Histoire de la Réformation du Seizième Siècle_Vol 4 by Jean-Marie Merle D'Aubigne - HTML preview

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle majorité du Grand-Conseil, toujours prête à prendre d'importantes et salutaires résolutions, fut détruite. Les anciens magistrats qui se trouvaient encore à la tête des affaires, se laissèrent entraîner à des sentiments de jalousie contre les hommes dont l'influence officielle prévalait 'sur la leur. Les citoyens qui haïssaient la doctrine de l'Évangile, soit par amour du monde, soit par amour du Pape, relevaient audacieusement la tête dans Zurich. Les partisans des moines, les amis du Service étranger, les mécontents de tout genre, se coalisaient pour signaler Zwingle comme l'auteur des maux du peuple.

Zwingle en était profondément navré. Il voyait que Zurich et la Réformation se précipitaient vers leur ruine, et il ne pouvait les retenir. Comment l'eût-il fait, puisque, sans s'en douter, il était le principal auteur de ces désastres? Que faire ?

Le conducteur restera-t-il sur le char qu'on ne lui permet pas de diriger ? Il n'y avait qu'un moyen de salut pour Zurich et pour Zwingle. Il aurait dû se retirer de la scène politique, se replier dans le royaume qui n'est pas de ce monde, tenir, nuit et jour, comme Moïse, ses mains et son cœur élevés vers le ciel, et prêcher avec puissance la repentance, la foi et la paix. Mais les choses politiques et les choses religieuses étaient unies dans l'esprit de ce grand homme par des liens si primitifs et si intimes, qu'il lui était impossible de les distinguer les unes des autres. Cette confusion était devenue son idée dominante; le chrétien et le citoyen n'avaient pour lui qu'une seule et même vocation ; d'où il concluait que toutes les ressources de l'État, même les canons et les arquebuses, devaient être mises au service de la vérité. Quand une idée particulière s'empare ainsi d'un homme, on voit se former en lui une fausse conscience, qui approuve bien des choses condamnées par la parole du Seigneur.

Tel était alors Zwingle. La guerre lui paraissait légitime et désirable ; et si on la refusait, il jugeait n'avoir plus qu'à se retirer de la vie publique. Il voulait tout, ou rien. Aussi, le 26 juillet, il se présenta devant le. Grand-Conseil, le regard éteint et le cœur brisé : « Voilà onze ans, dit-il, que je vous prêche le saint Évangile, et que je vous avertis paternellement et fidèlement des maux qui vous menacent ; mais on n'en tient aucun compte; on élit au Conseil les amis des capitulations étrangères, les ennemis de l'Évangile; et, tout en refusant de suivre mes avis, on nie rend responsable de tous les maux. Je ne puis accepter une telle position, et je donne ma démission. » Puis le Réformateur sortit, baigné de larmes.

Le Conseil s'émut en entendant ces paroles. Tous les anciens sentiments de respect que l'on avait eus si longtemps pour Zwingle se réveillèrent; le perdre maintenant, c'était perdre Zurich. Le bourgmestre et d'autres magistrats reçurent l'ordre de le faire revenir de cette résolution fatale. Une conférence eut lieu le même jour avec lui; Zwingle demanda du temps pour réfléchir. Pendant trois jours et trois nuits il chercha le chemin qu'il devait suivre. Voyant le sombre orage qui se formait de toutes parts, il se demandait s'il choisirait, pour quitter Zurich et se réfugier sur les 371

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle hautes collines du Tockenbourg, où avait été son berceau, le moment même où la patrie et l'É-Ose allaient être assaillies et hachées par leurs ennemis, comme le blé par la grêle.

Il poussait des soupirs; il criait au Seigneur. Il eût voulu éloigner de lui la 'coupe d'amertume qui lui était offerte, et il ne pouvait s'y résoudre. Enfin le sacrifice fut accompli, et la victime placée en frémissant sur l'autel. Trois jours après la première conférence, Zwingle reparut dans le Conseil. « Je resterai avec vous, dit-il, et j'agirai pour le salut public... jusqu'à la mort. »

Dès ce moment, il déploya un nouveau zèle. D'un côté, il s'efforça de ramener dans Zurich la concorde et le courage; de l'autre, il s'appliqua à réveiller et à électriser les villes alliées, pour accroître et concentrer toutes les forces de la Réformation. Fidèle au rôle politique qu'il croyait avoir reçu de Dieu même, persuadé que c'était dans les incertitudes et le manque d'énergie des Bernois qu'il fallait chercher la cause de tout le mal, e Réformateur se rendit à Bremgarten avec Collin et Steiner, pendant la quatrième conférence de la Diète, quel que fût le danger auquel il s'exposât en le faisant. Il y arriva de nuit, en secret; et, étant entré dans la maison de son ami et disciple Bullinger, il y fit venir, avant le lever du jour, les députés de Berne, Jean-Jacques de Watteville et lm Hag, et les supplia, du ton le plus solennel, de considérer sérieusement les périls de la Réforme. « Je crains, dit-il, qu'à cause de notre infidélité, cette affaire n'échoue. En refusant des vivres aux cinq cantons, nous avons commencé une œuvre qui nous sera funeste. Que faire? Retirer la défense ?

Les cantons seront alors plus orgueilleux et plus méchants que jamais. La maintenir? Ils prendront l'offensive ; (C et si leur attaque réussit, vous verrez nos champs rougis du sang des fidèles, la doctrine de la vérité abattue, l'Église de Christ désolée, les relax Lions sociales bouleversées, nos adversaires toujours plus endurcis et irrités contre l'Evangile, et des foules de prêtres et de moines remplissant de nouveau nos campagnes, nos rues et nos temples... Pourtant, ajouta Zwingle après quelques moments d'émotion et de silence, cela aussi prendra fin. » Les Bernois étaient saisis, agités par la voix grave du Réformateur.

« Nous voyons, lui dirent-ils, tout ce qu'il y a à craindre pour la cause qui nous est commune; et nous mettrons tous nos soins à prévenir de « si grands maux. » « Moi qui écris ces choses, j'étais présent et je les ai entendues, » ajoute Bullinger [13]

On craignait que si les députés des cinq cantons venaient à connaître la présence de Zwingle à Bremgarten, ils ne pussent contenir leur violence. Aussi, pendant cette conférence nocturne, trois conseillers de la ville étaient-ils en sentinelle devant la maison de Bullinger. Avant le jour le Réformateur et ses deux amis, accompagnés de Bullinger et des trois conseillers, traversèrent les rues désertes qui conduisaient à la porte par où l'on se rend à Zurich. A trois reprises, Zwingle prit congé de ce Bullinger qui devait bientôt lui succéder. L'âme pleine du pressentiment de sa mort 372

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle prochaine, il ne pouvait se détacher de ce jeune ami, duquel il ne devait plus revoir le visage; il le bénissait tout en larmes : « O -mon cher Henri, lui disait-il,

« Dieu te garde! Sois fidèle au Seigneur Jésus..

« Christ et à son Église.» Enfin ils se séparèrent. Mais en ce moment même, dit Bullinger, un personnage mystérieux, revêtu d'une robe aussi blanche que la neige, parut tout à coup; et, après avoir effrayé les soldats qui gardaient la porte, il se plongea dans l'eau, où il disparut. Bullinger, Zwingle et leurs amis ne le virent pas; Bullinger lui-même le chercha ensuite en vain tout à l'entour [14] ; mais les sentinelles insistèrent sur la réalité de cette apparition effrayante. Bullinger, vivement ému, reprit en silence au milieu des ténèbres le chemin de sa maison. Son esprit rapprochait involontairement le départ de Zwingle et le fantôme blanc; et il frémissait du présage affreux que la pensée de ce spectre imprimait dans son âme.

Des angoisses d'un autre genre poursuivirent Zwingle à Zurich. Il avait cru qu'en consentant rester à la tête des affaires, il retrouverait toute son ancienne influence; mais il s'était trompé. On voulait qu'il fût là, et l'on ne voulait pourtant pas le suivre.

Les Zurichois répugnaient toujours plus à la guerre, qu'ils avaient d'abord demandée, et s'identifiaient avec le système passif de Berne. Zwingle, interdit, se sentit paralysé d'abord en présence de cette masse inerte que ses plus vigoureux efforts ne pouvaient ébranler. Mais bientôt découvrant sur tout l'horizon les signes avant-coureurs des orages qui allaient fondre sur le navire dont il était le pilote, il poussa des cris d'angoisse, et donna le signal de détresse : « Je le vois, dit-il un jour au peuple, du haut de la chaire où il était venu porter ses tristes pressentiments, les avertissements les plus fidèles ne peuvent vous sauver; vous ne voulez pas punir les pensionnaires de l'étranger... Ils ont parmi vous de trop fermes appuis! Une chaîne est préparée... or la voilà tout entière, elle se déroule... anneau « après anneau...

Bientôt on m'y attachera, et plus d'un pieux Zurichois avec moi... C'est ainsi qu'on en veut. Je suis prêt; je me soumets à la volonté du Seigneur. Mais ces gens-là ne seront jamais mes maîtres... Quant à toi, ô Zurich, ils te donneront ta récompense ; ils t'asséneront un coup sur la tête. Tu le veux ; tu te refuses à les punir : eh bien! ce sont eux qui te puniront ' ; mais Dieu n'en gardera pas moins sa sainte Parole, et leur magnificence prendra « fin. » Tel était le cri de détresse de Zwingle; mais le silence de la mort lui répondait seul.

Les âmes des Zurichois' étaient tellement endurcies, que les flèches les plus aiguës du Réformateur ne pouvaient y pénétrer, et tombaient à ses pieds, émoussées et inutiles.

Les événements se pressaient, et justifiaient toutes ses craintes. Les cinq cantons avaient rejeté les propositions qui leur avaient été faites.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Que parlez-vous de punir quelques injures? avaient-ils dit aux médiateurs; c'est de bien autre chose qu'il s'agit. Ne nous demandez'« vous pas vous-mêmes de recevoir parmi nous les hérétiques que nous avons bannis, et de ne tolérer d'autres prêtres que ceux qui prêchent conformément à la Parole de Dieu ? Nous savons ce que cela signifie. Non, non, nous n'abandonnerons pas la religion de nos pères ; et si nous devons voir nos femmes et nos enfants privés de nourriture, nos bras sauront conquérir ce qu'on nous refuse; nous y engageons nos corps, nos biens et nos vies. »

Ce fut avec ces paroles menaçantes que les députés quittèrent la diète de Bremgarten. Ils avaient déployé fièrement les plis de leurs manteaux, et la guerre en était sortie.

La terreur était générale, et les esprits alarmés ne voyaient partout que de tristes présages, des signes alarmants, qui semblaient annoncer les événements les plus funestes. Ce n'était pas seulement le fantôme blanc qui avait paru à Bremgarten à côté de Zwingle ; des augures bien plus extraordinaires, passant de bouche en bouche, remplissaient le peuple de sinistres pressentiments.

Le récit de ces signes, quelque étrange qu'il puisse parera, caractérise l'époque que nous racontons. Nous ne créons pas les temps; notre devoir est de les prendre tels qu'ils furent.

Le a6 juillet, une veuve se trouvant seule devant sa maison, près du village de Castelenschlass, vit tout à coup, spectacle affreux ! Le sang jaillir de terre tout autour d'elle [15]'. Épouvantée, elle rentre précipitamment dans la maison...Mais, ô terreur! le sang y coule partout des boiseries et des pierres [16]; il s'échappe à flots d'un bassin élevé, et la couche même de son enfant en est inondée. Hors d'elle-même, cette femme, qui s'imagine que la main invisible d'un assassin a passé dans sa cabane, sort en criant : Au meurtre! au meurtre [17] ! Les gens du village, les moines d'un couvent voisin, accourent. On parvient à faire disparaitre en partie ces traces ensanglantées; mais peu après les autres habitants de la maison s'était mis, l'effroi dans l'âme, à manger leur repas du soir sous l'avant-toit, ils découvrent tout à coup du sang bouillonnant dans une fondrière, du sang découlant du grenier, du sang couvrant tous les murs de la maison. Du sang, du sang, partout du sang. Le bailli de Schenkenberg et le pasteur de Dalheirn arrivent, prennent connaissance de cet étonnant prodige, et en font aussitôt rapport aux seigneurs de Berne et à Zwingle.

A peine ce récit, dont tous les détails nous ont été exactement conservés en latin et en allemand, était-il venu remplir les esprits de la pensée d'une horrible boucherie, que l'on vit paraître dans le ciel, du côté du couchant, une effrayante comète dont la large et longue chevelure jaune pâle se tournait vers le midi : au moment de son coucher, cet astre luisait dans le ciel comme un feu dans une forge [19]. Un soir, le 15 août, à ce qu'il paraît [20] Zwingle et George Millier, ancien abbé de Wettingen, 374

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle étant ensemble sur le cimetière de la cathédrale, considéraient tous deux le redoutable météore. «

Cet astre funèbre, dit Zwingle, vient éclairer le chemin qui mène à mon tombeau. Il m'en coûtera la vie, et à bien des hommes honnêtes avec moi. J'ai la vue basse, mais je découvre beaucoup de calamités dans l'avenir [21]. La vérité et l'Église seront dans le deuil, mais Christ ne nous abandonnera jamais. » Ce ne fut pas seulement à Zurich que l'astre flamboyant porta la terreur. Vadian se trouvant une nuit sur une hauteur des environs de Saint-Gall, entouré d'amis et de disciples, après leur avoir expliqué les noms des astres et les miracles du Créateur, s'arrêta devant cette comète, qu'on croyait annoncer la colère de Dieu; et le fameux Théophraste déclara qu'elle ne présageait pas seulement une grande effusion de sang, mais très-spécialement la mort d'hommes savants et illustres. Ce mystérieux phénomène prolongea jusqu'au 3 septembre sa lugubre apparition.

Dès que le bruit de ces présages se fut répandu, on ne sut plus se 'contenir : les imaginations étaient remuées; on entassait effroi sur effroi ; chaque lieu avait ses terreurs. On avait aperçu sur la montagne du Brünig deux drapeaux flottant dans les nues ; à Zug, un bouclier avait été vu dans le ciel ; sur les bords de la Reuss, on avait entendu, la nuit, des détonations répétées; sur le lac des Quatre-Cantons, des navires portant des combattants aériens se croisaient en tous sens. Guerre, guerre!

sang, sang! tel était le cri universel.

Au milieu de toutes ces agitations, Zwingle seul semblait tranquille. Il ne rejetait aucun de ces pressentiments, mais il les contemplait avec calme. « Une âme qui craint Dieu, disait-il, ne se soucie point des menaces du monde. Avancer le conseil de Dieu, quoi qu'il arrive, voilà son œuvre. Un voiturier qui a un long chemin à parcourir doit se résigner à user en route son train et son attirail ; s'il amène sa marchandise au lieu fixé, cela lui suffit. Nous sommes le train et l'attirail de Dieu. Il n'est pas une des pièces qui ne soit usée, tourmentée, brisée; mais notre grand conducteur n'en accomplira pas moins, « par nous, ses vastes desseins. N'est-ce pas à ceux « qui tombent sur le champ de bataille, que la « plus belle couronne appartient? Courage donc au milieu de tous ces périls par lesquels doit « passer la cause de Jésus-Christ! Courage, quand même nous ne devrions jamais ici-bas contempler de nos propres yeux ses triomphes !... Le juge du combat nous voit, et c'est lui qui couronne. D'autres se réjouiront sur la terre du « fruit de notre travail, tandis que nous, déjà dans le ciel, nous jouirons de la récompense « éternelle»

Ainsi parlait Zwingle, s'avançant en paix vers ce bruit menaçant de la tempête, qui, par des éclairs répétés et par des explosions soudaines, annonçait la mort.

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FOOTNOTES

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[1] Kranke, alte, schwangere Wyber, Kinder und sunst Betriibte. (Id., p. 384.)

[2] Sçhmerzlich und kummersachlich. (lb., p. 386.)

[3] Ce fut Zwingle qui caractérisa ainsi les deux villes : « Bern klage Zurich wire zu hitzig; Zurich : Bern vire zu witzig.» (Stettler.)

[4] Bullinger, II, p. 396. Ep. aux Rom., XII, ao.

[5] Hartmann von Hallwyll à Alb. de Mulinen, 7 août.

[6] Stelltent ab Spielen, Tanzen (Tschoudi, der Capeller Arieg. 153i). Ce manuscrit, attribué à Egidius Tschoudi, qui dut l'écrire en 1533, est dans le sens des cinq cantons, et a été publié dans Plielvetia, vol. H, p. z65.

[7] Trowtend auch die Straassen uff zu thun mit malt. (Bull., II, p. 397.)

[8] Ep. Rugeri ad Bulling., 12 nov. 156o.

[9] Universa societas Helvetiorunt dilabetur, si tumultus et bellum inter eam eruperit. (Zw. Epp., II, p. 604.)

[10] Responderunt verbi Dei prœdicationem non laturos, quo modo nos intelligamus.

(Ibid., p. 607.)

[11] Warf sie in Gefingaiss. (Bulling., III, p. 3o.)

[12] Bpi aux Galates, V, 19, 20.

[13] Ces mots sont, par extraordinaire, en latin : « lisec ipse, qui hæc scribo, ab illis audivi, prœsens colloquio. » (Bull., III, P. 49.)

[14] Ein Menschen in ein schneeweissen IUeid.

[15] Ante et post eam Purus sanguis ita acriter ex dura terra efiluxit, ut ex vena incisa. (Zwing. Epp., H, p. 627.)

[16] Sed etiam sanguis ex terra, lignis et lapidibus diluait. (Ibid.)

[17] Ut ex domo marrer« oued► clainitans. (11).)

[18] Ein gar eschrocklicher Cornet. (Bull., III, p. 46.) C'était la comète dite de Halley, qui revient tous les soixante-seize ans, et a paru pour la dernière fois en 1836.

[19] Wie ein fhüer in einer ess. (Ib.) Peut-être Bullinger in-dique-t-il ainsi le phénomène remarqué par Appien, astre-porno de Charles-Quint, qui observa cet astre à Ingolstadt, et qui dit que la queue de la comète disparaissait en approchant de l'horizon. En 1456, son apparition avait déjà excité une grande terreur. .

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[20] Cometam jeun tribus noctibus viderunt apud nos alti, ego nna tantum, pato i5

augusti. (Zw. Epp., p. 634.)

[21] Ego oteculus non unaus calamitatem expeeto. (Ibid., p. 626.) 377

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VI.

La médiation échoue. — Calme trompeur. —Fatale inactivité. -- Les deux pains. --

Alliances redemandées. —Avertissement.... Manifeste. Les bailliages pillés. Cappel. —

Lettre de l'abbé. — Aveuglement de Zurich. Nouveaux avertissements. — La guerre est commencée. — Le tocsin. — Nuit d'effroi. — Détachements. — Appels. — La bantriére:— Zwingle. — Anna. —Le cheval de Zwingle. — Départ de la bannière.

