Histoire de la Réformation du Seizième Siècle_Vol 4 by Jean-Marie Merle D'Aubigne - HTML preview

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[8] Mse. de Choupart. 2 Actes X1V, v. 19.

[9] Ibid., y. 14.

[10] Msc. de Choupart.

[11] Lettre du Gouverneur à la Princesse.

[12] C'est ce qui résulte de diverses pièces, et en particulier du Recez de la journée tenue à Neuchâtel par MM. de Berne, où les chefs de la bourgeoisie déclarent qu'il leur avait paru que c'était une chasse tout à fait bonne d'ôter les autels, etc. On n'a vu jusqu'à présent que l'une des faces de cette action, le mouvement populaire, et l'on a, ce me semble, méconnu l'autre, savoir, la résolution légale des magistrats de la ville.

[13] Msc. de Choupart.

[14] Msc. de Choupart,

[15]. Chroniq, xxxxv,, v. 7.

[16] Msc. de Choupart.

[17] Diabolum sœculo intiilisse artifices statuarum et imaginuni et omnis generis simulacrorum. (Tertullien, de idolelatria, cap. 3.)

[18] Socrates, V, x6.

[19] Par les quatre (l'autorité municipale ) dudit Ifeuchdtel, remarque le curé Besancenet. Voir aussi le recez de la journée tenue à Neuchàtel par MM. de Berne, le i4 novembre 1530.

[20] Lettre du Gouverneur à la Princesse.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[21] Cur vos sub validissimis clavibus, ingentibusque sub claustris conservatis, ne forte fur aliquis irreptat ? ( Arnobius contra gentes, VI, p. 257.) 310

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VIII.

Les Catholiques demandent une votation. — Les Bernois soutiennent la Réforme. —

Les deux partis en présence. —Les Réformés demandent la votation. — Les Romains saisissent l'épée. — Les Romains inscrivent leurs noms. — La votation. — Majorité pour la Réforme. — Droits des prudhommes. — Un miracle. — Départ des chanoines.

Le Gouverneur et ses affidés n'étaient pourtant pas sans quelque espérance. Ce n'est qu'une minorité, disait-on au château, qui a pris part à la destruction des images; la majorité de la nation obéit encore à l'ancienne doctrine. M. de Rive devait apprendre que si dans un mouvement populaire on ne voit souvent paraître qu'une minorité, c'est que la majorité, tout en étant d'accord avec elle, préfère laisser l'action à d'autres. Quoi qu'il en soit, le Gouverneur, - se croyant sûr de son fait, résolut de mettre aux voix le maintien de la messe. Pour peu que la majorité fût indécise, l'influence combinée du gouvernement et du clergé devait la faire pencher du côté de Rome. Les amis de la Réformation, s'apercevant de la ruse et sentant le besoin d'assurer l'intégrité des votes, demandèrent la présence de commissaires bernois [1]. On s'y refusa d'abord. Mais Neuchâtel, divisé en deux camps, pouvait voir à tout moment le sang couler dans ses murs; M. de Rive appela donc Berne à son secours.

Antoine Noll et Sulpice Archer, membres l'un et l'autre' du Conseil, et Jacques Tribolet, bailli de l'Ile-Saint-Jean, hommes dévoués à la Réforme, firent leur entrée dans Neuchâtel le 4 novembre : journée pleine d'événements pour la principauté, et qui devait décider de la Réformation. Les Bernois se rendirent au château, et y parlèrent avec hauteur « Messeigneurs de Berne, dirent-ils au Gouverneur, sont fort surpris que vous vous opposiez à la pure et vraie Parole de Dieu. Désistez-vous promptement; autrement l'État et Seigneurie en pourraient pis valoir [2], »

George de Rive fut consterné; il avait cru appeler des aides, et il trouvait presque des maîtres. Il fit pourtant une tentative pour sortir du défilé où il s'était engagé.

Les cantons romains de Lucerne, Fribourg et Soleure, étaient aussi alliés de l'État.

Le Gouverneur insinua aux députés bernois qu'il pourrait bien réclamer leur intervention. A ces mots, les députés se levèrent, et déclarèrent à M. de Rive que, s'il le faisait, il courrait risque de faire perdre Neuchâtel à sa souveraine. Le Gouverneur reconnut l'impossibilité d'échapper du filet dans lequel il s'était imprudemment jeté. Il n'y avait plus qu'à baisser la tête et attendre la marche des événements, qu'il lui était impossible de dominer.

Il n'en fut pas ainsi des chanoines et des nobles. Ne se tenant pas pour battus, ils entourèrent les Bernois; et mêlant, comme on le fait toujours en pareil cas, la religion et la politique, ils s'efforcèrent de les ébranler. «Ne voyez-vous pas, leur disaient-ils, que si nous ne soutenons le pouvoir spirituel, nous compromettons le 311

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle pouvoir civil ? Le plus sûr appui du trône, c'est l'autel! Ces hommes dont vous vous faites les défenseurs, ne sont qu'une poignée de brouillons : la majorité est pour la messe ! » — «Tournez-vous de quel côté vous voudrez, répondit un de ces. « roides Bernois, quand bien le plus (la majorité) sera des vôtres, si passerez-vous par là Jamais nos Seigneurs n'abandonneront les défenseurs de la foi évangélique '. »

Le peuple s'assembla au château pour la votation définitive. Le sort de Neuchâtel allait s'accomplir. D'une part se serraient autour du Gouverneur le Conseil privé, les chanoines et les plus zélés des Catholiques-romains; de l'antre, on voyait les quatre magistraux, le Conseil de ville et un grand nombre de bourgeois, monter gravement l'avenue, escarpée qui conduit à l'église et ah château, et se ranger en face de leurs adversaires: Des deux côtés, même attachement à la foi qu'on avait embrassée, même résolution; mais, dans le parti des chanoines, se trouvaient bien des esprits inquiets, des cœurs troublés, des yeux abattus, tandis que les amis de la Réforme s'avançaient la tête haute, le regard assuré, et l'âme pleine d'espérance.

George de Rive, voulant s'acquitter de son devoir, prit la parole. Il peignit la violence avec laquelle les Réformés avaient brisé les images et les autels. « Et pourtant, continua-t-il, qui a établi cette église ? Ce sont les prédécesseurs de la princesse, et non les bourgeois. A cause de quoi je demande que ceux qui ont enfreint, par violente, l'autorité de Madame, soient obligés de remettre ce qu'ils ont ôté, en sorte que la sainte messe et les heures canoniales soient de nouveau célébrées [3]. »

Alors les prud'hommes de Neuchâtel s'avancèrent. Ce n'étaient pas quelques têtes jeunes et folles, comme l'avaient prétendu les adhérents du Pape; c'étaient de graves bourgeois, dont les franchises étaient garanties, et qui avaient pesé ce qu'ils avaient à dire. « Par l'illumination du Saint-Esprit, dirent-ils, et par la sainte doctrine de l'Évangile qui nous est enseigné dans la pure parole de Dieu, nous voulons montrer que la messe est un abus, sans aucune utilité, et qui est beaucoup plus à. la damnation qu'au salut des âmes. Et nous sommes prêts à prouver qu'en enlevant les autels, nous n'avons rien fait qui ne fût droit et agréable à Dieu '[4].»

Ainsi les deux partis étaient en présence dans le château, avec « de grandes haines et divisions, » dit le recez de Berne. Les arbitres se consultèrent. Le Gouverneur insistait, comprenant que ce moment allait décider de l'avenir. Quelques voix suffisaient pour le triomphe de Rome, et il comptait les gagner par son assurance. «

Devez entendre, disait-il, que la plupart de cette ville, hommes et femmes, tiennent fermement à l'ancienne foi.

« Les autres sont jeunes gens de guerre, forts de leurs personnes, remplis de la nouvelle doctrine, ayant le feu à la tête [5]. » — «Eh bien, répondirent les Députés bernois, pour empêcher tout « dommage, décidons le différend par la pluralité des suffrages, conformément au traité de paix fait à Bremgarten entre les cantons. »

312

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle C'était ce que les Réformés désiraient. Le plus, le plus ! s'écriaient-ils, selon l'expression consacrée pour de tels votes. Mais le seigneur de Prangins et les prêtres, qui l'avaient voulu quand ils étaient seuls, reculaient en présence de Berne.

« Nous demandons du temps, » dirent-ils. Si les Réformés se laissaient abuser par ces moyens dilatoires, c'en était fait. Ils savaient que si les Bernois quittaient Neuchâtel, le Gouverneur et le Clergé auraient facilement le dessus ; ils tinrent donc ferme. « Non, non, dirent-ils. Maintenant! Point de délai! Pas un jour! Pas une

« heure!» Mais le Gouverneur, ainsi menacé d'un vote qui pouvait décider de la chute légale de la Papauté, reculait toujours, et opposait obstinément aux cris du peuple tune fin de non-recevoir. Déjà les magistrats s'indignaient, les bourgeois murmuraient, les plus ardents regardaient à leurs armes... « Ils étaient délibérés à nous contraindre l'épée à la main, » écrit le Gouverneur à la Princesse. Un nouvel orage se formait sur Neuchâtel. Encore quelques minutes de résistance, et il allait éclater sur l'église, sur la ville et sur le château, ne brisant plus seulement des statues, des images et des autels. « Il fût demeuré des gens morts, » écrit le seigneur de Rive [6]. Il se rendit.

A l'ouïe de cette concession les partisans de Rome comprennent le danger. Ils se parlent, se concertent et en un instant leur résolution est prise; ils sont décidés à combattre [7].

« Monseigneur, » disent-ils en se tournant vers M. de Rive, et portant la main à la garde de leur épée, nous tous qui tenons le parti du Saint-Sacrement, nous voulons mourir martyrs pour notre sainte foi [8]. » Cette démonstration n'a point échappé aux jeunes soldats qui reviennent de la guerre de Genève. Un instant encore, et les glaives se tirent, les fers se croisent, la terrasse se transforme en un champ de bataille.

Monseigneur de Prangins, plus politique que catholique, tremble à cette pensée. « Je ne puis le souffrir, dit- il aux fanatiques de son parti : ce serait entreprise pour faire perdre à « Madame son État et sa seigneurie'[9]. Je consens, dit-il aux Bernois, à faire le plus, sous réserve néanmoins de la souveraineté, droiture et seigneurie de Madame. » — « Et nous, dirent les bourgeois, sous réserve de nos libertés et franchises. »

Les Catholiques romains, voyant le pouvoir politique, qu'ils avaient invoqué leur faire défaut, comprirent que tout était perdu. Ils sauveront du moins leur honneur au milieu de ce grand naufrage; ils donneront leurs noms pour que la postérité connaisse ceux qui sont demeurés fidèles à Rome. Ces fiers soutiens de la hiérarchie s'avancent donc vers le Gouverneur; des larmes coulent sur leurs rudes visages, et font ainsi connaître leur muette colère. Ils inscrivent comme témoins leurs noms au bas de ce testament solennel que la Papauté passe à cette heure dans Neuchâtel, par-devant les seigneurs de Berne.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Alors iceux, dirent en pleurant que les noms et les surnoms des bons « et des pervers fussent écrits en perpétuelle mémoire, et qu'ils protestaient être bons et fidèles bourgeois de Madame, et lui faire service jusqu'à la mort. »

Les bourgeois réformés étaient convaincus que ce n'était qu'en rendant franchement témoignage de leurs convictions religieuses, qu'ils pouvaient s'acquitter de leur dette envers Dieu, envers leur souveraine, et envers leurs concitoyens. Aussi à peine les Catholiques eurent-ils protesté de leur fidélité à Madame, que, se tournant vers le Gouverneur, les Réformés s'écrièrent : Nous disons le semblable en toute autre chose où il plaira à a Madame nous commander, sauf et réserve icelle foi évangélique, dans laquelle nous voulons vivre et mourir [10]. »

Alors tout s'apprêta pour la votation. On ouvrit l'église de Notre-Dame, et les deux partis s'avancèrent au milieu des autels brisés, des tableaux déchirés, des statues mutilées, et de toutes ces ruines de la Papauté qui annonçaient assez à ses partisans la défaite dernière et irrévocable qu'elle allait subir. Les trois seigneurs de Berne prirent place à côté du Gouverneur, comme arbitres de l'action et présidents de l'assemblée, et le plus commença.

George de Rive, malgré l'abattement de ses amis, n'était pas sans, quelque espérance. Tous les partisans de l'ancien culte dans Neuchâtel avaient été avertis ; et peu de jours auparavant, les Réformés eux-mêmes, en se refusant à la votation, avaient reconnu la supériorité numérique de leurs adversaires. Mais les Neuchâtelois amis de l'Évangile avaient un courage et un espoir qui semblait reposer sur de plus fermes bases. N'étaient-ils pas le parti vainqueur, et pouvaient-ils être vaincus au milieu de leur triomphe ?

Les hommes des deux partis s'avançaient confondus les uns avec les autres, et chaque bourgeois donnait silencieusement son vote. On se comptait ; le plus semblait incertain ; la crainte était égale dans les deux camps Enfin la majorité semble se prononcer. On dépouille les votes; on proclame le résultat : dix-huit voix de majorité donnent la victoire à la Réforme, et le dernier coup à la Papauté.

Alors MM. de Berne se hâtèrent de profiter de cet avantage. « Vivez désormais, dirent-ils, en bonne paix; que la messe ne soit plus célébrée; que l'on ne fasse aucun tort aux moines et aux « prêtres; et que l'on paye à Madame, ou à qui il sera dû justement, dîmes, cens, rentes et revenus. » Ces divers points furent proclamés par l'assemblée, et il en fut aussitôt dressé un acte, auquel les Députés, le Gouverneur et les magistrats de la ville de Neuchâtel apposèrent leurs sceaux' [11].

Farel ne paraît point dans toute cette affaire: on dirait qu'il n'était pas à Neuchâtel.

Les bourgeois n'en appellent qu'à la parole de Dieu, et le Gouverneur lui-même, dans son long rapport à la Princesse, ne fait pas mention une seule fois du Réformateur. Ce sont les apôtres du Seigneur, saint Pierre, saint Jean, saint Paul, 314

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle saint Jacques, qui, par leurs divins écrits, rétablissent au milieu des Neuchâtelois le vrai fondement de l'Église. Le droit pour les prud'hommes, c'est la Parole de Dieu.

En vain l'Église romaine dit-elle : « Mais ces Écritures mêmes, c'est moi qui vous les donne; « vous ne pouvez donc croire en elles sans croire en moi. » Ce n'est pas de l'Église romaine que l'Église protestante reçoit la Bible; le Protestantisme a toujours été dans l'Église; il a seul existé partout où l'on s'est occupé des Saintes Écritures, de leur divine origine, de leur interprétation et de leur dissémination. Le Protestantisme du seizième siècle a reçu la Bible du Protestantisme de tous les siècles. Quand Rome parle de hiérarchie, elle est sur son terrain ; dès qu'elle parle d'Écriture, elle se place sur le nôtre. Si l'on eût mis Farel en avant à Neuchâtel, Farel peut-être n'eût pu tenir contre le Pape; mais la parole de Christ seule était en cause, et il faut que Rome tombe devant Jésus-Christ.

Ainsi, se termina par un contrat mutuel cette journée d'abord si menaçante. Si les Réformés avaient sacrifié à une fausse paix quelques-unes de leurs convictions, le trouble se fût perpétué dans Neuchâtel. Une manifestation hardie de la vérité et les secousses inévitables qui l'accompagnent, loin de perdre la société, la sauvent ; c'est le vent qui soustrait le navire aux écueils, et le fait entrer dans le port.

Le seigneur de Prangins sentait lui - même qu'entre concitoyens cc il vaut mieux se toucher, «fût-ce en se heurtant, que de s'éviter toujours. » La franche explication que l'on avait eue avait rendu l'opposition des partis moins irritante. «Je fais la promesse, dit le Gouverneur, de ne « rien entreprendre coutre la votation de ce jour; car je suis moi-même témoin qu'elle a été honnête, droite, sans danger et sans contrainte '[12]. »

Il fallait disposer des dépouilles du parti vaincu; le Gouverneur leur ouvrit son château. On y transporta les reliques, les ornements de l'autel, les titres de l'église, l'orgue même; et la messe, chassée par le peuple, y chanta tristement chaque jour.

Tous les ornements ne prirent pourtant pas cette route. Quelques jours après, deux bourgeois, nominés l'un Fauche et l'autre Sauge, se rendant ensemble à leurs vignes, passèrent devant une chapelle. Fauche, qui y avait placé une statue de saint Jean, en bois, dit à son compagnon : « Voilà une image dont demain je chaufferai mon poêle! » En effet, en repassant, il enleva le saint, et le déposa devant sa maison.

Le lendemain matin, il prit la statue et la mit au feu. Tout à coup une horrible détonation vient porter la terreur dans cette humble demeure. Fauche, tremblant, ne doute pas que ce ne soit un miracle du saint, et se hâte de retourner à la messe.

En vain Sauge, son voisin, lui déclara-t-il avec serment que pendant la nuit il avait fait un trou à la statue, avait rempli ce trou de poudre à canon, et l'avait refermé: Fauche, effrayé, ne voulut rien entendre, et, décidé à fuir la vengeance des saints, il alla avec sa famille s'établir à Morteau en Franche-Comté [13]. Tels sont les miracles sur lesquels la divinité de Rome repose.

315

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Peu à peu la transformation s'accomplissait. Des chanoines, Jacques Baillod, Guillaume Pury, Benoît Chambrier, embrassèrent la Réformation. D'autres furent adressés par le Gouverneur au prieuré de Motiers, dans le val de Travers; et au milieu de novembre, au moment où les vents de l'hiver commencent à siffler dans les montagnes, quelques chanoines, entourés de quelques enfants de chœur, tristes débris du puissant et orgueilleux Chapitre de Neuchâtel, chassés de leur vie douce et voluptueuse, remontaient péniblement les gorges du Jura, et allaient cacher, dans ces hautes et pittoresques vallées, la honte d'une défaite, que leurs longs désordres et leur insupportable tyrannie n'avaient que trop provoquée.

Pendant ce temps, le nouveau culte s'organisait. A la place du maître-autel, on élevait deux tables de marbre destinées à recevoir le pain et le vin ; et la parole de Dieu était prêchée du haut d'une chaire dépouillée de tout ornement. La prééminence de la Parole, qui caractérise le culte évangélique, remplaçait dans le temple de Neuchâtel la prééminence du sacrement, qui caractérise le culte de la Papauté. Vers la fin du second siècle, Rome, cette métropole des religions antiques, après avoir accueilli le culte chrétien dans sa pureté primitive, l'avait peu à peu métamorphosé en mystères. On avait attribué une puissance magique à certaines formules; et le règne du sacrifice offert par le prêtre avait remplacé partout le règne de la parole de Dieu. La prédication de Farel venait de réintégrer la Parole dans ses imprescriptibles droits; et ces voûtes que la piété du comte Ulrich Il avait, à son retour de Jérusalem, dédiées au culte de Marie, servaient enfin, après quatre siècles, à nourrir les fidèles, comme au temps des Apôtres, de la bonne doctrine de la foi

'[14].

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FOOTNOTES

[1] Trois ambassadeurs qui me tinrent assez gros et rudes « propos. ( Le Gouverneur à la Princesse. )

[2] Le Gouverneur à la Princesse.

[3] Msc. de Choupart. — Recez de MM. de Berne.

[4] Recez de MM. de Berne.

[5] Ibid.

[6] Lettre du Gouverneur à la Princesse.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Lettre du Gouverneur à la Princesse.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[10] Lettre du Gouverneur à la Princesse.

[11] Recez de MM. de Berne. Msc.

[12] Ungeràhrlich, ungezwungen, aufrecht und redlich. ( Berne au Gouverneur, 17

décembre 1530.)

[13] Annales de Boyve. Msc.

[14] Tim. IV, 6.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IX.

Évangélisation du pays. — Réaction. — Complot et délivrance. — Farel à Valengin, à la Cote. — La pierre de maître Jean. Farel à Saint-Blaise. — Expédient grossier à Valengin. — Vengeance. — Établissement de la Réforme. — Réforme de la Suisse française

L'accord fait sous la médiation de Berne stipulait « que le changement n'aurait lieu que pour « la ville et paroisse de Neuchâtel. » Le reste du pays demeurera-t-il donc dans les ténèbres ? Ce n'était pas là ce que voulait Farel; et le zèle des bourgeois, encore dans sa première ferveur, le secondait efficacement. On se rendait dans les villages voisins, on exhortait les uns, on combattait les autres. Ceux qui devaient travailler de leurs mains pendant le jour, y- allaient le soir. « Or je suis averti, écrit le Gouverneur à la Princesse qu'ils sont nuit et jour pour faire une réformation. »

George de Rive, en conséquence, convoqua les magistrats de toutes les justices du comté. Ces bonnes gens croyaient que leur conscience relevait de madame de Longueville aussi bien que leurs places. Effrayés à la pensée de recevoir librement de la parole de Dieu une conviction nouvelle, ils étaient tout prêts à l'accepter des mains de Madame, comme ils acceptaient d'elle un nouvel impôt. Triste ilotisme, où la religion sort du sol, au lieu de descendre du ciel. « Nous voulons vivre « et mourir sous la protection de Madame, dirent a les magistrats au seigneur de Rive, sans changer l'ancienne foi, jusqu'à ce que par elle en « soit ordonné'[1]. » Rome, même après sa chute, ne pouvait recevoir un plus amer affront.

