Histoire de la Réformation du Seizième Siècle_Vol 2 by Jean-Marie Merle D'Aubigne - HTML preview

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[12] Ego nihil quaero : est, qui quierat. Stet ergo, sive cadat : ego nihil lucror, «st amitto. (lb. 418.)

[13] Melior est aperta criminatio, quam iste sub sepe morsus. (lb. 426.)

[14] Deum crederes omnipotentem loqui. (lb. 380.) 82

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[15] Cogor rem Deo committere, data fiatibus et fluctibus nave. Bellum Domini est. . . (lb. p. 425.)

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle LIVRE VI. LA BULLE DE ROME. (1520.)

CHAPITRE I

Un nouveau personnage allait paraître sur la scène. Dieu voulait mettre en présence du moine de Wittemberg le monarque le plus puissant qui, depuis Charlemagne, eût paru dans la chrétienté. Il choisit un prince dans la force de la jeunesse, et à qui tout annonçait un règne d'une longue durée, un prince dont le sceptre s'étendait sur une partie considérable de l'ancien monde et sur un monde nouveau, en sorte que, selon une expression célèbre, le soleil ne se couchait jamais sur ses vastes États; et il l'opposa à cette humble Réformation, commencée dans la cellule obscure d'un couvent d'Erfurt, par les angoisses et les soupirs d'un pauvre moine. L'histoire de ce monarque et de son règne était destinée, ce semble, à donner au monde une grande leçon. Elle devait montrer le néant de toute « la puissance de l'homme, » quand elle prétend lutter avec « la faiblesse de Dieu. » Si un prince, ami de Luther, avait été appelé à l'Empire, on eût attribué les succès de la Réforme à sa protection. Si même un empereur opposé à la doctrine nouvelle, mais faible, avait occupé le trône, on eût expliqué les triomphes de cette œuvre par la faiblesse du monarque. Mais ce fut le superbe vainqueur de Pavie qui dut humilier son orgueil devant la puissance de la parole divine; et tout le monde put voir que celui pour qui c'était chose facile que de traîner François 1 dans les cachots de Madrid, devait poser sou épée devant le fils d'un pauvre mineur.

L'empereur Maximilien était mort, et les électeurs s'étaient réunis à Francfort pour lui donner un successeur. C'était une affaire importante pour l'Europe dans les circonstances où elle se trouvait. Toute la chrétienté était occupée de cette élection.

Maximilien n'avait pas été un grand prince; mais sa mémoire était chère au peuple.

On aimait à rappeler sa présence d'esprit et sa débonnaireté. Luther s'entretenait souvent de lui avec ses amis. Il leur raconta un jour le trait suivant de ce monarque : Un mendiant s'était attaché à ses pas, et lui demandait l'aumône, en l'appelant son frère; « car disait-il, nous descendons l'un et l'autre du même père, d'Adam, Je suis pauvre, continuait-il, mais vous êtes riche, vous devez donc me secourir.

L'empereur se retourna à ces mots, et lui dit : « Tiens, voilà deux sous; va vers tes autres frères, et si chacun t'en donne autant, tu seras plus riche que moi [1]. »

Ce n'était pas un débonnaire Maximilien qui (levait être appelé à porter la couronne impériale. Les temps allaient changer; de puissantes ambitions devaient se disputer le trône des empereurs d'Occident; une main énergique devait s'emparer des rênes de l'Empire, et des guerres longues et sanglantes devaient succéder à une profonde paix.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Trois rois demandaient à l'assemblée de Francfort la couronne des Césars. Un jeune prince, petit-fils du dernier empereur, né avec le siècle et par conséquent âgé de dix-neuf ans, se présentait le premier. Il s'appelait Charles, et était né à Gand. Sa grand'mère, du côté de son père, Marie, fille de Charles le Hardi, lui avait laissé les Flandres et les riches États de Bourgogne. Sa mère, Jeanne, fille de Ferdinand d'Aragon et d'Isabelle de Castille, et femme de Philippe, fils de l'empereur Maximilien, lui avait transmis les couronnes réunies des Espagne, de Naples et de Sicile, auxquelles. Christophe Colomb avait ajouté un nouveau monde. La mort de son grand-père le mettait en ce mot lent en possession des États héréditaires d'Autriche. Ce jeune prince, doué de beaucoup d'intelligence, aimable quand il le voulait, joignait au goût des exercices militaires, dans lesquels s'étaient distingués si longtemps les brillants ducs de Bourgogne, la finesse et la pénétration des Italiens, le respect pour les institutions existantes, qui caractérise encore la maison d'Autriche, et qui promettait à la papauté un ferme défenseur, et une grande connaissance des affaires publiques, acquise sous la direction de Chièvres. Dès l'âge de quinze ans il avait assisté à toutes les délibérations de ses conseils'[2].

Ces qualités si diverses étaient comme couvertes et voilées par le recueillement et la taciturnité espagnols. Il y avait quelque chose de triste dans sa figure allongée. « il est pieux et tranquille, disait Luther; je soutiens qu'il ne parle pas « autant dans une année que moi dans un jour [3], Si Charles s'était développé sous une influence libre et chrétienne, il eût été peut-être l'un des princes les plus dignes d'admiration dont parle l'histoire; mais la politique absorba sa vie et flétrit ses heureuses dispositions.

Non content de tous les sceptres qu'il réunissait en sa main, le jeune Charles ambitionnait la dignité impériale. « C'est un rayon du soleil qui jette de l'éclat sur la maison qu'il éclaire, disaient plusieurs; mais avancez la main pour le saisir, vous ne trouvez rien. » Charles y voyait, au contraire, le faîte de toute grandeur terrestre, et un moyen d'obtenir sur l'esprit des peuples une influence magique.

François 1er, roi de France, était le second des compétiteurs. Les jeunes paladins de la cour de ce roi chevalier lui répétaient sans cesse qu'il devait, comme Charlemagne, être empereur de tout l'Occident, et, ressuscitant les exploits des anciens preux, attaquer le Croissant qui menaçait l'Empire, pourfendre les infidèles, et recouvrer le saint sépulcre. « H faut, disaient aux électeurs les ambassadeurs de François, il faut prouver aux ducs d'Autriche que la couronne de l'Empire n'est pas héréditaire. L'Allemagne, d'ailleurs, a besoin, dans les circonstances actuelles, non d'un jeune homme de dix-neuf ans, mais d'un prince qui, à un jugement éprouvé, joigne des talents déjà reconnus. François réunira les armes de la France et de la Lombardie à celles de l'Allemagne pour faire la guerre aux musulmans. Souverain du duché de Milan, il est d'ailleurs déjà membre de l'Empire» Les ambassadeurs 85

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle français appuyaient ces raisons de quatre cent mille écus qu'ils distribuaient pour acheter les suffrages, et de festin d'où l'on devait emporter les convives.

Enfin, Henri VIII, roi d'Angleterre, jaloux de l'influence que le choix des électeurs donnerait à François ou à Charles, se mit aussi sur les rangs; mais il laissa bientôt ces deux puissants rivaux se disputer seuls la couronne.

Les électeurs étaient peu disposés en faveur de ceux-ci. Leurs peuples, pensaient-ils, verraient dans le roi de France un maitre étranger, et ce maitre pourrait bien leur enlever à eux-mêmes cette indépendance dont les grands de ses États s'étaient vus naguère privés. Quant à Charles, c'était un antique principe des électeurs de ne point choisir un prince qui jouât déjà un rôle important dans l'Empire. Le pape partageait ces craintes. Il ne voulait ni du roi de Naples, son voisin, ni du roi de France, dont il redoutait l'esprit entreprenant. « Choisissez plutôt l'un d'entre vous,

» fit-il dire aux électeurs. L'électeur de. Trèves proposa de nommer Frédéric de Saxe.

La couronne impériale fut déposée aux pieds de cet ami de Luther.

Ce choix eût obtenu l'approbation de toute l'Allemagne. La sagesse de Frédéric et son amour pour le peuple étaient connus. Lors de la révolte d'Erfurt, on l'avait engagé à prendre cette ville à l’assaut. Il s'y refusa, pour épargner le sang. [4]

« Mais, lui répondit-on, cela ne coûtera pas cinq hommes. — « Lin seul homme serait trop, » répliqua le prince [5]. Il semblait que l'élection du protecteur de la Réformation allait assurer le triomphe de cette œuvre. Frédéric n'aurait-il pas voir dans le désir des électeurs un appel de jeu même? Qui eût pu mieux présider aux destinées de l'Empire, qu'un prince si sage? Qui mieux qu'un empereur plein de foi eût pu être fort contre les Turcs? Peut- être le refus de l'électeur de Saxe, si loué par les historiens, fut-il une faute de ce prince. Peut-être faut-il lui attribuer en partie les luttes qui déchirèrent plus tard l'Allemagne. Mais il est difficile de dire si Frédéric mérite d'être blâmé pour son manque de foi, ou d'être honoré pour son humilité. Il crut que le salut même de l'Empire exigeait qu'il refusât la couronne a. «

Il faut, dit ce prince modeste et désintéressé, un empereur plus puissant que moi pour « sauver l'Allemagne. Le Turc est à nos portes. Le «roi d'Espagne, dont les possessions héréditaires d'Autriche bordent la frontière menacée, en est le défenseur naturel. »

Le légat de Rome, voyant que Charles allait être choisi, déclara que le pape retirait ses objections; et le 28 juin, le petit-fils de Maximilien fut élu. « Dieu, dit plus tard Frédéric, nous l'a donné « dans sa faveur et dans sa colère [6]. » Les envoyés espagnols présentèrent trente mille florins d'or à l'électeur de Saxe, comme marque de la reconnaissance de leur maître; mais ce prince les refusa, et interdit à ses ministres d'accepter aucun présent. En même temps, il assura les libertés allemandes par une capitulation que les envoyés de Charles jurèrent en son nom.

Les circonstances dans lesquelles celui-ci ceignait sa tête de la couronne impériale, 86

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle paraissaient, au surplus, devoir assurer mieux encore que ces serments, les libertés germaniques et l'œuvre de la Réformation. Ce jeune prince était offusqué des palmes que son rival François Pr avait cueillies à Marignan. La lutte devait se poursuivre en Italie, et ce temps suffirait sans doute à la Réformation pour s'affermir. Charles quitta l'Espagne en mai 1520, et fut couronné le 22 octobre à Aix-la-Chapelle.

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FOOTNOTES

[1] L. Opp. (W.) XXII, 1869.

[2] Mémoires de du Bellay, 1, 45.

[3] L. Opp. (W.) XXII, p. 1874.

[4] L. Opp. W. XXII, p. i858.

[5] h vero herotca plane moderatione animi magnifice repudiavit (Paltavieini, I, p.179.)

[6] L. Opp. (W.) XXII, p. 1880.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE II

Luther avait prévu que la cause de la Réformation serait bientôt portée devant le nouvel empereur. Il écrivit à Charles, lorsque ce prince se trouvait encore à Madrid.

« Si la cause que je défends, « lui dit-il, est digne de se présenter devant le trône de la Majesté céleste, elle ne doit pas être indigne d'occuper un prince de ce monde. O

Charles! Prince des rois de la terre! Je me jette en suppliant aux pieds de votre Sérénissime Majesté, et je vous conjure de daigner recevoir sous « l'ombre de vos ailes, non pas moi, mais la cause même de cette éternelle vérité, pour la, défense de laquelle Dieu vous a confié l'épée [1]. » Le jeune roi d'Espagne mit de côté cette singulière lettre d'un moine allemand, et n'y répondit lis.

Tandis que Luther se tournait vers Madrid, l'orage semblait croître autour de lui.

Le fanatisme s'allumait en Allemagne. Hochstraten, infatigable dans ses efforts de persécution, avait extrait quelques thèses des écrits de Luther. Sur sa demande, les universités de Cologne et de Louvain avaient condamné ces ouvrages. Celle d'Erfurt, toujours irritée de ce que Luther lui avait préféré Wittemberg, allait suivre leur exemple. Mais l'ayant appris, le docteur écrivit à Lange une lettre si énergique, que les théologiens d'Erfurt, tout effrayés, se turent. La condamnation, prononcée à Cologne et à Louvain, suffisait cependant pour enflammer les esprits. Il y a plus : les prêtres de la Misnie, qui avaient épousé la querelle d'Emser, disaient hautement (c'est Mélanchthon qui le rapporte), que celui qui tuerait Luther serait sans péché [2]

« Voici le temps, dit Luther, « où les hommes croiront rendre service à Jésus-Christ en nous mettant à mort. » Ces paroles homicides devaient porter des fruits. Un jour, dit un biographe, que Luther était devant le cloître des Augustins, un étranger, portant un pistolet caché dans sa manche, l'aborda, et lui dit : « Pourquoi allez-vous ainsi tout seul? « Je suis dans les mains de Dieu, répondit Luther. Il est ma force et mon bouclier. Que peut me faire l'homme mortel? ».

Là-dessus, cet inconnu pâlit, ajoute l'historien, et s'enfuit en tremblant [3]. Serra Longa, l'orateur de la conférence d'Augsbourg, écrivit, vers le même temps, à L'électeur : « Que Luther ne trouve aucun asile dans les États de Votre Altesse; que, repoussé de tous, il soit lapidé à la face du ciel : cela me sera plus agréable que si je recevais de vous dix mille écus [4]. »

C'était pourtant, surtout, du côté de Rome que grondait l'orage. Un noble de Thuringe, Valentin Teutleben, vicaire de l'archevêque de Mayence, et zélé partisan de la papauté, représentait à Rome l'électeur de Saxe. Teutleben, honteux de la protection que son maître accordait au moine hérétique, voyait avec impatience sa mission paralysée par cette conduite imprudente. Il s'imagina qu'en alarmant l'Électeur, il le déciderait à abandonner le théologien rebelle. « On ne veut point 88

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle m'entendre, lui écrivait-il, à cause de la protection que vous accordez à Luther.

».Mais les Romains se trompaient, s'ils pensaient effrayer le sage Frédéric.

Ce prince savait que la volonté de Dieu et le mouvement des peuples étaient plus irrésistibles que des décrets de la chancellerie papale. Il ordonna à son envoyé d'insinuer au pape, que loin de défendre Luther, il l'avait toujours laissé se défendre lui-même; qu'au reste, il lui avait déjà demandé de quitter la Saxe et l'université; que l’électeur s'était déclaré prêt à obéir, et qu'il ne serait plus dans les États électoraux, si le légat lui-même, Charles de Miltitz, n'avait supplié le prince de le garder près de lui, dans la crainte qu'en se rendant dans d'autres contrées, Luther n'agit avec plus de liberté qu'en Saxe même. [5]

Frédéric fit plus encore : il voulait éclairer Rome. « L'Allemagne, continua-t-il dans sa lettre, possède maintenant un grand nombre d'hommes savants, instruits en toutes sortes de langues et de sciences ; les laïques eux-mêmes commencent à avoir de l'intelligence, à aimer l'Écriture sainte; et si l'on refuse les conditions équitables du docteur Luther, il est fort à craindre que la paix ne puisse jamais se rétablir. La doctrine de Luther a jeté de profondes racines dans un grand nombre de cœurs. Si, au lieu de la réfuter par des témoignages de la Bible, on cherche à l'anéantir par les foudres de la puissance ecclésiastique, un causera de grands scandales, et l'on suscitera de pernicieuses et terribles révoltes [6]. »

L'électeur, plein de confiance clins Luther, lui fit communiquer la lettre de Teutleben, et une autre lettre qu'il avait reçue du cardinal Saint-Georges. Le Réformateur fut ému en les lisant. Il vit aussitôt tous les dangers qui l'entouraient.

