en furent indignés. Ils demandèrent qu'on entende à son tour le théologien de Wittemberg. Mais ce fut en vain. Les chaires sont ouvertes aux adversaires de la doctrine évangélique : elles sont fermées à ceux qui la proclament.
« Je gardai le silence, »dit Luther, « et je dus me laisser attaquer, injurier, calomnier, sans pouvoir même m'excuser et me défendre. [7]»
Ce n'étaient pas seulement les ecclésiastiques qui se montraient opposés aux docteurs évangéliques : la bourgeoisie de Leipzig était en cela d'accord avec son clergé. Un fanatisme aveugle la livrait au* mensonges et aux haines que l'on cherchait à propager. Les principaux habitants ne visitèrent ni Luther ni Carlstadt.
S'ils les rencontraient dans la rue, ils ne les saluaient pas. Ils cherchaient à les noircir dans l'esprit du duc. Mais au contraire ils allaient et venaient, mangeaient et buvaient chaque jour avec le docteur d'Ingolstadt. Ils se con- -tentèrent d'offrir à Luther le présent de vin dû aux combattants. Du reste, ceux qui lui voulaient du bien se cachaient des autres; plusieurs Nicodémites le visitèrent de nuit ou en secret.
Deux hommes seuls s'honorèrent en se déclarant publiquement ses amis. Ce furent le docteur Auerbach que nous avons déjà rencontré à Augsbourg, et le docteur Pistor le jeune.
La plus grande agitation régnait dans la ville. Les deux partis formaient comme deux camps ennemis, qui en venaient quelquefois aux mains. Les étudiants de Leipzig et ceux de Wittemberg se querellaient souvent dans les auberges. On disait hautement; jusque dans les assemblées du clergé, que Luther portait sur lui un diable renfermé dans une petite boîte. « Si c'est dans la boîte que le diable u se trouve, ou si c'est simplement sous son froc,» répondait malignement Eck, « je l'ignore; mais à « coup sûr c'est dans l'un des deux. »
Plusieurs docteurs des deux partis logeaient pendant la dispute chez l'imprimeur Herbipolis. Ils en vinrent à de tels excès que leur hôte fut obligé de faire tenir au haut de la table un sergent de ville armé d'une hallebarde et chargé d'empêcher les convives, s'il en était besoin, de se laisser aller à des voies de fait. Un jour, le vendeur d'indulgences Baumgartner en vint aux prises avec un gentilhomme ami de Luther, et s'abandonna à une telle colère, qu'il en rendit l'esprit. « J'ai été de « ceux qui l'ont porté dans la tombe, » dit Frôschel, qui raconte ce fait [8]. Ainsi se révélait 59
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle la fermentation générale des esprits. Alors, comme à présent, les discours de la tribune avaient du retentissement dans le salon et dans la rue.
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FOOTNOTES
[1] Ut serra in manu hominis trahentis.
[2] Seekendorf, p. 192.
[3] Jean Kessler, plus tard réformateur de Saint-Gall.
[4] Lipsicœ pugnœ ociosus spectator in reliquo volgo sedi. ( Corpus Reformatorum. I, ut.)
[5] Tace tu, Philippe, ac tua studia cura, ne me perturba. ( Ibid. I, p. cxux. )
[6] Melancht.Opp. p. 134.
[7] Mich verklagen, schelten und schmaehen ...(L. Opp. ( L.) XVII. p. 247.)
[8] Lôscher. III. 278.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IX.
Le duc Georges, bien que penchant très-fort pour Eck, ne se montra pas si passionné que ses sujets. Il invita Eck, Luther et Carlstadt à dîner tous trois avec lui. II pria même Luther de venir le voir en particulier; mais il lui montra bientôt toutes les préventions qu'on lui avait inspirées. « Par votre « écrit sur l'oraison dominicale,» lui dit le duc avec humeur, « vous avez égaré bien des consciences. « Il est des personnes qui 'se plaignent de n'avoir « pu dire un seul Pater pendant plus de quatre « jours. »
Ce fut le 4 juillet que le combat commença entre Eck et Luther. Tout annonçait qu'il serait plus violent et plus décisif que celui qui venait de finir. Les deux combattants s'avançaient dans l'arène, décidés à ne poser les armes que lorsque la victoire se serait déclarée en faveur de l'un ou de l'autre. Tout le monde était dans la plus vive attente; car la primauté du pape (levait être le sujet débattu. Le christianisme a deux grands adversaires, le hiérarchisme et le rationalisme. C'est le rationalisme, dans son application à la doctrine des forces de l'homme, qui avait été attaqué par la Réformation dans la première partie de la dispute de Leipzig. C'était le hiérarchisme, considéré dans ce qui en est à la fois et le faite et la base, la doctrine du pape, qui devait être combattu dans la seconde.
D'un côté, paraissait Eck, défenseur de la religion établie, et se glorifiant des disputes qu'il avait soutenues, comme un général (l'armée se vante de ses batailles
[1] De l'autre côté s'avançait Luther, qui semblait devoir recueillir de cette lutte les persécutions et l'ignominie, mais qui se présentait avec une bonne conscience, une ferme résolution de tout sacrifier à la cause de la, vérité, et une attente pleine de foi en Dieu et dans les délivrances qu'il accorde. A sept heures du matin, les deux antagonistes étaient dans leurs chaires, entourés d'une assemblée nombreuse et attentive.
Luther se leva, et usant d'une précaution nécessaire, il dit avec modestie : « Au nom du Seigneur! Amen. Je déclare que le « respect que je porte au Souverain Pontife m'aurait « engagé à ne point soutenir cette dispute, si l'excellent docteur Eck ne m'y eût entraîné. »
ECK. « En ton nom, doux Jésus! avant de descendre dans l'arène, je proteste en votre présence, magnifiques Seigneurs, que tout ce que je dirai est soumis au jugement du premier de tous les sièges et « du maître qui y est assis. »
Après un moment de silence, Eck continua : « Il y a dans l'Église de Dieu une primauté qui « vient de Christ lui-même. L'Église militante a été ' établie à l'image de l'Église triomphante. Or, celle-ci « est une monarchie où tout s'élève hiérarchique« ment jusqu'au seul chef qui est Dieu. C'est pour« quoi Christ a établi un tel ordre sur la terre. Quel « monstre serait l'Église, si elle était sans tête !..» [2]
61
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle LUTHER, se tournent yen l'assemblée. « Quand M. le docteur déclare qu'il faut que l'Église universelle ait un chef, il fait bien. S'il est quelqu'un parmi nous qui prétende le contraire, qu'il se lève! quant à moi, cela ne me regarde pas. »
ECK. « Si l'Église militante n'a jamais été sans monarque, je voudrais bien savoir quel il peut être, si ce « n'est le pontife de Borne ? »
LUTHER regarde au ciel et reprend avec autorité. « Le chef de l'Église militante et Christ lui-même, et non un homme. Je le crois en vertu du témoignage de Dieu. « Il faut, dit l'Écriture, que Christ règne jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds' [3]. N'écoutons donc pas ceux qui relèguent Christ dans l'Église triomphante du ciel. Son règne est un règne de foi. Nous ne pouvons voit notre chef, et cependant nous l'avons [4] »
Eck, ne se tenant pas pour battu, et ayant recours à d'autres arguments, reprit «
C'est de Rome, comme le dit saint Cyprien, que l'unité sacerdotale est provenue [5].