Ces assurances de fidélité et l'absence des Bernois firent reprendre courage à M. de Rive, et il prépara en secret une réaction parmi les nobles et le petit peuple. Il y a, dans les catastrophes historiques, dans la chute des grands établissements, dans le spectacle de leurs ruines, quelque chose qui agite l'esprit, l'enflamme et le féconde.

C'est ce qui arrivait alors. Quelques-uns étaient plus zélés pour la Papauté au moment de sa chute, qu'ils ne l'avaient été pour elle aux jours de son pouvoir. Les prêtres, se glissant dans les maisons, disaient la messe à quelques amis mystérieusement convoqués, autour d'un autel improvisé. Un enfant était-il né, le prêtre arrivait sans bruit, soufflait sur l'enfant, faisait le signe de la croix sur son front et sa poitrine, et le baptisait selon le rite romain On reconstruisait ainsi en cachette ce que le grand jour avait renversé. Enfin la contre-révolution fut décidée, et le jour de Noël fixé pour la restauration du catholicisme romain. [2]

Tandis que les cantiques de joie des chrétiens allaient monter ad ciel, les partisans de Rome voulaient se précipiter dans l'église, frapper à droite et à gauche, chasser cette troupe hérétique, renverser la chaire et la table sainte, relever l'autel, rétablir les images, et célébrer la messe en triomphe. Telle devait être la victoire de la Papauté '[3].

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Ce plan fut découvert. Des députés bernois arrivèrent à Neuchâtel, la veille de la fête. « Mettez « ordre à cela, dirent-ils au Gouverneur. Si l'on attaque les Réformés, nous, leurs combourgeois, nous les protégerons de tout notre pou« voir. » Les conjurés laissèrent tomber leurs armes, et les cantiques de Noël ne furent point troublés.

Cette délivrance signalée augmenta le dévouement et le zèle des amis de l'Évangile.

Déjà Emer Beynon, de Serrières, où Farel avait un jour abordé dans un chétif bateau, montant en chaire, avait dit à ses paroissiens : « Si j'ai été un bon curé, je veux, par la grâce de Dieu, être encore un meilleur pasteur. Il fallait que ces paroles retentissent de toutes les chaires. Farel recommence donc une carrière de travaux, de fatigues, de luttes, que les actes des apôtres et des missionnaires peuvent seuls égaler.

Dans les derniers jours de l'an 1530, au cœur de l'hiver, il passe la montagne, entre dans l'église de Valengin, moine en chaire, et se met à prêcher au moment où Guillemette de Vergy se rendait à la messe. Madame de Valengin essaye en vain de fermer la bouche au Réformateur; la vieille et noble douairière s'éloigne alors précipitamment, en disant : «Je ne crois pas que ce soit « selon les vieux évangiles; s'il y en a de nouveaux qui fassent cela faire, j'en suis ébahie [4]. » Les Valentinois embrassent l'Évangile. Le lieutenant effrayé court à Neuchâtel, de là à Berne, et, en février 1531, il dépose sa plainte devant le Conseil; mais tout est inutile. « Pourquoi, lui « dirent les seigneurs de Berne, troubleriez-vous « l'eau de la rivière? Laissez-la librement courir. »

Farel se tourna aussitôt vers les paroisses de la côte entre le lac et le Jura. A Corcelles, une foule fanatisée, bien armée, et conduite par le vicaire de Neuchâtel, se précipite dans l'église où le ministre prêche, et il n'échappe pas sans blessure. A Bevay, l'abbé Jean de Livron et ses moines rassemblent de nombreux amis, cernent l'église, et, le cordon étant ainsi établi, ils entrent, montent en chaire, en expulsent le prédicateur, et le chassent du temple en l'accablant de violences et d'insultes.

Chaque fois qu'il paraissait, on le poursuivait jusqu'à Au vernier à coups de pierres et de fusil.

Pendant que Farel prêchait ainsi dans la plaine, il envoyait dans la vallée l'un de ses frères, gentilhomme de Crest en Dauphiné, Jean de Bély. Au-delà de Valengin, à quelque distance de Fontaine, sur le chemin de Cernier, à gauche de la route, se trouvait une pierre qui y est encore aujourd'hui. C'est là, en plein air, comme dans un temple magnifique, que l'évangéliste dauphinois se mit à annoncer le salut par grâce, ayant devant lui le versant de Chaumont, semé des délicieux villages de Fenin, de Villars, de Sole, de Savagnier, et pouvant apercevoir, par une large ouverture, la chaîne lointaine et pittoresque des Alpes [4]. Les plus zélés lui demandèrent d'entrer dans l'église, ce qu'il fit. Mais tout à coup le curé et son 319

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle vicaire « survinrent avec grand bruit; » ils s'avancent vers la chaire, y montent, en arrachent de Bély; puis, se tournant vers les femmes et la jeunesse du lieu, « ils les émeuvent à le battre et à le dé« chasser [5]. »

Jean de Bély revint à Neuchâtel, hué et brisé, comme son ami après l'affaire de Valengin ; mais les évangélistes suivaient les traces de l'apôtre saint Paul, que ni les coups de fouet ni les coups de verge ne pouvaient arrêter [6]. De Bély retourna souvent à Fontaine. La messe fut bientôt abolie dans ce village; de Bély y fut vingt-sept ans pasteur; ses descendants y ont à plus d'une reprise exercé le ministère, et maintenant ils forment la famille la plus nombreuse des cultivateurs de ce lieu.

Farel, après avoir évangélisé la rive du lac, au midi de Neuchâtel, s'était porté au nord, et avait prêché à Saint-Blaise. La populace, ameutée par le prêtre et le lieutenant, s'était jetée sur lui; et Farel n'avait pu s'échapper de leurs mains que défait, tout en sang, et presque méconnaissable. Ses amis l'avaient jeté en toute hâte dans un bateau, et transporté à Morat, où le retinrent quelque temps ses blessures [7]'.

A rouie de ces violences, les Neuchâtelois du 3 octobre sentirent leur sang bouillonner. Si le lieutenant, le curé et leurs ouailles ont brisé le corps du serviteur de Christ, qui est vraiment l'autel du Dieu vivant, pourquoi épargneraient-ils de martes idoles? Aussitôt ils courent à Saint- Blaise, y abattent les images, et en font autant près de là, à l'abbaye de Fontaine-André, statuaire de l'ancien culte.

Les images subsistaient encore à Valengin, mais leur dernière heure allait sonner.

Un Français, Antoine Marcourt, avait été nommé pasteur de Neuchâtel. Marchant sur les traces de Farel, il se rendit avec quelques bourgeois à Valengin le 14 juin, grand jour de fête dans ce bourg [8].

A peine y étaient-ils arrivés, qu'une foule nombreuse se pressait autour du ministre, écoutant ses paroles. Les chanoines aux aguets dans leurs maisons, et l'intendant M.

de Bellegarde sur ses tourelles, se demandaient comment on pourrait faire diversion à cette prédication hérétique. La force ne pouvait être employée, à cause de Berne.

On eut recours à un expédient grossier, digne des plus mauvais jours de la Papauté, qui, en insultant le ministre, détournerait, pensait-on, l’attention du peuple, et la changerait en rires et en huées. Un chanoine [9]', aidé du cocher de la comtesse, se rendit dans une de Ses écuries, et y prit deux bêtes, qu'il conduisit sur la place où prêchait Marcourt. Nous jetterons un voile sur cette scène; elle est au nombre de ces choses honteuses que l'histoire ne peut raconter [10].

Mais jamais la punition ne suivit de plus près le crime. La conscience des auditeurs se soulève à la vue de ce spectacle infâme. Le torrent que l'on a voulu arrêter se précipite hors de son lit. Le peuple irrité, prenant à sa manière la défense de la religion que l'on a prétendu outrager, entre dans le temple comme un flot vengeur; 320

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle les antiques vitraux sont brisés, les armoiries des seigneurs sont mises en pièces, les reliques sont dispersées, les livres sont déchirés, les images sont abattues, les autels sont renversés. Ce n'est pas assez encore: le flot populaire, après avoir balayé l'église, retourne sur lui-même, et va se jeter dans les maisons des chanoines. Ceux-ci, effrayés, s'enfuient dans les forêts, et tout est ravagé dans leurs demeures.

Guillemette de Vergy et l'intendant M. de Bellegarde, tremblants derrière leurs créneaux, regrettaient, mais trop tard, ce hideux expédient. Ils étaient les seuls qui n'eussent pas encore senti la vengeance populaire. Leurs regards inquiets épient les mouvements des Valenginois indignés. L'œuvre est achevée; la dernière maison dii dernier chanoine est pillée. Les bourgeois se concertent O terreur ils se tournent vers le château ; ils y montent; ils y arrivent La demeure des nobles comtes d'Arberg va-t-elle donc être ravagée? «Nous venons,» s'écrient les députés quand ils sont à la porte du manoir, « nous « venons demander justice de l'outrage fait à la « religion et à son ministre. » On consent à les admettre; et la comtesse ordonne que l'on punisse les malheureux qui n'avaient agi que par les ordres de son intendant. Mais en même temps elle envoie des députés à Berne se plaindre « des « grands vitupères qu'on lui avait faits [11]'..» Berne prononça que les Réformés payeraient le dommage, mais que la comtesse leur accorderait le libre exercice de leur culte. Jacques Veluzat, originaire de la Champagne, fut le premier pasteur de Valengin. Plus tard, nous retrouverons de nouvelles luttes au pied du Jura.

Ainsi la Réforme fut établie à Valengin, comme elle l'avait été à Neuchâtel; les deux capitales de ces contrées étaient gagnées à l'Évangile. Bientôt le changement reçut la sanction légale. François, marquis de Rothelin, fils de la duchesse de Longueville, arriva dans la principauté en mars 1531, se proposant de jouer sur ce petit théâtre le rôle d'un François pr. Mais il reconnut bientôt ;qu'il est des révolutions qu'une main irrésistible a accomplies, et qu'il faut accepter. Rothelin exclut des États du pays les chanoines qui en avaient formé jusqu'alors le premier pouvoir, et les remplaça par quatre bannerets et quatre bourgeois. Puis, s'appuyant du principe que toute fortune abandonnée échoit à l'État, il mit la main sur leur riche héritage, et proclama la liberté religieuse dans tout le pays. Tout étant en règle avec Madame, le politique M. de Rives se fit aussi réformé. Tel fut le secours que Rome reçut de l'État duquel elle avait espéré sa délivrance.

Une grande énergie caractérisa la Réforme de la Suisse française; ce que nous venons de voir le manifeste. On a attribué à l'individualité de Farel ce trait distinctif de son œuvre; mais jamais homme n'a créé le temps où il a vécu; c'est toujours le temps, au contraire, qui crée l'homme. Plus une époque est grande, moins les individualités la dominent. Ce qu'il y eut de bien dans les choses que j'ai racontées, venait de cet Esprit tout-puissant dont les hommes les plus forts ne sont jamais que de faibles organes. Ce qu'il y eut de mal venait du caractère du peuple; et, de fait, ce fut presque toujours la Papauté qui commença les scènes de violence.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Farel subit l'influence de son temps, plutôt que son temps ne subit la sienne. Un grand homme peut être le héraut, le révélateur de l'époque à laquelle Dieu le destine; il n'en est jamais le créateur.

Mais il est temps de laisser le Jura et ses belles vallées que le soleil du printemps éclaire, pour diriger nos pas vers les Alpes de la Suisse allemande, le long desquelles s'amassent d'épais nuages et de terribles tempêtes. Les peuples libres et énergiques qui habitent sous les glaciers éternels, ou sur les rives riantes des lacs, prennent un aspect toujours plus farouche, et le choc menace d'être prompt, rude et terrible. Nous venons de voir de glorieuses conquêtes; une grande catastrophe nous attend.

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FOOTNOTES

[1] Msc. de Choupart.

[2] Berne à Neuchâtel, 17 décembre.

[3] Berne au Gouverneur, a3 décembre. 33..

[4] Il ne nous paraît pas, comme on le dit ordinairement, que Bély ait pu prêcher debout sur cette pierre, à moins que ce qui en reste ne soit qu'un fragment. On l'appelle, dans le pays, la pierre de maître Jean.

[5] Msc. AA, dans le Msc. de Choupart.

[6] Épître de saint Paul aux Corinthiens, chap. XI.

[7] De Perrot. L'Église et la Réformation, II, p. 233.

[8] Ou attribue ordinairement ce fait à Farel; mais Chou-part, d'après un manuscrit plus ancien, dit le ministre de Neuchdtel. Il désigne toujours ainsi Marcourt, et jamais Farel.

[9] Des historiens disent le' cocher de la comtesse ; Chou-part dit, à trois reprises, un chanoine. Cela est sans doute plus révoltant, mais n'a rien d'incroyable.

[10] De equo admissario loquitur qui equam

[11] Chronique du curé Besancenet.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle LIVRE XVI. SUISSE - CATASTROPHE. (1528 - 1531)

CHAPITRE I.

Alliances politiques. — Zwingle pasteur, homme d'État, général. — Persécutions en Thurgovie.— Alliance des Waldstettes avec l'Autriche.—Conditions de l'alliance. —

Députation de la Diète aux cinq cantons. — Proposition de Zwingle. — Martyre de Keyser — Zwingle et la guerre. — Épuration du Conseil Dieu voulait qu'aux portes de l'Église restaurée se trouvassent deux grands exemples qui servissent de leçon aux générations à venir. Luther et la Réformation allemande, déclinant le secours de la puissance temporelle, repoussant la force des armes, et cherchant uniquement la victoire dans la confession de la vérité, devaient voir leur foi couronnée du triomphe le plus éclatant; tandis que Zwingle et la Réformation suisse, tendant la main aux puissants de la terre, et saisissant l'épée, devaient voir fondre sur l'œuvre de Dieu une catastrophe horrible, cruelle, sanglante, qui menacerait d'engloutir la cause évangélique dans le plus furieux tourbillon. Dieu est un Dieu jaloux; il ne donne pas sa gloire à un autre ; il prétend soutenir lui-même sa cause, et, pour parvenir à ses fins, il met en jeu d'autres ressorts que ceux d'une diplomatie habile.

Nous n'avons gardé d'oublier que nous sommes appelés à raconter des faits, et non à discuter des théories; mais il est un principe que l'histoire dont nous nous occupons enseigne bien haut. C'est celui que l'Évangile de Dieu proclame, quand il dit : Les armes de notre guerre ne sont point charnelles, mais elles sont puissantes par lu vertu de Dieu' [1]. En maintenant cette vérité, nous ne nous plaçons point sur le terrain de quelque école particulière, mais sur celui de la conscience universelle et de la parole de Dieu.

De tous les secours charnels que la religion peut invoquer, il n'en est point de plus pernicieux pour elle que celui des armes et de la diplomatie. La diplomatie la jette dans des voies tortueuses ; les armes la précipitent dans des sentiers de sang; et la religion, du front de laquelle on a ainsi arraché le double bandeau de la vérité et de la douceur, ne présente plus qu'une figure dégradée et avilie, que nul ne peut ni ne veut reconnaître.

Ce fut l'extension même de la Réforme en Suisse qui l'exposa aux dangers sous lesquels elle succomba. Tant qu'elle fut concentrée dans Zurich, elle demeura une affaire religieuse; mais quand elle eut gagné Berne, Bâle, Schaffouse, Saint-Gall, Glaris, Appenzell, et de nombreux bailliages, il se forma à son sujet des relations 323

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle inter-cantonales; et (ce fut ici la faute et le malheur) tandis que des rapports auraient dû s'établir d'église à église, ils eurent lieu d'État à État.

Dès que la politique se mêla des affaires spirituelles, elle y prit la haute main.

Zwingle crut bientôt devoir examiner non-seulement des questions dogmatiques, mais aussi des questions fédérales; et l'on vit cet illustre Réformateur, ne discernant pas les pièges tendus sous ses pieds, se précipiter sur une route semée d'écueils, et où l'attendait une cruelle mort.

Les cantons primitifs de la Suisse avaient renoncé au droit de former de nouvelles alliances, sans le consentement de tous ; mais Zurich et Berne s'en étaient réservé le pouvoir. Zwingle se crut donc tout à fait libre de provoquer une union des États évangéliques. Constance fut la première ville qui y donna la main. Cette combourgeoisie chrétienne, qui pouvait devenir le germe d'une nouvelle confédération, suscita aussitôt à Zwingle de nombreux adversaires, même parmi les partisans de la Réforme.

Il était temps encore ; Zwingle pouvait se retirer des affaires publiques, pour ne s'occuper que de celles de l'Évangile. Mais nul, dans Zurich, n'avait comme lui cette application au travail et ce coup d'œil juste, sûr, pénétrant, si nécessaires aux hommes politiques. S'il se retirait, il laissait sans pilote le navire de l'État.

D'ailleurs, il était convaincu que des actes politiques pouvaient seuls sauver la Réforme. Il résolut donc d'être à la fois l'homme de l'État et l'homme de l'Église. Les protocoles font foi que dans ses dernières années il prit part aux délibérations les plus importantes, et fut chargé, par les conseils de son canton, d'écrire des lettres, de faire des proclamations, de rédiger des avis. Déjà, avant la dispute de Berne, regardant la guerre comme possible, il avait tracé un plan de défense fort détaillé, dont le manuscrit subsiste encore [2].

En 1528, il fit plus; il montra, dans un écrit remarquable, comment Zurich devait se comporter à l'égard de l'Empire, de la France, des autres États européens, des cantons, des bailliages. Puis, comme s'il eût vieilli à la tête des bandes helvétiques (et il est juste de reconnaître qu'il avait vécu longtemps au milieu des soldats), il exposa les avantages qu'il y avait à surprendre l'ennemi ; il décrivit jusqu'à la nature des armes et à la manière de s'en servir; en effet, une importante révolution s'opérait alors dans la stratégie.

Le pasteur zurichois est en même temps chef de l'État et général d'armée ; ce double, ce triple rôle du Réformateur fut sa perte et celle de la Réforme. Sans doute, il faut faire la part des hommes de ce temps, qui, accoutumés à voir Rome depuis tant de siècles manier les deux glaives, ne comprenaient pas qu'il fallait prendre l'un et laisser l'autre ; il faut admirer la puissance de cet esprit supérieur, qui, tout en parcourant une carrière politique où se seraient absorbées les plus grandes intelligences, ne cessait pourtant de déployer une activité infatigable comme 324

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle pasteur, comme prédicateur, comme théologien, comme écrivain; il faut reconnaître que l'éducation républicaine de Zwingle lui avait appris à confondre la patrie et la religion, et qu'il y avait dans ce grand homme de quoi fournir à plusieurs vies; il faut apprécier cet indomptable courage, qui, s'appuyant sur la justice, ne craignait pas, dans un temps où Zurich n'avait pour alliés qu'une ou deux villes impuissantes, d'affronter les forces redoutables de l'Empire et de la Confédération; mais aussi il faut voir, dans la grande et terrible leçon que Dieu lui donna, un enseignement pour tous les temps et pour tous les peuples, et comprendre enfin ce que l'on oublie si souvent, que le royaume de Christ n'est pas de ce monde. »

Les cantons catholiques-romains, à l'ouïe des nouvelles alliances des Réformés, ressentirent la plus vive indignation. Guillaume de Diesbach, député de Berne à la Diète, dut essuyer les plus amers reproches. La séance, quelque temps interrompue, fut reprise aussitôt après son départ.

« Ils ont beau rapiéceter la vieille foi, dit le « Bernois en se retirant, elle ne peut pourtant durer davantage.

On rapiécetait, en effet, de toutes forces, mais d'une aiguille pointue et acérée qui faisait couler le sang. Joseph Am Berg de Schwitz et Jacques Stocker de Zug, baillis de Thurgovie, traitaient avec cruauté ceux qui s'attachaient à l'Évangile. Ils employaient contre eux les amendes, les cachots, la torture, les verges, les confiscations, le bannissement ; ils faisaient couper la langue aux ministres, leur tranchaient la tête, ou les condamnaient au feu [3]. En même temps on enlevait les Bibles et tous les livres évangéliques ; et si de pauvres Luthériens, fuyant l'Autriche, traversaient le Rhin, et cette basse vallée où ses eaux tranquilles coulent entre les Alpes du Tyrol et' celles d'Appenzell; si ces malheureux, traqués par les lansquenets, venaient chercher un refuge en Suisse, on les livrait cruellement à leurs persécuteurs.

Mais plus la main du bailli ne s’appesantissait sur la Thurgovie et le Rheinthal, plus aussi l'Évangile y faisait de conquêtes. L'évêque de Constance, à cette vue, écrivit aux cinq cantons que s'ils n'y mettaient ordre, tout le pays embrasserait la Réforme. Les cantons convoquèrent en conséquence à Frauenfeld tous les prélats, nobles, juges et notables du pays. Une seconde assemblée ayant eu lieu six jours après ( le 6 décembre 1528 ), à Weinfeld, des députés de Zurich et de Berne supplièrent les notables de considérer avant tout l'honneur de Dieu, et de ne s'inquiéter nullement des bravades et des menaces du monde [4]. Une grande agitation suivit ce discours. A la fin, la majorité demanda la prédication de la parole de Dieu; le peuple se prononça dans le même sens; et le Rheinthal ainsi que Bremgarten suivirent cet exemple.