Son âme en fut un instant accablée. Mais c'était en de tels moments qu'éclatait toute la puissance de sa foi. Souvent faible, prêt à tomber dans l'abattement, on le voyait se relever et paraître plus grand au sein de la tempête. Il voudrait être délivré .de tant d'épreuves; mais il comprend à quel prix on lui offre le repos...., et il le rejette avec indignation.

Me taire! dit-il ; je suis disposé à le faire, si l'on me le permet, c'est-à-dire, si l'on fait taire les autres. Si quelqu'un a envie de mes places, qu'il les prenne. Si quelqu'un veut détruire mes écrits, qu'il les brûle. Je suis prêt à me tenir en repos, pourvu qu'on n'exige pas que la vérité évangélique se repose [7].

Je ne demande pas le chapeau de cardinal; je ne demande ni or, ni rien de ce que Rome estime. Il n'y a rien au monde qu'on ne puisse obtenir de moi, pourvu qu'on ne ferme cc pas aux chrétiens le chemin du salut [8]. Toutes leurs menaces ne m'épouvantent pas, toutes leurs « promesses ne peuvent me séduire animé de tels sentiments, Luther retrouva bientôt toute son humeur guerrière, et préféra, au calme de la solitude, le combat du chrétien. Une nuit suffit pour lui rendre le désir de renverser Rome. « Mon parti est pris, écrit-il le lendemain : je méprise la fureur de Rome, et je méprise sa faveur. Plus de réconciliation, plus de communication 89

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle avec elle à jamais' [9]. Qu'elle condamne et qu'elle brûle mes écrits! A mon tour, je condamnerai et je brûlerai publiquement le droit pontifical, ce nid de toutes les hérésies. La modération que j'ai montrée jus- qu'à cette heure a été inutile ; j'y renonce!» Ses amis étaient loin d'être aussi tranquilles. La consternation était grande à Wittemberg. « Nous sommes dans une attente extraordinaire » disait Mélanchthon. « J'aimerais mieux mourir que d'être séparé de Luther [10]. Si Dieu ne nous prête secours, nous périssons. — Notre Luther' vit encore, écrivit-il un mois plus tard, dans son anxiété; plaise à Dieu qu'il vive longtemps! car les sycophantes romains mettent tout en œuvre pour le faire périr. Priez, afin qu'il vive, cet unique vengeur de la sainte théologie [11]. »

Ces prières devaient être, entendues. Les avertissements que l'Électeur avait fait donner à Rome par son chargé d'affaires, n'étaient pas sans fondement. La parole de Luther avait retenti partout, dans les cabanes, dans les couvents, dans les demeures des bourgeois, dans les châteaux des nobles, dans les académies, et dans les palais des rois.

« Que ma vie, avait-il dit au duc Jean de Saxe, ait seulement servi à la conversion d'un seul homme, et je consentirai volontiers à ce que tous mes « livres périssent 1. »

Ce n'était pas un homme seul, c'était une grande multitude, qui avait trouvé la lumière dans les écrits de l'humble docteur. Aussi partout se trouvaient des hommes prêts à le protéger. L'épée qui devait l'atteindre se forgeait au Vatican; mais des héros se levaient en Allemagne pour lui faire un bouclier de leurs corps.

Au moment où les évêques s'irritaient, où les princes gardaient le silence, où le peuple était dans l'attente, et où les foudres grondaient déjà sur les sept collines, Dieu suscita la noblesse allemande pour en faire un boulevard à son serviteur.

Sylvestre de Schaumburg, l'un des plus puissants chevaliers de la Franconie, envoya à cette époque son fils à Wittemberg, avec une lettre pour le Réformateur. «

Votre vie court des dangers, lui écrivait « Schaumburg. Si le secours des électeurs, des « princes ou des magistrats vous manque, je volis « en supplie, gardez-vous de vous rendre en Bohême, « où jadis des hommes très-savants ont eu beaucoup « à souffrir; venez plutôt vers moi. J'aurai bientôt, « si Dieu le veut, rassemblé plus de cent gentils« hommes, et, avec leur secours, je saurai vous préserver de tout péril.

[12]»

François de Sickingen, ce héros de son siècle, dont nous avons déjà vu l'intrépide courage [13], aimait le Réformateur, parce qu'il le trouvait digne d'être aimé, et aussi parce qu'il était haï des moines [14].

« Mes services, mes biens et mon corps, tout ce que je possède, lui écrivit-il, est à votre disposition. Vous voulez maintenir la vérité chrétienne : « Je suis prêt à vous aider en cela [15]. » Harmutt de Cronberg tenait le même langage. Enfin, Ulric de Hutten, ce poète, ce vaillant chevalier du seizième siècle, ne cessait de parler en 90

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle faveur de Luther. Mais quel contraste entre ces deux hommes ! Hutten écrivait au Réformateur : « Ce sont des glaives, ce sont des arcs, ce sont des javelots, ce sont des bombes qu'il nous faut pour détruire la fureur du diable. » Luther, en recevant ces lettres, s'écriait : « Je ne veux pas -que l'on ait recours, pour défendre l'Évangile, aux armes et au carnage. C'est par la parole que le monde a été vaincu ; c'est par la parole que l'Église a été sauvée; c'est par la parole aussi qu'elle sera rétablie. »

« Je ne méprise point ses offres, » disait-il encore en recevant la lettre de Schaumburg, dont nous avons fait mention, « mais je ne veux cependant m'appuyer sur aucun autre que sur Christ [16]. »

Ce n'était pas ainsi que parlaient les pontifes de Rome quand ils marchaient dans le sang des Vaudois et des Albigeois. Hutten sentit la différence qu'il y avait entre la cause de Luther et la sienne; aussi lui écrivit-il avec noblesse : « Moi, je m'occupe des choses de l'homme; mais toi, t'élevant a bien plus haut, tu es tout entier à celles de Dieu [17]; » puis il partit pour gagner à la vérité, s'il lui était possible, Ferdinand et Charles-Quint'.

Ainsi, tantôt les ennemis de Luther l'accablent, et tantôt ses amis se lèvent pour le défendre. « Mon navire, » dit-il, « flotte çà et là au gré des'[18] « vents ; l’espérance et la crainte règnent tour à tour; mais qu'importe [19]! » Cependant les témoignages de sympathie qu'il recevait, ne furent pas sans influence sur son esprit. « Le Seigneur règne,» dit-il, « il est là, nous pouvons le toucher [20]. » Luther vit qu'il n'était plus seul; ses paroles avaient porté des fruits, et cette pensée le remplit d'un nouveau courage. La crainte de compromettre l'Électeur ne l'arrêtera plus, maintenant qu'il a d'autres défenseurs, disposés à braver le courroux de Rome. Il en devient plus libre et, s'il est possible, plus décidé. C'est une époque importante dans le développement de Luther.

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FOOTNOTES

[1] Causam ipsam veritatis...(L. Epp. I, 3g2, 15 janvier 15ao.)

[2] Ut sine peccato esse eum censebant qui me interfecerit. L. Epp. I, 383.

[3] Was kann mir ein Mensch thun? ( Keith, L. Umsdinde, P. 89. )

[4] Tenzel hist. Ber. II, p. 168.

[5] Da er viel freyer und sicherer schreiben und handeln môchte rias rr wollte...(L.

Opp. (L.) XVII, p. 298.)

[6] Schreckliche, grausame, schidliche und verdcrbliche F,mpôrungen erregen (Ib.) 91

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[7] Semper quiescere paratus, modo veritatem evangelicam non jubeant quiescere.

(L. Epp. I, p. 462.)

[8] Si salutis viam Cbristianis permittant esse liberamp hoc unum peto ab illis, ac prœterea nihil... (Ib.)

[9] Nolo eis reconciliari nec communicare in perpetuum... Epp. I, p. 466, Io juillet 1520.)

[10] Emori mallim, quam ab hoc viro avelli. (Corpus Reform. I, p. 160,163.1

[11] Martinus noster spirat, atque utinam dit (lb. 190,

[12] aufbringen will, euch redtich an halten ( L., Opp. ( L. ) XVII, p. 38i.)

[13] Equitum Germanise rarum decus, dit à cette occasion Melanchton (Corp.

Reform. I, p. 201.)

[14] Et ob id invisus illis. (Corp. Ref. I, p. 132.)

[15]. Ibid.

[16] Nolo nisi Christo protectore niti. (L. Epp. 1, p. 1118.

[17] Mea humant' sont: tu perfectior, jasa toms ex divinia pendes. (L. Opp. lat. II, p.

i75.)

[18] Viam facttirus libertati (cod. Bavar. veritati ) per maximos principes. (Corp. Ref.

I, p. soi.)

[19] Ra fluctuat lalrfiS mea : nunc spes, mine tirnor regnat... (L. Epp. I, 443.)

[20] Dominus regnat, ut palpare possimus. (lb. 45o.`

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE III

« Il faut que Rome comprenne, » écrivit-il alors au chapelain de l'Électeur, « que quand elle parviendrait par .ses « menaces à me chasser de Wittemberg, elle ne «

ferait qu'empirer sa cause. Ce n'est pas en Bohême, c'est au sein de l'Allemagne que se trouvent « ceux qui sont prêts à me défendre contre les foudres de la papauté. Si je n'ai pas fait encore à « mes ennemis tout ce que. Je leur prépare, ce « n'est ni à ma modestie ni à leur tyrannie qu'ils « doivent l'attribuer, mais au nom de l'Électeur et

« à la prospérité de, l'université de Wittemberg, « que je craignais de compromettre : maintenant « que je n'ai plus de telles craintes, on me verra « avec une force nouvelle me précipiter sur Rome « et sur ses courtisans [1]. »

Et cependant, ce n'était pas dans les grands que Luther mettait son espoir. On l'avait souvent sollicité de dédier un livre au duc Jean, frère de l'Électeur. Il n'en avait rien fait. « Je crains, » avait-il dit, « que cette suggestion ne vienne de lui-même. « La sainte Écriture ne doit servir qu'à la gloire « du seul nom de Dieu [2]. »

Luther revint de ses craintes, et dédia au duc Jean son discours sur les bonnes œuvres. C'est l'un des écrits dans lesquels le Réformateur expose avec le plus de force, la doctrine de la justification par la foi, cette vérité puissante dont il met la force bien au-dessus d’Ilièée de Hutten, de l'armée de Sickingen, de la protection des Ducs et des Électeurs.

« La première, la plus noble, la plus sublime de « toutes les œuvres, dit-il, c'est la foi en Jésus« Christs. C'est de cette œuvre que toutes les « œuvres doivent procéder : elles sont toutes les « vassales de la foi, et reçoivent d'elle seule leur « efficace.

« Si un homme trouve dans son cœur l'assurance « que ce qu'il fait est agréable à Dieu, l'œuvre est « bonne, ne fit-il même que relever un brin de paille; mais s'il n'y a point en lui cette assurance, « son œuvre n'est pas bonne, quand même il ressusciterait les morts. Un païen, un juif, un Turc, « un pécheur peuvent faire toutes les autres œuvres; « mais se confier fermement en Dieu et avoir l'assurance qu'on lui est agréable, c'est ce que le chrétien affermi dans la grâce est seul capable de faire.

«Un chrétien qui a foi en Dieu, fait tout avec « liberté et avec joie; tandis que l'homme qui n'est « pas un avec Dieu est plein de soucis et retenu « dans la servitude ; il se demande avec angoisse « combien d'œuvres il devra faire; il court çà et là; « il interroge celui-ci, il interroge celui-là; il ne « trouve nulle part aucune paix, et fait tout avec « déplaisir et avec crainte.

« En conséquence, j'ai toujours exalté la foi. « Mais il en est autrement dans le monde. Là, l'essentiel est d'avoir beaucoup d'œuvres, grandet, « hautes et de toutes les dimensions, sans que l'on « se soucie nullement que la foi les anime. On bâtit 93

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle ainsi sa paix, non sur le bon' plaisir de Dieu, « mais sur ses propres mérites, c'est-à-dire sur le sable .. . (Matthieu, VII, p. 27.) »

« Prêcher la foi, c'est, dit-on, empêcher les « bonnes œuvres; mais quand un homme aurait à « lui seul les forces de tous les hommes ou même « de toutes les créatures, cette seule obligation de « vivre dans la foi, serait une tâche trop grande, « pour qu'il pût jamais l'accomplir [3]. Si je dis à un « malade : Aie la santé et tu auras l'usage de tes « membres, dira-•-on que je lui défends l'usage de « ses membres? La santé ne doit-elle pas précéder le travail? Il en est de même quand nous prêchons la foi : elle doit être avant les œuvres, « pour que les œuvres elles-mêmes puissent exister.

« Où peut-on donc trouver cette foi, direz-vous, et comment la recevoir ? C'est en effet ce qu'il importe le plus de connaître. La foi vient uniquement « de Jésus-Christ, promis et donné gratuitement... [4]

« O homme! Représente-toi Christ, et contemple « comment en lui Dieu te montre sa miséricorde, «sans être prévenu par aucun mérite de ta part puise dans cette image de sa grâce, la foi et l'assurance que tous tés péchés te sont remis. Les oeuvres ne sauraient la produire. C'est du sang, « c'est des plaies, c'est de la mort de Christ qu'elle « découle ;- c'est de là qu'elle jaillit dans les cœurs. « Christ est le rocher d'où découlent le lait et le miel.

Ne pouvant faire connaître tous les ouvrages de Luther, nous avons cité quelques courts fragments de ce discours sur les bonnes œuvres, à cause de ce qu'en pensait le Réformateur lui-même. « C'est, « à mon jugement, dit-il, le meilleur des écrits que

« j'aie publiés. » Et il ajoute aussitôt cette remarque profonde : « Mais je sais que quand je me plais « dans ce que j'écris, l'infection de ce mauvais « levain empêche que cela ne plaise aux autres [5].» Et Mélanchthon, en envoyant ce discours à un ami, l'accompagne de ces mots : « Il n'est personne « entre tous les écrivains grecs et latins qui ait approché davantage que Luther de l'esprit de « saint Paul'.. [6]»

. Mais il y avait eu dans l'Église un autre mal que la substitution d'un système d'œuvres méritoires à l'idée de grâce et d'amnistie [7]. Un pouvoir superbe s'était élevé du milieu des humbles pasteurs des troupeaux de Christ. Luther attaquera cette autorité usurpée. Au milieu de toutes ses agitations, il avait étudié dans sa retraite, la naissance, les progrès et les usurpations de la papauté. Ses découvertes l'avaient rempli de surprise. Il n'hésita plus à les faire connaître, et à frapper le coup qui, comme jadis la verge de Moise, devait réveiller tout un peuple endormi par une longue captivité. Avant même que Rome ait eu le temps de publier sa redoutable bulle, c'est lui qui lance sa déclaration de guerre. « Le u temps de se taire est passé, s'écrie-t-il; le temps « de parler est venu. » Le 3 juin 1520, il publie le fameux Appel à Sa Majesté impériale et à la noblesse chrétienne de la nation allemande, sur la réformation du christianisme'. [8]

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle ________________________________________

FOOTNOTES

[1] Sœvius ib Romanenscs grassaturus...(L. Epp. I, p. 465.)

