PROTESTATION DE SPIRE ET CONCORDE DE MARBOURG
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle AVANT-PROPOS
Les deux premiers livres de ce volume racontent les époques les plus importantes de la Réformation de l'Allemagne : la protestation de Spire, suivie du colloque de Marbourg, et la Confession d'Augsbourg. Les deux derniers traitent de l'établissement de la Réforme dans la plupart des cantons de la Suisse, et des événements qui se rattachent à la catastrophe de Cappel.
Avant de me tourner plus spécialement vers l'Angleterre, l'Écosse, la France, et d'autres pays encore, je tenais à amener la Réformation de l'Allemagne et de la Suisse allemande jusqu'aux époques décisives de 1530 et 1531. La Réformation proprement dite est alors presque accomplie dans ces deux contrées. L'œuvre de la foi y a atteint son apogée; l'œuvre des conférences, des intérims, de la diplomatie, commence—le n'abandonne pas complétement l'Allemagne et la Suisse allemande, mais je m'en occuperai moins ; le mouvement du seizième siècle y a fait son effort. Je l'ai dit dès le commencement, c'est l'histoire de la Réformation, et non celle du Protestantisme, que je raconte.
J'avais espéré, comme je l'ai dit dans la préface du troisième volume, commencer dans celui-ci l'histoire de la Réformation eu Angleterre. Mais, indépendamment des raisons que je viens d'indiquer, la faveur inattendue avec laquelle ou a bien voulu accueillir cet ouvrage dans la Grande-Bretagne et aux États-Unis d'Amérique, où la traduction anglaise a été imprimée à près de deux cent mille exemplaires, me faisait une loi de prendre du temps pour examiner avec soin les principes et les faits de la Réformation anglicane, celle de toutes les parties de l'œuvre du seizième siècle qui présente, sans contredit, le plus de difficultés.
Un séjour de six semaines que j'ai fait, pendant l'été de 1846, aux bains d'Albisbrunn (Zurich), à vingt minutes de Cappel, et les bienveillantes directions de M. Esslinger, pasteur du lieu, m'ont permis d'étudier avec exactitude ce champ de bataille, si célèbre par la mort de Zwingle, et par les conséquences qu'eurent pour la Réformation les événements qui s’y rattachent. Le plan de Cappel n'avait point encore été fait. Deux de mes amis, MM. F. de Morsier et Émile Gautier, officier fédéral du génie, ont eu la bonté, l'un de le prendre, l'autre de le dessiner pour moi : on le trouvera en tête de ce volume.
L'endroit où est marqué le poirier de Zwingle, est le lieu où expira le Réformateur. Un monument en pierre y remplace aujourd'hui l'arbre qui abrita le chrétien mourant.
Genève, avril 1847.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle 15
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle TABLE DES MATIERES
LIVRE XIII. PROTESTATION DE SPIRE ; CONCORDE DE MARBOURG.
LIVRE XIV. LA CONFESSION D'AUGSBOURG. (1530) ................................... 114
LIVRE XV. SUISSE. --- CONQUÊTES. (1526 - 1530.) ......................................... 249
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle
LIVRE XVI. SUISSE - CATASTROPHE. (1528 - 1531.) ...................................... 323
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME.
LIVRE XIII. PROTESTATION DE SPIRE ET CONCORDE DE MARBOURG (1526 à 1529.)
CHAPITRE I.
Double mouvement de la Réformation. — Il y a un temps réformateur. — Diète de Spire, 1526. — Les prêchés évangéliques. — Palladium. Réforme des mœurs. — Fermeté des Réformateurs. — Commission pour abolir les abus. — Tiers-parti entre la Papauté et la Réforme. Colporteurs. — La Papauté et ses membres. — La destruction de Jérusalem. —Réveil de Rome. — L'ordonnance de Séville publiée. — Désunions de l'Empereur et du Pape. — Ligue et bref de Clément VII. — On propose la liberté religieuse. — Époque importante. — Ferdinand appelé en Hongrie.
CHAPITRE II.
Freund berg assemble une armée. — Manifeste de l'Empereur. — Marche sur Rome. —
Révolte des troupes. — Mort de Freund berg. — Le Pape et les Romains. — L'assaut. —
Le sac de Rome. — Jeux des Allemands. — Luther pape. —Les Espagnols. — Clément capitule
CHAPITRE III.