Que faire?... Le flot devient toujours plus envahissant. Faudra-t-il que les Waldstettes eux-mêmes lui ouvrent enfin leurs vallées? Les antipathies religieuses 325

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle firent cesser les antipathies nationales; et ces fiers montagnards, portant leurs regards au-delà du' Rhin, pensèrent à invoquer le secours de l'Autriche, vaincue par eux à Morgarten et à Sempach [5]. Le parti fanatique allemand, qui avait écrasé les paysans révoltés de la Souabe, était tout-puissant sur ces frontières. Des lettres s'échangèrent; des messagers passèrent et repassèrent le fleuve; enfin, on profita d'une noce de haute noblesse qui devait avoir lieu à Feldkirch, en Souabe, à six lieues d'Appenzell. Le 16 février 1529, les gens de la noce, formant une brillante cavalcade, au milieu de laquelle se trouvaient cachés les députés des cinq cantons, firent leur entrée dans Feldkirch; et aussitôt Am Berg s'aboucha avec le gouvernement autrichien.

« La puissance des ennemis de notre antique foi s'est tellement accrue, dit le Suisse, que les amis de l'Église ne peuvent leur résister. Nous portons donc nos regards sur ce prince illustre, qui a sauvé en Allemagne la foi de nos pères. »

Cette alliance était si peu naturelle, que les Autrichiens avaient peine à croire à la sincérité des envoyés. « Prenez des otages, dirent les Waldstettes ; écrivez de votre main les articles du traité; commandez, et nous obéirons. »— «C'est bien, répondirent les Autrichiens; dans deux mois Vous nous trouverez à Waldshut, et nous vous y ferons connaître nos conditions. »

Le bruit de ces négociations s'étant répandu, excita, même parmi les partisans de Rome, un vif mécontentement. Nulle part il n'éclata avec autant de force que dans le Conseil de Zug. On y vit les partis contraires s'agiter, trépigner, s'élancer de leurs bancs, et près d'en venir aux mains; mais la haine l'emporta sur le patriotisme. Les députés des Waldstettes se rendirent à Waldshout; ils suspendirent les armes de leurs cantons à côté de celles des oppresseurs de la Suisse; ils placèrent à leurs chapeaux des plumes de paon, symbole de l'Autriche, et ils rirent, burent et jasèrent avec les Impériaux. Cette étrange alliance fut enfin conclue. «Quiconque formera parmi le peuple « des sectes nouvelles, y était—il dit, sera puni de mort, et, s'il le faut, avec le secours de l'Autriche. Cette puissance, en cas de besoin, enverra en Suisse six mille fantassins, quatre cents cavaliers, et l'artillerie nécessaire'[6].

On pourra même bloquer les cantons réformés, et intercepter les « vivres.» C'est donc aux cantons romains qu'appartient l'initiative de cette mesure si décriée. Enfin on assurait aux Waldstettes la possession non-seulement des bailliages communs, mais encore toutes les conquêtes qui se feraient sur la rive gauche du Rhin.

Aussitôt la tristesse et l'effroi se répandirent dans la Suisse entière. Partout on chantait cette complainte nationale, que Bullinger nous a conservée :

« Pleurons, Helvétiens, pleurons ! Du paon le superbe plumage Vient s'unir au taureau sauvage D'Altorff et des quatre cantons'. [7]»

326

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Tous les cantons non compris dans cette alliance, sauf Fribourg, se réunirent en diète à Zurich, et résolurent d'envoyer une députation à leurs confédérés des montagnes, dans un but de conciliation.

La députation, admise à Schwitz en présence du peuple, put s'y acquitter sans tumulte de sa mission. A Zug, on lui cria : « Pas de sermons! pas de sermons! » A Altorff, on lui dit : « Plût à Dieu que votre nouvelle foi fût à jamais enterrée ! » A Lucerne, on lui répondit fièrement: « Nous saurons garantir du venin de vos prêtres rebelles, nous, nos enfants, et les enfants de nos enfants! » Ce fut dans Underwald que les députés trouvèrent le plus mauvais accueil. « Nous vous dénonçons l'alliance, leur dit-on. C'est nous, ce sont les autres Waldstettes, qui sont les vrais Suisses.

Nous vous avons gracieux serrent reçus dans notre confédération, et vous prétendez maintenant devenir nos maîtres !...

« L'Empereur, l'Autriche, la France, la Savoie, le Valais, nous prêteront main-forte

[8]! » Les députés se retirèrent étonnés, et frémirent quand, passant devant la maison du secrétaire d'État, ils y virent peint un immense gibet, auquel on avait pendu les armes de Zurich, de Berne, de Bâle et de Strasbourg.

A peine la députation, de retour à Zurich, avait-elle fait son rapport, que les esprits s'enflammèrent. Zwingle proposa de n'accorder aucune paix à Underwald, s'il ne renonçait aux pensions étrangères, à l'alliance avec l'Autriche, et à l'administration des bailliages communs. « Non, non, dit Berne, qui venait d'étouffer la guerre civile dans son propre canton; ne nous pressons pas si fort.

« Quand les rayons du soleil brillent, chacun veut partir ; mais dès que la pluie commence, tous perdent courage ! La parole de Dieu nous coma mande la paix. Ce n'est pas avec des lances et des hallebardes que l'on fait entrer la foi dans les cœurs.

C'est pourquoi, par la passion de notre Seigneur Jésus-Christ, nous vous supplions de calmer votre ardeur.

Ces paroles chrétiennes auraient atteint leur but, si une affreuse nouvelle qui parvint à Zurich le jour même où Berne y faisait entendre un langage si modéré, ne les eût pas rendues inutiles.

Le samedi 22 mai, un pasteur, père de famille, des environs du lac de Greifensee, Jacques Keyser, surnommé Schlosser, après avoir côtoyé les bords fertiles de ce petit lac, traversé Les beaux pâturages du bailliage de Gruningen, passé près de la maison teutonique de Rubikon et du couvent de Rüti, était arrivé dans ces contrées simples et agrestes que baigne la partie supérieure du lac de Zurich. Se rendant à Oberkirk, paroisse du pays de Gaster, entre les deux lacs de Zurich et de Wallenstadt, dont il avait été nommé pasteur, et où il devait prêcher le lendemain, il longeait à pied les flancs allongés et arrondis du mont Buchberg, en face des hauteurs pittoresques de l'Ammon. Il s'avançait sans défiance dans ces bois, que 327

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle depuis bien des semaines il avait plusieurs fois franchis sans inconvénient, quand tout à coup six hommes, apostés pour le surprendre, fondent sur lui et le conduisent à Schwitz. « Les baillis, disent-ils au magistrat, ont ordonné « de traduire devant les tribunaux tous les ministres novateurs : en voici un qu'on amène. » Quoique Zurich et Glaris intervinssent, quoique le gouvernement de Gaster, où Keyser avait été pris, n'appartînt pas alors à Schwitz, la Landsgemeinde voulait une victime, et on condamna, le 29 mai, le ministre à être brûlé vif. En apprenant sa sentence, Keyser versa d'abondantes larmes '[9]. Mais quand l'heure du supplice fut arrivée, il marcha joyeusement à la mort, confessa librement sa foi, et rendit grâces au Seigneur jusqu'à son dernier soupir. « Allez dire à Zurich comme

« Il nous remercie! » dit aux députés de Zurich, avec un sourire moqueur, l'un des magistrats de Schwitz. Ainsi un nouveau martyr était tombé sous les coups de cette puissance redoutable, qui s'enivre du sang des saints [10].

La mesure était comble. Les flammes du bûcher de Keyser devinrent le signal de la guerre. Zurich indigné poussa un cri qui retentit dans toute la Confédération.

Zwingle surtout réclamait des mesures énergiques. Partout dans les rues, dans le Conseil, dans la chaire même, on le voyait dépasser en hardiesse les plus vaillants capitaines. Il disait à Zurich, il écrivait à Berne : « Soyons fermes et ne craignons pas de prendre les armes. Cette paix que quelques-uns désirent tant, n'est pas une paix, mais une guerre; tandis que la guerre que nous demandons n'est pas « une guerre, mais une paix '[11]. Nous n'avons soif du sang de personne, mais nous devons couper les nerfs de l'oligarchie [12].

Si nous nous y refusons, la vérité de l'Évangile et la vie des ministres ne seront jamais en sûreté parmi nous. »

Ainsi parlait Zwingle. Partout, en Europe, il voyait les puissants de la terre se donner la main pour étouffer la vie renaissante de l'Église; et il pensait qu'à moins d'un mouvement décisif et énergique, la chrétienté, accablée sous tant de coups, retomberait bientôt dans son ancienne servitude. Luther, en des circonstances semblables, arrêtait les glaives près de se croiser, et demandait que la parole de Dieu seule parût sur le champ de bataille. Zwingle ne pensait pas de même. La guerre n'était pas pour lui une révolte, car la Suisse n'avait pas de maître. cc Sans doute, oc disait-il, il faut se confier en Dieu seul; mais cc quand Dieu nous donne une cause juste, il faut « aussi savoir la défendre, et, comme Josué et Gédéon, dépenser son sang pour Dieu et pour « la patrie. »

Si l'on regarde aux principes qui dirigent les chefs des peuples, l'avis de Zwingle est sans reproche. C'était le devoir des magistrats suisses de défendre les opprimés contre les violents. Mais ce langage, fort convenable dans la bouche d'un magistrat, n'est-il pas à blâmer dans la bouche d'un ministre ?

328

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Pour accomplir ses desseins, le Réformateur avait besoin dans Zurich d'une grande unité ; or, il s'y trouvait encore beaucoup d'hommes, d'intérêts et de superstitions, qui lui étaient contraires. « Jusques à quand, s'était-il écrié eu « chaire le I décembre 1528, supporterez« vous dans le Conseil ces incrédules et ces impies, qui s'opposent à la parole de Dieu [13]? » On avait arrêté l'épuration que demandait le Réformateur, on avait examiné un à un tous les citoyens; puis on avait exclu du Conseil tous les récalcitrants.

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FOOTNOTES

[1] I 2. Cor. X, 4.

[2] Escher et Hottinger,, Archives, II, p. 263.

[3] Die Zungen geschlitzt, mit dem Schwerdt richten und verbrânnt. (Bull. II, p. 3r.)

[4] Die Eer Gottes, uwer Seelen Heil. Chron. II ,p. 28.)

[5] Bullinger, Chron. II, p. 48.

[6] Bullinger donne tout le traité : Chron. II, p. 49--59.

[7] Es macht mich graw.—Dass sich der Pfaw. Darzu der Stier —Und sunst noch vier — Sich hand vereynt

[8] Bullinger, Chr. ri, p. 130—z 37.

[9] Weinet hâfftig. (Bulling., II, p. 149.)

[10] Apoc., ch. XVII.

[11] Bellum cui nos instamus, pax est, non bellum. (Vita Zwinglii, per O. Myconium.)

[12] Oligarchim nervi succidantur.

[13] Den Bath reinigen. (Füssli, Beytrige, 1V, p. 9t.) 329

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE II.

Underwald veut rétablir la messe. — Zwingle veut y maintenir la liberté. — Guerre. —

Zwingle part. — Armement des cinq cantons. — Médiation du Landamman Ebli. —

Intervention de Berne. — Opposition de Zwingle. — Cordialité Suisse. —Discipline zurichoise. —Une conférence. —Traité de Paix.—Le Traité avec l'Autriche déchiré.—

Hymne et tristesse de Zwingle.— Des femmes disent la messe..

Le samedi 5 juin 1529, sept jours après le martyre de Keyser, tout Zurich était en mouvement. Le moment était venu où Underwald devait envoyer un gouverneur aux bailliages communs; et les images ayant été brûlées dans ces contrées, Underwald avait juré d'en tirer une éclatante vengeance' [1]. Aussi l'épouvante était-elle générale.

« Le bûcher de Keyser, pensait-on, va se rallumer dans tous nos villages. » Plusieurs habitants accouraient à Zurich, et, sur leurs figures émues, effrayées, on eût cru voir se refléter les flammes qui venaient de consumer le martyr.

Ces malheureux trouvèrent dans Zwingle un puissant avocat. Le Réformateur pensait enfin être arrivé au but qu'il n'avait cessé de poursuivre, la libre prédication de l'Évangile dans toute la Suisse. Donner un dernier coup suffisait, selon lui, pour mener à bonne fin cette entreprise.

« D'avides pensionnaires, dit Zwingle aux Zurichois, profitent de l'ignorance du peuple des « montagnes, pour ameuter ces hommes simples contre les amis de l'Évangile. Sévissons donc contre des chefs orgueilleux. La douceur de l'agneau ne ferait que rendre le loup plus vorace encore [2]'. Proposons aux cinq cantons de laisser prêcher librement la parole du Seigneur, de renoncer à leurs iniques alliances, et de punir les fauteurs des pensions étrangères. Quant à la messe, aux idoles, aux rites et aux superstitions, que personne ne soit contraint à les abandonner. C'est à la parole de Dieu seule à disperser de son souffle puissant toute cette vaine poussière [3]! Soyez fermes, nobles seigneurs! et, malgré certains chevaux noirs, aussi noirs à Zurich qu'ils le sont à Lucerne [4], mais dont la malice ne pourra parvenir à faire verser le char de la Réforme, nous franchirons ce passage difficile, et parviendrons à l'unité de la Suisse et à l'unité de la foi. » Ainsi Zwingle, en réclamant l'emploi de la force, ne voulait pour l'Évangile que la liberté; mais il, voulait une prompte intervention, pour que cette liberté lui fût assurée.

Œcolampade pensait de même. « Ce n'est pas l'heure des délais, disait-il ; ce n'est pas le moment de la parcimonie et de la pusillanimité. Tant que le venin ne sera pas entièrement ôté de ce serpent, réchauffé dans notre sein, nous serons exposés aux plus grands périls [5]. »

Le Conseil de Zurich, entraîné par le Réformateur, promit aux bailliages de maintenir la liberté religieuse ; et à peine eût-il appris qu'Antoine Abaker 330

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle d'Underwald se rendait à Bade avec une armée, qu'il ordonna à cinq cents hommes de partir pour Bremgarten, avec quatre pièces d'artillerie. C'était le 5 juin, et le soir même l'étendard zurichois flottait sur le couvent de Mouri.

La guerre de religion était commencée. Le cor des Waldstettes retentit aussitôt dans les montagnes ; partout on se mettait sous les armes, et des messagers allaient en hâte invoquer le secours du Valais et de l'Autriche. Trois jours après (le mardi 8

juin), six cents hommes de Zurich, sous le commandement de Jacques Werdmuller, partaient pour Rapperschwil et le pays de Gaster ; et le lendemain, quatre cents hommes se rendaient à Cappel, sous le commandement du vaillant capitaine George Berguer, auquel on avait donné Conrad Schmidt, pasteur de Küssnacht, pour aumônier. « Nous ne voulons pas, dit à Zwingle le bourgmestre Roust, que vous alliez à la guerre ; car le Pape, l'archiduc Ferdinand, les cantons romains, les évêques, les abbés, les prélats, vous haïssent mortellement.

Restez avec le Conseil ; nous avons besoin de vous. » —

« Non répondit Zwingle, qui ne se reposait sur personne d'une entreprise si importante; quand mes frères exposent leur vie, je ne demeurerai pas tranquillement assis auprès de mes foyers. D'ailleurs, l'armée aussi a besoin d'un œil vigilant, qui se porte sans cesse tout à l'entour d'elle. » Puis, prenant une brillante hallebarde qu'il avait, dit-on, portée à Marignan, et la plaçant sur son épaule, le Réformateur sauta sur son cheval, et partit avec l'armée'[6]. Les murailles, les tours, les créneaux, étaient couverts d'une foule de vieillards, d'enfants, de femmes, parmi lesquelles se trouvait Anna, la femme d'Ulrich.

Zurich avait réclamé le secours de Berne; mais Berne, dont le peuple montrait peu de goût pour une guerre religieuse, et qui d'ailleurs ne voyait pas avec plaisir l'influence croissante de Zurich, répondit : « Puisque Zurich a commencé la guerre «

sans nous, qu'il la finisse de même ! » Les États évangéliques se montraient désunis au moment de la lutte.

Les cantons romains ne faisaient pas ainsi. C'était Zug qui avait fait entendre le premier cri d'appel ; et les hommes de Schwitz, d'Uri, d'Underwald s'étaient aussitôt mis en marche. Dès le 8 juin, la grande bannière flottait devant la maison de ville de Lucerne; et le lendemain, l'armée partait au son des antiques cors que Lucerne prétend avoir reçus de l'empereur Charlemagne.

Le ro juin, les Zurichois, établis à Cappel, envoyèrent à Zug, au point du jour, un héraut chargé, selon l'usage, de dénoncer aux cinq cantons la rupture de l'alliance.

Aussitôt Zug se remplit de détresse et d'alarme. Ce canton, le plus petit de la Suisse, n'ayant point encore reçu tous les contingents confédérés, était hors d'état de se défendre; on courait çà et là; on envoyait des messagers; on se préparait 331

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle précipitamment à la bataille ; les guerriers essayaient leurs armes ; les femmes versaient des pleurs; les enfants poussaient des cris.

Déjà le premier corps de l'armée zurichoise, composé de deux mille hommes, sous le commandement de Guillaume Thôming, placé près de la frontière, au-dessous de Cappel, s'apprêtait à partir, lorsqu'on aperçut, du côté de Baar, un cavalier qui, pressant les flancs de son cheval, accourait aussi vite que le lui permettait la montagne qu'il avait à gravir. C'était Ebli, landammann de Glaris. « Les cinq cantons sont prêts, s'écria-t-il en arrivant ; mais j'ai obtenu d'eux de s'arrêter, si vous consentez à faire de même. C'est pourquoi, pour l'amour de Dieu et le salut de la Confédération, je supplie Messeigneurs de Zurich et tout le peuple de suspendre maintenant leur marche. » En disant ces mots, le brave Helvétien versait des larmes'.

« Dans peu d'heures, continua-t-il, je serai de retour. J'espère, avec la grâce de Dieu, obtenir une paix honorable, et empêcher que l'on ne remplisse nos chalets de veuves et d'orphelins. »

On connaissait Ebli pour un homme plein de loyauté, ami de l'Évangile, ennemi des guerres étrangères ; aussi son discours émut il les capitaines zurichois, qui résolurent de s'arrêter. Zwingle seul, debout, inquiet, le regard en avant, voyait dans l'intervention de son ami les machinations des adversaires. L'Autriche, occupée à repousser les Turcs, ne pouvant secourir les cinq cantons, les avait exhortés à la paix : c'était là, selon Zwingle, le motif des propositions apportées par le landammann de Glaris. Aussi, au moment où l Ebli tournait bride pour se rendre à Zug'[7], Zwingle, s'approchant, lui dit-il énergiquement : « Compère Landamman, vous rendrez compte à Dieu

« de tout ceci. Nos adversaires se voient dans le « sac ; c'est pourquoi ils vous donnent de bonnes « paroles ; mais plus tard ils fondront sur nous « à l'improviste, et alors personne ne nous dé« livrera. » Paroles prophétiques, et dont l'événement devait dépasser toutes les prévisions. « Cher « compère, répondit le Landamman, j'ai cette « fiance en Dieu que tout ira bien. Faisons chacun de notre mieux. » Et il partit.

Alors, au lieu de marcher sur Zug, l'armée zurichoise se mit à dresser ses tentes sur la lisière de la forêt et le long de la rive du torrent, à quelques pas des sentinelles des cinq cantons. Zwingle, assis dans la sienne, silencieux, préoccupé et morne, attendait d'heure en heure quelque fâcheuse nouvelle.

Elle ne se fit pas longtemps attendre ; ce furent des députés du Conseil de Zurich qui l'apportèrent. Berne, soutenant le rôle qu'il avait si souvent rempli de représentant de la politique fédérale, déclara que si Zurich ou les Cantons ne voulaient pas faire la paix, on saurait les y contraindre; en même temps!, cet État 332

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle convoquait une diète à Arau, et mettait cinq mille hommes en campagne sous le commandement de Sébastien de Diesbach.

Zwingle fut consterné. Le message d'IEbli, appuyé par celui de Berne, était renvoyé à l'armée par le Conseil; car, selon les principes du temps : « Là où flotte la bannière, là se trouve Zurich. »—« Ne nous laissons point ébranler, s'écria le Réformateur, toujours ferme et décidé ; notre avenir dépend de notre courage. Aujourd'hui on supplie, on mendie; et dans un mois, quand nous aurons posé les armes, on nous écrasera. Demeurons fermes en Dieu. Avant tout, soyons justes : après cela viendra la paix. » Mais Zwingle, transformé eu homme d'État, commençait à perdre l'influence qu'il avait gagnée comme serviteur de Dieu. Plusieurs ne pouvaient le comprendre, et se demandaient si c'était bien là le langage d'un ministre du Seigneur. « Ah! disait celui de ses amis qui l'a peut-être le mieux connu, Oswald Myconius, « Zwingle a été certainement un homme intrépide « dans les dangers; mais il eut toujours horreur du sang, même de celui de ses plus mortels ennemis.

« La liberté de la patrie, les vertus de nos pères, et surtout la gloire de Christ, ont été le but unique de tous ses desseins [8]. Je dis la vérité comme en la présence de Dieu, » ajoutait Myconius.

Pendant que Zurich envoyait des députés à Aran, les deux armées recevaient des renforts. Des Thurgoviens et des Saint-Gallois venaient associer leurs bannières à celle de Zurich; des Valaisans et des hommes du Saint-Gothard se joignaient aux cantons catholiques. Les avant-postes étaient en présence t Thann, à Leematt, à Goldisbrunnen, sur les revers délicieux de l'Albis.