[2] Scripturam sacram nolim alicujus nomini nisi Dei servire. (L. Epp. 1, p. 431.1

[3] Wenn ein Menet' tausend, oder aile Menschen, oder celle Creaturen wâre. (Ib. p.

398.)

[4] Siehe, also musst du Christum in dich bilden, und sehen wie in Ihm Gott seine Barmherzigkeit dir ffirhillt und anbeut... !Ib. p. 4ot .)

[5] Exit meo judicio omnium que ediderim, optimum : quanquam scio que mihi mea placent, hoc ipso fermento infecta, non solere aliis placere. (L. Epp. I, p. 431.)

[6] Quo ad Pauli spiritum nemo proprios accessit (Corp. Ref. I, p. 201 )

[7] Tome ler, p. 2 à 26. ,

[8] L. Opp. (L.) XVII, 457 à 502.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IV

« Ce n'est pas par témérité, dit-il à l'entrée de « cet écrit, que j'entreprends, moi, homme du peuple, de parler à vos Seigneuries. La misère et l'oppression qui accablent à cette heure tous les États « de la chrétienté, et surtout l'Allemagne, m'arrachent un cri de détresse. Il faut que j'appelle au « secours; il faut que je voie si Dieu ne donnera pas son Esprit à quelque homme de notre patrie; et ne tendra pas sa main à notre malheureuse nation.

Dieu nous a donné pour chef un prince « jeune et généreux (l'empereur Charles-Quint)'[1], « et il a rempli ainsi nos cœurs de grandes espérances. Mais il faut que nous fassions de notre « côté tout ce que nous pourrons faire.

Or, la première chose nécessaire, c'est de ne pas nous confier dans notre grande force, ou clans notre haute sagesse. Si l'on commence une bonne œuvre en se confiant en soi-même., Dieu la jette bas, et la détruit. Frédéric Ier, Frédéric et bien d'autres empereurs encore, devant qui le monde tremblait, ont été foulés aux pieds par les papes, parce qu'ils se sont confiés en leur force plus qu'en Dieu.

Il a fallu qu'ils tombent. C'est contre « les puissances de l'enfer que nous avons à combattre dans cette guerre. Ne rien attendre de la « force des armes et se confier humblement au « Seigneur, voir la détresse de la chrétienté plus « encore que les crimes des méchants, voilà comment il faut s'y prendre. Autrement, l'œuvre commencera peut-être avec de belles apparences; mais tout à coup, au milieu de la lutte, la confusion s'y mettra; les mauvais esprits causeront un immense désastre, et le monde entier nagera dans « le sang... Plus on a de pouvoir et plus aussi on «, s'expose, si l'on ne marche pas dans la crainte du Seigneur. [2]

Après cet exorde, Luther continue ainsi :

« Les Romains ont élevé entour d'eux trois murailles pour se mettre en garde contre toute réformation. La puissance temporelle les a-t-elle « attaqués, ils ont lit qu'elle n'avait aucun droit « sur eux, et que la puissance spirituelle lui était « supérieure.

A-t-on voulu les reprendre avec l'Écriture sainte, ils ont répliqué que personne ne pouvait l'interpréter, si ce n'est le pape. Les a-t-on « menacés d'un concile, mil., ont-ils dit, ne peut a en convoquer un, si ce n'est le souverain Pontife.

« Ils nous ont ainsi enlevé les trois verges destinées à les corriger, et se sont abandonnés à toute malice. Mais maintenant, Dieu nous soit en aide « et nous donne l'une de ces trompettes qui renversèrent les murailles de Jéricho! Abattons de notre « souffle les murs de papier et de paille que les Romains ont bâtis autour d'eux, et élevons les verges qui punissent les méchants, en mettant au « grand jour les ruses du diable; »

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Luther commence ensuite l'attaque. Il ébranle dans ses fondements cette monarchie papale qui depuis des siècles réunissait en un seul corps les peuples d'Occident sous, le sceptre de l'évêque romain. Il n’y a pas de caste sacerdotale dans le christianisme; telle .est la vérité dérobée à l'Église depuis ses premiers âges, qu'il expose (l'abord avec force

« On a (lit, ainsi parle Luther, que le pape, les « évêques, les prêtres et tous ceux qui peuplent les « couvents, forment l'état spirituel ou ecclésiastique; et que les princes, les nobles, les bourgeois « et les paysans forment l'état séculier ou laïque.

C'est là une belle histoire. Cependant, que per- sonne ne s'en effraye. Tous les chrétiens sont d'é« kit spirituel, et il n'y a entre eux d'autre différence que celle des fonctions qu'ils remplissent. Nous avons tous un seul baptême, une seule foi, et c'est là ce qui constitue un homme spirituel. « L'onction, la tonsure, l'ordination, la consécration que donnent l'évêque ou le pape, peuvent, « faire un hypocrite, insista mais un homme spirituel. Nous sommes tous ensemble consacrés prêtres par le baptême, ainsi que le dit saint Pierre : Vous êtes prêtres et rois; bien qu’il n’appartienne pas à tous d'exercer de telles charges, car nul ne peut prendre ce qui est commun à tous, sans la volonté de la communauté. Mais si cette consécration de Dieu n'était pas sur nous, l'onction du pape ne pourrait jamais faire un prêtre. Si dix frères, fils du roi, ayant des droits « égaux à héritage, choisissaient l'un d'entre eux, « afin de l'administrer pour eux, ils seraient tous rois, et cependant, l'un d'eux seulement serait l'administrateur de leur puissance commune.

Il en est de même dans l'Église. Si quelques laïques pieux étaient relégués dans un désert, et que, n'ayant point avec eux de prêtre consacré par un évêque, ils tombassent d'accord de choisir l'un d'entre eux, marié ou non, cet homme serait véritablement prêtre, comme Si tous, les évêques du monde l'avaient consacré. Ainsi furent choisis Augustin, Ambroise, Cyprien. « Il suit de là que les laïques et les prêtres, les princes et les évêques, ou, comme on dit, les ecclésiastiques et les laïques, n'ont rien qui les distingue, excepté leurs fonctions. Ils ont tous le même état; mais ils n'ont pas tous la même œuvre à faire.

« S'il en est ainsi, pourquoi le magistrat ne corrigerait-il pas le clergé ? Le pouvoir séculier a été établi de Dieu pour punir les méchants et protéger les bons. Il faut le laisser agir dans toute la chrétienté, qui que ce soit qu'il atteigne, pape, évêques, prêtres, moines, nonnes, etc. Saint-Paul dit à tous les chrétiens : « Que toute personne (et par conséquent le pape aussi) soit soumise aux puissances supérieures, car ce n'est pas en « vain qu'elles portent l'épée. »

Luther, Après avoir renversé de même « les deux autres murailles, » passe en revue-tous les abus de Rome. Il expose, avec une éloquence toute populaire, les maux signalés depuis des siècles. Jamais opposition plus noble ne se fit entendre.

L'assemblée, en présence de laquelle Luther parle, c'est l'Église; le pouvoir dont il 97

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle attaque les abus, c'est cette papauté qui depuis des siècles pèse sur tous les peuples; et la réforme, qu'il appelle à grands cris, c'est sur toute la chrétienté, dans tout le monde, pendant toute la durée de l'humanité, qu'elle doit exercer sa puissante influence.

Il commence par le pape. « C'est une chose horrible, dit-il, que de voir celui qui s'appelle vicaire de Christ, déployer une magnificence que « celle d'aucun empereur n'égale. Est-ce là ressembler au pauvre Jésus ou à l'humble saint Pierre ? Il est, disent-ils, le Seigneur du monde ! Mais Christ, dont il se vante d'être le vicaire, a dit : Mon règne n'est pas de ce monde. Le règne d'un vicaire s'étendrait [3] au-delà de celui de son Seigneur ?..» Luther va maintenant dépeindre les effets de la domination papale. « Savez-vous à quoi servent les cardinaux ? Je veux vous le dire.

L'Italie et l'Allemagne ont beaucoup de couvents, de fondations, de cures richement dotées. Comment amener ces richesses à Rome?

On a créé des cardinaux; on « leur a donné ces cloîtres et ces prélatures; et à « cette heure... l'Italie est presque déserte, les cou- vents sont détruits, les Bêchés dévorés, les villes « déchues, les habitants corrompus, le culte est. « expirant et la prédication abolie! Pourquoi? Parce qu'il faut que tous les biens des églises aillent à Rome.

Jamais le Turc lui-même n'eût ainsi ruiné l'Italie! » Luther se tourne ensuite vers son peuple : « Et maintenant qu'ils ont ainsi tiré tout le sang de leur nation, ils viennent en Allemagne : ils commencent doucement; mais prenons-y garde!

L’Allemagne deviendra bientôt semblable à l'Italie. Nous avons déjà quelques cardinaux. Avant que les grossiers Allemands comprennent notre « dessein, pensent-ils, ils n'auront déjà plus ni évêché, ni couvent, ni cure, ni sou, ni de rien.

Il faut que l'Antéchrist possède les trésors de la terre. On créera trente ou quarante cardinaux en un jour : on donnera à celui-ci Bamberg, à « celui-là l'évêché de Wurtzbourg; on y attachera « de riches cures, jusqu'à ce que les églises et les cités soient désolées. Et alors le pape dira : Je « suis vicaire de Christ et pasteur de ses troupeaux. Que les Allemands se résignent ! » L'indignation de Luther s'enflamme. «

Comment, nous Allemands, souffrons-nous de la part du pape, de tels vols et de telles concussions? Si le royaume de France a su s'en défera « cire, pourquoi nous laissons-nous ainsi jouer et « berner? Ah! Si encore ils ne nous enlevaient que nos biens! Mais ils ravagent les églises; ils dépouillent les brebis de Christ; ils abolissent le culte et anéantissent la parole de Dieu. » Luther expose ici « le pratiques de Rome

» pour 'avoir l'argent et le revenu de l'Allemagne. Annates, palliums, commendes, administrations, grâces expectatives, incorporations, réservations etc., il passe tout en revue; puis il dit : « Efforçons-nous « d'arrêter tant de désolations et de misères.

Si « nous voulons marcher contre les Turcs, commençons par ces Turcs qui sont les pires de tous. « Si nous pendons les filous et décapitons les voleurs, ne laissons pas échapper l'avarice romaine, « qui est le plus grand des voleurs et des filous et qui 98

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle l'est au nom de saint Pierre et de Jésus « Christ! Qui peut l'endurer? Qui peut se taire? « Tout ce que le pape possède, n'est-il pas volé? Car il ne l'a ni acheté, ni hérité de saint Pierre, ni gagné par ses sueurs. D'où tout cela lui vient-il donc? »

Luther propose des remèdes à tous ces maux. Il appelle énergiquement la noblesse allemande à faire cesser ces déprédations romaines. Puis il en vient à la réforme (lu pape lui-même. « N'est-il pas ri- cible, dit-il, que le pape prétende être héritier légitime de l'Empire ? Qui le lui a donné? Est- ce Christ quand il a dit : Les rois des nations les maîtrisent ; mais il n'en sera pas ainsi de vous? (Luc, XXII, z5, 26).

Comment gouverner « un empire et en même temps prêcher, prier, étudier et prendre soin des pauvres ?

Christ a défendu à ses ministres de porter sur eux ni or, ni habits, parce qu'on lie peut s'acquitter du ministère, si l'on n'est libre de tout autre soin ; et le pape voudrait gouverner l'Empire et en même temps demeurer pape! » Luther continue à dépouiller le souverain pontife : « Que le pape renonce à toute espèce de titre surie royaume de Naples et de Sicile. Il n'y a pas plus de droit que moi. C'est injustement et contre tous les commandements de Christ, qu'il possède Bologne, Imola, Ravenne, la Romagne, la Marche d'Ancône, etc. Nul, dit saint Paul, qui va à la guerre ne s'embarrasse des affaires de cette vie (2 Tim. II, S 2).

Et le pape, qui prétend être le chef dans la guerre de l'Évangile, s'embarrasse plus des affaires de cette vie, qu'aucun empereur ou qu'aucun roi. Il faut le débarrasser de tout ce travail. Que 'l'empereur mette aux mains du pape la Bible et un livre de prières, afin que le pape laisse les rois gouverner, et que lui, il prêche et il prie »

Luther ne veut pas plus du pouvoir ecclésiastique du pape en Allemagne, que de son pouvoir temporel en Italie.

« Avant tout, dit-il, il faut chasser de tous les pays allemands les légats du pape, avec ces prétendus biens qu'ils nous vendent au poids de l'or et qui ne sont que pure duperie. Ils nous prennent de l'argent, et pourquoi ? Pour légitimer le bien mal acquis, pour délier les serments, pour nous apprendre 'à manquer de fidélité, pour nous enseigner à pécher et nous mener droit en l'enfer L'entends-tu, ô pape! Non pas pape très-saint! Mais très pécheur [4]. Que Dieu, dit haut de son ciel, précipite bientôt ton trône dans l'abîme infernal! »

Le tribun chrétien poursuit sa course. Après avoir cité le pape à sa barre, il cite tous les abus qui sont le cortège de la papauté, et prétend balayer du sol de l'Église ces déblais qui l'encombrent. Il commence par les moines : Et maintenant j'en viens à cette lourde bande, qui promet beaucoup et qui tient peu. Ne vous irritez pas, chers messieurs! Mon intention est bonne; ce que j'ai à dire est nue vérité à la fois douce et amère, savoir qu'il ne faut plus bâtir de cloîtres pour les moines mendiants.

Grand Dieu! Nous n'en avons que trop, et plût à Dieu qu'ils fussent tous à bas...

Vagabonder par le pays n'a jamais fait de bien et n'en saurait jamais faire ».

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le mariage des ecclésiastiques a ensuite soir tour. C'est la première fois que Luther en parle r Dans quel état est tombé le clergé et que de « prêtres ne trouve-t-on pas chargés de femmes, d'enfants, de remords, sans que personne ne vienne à leur aide!

Que le pape et les évêques laissent courir ce qui court, et se perdre ce qui se perd, à la bonne heure! Mais moi je veux sauver ma conscience, je veux ouvrir librement la bouche : se scandalisent ensuite pape, évêque; et qui voudra !... Je dis donc que, d'après l'institution de Christ et des apôtres, chaque ville « doit avoir un pasteur, ou évêque, et que cependant peut avoir une femme, comme saint Paul a l'écrit à Timothée : Que l'évêque soit mari d'une seule femme (1 Tim. III, 2), et comme cela est encore pratiqué dans l'église grecque.

Mais le diable a persuadé au pape, comme le dit saint Paul à Timothée (T Tim. IV, i à 3), de défendre le mariage au clergé. Et de là sont découlées des misères si nombreuses qu'on ne peut faire mention de toutes. Que faire ? Comment sauver tant de pasteurs, auxquels on n'a rien à reprendre, si ce n'est qu'ils vivent avec une femme, à laquelle ils voudraient de tout leur cœur être légitime- ment unis? Ah!

Qu’ils sauvent leur conscience! Qu’ils prennent cette femme pour leur épouse légitime, qu'ils vivent honnêtement avec elle, sans s'inquiéter si cela plaît ou déplaît au pape. Le salut de ton âme t'importe davantage que des lois tyranniques et arbitraires, qui n'émanent point du Seigneur.»