»
LUTHER. « Pour l'Église d'Occident je l'accorde. Mais cette « Église romaine elle-même n'est-elle pas issue de celle de Jérusalem? C'est celle-ci proprement qui « est la mère et la nourricière de toutes les Églises [6]. »
ECK. « Saint Jérôme déclare que si une puissance extraordinaire et supérieure à toutes les autres n'est pas donnée au pape, il y aura dans les Églises au« tant de schismes que de pontifes [7]. »
LUTHER. « Donnée, dit-il, c'est-à-dire que si tous les autres « fidèles y consentaient, cette puissance pourrait « être attribuée de droit humain au premier pontife [8]. Et moi non plus, je ne nie pas que si tous « les fidèles du monde entier tombaient d'accord « de reconnaître comme premier et souverain pontife l'évêque de Rome, ou celui de Paris, ou celui « de Magdebourg, il faudrait le reconnaître pour « tel, à cause du respect que l'on devrait à cet accord « de toute l'Église; mais cela ne s'est jamais vu, et « jamais cela ne se verra. De nos jours mêmes « l'Église grecque ne refuse-telle pas à Rome son « assentiment? »
Luther était tout prêt alors à reconnaître le pape comme le premier magistrat de l'Église, élu librement par elle; mais il niait qu'il fût établi de Dieu. Ce ne fut que phis tard qu'il nia que l'on dût en aucune manière se soumettre à lui. C'est là un pas que la dispute de Leipzig lui fit faire. Mais Eck s'était avancé sur un terrain que Luther connaissait mieux que lui. Eck en appelle aux Pères : il le battra par les Pères.
« Que le sens que j'expose, dit-il, soit celui de « saint Jérôme, c'est ce que je prouve par l'épître de « saint Jérôme lui-même à Évagrius : Tout évêque, cc dit-il, soit à Rome, soit à Eugubium, soit à Constantinople, soit à Regium, soit à Alexandrie, soit 62
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle
« à Thanis, a le même mérite et le même sacerdoce [9]. « La puissance des richesses, l'humiliation de la « pauvreté, placent seules les évêques ou plus haut ou plus bas.
Des écrits des Pères, Luther passa aux décrets des conciles, qui ne voient dans l'évêque de Rome que le premier entre ses pairs [10]. « Nous lisons » dit-il, « dans le décret du concile d'Afrique : Que « l'évêque du premier siège ne soit appelé ni prince des pontifes ni Souverain Pontife, ni de quelque « autre nom de ce genre, mais seulement évêque « du premier siège. Si la monarchie de l'évêque de «Rome était de droit divin, continue Luther, ne cc serait-ce pas là une parole hérétique ?»
Eck répond par une de ces distinctions subtiles qui lui sont si familières : « L'évêque de Rome, si vous le voulez, n'est pas évêque universel, mais évêque de l'Église universelle [11].»
LUTHER. « Je veux bien me taire sur cette réponse : que « nos auditeurs en jugent eux-mêmes ! »
« Certes, dit-il ensuite, voilà une glose digne « d'un théologien et bien propre à satisfaire un disputeur avide de gloire. Ce n'est pas pour rien que « je suis resté à grands frais à Leipzig, puisque j'y « ai appris que le pape n'est pas, il est vrai, l'évêque « universel, mais qu'il est évêque de l'Église universelle ! »
ECK. « Eh bien! J’en viens à l'essentiel. Le vénérable « docteur me demande de prouver que la primauté « de l'Église de Rome est de droit divin; je le prouve « par ces paroles de Christ : « Tu es Pierre, et sur « cette pierre j'établirai mon Église.»
Saint Augustin, « dans une de ses épîtres, a ainsi exposé le sens de « ce passage : Tu es Pierre, et sur cette pierre, « c'est-à-dire sur Pierre, j'édifierai mon Église. Il « est vrai que ce même Augustin a exposé ailleurs « que par cette pierre il fallait entendre Christ lui-même; mais il n'a point rétracté sa première exposition. [12]»
LUTHER. « Si le révérend docteur veut m'attaquer, qu'il « concilie d'abord lui-même ces paroles contraires « de saint Augustin. Car il est certain que saint Augustin a dit très-souvent cite la pierre était Christ, « et peut-être à peine une fris que c'était Pierre lui-« même. Mais quand même, saint Augustin et tous « les Pères diraient que l'Apôtre est la pierre dont « Christ parle, moi seul je leur résisterais, appuyé «
sur l'autorité de la sainte Écriture, c'est-à-dire sur « le droit divin [13] : car il est écrit : Personne ne « peut poser d’autre fondement que celui qui a été « posé, savoir Jésus-Christ'. Pierre lui-même appelle Christ la pierre angulaire et vive sur laquelle
« nous sommes élues pour être une maison en esprits.»[14]
ECK. « Je m'étonne de l'humilité et de la modestie avec « lesquelles le révérend docteur promet de s'opposer « seul à tant d'illustres Pères, et prétend en savoir «
plus que les souverains pontifes, les conciles, les « docteurs et les universités ! Il serait étonnant sans « doute que Dieu eût caché la vérité à tant de saints « et de martyrs... jusqu'à la venue du révérend « Père! »[15]
63
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle LUTHER. « Les Pères ne sont pas contre moi. Saint Augustin, saint Ambroise, les plus excellents docteurs, parlent comme je parle. Super isto articulo fidei, «fandata est ecclesia [16], dit saint Ambroise, en expliquant ce qu'il faut entendre par la pierre sur laquelle l'Église repose. Que mon adversaire retienne donc sa langue.
S'exprimer comme il le fait, c'est attiser la haine et non discuter en vrai docteur.»
Eck ne s'était pas attendu à ce que son adversaire possédât tarit de connaissances, et sût se tirer du labyrinthe où il cherchait à l'égarer. « Le révérend « docteur, dit-il, est descendu dans l'arène après « avoir bien préparé son sujet. Que Vos Seigneuries
« m'excusent si je ne leur présente pas des recherches aussi exactes : je suis venu pour disputer et « non pour faire un livre. » —Eck était étonné, mais il n'était pas battu. N'ayant plus de raisons à donner, il eut recours à un artifice méprisable, odieux, qui devait, sinon vaincre son adversaire, du moins le jeter dans un grand embarras. Si l'accusation d'être un bohémien, un hérétique, un hussite, plane sur Luther, il est vaincu ; car les bohémiens sont détestés dans l'Église. C'est à cette ruse de guerre que le docteur d'Ingolstadt a recours.
« Dès les temps « primitifs, dit-il, il a été reconnu par tous les bons « chrétiens, que l'Église de Rome tient sa primauté « de Christ lui-même, et non du droit humain. Je dois avouer cependant que les bohémiens, en défendant avec opiniâtreté leurs erreurs, ont attaqué « cette doctrine. Je demande pardon anti vénérable « Père, si je suis ennemi des bohémiens, parce qu'ils « sont ennemis de l'Église, et si la dispute actuelle m'a rappelé ces hérétiques; car... d'après mon faible jugement... les conclusions que le docteur a « prises, favorisent tout à fait ces erreurs. On assure «
même que les hussites s'en glorifient hautement [17]. »
Eck avait bien calculé. Tons ses partisans accueillirent avec grande faveur cette perfide insinuation. Il y eut un mouvement de joie dans l'auditoire. « Ces injures, dit plus tard le Réformateur, les chatouillaient beaucoup plus agréablement que la «
dispute elle-même. »
LUTHER.