Jamais peut-être la cordialité suisse ne brilla mieux de son antique éclat. Les soldats s'appelaient amicalement, se serraient la main, se disaient qu'ils étaient des confédérés et des frères.

« Nous ne nous battrons pas, ajoutaient-ils. Une tempête a passé sur nos têtes, mais nous prierons Dieu, et il nous préservera de tout mal. »

La disette désolait l'armée des cinq cantons, tandis que l'abondance régnait dans' le camp de Zurich' [9]. Quelques jeunes Waldstettes affamés dépassèrent un jour les avant-postes; les Zurichois les firent prisonniers, les conduisirent au camp, puis les renvoyèrent chargés de provisions, avec plus de bonhomie encore que n'en montra Henri IV au siège de Paris. Un autre jour, quelques braves des cinq cantons ayant posé sur les frontières un seau plein de lait, crièrent aux. Zurichois qu'ils n'avaient point de pain. Ceux-ci arrivèrent aussitôt, et coupèrent leur pain dans le lait de leurs ennemis; puis les soldats des deux partis se mirent en plaisantant à manger à la gamelle, les uns deçà, les autres delà. Les Zurichois trouvaient plaisant que, malgré la défense de leurs prêtres, les Waldstettes mangeassent avec des hérétiques.

Quand quelqu'un de la troupe prenait un morceau qui se trouvait du côté de ses 333

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle adversaires, ceux-ci, en riant, le frappait de leur cuiller, et lui disaient : « Ne dépasse pas la frontière ! » C'est ainsi que ces bons Helvétiens se faisaient la guerre; aussi le bourgmestre Sturm de Strasbourg, l'un des médiateurs, s'écriait-il : « Vous autres confédérés êtes de singulières gens ! Quand vous êtes désunis, vous êtes pourtant toujours d'accord, et votre antique amitié ne sommeille jamais [10].

L'ordre le plus parfait régnait dans le camp de Zurich. Tous les jours Zwingle, le commandeur Schmidt, ou quelque autre ministre, y prêchaient. On n'entendait parmi ces soldats ni jurement ni dispute; toute personne déshonnête était repoussée du camp; on priait avant et après les repas, et chacun obéissait à ses chefs. Point de dés, point de cartes, point de jeux propres à exciter les querelles; mais des chants, des cantiques, des hymnes nationaux, des exercices du corps, des luttes, et des jets de pierres : telles étaient les récréations militaires des Zurichois [11]. L'esprit qui animait le Réformateur avait passé dans cette armée.

L'assemblée d'Arau, transportée à Steinhausen, dans le voisinage des deux camps, arrêta que chacune des armées entendrait les plaintes du parti contraire. La réception des députés des cinq cantons par les Zurichois fut assez tranquille; il n'en fut pas de même dans l'autre camp.

Le 15 juin, cinquante Zurichois, entourés d'une foule de campagnards, se rendaient à cheval vers les Waldstettes. Le son des trompettes, le bruit des tambours, des salves redoublées d'artillerie, annonçaient leur arrivée. Près de douze mille, hommes des petits cantons, en bon ordre, la tête levée, le regard arrogant, se trouvaient sous les armes. Escher de Zurich parla le premier, et plusieurs hommes de la campagne articulèrent après lui des griefs que quelques Waldstettes trouvèrent exagérés. Quand donc vous avons-nous refusé le droit fédéral ? »

s'écrièrent ceux-ci. — « Oui, oui, reprit vivement Funk, ami de Zwingle; nous savons comment vous l'exercez. Ce malheureux « pasteur (Keyser) l'a invoqué, et vous l'avez renvoyé au bourreau! » « Funk, tu eusses mieux' fait de te taire,» dit un de ses amis. Mais le mot était lâché; un affreux tumulte s'éleva soudain; toute la foule des Waldstettes s'agitait; les plus prudents supplièrent les Zurichois de se retirer promptement, et protégèrent leur départ.

Enfin le traité fut conclu le 26 juin 1529. Zwingle n'obtenait pas tout ce qu'il avait désiré. Au lieu de la libre prédication de la parole de Dieu, le traité ne stipulait que la liberté de conscience. Il arrêtait que les bailliages communs pourraient se prononcer pour ou contre la Réforme, à la pluralité des suffrages. Sans décréter l'abolition des pensions, il la recommandait aux cantons catholiques; l'alliance formée avec l'Autriche était abolie; les cinq cantons devaient payer les frais de la guerre, et Mourner rétracter ses propos injurieux; une indemnité était assurée à la famille de Keyser

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Un succès incontestable venait de couronner la démonstration belliqueuse de Zurich.

Les cinq cantons le sentaient. Mornes, aigris, rongeant en silence le frein qu'on plaçait en leur bouche, leurs chefs ne pouvaient se décider à livrer l'acte de leur alliance avec l'Autriche. Zurich rallia aussitôt son armée; les médiateurs redoublèrent d'instances, et les Bernois s'écrièrent : « Si vous ne livrez pas ce document, nous irons nous-mêmes en procession le prendre dans vos archives. » On l'apporta enfin à Cappel le 26 juin, à deux heures de la nuit. Toute l'armée s'assembla à onze heures avant midi, et l'on commença à lire le traité.

Les Zurichois regardaient avec étonnement se largeur, sa longueur démesurée, et les neuf sceaux dont il était muni, et dont un était en or. A peine en eut-on lu quelques mots, qu'/Ebli, saisissant le parchemin, s'écria : « C'est assez ! » —

« Lisez, lisez! dirent les Zurichois; nous voulons connaître leur trahison. » Mais le Landamman de Glaris répondit fièrement : « Je me laisserais hacher en mille morceaux plutôt que de le permettre. » Puis, donnant un coup de couteau dans le parchemin, il le mit en pièces en présence des soldats et de Zwingle [12], et en jeta les morceaux au secrétaire pour les livrer aux flammes.

« Ce papier n'était pas suisse, » dit Bullinger avec une sublime simplicité.

Aussitôt on leva les bannières. Ceux d'Underwald s'en retournaient avec colère.

Ceux de Schwitz juraient qu'ils garderaient à jamais leur antique foi; tandis que les bandes de Zurich rentraient en triomphe dans leurs foyers. Mais les pensées les plus contraires agitaient l'esprit de Zwingle. « J'espère, disait-il en se faisant violence, que nous rapportons dans nos maisons une paix honnête. Ce n'est pas pour faire du carnage que nous étions partis [13]. Dieu a de nouveau montré aux grands qu'ils ne peuvent rien contre nous. » Mais quand il s'abandonnait à son penchant naturel, un tout autre ordre de pensées s'emparait de son esprit. On le voyait marchant à part, abattu, et prévoyant le plus sombre avenir. En vain était-il entouré des cris de joie du peuple : « Cette paix, disait-il, que vous « regardez comme un triomphe, vous vous en repentirez bientôt en vous frappant la poitrine. »

Ce fut alors que, pour épancher sa douleur, il composa, en descendant l'Albis, un chant célèbre, souvent répété au son des instruments dans les campagnes de la Suisse, au milieu des bourgeois des villes confédérées, et jusqu'à la cour des rois.

Les cantiques de Zwingle et de Luther jouent le même rôle, dans la Réformation allemande et suisse, que les Psaumes dans celle de la France.

O Seigneur, de ton char prends toi-même les rênes ! Sans ta main il se brise, et nos courses sont vaines. Vois et regarde où nous ont mis Les ruses de nos ennemis !

O bien-aimé pasteur qui racheta nos vies, Réveille par ta voix tes brebis endormies, Accours, et de tes bras puissants

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Enchaîne ces loups dévorants.

Du milieu de nos monts bannis toute amertume;

Que l'esprit des vieux temps parmi nous se rallume, Et que notre fidélité Célèbre à jamais ta bonté.

Un édit publié au nom des confédérés ordonna de faire partout renaître la vieille amitié et la concorde fraternelle; mais les édits sont impuissants pour de tels miracles.

Ce traité de paix fut néanmoins favorable à la Réforme. Sans doute elle rencontra encore en plusieurs lieux une vive opposition. Les religieuses du val Sainte-Catherine, en Thurgovie, abandonnées de leurs prêtres et excitées par quelques gentilshommes d'outre-Rhin, qui les nommaient, dans leurs lettres, « femmes chevaleresques de la maison de Dieu, » chantèrent elles-mêmes la messe, et établirent l'une d'elles prédicateur du couvent [14]. Des députés des cantons protestants ayant eu avec elles une entrevue, l'abbesse et d'autres religieuses traversèrent de nuit, secrètement, le fleuve, en emportant les titres du monastère et les ornements de l'église. Mais ces résistances isolées étaient inutiles. Déjà, en 1529, Zwingle put tenir en Thurgovie un synode qui y organisa l'église, et ordonna que .les biens des couvents seraient consacrés à instruire dans les saintes lettres des jeunes hommes pieux. Ainsi la concorde et la paix semblèrent enfin se rétablir dans la Confédération.

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FOOTNOTES

[1] Den C.Tôtzenbrand, an inen mitt der !land zii râchen. (Bull. Chron. il, p. 153.)

[2] Lupus lenitate agni, magis magisque vorax fit. (Zwing. Epp. II, p. 296.)

[3] Dei verbum enim hos pulveres omnes facile flatu suo disperget. (Ibid.)

[4] Les pensionnaires. Exceptis aliquot nigris equis. (Ibid., P. 298.)

[5] Venennm a domestico illo colubro. (Ibid., p. 3o3.)

[6] Sondern sass auf ein Ross, und führte eine hübsche Helparten auf den Achseln.

(Füssli, Beytr., IV, p. io3.)

[7] Ans nus der Amman wiederumm zu den 5 Orten ryten wollt. (Bull. Chr. II, p.

17o.) Zwingle était parrain d'un en-fant dSbli.

[8] Libertas patriae, virtutes avita, et imprimis gloria Christi. (Osw. Mye., De vita Zw.)

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[9] On avait une mesure de blé pour un florin, et une de vin pour un demi-batz (un sou et demi de France). (Bull. Chron. II, p. 18a.)

[10] Wenn ihr schon uneins sind, so sind ihr eins. p. x83.)

[11] Sondera sang, sprang, wurf und stiess den Stein. (Fie, Beytr., IV, p. x08.)

[12] Tabellte &Amis, a prœtore Pagi Glarottensis gladio concisae et deletœ, id quod ipse vidi. (Zw. Epp., II, p. 3io.)

[13] Guai non =dem factum profecti similis, (Ibid.) 35. •

[14] J. J. Rottinger, III, p. 527.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE III.

L'unité par la liberté. — Évangélisation des cinq cantons. — Réponse de Schaffouse. —

Zurzach. — Glaris, Brunner et Tschoudi. — Hostilités, hésitations. — Bailliages italiens. —Le moine de Côme. — Son angoisse et son espoir. — Le moine de Locarno. —

Appel pour l'Italie.— Réforme de Wettingen. —Autres couvents. — L'abbé de Saint-Gall.—Killian Kouffi — Saint-Gall recouvre sa liberté. — Soleure. — Miracle de saint Ours.— Triomphe de la Papauté. — Les Grisons envahis par les Espagnols. — Appel des ministres aux cinq cantons. — Refus. — Indépendance de l'Église voulue par Œcolampade. — Diète évangélique

Quand le vainqueur s'abandonne à son triomphe, dans cet abandon et cette confiance même il trouve souvent la mort. Zurich et Zwingle devaient être un exemple signalé de ce triste enseignement de l'histoire. Profitant de la paix nationale, Zwingle et ses amis redoublèrent d'efforts pour le triomphe de l'Évangile.

Ce zèle était légitime; mais la sagesse ne le dirigea pas toujours. Arriver à l'unité de la Suisse par l'unité de la foi, tel fut le but des Zurichois. Il eût mieux valu qu'ils ne mêlassent pas des préoccupations politiques à leur zèle pour la maison de Dieu.

L'unité de la Suisse aurait été peut-être plus facilement obtenue, si l'on n'avait pensé qu'à l'unité de la foi.

Mais il y eut encore un autre mal : les Zurichois oublièrent qu'en voulant forcer l'unité on la brise, et que la liberté est le seul milieu dans lequel les éléments contraires peuvent se dissoudre, et une union salutaire s'établir. Tandis que Rome veut l'unité par les anathèmes, les prisons et les bûchers, la vérité chrétienne demande l'unité par la liberté. Ne craignons pas que la liberté, exaltant outre mesure chaque individualité, produise ainsi une multiplicité infinie. En pressant tout esprit de s'attacher à la parole de Dieu, on le livre à une puissance capable de ramener ses opinions divergentes à une salutaire unité.

Ce ne fut d'abord que par de légitimes conquêtes que Zwingle signala son triomphe ; il s'avança avec courage. Son regard et son bras étaient partout. « De misérables brouillons, dit Salat, chroniqueur catholique-romain, pénétrant dans « les cinq cantons, y tracassaient les Aines, semaient partout de petits poânes, de petits traités, de petits testaments, répandaient leurs chiffons, et ne cessaient de dire qu'on ne devait pas croire les prêtres '.[1] »

Ce n'était pas tout : tandis que la Réforme devait se borner, autour du lac des Waldstettes, à quelques essais infructueux, elle faisait de brillantes conquêtes parmi les cantons, les alliés et les sujets de la Suisse; et les coups qu'elle y portait à la Papauté retentissaient dans les hautes vallées des cantons primitifs, et les remplissaient d'effroi. Nulle part la Papauté ne se montra plus décidée que dans les montagnes suisses. Il y avait là comme un mélange du despotisme romain et de la 338

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle rudesse helvétique. Rome était décidée à vaincre, et elle se voyait ravir successivement ses positions les plus importantes.

Le 29 septembre 1529, la ville de Schaffouse enlevait « le grand Dieu de la cathédrale, » à la vive douleur du petit nombre de dévots que le culte romain comptait encore dans cette ville; puis elle abolissait la messe, et tendait la main à Zurich et à Berne.

Le 17 octobre, près du confluent du Rhin et de Raar, à Zurzach, au moment où le prêtre du lieu, homme dévoué à l'ancien culte, prêchait avec zèle, un bourgeois nommé Tüfel (Diable), levant la tête, lui dit « Monsieur, vous couvrez « d'injures les gens de bien, et vous comblez d'honneur le Pape et les saints du calendrier romain. «

De grâce, où trouve-t-on cela dans sa sainte Écriture ? La question, faite d'un ton grave, excita chez plusieurs un malin sourire; et le peuple, les regards fixés sur la chaire, attendait la réponse. Alors le curé étonné, hors de lui, répondit d'une voix émue : « Tu t'appelles Diable, tu fais comme le diable, et tu es le diable ! C'est pourquoi je ne veux rien avoir à faire avec toi. » Puis, quittant précipitamment la chaire, il se sauva, comme si Satan eût été derrière lui. Aussitôt on enleva les images et on abolit la messe; les Catholiques-romains cherchèrent à s'en consoler, en répétant partout : « A Zurzacti, c'est le Diable qui a introduit la Réformation »

Les prêtres et les guerriers des cinq cantons voyaient la foi romaine renversée dans des contrées plus rapprochées encore, dans le canton de Glaris, d'où, par les passages escarpés du Klaus et du Pragel [2]', la Réforme pouvait fondre tout à coup sûr Uri et sur Schwitz. Deux hommes s'y trouvaient en présence. A Mollis, Fridolin Brunner, se demandant chaque jour par quel moyen il pourrait avancer la cause de Jésus-Christ [3], attaquait avec l'énergie de Zwingle, son ami, les abus de l'Église

[4], et s'efforçait de répandre parmi ce peuple, amateur passionné de la guerre, la paix et la charité de l'Évangile. A Glaris, Valentin Tschoudi s'étudiait, au contraire, avec la circonspection de son ami Érasme, à tenir le juste milieu entre Rome et la Réforme. Aussi, quoique le purgatoire, les indulgences, le mérite des œuvres, l'intercession des saints, ne passassent plus chez les Glaronnais, grâce aux prédications de Fridolin, que pour des niaiseries et des fables [5], ils croyaient encore, avec Tschoudi, que le corps et le sang de Christ étaient substantiellement dans le pain de la cène.

: En même temps, un mouvement contraire à la Réforme s'opérait dans la haute et sauvage vallée où la Linth, roulant au pied de vastes rochers aux arêtes dentelées, énormes citadelles qui semblent bâties dans les airs, arrose de ses eaux Schwanden et Rüti. Les Catholiques-romains, effrayés des progrès de l'Évangile, voulant au moins sauver ces montagnes, y avaient répandu à pleines mains l'argent qu'ils tenaient de' leurs pensions étrangères; et dès lors on y avait vu des haines vigoureuses diviser d'anciens amis, et des hommes, qui avaient paru gagnés à 339

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle l'Évangile, chercher lâchement quelque prétexte propre à cacher une fuite honteuse

[6]. « Pierre et moi, s'écriait, dans son désespoir, Rasdorfer, pasteur de Rüti, nous vendangeons [7]; mais, hélas! les raisins que nous cueillons ne s'emploient pas au sacrifice, et les oiseaux mêmes n'en mangent point. Nous péchons; mais après avoir été toute la nuit à l'œuvre, il se trouve que nous n'avons pris que des sangsues [8].

Hélas ! Nous jetons des perles à des chiens, et des roses devant des pourceaux. »

Bientôt cet esprit de révolte contre l'Évangile descendit de ces vallées, avec les eaux bruyantes de la Linth, jusqu'à Glaris et à Mollis. Le Conseil, « comme s'il était composé de femmelettes, » dit Rasdorfer,, tournait chaque jour ses voiles' [9]; aujourd'hui, il voulait le capuchon, et bientôt il ne le voulait plus le. Glaris, semblable à la feuille qu'emporte l'un de ses torrents, et que les flots et les courants poussent en sens contraires, chancelait, tournoyait, et était près de s'engloutir.

Mais cette prise prit fin; l'Évangile regagna tout à coup des forces, et, le lundi de Pâques 1530, une assemblée générale du peuple « mit aux voix la messe et les autels. [10] » Un parti puissant, qui s'appuyait sur les cinq cantons, s'opposa en valu à la Réforme; elle fut proclamée, et ses ennemis, battus et déconcertés, durent se contenter, dit Bullinger, de cacher mystérieusement quelques idoles, qu'ils réservaient pour des jours meilleurs.

En mime temps, la Réforme faisait des progrès dans les Rhodes extérieures d'Appenzell [11] et dans le pays de Sargans. Mais ce qui indignait le plus les cantons fidèles aux doctrines romaines, c'était de la voir passer les Alpes et paraître dans ces belles contrées du lac Majeur, où, près de l'embouchure de la Maggia, dans les murs de Locarno, au milieu des lauriers, des grenadiers et des cyprès, habitaient les nobles familles des Orelli, des Muralto, des Magoria et des Duni, et où flottait, depuis 1512, l'étendard suzerain des cantons.

Quoi donc! disait-on parmi les Waldstettes, ce n'est pas assez que Zurich et Zwingle infestent la Suisse ; ils ont encore l'audace de porter leur prétendue Réforme jusqu'en Italie, jusque dans le pays du Pape!... »

De grands désordres y régnaient parmi le clergé. « Qui veut être damné doit se faire prêtre, » y disait-on [12]. Cependant la vérité sut se faire jour dans cette contrée. Un moine de Côme qui, en 15 t i, y avait pris le froc contre le gré de sa famille [13], Egidio à Porta, s'y débattait depuis des années dans le couvent des Augustins, ne trouvant nulle part la paix de son âme. Solitaire, entouré, lui semblait-il, d'une nuit profonde, il s'écria jusqu'à en perdre la voix : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ?

Prient& le moine de Côme crut entendre dans son cœur ces mots [14] « Va vers Ulrich Zwingle, il te le dira. n Il se releva tout ému, tout tremblant. « C'est vous, «

écrivit-il aussitôt à Zwingle, mais non, ce n'est pas vous, c'est Dieu qui par vous me tirera du « filet des chasseurs.» — « Traduisez en italien le « Nouveau Testament, 340

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle lui écrivit Zwingle; je me « charge de le faire imprimer à Zurich. » Voilà ce qu'il y a plus de trois siècles la Réforme faisait pour l'Italie.

Egidio demeura donc. II se mit à traduire l'Évangile; mais tout ce qui l'entourait augmentait son angoisse. II voyait sa patrie réduite, par des guerres funestes, à la plus extrême misère; des hommes, riches jadis, tendre timidement la main pour obtenir une aumône; des multitudes de femmes, poussées par l'indigence au plus funeste avilissement. Il se persuada donc qu'une grande délivrance politique pourrait seule amener la délivrance religieuse de son peuple.

Tout à coup il croit que cette heure bienheureuse est arrivée. Il voit des lansquenets luthériens descendre les Alpes. Leurs phalanges épaisses, leurs regards menaçants se dirigent vers les bords du Tibre. A leur tête marche Freundsberg, portant une chaîne d'or autour du cou, et disant : « Si je parviens jusqu'à Rome, je m'en servirai pour pendre le Pape. » — « Dieu veut nous sauver, dit aussitôt Egidio à Zwingle.