C'est ainsi que la Réformation voulait intituler dans l'Église la sainteté des mœurs.

Le Réformateur continue : « Que l'on abolisse les fêtes et que l'on ne garde que le dimanche, ou si l'on veut garder les grandes fêtes chrétiennes, qu'on ne les célèbre que le matin, et que le reste du jour soit comme un jour ouvrable. Car comme on ne fait alors que boire, jouer, commettre toutes sortes de péchés, ou rester dans l'oisiveté, on offense Dieu les jours de fêtes, beaucoup plus que les autres jours. »

Il attaque ensuite les dédicaces, qu'il nomme de vraies tavernes ; puis les jeûnes et les confréries. Non-seulement il veut détruire les abus, il veut aussi mettre fin aux schismes.

« Il est temps, que nous nous occupions sérieusement de la cause des Bohémiens, que nous fassions cesser la « haine et l'envie, et que nous nous réunissions à eux. » Il propose d'excellents moyens de conciliation, et ajoute : « C'est ainsi qu'il finit convaincre les hérétiques par l'Écriture, comme l'ont fait les anciens Pères, et non les vaincre par le feu. Dans le système contraire, les bourreaux seraient les plus savants docteurs de l'univers.... Oh ! Plût à Dieu que des deux côtés nous nous tendissions la main en humilité fraternelle, plutôt que de nous roidir dans le sentiment de notre force et de notre droit. La charité est plus nécessaire que la papauté de Rome.

Maintenant, j'ai fait ce qui était en mon pouvoir. Si le pape ou les siens s'y opposent, ils en rendront compte. Le pape devrait être prêt à renoncer à la papauté, à toutes 100

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle ses biles et à tous ses honneurs, s'il pouvait par-là sauver une seule âme. Mais il aimerait mieux voir périr tout l'univers que de céder l'épaisseur d'un cheveu de la puissance qu'il a usurpée [5] !... Je suis net de ces choses. »

Luther en vient ensuite aux universités et aux écoles : « Je crains fort, dit-il, que les universités ne soient de grandes portes de l'enfer, si l'on ne s'applique pas avec soin à y expliquer la sainte Écriture et à la graver dans le cœur des jeunes gens. Je ne conseille à personne de placer son enfant là où la sainte Écriture ne règne pas.

Toute institution où l'on ne s'occupe pas sans relâche de la parole de Dieu doit se corrompre [6]. » Paroles graves que les gouvernements, les savants, les pères de tous les siècles devraient méditer. Vers la fin de sa harangue, il revient à l'Empire et à l'empereur :

« Le pape, dit-il, ne pouvant mener à sa volonté les anciens maîtres de l'empire romain, a imaginé de leur ravir leur titre et leur empire, et de nous les donner à nous autres Allemands. Ainsi a été fait, et nous sommes devenus les serviteurs du pape. Car le pape s'est emparé de Rome, et a obligé l'empereur par serment à ne jamais demeurer; d'où il résulte que l’empereur est empereur de Rome, sans Rome.

Nous avons le nom : le pape a le pays et les villes. Nous avons le titre, les armées de l'Empire; le pape en a le trésor, le pouvoir, les privilèges, et la liberté. Le pape mange le fruit, et nous nous jouons avec l'écorce. C'est ainsi que l'orgueil et la tyrannie des Romains ont toujours abusé de notre simplicité. »

« Mais maintenant, Dieu qui nous a donné un tel empire nous soit en aide! Agissons conformément à notre nom, à notre titre à nos armes; sauvons notre liberté! et que les Romains apprennent à connaître ce que Dieu nous a remis par leurs mains. Ils se vantent de nous avoir donné un empire. Eh bien ! Prenons ce qui nous appartient.

Que le pape nous cède Rome et tout ce qu'il possède de l'Empire. Qu'il mette fin à ses taxes et à ses concussions! Qu’il nous rende notre liberté, notre pouvoir, nos biens, notre honneur, notre âme et notre corps ! Que l'Empire soit tout ce que doit être un empire, et que le « glaive des princes ne soit plus contraint à se baisser devant l'hypocrite prétention d'un pape ! »

Il y a dans ces paroles non-seulement de la force et de l'entraînement, mais encore une haute raison. Jamais orateur parla-t-il ainsi à toute la noblesse de l'Empire et à l'empereur lui-même ? Loin d'être surpris que tant d'États germaniques se soient détachés de Rome, ne doit-on pas s'étonner plutôt que l'Allemagne entière n'ait pas été reprendre dans Rome même ce pouvoir impérial dont les papes avaient impudemment posé la couronne sur la tête de son chef?

Luther termine cette courageuse harangue en ces mots : 101

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Je pense bien que j'ai chanté trop haut, pro- posé bien des choses qui paraîtront impossibles, et attaqué un peu trop fortement beaucoup d'erreurs. Mais qu'y puis-je?

que le monde soit irrité contre moi, plutôt que Dieu ! On ne pourra jamais m'endêver que la vie. J'ai souvent offert la paix à mes adversaires. Mais Dieu m'a forcé par leur organe à ouvrir toujours plus la bouche contre eux. J'ai encore en réserve une chanson sur Rome. Si l'oreille leur démange, je la leur chanterai, et à haute voix... Comprends-tu bien, ô Rome, ce que je veux dire ?... »

Il s'agit probablement ici d'un écrit sur le papisme que Luther se proposait de faire paraître, et qui n'a pas été publié. Le recteur Burkhard écrivait alors à Spengler : cc Il y a encore un petit livre d’execrandd venere Romanorum; mais on le tient en réserve. » Le titre promettait un grand scandale. On doit se réjouir de ce que Luther a eu la modération de ne pas publier cet ouvrage. « Si ma cause est juste, continue-t-il, elle doit être condamnée sur la terre, et justifiée uniquement par Christ dans le ciel. Qu'ils s'avancent donc, pape, évêques, prêtres, moines, docteurs! qu'ils déploient tout leur zèle! qu'ils fassent éclater leur fureur! Ce sont vraiment là les gens qui doivent persécuter la vérité, comme tous les siècles l'ont vu. »

Où ce moine a-t-il donc pris une si claire intelligence des choses publiques, que les états de l'Empire eux-mêmes trouvent souvent si difficile d'éclaircir? Où cet Allemand puise-t-il ce courage qui, du sein de sa nation asservie depuis tant de siècles, lui fait lever la tête et porter de si rudes coups à la papauté? Quelle est cette force mystérieuse qui l'anime? Ne dirait-on pas qu'il a entendu ces paroles de Dieu adressées à un homme des anciens jours : « Voici, j'ai renforcé ta face contre leurs faces, j'ai rendu ton front semblable à un dia niant et plus fort qu'un caillou : ne t'effraye donc à point à cause d'eux ? »

Adressée à la noblesse germanique, cette exhortation parvint bientôt à tous ceux pour qui elle était écrite. Elle se répandit en Allemagne avec une inconcevable célérité. Les amis de Luther tremblèrent; Staupitz et ceux qui voulaient suivre des voies de douceur trouvèrent le coup trop fort « De nos jours, répondit Luther, tout ce qui se traite tranquillement, tombe en oubli, et per- sonne ne s'en soucie [7]. » Eu même temps il montrait une simplicité et une humilité étonnantes. Il s'ignorait lui-même : « Je ne sais que dire de moi, écrivait-il. Peut-être suis-je le précurseur de Philippe (Mélanchthon). Je lui prépare comme Élie la voie, en esprit et en force. Et c'est lui qui un « jour troublera Israël et la maison d'Achab. »

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FOOTNOTES

[1] Gott hat uns ein junges edles Blut zum Haupt gegeben... (L. Opp. XVII, p. 457.)

[2] Tome 11. 8

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[3] 1. majeux, Rom. XIII, 1, 4.

[4] die Biblien und Betbücher dafiir anzeigen er predige und bete. ( L. Opp. XVII, p.

472. )

[5] Nun liens er ehe die Welt untergehen, elle er ein Haar breit seiner vermessenen Gewalt liesse abbrechen. (L. Opp. (L) XVII, p. 483.)

[6] Es muss verderben, alles was nicht Grattes Wort Unterlass treibt. (1b. 486.`

[7] Que nostro saeculo quiete tractantur, mox cadere in Epp. I, p. 479.) 103

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE V

Mais il n'était pas besoin d'en attendre un autre que celui qui avait paru. La maison d'Achab était déjà ébranlée. L'adresse à la noblesse germanique avait paru le 26

juin 1520; en peu de temps, 4000 exemplaires furent vendus, et ce chiffre est inouï pour ce temps-là. L'étonnement était universel. Cet écrit 'communiqua à tout le peuple une 'commotion puissante [1]. La force, la vie, la clarté, la généreuse hardiesse qui y régnaient, en faisaient un véritable écrit populaire. Le peuple sent enfin que celui qui lui parle ainsi, l'aime. Les vues confuses d'un grand nombre d'hommes sages s'éclaircissent. Les usurpations de Rome deviennent évidentes à tous les esprits. Personne ne doute plus à Wittemberg que le pape ne soit l'Antéchrist. La cour de l'électeur elle-même, si circonspecte, si timide, ne désapprouve pas' le Réformateur; elle attend.

Mais la noblesse-et le peuple n'attendent pas. La nation s'anime. La voix de Luther l'a émue, elle est gagnée, et elle se range autour de l'étendard qu'il élève. Rien n'eût pu être plus avantageux au Réformateur que cette publication. Dans les palais, dans les châteaux, dans les demeures des bourgeois, et jusque dans les chaumières, on est préparé maintenant et comme cuirassé contre la sentence de condamnation qui, va fondre sur ce prophète du peuple. Toute l'Allemagne est en feu. Que la bulle arrive ! ce n'est pas elle qui éteindra l'incendie.

Tout se préparait à Rome pour la condamnation du défenseur, de la liberté de l'Église. On y avait vécu longtemps dans une orgueilleuse sécurité. Longtemps les moines de Rome avaient accusé Léon X de ne songer qu'au luxe et au plaisir, de ne s'occuper que de la chasse, de comédie et de musique', tandis que l'Église allait s'écrouler. A la fin, aux cris du docteur Eck, qui est venu de Leipzig invoquer la puissance du Vatican, pape, cardinaux, moines, tout dans Rome se réveille et pense à sauver la papauté.

Rome, en effet, devait en venir aux mesures les plus sévères. Le gant était jeté ; le combat devait être à mort. Luther n'attaquait pas les abus du pontificat romain, mais ce pontificat lui-même. A sa voix, le pape eût dû humblement descendre de son trône, et redevenir simple pasteur ou évêque des bords du Tibre.

Tous les dignitaires de la hiérarchie romaine eussent dû renoncer à leurs richesses et à leur gloire mondaine, et redevenir anciens et diacres des églises de l'Italie. Tout cet éclat, toute cette puissance, qui depuis des siècles éblouissaient l'Occident, eussent dû s'évanouir et faire place à l'humble simplicité du culte des premiers chrétiens. Dieu aurait pu faire ces choses: il les fera un jour; mais on ne pouvait les attendre des hommes. Et quand même un pape eût été assez désintéressé et assez hardi pour vouloir renverser l'antique et somptueux édifice de l'Église romaine,' des milliers de prêtres et d’évêques auraient étendu la main pour l'empêcher de crouler.

104

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le papé n'avait reçu le pouvoir que sous la condition expresse de maintenir ce qu'on lui confiait. Rome se croyait instituée de Dieu pour gouverner l'Église. On ne peut donc pas s'étonner qu'elle se soit apprêtée à frapper les plus terribles coups. Et pourtant elle hésita d'abord. Plusieurs cardinaux et le pape lui-même n'étaient pas pour les mesures sévères. L'habile Léon comprenait bien qu'un jugement dont l'accomplissement dépendait de la volonté très-douteuse de la puissance civile, pouvait grièvement compromettre l'autorité de l'Église. Il voyait d'ailleurs que les moyens violents déjà mis en œuvre n'avaient fait qu'augmenter le mal. N'était-il, donc pas possible de gagner ce moine saxon ? se demandaient les politiques de Rome.

Toute la force de l'Église, toutes les ruses de l'Italie y échoueront-elles? 11 faut négocier encore.

Eck rencontra donc de puissants obstacles. Il ne négligea rien pour empêcher des concessions impies. Parcourant Rome, il exhalait sa colère et criait vengeance. Le parti fanatique des moines se ligua promptement avec lui. Fort de cette alliance, il assaillit avec un nouveau courage et le pape et les cardinaux. Selon lui, tout essai de conciliation était inutile. Ce sont là, disait-il, de Nains rêves dont on se berce dans le lointain. Il connaît le péril, car il a lutté avec ce moine audacieux. Il sait qu'il faut se hâter de couper ce membre gangrené, de peur que le mal n'envahisse tout le corps. Le fougueux combattant de Leipzig résout objection après objection, et a de la peine à persuader le pape [2]. Il veut sauver Rome malgré Rome elle-même. Il met tout eu œuvre. Il passe des heures entières en délibération dans le cabinet du pontife '. Il remue et la cour et les cloîtres, et le peuple et l'Église. « Eck conjure «

contre moi, dit Luther, les abîmes des abimes; « il met le feu aux forêts du Liban [3].

» A la fin, il l'emporte. Les politiques sont vaincus par les fanatiques dans les conseils de la papauté. Léon cède. La condamnation de Luther est résolue. Eck respire. Son orgueil se complaît dans la pensée que c'est lui qui a décidé la ruine de son hérétique rival; et qui a ainsi sauvé l'Église. « Il était bon, « dit-il, que je vinsse

'eu ce temps à Rome, car on y connaît peu les erreurs de Luther. On apprendra un jour ce que j'ai fait dans cette cause [4]. »

Ainsi, Dieu répandait un esprit d'étourdissement sur les docteurs de Rome., Il fallait maintenant que la séparation entre la vérité 'et l'erreur s'accomplît, et c'était l'erreur, qui devait la faire. Si l'on en fût, venu, à un accommodement, ce n'eût pu être qu'aux dépens de la vérité; or, Lui enlever la moindre partie d'elle-même, c'est préparer son complet anéantissement. Elle est comme cet insecte dont il suffit, dit-on, d'ôter une antenne pour qu'il » meure. Elle veut être »entière en tous ses membres, pour déployer cette énergie qui lui fait remporter des victoires étendues te; salutaires, et pour se propager dans les siècles, à venir. Mêler un peu d'erreur à la vérité, c'est jeter un grain de poison dans un mets abondant; ce grain sue pour en changer toute la nature; il en résultera lai mort, lentement peut-être, mais certainement. Ceux qui gardent la doctrine, de Christ contre les adversaires qui 105

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle l'attaquent, veillent avec jalousie sur ses ouvrages les plus avancés, comme sur le corps de place lui-même ; car, de que l'ennemi s'est emparé de la moindre de ces positions, il n'est pas loin de la conquête. Le pontife romain se décida, à l'époque où nous sommes parvenus, à. déchirer l'Église; et le fragment qui lui en est resté en mains, quelque magnifique qu'il soit, cache inutilement sous des ornements pompeux le principe délétère et il est attaqué. Là-où: est la Parole de Dieu, là Seulement est la vie.