Les cinq cantons, réunis en diète à Lucerne, s'y montrèrent pleins de résolution, et la guerre y fut décidée. « Nous sommerons les villes de respecter nos alliances, dirent-ils ; et si elles s'y refusent, nous entrerons, à main armée, dans les bailliages communs pour nous y procurer des vivres, et nous réunirons nos bannières à Zug, pour attaquer l'ennemi. » Les Waldstettes n'étaient pas seuls. Le nonce, sollicité par ses amis de Lucerne, avait demandé que des troupes auxiliaires, payées par le Pape, fussent dirigées du côté des Alpes, et il annonçait leur arrivée prochaine.

Ces décisions vinrent porter la terreur dans la Suisse; et les cantons médiateurs se rassemblèrent à Arati, et conçurent un projet qui laissait la question religieuse telle que le traité de paix de 1529 l'avait résolue. Des députés portèrent aussitôt ces propositions aux divers conseils. Celui de Lucerne les repoussa fièrement. « Dites à ceux qui vous envoient, répondit-il, que nous ne les acceptons point pour pédagogues.

Nous aimons mieux mourir que de céder la moindre chose au préjudice de notre foi.

» Les médiateurs revinrent à Arau, tristes et découragés. Cette tentative inutile augmenta le désaccord des Réformés, et donna aux Waldstettes encore plus de courage.

Zurich, si plein d'énergie quand il s'était agi d'embrasser l'Évangile, tombait maintenant d'irrésolution en irrésolution. Les membres du Conseil se défiaient les uns des autres ; le peuple était sans intérêt pour cette guerre ; et Zwingle, plein d'une foi inébranlable en la justice de sa cause, n'avait aucune espérance pour la lutte qui allait s'engager. Berne, de son côté, ne cessait de supplier Zurich de ne rien précipiter. « Ne nous exposons pas à ce qu'on nous reproche trop de promptitude, comme en 1529 disait-on partout dans Zurich. Nous avons des amis sûrs au milieu des Waldstettes.; attendons que, comme ils nous l'ont promis, ils nous annoncent un danger réel. »

On se persuada bientôt que ces temporiseurs avaient raison. En effet, les nouvelles alarmantes cessèrent. Ce bruit continuel de guerre, qui arrivait incessamment des Waldstettes, fut inter. rompu. Plus d'alarmes, plus de craintes. Calme trompeur !

Au-dessus des montagnes et des vallées de la Suisse plane ce silence sombre et mystérieux qui précède de grandes catastrophes.

Pendant que l'on s'endormait à Zurich, les Waldstettes se préparaient à conquérir leurs droits par les armes. Les chefs, étroitement unis entre eux par des intérêts et 378

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle des périls communs, trouvaient un puissant appui dans l'indignation du peuple.

Dans une diète des cinq cantons, tenue à Brunnen, sur les bords du lac de Lucerne, en face du Grütli, on' avait lu les alliances de la Confédération; et les députés ayant été sonnés de déclarer par leurs votes s'ils jugeaient la guerre juste et légitime, toutes les mains s'étaient levées en frémissant. Aussitôt, 'les Waldstettes avaient préparé leur attaque dans le plus profond mystère. Tous les passages avaient été gardés; toute communication entre Zurich et les cinq cantons avait été rendue impossible. Les amis que les Zurichois comptaient dans les cantons de Lucerne et de Zug et qui leur avaient promis leurs avis, étaient comme prisonniers dans leurs vallées; et les pâtres de ces montagnes allaient descendre de leurs sauvages sommités, traverser leurs lacs et arriver jusque sur l'Albis, en renversant tout sur leur passage, sans que les hommes de la plaine eussent armé leurs bras. Les médiateurs étaient retournés sans espoir dans leurs cantons. Un esprit d'imprudence et d'erreur, funeste avant-coureur de la chute des républiques aussi bien que de celle des rois, était répandu sur toute la ville de Zurich. Le Conseil avait d'abord donné l'ordre d'appeler les milices ; puis, trompé par le silence des Waldstettes, il l'avait imprudemment, révoqué, et Lavater, commandant de l'armée, s'était retiré mécontent à Kybourg, et avait jeté avec indignation loin de lui cette épée qu'on lui ordonnait de laisser dans le fourreau.

Ainsi les vents allaient se déchaîner des montagnes; les eaux de l'abîme allaient s'entrouvrir; et pourtant le vaisseau de l'État, tristement abandonné, jouait et voguait çà et là avec indifférence sur un gouffre affreux, les vergues calées, les voiles flasques et immobiles, sans boussole, sans bateliers, sans pilote sans vedette et sans gouvernail.

Quels que fussent les efforts des Waldstettes, ils ne parvinrent pas à étouffer complétement le bruit de guerre qui, de chalet en chalet, appelait aux armes tous leurs citoyens. Dieu permit qu'un cri d'alarme, un seul il est vrai, vînt retentir aux oreilles des Zurichois. Le 4 octobre, un jeune garçon, qui ne savait ce qu'il faisait, parvint à franchir la frontière de Zug, et se présenta avec deux pains à la porte du monastère réformé de Cappel, placé aux dernières limites du canton de Zurich. On l'introduisit auprès de l'abbé, à qui l'enfant remit ses pains, sans mot dire. L'abbé, près duquel se trouvait en ce moment un conseiller de Zurich, Henri Peyer, envoyé par son gouvernement, pâlit à cette vue. « Si les cinq cantons veulent entrer à main armée dans les bailliages libres, avaient dit ces deux Zurichois à l'un de leurs amis de Zug, vous nous enverrez votre fils avec un pain; mais vous lui en remettrez deux, s'ils marchent à la fois sur les bailliages et sur Zurich. » L'abbé et le conseiller écrivirent en toute hâte à Zurich. « Mettez- vous sur vos gardes, prenez les armes ! »

disaient-ils; mais on n'ajouta pas foi à cet avis. On était alors tout occupé des mesures à prendre pour empêcher que des vivres arrivés de l'Alsace ne parvinssent dans les cantons. Zwingle lui-même, qui n'avait cessé d'annoncer la guerre, n'y crut 379

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle pas. « Ce sont d'habiles gens vraiment que les pensionnaires, dit le Réformateur; ces préparatifs pourraient bien n'être autre chose « qu'une ruse française [1] !»

Il se trompait; c'était une réalité. Quatre jours devaient accomplir la ruine de Zurich.

Parcourons l'une après l'autre ces sinistres journées.

Le dimanche 8 octobre, un messager se présenta à Zurich, et redemanda, au nom des cinq cantons, les lettres d'alliance éternelle *[2]. La plupart n'y virent encore qu'une' ruse; mais Zwingle commença à discerner la foudre dans le nuage noir qui s'approchait. Il était en chaire (c'était fa dernière fois qu'il devait y monter); et comme il eût eu le spectre de Rome, s'élevant redoutable et effrayant derrière les Alpes, lui demander à lui et à soit peuple d'abandonner la foi : « Non...s'écria-t-il, je ne renierai pas mon Rédempteur ! »

An même moment, un messager arrivait en hâte, de la part de Mullinen, commandeur des chevaliers moines de Saint-Jean, àr Ffitzkslch. à Vendredi 6

octobre, faisaient-ils dire aux Conseils de Zurich, les Lucernois ont arboré leur barrière sur la grande place [3].Des hommes, que j'ai envoyés à Lucerne, y ont été jetés en prison. Demain matin, lundi 9 octobre, les a cinq cantons entrent dans les bailliages. Déjà et les gens de la campagne, effrayés et fugitifs, ce accourent en foule vers nous. »

C'est un conte ! » Dit-on dans- le Conseil [4]. Néanmoins on rappela le capitaine en chef Lavater, qui fit partir un homme sûr, neveu de Jacques Winckler, avec ordre de se rendre à Cappel, et, s'il le pouvait, à Zug, pour reconnaître les dispositions des cantons.

Les Waldstettes se rassemblaient en effet autour de la bannière de Lucerne. Des Lucernois, des hommes de Schwitz, d'Uri, de Zug et d'Underwald, des réfugiés de Zurich et de Berne, quelques italiens enfin, formaient le corps d'armée appelé à se rendre dans les bailliages libres. Deux manifestes furent adressés, l'un aux cantons, et l'autre aux princes et aux peuples étrangers.

Les cinq cantons y exposaient avec énergie les atteintes portées aux traités, la discorde semée dans toute la Confédération, et enfin le refus de leur vendre des vivres, refus qui n'avait pour but, selon eux, que de soulever le peuple contre ses magistrats, et d'établir ainsi la Réforme par la force. « Il n'est pas vrai, ajoutaient-ils, que, comme on ne cesse de le crier, nous nous opposions à ce qu'on prêche la vérité et à ce qu'on lise la Bible. Membres obéissants de l'Église, nous voulons recevoir tout ce que cette sainte mère reçoit. Mais nous rejetons les livres et les innovations de Zwingle et de ses compagnons [5]. »

A peine les messagers chargés de ces manifestes étaient-ils partis, que le premier corps d'armée se mit en marche, et arriva vers le soir dans les bailliages libres. Les soldats étant entrés dans les églises abandonnées, et ayant vu que les images 380

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle étaient enlevées et les autels brisés, leur colère s'enflamma; ils se répandirent dans tout le pays comme un torrent, pillèrent tout ce qu'ils rencontrèrent, et, se jetant surtout sur les maisons des pasteurs, y détruisirent tout, en prononçant des jurements et des malédictions. En même temps, les corps qui devaient former la principale armée marchèrent sur Zug, pour se diriger de là sur Zurich.

Cappel, à trois lieues de Zurich et à une lieue de Zug, était le premier lieu que l'on rencontrait sur le territoire zurichois, après avoir franchi la frontière des cinq cantons. Près de l'Albis, entre deux collines de même hauteur, les Granges au nord, et l'Ifelsberg au sud, s'élevait, au milieu de belles prairies, cet antique et ride couvent de l'ordre de Cîteaux, dont l'église renfermait les tombeaux de plusieurs anciennes fkimilles nobles de ces contrées. L'abbé Wolfgang Joner, homme pieux, juste, grand ami des arts et des lettres, et prédicateur distingué, avait réformé son couvent en 1527. Plein de compassion, riche eu bonnes œuvres, surtout envers les pauvres du canton de Zug et des bailliages libres, il était en grand honneur dans tout le pays [6]. Il prédit la fin que la guerre devait avoir; cependant, dès que le danger fut proche, il n'épargna ni veille, ni travail, pour servir sa patrie.

Dans la nuit du dimanche au lundi; l'abbé reçut la nouvelle positive de ce qui se préparait à Zug. Il parcourait sa chambre à pas précipités, et calculait l'arrivée prochaine de l'ennemi. - Il s'approcha de sa lampe, et s'adressant à son intime ami Pierre Simuler, qui lui succéda et qui résidait alors à Kylchherg, village des bords du lac, à une lieue de la ville, il traça en toute hâte ces paroles :

« La grande inquiétude et le trouble qui m'agitent me rendent incapable de m'occuper de l'économie de la maison, et me portent à vous écrire tout ce qui se prépare. Le temps est arrivé... la verge de Dieu se montre ... Après beaucoup de courses et d'informations, nous avons appris que les cinq cantons se mettent aujourd'hui, lundi, eu marche pour s'emparer d'Hitzkylch, tandis que le grand corps d'armée rassemble ses bannières à Baar, entre Zug et Cappel. Ceux de la vallée de l'Adige et les Italiens arriveront aujourd'hui ou demain. » Cette lettre, par quelque circonstance imprévue, ne parvint que le soir à Zurich.

Sur ces entrefaites, le neveu de Jacques Winckler, que Lavater avait envoyé, tantôt se couchant à plat ventre pour passer inaperçu auprès des sentinelles, tantôt se cramponnant aux broussailles, avait franchi des lieux où nul chemin n'était frayé.

Arrivé non loin de Zug, il avait découvert avec effroi les milices des Waldstettes, qui, de tous côtés, accouraient à l'appel, puis, traversant de nouveau des passages inconnus, il était retourné promptement à Zurich pour y porter ces nouvelles [7].

Il eût été temps que le bandeau tombât des yeux des Zurichois; mais l'aveuglement devait durer jusqu'à la fin. Le Conseil qui s'assembla a ne se trouva qu'en petit nombre.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Les cinq cantons, y dit-on, font un peu de bruit pour nous effrayer et nous faire lever le blocus [8]'.» Le Conseil décida pourtant d'envoyer à Cappel le colonel Rodolphe Dumysen et Ulrich Funk pour voir ce qui en était, et chacun, tranquillisé par cette insignifiante mesure, s'en alla chercher quelque repos.

On ne dormit pas longtemps. D'heure en heure arrivaient à Zurich des messagers d'alarme « Les bannières de quatre cantons sont réunies à Zug, disaient-ils ; on n'attend plus que celle d'Uri. Les gens des bailliages libres accourent à Cappel, et demandent des arquebuses... Du secours ! du secours ! »

Avant jour, le Conseil, de nouveau rassemblé, ordonna la convocation des Deux-Cents. Un vieillard qui avait blanchi sur les champs de bataille et dans les conseils de l'État, le banneret Jean Schweizer, levant sa tête affaiblie par l'âge et lançant de ses yeux comme un dernier éclair, s'écria : « Maintenant, à l'instant même, au nom de Dieu, envoyez une avant-garde à Cappel; et que l'armée, se réunissant promptement autour de la bannière, suive aussitôt. » Il dit, et se tut. Mais le charme n'était pas encore détruit. « Les paysans des bailliages libres, répondirent quelques-uns, sont fougueux et emportés, nous le savons; ils font la chose plus grande qu'elle n'est, plus sage est d'attendre le rapport des conseillers. » Il n'y avait plus dans Zurich ni bras, ni conseil.

Il était sept heures du matin, et l'assemblée était encore réunie, quand Rodolphe Gwerb, pasteur de Rifferschwyll, près de Cappel, arriva précipitamment. « Les gens de la seigneurie de bnonan, dit-il, se pressent en foule autour du couvent, et demandent à grands cris des chefs et du renfort ; car l'ennemi s'approche. Nos seigneurs de Zurich, disent-ils, s'abandonnerait-ils donc eux-mêmes, et nous avec eux? Veut-on nous livrer à la boucherie ?... » Le pasteur, gui avait vu ces tristes scènes, parlait avec animation. Aussi les conseillers, dont l'aveuglement devait aller jusqu'au bout, furent-ils choqués de son langage. «On voudrait nous faire agir en imprudents,» dirent-ils; puis ils se renfoncèrent dans leurs fauteuils.

A peine avaient-ils cessé de parler, qu'un nouveau messager se présente, portant sur ses traits les signes du plus grand effroi : c'était Schwyzer, aubergiste du Hare, sur le mont Albis. « Messeigneurs Dieysen et Funk s'écrie-t-il, m'envoient en toute hâte pour annoncer au Conseil que les cinq cantons se sont emparés d'Hitzkylch, et qu'ils rassemblent maintenant toutes leurs bannières à 13aar. Messeigneurs restent dans les bailliages, pour aider les habitants effrayés. » Cette fois, les plus rassurés pâlirent. L'épouvante, si longtemps contenue, se répandit en un moment dans tous les esprits [9]. Hitzkylch était au pouvoir de l'ennemi, et la guerre commencée.

On résolut de faire partir pour Cappel un corps de six cents hommes, avec six pièces de canon; mais on en confia le commandement à George Goldli, dont le frère était dans l'armée des cinq cantons, et on lui enjoignit de se tenir sur la défensive.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Goldli et sa troupe venaient de sortir de la ville, quand le capitaine général Lavater, appelant dans la salle du Petit-Conseil le vieux banneret Schweizer, le capitaine des arquebusiers Guillaume Toning, le capitaine du train Dennikon, Zwingle et quelques autres, leur dit : Avisons promptement aux moyens de sauver le canton et la ville. Que le tocsin appelle à l'instant même tous les citoyens aux armes. » Le capitaine général craignait que les Conseils ne reculassent devant cette mesure, et il voulait emporter le Landsturm par le simple avis des chefs de l'armée et de Zwingle. « Nous ne pouvons le prendre sur nous, lui répondit-on ; les deux Conseils sont encore rassemblés : portons-leur cette proposition. » On se précipite vers le lieu de l'assemblée; mais, fatal contretemps! il ne restait plus sur les bancs que quelques membres du Petit-Conseil. « Le consentement des Deux-Cents est nécessaire, »

dirent-ils. Encore un nouveau retard, et déjà l'ennemi est en marche.

A deux heures après-midi, le Grand—Conseil se réunit, mais pour faire de longs et inutiles discours [10]. Enfin la résolution fut prise, et à sept heures du soir le tocsin commençait -à sonner dans toutes les campagnes; malheureusement la trahison se joignant à tant de lenteur, des gens, qui se prétendaient envoyés de Zurich, firent en plusieurs lieux arrêter le Landsturm, comme contraire à l'opinion du Conseil. Un grand nombre de citoyens ne se rendirent point à l'appel.

La nuit fut effrayante. Les ténèbres, un violent orage, le tocsin .qui retentissait de tous les clochers, le peuple qui accourait aux armes, le bruit des épées et des arquebuses, le son des trompettes et des tambours mêlé au sifflement de la tempête, la défiance, le mécontentement, la trahison même, qui répandaient' partout d’angoisse, les sanglots des femmes et des enfants, les cris qui accompagnaient de déchirants adieux, un tremblement de terre qui survint vers neuf heures du soir, comme si la nature elle-même eût frémi du sang qu'on allait répandre, et secoua violemment les montagnes et les vallées a, tout rendait terrible cette fatale nuit, qui devait être suivie d'un jour plus fatal encore.

Pendant que le Grand-Conseil délibérait, les Zurichois, campés sur les hauteurs de Cappel, au nombre d'environ mille hommes, attachaient leurs regards sur bug et sur le lac, observant attentivement la moindre évolution. Tout à coup, un peu avant la nuit, ils aperçoivent quelques barques chargées de soldats, qui, venant d'Art, sillonnent le lac et se dirigent à force de raines sur Zug. Leur nombre augmente; un bateau succède à l'autre; bientôt on entend distinctement mugir le taureau de cor) d'Uri'[11], et l'on découvre sa bannière. Les barques s'approchent Zug; on les amarre au rivage, couvert d'une foule immense; les guerriers d'Uri et les arquebusiers de l'Adige en descendent; on les reçoit avec des acclamations ; ils prennent leurs quartiers pour la nuit : voilà tous les ennemis ralliés, Eu toute hâte, on le fit savoir au Conseil.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle L'agitation était, encore plus grande à Zurich qu'à Cappel ; l'incertitude y augmentait la confusion. L'en envi attaquant à 4 fois de divers côtés, on ne savait où il fallait surtout porter la défense. A demi-heures de la nuit, cinq cents hommes, avec quatre capons, partirent pour Bremgarteii, et trois à quatre cents, avec quatre canons, pour Waçlenschwyl. Ainsi l'on se portait à droite et à gauche, et c'était en face qu'était l'ennemi!

Effrayé de sa faiblesse, le Conseil résolut de s'adresser sans retard aux villes de la combourgeoisie chrétienne. « Comme celte révolte, leur écrivit-« il, n'a d'autre cause que 14 Parole de Dieu, nous vous conjurons une fois, deux fois, trois fois, aussi hautement, aussi sérieusement, aussi positivement et aussi vivement que nos antiques alliances et notre combourgeoisie chrétienne nous permettent et nous commandent de le faire, d'accourir, sans nul délai, avec toutes vos forces. Hâte !

hâte ! hâte! agissez le plus promptement possible [12]. Ce sont vos périls comme les nôtres. » Ainsi parlait Zurich; mais il était déjà trop tard.