Écrivez au « Connétable [15] ; suppliez-le de délivrer ces peu« pies auxquels il commande, de retirer aux têtes rasées, dont le (lieu est le ventre, l'argent qui « les rend si fiers, et de le faire distribuer au peuple qui meurt de faim. Puis, que chacun prêche sans crainte la pure parole du Seigneur !... La force de l'Antéchrist est près de sa fin !... »

Ainsi, en 1526, Egidio rêvait déjà la réformation de l'Italie. Mais alors ses lettres cessent; le moine disparaît; sans doute le bras de Rome sut l'atteindre, et il fut, comme tant d'autres, plongé dans l'obscur cachot de quelque couvent.

Au printemps de 1530, des temps nouveaux commencèrent pour les bailliages italiens. Zurich nomma bailli de Locarno, Jacques Werdmuller, homme grave, respecté de tous, qui, encore en 1524, avait baisé les pieds du Pape, mais qui depuis lors s'était assis aux pieds du Sauveur [16]. «Allez, « lui dit Zurich, comportez-vous chrétiennement ; et, dans ce qui concerne la parole de Dieu, conformez-vous aux ordonnances. » Au milieu d'une profonde nuit, une faible lueur semblait sortir alors d'un couvent situé sur les bords délicieux du lac Majeur. Parmi les Carmélites de Locarno, se trouvait un moine, nommé Fontana, animé du même esprit qui avait éclairé le moine de Côme. « Tant que je vivrai, disait-il, « je prêcherai sur les Épîtres de saint Paul'. [17]»

C'était surtout dans ces Épîtres qu'il avait trouvé la vérité. Deux moines, dont nous ne connaissons pas les noms, partageaient ses sentiments. Fontana écrivit « à toute l'Église de Christ en Allemagne » une lettre qui fut remise à Zwingle. « O fidèles «

bien-aimés de Jésus-Christ, criait à l'Allemagne « le moine de Locarno, souvenez-vous de cette humble Cananéenne, avide des miettes qui tombaient de la table du Seigneur! Pauvre voyageur, dévoré par la soif, je me précipite vers les sources d'eaux vives'. Plongés dans les ténèbres, baignés de larmes, nous vous crions, à «

vous qui connaissez les mystères de Dieu, de nous envoyer tous les écrits de vos 341

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle illustres douteurs, Excellents princes, pivots de l'Église notre sainte mère, empressez-vous de délivrer u de la servitude de Babylone une cité de la « Lombardie.

Nous ne sommes que trois qui nous « soyons confédérés pour combattre en faveur de la vérité [18]; mais c'est sous les coups d'un petit nombre d'hommes élus de Dieu, et non « sous ceux de milliers de Gédéon, que succomba Madian. Qui sait si d'une petite &in- celle Dieu ne veut pas. faire naître un grand « incendie? »

Ainsi trois hommes des bords de la Maggi* espéraient alors réformer l'Italie. Ils faisaient entendre un appel auquel depuis trois siècles le monde évangélique n'a pas encore répondu. Zurich cependant, dans ces jours de sa force et de sa foi, montrait une sainte hardiesse, et osait étendre ses bras •« hérétiques » jusqu'au-delà des Alpes; aussi Uri, Schwitz, Underwald, tous les Catholiques romains de la Suisse, proféraient-ils hautement de terribles menaces, jurant d'arrêter dans Zurich même le cours de ces audacieuses invasions.

Mais les Zurichois ne s'en tenaient pu là; ils donnaient à leurs confédérés des sujets de crainte plus sérieux encore en faisant aux couvents, foyers du fanatisme ultramontain, une guerre incessante. Le vaste monastère de Wettingen qu'entourent les flots de la Limath, et que sa proximité de Zurich exposait plus qu'un autre au souffle puissant de la Réforme, était violemment agité. Le 23 août 1529, l'Évangile y entra, et la révolution s'accomplit. Les moines cessèrent de dire la messe; ils se coupèrent la barbe les uns aux autres, non sans verser encore quelques larmes; Ils déposèrent leurs frocs et leurs capuchons, dit se revêtirent d'honnêtes habits bourgeois; puis, étonnés de cette métamorphose, ils assistèrent dévotement au sermon que Sébastien Benli, de Zurich, vint leur faire, et se mirent bientôt eux-mêmes à prêcher l'Évangile et à chanter des psaumes en allemand. Ainsi Wettingen, transformé, se joignait au parti puissant qui voulait rénover la Confédération. Le cloître cessant d'être une maison de jeu, d'ivresse et de bonne Chère, fut changé en une maison d'école. Deux moines seulement, dans tout ce monastère demeurèrent fidèles à leur capuchon.

Le commandeur de Mullinen, sans s'embarrasser des menaces des cantons romains, poussait avec force à la Réforme la commanderie de l'ordre de Saint-Jean à Hitzkirch. On en vint aux suffrages, et la majorité se prononça pour la parole de Dieu. « Ah! disait le commandeur, il m'a fallu « longtemps pousser au char [19].» Le 4 septembre, la commanderie fut réformée. Il en fut de même de celle de Wädenswil, du couvent de Pfeffers, et d'autres encore. A Moury même, la majorité se prononça pour l'Évangile; mais la minorité, soutenue des cinq cantons, l'emporta [20]. Un nouveau et plus précieux triomphe devait dédommager la Réforme, et porter au comble l'indignation des Waldstettes.

L'abbé de Saint-Gall était, par ses richesses, par le nombre de ses sujets et par l'influence qu'il exerçait en Suisse, l'un des adversaires les plus redoutables de 342

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle l'Évangile. Aussi, en 1529, au moment où l'armée zurichoise entrait en campagne contre les cinq cantons, l'abbé François de Geissberg, effrayé et presque mourant, s'était fait transporter précipitamment dans le château fort de Rohrschach, ne se croyant en sûreté que derrière des bastions. Quatre jours après, le célèbre Vadian, bourgmestre de Saint-Gall, prit possession de la cathédrale, et les moines effrayés s'étaient enfuis à Einsiedeln avec leurs trésors.

L'évêque étant décédé le mardi de la semaine sainte, on porta comme à l'ordinaire ses repas dans sa chambre ; les moines donnèrent, l'œil abattu, la voix basse, des nouvelles de sa santé à ceux qui en demandaient ; et pendant que cette comédie se jouait autour d’un cadavre, les religieux se rendirent en toute hâte à Rapperschwil, sur le territoire de Saint-Gall, et élurent évêque Kilian, grand sommelier de l'abbaye, natif du Tockenbourg, qui avait habilement conduit cette affaire. Zurich et Glaris déclarèrent ne vouloir le reconnaître que s'il prouvait, par la sainte Écriture, que la vie monacale est conforme à l'Évangile. «Nous n'oublions pas, dirent-ils, que notre devoir est de protéger le peuple. C'est au sein d'un peuple « libre que l'Église libre de Jésus-Christ doit s'élever. » En même temps les ministres de Saint-Gall publiaient quarante-deux thèses, dans lesquelles ils établissaient que les couvents étaient, « non des maisons de Dieu, mais des demeures du Diable [21]»

Les deux Tockenbourgeois, Kilian et Zwingle, luttaient ainsi autour de Saint-Gall, réclamant, l'un le peuple pour l'abbaye, et l'autre l'abbaye pour le peuple. Kilian se saisit du trésor et des titres du monastère, et se sauva précipitamment au-delà du Rhin. Puis le rusé moine se couvrit d'habits séculiers, et se glissa mystérieusement jusqu'à Einsiedlen, d'où il fit tout à coup retentir ses cris dans toute la Suisse.

Zurich n'y répondit qu'en publiant, d'accord avec Glaris, une constitution en vertu de laquelle un gouverneur, « ferme dans la foi évangélique, s administrerait le pays avec un conseil de douze membres, tandis que l'élection des pasteurs serait remise aux paroisses [22]'. Peu après, l'abbé fugitif, traversant une rivière près de Bregenz, tomba de cheval, s'embarrassa dans son froc, et se noya.

Des deux lutteurs, ce fut Zwingle qui l'emporta. Le couvent fut mis en vente, et acheté par la ville de Saint-Gall, « sauf, dit Bullinger, un bâti« ment nommé l'Enfer, où on laissa les moines « qui n'embrassèrent pas la Réforme [23]. »L'indignation des cinq cantons contre Zurich, qui prêtait audacieusement main-forte au peuple de Saint-Gall pour recouvrer ses anciennes libertés, devint alors extrême.

Quelques victoires vinrent un peu consoler les partisans de Rome. Soleure fut longtemps l'un des cantons les plus partagés. Les bourgeois et les savants y étaient pour la Réforme, les patriciens et les chanoines pour la Papauté. Philippe Grotz, de Zug, y prêchait l'Évangile; et le Conseil ayant voulu le contraindre à dire la messe, cent Réformés parurent dans la salle des séances le ir3 septembre 1529, et 343

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle réclamèrent énergiquement la liberté de conscience. Zurich et Berne ayant appuyé cette demande, elle fut accordée.

Les plus fanatiques d'entre les Catholiques-romains, indignés de cette concession, ferment les portes de la ville, pointent les canons, et font mine de vouloir chasser les amis de la Réforme. Le Conseil s'apprêtait à punir ces agitateurs, lorsque les Réformés, voulant donner un exemple de modération chrétienne, déclarèrent qu'ils leur pardonnaient [24]. Le Grand-Conseil fut alors publier, par tout le canton, que l'empire de la conscience n'appartenant qu'à Dieu, et la foi étant un don libre de sa grâce, chacun pourrait suivre la religion qu'il croirait la meilleure. Trente-quatre paroisses se déclarèrent pour la Réformation, et dix seulement pour la messe.

Presque toute la campagne était pour l'Évangile, mais la majorité de la ville tenait pour le Pape [25].

Haller, que les Réfornsiés de Soleure avaient demandé, arriva, et ce fut pour eux un jour de triomphe. On était au milieu de l'hiver. C'est « aujourd'hui, s'écria ironiquement l'un des a Chrétiens évangéliques, que saint Ours (patron « de la ville) va suer! En effet, ô miracle! des gouttes de sueur tombent de la sainte image. C'était tout simplement un peu d'eau bénite qui s'é tait gelée et ensuite dégelée. Mais les Catholiques n'entendent pas raillerie sur un si éclatant prodige, qui rappelle celui de saint Janvier, à Naples. Partout dans la ville retentissent des cris lamentables; les cloches sont mises en branle; une procession générale parcourt les rues, et l'on chante une grand'inesse en l'honneur du prince céleste, qui a fait connaître d'une manière si merveilleuse l'angoisse qu'il éprouve pour ses bien-aimés. «

C'est le gros ministre de Berne (Haller) qui est « la cause de l'effroi du saint ! »

disent de vieilles dévotes; l'une d'elles déclare qu'elle lui plantera un couteau dans le corps, et quelques Catholiques-romains menacent d'aller à l'église des Cordeliers égorger les ministres qui y prêchent. Alors les Réformés se jettent dans ce temple, et demandent une dispute publique; deux cents de leurs adversaires s'établissent en même temps dans l'église de Saint-Ours, et refusent la dispute. Aucun des deux partis ne veut être le premier à abandonner le camp dans lequel il s'est retranché

[26]. Le commerce est interrompu, les tribunaux sont fermés; on va, on vient, on parlemente; mais ce peuple a la tête si dure [27], que personne ne veut céder; on dirait une ville mise en état de siège. Enfin on tomba d'accord qu'il y aurait une dispute publique ; mais les Catholiques jugèrent plus sûr de l'éluder. Indignés de ces retards, les Réformés quittèrent imprudemment la ville; et les Conseils déclarèrent en toute hâte que l'on serait libre dans le canton, mais que dans la ville nul ne pourrait attaquer la messe. Les Réformés durent en conséquence sortir chaque dimanche de Soleure, et se rendre au village de Zuchsweil pour y entendre la parole de Dieu. Ainsi la Papauté, battue en tant de lieux, triomphait dans Soleure.

344

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Zurich et les autres cantons réformés suivaient attentivement ces succès des adversaires, et prêtaient l'oreille avec crainte aux menaces des Catholiques-romains, qui ne cessaient d'annoncer l'intervention de l'Empereur, quand tout à coup le bruit se répandit que neuf cents Espagnols s'étaient jetés dans les Grisons; qu'ils avaient à leur tête le châtelain de Musso, décoré récemment par l'Empereur du titre de marquis; que le beau-frère du châtelain, Didier d'Embs, marchait aussi contre la Suisse, à la tête de trois mille lansquenets impériaux, et que l'Empereur lui-même se tenait prêt à les appuyer de toutes ses forces. Les Grisons poussèrent un cri d'alarme. Les Waldstettes restèrent immobiles; mais tous les cantons réformés rassemblèrent leurs soldats, et onze mille hommes se mirent en marche Bientôt l'Empereur et le duc de Milan, ayant déclaré qu'ils n'appuieraient pas le châtelain, cet aventurier vit son château rasé, et dut se retirer sur les bords de la Sesia, en donnant des gages de sa tranquillité future, tandis que les milices suisses rentraient dans leurs foyers, pleines d'indignation contre les cinq cantons, qui, par leur inaction ,avaient enfreint les alliances fédérales [29]. Sans doute, disait-on, une opposition prompte et énergique a déjoué maintenant de perfides desseins; mais la réaction n'est qu'ajournée. La vérité nous a affranchis; mais bientôt les lansquenets impériaux viendront nous remettre sous le joug.

Les deux partis qui divisaient la Suisse étaient ainsi parvenus, par de violentes secousses, au plus haut degré de l'irritation. L'abîme qui les séparait s'élargissait de jour en jour. Les nuages avant-coureurs de la tempête couraient rapidement le long des montagnes, et s'amoncelaient menaçants au-dessus des vallées. Zwingle et ses amis crurent alors devoir faire entendre leur voix, afin, s'il était possible, de conjurer l'orage. Ainsi Nicolas de Flue s'était jeté jadis au milieu des combattants.

Le 5 septembre 1530, les principaux ministres de Zurich, de Berne, de Bâle et de Strasbourg, Œcolampade, Capiton, Mégandre, Léon Juda, Mycolins, se trouvaient rassemblés à Zurich, dans la maison de Zwingle. Désirant faire auprès des cinq cantons une démarche solennelle, ils rédigèrent une adresse qui fut remise aux confédérés au maa ment où la Diète s'assemblait à Bade. Quelque peu favorables que les députés fussent généralement à ces ministres hérétiques, ils écoutèrent pourtant leur missive, mais non sans donner bien des signes d'impatience et d'ennuis, « Vous savez, à gracieux Seigneurs, disaient les ministres de Zurich, que la concorde fait grandir les États, mais que la discorde les renverse [31]'. D'où vient la division, si ce n'est de l'intérêt propre? Et « comment le détruire, si ce n'est en recevant « de Dieu l'amour du bien commun ? Laissez donc prêcher librement la parole du Seigneur, comme l'ont fait vos pieux ancêtres. Deux gouttes de vif-argent ne se réunissent-elles pas, aussitôt qu'on enlève ce qui les divise? Otez donc ce qui «

vous sépare de nos villes, savoir l'absence de la parole de Dieu, et aussitôt le Dieu tout-puissant nous réunira, comme l'ont été nos pères.

345

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Alors, placés dans vos montagnes comme au centre de la chrétienté, vous en serez l'exemple, la défense, le refuge; et après avoir traversé cette vallée de misère, en étant la terreur des impies et la consolation des fidèles, vous a serez établis enfin dans une éternelle joie. » Ainsi s'adressaient avec franchise à leurs frères des Waldstettes, ces hommes de Dieu. Mais leur voix ne fut point entendue. « Le sermon des ministres est bien long [32], » disaient, en bâillant et étendant les bras, quelques-uns des députés, tandis que d'autres prétendaient y trouver de nouveaux griefs contre les villes.

Quelques-uns entrevirent alors ce qui seul eût pu sauver la Suisse et la Réforme : l'autonomie de l'Église, et son indépendance des intérêts politiques. Si l'on eût su ne pas recourir au bras séculier pour assurer les triomphes de l'Évangile, il est probable que la concorde se fût peu à peu rétablie dans les cantons helvétiques, et l'Évangile y eût triomphé par sa force toute divine. La puissance de la parole de Dieu offrait des chances de succès, que ne présentaient ni les mousquets, ni les hallebardes. L'énergie de la foi, l'influence de la charité auraient protégé plus sûrement les chrétiens des Waldstettes que les diplomates et les hommes d'armes.

Nul des réformateurs ne le comprit comme Œcolampade. Sa belle figure, le calme de tous ses traits, le feu si doux de ses regards, sa barbe riche et vénérable, la spiritualité de son expression, une certaine grandeur qui inspirait à la fois la confiance et le respect, lui donnaient l'apparence d'un apôtre encore plus que d’un réformateur.

C'était de la parole intérieure qu'il exaltait surtout la puissance; peut-être même alla-t-il trop loin dans le spiritualisme. Mais, quoi qu'il en soit, si quelque homme avait pu sauver la Réforme des malheurs qui allaient fondre sur elle, c'était lui. En se séparant de la Papauté, il ne voulait pas mettre le magistrat à sa place. «Le magistrat qui enlèverait aux églises l'autorité qui leur appartient, écrivait-il alors à Zwingle, serait plus intolérable que l'Antéchrist lui- même (c’est-à-dire le Pape) [33].

La main du magistrat frappe de l'épée, mais la main de Christ guérit. Christ n'a pas dit : Si ton frère ne t'écoute pas, dis-le au magistrat; mais dis-le à l'Église. L'État a d'autres fonctions que l'Église, et il est libre de faire bien des choses que la pureté évangélique ne connaît pas [34]'. » Œcolampade veut sans doute dire par là que, des deux sphères dans lesquelles l'Église et l'État se meuvent, l'une est plus élevée et l'autre l'est moins; certes, il ne prétend point approuver les mauvaises pratiques des gouvernements. Il comprit combien il était important que ses convictions sur l'indépendance de l'Église prévalussent alors dans la Réforme; et cet homme si débonnaire ne craignit pas de s'avancer courageusement pour des doctrines encore si nouvelles. Il les exposa devant une assemblée synodale, puis il les développa devant le sénat bâlois).

Ces pensées, chose étonnante, plurent, un instant du moins, à Zwingle [35] ; mais elles déplurent à une assemblée de frères à laquelle il les communiqua ; et le 346

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle politique Bucer, surtout, craignit que cette indépendance de l'Église n'arrêtât en quelque manière l'exercice du pouvoir civil [36]. Cependant les efforts d'Œcolampade pour constituer l'Église ne furent pas sans quelque succès. En février 1531, se tint à Bâle une diète des quatre cantons réformés (Bâle, Zurich, Berne et Saint-Gall), où l'on convint que quand il surviendrait quelque difficulté à l'égard de la doctrine ou du culte, on convoquerait une assemblée de théologiens et de laïques, qui examinerait ce que la parole de Dieu dit à cet égard [37]. Cette résolution, en donnant une plus grande unité à l'Église tenouirelée, lui donnait une nouvelle force.

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FOOTNOTES

[1] That der Iliffel den ersten Angrift

[2] Nam quotidie cogitare soleo quanam re christianum adjuvem profectum. (Zw.

Epp., II, p. 13.)

[3] Audeo ego intrepide omnem Ecclesiœ abusum et omnia humana prœcepta, in enunciatioue verbi Dei damnare. (Ibid.)

[4] Nugas esse et fabulas. (Zw. Epp., II, p. i3.)

[5] Jam sere convicti, palinodiam canunt. (Ibid. p. 295.)

[6] Pierre Rumelin, pasteur de Schwanden.

[7]Tota etiam nocte pistantes, sanguisugas, aspendios ce-pimus. (Ibid.)

[8] Rasdorfer fait évidemment allusion à ce que Pline dit du plan de vigne nommé Aspendios : E diverso as-pendios, damnata anis. Ferunt eam nec ab alite ulla attingi. (Hist. nat., lib. i4, cap. i8.)

[9] Vertit vela in dies setiatus rtdster ifronetcolartim more. (rbid.)

[10] Vutt jam eueullum, post nô% volt. (Ibid.} C'est-à-dire, tantôt il tecormait et tantôt rl rejette l'abbé de Saint-Gall.

[11] Voir la lettre de Bettediet Nota âc Zvtirigte. (Epp., /I, p. 635.)

[12] Saint Charles Borromée, archevêque de Milan, supprima plus tard plusieurs couvents de ces contrées : Monialimbi non

[13] dicam collegia, sed ainantium contubernia, » dit-il. (Die evang. Cern. in Locarno, von F. Meyer, I, p. log.)

[14] Subduxi nemet a parentum patrc4nio, çfflillunique nigrum ex animo suscepi.

(Zw. Epp.t I, p. 40.)

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[15] Luc, X, 39.

[16] Se dum vivat catis de Epistolis Pauli conciouaturum esse.... (Zw. Epp., II, p.

497.)

[17] Debilis et infirmus, apud piscinam salutem mei et patrie toto mentis affectu citissime expecto. (Hottinger,, Historia saecul. XVI, pars 2, p. 619.)

[18] Conkederati conjunctique iû expeditionem veritatis tres tantum numero sumus.

(Ibid., p. 6w.)

[19] Diu me in hoc curru promovendo laborasse, priusquam tam longe processit. (Zw.

Epp., II, p. 334.)

[20] Das das minder must das meer sin. (Bulling. Chr. p. 241.)

[21] Thèse 8. (Bulling., II, p.

[22] Die Pfarer soli den Geminden irs gfallens zu erkiessen zugestellt syn.

(Bullinger, II, p. 268.)

[23] Alein was ein gebuw die Held genampt; das liess man den München blyben.