Luther, quel que fût son courage, se fût tu probablement, si Rome s'était tue elle-même, et avait affecté .quelques concessions apparentes. Mais Dieu' n'avait pas abandonné la Réformation à un faible Cœur d'homme. Luther, était dans les mains d'un plus clairvoyant qui lui. La Providence divine se servit du pape pour rompre tout lien entre le passé et l'avenir; Et pour 'jeter le Réformateur dans une carrière nouvelle, inconnue incertaine à ses yeux, et dont il n'eût pas' su trouver seul les difficiles 'abords. La bulle pontificale fut la lettre de divorce que Rome envoya L’Église pure de Jésus-Christ, était la personne comme celui' qui était alors son représentant humble fidèle; et, l'Église l'accepta, pour ne plus relever dès cette heure que du chef qui est flans! Pendant qu'on poursuivait avec tant de violence à Rome, la condamnation de Luther, en humble, piété, habitant l'une des simples cités; qui n’avait jamais eu aucun rapport avec le Réformateur, s'était vivement émis à la pensée du coup qui le frapper; et tandis que les amis mêmes duo docteur de Wittenberg tremblaient et se taisaient, ce file, des montagnes de la Suisse prenait la résolution de tout employer, pour arrêter la bulle ,redoutable. Il se nommait Zwingle. Guillaume Des Faucons, secrétaire du légat du pape, en Suisse, qui, en l'absence du légat ; se trouvait chargé des affaires de Rome, était son ami. «

Tant que je vivrai, » lui avait dit peu de jours auparavant le nonce, si vous devez, vous promettre de moi tout ce qu'on peut attendre d'un ami véritable. » Le prêtre helvétien, se fiant à cette parole, se rendit à la nonciature romaine (au moins, c'est ce que nous pouvons conclure de l'une de ses lettres). Il ne craignait pas pour lui-même les dangers auxquels la foi expose; il savait qu'un disciple de Christ doit être toujours prêt à sacrifier sa vie. « Tout ce que je demande à Christ pour moi, » disait-il à un ami auquel il confiait alors ses sollicitudes à l'égard de Luther, « c'est que je supporte les maux qui m'attendent avec un cœur d'homme. Je suis un vase d'argile entre ses mains; qu'il me brise ou qu'il m'affermisse, comme il lui plaît. [5] » Mais l'évangéliste suisse craignait pour l'Église chrétienne, si un coup si redouté venait atteindre le. Réformateur: Il s'efforça de persuader au représentant de Rome d'éclairer le pape, et d'employer tous les moyens en son pouvoir pour empêcher qu'il ne frappât Luther d'excommunication [6].

« La dignité du Saint-Siège lui-même y est intéressée, lui dit-il.; car si les choses en viennent à un tel point, l'Allemagne, pleine d'enthousiasme pour l'Évangile et pour 106

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle te docteur qui le lui annonce, méprisera le pape et ses anathèmes [7]. » Cette démarche fut inutile; il parait même que quand elle fut faite, le coup était déjà porté.

Telle fut la première occasion dans laquelle les sentiers du docteur saxon et ceux du prêtre suisse se rencontrèrent. Nous retrouverons celui-ci dans le cours de cette histoire, et nous le verrons se développer et croître peu à peu, jusqu'à une haute stature, dans l'Église du Seigneur.

La condamnation de Luther une fois résolue, de nouvelles difficultés furent soulevées au sein du consistoire. Les théologiens voulaient qu'on en vînt immédiatement à la fulmination ; les jurisconsultes, au contraire, que l'on commençât par une citation. « Adam, » disaient-ils aux théologiens leurs collègues, «

ne fut-il pas d'abord cité? Adam, où es-tu? dit le Seigneur. Il en fut de même pour Caïn : Où est ton frère Abel? lui demanda l'Éternel. » A ces singuliers arguments tirés de l'Écriture sainte, les canonistes joignaient des motifs puisés dans le droit naturel : « L'évidence d'un crime, disaient-ils, ne saurait enlever à aucun criminel le droit de se défendre » On aime à retrouver ces principes de justice dans une congrégation romaine. Mais ces scrupules n'arrangeaient pas les théologiens de l'assemblée, qui, conduits par la passion, ne pensaient qu'à aller vite en besogne. On tomba enfin d'accord, que l'on condamnerait immédiatement la doctrine de Luther, et que quant à lui et à ses adhérents, on leur accorderait un terme de soixante jours, après lesquels, s'ils ne se rétractaient pas, ils seraient tous, ipso facto, frappés d'excommunication. De Vio, revenu malade d'Allemagne, se fit porter dans l'assemblée. Il ne voulut pas manquer à ce petit triomphe, qui lui offrait quelque consolation. [8]

Battu à Augsbourg, il prétendait au moins condamner à Rome ce moine indomptable, devant lequel il avait vu échouer sa science, sa finesse et son autorité.

Luther n'était plus là pour répondre, de Vio se sentait fort. Ce fut le 15 juin que le sacré collège arrêta la condamnation et approuva la fameuse bulle.

« Lève-toi, Seigneur » dit le pontife romain, parlant en ce moment solennel comme vicaire de Dieu et chef de l'Église, « lève-toi, sois juge dans ta cause, souviens-toi de l'opprobre dont les in« sensés t'accablent tout le jour. Lève-toi, ô Pierre! Souviens-toi de ta sainte Église romaine, mère de toutes les églises et maîtresse de la foi !

Lève-toi, ô Paul ! Car voici un nouveau Porphyre qui attaque tes doctrines et les saints papes, nos prédécesseurs. Lève-toi enfin, assemblée de tous les saints!, sainte Église de Dieu! Et intercède auprès du Dieu tout-puissant [9]. »

Le pape, cite ensuite comme pernicieuses, scandaleuses et empoisonnées, quarante et une propositions de Luther, dans lesquelles celui-ci exposait la saine doctrine de l'Évangile. On trouve dans le nombre les propositions séantes [10]: 107

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Nier que le péché demeure dans l'enfant après le baptême, C'est fouler à la fois aux pieds saint Paul et N. S. Jésus-Christ. »

« Une vie nouvelle est la meilleure et la plus sublime pénitence. »

« Brûler les hérétiques est contre la volonté du « Saint-Esprit. » etc., etc.

« Dès l'heure même où cette bulle sera publiée, « continue le pape, les évêques devront rechercher « avec soin les écrits de Martin Luther qui renferment ces erreurs, et les brûler publiquement et « solennellement en présence du clergé et des laïques. Quant à Martin lui-même, bon Dieu! que n'avons-nous pas fait?' Imitant la bonté du Dieu tout-puissant, nous sommes prêt pourtant à le « recevoir encore dans le sein de l'Église, et nous « lui' accordons soixante jours pour nous faire parvenir sa rétractation dans un écrit scellé de deux prélats; ou bien (ce qui nous serait plus agréable) pour venir lui-même à Rome, afin que personne ne puisse pas douter de son obéissance. « En attendant et dès cet instant même, il doit « renoncer à prêcher, à enseigner, à écrire, et livrer ses ouvrages aux flammes. Et s'il ne se rétracte pas dans l'espace de soixante jours, nous « le condamnons par la présente, lui et ses adhérents, comme hérétiques publics et obstinés. » Le pape prononce ensuite un grand nombre d'excommunications, de malédictions, d'interdits 'contre Luther et contre tous les siens, avec ordre de saisir leurs personnes et de les envoyer à Rome

[9].

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FOOTNOTES

[1] Ibid., 478.

[2] Sarpi. Hist. du Concile de Trente.

[3] Stetimus nuper, papa, duo cardinales et ego per quin que horas in deliberatione...

(Eckii epistola 3 mail. L. Opp. lat. H, p. 48.)

[4] Impetraturus abyssos abyssornm... succensurus saltum Libani (L. Epp• I, p. 4a1, 4.29.)

[5] Hoc unum Christum obtestans, ut masculo omnia pectore ferre donet, et nie figulinum suum rumpat aut firmet, ut illi piaci tu m sit. (Zwinglii epistolge, curant.

Schulero etSchulthessio, p. 144.)

[6] Ut pontificem admoneat, ne excommunicationem ferat.(Ib.)

[7] Nam si feratur, auguror Germanos cum excommunicatione pontifieem quoque contempturos. (Ibid.)

[8] Sarpi, Hist. du Conc. de Tr. I, p. 12.

108

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[9] Sub prœdictis poenis, praefatum Lutherum, complices adhœrentes, receptatores fautatores, personaliter capiant et ad nos Minant. (Bulle Léonis, lhc ci!.) 109

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VI

On peut deviner sans peine ce que ces généreux confesseurs de l'Évangile seraient devenus dans les cachots de la papauté.

Tout paraissait perdu; la bulle était publiée, et depuis des siècles la bouche de Rome n'avait pas prononcé une parole de condamnation, sans que son bras ne frappât de mort. Ce meurtrier message allait partir des sept collines et atteindre dans son cloître le moine saxon. Le moment était bien choisi. Le nouvel empereur, qui avait tant de raisons pour rechercher l'amitié du pape, s'empresserait sans doute de la mériter, en lui sacrifiant un moine obscur. Déjà Léon X, les cardinaux, Rome entière triomphaient et croyaient vair leur ennemi à leurs pieds.

Tandis que la ville éternelle s'agitait ainsi, des scènes plus tranquilles se passaient à Wittemberg. Mélanchthon y répandait une douce, mais éclatante lumière. Quinze cents ou deux mille auditeurs, accourus d'Allemagne, d'Angleterre, des Pays-Bas, de France, d'Italie, de Hongrie et de Grèce, étaient souvent réunis autour de lui. Il avait vingt-quatre ans et n'était pas ecclésiastique. Chacun à Wittemberg aimait à recevoir dans sa maison ce jeune professeur à la fois si savant et si aimable. Des universités étrangères, Ingolstadt en particulier, désiraient l'attirer dans leur sein.

Ses amis de Wittemberg voulaient, en le mariant, le retenir auprès d'eux. Tout en souhaitant une compagne à son cher Philippe, Luther déclarait hautement ne vouloir pas être son conseiller eu cette affaire. D'autres s'en chargèrent. Le jeune docteur fréquentait surtout la maison du bourgmestre Krapp, qui appartenait à une ancienne famille. Krapp avait une fille nommée Catherine, d'un caractère doux et d'une grande sensibilité. On invita Mélanchthon à la demander en mariage; mais le jeune savant était enfoncé dans ses livres et ne voulait entendre parler de rien autre.

Ses auteurs grecs, son Testament, étaient ses délices. Aux arguments de ses amis, il opposait d'autres arguments. Enfin, on lui arracha son consentement. On fit pour lui toutes les démarches, et on lui donna Catherine pour femme. Il l'accueillit très-froidement [1], et (lit en poussant un soupir : « Dieu l'a donc voulu ainsi! Il faut que je renonce à mes études et à « mes joies, pour suivre la volonté de mes amis'. [2] » Il appréciait cependant les qualités de Catherine. «La jeune fille, dit-il, a un caractère et une éducation tels que je pouvais le demander à Dieu. « SaZiq 6 Bebç lopeipot Té

[3]. Certainement elle eût été « digne d'un meilleur mari. » Ce fut au mois d'août que la chose se décida; le 25 septembre, les fiançailles eurent lieu, et à la fin de novembre le mariage fut célébré.

Le vieux Jean Luther et sa femme vinrent à cette occasion à Wittemberg avec leurs filles [4]. Beaucoup de savants et de notables assistèrent à la fête.

La jeune épouse montrait autant d'affection que le jeune professeur témoignait de froideur. Toujours pleine de sollicitude pour son mari, Catherine s'alarmait dès 110

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle qu'elle voyait l'apparence d'un danger menacer cet être chéri. Quand Mélanchthon se proposait de faire quelque démarche de nature à le compromettre, elle l'accablait de prières pour l'y faire renoncer. « Je dus, » écrivait Mélanchthon, dans une semblable occasion, « céder à sa faiblesse... c’est là notre lot. » Que d'infidélités dans l'Église peuvent avoir une semblable origine ! Peut-être est-ce à l'influence de Catherine qu'il faut attribuer la timidité et les craintes que souvent on a reprochées à son mari. Catherine fut aussi tendre mère que tendre épouse.

Elle donnait avec abondance aux pauvres « O Dieu! Ne m'abandonne pas dans ma vieillesse, quand mes cheveux commenceront à blanchir! » Tel était le soupir ordinaire de cette irae pieuse et craintive. Mélanchthon fut bientôt gagné par l'affection de sa femme. Quand il 'eut goûté les joies domestiques, il en comprit la douceur. Il était fait pour les sentir. Il n'était nulle part plus heureux qu'auprès de sa Catherine et de ses enfants. Un voyageur français ayant trouvé un jour le «

maître de l'Allemagne, » berçant d'une main son enfant et tenant de l'autre un livre, recula de surprise. Mais Mélanchthon, sans se déranger, lui exposa avec tant de chaleur le prix des enfants devant.

Dieu, que l'étranger sortit de la maison phis savant, dit-il, qu'il n'y était entré.

Le mariage de Mélenchon donna un foyer domestique, à la Déformation. Il y eut dès lors dans Wittemberg une famille dont la Maison, était ouverte à tous ceux que, la vie nouvelle, animait. Le concours d'étrangers. Y était immense On venait à Mélanchthon pour mille affaires diverses; et l'ordre établi défendait de rien refuser à personne Le jeune professeur était surtout habile à s'effacer; quand il s'agissait de faire le bien. N’avait plus d'argent, il portait en cachette sa vaisselle à quelque marchand, se souciant peu de s'en priver, pourvu qu'il eût de quoi soulager ceux qui souffraient. [5] Aussi, lui eût-il été impossible de pourvoir à ses besoins et à ceux des siens, dit son ami Camerarius, si une bénédiction divine et cachée ne lui en «, eût fourni de temps en temps les moyens, » Sa débonnaireté était extrême. Il avait

'des, médailles antiques d'or et d'argent, remarquables par leurs inscriptions, et leurs figures [6]: Il les montra un jour à un étranger qui lui faisait une visite. «

Prenez, « lui dit Mélanchthon, celle que vous désirez » selon les désire toutes, répondit l'étranger. « J'avoue » dit Philippe, que cette demande indiscrète; m'offensa d'abord : néanmoins je les lui donnai [7]. » Quand il s'agissait d'offrir des consolations spirituelles, on le voyait déployer toute la tendresse de son cœur.