Au point du jour, on arbora la bannière devant l'hôtel de ville; au lieu de se tenir fièrement déployée, elle retombait toujours mollement sur elle-même, triste présage, qui remplit plusieurs de crainte. Lavater vint se ranger sous cet étendard vénéré; mais il s'écoula longtemps avant que quelques centaines de soldats se fussent rassemblés [13]. Sur la place et dans toute la ville, régnaient le désordre et la confusion. Les milices, fatiguées par une marche précipitée ou une longue attente, étaient abattues et découragées.

A dix heures, sept cents hommes seulement se trouvaient sous les armes. Les égoïstes, les indifférents, les amis de Rome et des pensions étrangères, étaient restés dans leurs foyers. Quelques vieillards qui avaient plus de courage que de force, quelques membres des deux Conseils dévoués à la sainte cause de la Parole de Dieu, plusieurs ministres de l'Évangile qui voulaient vivre et mourir avec la Réforme, les plus courageux d'entre les bourgeois, et un certain nombre de paysans venus surtout des environs de la ville, voilà les défenseurs qui, dénués de cette force morale si nécessaire à la victoire, sans armure complète et sans uniforme, se pressaient en désordre autour de la bannière de Zurich.

L'armée eût dû être au moins de quatre mille hommes. On attendait encore ; le serment ordinaire n'avait point été prêté; et cependant, courriers sur courriers arrivaient troublés, haletants, pour annoncer le danger terrible qui menaçait Zurich.

Toute cette foule confuse s'émeut, on n'attend plus les ordres des chefs, et plusieurs, sans prêter serment, se précipitent hors des portes. Environ deux cents hommes partirent ainsi à la débandade. Tous ceux qui demeuraient se préparaient au départ.

Au milieu de cette agitation chacun demandait Zwingle. « S'il ne vient, qui nous donnera conseil ? Disaient les uns. Qui nous consolera ? Disaient les autres. C'est notre antique usage, rappelaient tous les Zurichois, que la grande « bannière ne 384

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle sorte jamais de nos murs, sans que l'un des principaux serviteurs de l'Église ne parte aussi avec elle. » Le Conseil appela Zwingle comme aumônier.

Sur la place de la cathédrale, devant la maison même du Réformateur, se rassemblait une partie de l'armée. Un cheval harnaché piétinait sous ses fenêtres.

Onze heures allaient sonner quand on le vit sortir. Il avait le regard ferme, mais voilé par la tristesse. Il se séparait de sa femme, de ses enfants, de ses nombreux amis, sans se faire illusion sur l'avenir, et l'âme brisée [14]. Il discernait la trombe épaisse qui, poussée par tin vent terrible, s'avançait en tourbillonnant. Hélas! il avait lui-même suscité ces tourbillons en quittant l'atmosphère de l'Évangile de paix, et se jetant au milieu des passions politiques. Il était convaincu qu'il serait la première victime. Quinze jours avant l'attaque des Waldstettes, il avait dit, du haut de la chaire : « Je sais, je sais ce qui en est... « C'est de moi qu'il s'agit... Tout cela arrive... pour « que je meure [15]. » Cependant, dès qu'il reçut l'appel du sénat, il n'hésita pas, et se prépara au départ sans étourdissement, sans colère, avec le calme d'un chrétien qui se remet tranquillement entre les mains de son Dieu. Si la cause de la Réforme devait périr, il était prêt à périr avec elle.

Zwingle avait trouvé dans Anna Reinhard une compagne non-seulement de sa vie, mais encore de son ministère. Tous les soirs ils lisaient ensemble la Bible. Un exemplaire des saintes Écritures, que Zwingle lui avait donné, fut jusqu'au tombeau le livre favori d'Anna [16]. Nul n'avait été plus zélé qu'elle à répandre le volume sacré. Elle accueillait sous son toit, avec une sainte affection, les étrangers bannis pour l'Évangile. Elle remplaçait souvent Zwingle près des malades, et leur portait des remèdes, des aliments, des vêtements et des consolations. « Voilà, disaient plusieurs en la « voyant passer, voilà la torcas' [17] des Écritures ! » Le dimanche après-midi, elle réunissait dans sa chambre les femmes des pasteurs de la ville, pour s'entretenir avec elles du Seigneur et des moyens de le servir dans la personne des pauvres; et quand les occupations de leurs époux le permettaient, tous ensemble chantaient des cantiques composés par Zwingle et Léon Juda. Telles étaient les saintes occupations qui avaient succédé, dans les presbytères, aux scènes de dissolution des prêtres de Rome.

C'était d'une compagne si précieuse que Zwingle devait maintenant s'éloigner.

Entouré de sa femme, de ses amis en larmes, de ses enfants qui s'attachaient à son manteau pour le retenir, il sortait de cette maison où il avait goûté tant de bonheur.

Arrivé près de son cheval : «L'heure est venue, dit-il à Anna, qui, la tête appuyée sur sa poitrine? L’arrosait de ses larmes, où il faut nous séparer ! Le Seigneur le veut...

Amen... Qu'il soit avec toi,... avec moi,... avec les nôtres ! » Il l'embrassa. D'affreux pressentiments ôtaient presque à Anna l'usage de la parole. Enfin elle dit en tremblant :

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Le Seigneur le veut, dit Zwingle. Que sa volonté se fasse! » Anna reprit aussitôt: «

Et quand vous reviendrez, que rapporterez-vous? — « Après l'heure des ténèbres, la bénédiction [18], » dit-il. En même temps il embrassa ses enfants, et se précipita loin d'eux et de leur mère.

- Au moment où, la main sur son cheval, il allait y monter, la bête recula brusquement de quelques pas, et quand il fut une fois placé en sellé, elle 'refusa longtemps d'avancer, se cabrant et caracolant en arrière, comme le cheval de celui (kali les bornes des peuples, au moment où, préparant sa ruine, il allait passer le Niémen. Aussi plusieurs pensèrent-ils alors dans Zurich ce que dit ce soldat, qui, en voyant renversé celui qui faisait trembler la terre, s'écria : « ceci est d'un mauvais présage; un Romain reculerait [19]. » Enfin, Zwingle, resté le plus fort, lâchant la bride, piqua des deux, lança son cheval, et partit.

Les regards de ceux qui le voyaient passer ne pouvaient se détourner de lui. Les hommes, les femmes, les enfants se le montraient l'un à l'autre dans la rue : «

Regarde-le encore une fois disait celui-ci, tu ne le verras planhs! — « Le Seigneur le conduise! s'écriait celui -là. » —« Ah! Reprenait un troisième, dernièrement, quand il est allé de nuit à Bremgarten, n'a—t-il pas prit congé de Bullinger, comme un homme qui marche à la mort [20]? »

A onze heures la bannière avait été déployée, et tout ce qui restait sur la place, cinq cents hommes environ, s'était mis en marche avec elle. La plupart ne s'étaient arrachés qu'avec peine aux bras de leurs familles, et marchaient graves, silencieux,, comme s'ils se fussent rendus à l'échafaud, et non à la bataille. Point d'ordre, point de plan de campagne; des hommes isolés et épars, qui couraient avant et après le drapeau, et dont l'extrême confusion présentait le plus triste aspect [21] ; en sorte que ceux qui restaient, les femmes, les enfants, les vieillards, remplis de sinistres pressentiments en les voyant passer, se frappaient la poitrine, et que, bien des années après, le souvenir de ce jour de tumulte et de deuil arrachait encore ce cri à Oswald Myconius: « Toutes les fois que je me le rappelle, c'est comme si une épée traversait mon âme. » Zwingle, armé selon la coutume des aumôniers de la Confédération, se tenait tristement à cheval derrière cette multitude désolée.

Myconius, en le voyant, fut près de défaillir [22]. Zwingle disparut, et Oswald resta avec ses larmes.

Il n'était pas seul à en verser; partout on entendait des soupirs, et toutes les maisons se changeaient en maisons de prière [23]. Au milieu de cette universelle douleur, une femme se tenait muette, ne trouvant d'autre cri que l'amertume de son âme, d'autre langage que le doux et suppliant regard de sa foi. C'était Anna. Elle venait de voir s'éloigner son mari, son fils, son frère, un grand nombre d'amis intimes et de proches parents, dont elle prévoyait la mort. Mais son cœur, fort comme celui de son époux, présentait à Dieu le sacrifice de ses affections les plus 386

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle saintes. Peu à peu, les défenseurs de Zurich hâtant leur marche, le tumulte s'éloigna.

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FOOTNOTES

[1] Dise ire Rüstung môchte wol eine franiksische prattik III, p. 86.)

[2] Die evrigeBund abgefordert. (J. J. Itottinger, NI, p. 571.) D'après Bullinger, il semblerait que cette démarche n'eut lieu que le lundi.

[3] Tee paner in d'en Ilrunnen gesteckt. In; p. 86.)`

[4] Ein gepiick und préigerey und nut darauff setzend.(Ibid.)

[5] Als wir vertruwen Gott und der Welt antwurt zu geben. (Bull., II, p. zoi.)

[6] Die Zyt ist hie, das die rut Gottes sich wil erzeigen. (Bull., III, p. 87.)

[7] Paben den Wachten, durch umwâg und gestriipp. (Ib.)

[8] Sy machtind alein ein gepriig. (Ibid. p. io3.)

[9] Ward sovil und langdarinn geradtschlagt. (Bull.III, p. o6.)

[10] Ein starker Erdbidem, der das Land, auch Berg und Thal gwaltiglich erschiitt.

(Tschoudi, Helvetia, II, p. i86.)

[11] Vil schiffen uff Zug faren, und bort tpan luyen tien Uri Stier. (Bull., Hi, p. 109.)

[12] Ylentz, ylentz, ylentz, uffs aller schnellesi (Bull., III, p. Io.)

[13] Sammlet sich doch das Volck gmachsam. (Bulling.; III, p. lm)

[14] Anna Reinhard, par G. Meyer de Knonau, p. 33.

[15] Ut ego tollar fiunt omnia. (De vita et obitu Zwinglii, blyconius. )

[16] C'était le premier exemplaire de la Bible imprimée dans le format in-I 2, selon la traduction de Léon Juda et de Zwingle. (Anna Reinhard, von Salomon Hess, p.

99.)

[17] tc 14.ceis revetrat-24ms ? a Si Ibid., p. 30.

[18] Segen nach dunkler Nacht. (Ibid., :p. 146.)

[19] Ésaïe, ch. X, v. 13; ch. XIV, v.16 . Ségur, Histoire de Napoléon et de la grande armée, I, p. 142.

[20] einer der in den Tod geht. (S. Hess. Ursprung und Gang der Glaubens-Verbess., p. 82.)

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[21] Hus ordo, nulla consilia, nullœ mentes, tanta animorum dissonantia, tam horrenda facies ante et post signa sparsim currentium hominum. (De vita et obitu Zwinglii.)

[22] Quem ut vidi, repentino dolore cordis vix consistebam. (Ibid.)

[23] Manebawus, non carte sine jugibus suspiriis, non sine precibus ad Deum. (Ib.) 388

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VII.

Départ des Waldstettes. — Exhortation et prière. — Déclaration de guerre. — Conseil de guerre. — L'armée des cantons sur l'lfelsberg. — Le bois de hêtre. — Attaque d'avant-garde. — Ils sont repoussés. — Le Prêtre de Zug. — Le Marais. — Tristesse de Zwingle. —L'armée de Zurich monte l'Albis. —Halte et conseil au Hêtre. —Paroles de Zwingle et de Schweizer. — Vue de l'Albis. —Arrivée de la bannière.—Les Waldstettes atteignent la hauteur. — Reconnaissance de Jauch. — Appel et entreprise de Jauch Cette nuit si agitée à Zurich n'avait pas été plus tranquille à Cappel. On y avait reçu coup sur coup les avis les plus alarmants. Il fallait prendre une position qui permît à la troupe, réunie au couvent, de résister à l'ennemi jusqu'à l'arrivée des renforts attendus de la ville. Au-dessus du monastère, au nord-ouest, du côté de Zurich, le sol s'élève rapidement, et forme un plateau que le conseil de guerre avait ci-devant inspecté, et trouvé propre à un campement. On jeta les yeux sur cette hauteur, traversée par la grande route, et qui présente une surface inégale, mais assez étendue, où avaient été des granges, dont il ne restait qu'en pan de muraille.

Un lui seau profond, le Muhle ou Muhlegraben, l'enfermé ais Nord et à l'ouest, et un petit pont jeté sur ce torrent était alors la seule issue du côté de Zurich, circonstance qui devait rendre très-dangereuse une retraite précipitée. Au sud-est, du côté d'Ebertschwyl, est un bois de hêtres, d'une forme allongée; au sud-ouest, du côté de Zug, la grande rente et un terrain marécageux. Un peu au-dessous du plateau des Granges, et au-dessers couvent, se trouvait la laiterie où se préparait le beurre et le fromage des habitants du monastère, seuls propriétaires dans ces quartiers.

«Conduisez-nous aux Granges, » s'écrièrent tous les soldats. On les y conduisit. On plaça l'artillerie près du pan de mur, au-dessus de la laiterie; le front de bataille fut rangs en face du monastère et de Zug, et des sentinelles furent posées au pied du coteau.

En même temps 'le signal est donné à Zug et à Baar. Or bat l'appel. Les soldats des cinq cantons se mettent tous' les armes. Un sentiment universel de joie les anime.

Les temples s'ouvrent, les cloches sonnent, les troupes serrées des cantons entrent dans l'église de Saint-Owald on célèbre la messe; l'hostie est offerte pour les péchés dtr peuplé; et l'armée entière se met en marche à neuf heures, enseignes dé.-

ployées. L'avoyer Jean Gold'er commande le Contingent de Lucerne; le Landamman Jacques Trogumr, celui d'Uri; le landammann) Ayelmint, ennemi mortel de la Réformation, celui de Schwitz; lanclanunan Zellger, celui d'Underwald, et Oswalil DOM e celui de Zug. Huit mille hommes marchent en ordre de bataille; toute l'élite des cinq cantons est M. Frais et dispos à la suite d'une nuit tranquille, n'ayant qu'une petite lieue de pays franchir pour atteindre l'ennemi, ces fiers Waldstettes s'avancent d'un pas ferme et régulier, sous le commandement de leurs chefs.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Parvenus à la prairie communale de Zug, ils font halte pour y prêter serment; toutes les mains se lèvent, et ils jurent de se venger. On allait se remettre en marche, quand quelques hommes 'itglés font signe qu'on s'arrête. « Camarades, Nos blasphèmes, nos jurements, nos guerres, nos vengeances, notre orgueil, nos ivrogneries, a nus adultères, For, de d'étranger vers lequel nos mains se sont étendues, tous .les débordements -« auxquels nous nous sommes livrés, ont telle«

ment provoqué la colère .du Seigneur, que si ce jour il nous frappait, nous n'aurions que ce que s nos crimes ont mérité. D L'émotion des chefs s'était communiquée aux soldats.

Toute l'armée plie le genou au milieu de la plaine; il se fait un grand silence, et chaque soldat, la tête inclinée et se signant dévotement, récite à voix basse cinq Pater, cinq Ave, et le Credo. an eût dit pendant quelque temps qu'on était dans un vaste et silencieux désert. Tout à coup le bruit d'une foule immense se fait de nouveau entendre. L'armée se relève. « Soldats, .dia sent alors les capitaines, marchons en toute hâte à l'ennemi. La grande bannière de Zurich arrivera bientôt à Cappel ; d'autres villes s'ébranlent pour secourir les Zurichois... Attaquons-les avant qu'ils aient réuni toutes leurs forces. Si nous frappons le premier coup, nous garderons jusqu'à la fin l'avantage. Soldats! vous savez la cause de cette guerre.

Ayez sans cesse devant les yeux vos femmes désolées et vos enfants mourants de faim. »

Alors le grand sautier de Lucerne, revêtu des couleurs du canton, s'approche des chefs de l'armée. On lui remet la déclaration de guerre, datée du jour même, et scellée du sceau de Zug; puis il part à cheval, précédé d'un trompette, pour porter cet acte au capitaine zurichois.

Il était onze heures du matin. Les Zurichois découvrirent bientôt l'armée ennemie, et jetèrent un triste regard sur la faiblesse de celle qu'ils avaient à lui opposer. De minute en minute le danger croissait. Tous fléchirent les genoux, les regards se levèrent vers le ciel, et chaque Zurichois, s'humiliant profondément devant Dieu, lui demanda la délivrance. La prière finie, on se prépara à la bataille. Il y avait à peu près douze cents hommes sous les armes.

A-midi, la trompette des cinq cantons retentit non loin des avant-postes. Goldli ayant assemblé les membres des deux Conseils qui se trouvaient à l'armée, les officiers et les sous-officiers, et les ayant fait mettre en cercle, ordonna au secrétaire Reinhard de lire la déclaration dont le sautier de Lucerne était porteur.

Après la lecture, Goldli ouvrit le conseil de guerre. « Nous sommes en petit nombre, et la force de nos adversaires est grande, dit Landoit, bailli de Marpac; mais je ne reculerai pas: au nom de Dieu, j'attendrai ici l'ennemi.» — «M-tendre! s'écria le capitaine des hallebardiers, Rodolphe Zigler ; impossible! Le peuple n'est point 390

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle encore sous les drapeaux; profitons du ruisseau qui coupe le chemin pour opérer notre retraite, et provoquons partout une levée en masse. »

C'était en effet un moyen de salut. Mais Rudy Gallmann, regardant un seul pas fait en arrière comme une insigne lâcheté, s'écria, en frappant avec force la terre de ses pieds, et jetant un regard de feu tout autour de lui : « C'est ici, c'est ici que sera ma tombe! [1]» — « Il est maintenant trop tard pour se retirer avec honneur, dirent d'autres officiers. Cette journée est dans cc les mains de Dieu; remettons-nous-en sans réserve à sa volonté sainte, et souffrons ce qu'il cc nous donne à souffrir. » On alla aux voix.

Les membres du Conseil avaient à peine levé la main en signe d'adhésion, qu'un grand bruit se fit entendre auprès d'eux. «Le capitaine! le capitaine! » s'écriait un soldat des avant-postes qui arrivait précipitamment. « Chut! chut! répondaient les huissiers en le repoussant, on tient « conseil! » — «Il n'est plus temps de tenir conseil, reprit le soldat; conduisez-moi en toute hâte a vers le capitaine. Nos sentinelles se replient, s'écria-t-il d'une voix agitée, en arrivant près de Goldli; l'ennemi est là, il s'avance à travers la a forêt avec toutes ses forces et un grand tumulte. »

Il n'avait pas fini de parler, que les sentinelles, qui se repliaient en effet de tous côtés, accoururent; et bientôt on vit l'armée des cinq cantons gravir le coteau de l'Ifelsberg, en face des Granges. Parvenue sur cette hauteur, avant-garde découvrit sur le plateau, au-dessus de la laiterie, le camp des Zurichois. Elle s'arrêta; on apporta en toute hâte une grosse pièce de canon, pour s'en servir contre la petite armée des Réformés, et d'autres pièces d'artillerie furent braquées dans la même direction.