«Je n'aime et n'aimerai jamais un schisme. Puisque, de leur propre autorité, les Bohémiens se séparent de notre unité, ils font mal, quand même « le droit divin prononcerait en faveur de leur doctrine : car le droit divin suprême, c'est la charité «
et, l'unité de l'esprit »
C'était le 5 juillet, dans la séance du matin, que Luther avait dit ces paroles. On se sépara peu après, l'heure du dîner étant arrivée. Il est probable que quelqu'un des amis, on peut-être des adversaires du docteur, lui fit sentir qu'il avait été bien loin en condamnant ainsi les chrétiens de la Bohême. N'ont-ils pas en effet maintenu des doctrines que Luther soutient à cette heure ? Aussi l'assemblée s'étant de nouveau réunie à deux heures après-midi, Luther prit la parole, et dit avec fermeté : 64
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle
« Parmi les articles de Jean Huss et des Bohémiens, il en est de très-chrétiens. C'est une chose « certaine. Tel est celui-ci : 'Qu'il n'y a qu'une seule « Église universelle; et cet autre : Qu'il n'est pas « nécessaire au salut de croire l'Église romaine supérieure aux autres. Que ce soit Wiclef, que ce « soit Huss qui l'ait dit, peu m'importe... C'est la « vérité. [18]»
Cette déclaration de Luther produisit une sensation immense sur l'auditoire. Huss, Wiclef, ces noms abhorrés, prononcés avec éloge par un moine, au sein d'une assemblée catholique! ... Une rumeur presque générale se fit entendre. Le duc Georges lui-même fut tout effrayé. Il lui sembla voir élever dans la Saxe cet étendard de guerre civile, qui avait si longtemps désolé les États de ses ancêtres maternels. Ne pouvant contenir son émotion, il s'écria à haute voix et en sorte que toute l'assemblée pût l'entendre : « C'est la rage qui le pousse » Puis, secouant la tête, il appuya ses mains sur ses côtés. Tout l'auditoire était dans une vive agitation.
On se levait; chacun parlait avec son voisin. Ceux qui avaient cédé au sommeil se réveillaient. Les adversaires triomphaient; les amis de Luther étaient dans un grand embarras. Plusieurs 'personnes, qui jusqu'alors l'avaient entendu avec plaisir, commencèrent à douter de son orthodoxie. L'impression de cette parole ne s'affaiblit jamais dans l'esprit de Georges ; dès ce moment il vit le Réformateur de mauvais œil, et devint son ennemi [19].
Pour Luther, il ne se laissa pas intimider par cette explosion de murmures. «
Grégoire de Nazianze, [20]» continua-t-il tranquillement, « Basile le Grand, Épiphane, Chrysostome, un nombre immense d'autres « évêques grecs sont sauvés, et pourtant ils n'ont « pas cru que l'Église de Rome fût supérieure aux « autres Églises. Il n'est pas au pouvoir des pontifes « de Rome de faire de nouveaux articles de foi. Il n'y a pour le chrétien fidèle d'autre autorité que « la sainte Écriture. Elle est seule le droit divin. Je « supplie M.- le docteur d'accorder que les pontifes « de Rome ont été des hommes, et de vouloir bien « ne pas en faire des dieux [21]. »
Eck eut recours alors à une de ces plaisanteries qui donnent gratuitement à celui qui les fait un petit air de triomphe.
« Le révérend père, qui n'entend pas bien l'art « de la cuisine, dit-il, fait tin mauvais mélange des « saints et des hérétiques grecs, en sorte que le parfait de sainteté des uns empêche de sentir le poison des autres [22]. »
L'excellent docteur parle avec impudence. Il « n'y a pour moi point de communion entre Christ « et Bélial. »
Telles étaient les discussions qui occupaient les cieux docteurs. L'assemblée était attentive. L'attention baissait pourtant quelquefois, et les auditeurs aimaient assez qu'un incident vint les égayer et les distraire. Souvent, aux choses les plus graves se mêlent les plus comiques, c'est ce qui arriva à Leipzig.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle ________________________________________
FOOTNOTES
[1] Faciebat hoc Eccius quia certam Bibi gloriam propositam cernebat, propter prupositionem meam, in qua negabam Papam esse jure divino caput Ecciesin : hic patuit ei campus magnus. (L. Opp. in Praef.)
[2] Nain quod ntonstrtnn essét, %design) esse acephalant! (L. Opp. lat. I, p. 243.)
[3] Ire Épître aux Corinthiens. XV, 25.
[4] Prorsus audiendi non sunt qui Christum extra Ecclesiam militantem tendunt in triumphantem, cum sit regnum fidei. Caput nostrum non videmus ; tamen habemus.
(L. Opp. lat. I, p. 243-
[5] Unde sacerdottlis imitas «arta est. (Ibid. 243. )
[6] Bac est matiit proprie omnium eeclesiarum. ( Ibid. 244)
[7] Cui si non exors quœdam et ab omnibus eminens detur potestas. (Ibid. 243.)
[8] Detur, inquit, hoc est jure humano, posset fieri, consen-tientibns cœteris omnibus fidelibus. (Ibid. 244.)
[9] Ejusdem meriti et ejusdem sacerdotii est. (Ibid.)
[10] Primus inter pares.
[11] Non episcopus universalis, sed universalis Ecclesize episcopus. (Ibid. 246. )
[12] Ego glorior me tot expensis non frustra . . . (L. Epp. I, 299.)
[13] Resistana eis ego unus, auctoritate apostoli, id est divino jure. ( L. Opp. lat. I.
237.)
[14] Ire Épître de saint Paul aux Corinthiens. III, IL
[15] Épître de saint Pierre, II. 4,5.
[16] L'Église est fondée sur cet article de foi. (Ibid. 254.)
[17] Nunquam mihi placuit, nec in œternum placebit quod-cumque schisma... Cum supremum jus divinum sit charitas et unitas spiritus. (Ibid. p. 250.)
[18] Tome H. 5
[19] Das watt die Sucht!
[20] Nam adhuc erat dux Georgius mihi non inimicus, quod sciebam certo. (L. Opp.
in Pref.)
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle
[21] Nec potest fidelis christianus cogi ultra sacram Seri-pturam, que est proprie jus divinum. (L. Opp. lat. L 252. )
[22] At Rev. Pater artis coquinariœ minus instructus, co-miscet sanctos grœcos min schismaticiS
et
hœreticis,
ut
fuco
sanctitatis
Patrnm,
hereticorum
tueatuPperfidiam. (Ibid. 252 )
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE X
Le duc Georges, selon la coutume du temps, avait un fou de cour [1]. Quelques plaisants dirent à celui-ci : « Luther soutient qu'un fou de cour « peut se marier. Eck défend la proposition contraire. » Là-dessus le fou prit Eck eu grande aversion, et chaque fois qu'il entrait clans la salle à la suite du duc, il regardait le théologien d'un air menaçant. Le chancelier d'Ingolstadt ne dédaignant pas de descendre jusqu'à la plaisanterie, ferma un jour un œil de fou était borgne), et de l'autre se mit à regarder de travers le petit personnage. Celui-ci, hors de lui, accabla d'injures le grave docteur. Toute l'assemblée, dit Peifer, se mit à rire, et ce divertissement diminua un peu la tension 'extrême des esprits
En même temps se passaient dans la ville et dans les églises des scènes qui montraient l'horreur que les assertions hardies de Luther inspiraient aux partisans de Rome. On criait surtout au scandale dans les couvents attachés au pape. Un dimanche, le docteur de Wittemberg s'était rendu dans l'église des dominicains avant la grand'messe [2]. Il ne s'y trouvait que quelques moines qui disaient des messes basses sur de petits autels. A peine apprend-on clans le cloître que l'hérétique Luther est dans l'église, que les moines accourent eu toute hâte, saisissent l'ostensoir, le portent dans le tabernacle, l'enferment et le gardent avec soin, de peur que le très-saint sacrement ne soit profané par les regards hérétiques de l'augustin de Wittemberg. En même temps, ceux qui lisaient la messe ramassent avec précipitation tout ce qui sert à la célébrer; ils abandonnent l'autel, traversent l'église, et s'enfuient dans la sacristie, comme si le diable eût été derrière eux, dit un historien.