« Ne consentirons-nous pas, écrivait-il « l'année de son mariage, à un ami affligé, à ce que l'Esprit céleste nous guérisse par des épreuves ? Si tu te soumets à Christ, qui est présent au milieu de nous, nérra xcasç gerr:tc, il répandra la joie et la paix dans ton cœur [8]. »

Il y avait dans les écrits de Mélanchthon un parfum (l'antiquité, qui n'empêchait pas pourtant que l'odeur de Christ ne s'exhalât de toutes parts, et qui leur donnait 111

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle un charme inexprimable. Il n'y a pas une de ses lettres à ses amis, où ne se trouve rappelée de la manière la plus naturelle, la sagesse d'Homère, de Platon, de Cicéron et de Pline, Christ demeurant toujours son Maître et son Dieu. Spalatin lui avait demandé l'explication de cette parole de Jésus-Christ : « Hors de moi, vous ne pouvez « rien faire (Jean XV, 5.). » Mélanchthon le renvoie à Luther. « Cur agam gestum spectante Roscio? « pour parler avec Cicéron', [9]» dit-il. Puis il poursuit:

« Ce passage signifie qu'il faut que nous soyons absorbés par Christ, en sorte que nous n'agissions plus, mais que Christ vive en nous. Comme la nature divine a été incorporée à l'homme en Christ, ainsi faut-il que l'homme soit incorporé à Jésus-Christ par la foi. »

L'illustre savant se couchait habituellement peu après son souper. A deux ou trois heures du matin, il était à l'ouvrage' [10]. C'est dans ces heures matinales que ses meilleurs écrits furent composés. Ses manuscrits se trouvaient d'ordinaire sur sa table, exposés à. la vue de tous ceux qui allaient et venaient, en sorte qu'on lui en vola plusieurs. Quand il avait invité quelques amis, il priait l'un ou l'autre de lire avant le repas quelque petite composition en prose ou en vers. Dans ses voyages il se faisait toujours accompagner par quelques jeunes gens. Il s'entretenait avec eux d'une manière à la fois instructive et amusante. Si la conversation languissait, chacun d'eux devait réciter à son tour des sentences tirées des anciens poètes. Il employait souvent l'ironie, en la tempérant toutefois par une grande douceur. « Il pique et il coupe, disait-il, de lui« même, et ne fait cependant aucun mal. »

La science était sa passion. Le but de sa vie était de répandre les lettres et les lumières. N'oublions pas que les lettres pour lui, c'étaient avant tout les saintes Écritures, et ensuite seulement, la science des païens. «Je ne m'applique, disait-il, qu'à une « chose, la défense des lettres. It faut par notre « exemple enflammer la jeunesse (l'admiration pour « les lettres, et faire qu'elle les aime pour elles-mêmes, et non pour le profit que l'on en peut tirer. La ruine des lettres entraîne la désolation de tout ce qui est bon : religion, mœurs, choses de Dieu, choses de l'homme'... [11] Plus un homme est bon plus est grande l'ardeur qu'il met à sauver des lettres; CRT il sait que de toutes les pestes, « Fignoianee est la plus pernicieuse..»

Quelque temps après son mariage, Mélanchthon se rendit dans le Palatinat; 1

Bretten, pour visiter sa tendre mère, dans la compagnie de Camerarius et d'autres

'amis. Lorsqu'il aperçut sa ville natale; il descendit de cheval se jeta à genoux et rendit grâces à Dieu, de ce qu'il lui permettait de la revoir'. Marguerite en embrassant, son fils, s'évanouit presque de joie. Elle voulait qu'il restât à Bretten; et le. pria avec instance de. demeurer dans la foi de ses) pères. Mélanchthon s'excusa à cet égard, mais avec beaucoup de ménagement, dans; la crainte de blesser la conscience de sa mère. Il eut bien de la peine à se séparer d'elle; et chaque fois qu'un 112

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle voyageur lui apportait des nouvelles de sa ville natale, il se réjouissait, Comme, s'il fût revenu, disait-il, aux joies de son, enfance. : Tel était' dans sa touchante intimité, l'un 'des plus grande organes de la révolution religieuse du, XVIème.

Son discours excita une grande irritation « Satan, dit-il, ne pouvant nous attaquer au dehors, veut nous nuire au dedans. Je ne le crains pas, mais je crains que la colère de Dieu ne nous frappe, parce que nous n'avons pas assez bien a reçu sa parole. Durant ces trois dernières années. « J’ai été exposé trois fois grands dangers en 1518 à Augsbourg, en 1519 à Leipzig, et maintenant en 1520 à Wittemberg. Ce n'est ni part la sagesse, .ni par les armes, que l'œuvre du renouvellement de l’Eglise s'accomplira; mais par humbles prières, et par une foi courageuse, qui mette «

Jésus-Christ avec nous.'[12]. O mon ami, joins-lui oraisons aux miennes-, de peur que le mauvais esprit ne se serve de cette petite étincelle, pour allumer un vaste incendie: »

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FOOTNOTES

[1] Uxor enim datur mihi non dito quam frigenti. (Corp. Ref. I, p. bi t.)

[2] Ego meis studiis, mea me voluptate fraudo. (Ibid. I, p. 265.)

[3] Que Dieu, par sa droite, amène la chose à une bonne fin f. Corp. Ref. I, p. 912.)

[4] Parentes mei eum sororibns nuptias honorarunt Philippi. (L. Epp. I, p. 528.)

[5] Videres in œdibus illis perpetuo accedentes et introeuntes et discedentes atque exeuntés aliquos. (Camerar. 'Vita Melancht. p. 40.)

[6] Ea dimiàs diaciplina erati•t nihii cuiquam negareétur. (1b.)

[7] Scd disse nihilominus Mos. (Ibid., p. 43.)

[8] Tout sera bien. Spiritus gaudii est et pacis. (Corp. RefI, p. s33.)

[9] « nurquoi déclamerais -je en présence de Roscius? . (Corp. Reform. Ely. 13 avril s 52o.)

[10] Surgebat mox aut non Longo intervallo post mediam noctem. ( Camerar., p. 56.)

[11] Religionem, mores, humana divinaqtte oronia.labefaetat litrrarum inscitial.

(Corp. Ref. I, p. 207. ss juillet 1520.)

[12] Gommendans potestatem magistratuum

113

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VII

' Mais de plus terribles Combats atterriraient a Luther. Il naissait le glaive dont elle allait frapper l’'Évangile. Le bruit de la condamnation l'atteindre, loin d’habituelle; augmenta son courage.' [1] Il ne s’inquiète pas de parler les biens de cette puissance superbe. C'est en en vivant lui-même de plus terribles, qu'il' référa inutiles cet de'

ses adversaires.' Tandis que congrégation transalpines fulmine contre lui leurs anathèmes, il portera le glaive de ta parole au sein des peuples italiens.

Des lettres de Venise parlaient de la faveur avec laquelle on y accueillait les sentiments de Luther. Il brûle du désir de faire passer les Alpes à l'Évangile. Il faut que des évangélistes l'y transportent. « Je désirerais, dit-il, que « nous eussions des livres vivants, c'est-à-dire des prédicateurs', et que nous pussions les multiplier et les protéger partout, afin qu'ils transmissent au peuple la connaissance des choses saintes. Le prince ne pourrait faire une œuvre plus digne de lui. Si le peuple (l'Italie recevait la vérité, alors notre cause serait inattaquable. »

« Et il arrive souvent que le simple travail d'un serviteur ou d'une servante est plus agréable à « Dieu que les jeûnes et les œuvres d'un moine parce que la foi manque à ceux-ci. Le peuple chrétien est le véritable peuple de Dieu, transporté en captivité à Babylone, où on lui a ravi ce que le baptême lui avait donné sur ses folles jactances

[2], et que tout se terminerait à la satisfaction des deux parties. « Eh bien! répondit Luther, je m'offre à garder dorénavant le silence, pourvu que mes adversaires le gardent de même. Je veux faire pour la paix tout ce qu'il m'est possible de faire. »

Ils parlaient de la faveur avec laquelle on y accueillait les sentiments de Luther. Il brûle du désir de faire passer les Alpes à l'Évangile. Il faut que des évangélistes l'y transportent. « Je désirerais, dit-il, que nous eussions des livres vivants, c'est à dire des prédicateurs', et que nous pussions les multiplier et les protéger partout, afin qu'ils transmissent au peuple la connaissance des choses saintes. Le prince ne pourrait faire une œuvre plus digne de lui. Si le peuple de l'Italie recevait la vérité, alors notre cause serait inattaquable. » Il ne parait pas que ce projet de Luther se soit réalisé. Plus tard, il est vrai, des hommes évangéliques, Calvin lui-même, firent quelque séjour en Italie ; mais, pour le moment, le dessein de Luther n'eut pas de suite. Il s'était adressé à un puissant du monde. S'il avait fait appel à des hommes humbles, mais pleins de zèle pour le royaume de Dieu, l'issue eût été bien différente.

A cette époque, on avait l'idée que tout devait se faire par les gouvernements; et l'association de simples individus, cette puissance qui opère maintenant de si grandes choses dans la chrétienté, était presque inconnue.

Si Luther ne réussissait pas dans ses projets pour répandre au loin la vérité, il n'en était que plus zélé à l'annoncer lui-même. Ce fut alors qu'il prononça à Wittemberg 114

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle son discours sur la sainte messe [3]. Il s'y éleva contre les nombreuses sectes. de l'Église romaine, et lui reprocha avec une haute raison son manque d'unité.

« La multiplicité des lois spirituelles, dit-il, a rempli le monde de sec« tes et de divisions. Les prêtres, les moines et les laïques en sont venus à se haïr plus que ne le font les chrétiens et les Turcs. Que dis-je ? Les prêtres entre eux, les moines entre eux sont affermis à mort. Chacun est attaché à sa secte et méprise toutes les autres.

C'en est fait de l'unité et de la charité de Christ » — Puis il attaque l'idée que la messe soit tin sacrifice et ait quelque puissance en elle-même. « Ce qu'il y a de meilleur dans tout sacrement, et par conséquent dans la cène » dit-il « ce sont la parole et les promesses de Dieu. Sans la foi à cette parole et à ces promesses, le sacrement est mort ; il est un corps sans âme, un vase sans vin, une bourse sans argent, une figure sans accomplissement, une lettre sans esprit, un étui sans diamant, un fourreau sans épée. [4] »

La voix de Luther n'était pourtant pas renfermée dans Wittemberg, et s'il ne 'se trouva pas des missionnaires pour porter au loin ses instructions, Dieu avait pourvu à un missionnaire d'un nouveau genre. L'imprimerie devait remplacer les évangélistes. La presse devait battre en brèche la forteresse romaine. Luther avait préparé une mine, dont l'explosion ébranla l'édifice de Rome jusque dans ses fondements. Ce fut la publication de son fameux livre sur la Captivité babylonienne de l'Ég1ise, qui parut le 6 octobre 1520 '[5]. Jamais homme, dans une situation aussi critique, n'avait montré tant de courage.

.

Il expose d'abord dans cet écrit, avec une superbe ironie, tous les avantagés dont il est redevable à ses ennemis : « Que je le veuille ou non, » dit-il, « je deviens de jour en jour plus savant, poussé comme je le suis, par tant de maîtres célèbres. Il y a deux ans, j'attaquai lés indulgences, mais avec tant d'indécision et de crainte, que maintenant j'en ai honte. Il ne faut pourtant pas s'en étonner; car j’étais seul alors à rouler ce rocher. » Il rend grâces à Prierias, à Eck, à Emser, et à ses autres adversaires. « Je niais, poursuit-il, que la papauté fût de Dieu, mais j'accordais qu'elle était de droit humain. Maintenant, après avoir lu toutes les subtilités sur lesquelles ces -damerets établissent leur idole, je sais que la papauté n'est que le royaume de Babylone et la violence du grand chasseur Nimroud. Je prie donc tous mes amis et tous les libraires, de brûler les livres que j'ai écrits à ce sujet, et de leur substituer cette proposition uni- que : « La papauté est une chasse générale commandée par l'évêque romain, pour atteindre et perdre les dores »

Luther attaque ensuite les erreurs dominantes sur les sacrements, sur les vœux monastiques, etc. il réduit à trois, baptême, pénitence et sainte cène, les sept sacrements de l'Église. Il expose la véritable nature de la cène du Seigneur.

115

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Puis il passe au baptême, et c'est ici surtout qu'il établit l'excellente de la foi et qu'il attaque Rome avec puissante. « Dieu, dit-il, nous a conservé ce seul sacrement, net des traditions' humaines. Dieu a dit : Celui qui aura cru et qui aura été baptisé, sera sauvé. Cette promesse de Dieu doit être préférée à tout l'éclat des œuvres, à tous les vœux, à toutes les satisfactions, à toutes les indulgences et à tout ce que l'homme a inventé. Or, de cette promesse, si nous la recevons avec foi, dépend tout «

notre salut. Si nous croyons, notre cœur est fortifié par la promesse divine et quand tout abandonnerait le fidèle cette promesse qu'il croit ne l'abandonnerait pas. Avec elle il résistera à l'adversaire qui fond sur son âme, et il répondra à « l'impitoyable mort et au jugement même de Dieu.

« Sa consolation dans toutes ses épreuves sera de dire : Dieu est véritable en ses promesses : j'en ai reçu le gage dans le baptême : si Dieu est pour moi, qui sera contre moi? Oh! Que le chrétien, que le baptisé est riche! rien ne peut le perdre, à moins qu'il se refuse à croire. « Peut-être qu'à ce que je dis sur la nécessité de la foi, on opposera le baptême des petits enfants. « Mais comme la parole de Dieu est puissante pour changer même le cœur d'un impie, qui n'est pour- tant ni 'moins sourd, ni moins inhabile qu'un petit enfant, de même aussi la prière de l'Église, à «

qui toutes choses sont possibles, change le petit enfant, par la foi qu'il plaît à Dieu de verser dans son âme, et ainsi le nettoie et le renouvelle.

Après avoir exposé la doctrine du baptême, Luther s'en sert comme d'une arme contre la papauté. En effet, si le chrétien trouve tout son salut dans le renouvellement de son baptême par la foi, qu'a-t-il besoin des prescriptions de Rome ? « C'est pourquoi, dit Luther, je le déclare, ni le pape, ni l'évêque, ni quelque homme que ce soit, n'a le pouvoir d'imposer la moindre chose à un chrétien, à moins que ce ne soit avec son consentement. Tout ce qui se fait autrement, se fait tyranniquement '[6]. Nous sommes libres à l'égard de tous. Le vœu que nous avons fait dans le baptême suffit à lui seul et est plus que tout ce que nous pouvions jamais accomplir [7]. Tous les autres vœux peuvent donc être abolis. [8] Que quiconque entre dans le sacerdoce ou dans un ordre religieux, comprenne bien que les œuvres d'un religieux ou d'un prêtre, quelque difficiles qu'elles puissent être, ne diffèrent en rien devant Dieu de celtes d'un paysan qui travaille à son champ, ou d'une femme qui prend soin de sa maison [9]. Dieu estime toutes choses d'après la foi.

« Et il arrive souvent que le simple travail d'un serviteur ou d'une servante est plus agréable à « Dieu que les jeûnes et les œuvres d'un moine, parce que la foi manque à ceux-ci Le peuple chrétien est le véritable peuple de Dieu, transporté en captivité à Babylone, où on lui a ravi ce que le baptême lui avait donné. »

Telles étaient les armes par lesquelles s'accomplissait la révolution religieuse dont nous retraçons l'histoire. D'abord la nécessité de la foi était rétablie; et alors-116

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle les*Réformateurs s'en servaient comme d'une massue pour pulvériser les superstitions. C'était avec cette puissance de Dieu qui transporte des montagnes, qu'ils attaquaient tant d'erreurs. Ces paroles de Luther, et tant d'autres semblables, répandues dans les cités, dans les couvents, dans les campagnes, étaient le levain qui faisait lever toute la pâte.

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FOOTNOTES

[1] Nec prudentia nec armis, sed.humili brtitionelet forfis tide, quibus obtineamus Christutà pro itdbis. 4169t)

[2] Si vivo: libros, hoc est coucionatores possemus (L. Epp. I, p. 491.)

[3] L. Opp. (1..) XVII, p. 490.

[4] L. Opp. lat. II, 63, et Leip. XVII, p. 511.