(Ibid. p. 27E .)

[24] II, p. 139.

[25] Major pars agri abolita superstitione stat. Major et potior pars urbis a papistis p. 489.) a parte nosira . (Zw. Epp., II,

[26] Nolentes ab tangue parte sua relinquere castra, donec altrra cedat. (Ibid. p. 4io.)

[27] Tam dura,' cervicis populus est. (Ib.)

[28] Bullinger, Chron., II, p. 357.

[29] Ward ein Brosser Unwill wieder sie. (Ibid. p. 36 t.)

[30] Lecta est epistola nostra in comitiis Badensibus. (Eco-lamp. Bucero, 25 oct.

1530.)

[31] Wie mit einhelligkeit kleine Ding gross werdend. (Zw.OPP•, II, P. 78.)

[32] Libellum supplicem ad guimpe pagos breviorem veneur. (Zw. Epp., II, p. 511.) Fastidiunt tam sancta. (Ecol.)

[33] Ipsorum functio alla est ab eeclesiastica, multaque ferre et facere potest, qua: puritas eeingelica non agnoscit. (Ibid.)

[34] Orationis mer, quam, fratrum nomine, coram senatu habui. (Ib.)

[35] Ut mihi magis ac magis arridet. (Ibid. p. 5i8.) 348

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[36] Ut non impediat alicubi magistratum christianum. (Bucer Zwinglio, ib., p. 536.)

[37] J. J. Hottinger, III, p. 554.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IV.

Rôle politique dé Zwingle. — Luther et Zwingle, ou l'Allemagne et la Suisse. —Philippe de Hesse et la cité chrétienne. Rapprochement entre Zwisagle et Luther. — Projet d'alliance de Zwingle contre l'Empereur. --Zvringle contre Charles Quint. — Détrôner les tyrans. — Zwingle destine l'Empire à Philippe. — Alliance universelle. —

Ambassade à Venise. — Alliance projetée avec la France.— Plan présenté par Zwingle. — Les Français le rejettent. — Déclaration des cinq cantons. — Discours violents. —Persécutions. — Papier mystérieux. —Diète évangélique.— Diète générale à Bade.—Cri de guerre de Zwingle. — Députation de Schwitz et d’Uri.—Réforme politique de la Suisse. — Activité de Zurich et de Zwingle Mais il n'était plus temps de marcher dans cette voie, qui eût prévenu tant de désastres. La Réforme était déjà entrée à pleines voiles dans l'océan orageux de la politique; et des malheurs inouïs allaient fondre sur elle. L'impulsion donnée à la Réforme venait d'un autre que d'Ecolampade. L'œil fier et vif de Zwingle, ses traits rudes, sa démarche hardie, tout annonçait en lui l'esprit résolu et l'homme d'action.

Nourri des exploits des héros de l'antiquité, il se jeta, pour sauver l'Évangile, sur les traces des Démosthène et des Caton, plus encore que sur celles des saint Jean et des saint Paul. Son regard prompt et pénétrant se porta à droite, à gauche, dans les cabinets des rois et les conseils des peuples, tandis qu'il eût dû ne se diriger qu'en haut vers le trône de Dieu.

Nous avons déjà vu que dès 1527 Zwingle, découvrant toutes les puissantes qui s'élevaient contre la Réforme, avait conçu le plan d'une « combourgeoisie ou cité chrétienne [1], a qui réunirait tous les amis de la parole de Dieu en une ligue sainte et puissante. Une telle alliance était d'autant plus facile, que la Réformation de Zwingle avait gagné Strasbourg Augsbourg, Ulm Reutlingen, Lindau, Memmingen, et d'autres villes de la haute Allemagne. Constance y entra en décembre 1527; Berne, en juin 1528; Saint-Gall, en novembre de la mérite année ; Bienne, en janvier 1529; Mulhouse, en février ; .Bâle, en mars; Schaffouse, en septembre; et Strasbourg, en décembre. Cette partie politique du rôle de Zwingle est, aux yeux de quelques-uns, son plus grand titre de gloire; nous n'hésitons point à y voir sa plus grande faute. Le Réformateur, quittant les sentiers des Apôtres, se laissait séduire par l'exemple pervers de la Papauté. L'Église primitive n'opposa jamais aux persécuteurs que les dispositions de l'Évangile de paix, et sa foi fut le seul glaie avec lequel elle vainquit les puissances de la terre. Zwingle sentait bien qu'en entrant dans les voies des politiques du monde, il sortait de telles d'un ministre de Jésus-Christ. Aussi cherchait-il à se justifier.

« Sans doute, disait-il, ce n'est pas avec des forces humaines, c'est avec la seule force de Dieu que la parole du Seigneur doit être maintenue; mais Dieu se sert souvent des hommes comme d'instruments pour secourir les hommes. Unissons-nous donc, 350

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle et que, des sources du Rhin jus« qu'à Strasbourg, nous ne soyons qu'un peuple cc et qu'une alliance'. »

Ainsi Zwingle remplissait deux rôles: il était à la fois réformateur et magistrat; or ce sont là deux caractères qui ne doivent pas plus être confondus que ceux de ministre et de soldat. Nous ne blâmerons pas les soldats, nous ne blâmerons pas les magistrats; en formant des ligues et en tirant l'épée, ils agissent d'après leur point de vue, quoique ce point de vue ne soit pas le nôtre; mais nous blâmerons, décidément le ministre chrétien qui se fait diplomate ou général.

En octobre 1529, nous l'avons dit, Zwingle s'était rendu à Marbourg, où il était appelé par Philippe de Hesse; et tandis que ni l'un ni l'autre n'avaient pu s'entendre avec Luther, le Landgrave et le Réformateur suisse, animés du même esprit d'audace et d'entreprise, s'étaient aussitôt rencontrés. Les deux Réformateurs ne différaient pas moins sous le rapport politique que sous le rapport religieux. Luther, élevé dans le cloître et dans la soumission monacale, s'était imbu dans sa jeunesse des écrits des Pères de l'Église; tandis que Zwingle, élevé au milieu des libertés suisses, s'était pénétré, dans ces premières années qui décident de toutes les autres, de l'histoire des anciennes républiques. Aussi, tandis que Luther était pour une résistance passive, Zwingle demandait qu'on s'opposât énergiquement 'aux tyrans.

Ces deux hommes étaient les fidèles représentants de leur peuple. Dans le nord de l'Allemagne, les princes et la noblesse étaient la partie essentielle de la nation, et le peuple, étranger à toute liberté politique, ne savait qu'obéir; aussi, à l'époque de la Réformation, se contenta-t-il de suivre la voix de ses docteurs et de ses chefs. En Suisse, dans le sud de l'Allemagne et sur le Rhin, au contraire, plusieurs villes, après des luttes longues et violentes, avaient conquis la liberté civile: aussi presque partout y voyons-nous le peuple prendre une part active à la réforme de l'Église.

C'était un bien; mais un mal se trouva tout à côté. Les Réformateurs, hommes du peuple eux-mêmes, qui n'osaient agir sur les princes, pouvaient être tentés d'entraîner les peuples. Il était plus facile à la Réforme de s'allier avec des républiques qu'avec des rois. Cette facilité faillit la perdre. L'Évangile devait ainsi apprendre que son alliance est dans le ciel.

Il y eut cependant un prince avec lequel la Réforme des États libres désira s'unir, Philippe de Hesse. Ce fut lui qui inspira en grande partie à Zwingle ses projets belliqueux. Zwingle voulut le reconnaître, et introduire son nouvel ami dans l'alliance évangélique. Mais Berne, attentive à éloigner ce qui pouvait irriter l'Empereur eues anciens confédérés, rejeta cette proposition, et excita ainsi un vif mécontentement dans la cité chrétienne. » « Quoi ! S’écria-ton les Bernois se refusent à une alliance qui serait honorable pour nous, agréable à Jésus-Christ, et terrible pour nos adversaires [2]» —L'ours (Berne), dit l'audacieux Zwingle, est jaloux du lion (Zurich jamais il y aura une fin à toutes ces finesses, et c'est aux 351

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle hommes courageux que la victoire demeurera. » Il paraîtrait en effet, d'après une lettre en chiffres, que les Bernois se rangèrent enfin aux désirs de Zwingle, demandant seulement que nette alliance avec un prince de l'Empire ne fût pas rendue publique [3].

Œcolampade ne s'était point rendu, et sa douceur luttait, quoique modestement, avec la hardiesse de son impétueux ami. Il était convaincu que c'était par l'union cordiale de tous les fidèles que la foi devait triompher. Un secours précieux vint ranimer ses efforts. Les députés de la combourgeoisie chrétienne s'étant réunis à Bâle en novembre 1530, les envoyés de Strasbourg s'efforcèrent de rapprocher Zwingle et Luther. Œcolampade en écrivit à Zwingle, le suppliant de voler lui-même à Bâle [4], et de ne point se montrer trop difficile. « Dire que le corps et le sang de Christ sont vraiment dans la cène, peut paraître à plusieurs une parole trop dure, lui écrivait-il ; mais n'est-elle pas adoucie quand on ajoute « Ils s'y trouvent pour l'esprit, et non pour le « corps? [5]»

Zwingle fut inébranlable. « C'est pour flatter « Luther, dit-il, qu'on tient un tel langage, et non « pour défendre la vérité [6] Edere est credere [7]. » Néanmoins, il y avait là des hommes résolus à d'énergiques efforts. La fraternité fut sur le point de triompher; on voulait conquérir la paix par l'union. L'électeur de Saxe lui-même proposait une concorde de tous les chrétiens évangéliques; le Landgrave invitait les villes suisses à y accéder. Le bruit se répandit que Luther et Zwingle allaient faire la même confession de foi. Zwingle, se rappelant les premières professions du Réformateur saxon, dit un jour à table, devant plusieurs témoins, que Luther n'aurait pas des sentiments si erronés sur l'eucharistie, si Mélanchton ne l'en traînait [8]. L'union de la Réforme semblait sur le point de se conclure : elle eût vaincu par ses propres armes. Mais Luther fit bientôt voir que Zwingle se trompait.

Il exigea un engagement écrit, par lequel Zwingle et Œcolampade adhéreraient à ses sentiments; et en conséquence les négociations furent rompues. La concorde ayant échoué, il ne restait plus que la guerre. Œcolampade devait se taire, et Zwingle allait agir.

En effet, Zwingle se jeta depuis lors toujours plus avant dans la voie où l'entraînaient son caractère, son civisme et ses premières habitudes. Étourdi partant de secousses, frappé par ses ennemis, repoussé par ses frères, il chancela, et la tête lui tourna. Dès lors le Réformateur disparaît presque, et nous trouvons à sa place l'homme politique, le grand citoyen, qui, voyant une coalition redoutable préparer des chaînes pour tous les peuples, se lève contre elle avec énergie.

L'Empereur venait de s'unir étroitement avec le Pape. Si l'on ne s'opposait pas à ses funestes desseins, c'en était fait, selon Zwingle, de la Réforme, de la liberté religieuse et politique, et de la Confédération elle-même. « L'Empereur, disait-il, soulève ami contre ami, ennemi contre ennemi ; et puis il s'efforce de faire sortir de cette confusion la gloire de la Papauté, et surtout sa propre puiser sauce. Il excite le 352

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle châtelain de Musso contre les Grisons, l'évêque de Constance contre sa ville, « le duc de Savoie contre Berne, les cinq cantons contre Zurich, le duc George de Saxe contre le « duc Jean, les évêques du Rhin contre le Land« grave; et quand la mêlée sera devenue générale, il tombera sur l'Allemagne, se présentera comme médiateur, et fascinera par ses belles paroles les villes et les princes, jusqu'à ce qu'il les ait mis sous ses pieds. Grand Dieu! Quelles discordes, quels désastres, sous prétexte de rétablir l'Empire et de restaurer la religion' [9]»

Zwingle alla plus loin. Le Réformateur d'une petite ville de la Suisse, s'élevant aux conceptions politiques les plus étonnantes, demanda une alliance européenne contre de si funestes desseins. Le fils d'un paysan du Tockenbourg voulut tenir tête à l'héritier de tant de couronnes. « Il faut être un traître ou un lâche, écrivait-il à un sénateur de Constance, pour se contenter de bâiller et d'étendre les bras, quand on devrait réunir de toutes parts des hommes et des armes, afin de montrer à l'Empereur que c'est en vain qu'il s'efforce de rétablir la foi romaine, d'asservir les villes libres, et de dompter les Helvétiens [10].

« On nous a montré, il y a six mois, comment on veut procéder. Aujourd'hui on entreprendra une ville, demain une autre, et ainsi l'une après l'autre, jusqu'à ce qu'elles soient toutes soumises. Alors on leur enlèvera leurs armes, leurs trésors, leurs machines de guerre, et toute leur puissance... Réveillez Lindau et tous vos voisins. Si l'on ne se réveille, les libertés publiques vont périr, sous le prétexte de la religion.

« Il ne faut pas se fier à l'amitié des tyrans. Démosthène nous apprend déjà qu'à leurs yeux il n'y a rien de plus haïssable que ri-1v 'Tir.' 'raton' ce acCeptecv

'L'Empereur d'une main montre du pain, mais dans l'autre il cache une pierre [12] »

Quelques mois plus tard, Zwingle écrivait encore à d'autres amis de Constance : «

Soyez intrépides; ne craignez pas les desseins de Charles. Le rasoir coupera celui qui l'aiguise [13]. »

Ainsi donc, plus de délais. A quoi bon attendre que Charles-Quint réclame l'antique château de Habsbourg? La Papauté et l'Empire, disait-on à Zurich, sont tellement cousus l'un à l'autre [14], que l'un ne peut subsister ni périr sans l'autre. Qui rejette la Papauté doit rejeter l'Empire, et qui rejette l'Empereur doit rejeter le Pape. Il parait bien que les pensées de Zwingle allaient même au-delà d'une simple résistance. Une fois que l'Évangile avait cessé d'être sa principale préoccupation, il n'y avait plus rien qui pût l'arrêter.

« Il ne faut pas, disait-il, que tel ou tel individu « se mette dans l'esprit de détrôner un tyran; ce serait une révolte, et le règne de Dieu veut la justice, la paix et la joie.

Mais si tout le peuple, d'un commun accord, ou si du moins la majorité le rejette, sans commettre d'excès, c'est avec Dieu qu'il le fait [15]. » Or, Charles-Quint était maintenant aux yeux de Zwingle un tyran; et le Réformateur espérait que l'Europe, 353

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle se réveillant enfin de son long sommeil, serait la main de Dieu pour le précipiter de son trône.

Jamais, depuis les temps de Démosthène et de Caton d'Utique, on n'avait vu une plus énergique résistance aux pouvoirs oppresseurs. Zwingle est, sous le rapport politique, l'un des plus grands caractères des temps modernes : il faut lui rendre cet honneur, qui est peut-être pour un ministre de Dieu un douteux éloge. Tout était prêt dans sa tête pour accomplir une révolution qui eût changé la marche de l'Europe. Il savait ce qu'il voulait substituer à la puissance qu'il voulait abattre. Il avait même déjà jeté les yeux sur le prince qui devait _ceindre la couronne impériale à la place de Charles. C'était son ami le Landgrave. « Très-gracieux prince, lui écrivait-il le a novembre 1529, si je vous écris comme un enfant à son père, c'est que j'espère que Dieu vous cc a choisi pour de grandes choses... que j'ose bien penser, mais que je n'ose pas dire [16]... Cependant il faut bien qu'une fois on attache le grelot [17]... Tout ce que je puis faire avec mes faibles moyens, à la gloire de Dieu, pour manifester la vérité, pour sauver l'Église universelle, pour augmenter votre puissance et celle de tous ceux qui aiment Dieu, avec l'aide de Dieu je le ferai. »

Ainsi s'égarait ce grand homme. Dieu a permis qu'il y eût des taches en ceux qui brillent le plus aux yeux du monde; et un seul sur la terre a pu dire : « Qui de vous me convaincra de péché [18] ? » Nous assistons aux fautes de la Réforme; elles proviennent de l'union de la religion avec la politique. Je n'ai pu prendre sur moi de'

les taire : le souvenir des erreurs de nos devanciers n'est pas ce qu'ils nous ont légué de moins utile.

Il paraît que, déjà à Marbourg, Zwingle et le Landgrave avaient tracé la première ébauche d'une alliance universelle contre Charles. Le Landgrave s'était chargé des princes, Zwingle des villes libres du sud de l'Allemagne et de la Suisse. Il alla plus loin, et forma le dessein de gagner à cette ligue les républiques d'Italie, la puissante Venise tout au moins, afin qu'elle retînt l'Empereur au-delà des Alpes, et l'empêchât de porter toutes ses forces en Allemagne. Zwingle, qui avait prêché d'une voix forte contre les alliances étrangères, et proclamé à tant de reprises que le seul allié des Suisses devait être le bras du Tout-Puissant, se mit alors à rechercher ce qu'il avait condamné, et prépara ainsi le terrible jugement qui allait frapper sa famille, sa patrie, son église.

A peine était-il de retour de Marbourg, que, sans qu’il n’en fût fait aucune communication officielle au Grand-Conseil, il obtint du sénat l'envoi d'un député à Venise. Les grands hommes, après leurs premiers succès, s'imaginent facilement que tout leur est possible. Ce ne fut point un homme d'État qui fut chargé de cette mission, mais un ami intime de Zwingle, celui qui l'avait accompagné en Allemagne, à la cour du chef futur du nouvel empire, le professeur de grec Rodolphe Collin, homme hardi, habile, et qui savait l'italien. Ainsi le Réformateur tend la main au doge et au procurateur de Saint-Marc. Il n'a pas assez de la Bible, il lui faut le livre 354

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle d'or. Cependant il faut être juste envers ce grand homme. Ce qu'il désirait, c'était d'éloigner Charles, allié aux petits cantons pour tuer les hérétiques. Il ne prétendait pas faire triompher l'Évangile par sa députation, mais rendre les bûchers plus difficiles. Il y avait d'ailleurs à Venise plus d’indépendance du Pape que dans tout le reste de l'Italie. Luther lui-même écrivait alors à Gabriel Zwilling : « Avec quelle joie j'apprends ce que vous m'écrivez des Vénitiens! Dieu soit béni et glorifié de ce qu'ils ont reçu sa parole'[19] ? »

Collin fut admis le 26 décembre en présence du Doge et du sénat, qui regardaient d'un air un peu étonné ce maitre d'école, cet étrange ambassadeur, sans suite et sans appareil. On ne pouvait même comprendre ses lettres de créance, tant elles étaient singulièrement conçues; Collin dut en expliquer le sens. « Je viens à vous, dit-il, au nom du Conseil de Zurich et des villes de la combourgeoisie chrétienne, cités libres comme Venise, et auxquelles des intérêts communs doivent vous unir.

La puissance de l'Empereur est redoutable aux républiques; il tend en Europe à la monarchie universelle; s'il y parvient, tous les États libres périront : il faut donc l'arrêter [20].» Le Doge lui répondit que la République venait justement de conclure une alliance avec l'Empereur, et laissa apercevoir la défiance qu'une si mystérieuse mission inspirait au sénat vénitien. Mais plus tard, dans des conférences secrètes'[21], le Doge, voulant se ménager une issue des deux côtés, ajouta que Venise recevait le message de Zurich avec reconnaissance, et qu'un régiment vénitien, armé et soldé par la République même, serait toujours prêt à secourir les Suisses évangéliques. Le Chancelier, couvert de sa veste de pourpre, accompagna Collin, et lui confirma, à la porte même du palais, l'assurance d'un secours. Au moment où la Réformation avait franchi les superbes portiques de Saint-Marc, elle avait été atteinte de vertige, elle ne pouvait plus que tournoyer, et tomber dans l'abîme. On congédia l'ambassadeur zurichois, en lui mettant dans la main un présent de vingt couronnes. Le bruit de ces négociations se répandit bientôt, et les moins soupçonneux, Capiton par exemple, branlèrent la tête, et ne surent voir dans cette prétendue entente que la perfidie accoutumée des Vénitiens *[22].

Ce n'était pas assez. Le Réformateur, poussé par une fatale nécessité, prenait toujours plus la place des hommes politiques. Voyant que ses adversaires devenaient toujours plus nombreux dans l'Empire, il perdait peu à peu son aversion pour la France; et bien qu'il y eût de plus qu'autrefois, entre lui et François, le sang de ses frères répandu par ce monarque, il se montrait disposé à une union qu'il avait si énergiquement condamnée.