On s'entretenait partout du sujet de la dispute. Dans les hôtelleries, à l'université, à la cour, chacun en disait son sentiment. Le duc Georges, quelle que fût son irritation, ne refusait pas obstinément de se laisser convaincre. Un jour qu'il avait Eck et Luther à dîner, il interrompit leur conversation, en disant : « Que le pape soit pape de droit « divin ou de droit humain, toujours est-il qu'il « est pape [3].» Luther fut très-satisfait de ces paroles. « Le prince, dit-il, ne les eût jamais prononcées, « si mes arguments ne l'avaient pas frappé. »
On avait disputé pendant cinq jours sur la primauté du pape. Le 8 juillet, on en vint à la doctrine du purgatoire. La dispute dura un peu plus de deux jours. Luther admettait encore l'existence du purgatoire; mais il niait que cette doctrine se trouvât enseignée dans l'Écriture et dans les Pères, de la manière dont les scolastiques et son adversaire le prétendaient. « Notre docteur Eck, » dit-il, en faisant allusion à l'esprit superficiel de son adversaire, «a aujourd'hui couru sur la sainte Écriture « sans presque la toucher!... comme une araignée « sur l'eau. »
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le 11 juillet, on en vint aux indulgences. « Ce ne « fut qu'un jeu et une dispute pour rire, dit Luther. « Les indulgences tombèrent tout à plat, et Eck fut presque en tout de mon avis'. [4]» Eck lui-même dit : « Si je n'avais pas disputé avec le docteur «
Martin sur la primauté du pape, je pourrais Ares« que être d'accord avec lui [5]. »
La discussion roula ensuite sur la Repentance, l'Absolution des prêtres, les Satisfactions. Eck, comme à son ordinaire, cita les Scolastiques, les Dominicains, les Canons du pape. Luther termina la dispute par ces mots :
« Le révérend docteur s'enfuit de devant les sain« tes Écritures, comme le diable de devant la croix.
Quant à moi, sauf le respect dû aux Pères, je préfère l'autorité de l'Écriture et c'est elle que je « recommande à nos juges [6]. »
Ici se termina la dispute d'Eck et de Luther. Carlstadt et le docteur d'Ingolstadt se battirent encore pendant deux jours sur les mérites de l'homme dans les bonnes œuvres. Le 16 juillet, l'action se termina, après avoir duré vingt jours, par un discours du recteur de Leipzig. A peine eût-il fini qu'une musique éclatante se fit entendre, et la solennité fut conclue par le chant du Te Deum.
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FOOTNOTES
[1] L. Opp. W. XV, 4440.
[2]. Lôscher III, p. 281
[3] Ita ut ipse dux Georgius inter prandendum, ad Eccium et tue dicat : « Sive sit jure humano, sive sit jure divino, papa ; ipse est papa.. ( L. Opp. in Pre.
[4] L. Opp. ( L.) XVII. 246.
[5] So wollt'er fast einig mit mir gewest seyn. (Ibid.)
[6] Videtur fugere a fade Scripturarum, sicut diabolus crucem. Quare, salvis reverentiis Patrum, prmfero ego auctoritatem Scriptune, quod coinmendo judicibus futuris. (L. Opp. lat. I, 291.)
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE XI
Mais pendant ce chant solennel, les esprits n'étaient déjà plus ce qu'ils avaient été pendant le Feni Spiritus. Déjà les pressentiments de plusieurs semblaient s'être réalisés. Les coups que les champions des deux doctrines s'étaient portés avaient fait à la papauté une large blessure.
Ces disputes théologiques, auxquelles maintenant les gens du monde ne voudraient pas consacrer quelques courts instants, avaient été suivies et écoutées pendant vingt jours avec beaucoup d'attention : laïques, chevaliers, princes, avaient montré un intérêt soutenu. Le duc Barnim de Poméranie et le duc Georges se firent surtout remarqué' [1], par leur assiduité. Mais quelques-uns des théologiens de Leipzig, amis du docteur Eck, dormaient au contraire « tout doucement, » dit un témoin oculaire. Il fallait même les réveiller, quand la dispute était finie, pour qu'ils ne manquassent pas leur dîner.
Luther quitta le premier Leipzig; Carlstadt partit ensuite; Eck y resta quelques jours après leur départ.
Il n'y eut point de décision rendue sur la dispute Chacun en parla à sa manière. « Il y a eu à Leipzig, dit Luther, perte de temps et non recherche de la vérité. Depuis deux ans que nous examinons les doctrines des adversaires, nous avons « compté tous leurs os. Eck, au contraire, a à peine « effleuré la surface [2]; mais il a crié dans une heure «plus que nous dans deux longues années. [3] »
Eck, écrivant en particulier à ses amis, avouait à divers égards sa défaite; mais il ne manquait pas de raisons pour l'expliquer. « Les Wittembergeois « m'ont vaincu sur plusieurs points, » écrivit-il, le 24 juillet, à Hochstrateni, «premièrement, parce qu'ils ont apporté avec eux des livres; secondement, parce qu’on leur écrivait la dispute et qu'ils l'examinaient chez eux à loisir; troisièmement, parce « qu'ils étaient plusieurs, deux docteurs (Carlstadt et Luther ), Lange, vicaire des augustins, deux «
licenciés, Amsdorf et un très-arrogant neveu de « Reuchlin (Melanchthon), trois docteurs en droit, « et plusieurs maîtres ès arts : tous aidaient à la dispute, soit en public, soit en particulier. Mais moi, « je me présentais seul, n'ayant que l'équité pour « compagne. [4]»Eck oubliait Emser, l'évêque, et tous les docteurs de Leipzig.
Si de tels aveux échappaient à Eck *clans une correspondance familière, il en était tout autrement en public. Le docteur d'Ingolstadt et les théologiens de Leipzig faisaient grand bruit de ce qu'ils appelaient « leur victoire. » Ils répandaient partout de faux rapports. Toutes les langues du parti répétaient leurs paroles suffisantes. «
Eck triomphe « partout, » écrivait Luther [5]. Mais on se disputait les lauriers dans le camp de Rome. « Si nous n'eussions secouru Eck, disaient ceux de Leipzig, l'illustre docteur eût été renversé. »« Les théologiens de « Leipzig sont de bonnes 70
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle gens, » disait de son côté le docteur d'Ingolstadt, « mais j'ai trop espéré d'eux; moi seul j'ai tout fait. »
— « Tu, vois, » dit Luther à Spalatin, « qu'ils chantent une nouvelle Iliade et une nouvelle Énéide. Ils ont *la bonté de faire de moi un Hector ou un Turnus, tandis qu'Eck est pour eux Achille ou Énée. Le seul doute qui leur reste, c'est de savoir si la victoire a été remportée par les armées d'Eck ou par celles de Leipzig. Tout ce que je puis dire pour éclaircir la chose, c'est que le docteur Eck n'a cessé de crier et que ceux de Leipzig n'ont cessé de se taire [6]»
« Eck a triomphé aux yeux de ceux qui ne corn-« prennent pas l'affaire et qui ont vieilli sur les « scolastiques, » dit l'élégant, le spirituel, le sage Mosellanus; « mais Luther et Carlstadt sont demeurés « vainqueurs pour tous ceux qui ont de la science,
« de l'intelligence et de la modestie [7]. »
La dispute de Leipzig ne devait pourtant pas s'évanouir en fumée. Toute œuvre faite avec dévouement porte ses fruits. Les paroles de Luther avaient pénétré avec une puissance irrésistible dans l'esprit de ses auditeurs. Plusieurs de ceux qui chaque jour avaient rempli la salle du château, furent subjugués par la vérité. Ce fut même au milieu de ses adversaires les plus prononcés qu'elle fit surtout des conquêtes. Le secrétaire du docteur Eck, son familier, son disciple, Poliandre, fut gagné à la Réforme, et dès l'an 1522, il prêcha publiquement l'Évangile à Leipzig.
Jean Cellarius, professeur, d'hébreu, l'un des hommes les plus opposés à la Réforme, saisi par les paroles du puissant docteur, commença à sonder davantage la sainte Écriture. Bientôt il quitta sa place, et, plein d'humilité, vint étudier à Wittemberg, aux pieds de Luther. U fut plus tard pasteur à Francfort et à Dresde.