Les chefs des Waldstettes étudiaient la situation, et cherchaient à découvrir par où leur armée pourrait joindre celle de Zurich. Les Zurichois se faisaient la même question. — a Pensez-vous, dit à l'abbé Joner, dé Cappel, le capitaine Goldli, que l'ennemi puisse passer sous le couvent, du côté de Leematt, pour atteindre ainsi la hauteur près d'Ebertschwyl? » — «Impossible, répondit Joner, surtout avec de l'artillerie : le sol est trop marécageux. » C'était pourtant la route que les Waldstettes devaient prendre; l'abbé n'était pas très-expert en fait d'opérations militaires.

Il se trouva un homme plus entendu, qui con-,- Kit la possibilité de cette manœuvre: c'était Ulrich Grüder, sous-bailli de Rusen, village au pied de a. un quart de lieue de Cappel. Brüder fixait des regards inquiets sur le bois de hêtres qui s'étend du côté d'Ebertschwyl : Voilà, dit-il, oc par où l'ennemi débouchera sur noua. »— « Des haches! des haches! s'écrièrent aussitôt plusieurs voix; abattons le bois '.» Goldli, l'abbé et d'autres encore s'y opposèrent: « Si nous fermons le bois en renversant les arbres, nous ne pourrons plus nous-mêmes y faire manœuvrer nos canons, dirent-ils.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Eh bien, du moins, lui répondit-on, plaçons-y des canons et des arquebusiers. » r.---

41 Nous sommes déjà en si petit nombre, reprit le capitaine! nous diviser serait imprudent, surtout au moment où l'ennemi va peut-être nous attaquer par la route de Zug. à Ni la sagesse, ni la bravoure, ne devaient sauver Zurich. On invoqua encore une fois le secours de Dieu, et l'on ne bougea.

À. une heure, les troupes des cantons, campées sur Ifelsberg, lâchèrent leur premier coup de canon, qui, passant au-dessus du couvent, aboutit au-dessous des Granges; un second passa par-dessus l'ordre de bataille; un troisième vint tomber dans une haie adossée au mur. Alors les Zurichois firent aussi jouer leur artillerie, et l'avant-garde des cinq cantons, inquiétée-sur l'Ifelsberg, en descendit pour courir sur l'ennemi, en passant par le petit bois de Wisingen et les prairies nominées le Neu-Gut. Arrivés au-dessous du plateau et de la laiterie, les Waldstettes y placèrent quelques canons, et recommencèrent l'attaque. Les plus vaillants des Zurichois, Dumysen, Viigeli, Huber, Spriingli, et d'autres, fermes près des pièces et des arquebuses, chargeaient, braquaient, pointaient, tiraient, et repoussaient vigoureusement l'assaut. Le bruit était terrible, et les décharges, qui retentissaient jusqu'à Bremgarten et Zurich, portaient au loin l'épouvante. -

Pendant cette lutte meurtrière le corps d'armée des cinq cantons déployait sur l'Ifelsberg ses phalanges menaçantes, puis descendait vers le couvent pour venir en aide à avant-garde. Tout à coup il s'arrête, et les chefs délibèrent. « L'ennemi est campé sur la hauteur derrière sa puissante artillerie, disent-ils, et il y a entre lui et nous des fossés et des haies fort épaisses, que l'on ne pourrait franchir sans une perte considérable.» Pendant ce temps Duniysen ne cessait pas, et le canon de batterie qu'il commandait jetait de plus en plus la terreur dans les rangs des Waldstettes.

« Nous ne pouvons rester plus longtemps sous le feu, s'écriaient ceux-ci : qu'on rappelle l'avant- garde!»

Le trouble et le découragement étaient alors parmi les assaillants; et si des médiateurs se fussent présentés, dit Bullinger, on les eût sans aucun doute écoutés.

« Que faire? se répétaient les Waldstettes inquiets. — Avancer? Impossible ! —

Retourner vers Zug? Quelle honte! — il fau-

« Brait arriver à l'ennemi par les hauteurs d'Ebertschwyl, disaient plusieurs; mais comment ?»

On en était là, quand un prêtre se présente. C'était un Zurichois nommé Rodolphe Wyngartner, qui, dès son enfance, avait habité le couvent de Cappel [2], où il avait plus tard figuré au rang des moines, et qui connaissait, jusqu'au moindre sentier, toutes les ressources de la position. A l'époque de la Réformation, le frère Rodolphe 392

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle s'était réfugié à Zug, dont il était devenu curé. Il craignait maintenant que son plan de vengeance ne se changeât en une honteuse défaite.

« Suivez-moi, dit-il aux chefs; je me charge de vous conduire sur la hauteur. »

Aussitôt on donne le signal de la retraite; le feu cesse, et les Waldstettes, faisant volte-face, redescendent en hâte au-dessous du couvent. Il était trois heures.

Bientôt toute leur armée se trouve engagée dans ces basses prairies situées au-dessous de la chapelle de Saint-Marx, entre Cappel et Leematt, que l'abbé avait jugées impossibles à franchir.

Les plus pesants canons s'enfoncent dans ce sol marécageux; les plus légers eux-mêmes y demeure ou fouette les chevaux, ou pousse aux Wecesee n'est qu'avec un travail raout qu'on parvient à avancer, Le découragement et l'effroi se répandent dans les rangs'. On accuse le prêtre, qui, seul en avant, montre du doigt la hauteur; ou accuse les chefs. Des arquebusiers zurichois se jettent à la poursuite des Waldstettes, se portent près de la chapelle de Saint-Marx, et leur causent un immense dommage, en sorte que ceux-ci s'écrient : a Si l'ennemi fond maintenant sur nous, nous sommes perdus. » Dans ce moment, des Zurichois qui s'étaient avancés dans le bois de hêtres, du côté cl ‘Ebertschwyl, voient les. Waldstettes, au-dessous d'eux,. Enfoncés dans le marais, et viennent eu toute bâte en apporter au camp la nouvelle. « Braves Zurichois, s'écrie alors Rudi.

Gallmann, si nous attaquons les cinq cantons « dans ce moment, c'en est fait d'eux; mais si nous leur pernieugns d'atteindre le hauteur, dey est fait de pin. » A ces mots, quelques-uns s'apprêtent à pénétrer dans le bois pour foudre de là sur les Waldstettes découragés, et Ilubert de Tuffenbach se met à les suivre avec son artillerie. Cette manœuvre eût décidé la défaite des cinq cantons; car les canons zurichois, postés sur la hauteur, du côté d'Ebertschwyl, auraient arrêté et culbuté l'armée des petits cantons dans les marais où elle était engagée, bien plus facilement encore que lorsqu'elle s'avançait en bon ordre, au-dessus du couvent, sur tirs route frayée. Mais le chef s'obstine, et la sagesse lui fait défaut. Goldli s'étant aperçu du mouvement: « Où allez-vous? dit-il aux canonniers; qui vous a commandé de vous jeter dans le bois ? » « Huber de Tuffenbach,» répondent-ils. — «Et moi, reprend le commandant, je vous ordonne de demeurer. Ne savez- vous pas que l'on est convenu de ne point se séparer ? » Puis il fait revenir les tirailleurs, en sorte que le bois reste entièrement ouvert à l'en, nemi. Seulement les Zurichois dirigent leur batterie et leur ordre de bataille de ce côté, et tirent de temps en temps à coups perdus dans les hêtres, afin d'empêcher les Waldstettes de s'y établir.

Cependant la grande bannière de Zurich et tous ceux qui l'entouraient, parmi lesquels se trouvait Zwingle, s'approchaient eu désordre de l'Albis. Depuis une année la gaieté du Réformateur avait tout à fait disparu ; il était grave, mélancolique, facilement ému, portant sur son cœur un poids qui l'accablait; 393

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle souvent il se jetait avec larmes aux pieds de son Maître, et cherchait dans la prière la force dont il avait besoin. On n'avait remarqué en lui ni irritation, ni colère; au contraire, il avait reçu avec douceur les avis qu'on, lui avait donnés, et était resté sincèrement uni à des hommes dont les convictions n'étaient point les siennes.

Maintenant, il avançait tristement sur la route de Cappel; et Jean Maaler de Winterthur, à cheval, quelques pas derrière lui, entendait ses cris et ses soupirs, entrecoupés de ferventes prières. Si on lui adressait la parole, on le trouvait ferme, et rempli de cette paix que donne la foi ; mais il ne cachait pas la conviction où il était qu'il ne reverrait plus ni sa famille, ni son église. Ainsi allait en avant la troupe de Zurich : marche lamentable qui ressemblait à un convoi funèbre, plutôt qu'à une armée se rendant à la bataille.

A mesure qu'on approchait, on voyait accourir sur la route, du côté de Cappel, exprès sur exprès, suppliant les Zurichois de se hâter de rejoindre leurs frères A Adliswil, l'armée ayant passé le pont sous lequel coulent les eaux impétueuses de la Sihl, et traversé le village au milieu des femmes, des enfants, des vieillards, qui, debout devant leurs chaumières, regardaient avec tristesse cette troupe débandée, elle commença à monter l'Albis. Elle se trouvait à moitié chemin de Cappel, quand le premier coup de canon se fit entendre. On s'arrête, on écoute; un second, un troisième coup suivent le premier... On ne peut plus en douter: la gloire, l'existence même de la république sont compromises, et l'on n'est pas là pour la défendre; le sang s'allume dans les veines; soudain on se réveille, et chacun se met à courir au secours de ses frères. Mais le chemin de l'Albis était alors bien plus rapide que de nos jours. L'artillerie, mal attelée, le passait difficilement; les vieillards, les citadins, peu habitués à la marche et couverts de pesantes armures, n'avançaient qu'avec peine, et ils formaient pourtant la majeure partie de la troupe. On les voyait rester l'un après l'autre, épuisés et haletants, le long de la route, près des broussailles et des ravins de l'Albis, s'appuyant contre un hêtre ou un' frêne, et regardant d'un œil découragé les sommités de la montagne, que couronnaient d'épais sapins. Ils se remettent pourtant en marche; les cavaliers et les plus intrépides des fantassins hâtent leur course, et, arrivés devant l'auberge du Hêtre'[3], sur le haut de l'Albis, ils s'y rassemblent pour prendre conseil.

Quelle vue se présentait alors à leurs regards ! Zurich, le lac, ses bords riants, les vergers, les champs fertiles, les coteaux couverts de vignes, le canton presque tout entier... Hélas! Bientôt peut-être les bandes des Waldstettes dévasteront toutes ces richesses.

A peine ces hommes généreux ont-ils commencé à délibérer, que de nouveaux messagers de Cappel se présentent et s'écrient : « Hâtez-vous !... x. A ces mots plusieurs Zurichois s'apprêtent à presser leur course vers l'ennemi [4]. Le capitaine des arquebusiers, Toning, les retient. « Bons amis, leur crie-t-il, contre de si grandes 394

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle forces que pouvons-nous tout seuls ? Attendons ici que notre peuple se soit rassemblé, et puis fondons sur l'ennemi avec toute une armée. » — « Oui, si nous avions une 'armée, » répondit le capitaine général, qui, désespérant de sauver la république, ne pensait plus qu'à périr avec gloire; « mais nous n'avons qu'une bannière et point de « soldats. » — «Comment rester tranquille mir ces « hauteurs, dit Zwingle, tandis que nous enter>* dons les coups que l'on porte à nos concitoyens?

Au nom de Dieu, je marche vers nos braves, prêt à mourir pour les sauvera. » « Et moi -« aussi, dit le vieux banneret Schweizer. Quant à « vous, ajouta-t-il en se tournant, avec tin regard « mécontent, vers Toning, attendez d'être un peu remis. » «

k suis tout aussi frais que -vous, répondit 'Tering le feu au visage-, et vous verrez «

bientôt si je sais me battre. » Torts précipitèrent leur marche vers le champ de bataille.

Alors se présente aux regards des Zurichois émus l'un des spectacles les plus magnifiques de le Suisse. Devant -eux, au pied de l'Albis, au milieu de 'pelouses émaillées, s'élèvent pittoresque-meut les murs et le clocher de l'antique abbaye de Cappel, autour de laquelle se livrent de si rudes combats; plus bas s'étendent la fertile plaine 'de Baar, pet ses milliers d'arbres fruitiers qui rappellent l'Italie et ses richesses; derrière ce verger de la Suisse apparaît le lac alpestre de Zog, avec sa figure helvétique, ses promontoires gracieux, et ses belles eaux qui viennent mourir au pied du Righi. A gauche, cette montagne maintenant si admirée, à droite le Pilate, l'une facile et boisée, l'autre escarpé et rude, forment comme les deux colonnes d'un amphithéâtre gigantesque, au fond duquel les glaciers de l'Ober‘ land bernois, affermis par la main divine sur de colossales assises, élancent dans les airs leurs pyramides fières et imposantes. Sur le devant, th3i4 pics semblent se donner la main Vierge (Die Jungfrau), toute pore et tonte blanche, et le Moine (Der Mcench), tout sombre et tout noir, rapportés par les flancs escarpés de l'Eiger, forment avec tai tin grotipe majestueux. Phis à l’orient les dents nombreuses du Wetterhorn et du Schreckdhorn étendent pittoresquement lents vives arête et leurs rochers abrupts et neigeux ; et le roi de cette chaîne, le sombre Finsteraarhorn, m'oc ses 3,230 pieds de hauteur, élève, au-dessus d'océans &glace et de gouffres décharii&s, sa tête sévère et menaçante.

Au-delà du Righi, du côté du levant, commence un second amphithéâtre : ce sont les glaciers d'Underwald, d'Uri, de Schwitz le Titlisi le Susten., le Spizliberg, l'Urirot bstoek, le Scheer-horn, bien- d'antres pies encore, avec leurs nues parois, leurs glaces éblouissante si leurs aiguilles élancées' et leurs- dômes arrondis. Plus loin; s'ouvre un troisième tableau fonte par les Alpes de Glaris leurs abîmes stériles et leurs cônes hardis

itrilieu desquels le Glarnisch é tend ses lourdes masses et ses escarpements er•evasS és. Jamais peut-être la main divine n'a réuni tant de grandeurs; et cette 395

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle armée de glaciers, ringée et l bataille dans les cieux, fait sentir encore f dus prok

»!dément aux hommes et à leurs chétives bandes leur petitesse et leur néant.

La descente de l'Albis est rapide; les Zurichois s'enfoncent dans les bois, passent au-dessus du petit lac de Turler, traversent le village de Husen, et arrivent enfin près des Granges. Il était trois heures quand la bannière passa le pont étroit du Mu hie qui y conduisait; et il y avait si peu de monde autour d'elle, que chacun tremblait en voyant cet étendard vénéré exposé aux attaques d'un ennemi si redoutable.

Les forces des cantons se déployèrent alors aux yeux des Zurichois. Zwingle ne pouvait détourner ses regards de ce spectacle menaçant. Les voilà donc ces phalanges de soldats! Quelques instants encore, et les travaux de onze années seront peut-être anéantis pour toujours.

Un citoyen de Zurich, Léonard Bourckhard, peu favorable au Réformateur, lui dit d'un ton dur : Eh bien, maître Ulrich, que dites-vous de cette affaire?... Les raves sont-elles assez salées?... « Qui les mangera 'maintenant' ?» — «Moi, répondit Zwingle, et plus d'un brave qui est ici dans la main de Di eu ; car c'est à lui que nous sommes, dans 'la vie et dans la mort. » « Et moi aussi j'aide rai à les manger, reprit aussitôt Bourckhard, honteux de sa rudesse; j'y veux mettre ma vie.. » C'est ce qu'il fit, ajoute la chronique, et bien d'autres avec lui.

A mesure que les hommes de Zurich arrivaient, ils se rangeaient en ordre de bataille. Pendant ce temps, les chefs tenaient conseil. Ils avaient à peine une armée mal organisée de deux mille combattants. « Nous sommes en petit nombre, disaient quelques-uns, et nous avons devant nous un ennemi formidable. Il faut nous retirer sur l'Albis. » — « Ah ! Répondaient d'autres avec tristesse, puisque c'est dans le nombre et non en Dieu que nous nous confions, il n'y a rien de bon à attendre.

« C'est avec peu de soldats que nos ancêtres ont fait de grandes choses.» —

«Gardons-nous de lâcher pied, s'écriaient plusieurs : l'ennemi épie tous nos mouvements; notre départ ranimerait son courage; il fondrait sur nous, et, au lieu d'une retraite honorable, nous aurions une honteuse déroute. » On résolut de rester.

Cependant les soldats des cinq cantons étaient sortis à grand ‘peine du marais, et, passant par la prairie de Malenstein, ils étaient enfin arrivés sur le plateau élevé que longe la route de Cappel à Ebertschwyl, à mille pas de l'armée réformée. Ils s'y établirent aussitôt, et disposèrent leurs canons sur la route; mais aucun d'eux ne pénétra dans le bois qui les séparait des Zurichois. Le prêtre était venu à bout de son entreprise, et ces bandes redoutables allaient bientôt accomplir leurs vengeances.

Il était quatre heures; le soleil baissait rapidement; les Waldstettes ne bougeaient pas, et les Zurichois, commençant à croire que l'attaque serait renvoyée au lendemain, reprenaient courage.

396

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Où sont-ils ceux qui ont tant fait les braves, disaient-ils, et qui nous ont traités, d'hérétiques? Qu'ils se montrent » Les chefs des cinq, cantons, voyant la grande bannière de Ulrich arrivée, et le jour décliner, cherchaient un, lieu où ils pussent faire, passer la, nuit k leurs troupes,

Les soldats? S'apercevant de l'hésitation de leurs chefs firent éclater leurs murmures. « Les gros? nous abandonnent, disant, l'un, les capitaines, craignent de mordre, la queue du renard, disait un autre. Ne pas attaquer, s’écriaient ils tous, c'est, perdre notre cause ! »

Pendant ce temps, un homme intrépide préparait la manœuvre habile qui devait décider, de, cette journée. Un homme d'Uri, Jean Jauch, ancien bailli de Sargans bon tireur et guerrier expérimenté, osa pénétrer seul dans, le bois de hêtres, appelé le Kalchoffen, qui séparait les deux armées. Le trouvant non gardé, il s'avança jusque, tout près, des Zurichois, et là, caché derrière les arbres, il put, remarquer, sans être vu, leur petit nombre et leur, imprévoyance. Puis, se retirant avec précaution, il redésignait les chefs à l'instant même où, le mécontentement, allait éclater, « Voici le moment d'attaquer » — «Cher compère, lui répondit 'Troguer, capitaine en chef d'Uri, vous ne prétendez pourtant pas que, l'on se mette à l’œuvre à une heure si tardive; on prépare la couchée. Chacun sait, ce qu'il en a coûté à nos pères, à Naples, à,11afielau, pour avoir commencé l'attaque peu avant la nuit.