Lambert Maigret, général français qui paraît avoir eu quelque penchant pour l'Évangile, ce qui excuse un peu Zwingle, entra en correspondance avec le Réformateur, lui donnant à entendre que les desseins secrets de Charles-Quint exigeaient une alliance entre le roi de France et les républiques helvétiques. «

Appliquez-vous, lui disait ce diplomate en février 1530, à une œuvre si agréable à 355

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle notre Créateur, et qui, moyennant la grâce de Dieu, sera très-facile à votre puissance [23]. » Zwingle fut (l'abord étonné de ces ouvertures. « Il faut, pensa-t-il, que le roi de France ne sache de quel côté se tourner [24]. » Deux fois il se refusa à cette demande. Mais l'envoyé de François Ier insista pour que le Réformateur lui communiquât un projet d'alliance. A la troisième tentative de l'ambassadeur, le simple fils des montagnes du Tockenbourg ne put résister à ses avances. Si Charles-Quint doit tomber, ce ne peut être sans la main de la France. Pourquoi la Réformation ne contracterait-elle pas avec François 1er une alliance dont le but serait d'établir dans l'Empire un pouvoir, qui saurait ensuite obliger le roi à tolérer la Réforme dans son propre royaume ? Tout semblait concourir aux vœux de Zwingle : la chute du tyran s'approchait, et allait entraîner celle du Pape. Il communiqua au Conseil secret les ouvertures du général, et Collin partit, chargé de porter à l'ambassade française le projet demandé [25]'. « Dans les siècles anciens, y était-il dit, il n'est ni rois ni peuples qui aient résisté avec autant de fermeté à la tyrannie de l'Empire romain, que le roi des Français et le peuple des Suisses. Ne dégénérons pas des vertus de nos pères. Le roi très-chrétien (dont tous les vœux sont pour que la pureté de l'Évangile demeure sans aucune tache [26]') s'engage donc à conclure, avec les villes de la combourgeoisie chrétienne, une alliance conforme à la loi divine, et qui sera soumise à la censure des théologiens évangéliques 'de la Suisse. » Suivaient les articles principaux du traité.

Lanzerant, autre envoyé du roi, répondit le même jour (27 février) à cet étonnant projet d'alliance qui devait se conclure entre les Réformés suisses et le persécuteur des Réformés français, sous réserve de la censure des théologiens... Ce n'était pas ce que voulait la France; c'était de la Lombardie, et non de l'Évangile, que le Roi avait envie. Pour cela, il avait besoin du secours de tous les Suisses. Or, une alliance qui mettrait contre lui les cantons catholiques, ne pouvait lui être agréable. Satisfaits donc de connaître maintenant les dispositions de Zurich, les envoyés français battirent froid au Réformateur. « Les choses que vous nous avez transmises sont rédigées dans un style admirable, lui disait Lanzerant ; mais je puis à peine les comprendre, « sans doute à cause de la faiblesse de mon cerveau... Il ne faut jeter aucune semence en terre, sans que le sol soit convenablement préparé. »

Ainsi la Réforme en était quitte pour la honte de ses propositions. Puisqu'elle oubliait ces préceptes de la Parole : Are portez pas un même joug avec les infidèles'[27], comment d'éclatants revers ne l'auraient-ils pas punie ? Déjà les amis mêmes de Zwingle commençaient à l'abandonner. Le Landgrave, qui l'avait lancé dans cette carrière diplomatique, se rapprochait de Luther et cherchait à arrêter le Réformateur suisse, surtout depuis que ce mot, prononcé par Érasme, était venu tinter aux oreilles des grands « On nous « demande d'ouvrir nos portes, en criant bien haut : L'Évangile !... l'Évangile... Soulevez le manteau, et, sous ses plis mystérieux, vous trouverez la démocratie. »

356

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Tandis que le Réformateur suisse s'agitait ainsi, et s'adressait en vain à la puissance des grands de la terre, les cinq cantons, qui devaient être les instruments de sa ruine, hâtaient de toutes leurs forces ces jours funestes de vengeance et de colère. Les progrès de l'Évangile dans la Confédération les irritaient; la paix qu'ils avaient signée leur devenait tous les jours plus à charge : « Nous n'aurons pas de repos, disaient-ils, que nous n'ayons « brisé ces liens et regagné notre liberté première [28]'. » Une Diète générale fut convoquée à Bade pour le $ janvier 153i.

Les cinq cantons y déclarèrent que si l'on ne faisait pas droit à leurs griefs, surtout quant à l'abbaye de Saint-Gall, ils ne paraîtraient plus en Diète. « Confédérés de Glaris, de « Schaffouse, de Fribourg, de Soleure et d'Appenzell, s'écrièrent-ils, aidez-nous à faire respecter nos antiques alliances, ou nous aviserons nous-mêmes aux moyens d'arrêter des « violences coupables. Que la sainte Trinité nous assiste en cette œuvre [29]! »

On ne s'en tenait point aux menaces. Le traité de paix avait expressément interdit les injures, de peur, y était-il dit, que par des insultes et des calomnies on n'excite de nouveau la discorde, et l'on ne soulève des troubles plus grands « que les premiers.» Ainsi se trouvait cachée, dans le traité même, l'étincelle qui devait faire éclater l'incendie. Contenir les langues grossières des Waldstettes était chose impossible. Deux Zurichois, le vieux prieur Ravensbühler et le pensionnaire Gaspard Gadli, qui avaient dû renoncer l'un à son couvent, l'autre à sa pension, s'étaient réfugiés, pleins du désir de la vengeance, dans les cantons forestiers, et excitaient la colère du peuple contre leur ville natale. On disait partout, dans ces vallées, que les Zurichois étaient des hérétiques; qu'il n'y en avait pas un parmi eux qui ne commît des péchés scandaleux, et qui ne fût tout au moins un larron [30] ; que Zwingle était un voleur, un meurtrier, un hérésiarque, et que, se trouvant à Paris (où il n'avait jamais été), il avait commis une action horrible, pour laquelle Léon Juda lui avait prêté son assistance [31].

« Je n'aurai pas de repos, disait un pensionnaire, que je n'aie plongé « mon glaive jusqu'à la poignée dans le cœur de « cet impie! » D'anciens chefs de bandes, redoutés de tous, à cause de leur caractère indomptable; les satellites qu'ils traînaient à leur suite; des jeunes gens orgueilleux, fils des chefs de l'État, et qui se croyaient tout permis contre de misérables prédicants et leurs stupides ouailles; des prêtres enflammés de haine, et qui, marchant sur les pas de ces vieux capitaines et de ces jeunes étourdis, semblaient prendre la chaire des temples pour l'escabeau des cabarets, versaient sur les Réformés et sur la Réforme des torrents d'injures. « Les bourgeois des villes, s'écriaient d'un commun accord des soldats ivres et des moines

« fanatiques, sont des hérétiques, des voleurs d'âme, des meurtriers de conscience; et Zwingle, cet homme horrible, qui commet des péchés infâmes, est le Dieu luthérien' [32]»

357

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle On allait plus loin encore. Passant des paroles aux actes, les cinq cantons persécutaient les pauvres gens qui, parmi eux, aimaient la parole de Dieu ; ils les jetaient en prison, leur imposaient des amendes, les traitaient brutalement, et les chassaient impitoyablement du pays. Ceux de Schwitz firent pis encore. Ne craignant pas d'annoncer leurs sinistres desseins, ils parurent à une Landsgemeinde, portant à leurs chapeaux des branches de sapin en signe de guerre, et nul ne s'y opposa.

« L'abbé de Saint-Gall, disaient quelques-uns, est « prince de l'Empire, et tient son investiture de l'Empereur : s'imagine-t-on que Charles-Quint « ne le vengera pas?

»— «Ces hérétiques, disaient « d'autres, n'osent-ils pas former une combourgeoisie chrétienne, comme si la vieille Suisse était un pays païen ! » A tout moment on tenait quelque part des conseils secrets'[33]. On recherchait de nouvelles alliances avec le Valais, avec le Pape, avec l'Empereur ; alliances blâmables, sans doute, mais'[34] que l'on pourrait du moins justifier par ce proverbe : « Qui se ressemble s'as« semble; » ce que Zurich et Venise ne pouvaient dire.

Les Valaisans refusèrent d'eord leur secours ; ils préféraient demeurer neutres; mais tout à coup leur fanatisme s'enflamme!... On a trouvé sur un autel de bruit du moins s'en répand dans toutes leurs vallées) une feuille de papier, où l'on accuse Zurich et Berne de prêcher publiquement que de tous les péchés le plus grand est d'entendre une messe'[35] !... On s'étonne, on s'indigne. Qui a placé sur l'autel cette feuille mystérieuse ?

vient-elle d'un homme, ou de quelque esprit malin?... On l'ignore; mais, quoi qu'il en soit, on la copie, on la répand, on la lit; et l'effet de cette fable inventée par des scélérats, dit Zwingle [36], est que le Valais accorde aussitôt le secours qu'il avait d'abord refusé. Alors les Waldstettes, fiers de leurs forces, serrent les rangs ; leurs regards farouches menacent les cantons hérétiques ; et les vents portent de leurs montagnes à leurs voisins des villes, un cliquetis redoutable de cuirasses et d'épées.

En présence de ces alarmantes manifestations, les villes évangéliques s'émurent.

Elles se réunirent d'abord à Bâle, en février 1531, puis à Zurich, en mars. « Que faire ? dirent les députés de Zurich, après avoir exposé leurs griefs; comment punir ces infâmes calomnies et faire tomber ces « armes menaçantes? » « Je comprends, répondirent ceux de Berne, que vous vouliez recourir à la force; mais pensez à ces secrètes et formidables « alliances qui se traitent avec le Pape, avec l'Empereur, avec le roi de France, avec tant de princes « et de seigneurs, en un mot, avec tout le parti romain, pour hâter notre ruine; pensez à l'innocence de tant d'âmes pieuses, qui, dans les cinq cantons, déplorent ces machinations perfides; pensez qu'il est facile de commencer une guerre, mais que personne n'en connaît la fin [37].. Triste présage, qu'une catastrophe qui devait aller au-delà de toutes les prévisions humaines, n'accomplit que trop tôt! « Envoyons donc une députation aux cinq 358

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle cantons, continuèrent les Bernois; demandons-leur de punir, conformément aux alliances, ces calomnies infâmes; et s'ils s'y refusent, rompons tout commerce avec eux.» — «A quoi servira cette mission ?dirent ceux de Bâle. Ne « connaissons-nous pas la grossièreté de ce peuple ? et n'est-il pas à craindre que les mauvais traitements qu'ils feront subir à nos députés, n'enveniment encore l'affaire?

Convoquons plutôt une diète générale. » Schaffouse et Saint-Gall s'étant joints à cet avis, Berne convoqua une diète à Bade, pour le Io avril. Les députés de tous les cantons y accoururent.

Plusieurs des chefs de l'État, parmi les Waldstettes, n'approuvaient point les violences des soldats en retraite et des moines.. Ils comprenaient que ces insultes, sans cesse renouvelées, nuisaient à leur cause. « Ces injures, dont vous vous «

plaignez, dirent-ils à la Diète, ne nous affligent pas moins que vous; nous saurons les punir, et même nous l'avons déjà fait. Mais il y a des a hommes violents des deux côtés. L'autre jour, « un Bâlois ayant rencontré sur la grande route « un homme qui venait de Berne, et ayant appris « de lui qu'il allait à Lucerne : Aller de Berne à Lu« cerne, s'écria-t-il, c'est passer d'un père à un maitre fripon ! » Les cantons médiateurs invitèrent les deux partis à bannir toute cause de discorde.

Mais la guerre du châtelain de Musso ayant alors éclaté, Zwingle et Zurich, qui y voyaient le premier acte d'une vaste conjuration destinée à étouffer partout la Réforme, convoquèrent leurs amis. « Il ne faut plus balancer, dit Zwingle ; la rupture des alliances de la part des cinq cantons, « et les injures inouïes dont on nous accable, nous imposent l'obligation de marcher contre nos adversaires c, avant que l'Empereur, retenu encore par les Turcs, ne chasse le Landgrave, ne s'empare de Strasbourg, et ne nous subjugue nous- mêmes. » Tout le sang des anciens Suisses semblait bouillonner dans les veines de cet homme; et tandis qu'Uri, Schwitz et Underwald baisaient honteusement la main de l'Autriche, ce Zurichois, le plus grand Helvétien de son siècle, fidèle aux souvenirs de l'ancienne Suisse, mais infidèle peut-être à des traditions plus saintes encore, se jetait sur les traces audacieuses des Stauffacher et des Winkelried.

Le langage guerrier de Zurich épouvanta ses confédérés. Bâle demanda une sommation aux Waldstettes, puis, en cas de refus, la rupture de l'alliance.

Schaffouse et Saint-Gall s'effrayèrent même d'une telle démarche. « Le peuple des montagnes, fier, indomptable, irrité, dirent-ils, acceptera avec joie la dissolution de la Confédération; et alors serons-nous plus avancés ? » On en était là, quand parurent, au grand étonnement de tous, des envoyés d'Uri et de Schwitz. On les reçut avec froideur; le vin d'honneur ne leur fut pas même présenté, et ils durent s'avancer, à ce qu'ils racontent, au milieu des cris injurieux du peuple. Ils tentèrent inutilement (l'excuser leur conduite. « Ce que nous attendons depuis long« temps, leur répondit-on sèchement, c'est que « vous mettiez d'accord vos actions et vos 359

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle paroles. » Les hommes de Schwitz et d'Uri reprirent tristement le chemin de leurs foyers; et l'assemblée se sépara, pleine d'angoisse et de deuil.

Zwingle voyait avec une vive peine les députés des villes évangéliques s'éloigner, sans avoir pris de décision. Il ne voulait plus seulement une réformation de l'Église, il voulait aussi une transformation de la Confédération; et c'était même cette dernière réforme qu'il prêchait alors du haut de la chaire, à ce que nous apprend Bullinger'[38]. Il n'était pas seul à la désirer. Depuis longtemps les citoyens des villes les plus populeuses et les plus puissantes de la Suisse s'étaient plaints de ce que les Waldstettes, dont le contingent d'hommes et d'argent était très-inférieur au leur, avaient une part égale dans les délibérations de leurs diètes et dans les fruits de leurs victoires.

Tel avait été le sujet des divisions qui suivirent les guerres de Bourgogne. Les cinq cantons, au moyen de leurs adhérents, avaient la majorité. Or Zwingle pensait que c'était dans les mains des grandes villes, et surtout des puissants cantons de Zurich et de Berne, que devaient être placées les rênes de la Suisse. Les nouveaux temps demandaient, selon lui, des formes nouvelles. Il ne suffisait pas de renvoyer des charges publiques les pensionnaires des princes, et de mettre à leur place des hommes pieux; il fallait encore refondre le pacte fédéral, et l'établir sur des bases plus équitables. Une constituante nationale eût sans doute répondu à ses désirs.

Ces discours, qui étaient plutôt ceux d'un tribun du peuple que ceux d'un ministre de Jésus-Christ, devaient hâter la catastrophe.

Les paroles animées du Réformateur patriote passaient, de l'église où il les prononçait, dans les conseils, dans les salles des tribus, dans les rues et dans les campagnes. Les flammes qui sortaient des lèvres de cet homme embrasaient le cœur de ses concitoyens. Il y avait comme un tremblement de terre qui partait de Zurich, et dont les secousses se faisaient sentir jusque dans le chalet le plus sauvage. Les anciennes traditions de sagesse et de prudence semblaient oubliées. L'opinion publique se manifestait avec énergie. Le 2g et le 3o avril, des cavaliers, sortant de Zurich, précipitaient leur course; c'étaient des envoyés du Conseil, chargés de rappeler à toutes les villes alliées les attentats des cinq cantons, et de demander une décision prompte et définitive. Arrivés à leurs diverses destinations, ces messagers firent valoir les griefs de Zurich'[39] : « Prenez-y garde, dirent- ils en finissant ; de grands dangers nous menacent tous. L'Empereur « et le roi Ferdinand font de grands préparatifs, et vont entrer en Suisse avec beaucoup d'argent et d'hommes. »

A la parole Zurich joignait l'action. Cet État décidé à tout faire pour établir la libre prédication de l'Évangile dans les bailliages où il partageait avec les cantons catholiques romains l'exercice de la suzeraineté, voulait intervenir par la force partout où les négociations ne pouvaient suffire. Le droit fédéral, il faut le 360

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle reconnaître, était foulé aux pieds à Saint-Gall, en Thurgovie, dans le Rheinthal; et Zurich le remplaçait par des décisions arbitraires qui devaient exciter au plus haut degré l'indignation des Waldstettes. Aussi le nombre des ennemis de la Réforme ne cessait-il de s'accroître; le langage des cinq cantons devenait plus menaçant de jour en jour, et les ressortissants de Zurich, que leurs affaires appelaient dans les montagnes, y étaient accablés d'injures, et quelquefois de mauvais traitements.

Ces grossièretés et ces violences exaltaient à leur tour la colère des cantons réformés. Zwingle parcourait la Thurgovie, Saint-Gall et le Tockenbourg; il y organisait des synodes, il assistait à leurs séances, il prêchait devant des foules émues et enthousiastes. Partout il était entouré de confiance et de respect. A Saint-Gall, le peuple se réunit sous ses fenêtres, et un concert de voix et d'instruments lui exprima, par des chants harmonieux, la reconnaissance publique. « Ne nous «

abandonnons pas nous-mêmes, disait-il sans « cesse, et tout ira bien. » Il fut résolu qu'on se réunirait à Arau le 12 mai, pour aviser à une situation qui devenait de plus en plus critique. Cette réunion allait devenir le commencement des douleurs.

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FOOTNOTES

[1] Civitas christiana.

[2] Ipsis et oobis honestius, oh religionis et caritatiscaussam, Christo gratins, oh çoRjunctas vires utilius, hostibusque terribilius. (Zw. Epp., II, p. 481.)

[3] Tantum reçusaverunt aperte agere. (Ibid. p. 487.) Le chiffre 3 semble indiquer les Bernois,

[4] Si potes, inox advola. Epp., II, p. 547.)

[5] Christi corpus et sanguinem adesse vero in mena fortasse cuipiam durius sonat, sed mitigatur dum adjungitur animo,' non corpori. (lb., p. 546.)

[6] Mec omuia fieri pro Luthero neque pro veritate propu-. grandi causa. (lb., p. 55o.)

[7] Manger, c'est croire. (Ibid. p. 553.)

[8] Memini dudum Tiguri te dicentem, cum convivio me exciperes, Lutherum non adeo perperam de Eucharistia sentire, nisi quod Mélanchton alio eum cogeret. 0.b., p. ss›.y

[9] Quae dissidia, quas turbas, quai mals, quas clades ! (Zw. EPP•, II, P. 429.)

[10] Romanam fidem restituere, urbes liberas capere, Helvetios in ordinem cogere.

(Ibid. mars 1530.)

[11] La liberté des villes. (Ibid.) Ces paroles sont en grec dans l'original.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[12] Cœsar altera manu panem ostentat, altera lapidem celat. (Zw. Epp., II, p. 429.)

[13] Incidet in cotera aliquando novacula. (lb., p. 544.)

[14] Bapst und Keyserthumm habend sich dermassea is ei-nandern gefiickt. (Bull., iI, p. 343.)

[15] So ist es mit Gott. (Zw. Opp.)

[16] ac Spero Deum te ad magnas res.... quas quidem cogiter., sed non dicere licet.

(Zw. Epp., II, p. 666.)

[17] Sed fieri non potest quin tintinnabulum eliquando feli adnectatur. (Ib.)

[18] Jean, VIII, 46.

[19] Lœtus audio de Venetis quœ scribis, quod verbum Dei receperint. Deo gratia et gloria. (7 mars 1528; L. Epp.,p. 289.)

[20] Formidandam rebuspublicis potentiam C.œsaris, que an-nino ad Europe monarchiam vergat. (Zw. Epp., II, P. 445.)

[21] Postea privatim alia respondisse. (Ib.)

[22] Perfidiam adversus Cœsarem, fidem videri volute. (Ca.. pito, Zw. Epp., II, p.

445.)

[23] Opere Creatori nostro acceptissimo, dominationi tua facillimo, media gratis Dei.

(Zw. Epp., II, p. 413.)

[24] Regem admodum desesperare, et inopem:consilif esse, ut nesciat quo se vertat.

(Ibid. p. 414.)

[25] Bis negavi, at tertio misi, non sine conscientia Probuleu-tarum. (Ibid. p. 422.)

[26] lrihil enim que esse in votis christianissimi regis, atque ut Evangelii puritas illibata permaneat. (lb., p. 417.)

[27] 2e Ép. aux Cor., ch. VI, V. 14.

[28] Witt ruwen biss sy der bander ledig, des fridens abkit-mind. (Bull., II, p. 324.)

[29] Darzu helfe uns die helig dryfaltikeit (W., p. 33o.)

[30] Es were kein Zurycher er batte chut' und merchen ge-hygt. (Ibid. p. 336.)

[31] Ans der au Parys ein Eoel gehygt ; und habe in= Leo Jud. denselben gehept.

(Ib.)

[32] Der Lutherischen Gott. (Ibid. p. 337.)

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[33] Radt schlagtend und tagendtend heymlich vil. (Ibid., p. 336.)

[34] Niiwe friindschaften, by den Wallseren, den Bapst, und den Keysserischen.

(Ibid.)

[35] Ut si quis rem obsccenam cum jumento sive bove ha-beat, minus peccare quam si missam inaudiat. (Zw. Epp., II, p. 61o.)

[36] Perfidorum ac sceleratorum hominum commentum.(Ibid. )

[37] Sy gwaltig ze überzieheu. (Ibid. p. 366.)

[38] Trang gar halftig tiff eine gemeine Reformation gemeiner Eydgenoschaft.

(Bullinger, LI, p. 368.)

[39] On les trouve dans Bullinger, II, p. 368 à 376.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE V.

Berne propose de fermer les marchés. -- Opposition de Zurich. Proposition de Berne agréée. — Mise à exécution. — Sermon de guerre de Zwingle. — Blocus des Waldstettes. — Indignation des Waldstettes, — Cri de désespoir. — Les processions.