[5] Tome II. lo

[6] piicor immutare, quod non minus est sied et incapax quam ullus parvulus, ita per orationem Ecclesiœ offerentis et credentis, parvulus fide infusa mutatur, mundatur et renovatur. (L. dpp. lat. II, p. 77.)

[7] Dico itaque, neque papa, neque episcopus, neque ullus hominem habet jus unius syllabes constituendœ super chri-stianum hominem, nisi id fiat ejusdem consensu ; quidquid aliter fit, tyrannico spiritu fit. (Ibid., p. 77.)

[8] Generali edicto tollere vota... abuude enim vovimus in baptismo, et plus quai') possimus implere. (Ibid., p. 78.)

[9] Opera quantum libet sacra et ardus religiosorum et sacer-]]]

117

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VIII

Luther termine ce fameux écrit sur la captivité de Babylone par ces paroles :

« J'apprends que de nouvelles excommunications papales doivent avoir été fabriquées contre moi. S'il en est ainsi, on peut regarder le présent livre comme une partie de ma future rétractation. Le reste suivra bientôt pour faire preuve de mon obéissance, et le tout fouinera, avec l'aide de Christ, un ensemble tel, que Rome n'aura jamais rien vu ni rien entendu de pareil. » Après un tel écrit, toute espérance de réconciliation entre le pape et. Luther devait s'évanouir.

L'incompatibilité de la foi du Réformateur avec la doctrine de l'Église devait frapper les moins clairvoyants. Mais précisément alors, de nouvelles négociations venaient de commencer. Cinq semaines -avant la publication de la Captivité de Babylone, à la fin d'août 1520, le chapitre général des Augustins s'était assemblé à Eisleben. Le vénérable Staupitz y résigna le vicariat général de l'ordre, et Wenceslas Link, qui avait accompagné Luther à Augsbourg, en fut revêtu. L'infatigable Miltitz arriva tout à coup an milieu du chapitre [1] 'il brûlait du désir de réconcilier le pape et Luther. Son amour-propre, son avarice, mais surtout sa jalousie et sa haine, y étaient intéressés. Eck et ses fanfaronnades l'offusquaient; il savait que le docteur l'avait décrié à Rome, et il eût tout sacrifié pour faire échouer par une paix promptement conçue, les trames de cet importun rival. L'intérêt religieux était nul pour lui. Un jour (c'est lui qui le raconte), il se trouvait à table chez l'évêque de Meissen. [2] Les convives avaient déjà fait de nombreuses libations, lorsqu'on leur apporta un nouvel écrit de Luther. On l'ouvre, on le lit ; l'évêque s'emporte; l'official jure; mais Miltitz rit de tout son cœur a Miltitz trait la Réformation en homme du monde; Eck en théologien.

Réveillé par l'arrivée (lu docteur Eck, Miltitz adressa au chapitre des Augustins un discours prononcé avec un accent italien très marqué' [3], pensant en imposer ainsi à ses bons compatriotes.

« Tout l'ordre des Augustins est 'compromis dans cette affaire, dit-il. Indiquez-moi un moyen de réprimer Luther [4]. »

« Nous n'avons rien à faire avec le docteur, répondirent les pères, et nous ne saurions quel conseil vous donner. » Ils s'appuyaient sans doute sur ce que Staupitz avait délié Luther à Augsbourg, de ses obligations à l'égard de l'ordre. Miltitz insista. « Qu'une députation de ce vénérable chapitre se rende vers Luther, et le sollicite d'é- cuire au pape, en l'assurant qu'il n'a jamais rien tramé contre sa personne [5]. Cela suffira pour ter miner l'affaire. » Le chapitre se rendit à la requête du Nonce, et chargea, sans doute sur sa demande, l'ancien vicaire général et son successeur, Staupitz et épia, de parler à Luther. Cette députation partit 118

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle aussitôt pour Wittemberg avec Line lettre de Miltitz pour le docteur, remplie des expressions les plus respectueuses.

« Il n'y avait pas de temps à perdre » disait-il : la foudre, déjà suspendue sur la tête du Réformateur, allait bientôt éclater; et alors tout serait fini. »

« Il n'y avait pas de temps à perdre » disait-il « la foudre, déjà suspendue sur la tête du Réformateur, allait bientôt éclater; et alors tout serait fini. » Ni Luther, ni les députés qui partageaient ses sentiments [6], n'espéraient rien d'une lettre au pape.

Mais c'était même une raison pour ne pas s'y refuser Cette lettre ne pouvait être qu'une simple affaire de forme qui ferait encore mieux ressortir le droit de Luther. «

Cet Italien de la Saxe, (Miltitz), pensait Luther, a sans doute en vue dans cette demande son intérêt particulier. Eh bien, soit, J'écrirai conformément à la vérité, que je n'ai jamais rien eu contre la personne du pape. Il faudra me tenir sur mes gardes pour ne pas attaquer trop fortement le siège même de Rome. Cependant je le saupoudrerai de sel. [7]

Mais, bientôt après, le docteur apprit l'arrivée de la bulle en Allemagne; le 3 octobre, il déclara à Spalatin qu'il n'écrirait point au pape, et le 6 du même mois il publia son livre sur la Captivité de Babylone. Miltitz ne se découragea point encore. Le désir d'humilier Eck lui faisait croire à impossible. Le octobre, avait écrit, plein d'espérance, à l'Électeur : « Tout ira bien; mais pour amour de Dieu, ne tardez pas davantage à me faire payer la pension que vous et votre frère me faites depuis quelques années [8]. Il me faut de l'argent pour me faire de nouveau des amis à Rome. Écrivez au pape, faites hommage aux jeunes cardinaux, parents de Sa Sainteté, de pièces d'or et d'argent au coin de Votre Altesse électorale ; et joignez-en aussi pour moi ; car on m'a volé celle que vous m'aviez donnée'. [9]»

Même après que Luther eut eu connaissance de la bulle, l'intrigant.

Miltitz ne se découragea pas encore. Il demanda d'avoir à Lichtenberg une conférence avec Luther. L'Électeur ordonna à celui-ci de s'y rendre. [10]. Mais ses amis, et surtout l'affectueux Melanchthon, s'y opposèrent [11]. « Quoi! pensaient-ils, dans le moment où paraît la bulle qui ordonne que l'on s'empare de Luther pour le conduire à Rome, accepter, en un endroit éloigné, une conférence avec le Nonce du pape! N'est-il pas évident que le docteur Eck ne pouvant s'approcher du Réformateur, parce qu'il a trop ouvertement affiché toute sa haine, le rusé chambellan s'est chargé de prendre Luther dans ses filets? » Ces craintes ne pouvaient arrêter le docteur de Wittenberg. Le prince a commandé ; il obéira.

« Je pars pour Lichtenberg, » écrit-il le 11 octobre au chapelain, « priez pour moi. »

Ses amis ne voulurent pas l'abandonner. Le même jour, vers le soir, Luther entera dans Lichtenberg, à cheval, entouré de trente cavaliers, parmi lesquels se trouvait Mélanchthon. A peu près en même temps, le Nonce du pape y arriva avec une suite 119

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle de quatre personnes [12]. Cette modeste escorte ne serait-elle pas une ruse pour inspirer de la confiance à Luther et à ses amis?...

Miltitz fit à Luther les plus pressantes sollicitations, l'assurant que la faute serait jetée sur Eck et sur ses folles jactances [13], et que tout se terminerait à la satisfaction des deux parties. « Eh bien! répondit Luther, je m'offre à garder dorénavant le silence, pourvu que mes adversaires le gardent de même. Je veux faire pour la paix tout ce qu'il m'est possible de faire. [14] »

Miltitz fut rempli de joie. Il accompagna Luther jusqu'à Wittemberg. Le Réformateur et le Nonce papal entrèrent l'un à côté de l'autre dans cette ville, de laquelle le docteur Eck s'approchait déjà, présentant d'une main menaçante la bulle formidable qui devait renverser la Réformation. «Nous « amènerons la chose à bonne fin, écrivit aussitôt « Miltitz à l'Électeur; remerciez le pape de sa rose, « et envoyez en même temps quarante ou cinquante « florins au cardinal Quatuor Sanctorum [15]. »

Luther devait remplir sa promesse et écrire au pape. Avant de dire à Rome un adieu éternel, il voulait lui faire entendre encore une fois d'importantes et salutaires vérités. On ne verra peut-être dans sa lettre qu'un écrit caustique, une amère et insultante satire; mais c'est ne pas connaître les sentiments qui l'animaient. Il attribuait sincèrement à Rome tous les maux de la chrétienté : dès lors toutes ses paroles sont, non des insultes, mais de solennels avertissements. Plus il aime Léon, plus il aime l'Église de Christ; puisa veut dévoiler la grandeur de la plaie. L'énergie de ses expressions est le messire de l'énergie de son affection. Le moment est venu de frapper de grands coups: On croit voir un prophète faisant pour la dernière fois le tour de la cité, lui reprochant toutes ses abominations, lui révélant les jugements de l'Éternel, et lui criant :

« Encore quelques jours!... » Voici la lettre : « Au très-saint Père en Dieu, Léon X, Pape à Rome, soit tout salut en Christ Jésus, notre Seigneur. Amen. Du milieu de cette violente guerre que depuis trois ans je livre à des hommes déréglés, je ne puis m'empêcher quelquefois de regarder à vous, ô Léon, très-saint Père en Dieu! Et bien que la folie de vos impies flatteurs m'ait contraint à en appeler de votre jugement à un concile futur mon cœur ne s'est pas détourné de Votre Sainteté, et je n'ai cessé de demander à Dieu par de constantes prières et de profonds soupirs, votre prospérité et celle de votre pontificat [16].

J'ai attaqué, il est vrai, quelques doctrines anti- chrétiennes, et j'ai fait une profonde blessure à mes adversaires, à cause de leur impiété. Je ne m'en repens pas, car j'ai ici l'exemple de Christ. A quoi sert le sel, s'il ne mord pas? À quoi le tranchant de l'épée, s'il ne coupe pas [17]? Maudit soit l'homme qui fait nonchalamment l'œuvre du « Seigneur. O très-excellent Léon, loin d'avoir jamais conçu une mauvaise pensée à votre égard, je vous souhaite pour l'éternité les biens 120

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle les plus précieux. Je n'ai fait qu'une chose : j'ai maintenu la Parole de la vérité. Je suis prêt à céder à tous, « en tout : mais quant à cette Parole, je ne veux, « je ne puis l'abandonner Celui qui pense autrement de moi, pense mal [18].

« Il est vrai que j'ai attaqué la cour de Rome ; mais ni vous-même, ni aucun homme sur la terre, ne pouvez nier que la corruption n'y soit plus grande qu'à Sodome et à, Gomorrhe, et que l'impiété qui y règne, ne soit sans espoir de guérison. Oui, j'ai été rempli d'horreur, en voyant que sous votre nom on trompait le pauvre peuple de Christ. Je m'y suis opposé, et je m'y opposerai encore; non que je m'imagine pouvoir, malgré l'opposition des flatteurs, venir à bout de quelque « chose dans cette Babylone, qui est la confusion même; mais je me dois à mes frères, afin que quelques-uns échappent, s'il est possible, à ces « terribles fléaux. « Vous le savez, Rome depuis beaucoup d'années a inondé le monde de tout ce qui pouvait perdre l'âme et le corps. L'Église de Rome, autrefois la première en sainteté, est devenue une caverne de voleurs, un théâtre de prostitution, un royaume de la mort et de l'enfer [19], en sorte que l'Antéchrist lui-même, s'il paraissait, ne pourrait en augmenter la malice.

Tout cela est plus évident que la lumière même du soleil. « Et cependant, vous, ô Léon, vous êtes comme un agneau au milieu des loups, et comme Daniel dans la fosse aux lions ! Seul, que pouvez-vous opposer à ces monstres ? Peut-être est-il trois ou quatre cardinaux qui joignent à la science la vertu. « Mais qu'est-ce que cela contre un si grand nombre ! Vous périrez par le poison, avant même que de pouvoir essayer quelque remède. C'en est fait de la cour de Rome; la colère de Dieu l'a atteinte et elle la consumera [20]. Elle hait les avis ; elle craint la réforme; elle ne veut point modérer la fureur de son impiété, et mérite ainsi qu'on dise d'elle comme de sa mère : « Nous avons traité Babylone, et elle n'est point guérie : abandonnons-la [21]! » C'était à vous et à vos cardinaux d'appliquer le remède; mais la malade se rit du médecin et le chevé ne veut point sentir les rênes...

« Plein d’affection pour vous, très-excellent Léon, j'ai toujours regretté que, formé pour un siècle meilleur, vous ayez été élevé au pontificat en ce temps-ci. Rome n'est pas digne de vous et de ceux qui vous ressemblent ; elle ne mérite d'avoir pour chef que Satan lui-même. Aussi est-il vrai qu'il règne plus que vous dans cette Babylone.

Plût à Dieu que, déposant cette gloire qu'exaltent si fort vos ennemis, vous pussiez.

L’échanger contre un modeste pastorat, ou vivre de votre héritage paternel!, car il n'y a que des Iscariote qui soient dignes d'une telle gloire.

« O mon cher Léon! À quoi servez-vous donc dans cette cour romaine, si ce n'est à ce que les hommes les plus exécrables usent de votre nom et de votre pouvoir pour ruiner les fortunes, perdre les âmes, multiplier les crimes, opprimer la foi, la vérité et toute l'Église de Dieu? O Léon ! Léon ! Vous êtes le plus malheureux des hommes, et vous siégez sur le plus dangereux des trônes! Je vous dis la vérité, parce que je 121

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle vous veux du bien. N'est-il pas vrai que sous la vaste étendue da ciel, il n'y a rien de plus corrompu, de plus haïssable que la cour romaine ? Elle dépasse infiniment les Turcs en' vices et en corruption [22].

Autrefois la porte du ciel, elle est devenue la bouche de l'enfer; bouche large et que la colère de Dieu tient ouverte, en sorte que voyant tant de mal- heureux qui s'y précipitent, il me crier, comme en une tempête, afin que les-uns du moins soient sauvés de l'affreux Voilà, ô Léon, mon Père, pourquoi je me suis déchaîné contre ce siège qui donne la mort. Loin de m'élever contre votre personne, j'ai cru travailles pour votre salut, en attaquant vaillamment cette prison soit plutôt cet enfer, dans lequel vous êtes renfermé. Faire à la cour de Rome toute sorte de mal, c'est s'acquitter de votre propre de voir. La couvrir de honte, c'est honorer Christ; en un mot, c'est être chrétien que de n'être pas Romain. « Cependant, voyant que je perdais à secourir le siège de Rome, et mes soins et mes peines, je lui ai remis la lettre de divorce; je lui ai dit : Adieu, Rome! Que ce qui est injuste soit injuste encore: que ce qui est souillé se souille encore davantage' ! Et je me suis livré aux tranquilles et solitaires études de la sainte Écriture. Alors, Satan a ouvert les yeux, et réveillé son serviteur Jean Eck, grand ennemi de Jésus-Christ, afin qu'il me fit redescendre dans l'arène. Il voulait établir non la primauté de Pierre, mais la sienne, et pour cela mener en triomphe Luther vaincu; C'est à 'lui qu'est la faute de tout l'opprobre dont le siège de Rome est couvert. »

Luther raconte ses rapports avec de Vio, Miltitz et Eck; puis il poursuit : «

Maintenant donc, je viens à vous, ô très-saint Père et, prosterné à vos pieds, je vous prie de mettre un frein, si cela est possible, aux ennemis de la paix. Mais je ne puis rétracter ma doctrine. « Je ne puis permettre que l'on impose à la sainte Écriture des règles d'interprétation. Il faut que l'on laisse libre la parole de Dieu, qui est la source même d'où jaillit toute liberté [23]. « O Léon ! Mon Père ! N’écoutez pas ces flatteuses sirènes qui vous disent que vous êtes, un simple homme, mais un demi-dieu, et que vous pouvez ordonner tout ce qu'il vous plaît. Vous êtes le serviteur des serviteurs, et la place où vous êtes assis, est la plus dangereuse et la plus misérable de toutes. Croyez, non ceux qui vous élèvent, mais ceux qui vous humilient. Je suis peut-être trop hardi en enseignant un si haute majesté, qui doit instruire tous les hommes.