Parmi ceux qui avaient pris place sur les sièges réservés à la cour, et qui entouraient le duc Georges, était un jeune prince, âgé de douze ans, issu d'une famille célèbre par ses combats contre les Sarrazins, Georges d'Anhalt. Il étudiait alors à Leipzig, sous la direction d'un gouverneur. Une grande ardeur pour la science, et un vif attrait pour la vérité, distinguaient déjà cet illustre jeune homme.
Souvent on l'entendait répéter cette sentence de Salomon : « La parole de mensonge ne « convient pas au prince. » La dispute de Leipzig fit naître en cet enfant des réflexions sérieuses et un penchant décidé pour Luther [8]. Quelque temps après, un lui offrit un évêché. Ses frères, tous ses parents le sollicitaient de l'accepter, voulant le pousser aux hautes dignités de l'Église. Il fut inébranlable dans son refus. Sa pieuse mère, amie secrète de Luther, étant morte, il se trouva en possession de tous les écrits du Réformateur. Il présentait à Dieu de constantes et ferventes prières, le suppliant de fléchir son cœur à la vérité, et souvent, dans la solitude de son cabinet, il s'écriait avec larmes : « Fais à ton serviteur selon ta miséricorde, et enseigne-moi tes ordonnances [9]!
71
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Ses prières furent entendues. Convaincu, entraîné, il se rangea sans crainte du côté de l'Évangile. En vain ses tuteurs, et surtout le duc Georges, l'obsédèrent-ils de prières et de représentations. Il demeura inflexible, et Georges, à demi convaincu par les raisons de son pupille, s'écria : « Je ne puis rien lui répondre; « mais je resterai pourtant dans mon Église, car « dresser un vieux chien n'est pas chose possible. » Nous retrouverons ce prince si aimable, l'un des • beaux caractères de la Réformation, qui prêcha lui-même à ses sujets la parole de la vie, et auquel on a appliqué ce mot de Dion sur l'empereur Marc-Antonin : « Il fut durant toute sa vie semblable à lui-même; il était un homme de bien, et il « n'y eut aucune feinte en lui
[10],
Ce fut surtout par les étudiants que les paroles de Luther furent reçues avec enthousiasme. Ils sentirent la différence qu'il y avait entre l'esprit et la vie du docteur de Wittemberg et les distinctions sophistiques, les spéculations vaines du chancelier d'Ingolstadt. Ils voyaient Luther s'appuyant sur la parole de Dieu. Ils voyaient le docteur Eck, ne se fondant que sur les traditions des hommes. L'effet fut prompt. Les auditoires de l’Université de Leipzig se vidèrent presque après la dispute. Une circonstance y contribua : la peste semblait s'y déclarer. Mais il était bien d'autres universités, Erfurt, Ingolstadt, par exemple, où les étudiants auraient pu se rendre. La force de la vérité les attira à Wittemberg. Le nombre des étudiants y doubla [11].
Parmi ceux qui se transportèrent de l'une de ces universités à l'autre, on remarqua un jeune homme de seize ans, d'un caractère mélancolique, parlant peu, et qui souvent, au milieu des conversations et des jeux de ses condisciples, semblait absorbé dans ses propres pensées a ses parents lui avaient cru d'abord un esprit faible ; mais bientôt ils le virent si prompt à apprendre, si continuellement occupé de ses études, qu'ils conçurent de lui de grandes espérances. Sa droiture, sa candeur, sa modestie et sa piété le faisaient aimer de tous, et Mosellanus le signala comme un modèle à toute l'Université. Il s'appelait Gaspard Cruciger et était originaire de Leipzig. Le nouvel étudiant de Wittemberg fut plus tard l'ami de Mélanchthon et l'aide de Luther dans la traduction de la Bible. [12]
La dispute de Leipzig eut des effets plus grands encore. Ce fut là que le théologien de la Réformation reçut son appel. Modeste et silencieux, Mélanchthon avait assisté à la discussion sans presque y prendre part. Il ne s'était occupé jusqu'alors que de littérature. [13]
La conférence lui donna une impulsion nouvelle, et lança l'éloquent professeur clans la théologie. Dès lors il fit plier la hauteur de sa science devant la parole de Dieu. Il reçut la vérité évangélique avec la simplicité d'un enfant. Ses auditeurs l'entendirent exposer les doctrines du salut avec une grâce et une clarté qui ravissaient tout le monde. Il avançait avec courage dans cette carrière nouvelle pour 72
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle lui, car, disait-il, « Christ « ne manquera pas aux siens [14]. » Dès ce moment les deux amis marchèrent ensemble, combattant pour la liberté et la vérité, l'un avec la force d'un saint Paul, l'autre avec la douceur d'un saint Jean. Luther a admirablement exprimé la différence de leurs vocations. « Je suis né, dit-il, pour me mettre aux prises sur le champ de bataille avec les « partis et avec les démons. C'est pourquoi mes écrits ce sont pleins de guerre et de tempête. Il faut que je cc déracine les souches et les troncs, que j'enlève les « épines et les broussailles, que je comble les flaques « et les bourbiers. Je suis le grossier bûcheron qui « doit préparer les voies et égaliser le chemin. Mais « le maitres d’arts Philippe s'avance tout tranquillement et tout doucement; il cultive et il plante ; il sème et il arrose joyeusement, selon les dons « que Dieu lui a faits d'une main si libérale [15]. »
Si Mélanchthon, le tranquille semeur, fut appelé à l'œuvre par la dispute de Leipzig, Luther, le vigoureux bûcheron, sentit ses bras fortifiés par elle, et son courage s'enflamma davantage encore. L'effet le plus puissant de cette discussion s'accomplit en Luther lui-même. « La théologie scolastique, » dit-il, s'écroula alors entièrement à mes yeux, sous « la présidence triomphante du docteur Eck. » Le voile que l'école et l'Église avaient tendu ensemble devant le sanctuaire, fut déchiré pour le Réformateur, du haut jusqu'en bas. Contraint à des recherches nouvelles, il parvint à des découvertes inattendues. Il vit avec autant d'étonnement que d'indignation, le mal dans toute sa grandeur. Sondant les annales de l'Église, il découvrit que la suprématie de Rome n'avait d'autre origine, que l'ambition d'un côté, et une crédule ignorance de l'autre. On ne lui permit pas de se taire sur ces tristes découvertes. L'orgueil de ses adversaires, leur prétendu triomphe, les efforts qu'ils faisaient pour éteindre la lumière, décidèrent son âme. Il avança dans la voie où Dieu le menait, sans s'inquiéter du but où elle pouvait le conduire. Luther a signalé ce moment comme celui de son affranchissement du joug papal. « Apprenez de moi, dit-il, combien il est difficile de se débarrasser d'erreurs que [16] « le monde entier confirme par son exemple, et qui, « par une longue habitude, sont devenues pour nous « une seconde nature [17].
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FOOTNOTES
[1] Ad exitum certaminis, uti solet, nulla prodiit decisio. (Pallavicini. I, 65. )
[2] Totam istam conclusionum cohortem multo acrius et va-lidius nostri Wittembergenses... oppugnaverunt et ita exami-naverunt ut ossa eorum numerare licuerit, quas Eccius
[3] in facie cutis leviter perstrinxit. (L. Epp. I, 290
[4] Verum in multis me obruerunt. ( Corpus Reform. I, 83. ) 73
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle
[5] Eccius triumphat ubique. (L. Epp. Il 290.)
[6] Novam quamdam Iliada et ./Eneida illos cantare ( L. Epp.I, p. 3o5. )
[7] Lutheri Sieg sey um so viel weniger beriihmt, weil der Gelehrten, Verstandigen, und derer die sich selbst nicht hoch riihmen, wenig seyen. (Seckendorff 307.)