D'ailleurs, c'est le jour des, Ituipeents, et jamais nos ancêtres APPAL TsT rverTPemisig e

u n'ose livré de bataille un jour* fête ./.» «Xlais-«,sons-lè iityloceAts du ç4endrier, reprit vive- ement JatTch, est so.uyeens-nous de ceux que « nqus Lyon, laissesideris n9s,c4lets. »

,GasparsI,Gfol■Flli, de Zuricrlil, frère du çommandant des Granges, joignit ses instances ceVes brave ol'tt,Tri. « 11,faut, dit-il, oupere les Zurichois ace ou ,être battus par eux ,demain

çhQi-

sc »

Tout ,é»iit ,les chefs ,se ‘montraient ,in-

41e3iihles, et ,la .tr,(t:mpe se préparait .à camper pour .1f1 quit. Alor,s te hmli, çorm. prenant, comme autrefois Tell ,son ,competriote, qu'il Saut aux grands maux les grands remèdes, tire son épée et s'écrie : « Que les vrais confédérés me

« suivent [6] !» Puis, sautant précipitamment en selle, il lance son cheval dans la forêt [7]. Des.ar-quebusiérs, des soldats de plusieurS autres braves des cinq cantons, et surtout d'Underwald, en tout environ trois cents hommes, se précipitent dans le 397

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle bois sur ses pas. A cette vue, Jauch ne doute plus du salut dés Waldstettes: il descend de cheval, se jette à genoux; car, dit Tschoudi, il était un homme craignant Dieu : ses gens font de même, et tous ensemble invoquent le secours de Dieu, de sa sainte mère, et de toute l'armée céleste; puis ils s'avancent. Mais bientôt le guerrier d'Uri, ne voulant exposer que lui seul, fait faire halte à sa troupe, et se glisse à travers les hêtres jusqu'au bout du bois. Voyant alors que l'ennemi est toujours dans la même imprévoyance, il rejoint ses arquebusiers, les fait avancer mystérieusement, et les place en silence derrière les arbres de la forêt', leur enjoignant de préparer leur coup de manière à ne pas manquer leur homme.

Pendant ce temps, les chefs des cinq cantons, prévoyant que cet imprudent va engager la bataille, se décident malgré eux, et rassemblent leurs soldats sous les bannières.

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FOOTNOTES

[1] Da, da mus min Kilchhof sin. (Bull., DI, p. it x 8.)

[2] Imm Kloster von Kindeswiisen ufferzogen. p. xto.)

[3] C'est dans cette même auberge, (lit l'hôte actuel, que Masséna eut longtemps son quartier général avant la bataille de Zurich.

[4] Uff rossen hâftig yHtend zum angriff.

[5] An einem solchen Tag Blut ze vergiessen. ( Tschoudi, Hel., II, p. 189.)

[6] Welche redlicher Eidguossen wàrt sind, die louffind uns nach. (Bullinger, III, p.

125.)

[7] Sass,ylendswiederumivff sin Ross. (Tschoudidielv ., p. 191.) 398

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VIII.

Changement imprévu. — Lavater et Zwingle. — Avantage des Zurichois. — Toute l'armée s'avance. — Terrible Mêlée. — La grande bannière. — Mort du banneret. —

Kammli et de Nœff. — La Bannière en Danger— La Bannière sauvée.—Massacre. —

Gérald de Knonau. — Mort des ministres. —Zwingle blessé. — Dernières paroles de Zwingle. — L'armée fait halte. — Fanatisme des vainqueurs. — La fournaise de l'épreuve. —Mort de Zwingle. — Compassion.— Le Bivac.— Le cadavre de Zwingle. —

Hommage et outrage.

Dans ce moment les Zurichois faisaient une manœuvre qui, destinée à les sauver, les perdit. Un grand danger nous menace, avait dit l'un d'eux. L'ennemi, occupant maintenant la hauteur entre Ebertschwyl et Cappel, peut passer dans le bois du Kalchoffen, du côté de l'Albis, traverser les prairies d'Im-Loch, se jeter sur nos derrières, s'emparer de Husen, et, nous coupant la route de Zurich, arrêter les renforts qui doivent nous arriver de la ville. A six cents pas d'ici, s'élève près de la route un mamelon, le Munchbul, qui a l'Im-Loch à ses pieds, et qui commande tout le revers du bois de hêtres.

« Plaçons-y en hâte des canons et des arquebusiers pour arrêter les Waldstettes, et faisons dire à ceux qui viennent de Zurich de s'y rallier.

Ce conseil était sage; mais une faute que l'on commit en le suivant devait hâter la perte des Réformés. On aurait dû laisser à leur poste les artilleurs et les arquebusiers qui faisaient face au bois du côté de l'ennemi, afin qu'ils pussent faire feu en cas d'attaque. C'était sur les derrières de l'armée qu'il fallait prendre le détachement chargé d'occuper le mamelon; malheureusement on prit le corps placé en avant, et l'on dégarnit ainsi cette position importante. La troupe se mit en marche pour le Munchbul, en se rapprochant un peu du bois.

Au moment même où les arquebusiers de Jauch, cachés sous les hêtres, cherchaient leur point de mire, ce détachement passait à portée des arbres et des Waldstettes, qui s'y tenaient en embuscade. Le plus complet silence règne dans cette solitude; rien n'y fait prévoir le moindre péril, alors même que chacun choisit l'homme qu'il veut abattre. Jauch, saisissant l'occasion favorable, s'écrie :

« Au nom de la sainte Trinité, de Dieu le Père, le Fils, le Saint-Esprit, de la sainte mère de Dieu et de toute l'armée céleste... feu ! » A l'instant la balle mortelle part de tous ces arbres, et cette foudroyante décharge porte la mort dans les rangs zurichois.

La bataille, qui avait commencé à une heure, et avait eu diverses phases, sans pouvoir se décider, subit alors un changement imprévu. L'épée ne doit phisêt' rènese était le fourreau qu'après s'être baignée dans des torrents de sang. Ceux d'entre les'

Zurichois que ce premier Coup n'avait pas atteints se couchent d'abord à plat .Tendre de manière à ce que les baltes passent au-dessus de leurs têtes; mais 399

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle bientôt ils se relèvent ed (fiel* voulons-nous nous laisse é0t.ger? ana.: tuions plutôt l'ennemi è »

La'ater Coin trend que le Moment fatal est arrivé. 1/ saisit une lancée; et, se jetant au premier Lang : « Soldatà; S'écrie-t-il, soutenez rhontien de Dieu et de messeigneurs, et comportez-vous en braves ! » Zvhfigle, -une hallebarde à la main; silencieux et recueilli Comme la nature au moment où la tempête va éclater; était aussi là. «

« Ulrich, lui dit 13ernard Spungli, parlé au people et l'encouragez. » — « Braes, s'écria ne craignez rien; si Même nous devons être maintenant frappés, nôtre cause n'en est fiad moins bonne. Recommandez-vous à Dieu; qui seul peut prendre soin des tiers et des nôtres.

« Dieu soit avec vous! » Zwingle ne doutait phiS de la funeste issue de Cette bataille; t'était la dernière parole qu'il devait adresser à son people.

Les Zurichois ne perdent pas courage. Ils tournaient en hâte l'artillerie qu'ils Conduisent; et là dirigent du côté du bois; mais, dans le déborde où ils se trouvaient, ils pcsifitélt rdâl, ét leurs boulets, au lieu de frapper atteignent le haut des arbres, et font seulement tomber quelques branches sur les tirailleurs de huai [1].

Le Landamman de Schwitz, lly'clmnih, arrivait en 'hâle pour snmine'r les volontaires de retourner ait 'camp. Mais voyant la bataille engagée, liychmith se joint aux assaillants, et ordonne à toute l'armée d'avancer. Aussitôt les cinq bannières s'ébranlent.

Mais déjà les 'tirailleurs (1/2e Jauch, sortant au milieu des arbres où ils se tenaient cachés, s'étaient jetés avec impétuosité sur les Zurichois, en leur présentant les feis ihngs, làrgès et pointus de leurs hallebardes. cc Hérétiques! sacrilèges! S'écrient-ils, enfin nous vous trouvons! » «Ven.« (leurs d'hommes, idolâtres, papistes, impies, ré«

liéndaienk les iirichois, volis voilà donc enfin !

Une grêle de pierres tomba d'abord des deux côtés, et en blessa plusieurs; puis aussitôt après on en vint aux Mains. La résistance des Zurichois fut opiniâtre'[2].

idlacun frappait de t de la halle- barde ; enfin les hommes des cinq cantons sont enfoncés et reculent; les Zurichois avancent, en le faisant, ils perdent l'avantage cié et s'engagent dans un marais. Quelques historiens catholiques-romains prétendent même que cette fuite des ledrs ne fut qu'Une ruse pour attirer les Zurichois dans le piège [3]'. A déni reprises les Zurichois repoussèrent les Walipistettes, sorte que plusieurs crurent que la 'victoire leur demeurait.

Cette indécision ne devait pas durer. L'armée des cinq cantons, dont le bruit des canons zurichois hâtait la marche, accourait à travers le bois au secours de son avant-garde. Ces guerriers pleins de courage et de colère précipitaient leurs pas, et 400

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle l'on entendait retentir du milieu des hêtres un bruit sauvage plein de confusion et de désordre, un retentissement affreux. Le sol tremblait, et l'on eût dit que la forêt poussait un horrible mugissement, ou que les sorciers y tenaient un sabbat nocturne

[4].

Alors commença une terrible mêlée. Les combattants étaient tellement serrés, que quelques Zurichois disaient à ceux des leurs qui venaient derrière eux : « Ne nous pressez donc pas si fort, que nous puissions au moins nous mouvoir [5]! » D'autres, ne pouvant plus se servir de leurs arquebuses, criaient : « Les armes blanches, les armes blanches [6]! » Mais tout était inutile. Jamais il n'y eut à la fois dans une armée tant de valeur et tant de désordre.

En vain les plus courageux des Zurichois font-ils une intrépide résistance, les Waldstettes ont partout l'avantage. Les plus avancés des Réformés tombent sous leurs coups, et l'alarme se répand rapidement dans le reste de la petite armée. Sur les derrières, près du pont jeté sur le ruisseau da Muhle, se montre bientôt une horrible confusion. Quelques-uns des hommes qui allaient s'emparer du Munchbul, effrayés de la décharge de l'ennemi, avaient pris la fuite du côté de Husen, tandis que les Zurichois postés près du ruisseau, voyant qu'on en venait aux mains, s'étaient précipités vers l'ennemi. Ces deux courants opposés se rencontrant derrière le champ de bataille, il en résulta un choc affreux et un immense désordre. Les soldats qui fuyaient et ceux qui s'avançaient se heurtaient les uns les autres ; ils chancellent et tombent. Les Waldstettes, à cette vue, s'écrient avec enthousiasme : « Courage, vaillants confédérés! les hérétiques prennent la fuite! » Ces paroles parviennent jusqu'aux rangs les plus reculés de l'armée, et tous répètent : « Les hérétiques prennent la fuite ! » Les Zurichois, qui s'étaient portés en avant, étaient, au contraire, alors aux prises avec l'ennemi, et, ne sachant ce qui se passait derrière eux, ils répondent, en frappant de l'épée : « Vous mentez, scélérats! »

En ce moment un nouveau danger vint fondre sur la petite troupe zurichoise. Un détachement des cinq cantons l'attaqua du côté du couvent, en passant près de la laiterie. Alors la déroute des Zurichois fut complète. « On nous enveloppe! » disent les uns; « les nôtres s'enfuient! » s'écrient les autres. Un catholique du canton de Zug, mêlé aux Protestants, faisait semblant d'être des leurs, et augmentait le désordre en criant : « Fuyez, fuyez, braves Zurichois ! vous êtes trahis ! » Ainsi tout s'élève contre Zurich. La main même de 'Celui aispdie 'dès hataiÉe% contre ce peuple 'et le châtié,toiiiihe jadis il châtia Israël par la main des Assyriens. L'heure de son humiliation est arrivée. Une terreur panique s'empare des plus braves; ils ont ouï un bruit d'effroi; 'et l'épouvante de l'Éternel et sur eux.

L vietix Schweizer avait élevé d'une 'nain ferme la grande bannière, et toute l'élite de Zurich s'était rangée autour d'elle ; mais bientôt lés ranges s'étaient éclaircis.

401

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle han Kamtrilf, commis à la garde de l'étendard, ayant vu le petit nombre de combattants qui sue trokivaiebtur le dianip de bataille, dit au banneret : Abaissons la bannière, monseigneur, et santons-la, car nos geins fuient honteusement. »

Braves, demeurez fermes! »répondit le vieux banneret, 'qu'aucun danger n'avait jamais ébranlé. Le désordre augmentait, le nombre des fuyards s'accroissait à chaque instant; le vieillard restait étonné, immobile, cotiiniè 'ah chêne antique battu pair lin affreux orage. Il recevait sans broncher les coups qui l'atteignaient, tenant courageusement son étendard; et faisant seul face à te terrible assaut.

Kammli le 'saisit par le bras : è Monseigneur; dit-il encore, baisse la bannière, du nous allons la perdue; il n'y a plus ici de gloire à recueillir! » Le vieux banneret, déjà blessé à 'tort, s'écrie : « Itéras! Faut-il que la ville de Zurich soit ainsi frappée! » Puis, entrainé par Kamnili qui tnal'che devant lui, il baisse la bannière, recule avec la Mille, et arrive jusqu’au ruisseau. La pesanteur de l'âge et les blessures à dent il était Cdutert ne liii p'entiffeht pas dé l franchit. SCli'v(tei'zeit teemba dans 16

Mutile, ténia& tôuj'ours eri Main min étendard glorieux ; dont les plia vinrent S'abattre sur l'antre bOrd.

Les ennemis accouraient à grands' cris, attire par les couleurs de Ziltich, comme des taureaux par le drapeau des gladiateurs: Kammli, à cette vue, se jette saris hésiter au fond de fossé, et saisit la Main roide et endurante de Safi chef, afin de sauver le signe précieux qu'elle Serrait fortement; Mais c'est en vain : la main di/ vieut Schweizer rie veut pas licher l'étendard. « Seigneur banneret; lui crie le fidèle serviteur, il n'est plus en votre pouvoir de le défendre. » La Main du banneret, déjà roide, S'y refuse encore. Mots Kammli arrache violement l'étendard sacré, s'élancé d'Un saut Sur Vautre bord, et se précipite avec son trésor loin des pas de l'ennemi, dans le marais de Hagen. Les derniers Zurichois arrivent en ce môme/A Vers le tcirrent, tombent l'un après l'autre sur le vieillard expirant, et hâtent ainsi sa nid.

Cependant Kammli ayant reçu un tatip de feu, sa marché en fut retardée; et bientôt les Wdid-stetteS rehtdurèrent de leurs piques et de leurs glaives. Le Zurichois; tenant d'une main la bannière et de l'autre soi épée, se défend courageusement.

L'un des Waldstettes s'attaque au bois de l'étendard ; un autre saisit la bannière même, et la déchire. Kammli d'un coup d'épée refiveisé le premier, et, frappant tout autour de lui, il s'écrie :

Au secours, braves Zurichois! Venez sauver l'honneur et la bannière de messeigneurs ! » Les assaillants augmentent en hombre, et le breit allait succomber, quand Adam Nef de Nollenwyd s'élance l'épée à la main, et fait rouler sur le champ de bataille la tête du Waldstettes qui avait déchiré le drapeau, et dont le sang rejaillit sur les couleurs de Zurich. Le Conseil, pour témoigner sa reconnaissance, donna à Nœff le terrain des Granges; ses descendants y habitent encore : ils sont comme les gardiens du champ de bataille Dumysen, membre du Petit-Conseil, le soutient de sa hallebarde, et tous deux portent à droite et à gauche de tels coups, 402

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle qu'ils font tomber les assaillants, et parviennent à dégager l'enseigne. Celui-ci, quoique dangereusement blessé, s'élance tenant d'une main les plis ensanglantés de la bannière, qu'il emporte précipitamment, et dont la lance traîne après lui. L'air farouche, le regard enflammé, l'épée à la main, il passe ainsi au milieu de ses amis et de ses ennemis ; il traverse plaines, bois et marécages, laissant partout des traces de son sang qui s'échappe de nombreuses blessures, et remplissant d'étonnement ceux qui le rencontrent.

Deux des Waldstettes, l'un de Schwitz, l'autre de Zug, étaient surtout acharnés à sa poursuite.

« Hérétique! Scélérat! lui crièrent-ils, rends-toi et remets-nous ta bannière. » — «

Avant que de l'avoir, vous aurez ma vie, D répondit le Zurichois. Alors les deux soldats ennemis, que la cuirasse embarrassait, s'arrêtèrent un moment Le hameau des Granges s'appelle « les maisons des Nœff. Dans l'une d'elles on m'a montré le glaive d'Adam Nieff qu'on y conserve religieusement. pour la défaire.

Kammli en profita pour prendre de l'avance. Le colonel général Dumysen, qui s'était battu comme un soldat pour sauver l'étendard de Zurich, arrive près de l'église de Husen, y tombe sans vie ; et deux de ses fils, à la fleur de l'âge, couvrent bientôt aussi le sol funeste qui a bu le sang de leur père. Kammli fait encore quelques pas; mais bientôt il s'arrête épuisé, haletant, près d'une haie qu'il lui eût fallu franchir, et après laquelle il lui restait à gravir la partie la plus 'escarpée du mont Albis.

Kammli découvre ses deux ennemis et d'autres Waldstettes, qui volent de tous côtés, comme des oiseaux de proie, vers l'étendard chancelant de Zurich. Les forces de Kammli diminuent rapidement; sa vue se trouble; bientôt des ténèbres l'entourent : une main de plomb le retient cloué sur le sol. Alors, ranimant son énergie expirante, il lance l'étendard de l'autre côté de la haie, et s'écrie : « Y a-t-il ici quelque brave Zurichois? Qu'il sauve la bannière et la gloire de messeigneurs. Pour moi, je ne le puis plus ! » Et, jetant vers le ciel un dernier regard, il ajoute :

« Dieu me soit en aide ! » Anéanti par ce dernier effort, il tombe. Dântzler, qui arrivait, jette loin de lui son épée, saute par-dessus la haie, saisit la bannière, et s'écrie : « Avec l'aide de Dieu, je l’emporterai. » Puis il monte précipitamment l'Albis, et met enfin en sûreté l'antique étendard de Zurich. Dieu, en qui ces guerriers plaçaient leur espoir, avait exaucé leurs prières; mais il en avait coûté à la république son sang le plus généreux.