Médiation de la France. — Diète de Brenigarten. — Espérance.—Les cinq cantons inflexibles.— Transformation de la Réforme et de Zurich. — Mécontentement. —Fausse position de Zwingle. — Il demande sa démission. — Refus. —Zwingle à Brenagarten.—

Adieux à Bullinger,--Fantôme. — Détresse de Zwingle. — Menaces des Waldstettes.—

Affreux présages. — La comète. — Calme de Zwingle. — Diète de Lucerne.

La pensée de Zwingle, quant à l'établissement d'un nouveau droit helvétique, ne prévalut pas dans la Diète d'Arau. Peut-être estima-t-on plus prudent d'attendre le résultat de la crise; peut-être une vue plus chrétienne, plus fédérale, l'espérance de procurer l'unité de la Suisse par l'unité de la foi, occupa-t-elle plus les esprits que la prééminence des villes. En effet, si un certain nombre de 'cantons demeurait avec le Pape, l'unité de la Confédération était détruite, peut-être pour toujours. Mais si toute la Confédération était amenée à la même foi, l'unité helvétique était établie sur des bases plus solides. Il fallait agir maintenant ou jamais, se disait-on, et ne pas craindre d'employer un remède violent pour rendre la santé à tout le corps.

Cependant les alliés reculèrent devant la pensée de rétablir la liberté religieuse, ou l'unité politique, par la voie des armes; et, pour sortir des difficultés où se trouvait la Confédération, ils cherchèrent une voie moyenne entre la guerre et la paix. « Sans doute, dirent les députés de Berne, « la conduite des cantons à l'égard de la parole de Dieu nous autorise pleinement à une intervention armée; mais les périls qui nous menacent du côté de l'Italie et de l'Empire, de danger qu'il y aurait à réveiller le lion de son sommeil, la disette et la misère générale qui affligent notre peuple, les riches moissons qui vont bientôt couvrir nos campagnes, et que la guerre détruirait infailliblement; les hommes pieux « qui se trouvent en grand nombre dans les Waldstettes, et dont le sang innocent coulerait avec celui des coupables, tous ces motifs nous ordonnent de laisser l'épée dans le fourreau.

« Fermons plutôt nos marchés aux cinq cantons; refusons-leur le blé, le sel, le vin, l'acier et le fer; nous prêterons ainsi main-forte aux amis de la paix qui sont dans leur sein, et le sang innocent sera épargné '. » On se sépara aussitôt, pour porter aux divers cantons évangéliques cette proposition de juste-milieu; et, le 15 mai, on était de nouveau réuni à Zurich.

Zurich, convaincu que le moyen en apparence le plus violent était pourtant à la fois le plus sûr et le plus humain, s'opposa de toutes ses forces au plan de Berne. « En acceptant cette proposition, dit-il, nous sacrifions les avantages que nous avons à cette heure, et nous donnons aux cinq cantons le temps de s'armer, et de fondre les 364

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle premiers sur nous. Prenons garde qu'alors l'Empereur ne se joigne à eux et ne nous attaque d'un côté, tandis que nos anciens confédérés nous attaqueront de l'autre : une guerre juste n'est pas opposée à la parole de Dieu; mais ce qui l'est, c'est d'ôter le pain de la bouche « des innocents, aussi bien que de celle des coupables; de contraindre, par la famine, des malades, des vieillards, des femmes enceintes, des enfants, des hommes qu'afflige profondément l'injustice des Waldstettes [1]!

Craignons, d’exciter ainsi la colère du pauvre peuple, et de changer en ennemis bien des gens qui, à cette heure, sont nos amis et nos frères. »

Ces paroles, qui étaient celles de Zwingle, avaient, il faut le reconnaître, un côté spécieux. Mais les autres cantons, et Berne en particulier, furent inébranlables. « Si nous avons une fois répandu le sang de nos frères, dirent-ils, nous ne pourrons plus rendre la vie à ceux qui l'auront perdue; tandis que, du moment où les Waldstettes nous auront donné satisfaction, nous pouvons faire cesser toutes ces rigueurs. «

Nous sommes décidés à ne point commencer la guerre. » Il n'y avait pas moyen d'aller contre une telle déclaration. Les Zurichois consentirent, mais le cœur plein de trouble et d'angoisse à refuser des vivres aux Waldstettes : on eût dit qu'ils présageaient tout ce que cette mesure déplorable allait leur coûter [2].

Il fut convenu que la mesure sévère qu'on allait prendre ne pourrait être suspendue sans le consentement de tous, et que, comme elle susciterait sans doute une grande colère, chacun se tiendrait prêt à repousser les attaques de l'ennemi. Zurich et Berne furent chargés de notifier aux cinq cantons la détermination prise; et Zurich, s'exécutant avec promptitude, envoya aussitôt, dans tous ses bailliages, l'ordre de suspendre tout commerce avec les Waldstettes, en ordonnant néanmoins qu'on eût à s'abstenir de tout mauvais traitement et de toute parole hostile. Ainsi la Réformation, imprudemment mêlée aux combinaisons politiques, marchait de faute en faute; elle prétendait prêcher l'Évangile aux pauvres, et elle allait leur refuser du pain !...

Le dimanche suivant, jour de la Pentecôte, la résolution fut publiée du haut des chaires. Zwingle se dirigeait vers la sienne, où un peuple immense l'attendait. Le regard perçant de ce grand homme découvrait facilement ce que cette mesure avait de dangereux sous le rapport politique, en même temps que son cœur chrétien lui faisait profondément sentir ce qu'elle avait de cruel. Son âme était oppressée, ses yeux étaient abattus. Si dans ce moment le vrai caractère du ministre de Christ s'était réveillé au dedans de lui ; si Zwingle avait appelé tout le peuple, de sa voix puissante, à l'humiliation devant Dieu, au pardon des offenses, à la prière, sans doute le salut eût encore pu se lever sur la Suisse désolée. Il n'en fut point ainsi. De plus en plus le chrétien s'efface dans le réformateur, et le citoyen demeure seul; mais comme citoyen il plane au-dessus de tous, et sa politique est, sans aucun doute, la plus habile.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Il comprend que tout délai peut perdre Zurich; et, après avoir prié, lu la parole et fermé le livre du Prince de la paix, il n'hésite pas à attaquer l'ordonnance dont il vient de donner connaissance aux Zurichois, et de jour même de la Pentecôte) à prêcher la guerre. « Celui, dit-il en son langage énergique, qui ne craint pas de traiter de criminel son adversaire, doit être prêt à lâcher le poing avec la parole '.

S'il ne frappe pas, il sera frappé. Messieurs de Zurich! Vous refusez des vivres aux cinq cantons, comme à des malfaiteurs : eh bien! que le coup suive la menace, plutôt que de réduire à la famine de pauvres innocents. Si, en ne prenant pas l'offensive vous paraissez croire qu'il n'y a pas de raison suffisante pour punir les Waldstettes, et que vous leur refusiez cependant à manger et à boire, vous les contraindrez par cette conduite étrange « à prendre les armes, à franchir vos frontières, et -à vous punir vous-mêmes. C'est là le sort qui vous attend.»

Ces paroles, prononcées avec l'éloquence du Réformateur, remuèrent l'assemblée.

Les préoccupations politiques de Zwingle remplissaient et égaraient déjà tellement tout le peuple, qu'il y eut alors bien peu d'âmes assez chrétiennes pour sentir combien il était étrange que, le jour même où l'on célébrait l'effusion de l'Esprit de paix et d'amour sur l'Église naissante, la bouche d'un ministre de Christ provoquât ses concitoyens à la guerre. On n'envisageait ce sermon que sous le point de vue politique. «Ce sont des discours séditieux! C’est une excitation à la guerre civile! »

Disaient les uns. « Non, répondaient les autres, ce sont les paroles que le salut de l'État réclame ! » Et tout Zurich s'agitait. « Zurich a trop de feu, » disait Berne. «

Berne a trop de finesse, » répliquait Zurich [3]'. Quoi qu'il en soit, la sinistre prophétie de Zwingle ne devait que trop tôt s'accomplir.

Dès que les cantons réformés eurent communiqué aux Waldstettes cet impitoyable arrêt, ils en pressèrent l'exécution, et Zurich y mit le plus de rigueur. Non-seulement les marchés de Zurich et de Berne, mais encore ceux des bailliages libres, ceux de Saint-Gall, du Tockenbourg, du pays de Sargans et de la vallée du Rhin, pays soumis en partie à la souveraineté des Waldstettes, furent fermés aux cinq cantons. Une puissance redoutable avait tout à coup entouré de stérilité, de famine et de mort, les nobles fondateurs de la liberté helvétique. Uri, Schwitz, Underwald, Zug, Lucerne, étaient comme au milieu d'un vaste désert. Leurs propres sujets, pensent-ils, les communes dont ils ont reçu les serments, se rangeront au moins de leur côté. Mais non, Bremgarten et Mellingen même leur refusent tout secours!

Leur dernier espoir est dans Wesen et le Gastal. Berne ni Zurich n'ont rien à y faire ; Schwitz et Glaris seuls y dominent; mais la puissance de leurs ennemis a partout pénétré. Une majorité de treize voix s'est prononcée en faveur de Zurich dans la Landsgerneinde de Glaris, et Glaris fait fermer à Schwitz les portes de Wesen et du Gastal.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle En vain Berne lui-même s'écrie-t-il : « Comment « pouvez-vous contraindre des sujets à refuser des « vivres à leurs seigneurs! » en vain Schwitz indigné élève-t-il la voix. Zurich se hâte d'envoyer à Wesen de la poudre et du plomb. Aussi est-ce sur Zurich que retombera bientôt tout l'odieux d'une mesure que cette ville avait d'abord si vivement combattue. A Arau, à Bremgarten, à Mellingen, dans les bailliages libres, se trouvaient plusieurs voitures chargées de provisions pour les Waldstettes. On les arrête, on les décharge, on les renverse; on en barricade les routes qui conduisent à Lucerne, à Schwitz et à Zug. Déjà une année de disette avait rendu les vivres rares dans les cinq cantons; déjà la sueur anglaise, cette affreuse épidémie, y avait promené l'abattement et la mort: mais maintenant la main des hommes se joint à la main de Dieu ; le mal grandit, et les tristes habitants de ces montagnes voient s'avancer à pas précipités des calamités inouïes. Plus de pain pour leurs enfants, plus de vin pour ranimer leurs forces, plus de sel pour leurs troupeaux. Tout ce dont l'homme doit vivre leur manque. On ne pouvait voir de telles choses, et porter un cœur d'homme, sans en ressentir la plus vive douleur.

Dans les villes confédérées et hors de la Suisse, des voix nombreuses s'élevaient contre cette implacable mesure. « Quel bien peut-il en résulter? » disait-on. « Saint-Paul n'écrit-il pas aux Romains :

« Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s'il a soif, donne-lui à boire; car en faisant cela tu lui amasseras des charbons de feu sur la tête'[4].» Et quand les magistrats, voyant certaines communes récalcitrantes, s'efforçaient de les convaincre de l'utilité de la mesure : « Nous ne voulons point de guerre de religion, s'écriaient-elles; si les Waldstettes ne veulent pas croire en Dieu, qu'ils s'en tiennent au diable. »

Mais c'est dans les cinq cantons surtout que des plaintes énergiques s'exhalent. Les gens les plus pacifiques, et même les partisans secrets de la Réforme, voyant la famine atteindre leurs demeures, ressentent une indignation d'abord contenue. Les ennemis de Zurich profitent habilement de cette disposition; ils entretiennent le murmure, ils l'augmentent, et bientôt la colère éclate, et un cri d'angoisse retentit dans toutes ces montagnes. En vain Berne représente-t-il aux Waldstettes qu'il est plus cruel de refuser aux hommes la nourriture de l'âme, que de retrancher celle du corps : « Dieu, répondent dans leur désespoir ces fiers montagnards, Dieu fait croître librement les fruits de la terre a[5]! » Ils ne se contentent pas de gémir dans leurs chalets, et de s'indigner dans leurs conseils; ils remplissent toute la Suisse de leurs plaintes et de leurs menaces [6]. «

On veut, écrivent-ils, employer la famine pour nous arracher notre antique foi ; on veut priver de pain nos femmes et nos enfants, pour nous en« lever les libertés que nous tenons de nos pères.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Quand de telles choses se sont-elles passées au sein de la Confédération ? N'a-t-on pas vu dans « la dernière guerre les confédérés, les armes à la main, prêts à tirer l'épée, manger partout ensemble dans le même plat?... On déchire nos vieilles amitiés, on foule aux pieds nos antiques mœurs, on viole les traités, on bride les alliances... Nous réclamons les chartes de nos ancêtres. Au secours! au secours!...

Sages de notre peuple, donnez-nous vos conseils! et vous tous qui savez manier la fronde et l'épée, venez maintenir avec nous les biens sacrés pour les« quels nos pères, délivrés du joug de l'étranger, unirent leurs bras et leurs cœurs.»

En même temps les cinq cantons envoient en Alsace, en Brisgau, en Souabe, pour obtenir du sel, du vin et du pain: mais l'administration des villes se montre impitoyable; les ordres partout donnés sont partout strictement exécutés. Zurich et les autres cantons alliés interceptent toute communication, et renvoient en Allemagne les vivres qu'on apporte à leurs frères. Ces cinq cantons ne sont qu'une vaste forteresse, dont toutes les issues sont exactement gardées par des sentinelles attentives. Se voyant seuls avec la famine, entre leurs lacs et leurs montagnes, les Waldstettes désolés ont recours aux pratiques de leur culte. Ils interdisent les jeux, les danses et tout autre divertissement [6]; ils ordonnent des prières générales, et de longues processions couvrent les chemins d'Einsiedlen et d'autres lieux de pèlerinage. On revêt les ceintures, les bourdons, les armes de la confrérie à laquelle on appartient; chacun porte en main son chapelet et murmure ses patenôtres. Les vallées et les montagnes retentissent de ces chants plaintifs. Mais les Waldstettes font plus encore : ils saisissent leurs épées, ils aiguisent la pointe de leurs hallebardes, ils brandissent leurs glaives du côté de Zurich et de Berne, et s'écrient avec fureur : « On nous ferme les routes, mais nos « bras sauront les rouvrir [7]. »

Personne ne répond autour d'eux à ce cri du désespoir; mais il y a dans le ciel un juste juge auquel la vengeance appartient, et qui va bientôt y répondre d'une manière terrible en punissant ces hommes égarés qui oublient la miséricorde, qui font un impie mélange des choses de l'Église et des choses de l'État, et qui prétendent assurer le triomphe de l'Évangile par la famine et par les gendarmes.

Il y eut cependant des tentatives de conciliation ; mais ces efforts mêmes étaient pour la Suisse et pour la Réforme une grande humiliation. Ce ne furent pas les ministres de l'Évangile, ce fut la France (plus d'une fois pour la Suisse une occasion de désordre) qui se présenta pour y mettre la paix. Toute démarche propre à accroître son influence sur les cantons était utile à sa politique. Dès le 14 mai, Maigret et Daugertin (ce dernier avait reçu la vérité évangélique, et n'osait en conséquence retourner en France [8]), après quelques allusions à la passion forte peu évangélique que Zurich mettait dans cette affaire, dirent au Conseil : « Le roi notre maître noms a envoyé deux gentilshommes pour aviser aux moyens de cc maintenir la concorde parmi vous. Si le tumulte et la guerre envahissent la Suisse, toute la confédération des Helvétiens sera sur le point de se dissoudre [9], et, quel 368

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle que soit le parti vainqueur, il sera en réalité battu comme l'autre. » Zurich ayant répondu que si les cinq cantons permettaient la prédication de la parole de Dieu, la réconciliation serait facile, les Français sondèrent secrètement les Waldstettes ; mais ceux-ci répliquèrent : « Jamais nous ne permettrons la prédication de la parole de Dieu, comme les gens de Zurich l'entendent [10]. »

Les efforts plus ou moins intéressés de l'étranger ayant échoué, une diète générale était la seule planche de salut qui restât à la Suisse. On en convoqua une à Bremgarten. Elle s'ouvrit en présence des députés du roi de France, du duc de Milan, de la comtesse de Neuchâtel, des Grisons, du Valais, de la Thurgovie et du pays de Sargans, et se réunit à cinq reprises, le 14 et le 20 juin, le q juillet, le Io et le 23 août. Bullinger de chroniqueur), pasteur de Bremgarten, prononça, lors de l'ouverture, un discours dans lequel il exhorta vivement les confédérés à l'union et à la paix.

Une lueur (l'espérance vint un instant éclairer la Suisse. Le blocus était devenu moins sévère ; l'amitié et le bon voisinage l'avaient emporté, en bien des lieux, sur les décrets des chancelleries d'État. Des chemins nouveaux avaient été frayés à travers les plus sauvages montagnes, pour apporter (les vivres aux Waldstettes. On en avait caché dans des ballots de marchandises; et tandis que Lucerne jetait en prison et mettait à la torture ses propres citoyens surpris avec des pamphlets zurichois [11], Berne ne punissait que faiblement ses paysans saisis avec des provisions destinées à Underwald et à Lucerne, et Glaris fermait les yeux sur les fréquentes violations de son, ordonnance. La voix de la charité, un instant étouffée, plaidait de nouveau avec force, auprès des cantons réformés, la cause de leurs confédérés des montagnes.

Mais les cinq cantons se montrèrent inflexibles. « Nous ne prêterons l'oreille à aucune proposition avant la levée du blocus, » dirent-ils. —

« Nous ne le lèverons pas, répondirent Berne et Zurich, avant que la prédication de l'Évangile soit permise, non-seulement dans les bailliages communs, mais dans les cinq cantons eux-mêmes.» C'était trop sans doute, selon le droit naturel et les principes de la Confédération. Les Conseils de Zurich pouvaient regarder comme leur devoir de recourir à la guerre, pour maintenir la liberté de conscience dans les bailliages communs; mais il y avait usurpation à contraindre les cinq cantons pour ce qui concernait leur propre territoire. Cependant les médiateurs parvinrent, non sans beaucoup de peine, à rédiger un projet de conciliation qui sembla réunir les vœux des deux partis, et l'on porta en toute hâte ce projet aux divers États.

La Diète se réunit de nouveau quelques jours après; les cinq cantons persistèrent dans leur demande, sans céder sur aucun point. En vain Zurich et Berne leur représentèrent-ils qu'en persécutant les Réformés, les cantons violaient le traité de paix; en vain les médiateurs s'épuisèrent-ils en avertissements et en prières : les 369

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle partis semblaient quelquefois se rapprocher, et puis tout à coup ils étaient plus éloignés et plus irrités que jamais. Les Waldstettes rompirent enfin la troisième conférence, en déclarant, que, loin de s'opposer à la vérité évangélique, ils la maintiendraient, telle que l'avaient enseignée le Rédempteur, ses saints apôtres, les docteurs, et l'Église leur sainte mère; ce qui parut aux députés de Zurich et de Berne une amère ironie. Néanmoins, ceux de Berne se tournant vers les Zurichois, leur dirent en s'en séparant : « Gardez-vous de trop de violence, dût-on même vous attaquer! »

Ces exhortations n'étaient pas nécessaires. La force de Zurich était passée. La première apparition de la Réforme et des Réformateurs avait été saluée par des cris de joie. Les peuples qui gémissaient sous une double servitude, avaient cru voir poindre le jour de la liberté. Mais les esprits, abandonnés pendant des siècles à l'ignorance et à la superstition, n'ayant pu voir se réaliser aussitôt les espérances qu'ils avaient rêvées, le mécontentement se répandit bientôt dans les masses. La transformation par laquelle Zwingle, cessant d'être l'homme de l'Évangile, devint l'homme de l'État, enleva au peuple l'enthousiasme qui lui eût été nécessaire pour résister aux assauts terribles qu'il allait avoir à soutenir. Les ennemis de la Réforme eurent beau jeu contre elle, dès que ses amis eurent abandonné la position qui faisait leur puissance. Des chrétiens, d'ailleurs, ne pouvaient avoir recours à la famine et à la guerre pour assurer le triomphe de l'Évangile, sans que leur conscience en fût troublée. Les Zurichois ne marchaient plus selon l'Esprit, mais selon la chair; et tes fruits de la chair sont les inimitiés, les querelles, les jalousies, les colères, les disputes, les divisions [12]. Le danger croissait au dehors; et loin que l'espérance, la Concorde, le courage augmentassent au dedans, on voyait au contraire s'évanouir peu à peu cette harmonie et cette foi vivante qui avaient été la force de la Réforme. La Réforme avait saisi le glaive, et le glaive lui perçait le cœur.

Les occasions de discorde se multipliaient dans Zurich. On diminua, d'après l'avis de Zwingle, le nombre des nobles dans les deux Conseils, à cause de leur opposition à l'Évangile; et cette mesure répandit le mécontentement parmi les familles les plus honorables du canton. On soumit les meuniers et les boulangers à certains règlements que la disette rendait nécessaires, et une grande partie de la bourgeoisie attribua ces mesures aux sermons du Réformateur, et s'en irrita. On nomma le bailli de Kibourg, Rodolphe Lavater, capitaine général, et les capitaines plus âgés que lui en furent blessés. Plusieurs de ceux qui s'étaient autrefois le plus distingués par leur zèle pour la Réforme, s'opposaient ouvertement à la cause qu'ils avaient soutenue.

L'ardeur avec laquelle des ministres de paix demandaient la guerre faisait naître partout de sourds murmures, et plusieurs même laissaient éclater toute leur indignation. Cette confusion contre nature, de réglisse et de l'État, qui avait corrompu le christianisme après Constantin, allait perdre la Réformation. La 370