[8] Opp (W.) XY, 1440.-
[9] A Deo petivit, flecti pectus suum ad veritatem, ac lacrymans sape haec verba repetivit... (M. Adami,VitaGeorgii Anhalt. p. 248.)
[10] ci0Ftotoc aul ucirreov alycaèç al, »21 4218av irper-
[11] Troirtrov clxcv. (Vid. Mcich. Adam. p. 255.)
[12] Peifer Histor. Lipsiensis. 356.
[13] Et cogitabundus et sœpe in medios sodalitios quasi pere-grinante animo.
(Melch. Adami Vita Crucigeri. p. g3. )
[14] Christus suis non deerit. (Corp. Reform. I, io4.)
[15] L. Opp. (W. ) XIV. sou.)
[16] Quam difficile sit eluctari et emergere ex erroribus, totius orbis exemple, firmatis... (L. Opp. lat. in Praer.)
[17] Per septem sonos, ita ut men.oriter pene omnia tenerem... (Ibid.) 74
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE XII
Il y avait alors sept ans que « je lisais et que j'expliquais publiquement avec un grand zèle la sainte Écriture, en sorte que je la e savais presque tout entière par cœur'. J'avais aussi e toutes les prémices de la connaissance et de la foi « en mon Seigneur Jésus-Christ; c'est-à-dire, je « savais que nous ne sommes pas justifiés et sauvés « par nos œuvres, mais par la foi en Christ; et même « je maintenais ouvertement que ce n'est pas par droit divin que le pape est le chef de l'Église chrétienne. Et pourtant... je ne pouvais pas voir ce qui «en découle, savoir que nécessairement et certainement le pape est du diable. Car ce qui n'est pas « de Dieu doit nécessairement être du diable [1]» Luther ajoute plus loin : « Je ne me laisse plus aller « à mon indignation contre ceux qui sont encore attachés au pape, puisque moi, qui depuis tant d'an« nées lisais avec tant de soin les saintes Écritures, « je tenais encore au papisme avec tant d'opiniâtreté [2] »
Telles furent les suites véritables de la dispute de Leipzig, bien plus importantes que la dispute elle-même. Elle fut semblable à ces premiers succès qui exercent l'armée, et qui enflamment son courage.
Eck s'abandonnait à toute l'ivresse de ce qu'il voulait faire passer pour une victoire.
Il déchirait Luther. Il entassait accusations sur accusations [3]. Il écrivait à Frédéric. Il voulait, comme un général habile, profiter du trouble qui suit toujours une bataille, pour obtenir du prince d'importantes concessions. En attendant les mesures à prendre contre son adversaire lui-même, il appelait les flammes contre ses écrits; et même contre ceux qu'il n'avait pas lus. Il suppliait l'Électeur de convoquer un concile provincial : «Exterminons toute cette vermine, disait le grossier docteur, « avant qu'elle se soit «multipliée à l'excès [4]. »
Ce ne fut pas seulement contre Luther qu'il déchargea sa colère. Son imprudence appela Mélanchthon dans la lice. Celui-ci, lié par une tendre amitié avec l'excellent Écolampade, lui rendit compte de la dispute, en parlant avec éloges du docteur Eck
[5]. L'orgueil du chancelier d'Ingolstadt fut néanmoins blessé. Il prit aussitôt la plume contre « ce grammairien de Wittemberg, qui n'ignorait pas, il est vrai, disait-il, le latin et le grec, « mais qui avait osé publier une lettre où il l'avait « insulté, lui, le docteur Eck [6] »
Mélanchthon répondit : C’est ici son premier écrit théologique. On y trouve cette exquise urbanité - qui distinguait cet homme excellent. Posant les principes fondamentaux de l'herméneutique, il montre qu'il ne faut pas expliquer l'Écriture sainte d'après les Pères, mais les Pères d'après l'Écriture sainte. « Que de fois Jérôme ne s'est-il pas trompé! dit-il, « que de fois Augustin! Que de fois Ambroise !
Que de fois ils sont d'avis différents! Que de fois ils ré-« tractent leurs erreurs ! Il n'y 75
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle a qu'une seule « Écriture, inspirée de l'Esprit du ciel, pure et vraie « en toutes choses [7]»
« Luther ne suit pas quelques expositions ambiguës des anciens, dit-on; et pourquoi les suivrait il? Quand il expose le passage de saint Matthieu : «Tu es Pierre et sur cette pierre édifierai mon «Église, il parle comme Origène, qui à lui seul en « vaut plusieurs; comme Augustin dans son homélie; « comme Ambroise dans son sixième livre sur saint «Luc : je passe les autres sous silence. —Quoi donc, « direz-vous, les Pères se contredisent! Et qu'y « a-t-il là d'étonnant [8]? Je crois aux Pères parce que
« je crois à la sainte Écriture. Le sens de l'Écriture « est un et simple, comme la vérité céleste elle-même. Ir On l'obtient en comparants les Écritures; on le « déduit du fil et de l'enchaînement du discours [9]. Il «y a une philosophie qui nous est ordonnée par rapport aux Écritures de Dieu : c'est de rapprocher «d'elfes toutes les opinions et toutes les maximes « des hommes, comme de la pierre de touche qui
«doit les éprouver [10]. »
Il y avait longtemps que l'on n'avait exposé avec tant d'élégance, de si puissantes vérités. La parole de Dieu était remise à sa place; les Pères à la leur. La voie simple par laquelle on obtient le sens véritable de l'Écriture était fermement tracée. La parole surnageait au-dessus de toutes les difficultés et de toutes les explications de l'école. Mélanchthon fournissait de quoi répondre à ceux qui, comme le docteur Eck, embrouilleraient ce sujet, jusque dans les temps les plus éloignés. Le frêle «
grammairien » s'était levé ; et les larges et robustes épaules du gladiateur scolastique avaient plié sous le premier mouvement de son bras.
Plus Eck était faible, plus il criait fort. Il prétendait par ses rodomontades et ses accusations s'assurer la victoire qui avait échappé à ses disputes. Les moines et tous les partisans de Rome répondaient à ces cris par les leurs. De toutes les parties de l'Allemagne s'élevaient des reproches contre Luther; mais il demeurait impassible. «
Plus « je vois mon nom couvert d'opprobre, plus je m'en «glorifie,» dit-il en finissant des explications' qu'il publia sur les propositions de Leipzig. «Il faut que «la vérité, c'est-à-dire Christ, croisses et que moi «je diminue. La voix de l'Époux et de l'Épouse me « cause plus de joie, que toutes 'ces clameurs ne « m'inspirent de terreur.[11] Les hommes ne sont pas les «auteurs de mes maux, et je n'ai pour eux aucune « haine.
Satan, le Prince du mal, est celui qui voudrait m'épouvanter. Mais Celui qui est en nous, « est plus grand que, qui est dans le monde. « Le jugement de nos contemporains est mauvais, « celui de la postérité sera, meilleur »
Si la dispute de Leipzig multiplia en Allemagne les ennemis de Luther, elle augmenta aussi au loin le nombre de ses amis. « Ce que Huss a été autrefois en Bohême, vous têtes maintenant en Saxe, ô «Martin! lui écrivirent les frères de Bohème; c'est « pourquoi priez et soyez fort au Seigneur ! [12]»
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle La guerre éclata vers ce temps entre Luther et Emser, alors professeur à Leipzig.
Celui-ci écrivit au docteur Zack, zélé catholique romain de Prague, une lettre où il paraissait se proposer d'ôter aux Hussites l'idée que Luther fût des leurs. Luther ne put douter qu'en paraissant le justifier, le savant Leipzigois ne se proposât de faire planer sur lui le soupçon d'adhérer à l'hérésie bohémienne, et il voulut déchirer violemment le voile dont son ancien hôte de Dresde prétendait couvrir son inimitié.