Sur tous les points l'ennemi était vainqueur. Il

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404

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle cc, hOpile41,, ay4iti-4 répondit„ quq de. me rendie « avec ignominie! » Et le fils frappé aussitôt d'un coup, mortel-, était tombé, et, avait rendit l'âme non loin du château de ses pères,

Les ministres qui, oubliant l'Évangile- de. paix, avaient appelé aux armes leurs compatriotes, rent ceipc qui, eu égard à leur, npolbre, fournirent, le plus,dg victimes 4ansettte sanglante journée. Le glaive, qui, se promenait sur l hauteurs et dans: les prairies de Çappel; s%charpait sur eux; vipgtr, cinqt d'entre eux tornkrent, sous. ses çoup.s. 1.44_ Wapeqtes frémissaient de rage ,quand ils, «cou vraient, l'uu de ces, preres, hérAtiquo, et, ils, les, immolaient çuthousiasme, comme, des victimes de choix, à 4 Vierge et aux Saints. Il n'y: a peu t7ètre j arnai qu, d e, bataille qù tan t, d' hoin mes de la Parole ,de Dieuaiçnt mordu la poussière. Pres-.., que partout. lge, passeurs avaient marché à, la tète de leurs troupeaux,. On eût, dit àÇappel une assener blée de communal' té,s,chrétiennes, plutôt qu',upe armée de compagnies, suissçs. I,'abbéJoner, blessé à.mort près, dit ruisseau, expira en.vue de son,m0.-.

nêstère; et les gens de Zug, qui, en poursuivantl'enn: nenni, passaient près de son cadavre, pousbaienr un cri de douleur, se. souy,enant (IP bien qu'ilUeui7 avait fait Schmidt de li.ussnach, placé au milieu de ses, paroissiens, tornba.e.utouré de quarante de leurs cadavres'. Geroldseck, Jean Haller, plusieurs autres pasteurs à la tête de leurs troupeaux, d'anciens Augustins, d'anciens Dominicains, rencontrèrent d'une manière terrible cette venue soudaine du Seigneur, qu'ils avaient plus d'une fois prêchée. La gloire de l'Éternel s'était éloignée de Zurich. Les chefs de l'État et les chefs de l'Église couvraient pêle-mêle le champ de bataille.

Mais une mort allait dépasser en amertume toutes ces morts. Zwingle était au milieu de ses paroissiens, affrontant le danger, le casque en tête, le glaive suspendu à ses côtés, la hache d'armes à la main, la parole de Dieu dans le cœur'[9]. Calme et recueilli, il se tenait prêt à porter les secours de son ministère partout où l'on en aurait besoin, quand un de ses amis, Balthasar Keller, gendre d'Anna, tomba non loin de lui, couvert de treize blessures. Zwingle accourt vers le blessé, et lui adresse des paroles de vie éternelle. Mais en ce moment même une pierre lancée par le bras vigoureux d'un Waldstettes vient frapper le Réformateur à la tête, et fermer ces lèvres qui s'ouvraient pour prononcer le nom du Dieu qui console. Le coup fut si fort, que son casque, porté à Lucerne comme trophée, en a gardé la marque. Zwingle se relève néanmoins ; mais deux autres coups l'atteignent à la jambe [10], et le jettent de nouveau par terre. Deux fois il se remet debout; frappé une quatrième, mais d'un coup de lance, il chancelle, et, fléchissant sous tant de blessures, il tombe sur ses genoux. Le voilà cet homme puissant, qui avait rêvé la délivrance de toute la chrétienté; il se meurt. Des ténèbres l'entourent, et en annoncent peut-être d'autres bien plus terribles, qui vont couvrir l'Église. Zwingle se détourne de ces tristes pensées. Il sait que le Christ est sa vie; il regarde d'un œil calme son sang qui ruisselle, et s'écrie avec foi : « Quel mal est cela ?... Ils « peuvent bien tuer le corps, 405

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle mais ils ne peuvent « tuer l'âme [11]' ! » Ce furent ses dernières paroles. A peine les avait-il prononcées, qu'il tomba à la renverse. C'est là, sous un arbre de poirier de Zwingle), dans une prairie près de la route, qu'il demeura couché sur le dos, vivant encore, les mains jointes, et le regard tourné vers le ciel'[12].

Les soldats débandés des deux partis passaient près du Réformateur avec des cris de détresse ou de vengeance. Goldli avait pris la fuite dès le commencement de la bataille ; bientôt après il quitta Zurich pour toujours. Le commandant en chef Lavater, après avoir vaillamment combattu, était tombé dans le fossé. Il en avait été retiré par un des siens, auquel il avait lui-même sauvé la vie huit ans auparavant, et s'était échappé. Le reste des Zurichois, après une résistante il fuyait dans toutes les directions. Chacun faisait comme il pouvait, dit Bullinger. Les Waldstettes, acharnés à la poursuite de l'ennemi, foulaient aux pieds les corps qui jonchaient les prairies de Cappel; Leurs colonnes s'avançaient, étonnées de leur prompte victoire; le bruit de armes et les cris des vaincus et des vainqueurs retentissaient aux oreilles du Réformateur blessé; et, au milieu de téitit ce tumulte, Zwingle était seul avec Dieu.

Arrivée au-delà de Hitsen, au pied du petit Albis l'armée des cinq cantons s'arrêta; «

Si la nuit ne fût pas venue, dit Tschottdi, presque tous les défenseurs de Zurich auraient mordu la poussière. » On n'apercevait plus que quelques zurichois gravissant précipitamment la montagne, et disparaissant çà et là derrière les sapins:

« Il est k temps, dirent les chefs; de regagner nos drapeaux; tenais auparavant rendons grâce de notre te victoire. » L'armée le fit; puis, ivre de joie, poussant des cris d'allégresse et comme en triomphe, elle retourna aux Orangés Pendant que les phis braves avaient donné la bilasse aux Soldats de Zurich, tes traînards de lingtantons s'étaient abattus connote des corbeaux avides sicle champ de bataille: Des flambeaux à la main, ces malheureux s'avançaient au milieu des ténèbres et des cadavres, jetant tout autour d'eux des regards irrités, et éclairant leurs victimes expirantes de la lueur blafarde de ces torches funèbres. Ils tournaient et retournaient les morts et les blessés, les tourmentaient et les dépouillaient [13]': Parmi leurs victimes se trouva Balthasar Keller. Les Waldstettes le crurent mort, et le laissèrent nu; mais pendant la nuit Keller revint à lui, se traîna avec des efforts inouïs jusqu'à l'Albis il passa le Schnabel, et arriva non loin du lac de Zurich, au moulin de Gâttikon, où on le pansa. Il fut plus tard bailli à Gruningen, conseiller à Zurich; et c'est par lui que nous savons que la dernière œuvre de Zwingle sur la terre fut de se baisser avec compassion, Comme le bon Samaritain, vers un homme à demi-mort.

Ce n'était pas ce que faisaient les Waldstettes. S'ils trouvaient des Zurichois en état de les entendre : « Invoquez les saints, leur disaient-ils, et confessez-vous â nos prêtres. [14]» Quelques-uns, par crainte de la mort, leur obéirent; mais quand des 406

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Réformés fidèles à leur foi s'y refusaient, ces hommes les perçaient de leurs épées ou les assommaient de leurs arquebuses. L'historien catholique-romain Salat, de Lucerne, en triomphe : « On les laissait mourir, dit-il, comme des chiens d'infidèles, ou on leur donnait de la pique ou de l’épée le coup de la mort, afin qu'ils s'en allassent « d'autant plus vite au Diable, avec le secours duquel ils s'étaient battus comme quatre [15].

Aux haines religieuses se joignirent les animosités privées. Des hommes des cinq cantons reconnaissaient-ils des Zurichois auxquels ils gardassent rancune, ils s'approchaient, l'œil sec, la bouche dédaigneuse, ou les traits altérés par la colère, de ces malheureux qui luttaient contre la mort, et ils leur disaient : « Eh bien !

Votre foi hérétique vous a-t-elle sauvés ? Ah ! L’on a bien vu dans cette « journée quels sont ceux qui ont la foi véritable....

« Aujourd'hui nous avons jeté dans la boue votre « Évangile, et vous voilà vous-mêmes tout couverts de votre propre sang. Dieu, la Vierge et les Saints vous ont punis. » Et à peine avaient-ils tenu de tels discours, qu'ils plongeaient le fer dans le sein de leurs ennemis. « La messe ou la mort! tel était leur mot d'ordre. Quelques-uns des gens de la campagne furent épargnés, mais on fut sans miséricorde pour tous ceux de la ville [16].

Ainsi triomphaient les Waldstettes; mais les Zurichois fidèles, qui rendaient l'âme sur le champ de bataille, se rappelaient qu'ils avaient pour Dieu celui dont il est dit :

« Si vous souffrez le châtiment, « Dieu vous traite comme ses enfants. Quand «

même il me tuerait, je ne cesserais d'espérer en lui. » C'est dans la fournaise de l'épreuve que le Dieu de l'Évangile cache l'or pur de ses plus précieuses bénédictions.

Ce châtiment était nécessaire pour détourner l'Église de Zurich des voies larges du monde, et la ramener dans les sentiers étroits de l'esprit et de la vie. S'il s'agit d'une histoire du siècle, une défaite comme celle de Cappel se nomme un grand malheur; mais dans une histoire de l'Église de Jésus-Christ, un tel coup porté par la main d’un père doit plutôt être appelé une grande bénédiction.

Pendant ce temps, Zwingle, le regard toujours tourné vers le ciel, était étendu sous le poirier. Les soupirs des mourants, ces pâles lueurs qui se transportaient d'un cadavre à un autre, Zurich humiliée, la Réforme perdue, tout lui criait que Dieu punit ses serviteurs, lorsqu'ils ont recours au bras de l'homme. Sans doute si le Réformateur saxon avait pu s'approcher de Zwingle en cette heure solennelle, et lui avait dit ces paroles qu'il a tant de fois répétées : « Les chrétiens doivent combattre, non avec le glaive ou avec l'arquebuse, mais avec la souffrance et avec la croix!, »

Zwingle lui eût tendu sa main mourante, et eût répondu : « Amen! »

Deux des soldats qui rôdaient au milieu des cadavres étant arrivés près du Réformateur, et s'apercevant, sans le reconnaître, qu'il était près d'expirer : « Veux-tu que nous t'amenions un prêtre pour te confesser? » lui dirent-ils. Zwingle, sans 407

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle parler (il n'en avait plus la force), fit signe de la tête que non, et resta le regard fixé sur le ciel '[18].

« Si tu ne peux plus parler, reprirent les soldats, pense au moins dans ton cœur à la mère de Dieu, et invoque les saints, afin qu'ils intercèdent pour toi, et t'obtiennent grâce devant Dieu. » Zwingle branla de nouveau la tête, et demeura les regards attachés au ciel. Alors les soldats se mirent à le maudire. « Sans doute, dirent'- ils, tu es un de ces hérétiques de la, ville ? » Puis l'un d'eux, curieux de savoir qui il était, se baissa, et tourna la tête de Zwingle du côté d'un feu qui était près de là [19].

Aussitôt le soldat le laissant retomber par terre : « Je crois, dit-il étonnée saisi, je crois que c'est Zwingle! » En ce moment le capitaine Fockinger d'Underwald, ancien soldat et pensionnaire, s'approchait. Il avait entendu le dernier mot du soldat. «

Zwingle! s'écria-t-il, Zwingle, ce vil hérétique, ce scélérat, ce traître! » Puis aussitôt, levant son épée si longtemps vendue à l'étranger, il en frappa à la gorge le chrétien mourant : « Meurs, hérétique obstiné! » lui cria-t-il. Succombant sous ce dernier coup, le Réformateur rendit l'esprit. « Ainsi, dit le chroniqueur, Ulrich Zwingle, fidèle pasteur de l'Église de Zurich, fut frappé au milieu des brebis de son troupeau, avec lesquelles il resta jusqu'à la mort, et périt de la main d'un pensionnaire, pour la confession de la vraie foi en

« Christ, seul sauveur, médiateur et intercesseur

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soldats entouraient de leurs cercles animés les flammes qui s'élevaient çà et là, et s'entretenaient de leurs exploits. Les canins muets penchaient leurs bouches vers la terre; les chevaux du train avançaient de temps en temps la tête vers ces groupes babillards; de tous côtés des vaches, des bœufs, des brebis, des chèvres, ramassés dans les prairies environnantes, étaient traînés sur le champ de bataille, et remplissaient les airs de leurs cris prolongés ; on les abattait, et on faisait tourner leurs membres dépecés devant les feux du bivac [20]'. « Quel dommage, disaient en se chauffant « quelques soldats, que tant de braves gens, dont la Suisse se glorifiait, aient misérablement péri [21]! » « Au contraire, disaient d'autres, c'est un grand bonheur. » Mais tout à coup ces discours du bivac étaient interrompus par les lamentations et les sourds gémissements des blessés. Les mots qu'ils proféraient suffisaient pour les faire reconnaître. « O Dieu ! disaient les Zurichois, aie pitié de nous, par notre Seigneur Jésus-Christ ! » — «0 bienheureuse mère de Dieu! Ô saint Jacques, « prince du ciel ! Ô vous tous les saints [22] » s'écriaient les Waldstettes.

On transportait ces pauvres blessés, Waldstettes et Zurichois, au couvent de Cappel; et quand leurs exclamations s'étaient éloignées, les soldats, tisonnant les feux, reprenaient leurs entretiens. « Cette victoire nous perdra, disaient quelques-uns; car les Zurichois et leurs alliés sont puissants. » — « Ne craignez pas, répondaient d'autres; les plus turbulents sont étendus sans vie autour de nous.» — «La fortune est sur une roue [23],» répliquaient les premiers en branlant la tête. « O nuit tragique et lamentable! » s'écrie le chroniqueur [24]'.

Pendant ce temps, les chefs réunis dans le couvent écrivaient des lettres destinées à répandre partout la nouvelle de leur éclatant triomphe. Au point du jour, des messagers les portèrent aux cantons confédérés, et aux puissances catholiques-romaines de l'Allemagne.

Enfin la lumière parut. Les Waldstettes se répandirent sur le théâtre de leur victoire, allant çà et là, s'arrêtant, examinant, frappés souvent de surprise en voyant leurs ennemis les plus redoutés étendus sans vie, mais aussi versant quelquefois des larmes à la vue des cadavres qui leur rappelaient de vieilles amitiés.

Une foule immense se rassembla vers le poirier sous lequel Zwingle était mort. « Il a l'air, dit Barthélemy Stocker de Zug, qui l'avait aimé, il a l'air non d'un mort, mais d'un vivant'[25]. Tel il était quand il embrasait le peuple par le feu de son éloquence.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

» Jean Schönbrunn ancien chanoine de Zurich, qui s'était retiré à Zug à l'époque de la Réformation, ne put

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l'Empire ? Mais il avait saisi une arme que Dieu a interdite; il avait abandonné sa vocation divine pour en prendre une charnelle; le casque avait couvert son front, et sa main.avait saisi la hallebarde; le patriote avait égaré le réformateur. Ses amis les plus dévoués s'écriaient eux-mêmes, étonnés, interdits : « Nous ne savons que penser l un évêque « sous les armes ... » La foudre avait frappé, et le corps du Réformateur n'était plus qu'une poignée de cendres dans la main d'un soldat ennemi.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle ________________________________________

FOOTNOTES

[1] behn das cIie iésiaùf sié fiélent. (Tsclioudi, p. ie)

[2] Der Angriff war hart und *âhrt der Widerstand ein gute Wyl. (tschoudi, p. 192.)

[3] Catholici autem, positis insidiis, retrocesserUnt, fugam roulantes. (Cochheus, Acta. Luth., P. 2I.4.)

[4] Der Boden erzittert ; und nit anders war denn als ob der Wald lut bruelete.

(Tschoudi, p. 123.)

[5] Truckend nitt so hkfftig das wir uns geroden (Bullinger, III, p. x28.)

[6] Kurzen gweren. (Ibid.)

[7] I Es 114gtend ion insonders die Zuger. (.13ullinger,p. 151.)

[8] Uff der Wallstett ward er funden, under und by. sinen Kussnachern. p. 147.)

[9] Les aumôniers des régiments suisses portent souvent l'épée. Zwingle ne fit point usage de ses armes. On les montre à l'arsenal de Lucerne.

[10] Hatt auch in den schenklen zween stiche. (Tschoudi, Helv., II, p. 194.)

[11] In genua prolapsum dixisse : « Ecquid hoc infortunii ? Age! corpus quidem occidere possunt, animam non possunt. (Osw. Myconius, Vita Zwing.)

[12] Was er noch lebend, lag an dem Ruggen und hat sine beide hœnd zamen gethan wi die bettendeu, sach mit syneu Augen obsich in Hymel. (Bull., III, p. 136.)

[13] Lin gross pliinderen, ein ersueben und ussziehen der todten und der wunden.

(Ibid.)

[14] Unter Brosser Anstrengung. (J. J. Hottinger, Geschichte der Eidg., II, p. 387 .)

[15] Damit sie desto eher zûm Teufel, damit sie mit Mien vieren fechtend, gefuhrt wurdend. (Salat.) .

[16] Was uss der Stadt was, müsst one gnad lyden. (Bull., III, p. 136.)

[17] Christen sind nicht die fûr sich selbst mit dem Schwerdt oder Biichsen streiten, sondern mit dem Kreuz und Leyden. (Luth. Opp.)

[18] Ir Und Bach über aich in Hymel. (Bull., III, p. i36.)

[19] Beyn Fuwr besach. (Tschoudi, Helv., II, p. i94.)

[20] Alles vaeh 'dein und gross nieder geschlagen. (Bull., III, p. 138.) 411

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[21] So vil redlicher hüpscher Iiiten. (P. 139.)

[22] Die wirdigen muter Gots, den himelfursten, S. Jacob und die lieben Gottes heiligen. (Bull., III, p. 139.)

[23] Das gluck sye sinnwel. (Ibid.)

[24] Ellende iamerliche klâgliche Nacht. (Ibid.)

[25] Nicht einem Todten, sondern einem Lebenden gleich. (Zwingli fur du Volk, von J. J. Hot tinger.)

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IX.

Consternation dans Zurich. — Violence de la populace.—Douleur et détresse. —Le deuil d'Anna Reinhard. — Thomas Plater. — Oraison funèbre. — Armée de Zurich. —

L'armée des Réformés s'accroît. — Elle prend l'offensive. — Bataille Nocturne du Gotibel. —Inactivité de Berne. —Plan de Charles-Quint. — Fin de la Guerre. — Traité de Paix.

De douloureuses angoisses agitèrent Zurich pendant la nuit qui succéda à la désolante journée de Cappel. Il était sept heures du soir quand la première nouvelle du désastre y parvint.... Des bruits vagues, mais effrayants, se répandent avec une grande rapidité. On sait qu'un coup terrible vient d'être porté, on ne sait lequel.

Mais bientôt quelques blessés, qui arrivent du champ de bataille, dévoilent cet affreux mystère. « Alors, dit Bullinger, que nous laissons parler, il s'éleva tout à coup un grand et horrible cri, des plaintes, des larmes, des hurlements, des lamentations et des gémissements.

La consternation était d'autant plus profonde, que nul ne s'était attendu à ce désastre. — Il n'y a pas pour un déjeuner, avait dit l'un. —D'un coup de main, avait dit un autre, nous serons maîtres des Cinq-Chalets. — « Bientôt, avait ajouté un troisième avec un sourire dédaigneux, bientôt nous aurons dispersé ces cinq fumiers de vache. Les plus sages, convaincus que Zurich combattait pour la bonne cause, n'avaient pas douté que la victoire ne restât à la vérité....