Constitution de l'Église. — Ordre démocratique. Réformation de la liesse. — Un soupirail. — Le Landgrave et Lambert. — Les paradoxes. -- Frère Boniface. Dispute de Hamberg. — Triomphe de — Première constitution évangélique. — Le chef. ---
Évêques. — Élections. —Discipline. — Subvention. — Administration. — Synode général. — inspecteurs. — Intérieur et extérieur dans l'Église. — Premiers principes de Luther. — Il admet l'influence des princes. — Deux extrêmes. — Contradictions. —
Dieu dans l'État. — Indépendance de l'Église.— Deux besoins : des ministres et des fidèles.— Luther s'adresse à l'Électeur.—Droit de contrainte des princes. — Visite des Églises décrétée. —Principes conservateurs de Mélanchton. — Ce qu'il conserve —
Étonnement des Évangéliques et des Papistes. — Visite générale. — Ses résultats. —
Progrès de la Réformation. — Villes impériales. — Franconie. —Frise.—
Brandebourg. — Élisabeth de Brandebourg. — Sa fuite. — Elle arrive en Saxe.
CHAPITRE IV.
Édit d'Ofen. —Libéralisme de Luther. — Winckler tué. — Martyre de Fletsted. —
Charpentier. —Kayser. — Effroi du peuple.— Othon de Pack. — Fraude de Pack. — Le Landgrave à Dresde. — Le document. — Alliance avec l'Électeur. Ligue évangélique. —
Conseil pacifique des Réformateurs. — Parti mitoyen pris par l'Électeur.— Surprise des princes papistes. — L'opinion publique. — Dangers et force de la Réforme.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE V.
Alliance du Pape et de l'Empereur. -4- Présages. — Diète de Spire, 1529. — Hostilité des princes papistes. — Plan du parti romain. — La Commission. — Fanatisme. — La majorité choisit le statu quo. — Les Évangéliques se consultent.—Ils se décident contre. — Quatorze villes s'opposent. — Déclaration de Ferdinand CHAPITRE VI.
La protestation. Essence du protestantisme. — Liberté et agression. — Union chrétienne. — Présentation de la protestation. — Médiation.— Rupture des négociations. — Chambre de la rue Saint-Jean. — Appel des protestants. —Union chrétienne. — Fuite de Grynéus. — Les protestants veinent Spire. Mite des princes.
CHAPITRE VII.
L'Allemagne.— Les alliances protestantes échouent—Difficultés d'une union.'--Un avertissement luthérien.—Convocation à Marbourg.— Obstacles. — Décision de Zwingle. — Son départ. — La femme de Mathias Zell. — Les Réformateurs au château de Marbourg. — Demande de Carlstadt. — Mélanchton et Zwingle. — Trinité. — Saint-Esprit. — Péché originel. — Œcolampade et Luther, — La salle des Chevaliers. — Les docteurs réformés. — La requête de l'Église. Ceci est mon corps. — Syllogisme d'Œcolampade. — Zwingle entre dans la discussion. — La chair ne sert de rien. — La vieille chanson de Luther.—Lutte et agitation.— Conférence de l'après-midi. — Arrivée de nouveaux députés. Mathématiques. — Papisme. — Témoignage des Pères.—
Fulgence. Saint Augustin. — Œcolampade. — Le tapis. — Fin de la conférence. —
Jugements divers. — Efforts du Landgrave.— Nécessité de l'union. — Esprit sectaire des Luthériens. —Esprit pacifique des Suisses. — Dilemme de Bucer. —Luther se rapproche. — Luther rédige le projet d'union. — Unité de doctrine. — La Cène. —
Signature des articles. — Germe du papisme. — Séparation de la Papauté — Départ. —
Abattement de Luther. — Invasion de Soliman. — Sermon de bataille. -- Pierre et Luther. — Résultats de la conférence. —Agitation en Allemagne—
LIVRE XIV. LA CONFESSION D'AUGSBOURG (1530).
CHAPITRE I.
Deux grandes leçons. — Charles-Quint en Italie. — Let trois députés allemands. —
Hardiesse des députés. — Présent du Landgrave à Charles. — Les députés aux arrêts.
Ils sont délivrés. — Rencontre de Charles et de Clément. Proposition d'un Concile libre. —La guerre est imminente. — Objections de Luther.—Le sauveur Vient- Le Prophète, Daniel: — Invitation Conciliante de Charles.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE II.