A cet effet il publia une lettre adressée « au bouc Emser. » Emser avait pour armes un bouc. Il termine cet écrit par ces mots qui peignent bien son caractère : « Aimer tous les hommes; « mais ne craindre personne [13]. »
Tandis que de nouveaux amis et de nouveaux ennemis se montraient ainsi, d'anciens amis semblaient s'éloigner de Luther. Staupitz, qui avait fait sortir le Réformateur de l'obscurité du cloître d'Erfurt, commença à lui témoigner quelque froideur. Luther s'élevait trop haut pour Staupitz, qui ne pouvait plus le suivre. «
Vous m'abandonnez, » lui écrivit Luther; «j'ai été tout le jour très-triste à « cause de vous, comme l'enfant qu'on a sevré et qui « pleure sa mère rai rêvé de vous cette nuit, »continue le Réformateur. « Vous vous éloigniez de moi, « et moi je sanglotais et je versais d'amères larmes. « Mais vous, me tendant la main, vous me disiez de «
me calmer, que vous reviendriez à moi. [14]»
Le pacificateur Miltitz voulut tenter de nouveaux efforts pour calmer les esprits.
Mais quelle prise peut-on avoir sur des hommes qu'agite encore l'émotion de la lutte ! Ses démarches n'aboutirent à rien. Il apporta la fameuse rose d'or à l'Électeur, et ce prince ne se soucia pas même de la recevoir en personne [15].
Frédéric connaissait les artifices de Rome; il fallait renoncer à le tromper [16].
Bien loin de reculer, Luther avançait toujours. Ce fut alors qu'il porta à l'erreur l'un de ses coups les plus rudes, en publiant son premier commentaire sur l'épître aux Galates [17]. Le second commentaire surpassa sans doute le premier; mais déjà dans celui-ci il exposait avec une grande force la doctrine, de la justification par la foi. Chaque parole du nouvel apôtre était pleine de vie, et Dieu s'en servit pour faire pénétrer sa connaissance dans les cœurs des peuples : « Christ s'est donné soi«
même pour nos péchés, » disait Luther à ses contemporains [18]
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FOOTNOTES
[1] enim ex Deo non est, necesse est ex diabolo esse. (Ibid.)
[2] Cum ego tot anis sacra legens diligentissime, tamen ita hœsi tenaciter. (Ibid.)
[3] Proscidit, post abitum nostrum, Mattinum inhumanissime. (Melancbton. Corp.
Refor. I, zo6.)
[4] Ehe das Ungeziffer uberhand nehme. (L. Opp. ( L. ) XVII. 27r.) 77
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle
[5] Eccius ob varias et insignes ingenii dotes... ( L. Opp. lat. I, p. 337.)
[6] Ausus est grammaticus Wittembergensis, grce et latine sane uon indoctus, epistolam edere...( Ibid. 338. )
[7] Uua est Scriptura, coelestis spiritus, pure, et per cunnia verax. (Contra Eckium Defensio. Corp. Reform. I, p. 115.)
[8] Quid igitur ? Ipsi secum pugnant! quid mirum? (Ibid.)
[9] Quem collatis Scripturis e lilo ductuque orationis tiret assequi. (Ibid. 114. )
[10] Ut hominum sententies, decretaque, ad ipsas, cvu 'hum lapidera exigamus.
(Ibid. )
[11] Praesens male judicat mas; judicium melius posteritutis
[12] exit. (L. Opp. lat. I, 3 ro. )
[13] Opp. lat. I, 252.
[14] Ego super te, sicut ablactatus super matre sua, tristissimus hac die fui. (,I..
Epp. I, p. 342. )
[15] Rosam quam vocant auream nullo honore dignatus est ; imo pro ridiculo habuit.
(L. Opp. lat. in Prœf.)
[16] Intellexit princeps artel romance curiœ et eos ( legatos digne tractare novit.
(Ibid.)
[17] Septembre 1519.
[18] Opp. ( L. ) X, 461.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE XIII
« Ce n'est pas de l'argent ou de l'or qu'il a donné pour nous; ce n'est pas un homme,
« ce ne sont pas tous les anges : c'est lui-même, « lui, hors duquel il n'y a rien de grand, qu'il a donné. Et ce trésor incomparable, il l'a donné pour nos péchés ! Où sont maintenant ceux qui « vantent avec orgueil la puissance de notre volonté? « où sont les enseignements de la philosophie morale? Où le pouvoir et la force de la loi ?
Puisque « nos péchés sont si grands, que rien n'a pu les « Ôter, si ce n'est une si immense rançon, prétendrons-nous encore obtenir la justice par la force «de notre volonté, par la puissance de la loi, par « les doctrines des hommes ? Que ferons-nous avec « tous ces tours d'adresse, toutes ces illusions? Ah! « Nous couvrirons nos iniquités d'une justice mensongère, et nous ferons de nous-mêmes des hypocrites, que rien au monde ne pourra sauver. »
Mais si Luther établit ainsi qu'il n'y a de salut pour l'homme qu'en Christ, il montre aussi que ce salut change l'homme et le fait abonder en bonnes œuvres. « Celui, dit-il, qui a vraiment entendu la parole de Christ et qui la garde, est «aussitôt revêtu de l'esprit de charité. Si tu aimes « celui qui t'a fait cadeau de vingt florins, où rendu «
quelque service, ou témoigné de quelque autre manière son affection, combien plus dois-tu aimer « Celui qui n'a pas donné pour toi de l'or ou de « l'argent, mais qui s'est donné lui-même qui a « reçu pour toi tant de blessures, qui a eu pour toi une sueur de sang, qui est mort pour toi; en un « mot, qui, en payant tous tes péchés, a englouti la « mort, et t'a acquis clans le Ciel un. Père plein d'amour!
Si tu ne l'aimes pas, tu n'as pas entendu « du cœur les choses pilla faites; tu ne les as pas « crues; car la foi est agissante par la charité. »« Cette « épître est mon épître, disait Luther en parlant de « l'épître aux Galates. Je me suis marié avec elle. »
Ses adversaires le faisaient marcher plus vite qu'il ne l'eût fait sans eux. Eck excita à cette époque contre lui une nouvelle attaque des Franciscains de luterbock.
Luther clans sa réponse [1], non content de répéter ce qu'il avait déjà enseigné, attaqua des erreurs qu'il avait découvertes depuis peu « Je voudrais bien savoir, dit-il, dans quel endroit « de l'Écriture, le pouvoir de canoniser les saints a « été donné aux papes; et aussi, quelle nécessité, « quelle utilité même il y a à les canoniser ? Au
« reste, ajouta-t-il avec ironie, qu'on canonise tant « qu'on voudra [2]. »
Ces nouvelles attaques de Luther demeuraient sans réponse. L'aveuglement de ses ennemis lui était aussi favorable que son propre courage. Ils défendaient avec passion des choses accessoires, et quand Luther portait la main sur les fondements de la doctrine romaine, ils les voyaient ébranler, sans dire mot. Ils s'agitaient pour défendre quelques redoutes avancées, et pendant ce temps leur intrépide adversaire pénétrait dans le corps de la place et y plantait hardiment l'étendard de la vérité.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Aussi plus tard furent-ils très-étonnés de voir la forteresse dont ils s'étaient faits les défenseurs, minée, incendiée, s'écrouler au milieu des flammes, tandis qu'ils la croyaient imprenable et qu'ils bravaient encore ceux qui lui donnaient l'assaut.
Ainsi s'accomplissent les grandes chutes. •
Le sacrement de la Cène du Seigneur commençait à occuper les pensées de Luther.