Aussi à la première stupéfaction succéda l'éclat d'un violent orage. Des hommes que la fureur aveugle accusent les chefs, et accablent d'injures ceux mêmes qui ont défendu la patrie au prix de leur sang. Une foule immense, agitée, pâle, égarée, remplit toutes les rues de la cité. On s'entrechoque, on se questionne, on se répond, on se questionne encore, et l'on ne 'peut se répondre, parce que des cris de tristesse ou d'horreur étouffent les voix. Ceux des conseillers qui étaient demeurés à Zurich se hâtent de se rendre à l'hôtel de ville. Le peuple, qui s'y est déjà rassemblé, les regarde d'un œil farouche. Des accusations de trahison sortent de toutes les bouches, et les patriciens sont signalés à l'indignation générale. Il faut des victimes. « Avant que de combattre les ennemis qui étaient sur les frontières, s'écrie la populace, il fallait se défendre contre cc ceux qui sont dans nos murs. »

L'angoisse, la crainte, exaltent les esprits; cet instinct sauvage du peuple, qui, dans de grandes calamités, le porte, comme la bête féroce, à avoir soif de sang, se réveille avec puissance. Une main désigne du milieu de la foule la salle du Conseil, et une voix rude et haineuse s'écrie : cc Faisons voler les têtes de quelques-uns des hommes qui siègent dans ces salles, et que leur sang aille au ciel crier miséricorde pour ceux qu'ils ont fait périr! »

413

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Mais cette colère n'est rien encore en comparaison de celle qui se porte sur Zwingle, sur tous ces hommes d'église qui ont causé, dit-on, la ruine de la patrie.

Heureusement, le glaive des Waldstettes les avait soustraits aux vengeances de leurs concitoyens. Néanmoins, il en restait encore qui pouvaient payer pour les autres. Léon Juda, que la mort de Zwingle allait mettre à la tête des affaires religieuses, relevait à peine d'une grave maladie. C'est à lui qu'on s'attache. On le menace, on le poursuit; quelques honnêtes bourgeois l'enlèvent, et le cachent dans leurs maisons. La rage des furieux n'en est point apaisée. Ils ne cessent de répéter qu'il faut expier le carnage de Cappel par un carnage plus affreux encore dans les murs mêmes de la cité. Mais Dieu mit un frein dans la bouche de la bête féroce, et la dompta.

Tout à coup la douleur succède à la rage, et des sanglots étouffent la voix .des plus égarés. Ceux dont des parents ont marché sur Cappel s'imaginent que les leurs sont au nombre des victimes : des femmes, des enfants, des vieillards, s'avancent dans les ténèbres, à la lueur des flambeaux, l'œil hagard et la marche précipitée; et aussitôt que quelque blessé arrive, ils s'enquièrent d'une voix tremblante de ceux qu'ils cherchent. « Je l'ai vu tomber sous mes yeux, répond-on aux uns.

« Il était entouré de tant d'ennemis, répond-on à d'autres, qu'il n'y avait plus pour lui aucune chance de salut » A ces mots, les flambeaux tombent et s'éteignent, et la famille éperdue remplit les airs de sa désolation.

Anna Zwingle avait entendu de sa maison les coups redoublés de l'artillerie. Épouse e ibère, elle avait passé dans l'attente de longues heures d'angoisse, en poussant vers le ciel d'humbles soupirs. Enfin, coup sur coup; les nouvelles lés plus terribles lui parviennent.

Au milieu des scènes de désespoir qui se passent sur la route de Cappel, se trouvait Oswald Myconius, demandant avec anxiété ce que son ami était devenu. Bientôt il entend un des inal heureux; échappés du tnassaëre, raconter à t'eut qui l'entourent que Zwingle a péri [2]. « Zwingle « n'est plus ! Zwingle est mort! D Le cri se répète, se répand avec la rapidité de l'éclair, et arrive enfin à sa malheureuse veuve. Anna embrasse ses enfants, tombe à genoux avec eux, et s'écrié; en les tenant serrés contre son sein : « O Père! non « ma volonté, biais la tienne s! fi Mais ce n'est pas assez de la mort de son mari; Dieu l'a frappée d'autres coups. Des messagers, pli se suivent à de courts intervalles; viennent anriôneër à Antig la mort de soit fils Gérold de Nimbait, de son frère le bailli iteinhard, dé son gendre Antoine Witz, de Jean Lutsehi, l'époux de sa sueur bien-aimée, la mort de ses plus intimes amis.

Cette femme reste seule; seule avec ses enfants en bas Age ; qui, en voyant ses larmes, versent aussi des pleurs; seule avec son Sauveur, auprès duquel elle avait appris de Zwingle à chercher toute consolation: C'était ; mais autrement peut-être que ne l'avait pensé le Réformateur; a après l'heure des ténèbres la bénédiction. »

414

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Soudainement le tocsin se fait entendre. Le Conseil; partagé entre les avis les plus contraires, a enfin résolu d'appeler tous les citoyens sur l'Albis: Le bruit des cloches retentissant dans les tété lires, les récits lamentable des blessés et les cris de douleur des familles éperdues, augmentent l'épouvante. Un grand concours de citoyens se précipite sans ordre sur la route de Cappel. Parmi eux se trouve le Valaisan Thomas PlateF. Il rencontre ici mi-homme qui n'a qu'un bras [1]; là d'autres hommes qui soutiennent de leurs deux mains leur tète ensanglantée; plus loin, un soldat dont les entrailles sortent de son corps. Devant ces malheureux marchent des paysans munis de flambeaux, car la nuit est profonde. Pister veut retourner, maie il ne le peut; des sentinelles postées sur le pont de la Sihi laissent sortir de Zurich; mais ne permettent à personne d'y rentrer.

Le lendemain, la nouvelle de l'indigne traite= ment fait au cadavre de Zwingle réveilla toute la colère des Zurichois ; ses amis, relevant la tête, s'écrièrent, d'une voix entrecoupée de pleurs: «Que les hommes se jettent sur son corps, qu'ils allument leurs bûchers et flétrissent son innocence...

« Il vit, il vit éternellement, cet invincible héros, et il laisse après lui un monument impérissable de gloire, qu'aucune flamme ne saurait consumer [4].

« Dieu, à l'honneur duquel il a travaillé au prix même de son sang, rendra sa mémoire perpétuelle. » « Et moi, ajoutait Léon Juda, moi sur lequel il a répandu tant de bienfaits, je m'efforcerai, après tant d'autres, de défendre sa renommée et d'exalter ses vertus. » Ainsi Zurich consacrait à Zwingle une oraison funèbre composée de larmes, de soupirs, de reconnaissance et de cris. Jamais il n'y en eut de plus éloquente.

Zurich ralliait ses forces. Jean Steiner avait ramené sur l'Albis quelques débris de l'armée, pour en défendre le passage. On bivaquait près des feux sur le sommet de la montagne, mais tout y était dans la confusion. Plater, transi, c'est lui-même qui le raconte, avait posé sa chaussure pour réchauffer ses pieds à la flamme du bivac.

Tout à coup on sonne l'alarme, la troupe se range à la hâte, et tandis que Plater se prépare, un trompette, échappé du combat, lui enlève sa hallebarde ; Plater la ressaisit, et se place dans les rangs; devant lui se trouvait le trompette, sans souliers ni chapeau, un grand échalas à la main. Telle était l'armée de Zurich.

Le capitaine en chef Lavater rejoignit l'armée au point du jour. Peu à peu les alliés arrivèrent; quinze cents Grisons, sous les ordres du capitaine général Frey de Zurich, quinze cents Thurgoviens, six cents Tockenbourgeois, et d'autres auxiliaires encore, portèrent bientôt l'armée à douze mille hommes.. Tous, jusqu'aux enfants mêmes, accoururent sous les armes. Le Conseil ordonna que l'on renvoyât toute cette jeunesse afin qu'elle s'occupât, avec les femmes, des soins domestiques.

415

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Mais un nouveau revers vint augmenter les désolations de la Réforme. Tandis que les troupes de Zurich, accrues de celles de Berne, de Bâle et de Bienne, formaient une armée redoutable de vingt-quatre mille hommes, qui se réunissait à Bremgarten, les cinq autres cantons se retranchaient à Baar, près de Zug. Les Réformés étaient les plus forts; mais Zwingle manquait : or sa parole puissante eût été seule capable d'enflammer tout ce peuple, sa main seule assez forte pour le retenir et le guider. Un coup de vent ayant renversé quelques sapins clans la forêt où campaient les Zurichois, et causé la mort de quelques soldats, on ne manqua pas d'y voir le signe de nouveaux malheurs. Ils ne se firent pas attendre : une défaite nocturne devait augmenter tant de désastres.

Frey, qui semblait avoir hérité du courage du Réformateur, si ce n'est de sa sagesse, demandait la bataille. L'armée s'ébranla, entra sur le territoire de Zug, et compagnon lOin de Baar et de Blickenstorf. Les cinq cantons, après (peignes escarmouches, abandonnèrent Baar, et vinrent s'établir au pied du mont de Zug.

Les villes résolurent d'entourer l'armée ennemie, afin de pouvoir ensuite fondre sur elle avec avantage. Un détachement se porta sur Chaam, vers le lac de Zug, du côté de Lucerne; et le hardi Frey,, à la tête de quatre mille hommes de Zurich, de Schaffouse, de Bâle et de Saint-Gall, tourna le camp des Waldstettes, repoussa les arquebusiers qui voulaient l'arrêter près de Sihlbruck, et vint s'asseoir sur la montagne du Goubel, non loin du canton de Schwitz, d'où il dominait l'armée des cantons forestiers. Alors ses imprudents soldats, se croyant sûrs de la victoire, agitent fièrement leurs drapeaux, pillent les maisons et les églises, enté-vent le bétail; puis, plaçant des fromages au bout de leurs piques, ils boivent, ils crient, ils dansent; enfin, fatigués de la marche et de leurs excès, ils s’endorment d'un pesant sommeil '.

Les habitants de ces montagnes, chassés de leurs demeures, étaient accourus au camp des Waldstettes. « On nous pille, on dévaste tout au« tour de nous,» s'était écrié Chrétien Ity, qui était à leur tête. u Fidèles confédérés, venez « à notre aide! »

Les cinq cantons, qui voyaient le grand corps d'armée de Zurich, près de Baar, prêt à les attaquer, s'y refusèrent. Alors Ity fit un appel à tous les gens de cœur; plusieurs centaines d'hommes se joignirent à lui, et s'approchèrent du Goubel pendant la nuit. Les chefs des Waldstettes se décidèrent à les appuyer, et un corps de quatorze sept hommes partit du camp pour se joindre à ces volontaires.

Ity envoie des espions pour reconnaître, à la clarté de la lune, la position des Zurichois sur le Goubel peine sont-ils de retour et ont-ils fait leur rapport que tous Ses montagnards s'écrient arc entrain : << Ils dorment! Ayons bon courage!

« En avant ! Dieu les a livrés entre nos mains ! »

Le 24 octobre, à deux heures après minuit, ces hommes mettent sur leurs habits des chemises blanches, afin de pouvoir se reconnaître dans l'obscurité. Ils prennent pour 416

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle mot d'ordre «Marie mère de Dieu;» et, après avoir fait la prière, ils se glissent mystérieusement dans une forêt de sapins voisine du lieu où étaient campés les Réformés, dans laquelle pénétraient quelques rayons brisés de la lune. Les gens, préposés à la garde du camp zurichois ayant aperçu l'ennemi, courent aux feux pour appeler les leurs; mais ils n'ont pas atteint le troisième feu que les Waldstettes s'élancent poussant un horrible cri [5] : « Har..., har..., ha•...,bar..., où sont-ils ces sacrilèges et ces hérétiques ? u bar—, har..., har... » Les soldats des villes font d'abord une vigoureuse résistance, et plusieurs des chemises blanches tombent couvertes de sang; des coups terribles se portent dans les ténèbres; les fers s'entrechoquent, et la lumière en jaillit ; mais ce n'est pas long. Les soldats des villes, surtout quand la lutte est transportée dans les bois, ne peuvent discerner s'ils ont affaire à des amis ou à des ennemis. Les plus braves, et le vaillant Frey à leur tête, ayant mordu la poussière, la fuite devint générale, et huit cent trente hommes demeurèrent sur le champ de bataille. Le canton de Zug a fait récemment (1846) construire un monastère sur la hauteur du Goubel. Le souvenir de cette victoire a décidé sans doute le choix de la localité.

Après ces désastres, les Bernois rentrèrent dans leur immobilité. François Kolb, qui, malgré sa vieillesse, était parti comme aumônier du contingent bernois, reprocha lui-même aux siens, dans un sermon, leur négligence et leur lâcheté. « Vos ancêtres, leur dit-il, auraient franchi le Rhin à la nage, et vous.... ce ruisseau (la Lorze) vous arrête [5] ! Ils entraient en campagne pour un mot; et vous, l'Évangile même ne saurait vous émouvoir! Il ne nous reste plus qu'à recommander notre cause à Dieu. »

Plusieurs voix s'élevèrent contre l'imprudent vieillard, mais d'autres prirent sa défense; et le capitaine Jacques May, indigné, comme le vieux aumônier, des délais de ses concitoyens, tira son épée, la passa à travers les replis du drapeau bernois, et, perçant l'ours qui y était représenté, il s'écria en présence de l'armée : « Martin!

Martin! ne veux-tu donc pas montrer tes onglets?.... » Mais l'ours ne bougea point. .

Ce n'était pas seulement Zurich et la Suisse qui était en cause dans les tristes événements que nous venons de raconter ; c'était la Réformation tout entière. Dès que le roi Ferdinand eut appris la défaite de Cappel, il avait mandé en toute hâte cette grande nouvelle à Charles-Quint.

« Voici la première des victoires destinées à relever la foi, » lui dit-il. Après la défaite du Goubel, il écrivit de nouveau que, si l'Empereur n'était pas si près, il n'hésiterait pas, lui, quelle que fût sa faiblesse, à s'élancer, le glaive à la main, pour terminer une si sainte entreprise. « Rappelez-vous, disait-il à Charles, que vous êtes le chef de la chrétienté, et que jamais il ne s'offrira une plus belle occasion de vous couvrir de gloire. Les sectes allemandes « sont perdues, si la Suisse hérétique cesse de les appuyer'[6]. » « Oui, répondit Charles; la dignité impériale dont je suis revêtu, la protection que je dois à la chrétienté et à l'ordre public, enfin le salut de la maison 417

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle d'Autriche, tout m'appelle. » Vaincre l'Allemagne en Suisse, tel était le plan des politiques de l'Empire.

Déjà environ deux mille hommes de troupes italiennes, envoyés par le Pape et commandés par le Génois D'Isola, avaient déployé leurs Sept étendards, et rejoint près de Zug l'artnée ces cinq cantons. Troupes atixiliairet, négociations diplomatiques, convertisseurs même, rien n'était épargné. L'évêque de Veroli arriva en Suisse; afin d'y ramener les Luthériens à la foi d’origine, au indien de ses amis et de ses deniers '[8]. Etifin, cette audacieuse Réformation allait être comprimée. Au lieu de la grande délivrance que Zwingle avait menée, l'aigle impérial, lâché par la Papauté, allait débattre sur toute l'Europe, et l'étouffer dans ses serres. La cause de la liberté avait péri sur l'Albis.

Mais l'espérance des Papistes était vaine la cause de l'Évangile, quoique humiliée à cette heure, devait remporter finalement un glorieux triomphe. Un nuage peut éclipser un instant le soleil, mais le nuage passe et le soleil reparaît. Jésus-Christ est toujours le même, et le fer des guerriers, qui triompha dans les champs de Cappel, ne peut prévaloir contre son Église.

Néanmoins, tout semblait alors s'acheminer vers une grande catastrophe. L'armée était démoralisée ; plusieurs disaient qu'ils ne voulaient plus de cette guerre' de prêtres*[9]. Les Tockenbourgeois firent leur paix, et se retirèrent; les Thurgoviens les suivirent, puis ceux de Gaster. L'armée évangélique se débandait peu à peu. À

ces discordes vint se joindre la rigueur de la saison : des pluies et des vents continuels chassaient les soldats dans leurs foyers.

Alors les cinq cantons se jetèrent, avec les bandes indisciplinées d'Isola, sur la rive gauche du lac de Zurich. Les paysans, au son du tocsin, coururent en foule vers la ville, avec leurs femmes éplorées, leurs enfants épouvantés, et leurs troupeaux qui remplissaient les airs de sombres mugissements. « Si l'on n'accepte pas promptement nos conditions, dirent les cantons, nous allons tout mettre à feu et à sang. » Les paysans déclarèrent que si la ville se refusait à traiter, ils traiteraient pour leur propre compte.

Dès lors le parti de la paix prévalut dans le Conseil. On nomma des négociateurs.

«Avant tout, sauvez l'Évangile; puis, s'il est possible, l'honneur! » Telles furent leurs instructions. Le 16 novembre, les députés, Escher, le nouveau commandant de l'armée, vieillard brave, brusque, éloquent et estimé de tous, et une suite nombreuse, passèrent l'Albis et arrivèrent dans une prairie, sur les bords pittoresques de la Sihl, où les représentants des cantons les attendaient. Tous restèrent à cheval. On délibéra. Hélas! L’honneur de la Réforme fut foulé aux pieds, et elle dut subir les expressions les plus humiliantes. « Au nom de la très-louable, sainte et divine Trinité, fut-il dit dans le traité. Premièrement, « nous, Zurichois, devons et voulons laisser nos féaux et chers confédérés des cinq cantons, leurs chers combourgeois du 418

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Valais et tous leurs adhérents ecclésiastiques et laïques, dans leur vraie et indubitable foi chrétienne [10], renonçant à toute mauvaise intention, ruse et finesse.

« Et, de notre côté, nous des cinq cantons, nous voulons laisser nos confédérés de Zurich et les leurs dans leur foi [11]. » Ainsi l'Église de Rome, que des docteurs humains ont toujours tenue sous leur dépendance, semblait être la véritable Église de Jésus-Christ, tandis que l'Église évangélique, qui n'a jamais relevé que de la Parole du Seigneur, devait se résoudre à paraître n'avoir qu'une foi inventée par les hommes. En même temps Rapperschwil, Gaster, Wesen, Bremgarten, Mellingen et les bailliages communs étaient abandonnés aux cinq cantons et au Pape.

Zurich avait sauvé sa foi; c'était tout. Le traité ayant été lu et approuvé, les plénipotentiaires descendirent de cheval, se mirent à genoux, et invoquèrent le nom de Dieu [12]. Puis, le capitaine général des Zurichois, Escher, se relevant, dit, en tournant vers les Waldstettes des yeux mouillés de pleurs : « Dieu soit béni de ce que je puis de

« nouveau vous nommer chers confédérés! » et s'approchant, il serra successivement la main à Golder, Hug, Troger,, Rychmut, Marquart Zell-ger, Dooss, les terribles vainqueurs de Cappel. Tous les yeux étaient pleins de larmes [13]. Chacun prit la gourde suspendue à son côté, et en donna à boire à l'un des chefs du parti contraire.

Le 24 novembre, un traité semblable fut conclu entre Berne et les cinq cantons.

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FOOTNOTES

[1] Dermassen umbgiben mit Fygenden dass kein Hoff-nung der rettung überig.(Bull., An. III, p. x433.)

[2] Ut igitur urane viderai exeuntem, ita sub nocte audio nuntium, pugnatum quidem acriter,, tamen infeliciter, et Zwinglium nobis periisse. (gyc., Vit. Zw.)

[3] Anna Reinhard, par galontton Ilëss, p. 147.

[4] Vivit adhuc, et aeternum vivit fortissimus heros. (Leonis Jud. Exhort. ad Chr.

lect. Enchiridio Psaim. Zwinglii praemissa.)