« Mais je vois les dangers qui vous entourent à Rome; je vous y vois poussé çà et là, comme sur les vagues de la haute mer en tourmente. La charité me presse, et je dois pousser un cri d'avertissement et de salut. « Pour ne pas paraître les mains vides devant Votre Sainteté, je vous présente un petit livre qui a paru sous votre nom, et qui vous fera connaître de quels sujets je pourrai m'occuper, si vos flatteurs me le permettent. C'est peu de chose, si l'on regarde au volume; mais c'est beaucoup, si l'on regarde au contenu ; car le sommaire de la vie chrétienne s'y trouve renfermé.

Je suis pauvre, et je n'ai rien autre à vous offrir; d'ailleurs, avez-vous besoin d'autre 122

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle chose que de dons spirituels? Je me recommande à Votre Sainteté, que le Seigneur Jésus garde éternellement! Amen!! »

[[[Le petit livre dont Luther faisait hommage au pape, était .son discours sur « la liberté du chrétien. » Le Réformateur y démontre sans polémique, comment, sans porter atteinte à la liberté que la foi lui a donnée, le chrétien peut se soumettre à toute ordonnance extérieure, dans un esprit de liberté et de charité. Deux vérités servant de base à tout le reste :

« Un chrétien est libre et maître de toutes choses. Un: chrétien est serviteur et soumis en tout et à tous. Il est libre et mare par la foi; il est soumis et serviteur par la charité. Il expose d'abord la puissance de fa foi pour rendre le chrétien libre]]]

« La foi unit l'âme avec Christ, comme une épouse avec son' époux-, dit Luther au pape. Tout ce que Christ a devient la propriété de l'âme fidèle tout ce que l'âme a devient la propriété de Christ. Christ possède tous les biens et le salut éternel : ils sont-dès lors l'a propriété de l'âme. L'âme possède tous les vices et tous les péchés': ils deviennent dès lors la propriété de Christ. C'est alors, que commence un bienheureux échange : Christ-qui est Dieu et homme, Christ qui n'a jamais péché, et dont la sainteté est invincible, Christ le Tout-Puissant et l'Éternel, s'appropriant par son anneau c'est-à-dire par la foi, tous les péchés de l'âme: fidèle, ses pêchés -

soufi engloutis en lui et abolis, en lui ; car, il n'est aucun péché qui puisse subsister devant son infinie justice.

Ainsi, par le moyen de la foi, l'âme est délivrée de tous péchés et revêtue de la justice éternelle de son époux Jésus-Christ. O heureuse Union ! Le riche, le noble, le saint époux, Jésus-Christ, prend en mariage cette épouse pauvre; coupable et méprisée; la délivre de tout mal, et la pare ist nui dis niai eine frôldiehe' [24]

Christ, Roi et Sacrificateur, partage cet honneur et cette gloire avec tous les chrétiens. Le chrétien est roi et par conséquent il possède toutes choses ; il est sacrificateur et par conséquent il possède Dieu. Et c'est la foi, et, non les œuvres, qui lui apporte tel honneur. Un chrétien est libre de toutes choses, au-dessus de toutes choses, la foi lui domine tout abondamnent2 »

Dans la seconde partie de son discours, Luther présente l'autre côté de la vérité. «

Bien que le chrétien soit ainsi devenu libre, il devient volontairement serviteur, pour en agir avec ses frères comme Dieu en a agi avec lui-même par Je veux, dit-il, servir librement, joyeusement, gratuitement, un père qui a ainsi répandu sur moi toute l'abondance de ses biens : je veux tout devenir pour mon prochain, comme Christ est tout devenu pour moi. — »

« De la foi, » continue-t-il, « découle l'amour de Dieu; de l'amour découle une vie pleine de liberté, de charité et de joie ! Oh ! Que la vie chrétienne est une vie noble et élevée ! Mais, hélas ! Personne ne la connaît et personne ne la prêche...Par la foi 123

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle le chrétien Par la foi le chrétien s'élève jusqu’à Dieu ; par l'amour il descend jusqu'à l'homme; et cependant il demeure toujours en Dieu. Voilà la véritable liberté, liberté qui surpasse toute autre liberté, autant que les cieux sont élevés pardessus la terre.

»

Tel est l'écrit dont Luther accompagna sa lettre LÀ.' MME' It ArE.LIAKAGlorg. 103

Tandis que le Réformateur s'adressait ainsi petit; la dernière fois ..atr pOnttife•

Potnain:,' la bulle qui l'anathématisait' ait déjà dans les mains cleie the& de l'Église gernAnigue gux 'portes •de laidtmeure de Luther. Le pape avait

'chargé .d@tiilaukslutle■ tionnaires de sa cout.earadeioli et Aléandtee':de la porter ,à l'arcilevéqüe de Maynce, eh fièRMtleit•k pourvoir it son exécution. -Mais Eau pataissait en Sate- 'cotreitie héraut' et exéciutetit“tle grande- cenilre«

potitifiëa1e:7 Le doeteuP d'higtititadi avait enttlpris-tniebt qu'et* • autre la pkrisMticereei4 coups de Lgtheti ; sil -hvait. le 'dàqoèt4,erkçiait avancé la -main pi1nth gâtiteriir r4difieë égra'nlé 'de Rome. Il était~' à Ce' efUliV pensiiitt, •

l'Atlas :de4iiiié porter star ses tolltistes &pailles 'rantiquè'itiijiide romain près de s'écrouler. Fier des succéklèe.S111 ?Orge à Rome; fret de h 'chargé dViiii.ieeue du Setiveraitifpontiféfleiv.iie 'cette bulle citant:eue ein sa., main ét -da it§ laqn elle :se -

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toue •tdutes:leS victoitéis situ! .rethpbttêeS'eil et, dont il. avlait auparavant ''tif 'tait

Mais-'Cet orgueil devait i,tri.reek5niptetneit àbaisSé.

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tidive l'effet. Urie si -gitaTick' d iSeriétiOri.; deckwd4é k.unihbilinsequi i' hg (levé dis

'Église, choquait les esprits susceptibles. Les évê-13144, aeçoinutués à recevoir direetemee les bulles

du pape, trouvaient InattvaiS .qUè .eelle-tilfit pur. •

164 LA BULLE EN' ALLEMAGNE.

bliée dans leurs, diocèses par ce nonce improvisé.

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124

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle FOOTNOTES

[1] Nondum tot pressus difficultatibus animum despouderat Miltitius—dignus profecto non tuediocri laude. (Pallirdeini, I, p. 68.)

[2] Der Bischof entriistet, der official geauchet, et aber gelachei habe. (Seckend, p.

266.)

[3] Orationem habuit italien pronuntiatione vestitam.(L.Epp. I, p. 483.)

[4] Petens consilium super me compescendo. (Ibid.)

[5] Nihil me in personam suam fuisse niobium. (Ibid., 484.

[6] Quibus omnibus causa mea non displieet. (Ibid., p. 486.)

[7] Aspergetur tarsien sale suo. (Ibid.)

[8] Den Pabsts Nepoten, 2 oder

[9] Churfurstliche Gotd und Silberstücke, tu vërehren... (Seekend, p. 267.)

[10] Sicut princeps ordinavit. (L. Epp. I, p. 455.)

[11] Invito prœceptore (Melanchton ) nescio quanta metuente. (Ibid.),

[12] Jener von mehr als 3o, diser aber kaum mit 4 Pferclen hegleitet. (Seekend, p.

268.

[13] Totum pondus in Eccium versurus. ( L. Epp. I, p. 496.)

[14] Ut nihil videar omittere quod in me ad pacem quoquo modo faeere possit. (Ibid.)

[15] Seckend, p. 268.

[16] Ut non totis viribus, sedulis atque quantum in me fuit gernebundis precibus àpud Deum quœsierian. (L. Epp. I, p. 498).

[17] Quid proderit sal, si non mordeat ? Quid os glOii, si non cœdai ? (Ibid. p. 499.)

[18] Verbum deserere et negare nec possum, nec volo. (Ibid.)

[19] Facta est.... spelunca latronum lieentiosissima, lupanar omnium impudentissimum, regnum peccati, mords et inferni.... (Ibid., p. '500.)

[20] Actum est de Romana curia : pervenit in eam ira Dei us-que in finem (Ibid.,

p. 500.)

[21]. Jérémie, ch. LI, v. 9.

[22] 'Apocalypse de saint Jean, ch. XXII, y. zr.

125

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[23] Leges interpretandi verbi Dei non patior, cum oporteat verbum Dei esse non alligatum, end libertatem doett... (Ibid., p. 504.)]]]

[24] Wirthschafft, da 'der •eiche, edle, fromme Briutigam Christus, dus arme, veràehtek Wise Huhrlein zur Ehe nimmt... (L. Opp. (L.) XVII, p. 385. Tome II.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IX

La nation, qui 'avait sifflé le prétendu vainqueur de Leipzig, au moment où il s'était enfui en Italie, le voyait avec étonnement et indignation repasser les Alpes, muni des insignes d'un nonce pontifical et du pouvoir d'écraser ses hommes d'élite. Luther regardait ce jugement apporté par son implacable adversaire comme un acte de vengeance personnelle; cette condamnation était pour lui, dit Pallavicini, comme le poignard perfide d'un ennemi mortel, et non comme la hache légitime d'un licteur romain [1]. On ne considérait plus cet écrit comme la bulle du souverain pontife, mais comme la bulle du docteur Eck. Ainsi le coup était émoussé et affaibli à l'avance par celui-là même qui l'avait provoqué.

Le chancelier d'Ingolstadt s'était hâté de se rendre en Saxe. C'est là qu'il avait livré combat; c'est là qu'il voulait faire éclater sa victoire. Il parvint à afficher la bulle à Meissen, à Merseburg et à Brandebourg, vers la fin de septembre. Mais dans la première de ces villes, on la placarda dans un lieu où personne ne pouvait la lire, et les évêques de ces trois sièges ne se pressèrent point de la publier. Son grand protecteur même, le duc George, défendit au conseil de Leipzig de la rendre publique avant (l'en avoir reçu l'ordre de l'évêque de Merseburg; et cet ordre ne vint que l'année suivante. « Ces die, facultés ne sont que pour la forme, » pensait d'abord Eck; car tout semblait d'ailleurs lui sourire. Le duc George lui envoya une coupe dorée et quelques ducats.. Miltitz même, accouru à Leipzig k la nouvelle de l'arrivée de son rival, l'invita à dîner. Les deux légats étaient amis de la table, et Miltitz croyait ne pouvoir mieux sonder le docteur Eck que le verre à la main. « Quand il eut bien bu, il u commua, dit le camérier du pape, à se vanter de Plus belle ; il étala sa bulle, et raconta coron ment il, prétendait mettre à la raison ce drôle de

« Martin c. » Mais bientôt le docteur d'Ingolstadt eut Occasion de remarquer que le vent tournait. Un grand changement s'était opéré à Leipzig depuis une année [2] .

Le jour de la Saint-Michel, quelques étudiants affichèrent en dix places différentes des placards, où ils attaquaient vivement le nouveau nonce. Épouvanté, il se sauva dans le cloître de Saint-Père, où s'était déjà réfugié Tezel, y refusa toute visite, et obtint du recteur que l'on mît à la raison ses jeunes adversaires. Mais le pauvre Eck y gagna peu. Les étudiants firent sur lui une chanson, et la chantèrent dans les rues.

Eck l'entendait de sa prison. Alors tout son courage se perd ; le redoutable champion tremble de tous ses membres. Chaque jour, il reçoit des lettres menaçantes. Cent cinquante étudiants arrivent de Wittemberg, parlant à haute voix contre l'envoyé pa1.Peur le coup, le 'pativt.e rumbe apostolicitut n'y tient pltai « Je ne veux pas qiebn le tue, dit

« Luther, mais je désirs que ses desseins échoient » Eck quitte de huit sa retraite, se sauve clairdeati= né/tient de Leipzig, et va se cacher à Cobourg: Miltitz, qui le 127

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle J'apporte, en triomphait plus que le Refoimatehe triornphe .tie fut pas de longue durée. Totis les projets de conciliation duecamérier échouèrent, et il finit tristement sa vi il tomba ivre 'dans le libin,[3] Mayence; et y mourut. • Pet à peu Eck reprit coffrage. Il se rendit à Erfurt, dont les théologiens avaient donné au duc tetir de Wittenberg plus d'une marque de leur jalousie. Il insista pour que sa bulle fût publiée dans cette ville; Mais les étudiants saisirent les exemplaires, les déchirèrent et les jetèrent à la rivière, en disant : « Puisque c'est une bulle, « qu'elle nage [4]. D «

Maintenant, dit Luther, en « l'apprenant, le papier du pape est une vraie bulle. »

Eck n'osait pas paraître à Wittemberg; il envoya la bulle au recteur, en menaçant, si l'on ne s'y conformait pas; de détruire l'université. Il écrivit en même temps au duc Jean, 'frère et corrégien de Frédéric « Ne prenez pas en mauvaise part ce que je fais; lui dit-il, car c'est pour la foi que j'agis, et cela me coûte bien des soucis, bien du travail et de l'argent [5]; » Le recteur déclara tu ne recevant pas avec la huile 'Une lettre da pape; se refusait à la publier, et en référa au conseil des jurisconsultes.

C’est ainsi que les lettrés accueillaient la condamnation du Réformateur.

Taudis que .1a bulle agitait si 'fortement les esprits en Allemagne, une voix grave se fit entendre dans une autre Contrée de l'Europe. Un homme, découvrant les déchirements immenses que la bulle du-pape allait opérer dans l'Église, se présenta pour .donner un avertissement .sérieux et défendre le Réformateur. Ce fut ce thème prêtre suisse, dont nous avons déjà parlé, Ulric Zwingle, qui, sans aucune relation d'unifié avec Luther; publia un écrit plein de sagesse et de dignité premier de ses nombreux ouvrages.... Une affection fraternelle semblait entrainer vers le docteur de Wittenberg: « La piété du Pontife, disait-il, demande qu'il sacrifie avec joie ce qu'il peut avoir « de plus cher, à la gloire de Christ son roi, et à la paix publique de l'Église, Rien ne nuit pins « à sa dignité; que quand il ne la défend que par des salaires ou des terreurs. [6]On n'avait point encore lu les écrits de Luther, que déjà On le décriait « auprès du peuple, comme un hérétique, schismatique et l'antéchrist même.