Il cherchait en vain cette Cène sainte dans la messe. Un jour (c'était peu de temps après son retour de Leipzig) il monta en chaire. Faisons attention à ses paroles; car ce sont les premières qu'il prononça sur un sujet qui depuis a déchiré en deux parties l'Église de la Réformation : «[3] y a, dit-il, dans le saint sacrement de l'autel trois choses qu'il faut connaitre : le signe, qui doit être extérieur, visible et sous «
une forme corporelle; la signification, qui est intérieure, spirituelle et dans l'esprit de l'homme ; « la foi, qui fait usage de l'un et de l'autre [4]. » Si l'on n'eût pas poussé plus loin les définitions, l'unité n'eût point été détruite. Luther continue :
« Il serait bon que l'Église, dans un concile général, ordonnât de distribuer les deux espèces à tous « les fidèles; non toutefois qu'une seule espèce ne « suffise pas, car la foi seule serait déjà suffisante. »
Ces paroles hardies plaisent à l'assemblée. Cependant quelques-uns des auditeurs s'étonnent et s'irritent. « C'est une fausseté, disent-ils, c'est un scandale ! » Le prédicateur continue : a Il n'y a pas, dit-il, d'union plus intime, plus profonde, plus indivisible, que celle qui a lieu entre « l'aliment et le corps que l'aliment nourrit.
Christ « s'unit à nous dans le sacrement, de telle manière, « qu'il agit comme s'il était nous-mêmes. Nos péchés « l'assaillent. Sa justice nous défend. »
Mais Luther ne se contente pas d'exposer la vérité : il attaque l'une des erreurs les plus fondamentales de Rome [5]. L'Église romaine prétend que le sacrement opère par lui-même, indépendamment de la disposition de celui qui le reçoit. Rien de plus commode qu'une telle opinion. De là l'ardeur avec laquelle on recherche le sacrement, de là les profits du clergé romain. Luther attaque cette doctrine [6], et lui oppose la doctrine contraire [7], en vertu de laquelle la foi, la bonne volonté du cœur, sont nécessaires.
Cette protestation énergique devait renverser d'antiques superstitions. Mais, chose étonnante! Nul n'y fit attention. Rome laissa passer ce qui eût dû lui faire pousser un cri de détresse, et elle se rua avec impétuosité sur la remarque de peu d'importance que Luther avait jetée au commencement de son discours, sur la communion sous les deux espèces. Ce discours ayant été publié au mois de décembre, de toutes parts s'éleva un cri contre l'hérésie. « C'est la doctrine de Prague toute pure !» s'écria-t-on à la cour de Dresde, où le sermon parvint durant les fêtes de Noël; « de plus, l'ouvrage « est en allemand, pour que les gens simples le
« comprennent » La dévotion du prince en fut troublée, et le troisième jour de la fête il écrivit à son cousin Frédéric : « Depuis la publication de « ce discours, le nombre 80
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle de ceux qui reçoivent la « Cène sous les deux espèces, s'est augmenté en « Bohême de six mille personnes. Votre Luther, de « professeur de Wittemberg, va devenir évêque de « Prague et Arch hérétique!...-» — «Il est né en Bohême! s'écriait-on, de parents bohémiens; il a été «élevé à Prague, et instruit dans les livres de Wiclef! [8]»
Luther crut devoir contredire ces bruits, dans un écrit où il fit gravement l'histoire de son origine. « Je suis né à Eisleben, dit-il, et j'y ai été «baptisé dans l'église de Saint-Pierre. Dresde est le « lieu le plus rapproché de la Bohème où j'aie été « de ma vie [9] »
La lettre du duc Georges n'indisposa pas l'Électeur contre Luther. Peu de jours après, ce prince invita le docteur à un repas splendide qu'il donnait à l'ambassadeur d'Espagne, et Luther y combattit vaillamment contre le ministre de Charles [10].
L'Électeur l'avait fait prier par son chapelain de défendre sa cause avec modération.
« Trop de folie déplaît aux hommes, répondit Luther à Spalatin, « mais trop de sagesse déplaît à Dieu. On ne peut «défendre l'Évangile sans tumulte et sans scandale. [11] « La parole de Dieu est une épée, elle est une guerre, « elle est une ruine, elle est un scandale, elle est «une destruction, elle est un poison et ainsi que
«le dit Amos, elle se présente, comme un ours dans « le chemin et comme une lionne dans la forêt. Je « ne cherche rien, je ne demande rien. Il en est un « plus grand que moi, qui cherche et qui demande. «S'il tombe, je n'y perds rien, s'il demeure debout,
« je n'en tire aucun avantage » [12]
Tout annonçait que Luther allait avoir besoin plus que jamais de foi et de courage.
Eck formait des projets de vengeance. Au lieu des lauriers qu'il avait compté recueillir, le gladiateur de Leipzig était devenu la risée de tous les hommes d'esprit de sa nation. On publiait contre lui de piquantes satires. C'était une « épître de chanoines ignorants » écrite par Ecolampade et qui blessa Eck au fond de l'âme.
C'était une complainte sur Eck, probablement de l'excellent Pirckheimer de Nuremberg, pleine à la fois d'un mordant et d'une dignité dont les Provinciales de Pascal peuvent seules donner quelque idée.
Luther témoigna son mécontentement de plusieurs de ces écrits. «Il vaut mieux, dit-il, attaquer ouvertement que de mordre en se tenant caché « derrière une haie [13].
»
Quel mécompte pour le chancelier d'Ingolstadt! Ses compatriotes l'abandonnent Il l'apprête à aller au-delà des Alpes, invoquer un secours étranger. Partout où il passe il vomit des menaces contre Luther, contre Mélanchthon, contre Carlstadt et contre l'Électeur lui-même. « A la hauteur de ses paroles, » dit le docteur de Wittemberg, « on dirait qu'il s'imagine être le Dieu tout-puissant'. [14]» Enflammé de colère et de désirs de vengeance, Eck part pour l'Italie, afin d'y recevoir la récompense de ses prétendus triomphes, et de forger à Rome, près du capitole papal, 81
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle des foudres plus puissantes que les frêles armes scolastiques qui se sont brisées dans ses mains.
Luther comprit tous les dangers que ce voyage de son antagoniste allait attirer sur lui; mais il ne craignit point. Spalatin alarmé l'invita à offrir la paix. «Non, répondit Luther, tant qu'il crie, je ne « puis retirer mes mains de la bataille. Je remets à
«Dieu toute la chose. Je livre mon navire aux flots et aux vents. La guerre est du Seigneur. Pourquoi « vous imaginer que c'est par la paix que Christ « avancera sa cause? N'a-t-il combattu avec son « propre sang, et tous les martyrs après lui [15]? »
Telle était, au, commencement de l'année 1520, la position des deux, combattants de Leipzig. L'un remuait toute la papauté pour frapper son rival. L'autre attendait la guerre avec le calme avec lequel on attend la paix. L'année qui s'ouvre verra éclater l'orage.
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FOOTNOTES
[1] Defensio contra malignmn Eccii judicium. (I lat. p. 356. )
[2] Canoniset quisque quantum volet. (Ibid. 367.)
[3] Opp. (L. ) XVII. 271.
[4] Opp. (L. ) Ibid. p. 281.
[5] Si quis dixerit per ipsa novae legis sacramenta ex opere operato non conferri gratiam, sed solam fidem divinœ promis-sionis, ad gratiam consequendam sufficere, anathema sit. (Concile de Trente, Sess. 7, can. 8.)
[6] Connue sous le nom d'opus operatum.
[7] Celle de l'opus operantis.
[8] Opp. (L.) KVII, p. 281.
[9] Cœterum ego natussum in Eisleben...(Luth.,Epp. I, p. 389.)
[10] Cum quo heri ego et Philippes certavimes, splendide invitati. (Ibid., p. 396.)
[11] Verbum Dei gladius est, bellum est, ruina est, scanda-lum est, perditio est, venenum est...(lb. 417.)