[5] Nitt über den ileinen Bach. (Bull., III, p. 2 / 3.)

[6] Bétz, Bétz, wilt dann nicht kretzen? (Bulling., III, p. 215.)

[7] Que se pudo desear i camino para remediar las quiebras de nuestra fe y ser Va Md. Senor de Alemanna. (Ferdinand à Charles-Quint, Ier novembre 153r.)

[8] Con proposita di rimover Lutheriani dalla loro mala opinione, con mezzo di alcuni suoi amici e con denari. (Rapport de Basadonna, Archives de Venise, Ranke.) 419

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[9] Pfaffen-Krieg.

[10] By ihren wahren ungezwyfflten christenlichen Glauben. (Tschoudi, p. 247.)

[11] By ihren Glauben. (Ibid.)

[12] Hnuwet mencklich nider und bittet. (Bull., III, p. 253.)

[13] Und luffend ihren ellen die Augen über. (Tschoudi, p. a45.) 420

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE X.

Restauration de la Papauté. —Bremgarten.— Rapperschwil—Soleure. — Prêtres et moines partout. — Tristesse d'Œcolampade. —Une scène paisible. — Mort d'Œcolampade. — Caractère d'Œcolampade. — Bullinger remplace Zwingle. —

Humiliation de la Réforme.— Retour à la Foi— La Leçon de Cappel— Nouvelles destinées

Aussitôt commença en Suisse la restauration de la Papauté. Partout Rome se présentait fière, exigeante, ambitieuse; et la Réformation, froissée, humiliée, affaiblie, voyait s'échapper de ses mains d'importantes conquêtes.

Immédiatement après la bataille de Cappel, la minorité romaine de Glaris avait repris le dessus. Elle marcha sans délai avec Schwitz contre Wesen et le pays de Ganter. La veille de l'invasion, à minuit, douze députés vinrent se jeter aux pieds des chefs de Schwitz. Ils se laissèrent toucher, se contentant de confisquer les bannières nationales de ces deux districts, de supprimer leurs tribunaux, d'annuler leurs anciennes libertés, de condamner les uns à de grosses amendes, les autres au bannissement, et de rétablir la messe, les autels et les idoles qui subsistent encore aujourd'hui [1]. Tel fut le pardon de Schwitz.

Mais c'était surtout de Bremgarten, de Mellingen et des bailliages libres, que les cinq cantons se proposaient de tirer une éclatante vengeance. Berne en ayant rappelé son armée, l'avoyer de Bremgarten, Mutschli, poursuivit Diesbach jusqu'à Arau. En vain lui rappela-t-il que ce n'était que sur les ordres de Berne et de Zurich que Bremgarten avait bloqué les cinq cantons : « Pliez- vous aux circonstances, »

répondit le général. Alors le malheureux Mutschli, s'éloignant de l'impitoyable Bernois, s'écria : « Le prophète Jérémie a bien dit: Maudit soit l'homme qui se confie en l'homme! Aujourd'hui cette parole est accomplie. Dieu sera juge entre nous. » Les bailliages se tournèrent vers Zurich. Le Conseil se montra plus compatissant que Diesbach. Mais tout fit inutile; les bandes suisses et italiennes entrèrent furieuses dans ces florissantes contrées, frappant de grosses amendes tous les habitants, obligeant les prédicateurs évangéliques à s'enfuir, et relevant partout, à la pointe de l'épée, la messe, les idoles et les autels.

De l'autre côté du lac, le mal était plus grand encore. Le 18 novembre, tandis que les Réformés de Rapperschwil dormaient paisiblement sur la foi des traités, une armée de Schwitz passait en silence le grand pont de bois, long de près de deux mille pas, qui traverse le lac, et était introduite dans la ville par le parti romain. Tout à coup les Réformés se réveillent au son retentissant des cloches, et aux voix, tumultueuses des Catholiques; la plupart quittèrent la ville. L'un d'eux cependant, Michel Wohlgemuth, barricade sa maison, place des arquebuses à toutes ses fenêtres, et repousse l'attaque. L'ennemi irrité amine de fortes pièces d'artillerie, assiégé en 421

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle règle cette citadelle improvisée; et bientôt Wohlgemuth, fait prisonnier, meurt au milieu d'horribles tourments.

Nulle part la lutté ne fut phis violente qu'à Soleure. Les deux partis s'étalent rangés en bataille des deux côtés de l'Aar, et déjà les Catholiques-romains avaient lancé un premier boulet à la rive opposée; le second allait partir, quand Yavoyer Wenge, se précipitant à la bouche du canon, s'écria avec énergie : « Épargnez le sang des citoyens, ou que je sois votre première victime » La multitude étonnée laissa tomber ses armes ; mais soixante et dit familles évangéliques durent émigrer, et Soleure rentra sous le joug de l'Église romaine.

En même temps les cellules désertes de Saint-Gall, de Mouri, d'Einsiedlen, de Wettingen, de Rheinau, de Sainte-Catherine, d'ilermatSchwil, de Gnadenthal, voyaient revenir en triomphe bénédictins, franciscains, dominicains. Toute h milice de Rome, prêtres et moines, enivrés de leur victoire, parcouraient les campagnes et les villes, et se préparaient à de nouvelles conquêtes. Le vent de l'adversité soufflait avec furie; les églises évangéliques tombaient l'une après l'autre comme les pins de la forêt, dont la chute, avant la bataille du Goubel, avait rempli les âmes de sombres pressentiments. Zurich se remplissait de ministres fugitifs, qui avaient dû céder la place à des légions de moines et de prêtres arrivés de la Souabe. Ceux-ci prêchaient avec une hardiesse inouïe : « Ce n'est pas seulement Jésus christ, « disaient-ils, qui a souffert pour nous sur là et. or mais c'est aussi la sainte Vierge qui a souffert «

pour nous sous la croix; » et quand les Réformés voulaient répondre à ces blasphèmes, on leur imposait silence avec de rudes menaces. Partout la consternation frappait les esprits, et une terreur panique jetait une multitude d'âmes timides dans les bras de la Papauté.

Les Waldstettes, pleins de reconnaissance pour la Vierge, se rendirent solennellement en pèlerinage à son temple d'Einsiedlen. Des chapelains y célébrèrent de nouveau leurs mystères; et cette fameuse chapelle, que la voix de Zwingle avait transformée en un sanctuaire de la Parole, redevint pour la Suisse ce qu'elle est restée jusqu'à ce jour, le centre de la puissance et des intrigues de Rome.

Mais ce n'était pas assez : en même temps que des églises s'écroulaient, la Réforme voyait s'éteindre ses plus brillants flambeaux. Un coup de pierre avait frappé l'énergique Zwingle sur le champ de bataille; et la douleur allait atteindre le pacifique Œcolampade à Bâle, au sein d'une vie tout évangélique. La mort de son ami, et la catastrophe dont elle avait été le signal, déchiraient le cœur d'Œcolampade, et bientôt sa tête et sa vie s'inclinèrent tristement vers la tombe. «

Hélas ! s'écriait-il, ce Zwingle que j'ai si longtemps « regardé comme mon bras droit, est tombé sous « les coups de cruels ennemis t. » Il retrouva cependant quelque énergie pour défendre la mémoire de son frère. « Ce ne fut pas, dit-il, sur les plus coupables que tombèrent la colère de Pilate et la tour de Siloé. Le jugement 422

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle commence par la maison de Dieu. Notre présomption a été abaissée : que notre confiance se porte sur le « Seigneur seul, et ce sera un immense gain. Œcolampade rejeta la vocation que Zurich lui adressa pour succéder à Zwingle : « C'est ici ma place, » dit-il, parlant de Bâle.

Il ne devait pas longtemps l'occuper. La maladie vint se joindre à tant d'afflictions; la peste était dans la ville; une inflammation consumant l'atteignit; et bientôt une scène touchante succéda au tumulte de Cappel. Un lit de mort, entouré de paix, vint reposer les cœurs agités des fidèles, et remplacer, par de calmes et célestes émotions, l'effroi et l'angoisse dont un horrible désastre les avait partout remplis.

A l'ouïe du danger d'Œcolampade, toute la ville fut dans le deuil, et une foule d'hommes de tout âge et de tout rang se rendirent dans sa maison

« Réjouissez-vous, leur disait avec un doux regard le Réformateur; je vais au lieu de l'éternelle joie. » Puis il célébra la mort du Seigneur avec sa femme, ses parents et ses domestiques, qui fondaient en larmes. « Cette scène, dit le mourant, est un témoignage de ma foi véritable en Jésus-Christ, mon Rédempteur. »

Le lendemain, il fit venir ses collègues. « Frères, dit-il, le Seigneur est là ; il m'appelle. 0 frères! quel sombre nuage coopte sur l'horizon! quelle tempête s'approche !... Demeurez fermes; le Seigneur sauvera les siens. » Il leur tendit la main, et tous ces ministres fidèles la pressèrent avec respect.

4 e novembre, il fit venir ses enfants, dont le plus 440 avait à peine trois ans. «

Eusèbe, Irène, Aléthéa, leur dit-il en prenant leurs petites mains, aimez Dieu votre père. » Leur n*e l'ayant promis pour eux, les enfants s'éloignèrent avec la bénédiction du mourant. La nuit qui suivit devait être la dernière pour le saint Jean de la Réformation. Tops les pasteurs l'entouraient. Un ami étant entré : « Qu'y a-t-il de nouveau?» lui demanda Œcolampade. Celui-ci ayant répondu, Rien », « Eh bien !

dit le fidèle disciple, je veux vous dire quelque chose de nouveau. QR attendait avec étonnement. « Dans peu, reprit-il, oc je serai près du Seigneur Jésus. » Puis un de ses amis lui demandant si la lumière l'incommodait, il répondit, eu mettant la main sir son cœur:

u Il y a là assez de lumière! » L'aurore commençait à paraitre ; il récita d'une voix faible le Lie psaume : « 0 Dieu, aie pitié de moi selon tes « gratuités! » Ensuite s'étant tu, comme s'il voulait reprendre des forces, il dit : « Seigneur Jésus, aide-moi!

» Les dix pasteurs tombèrent à genoux autour de son lit, les mains jointes. Dans ce moment le soleil se leva, et vint éclairer de ses premiers rayons le dernier regard d'Œcolampade, et le deuil si profond dont l'Église de Dieu était de nouveau frappée '.

La mort de ce serviteur de Dieu avait été, comme sa vie, pleine de lumière et de paix.

Ecolampade fut, par excellence, le chrétien spirituel et le théologien biblique.

L'importance qu'il donna à l'étude des livres de l'Ancien Testament imprima à la 423

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle théologie réformée un de ses caractères les plus essentiels 2. Comme homme d'action, sa modération et sa douceur le placèrent au second rang. Peut-être aurait-il dû faire prévaloir davantage auprès de Zwingle l'esprit de paix dont il était animé : de grands maux auraient été évités par 14, Mais, comme tous les hommes d'un caractère débonnaire, il plia trop sou humeur paisible à la volonté énergique du Zurichois, et renonça ainsi, en partie du moins, à l'influence légitime qu'il devait exercer sur la réformation de la Suisse et de l'Église.

Zwingle et Œcolampade étaient tombés. Il y avait un grand vide et une grande douleur dans l'Église de Jésus-Christ. Les divisions, les inimitiés même s'évanouirent devant ces deux tombes, et on ne trouva plus que des larmes. Le cri qui fit entendre dans la chrétienté fut un éclatant hommage rendu à ces hommes de Dieu. Luther lui—même fut ému. A la nouvelle de ces deux morts, il se rappela les jours qu'il avait passés avec eux à Marbourg ; et quoiqu'il ne pût s'empêcher de prononcer sur Zwingle quelques paroles sévères, la fin soudaine de ces théologiens de la Suisse lui porta un tel coup, que, plusieurs années après, il disait encore à Bullinger : cc Leur mort « m'a rempli d'une immense douleur, et j'en ai cc presque rendu l'âme [3]. »

Henri Bullinger, menacé de l'échafaud, avait dû se sauver de Bremgarten, avec son vieux père, ses collègues, et soixante des principaux habitants, qui abandonnaient leurs maisons au pillage des Waldstettes [4]. Trois jours après, il prêchait dans la cathédrale de Zurich. « Non, Zwingle n'est « pas mort, s'écria Myconius, ou, semblable au « phénix, il renaît de ses cendres! » Bullinger fut élu à l'unanimité pour succéder au Réformateur. Il recueillit les enfants orphelins de Zwingle, WU.

helm, Regula, Ulrich, et leur tint lieu de père. De tous côtés on salua ce jeune homme de vingt-huit ans, qui présida quarante ans cette Église, comme l'apôtre de l'Helvétie [5].

Cependant, comme la mer mugit longtemps après une violente tempête, ainsi s'agitait encore sourdement le peuple de Zurich. Dieu parlait à plusieurs : ils rentraient en eux-mêmes; ils reconnaissaient leur erreur; ils se levaient ; ils allaient à leur Père, et lui confessaient leurs fautes. D'autres cependant étaient loin de s'humilier ; la vue de leurs alliés, contraints à fléchir sous le joug de Rome, et les cris présomptueux des Waldstettes, déchiraient leur âme. Aussi se dressaient-ils avec fierté, et protestaient-ils contre l'œuvre des diplomates. Les ministres même, cherchant à prévenir la ruine de la Réforme, parlaient avec hardiesse. « Si les bergers dorment, il faut que les chiens aboient, » s'écriait Léon Juda, prêchant un soir dans la cathédrale de Zurich; « mon devoir est d'annoncer le mal que l'on veut faire à la maison de mon maitre

Mais la Réforme devait boire le calice jusqu'à la lie. Les Waldstettes recherchaient tout ce qui pouvait l'humilier. Un jour, les députés des cinq cantons parurent à 424

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Bade en diète, tenant orgueilleusement suspendus à leurs bourses, en guise d'ornement, les sceaux de Zurich et des autres villes évangéliques, arrachés des lettres de la combourgeoisie chrétienne. On répandait partout le bruit du rétablissement de la messe dans la ville de Zwingle ; et le Conseil ayant publié une ordonnance dans laquelle il appelait la messe un abus, les cinq cantons n'eurent pas de repos qu'on ne leur eût donné satisfaction de cette injure. En même temps, les Waldstettes faisaient éclater leur joie. Le bruit des tambours et des fifres des coups d'arquebuse, le son des cloches, avaient longtemps retenti sur les bords de leurs lacs, et jusque dans leurs plus hautes vallées. Maintenant on cherchait moins le bruit que l'effet. Les cinq cantons, auxquels Fribourg et Soleure s'étaient étroitement attachés, formèrent avec l'évêque de Sion et les dizains du Valais une ligue perpétuelle, pour la défense de leur foi.

Les Réformés suisses n'avaient rien à opposer à cette puissante coalition. Mais une ferme conviction se formait dans leur Cœur. « La foi vient de Dieu, dirent-ils; son sort nés dépend point de la vie ou de la mort d'un homme! Que nos adversaires se glorifient de notre ruine, nous nous glorifierons en la croix Dieu règne, écrivait Berne à Zurich; il ne laissera pas sombrer sa nacelle. Cette assurance valait plus que des armées.

Ainsi la Réformation, qui s'était dévoyée, rentrait, par la violence même du coup qu'elle avait reçu dans ses sentiers primitifs. Les hommes de la Bible avaient été pris d'un inconcevable étourdissement. Oubliant que notre guerre n'est point charnelle, ils avaient tourne follement aux armes et aux combats. Mais Dieu règne : il punit les Églises et les peuples qui se détournent de ses voies, et donne par ces châtiments mêmes de salutaires leçons aux générations à venir. Au moment de terminer ce triste récit, 'nous prenons quelques pierres, et, les dressant sur le'

champ de bataille de Cappel, nous y inscrivons d'un côté ces mots du Psalmiste : «

Les uns se vantent de leurs chariots, et-les autres de leurs chevaux ; mais mus nous vanterons du nom de 'l'Éternel notre Dieu; » et de l'antre, cette délation du roi de l'Église : « mon règne m'est pas de de monde Si des tombes des martyrs de Cappel Une voix pouvait se faire entendre; tes paroles 'de la Bible seraient celles que ces nobles confesseurs adresseraient, après trois siècles, aux chrétiens dé nos jours.

L'Église n'a d'autre roi 'que Jésus-Christ; elle ne doit point se mêler à la politique chi monde, recevoir de lui ses inspirations, invoquer les épées; les prisons, les trésors; sa victoire est dans les puissances spirituelles que son Dieu a déposées en elle, et surtout dans le règne de son adorable chef; il ne faut point attendre pour elle, sur* la terre, des trônes et des triomphes humains; mais sa marche, comme celle de son Roi, va d'e la crèche à la croix, et de la croix à la gloire. Voilà ce qu'enseigne cette page ensanglantée, qui est venue se glisser au milieu de ces évangéliques récits.

425

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Mais si Dieu donne aux siens de grands enseignements, il leur donne aussi de grandes délivrances. La foudre était tombée du ciel. La Réformation semblait n'être plus qu'un corps inanimé, étendu sur le carreau, et dont les membres démis allaient être réduits en cendres. Mais Dieu fait revivre les morts. Des destinées nouvelles et plus glorieuses attendaient, au pied des Alpes, 'l'Évangile de Jésus-Christ. A l'extrémité méridionale et occidentale de la Suisse, dans une grande et large vallée que signale de loin le géant blanchi des montagnes; sur les bords du lac Léman, aux lieux où le Rhône, aussi pur et aussi bleu que le ciel, en sort ses magnifiques eaux; sur une colline que les pieds de César avaient jadis foulée, et sur laquelle les pas d'un autre conquérant, d'un Gaulois, d'un Picard', devaient bientôt laisser une ineffaçable et glorieuse empreinte, se trouvait une ville antique, couverte encore des ombres épaisses de la Papauté, mais que Dieu allait élever comme un fanal de l'Église et un boulevard de la Chrétienté.

Jean Calvin, de Noyon.

________________________________________

FOOTNOTES

[1] De Joannis OEcolaimpadis °hitt', per Simonem Cltryneum. (Epp. OEcol. et Zwinglii, libri W.-11çrzog, Vie d'Œcolampade.)

[2] Voyez ses commentaires sur Ésaïe (1525); ler chap. d'Ézéchiel ( 1527); Aggée, Zacharie, Malachie (z 547 ); (1530); Job (1532), et les commentaires publiés après sa mort, avec des interprétations, sur Jérémie, Ézéchiel, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, et les deux premiers CHAPITREs de Michée.

[3] De cujus morte dolorem concepi... ita ut eorum casas me pane exanimaverit. (L.

Epp., V, p. z z 2.)

[4] Ne a quinque pagis aut obtruncarer aut comburerer. (Bullinger ad Myc., nov.

i531.)

[5] Haller ad Bulling., 1536.

[6] Ich muss bellen. (Bull., III, p. 32r .)

[7] Le poirier de zwiligte ayant péri, un roc a été amené sur la place où le grand Réformateur mourut, et on y a gravé ses dernières paroles et une inscription convenable, qui n'est pas toutefois celle que nous proposons. Ce monument se voit à gauche de la route, quand on se rend, par l'Alibis, de Zurich à Lucerne ou au Righi.

45

FIN DU QUATRIÈME VOLUME.

426

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