Le couronnement. — L'Empereur sert la messe. — L'Église et l'État dans la Papauté. —
Malaise du Pape. — Alarmes et courage des Protestants. — Avis de Luther et de Brück. — Départ de l'Électeur et des théologiens. —
CHAPITRE III.
Luther à Cobourg. — Charles à Innsbrück. — Deux partis à la cour. — Opinion de Gattinara.— Trois princes ultramontains.—Caractère de l'Électeur. — Manœuvres des ultramontains. —Premier échec
CHAPITRE IV.
Augsbourg. — Prédications évangéliques. — L'Empereur interdit la prédication. — Avis des théologiens. — Réponse de l'Électeur. — Mélanchton prépare la confession. — Le Sinaï de Luther. — Son fils et son père. — Fantômes. —Plaisanteries de Luther. — Une Diète à Cobourg. Un paradis terrestre. — Les lansquenets de Luther. — Les jours de l'enfantement. — Mort de Gattinara. — Eck, Cochlée et Mélanchton. — Incapacité de l'État quant à la foi. — Discordes et périls. — Esprit catholique du Landgrave.
CHAPITRE IV
Agitation dans Augsbourg. — Violences des Impériaux. —Passage à Munich.— Arrivée à Augsbourg. — La bénédiction du nonce. — Le cortège. Les princes et leurs maisons. —
Charles-Quint.— Son entrée dans la cathédrale.— Te Deum. — Le légat repousse Salzbourg. Conférence dans la chambre de Charles. — Brandebourg offre sa tête. —
Invitation à la Fête-Dieu. — Refus des princes-- Agitation de Charles. -- Les princes s'opposent aux traditions. — Procession de la Fête-Dieu. — Exaspération de Charles...
CHAPITRE V.
Sermon sur Josué. — Les sermons défendus. — Compromis proposé et accepté. —
Proclamation. — Discours des bourgeois. — Les nouveaux prédicateurs. — La messe de la cathédrale. — Funestes pressentiments. — Cas de conscience. — Veni Spiritus. —
Discours du nonce. — L'offertoire. —Ouverture de la Diète. —Proposition impériale. —
Prière de l'Électeur. — Plan du Légat. — Valdès. — Conférence secrète avec Mélanchton. — Fermeté des princes.
CHAPITRE VI.
Délai refusé aux Protestants. Signature de la confession. — Courage des princes. —
Faiblesse de Mélanchton. — Conscience! .— 24 juin. — Audience du Légat. — On refuse d'entendre les Protestants. — Lutte. Accablement de Mélanchton. — Un miracle à Rome. — Désolations et triomphe. — Prière de Luther. — Luther sans nouvelles d'Augsbourg. — Passages et inscriptions. — Luther rassure Mélanchton.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VII.
Le 25 juin 1530. — Les confesseurs d'Augsbourg. — Souvenirs et contrastes. — La confession. —.Prologue. — Justification par la foi. — L'Église. — Sainte-Cène. Libre arbitre. — Les œuvres mortes et la foi vivante. — Les princes devenus prédicateurs. —
Seconde partie. — Les erreurs. — Pratiques et œuvres romaines. — Les deux pouvoirs. — Il faut les distinguer. — Clarté. — Argumentation. — Les jours créateurs. — Indépendance des deux sociétés. — Pas de Glaive.— Ménagements pour l'Église catholique. —Lacunes. — Le baptême de l'Église évangélique CHAPITRE VIII.
Effet à Augsbourg. — Témoignages divers. — Pays étrangers. — Liberté religieuse. —
Le dénouement. — Idée dominante de Luther. — Aveux ingénus. — Nouvelles recrues.—L'Empereur. — Espoir trompeur. Les villes. — Leur refus. — Conseil impérial. — Que doit-on répondre? — 'Débats animés. — L'encre rouge des Romains. —
Changement dans la majorité.—La réfutation et ses auteurs.—Différence entre Rouie et la Réforme. — Rome triomphe par l'État. — Désespoir de Mélanchton. — Voix pour la Réforme. — Une princesse chrétienne à Augsbourg. — Conférences évangéliques à la cour.—Des sermons protestants. —La pieuse chasseresse. — Chute de Mélanchton. —
Luther s'oppose à des concessions. — Le Légat se joue de Mélanchton. — Piège tendu par les ultramontains. — Doctrines d'école selon Mélanchton. — Réponse des Protestants
CHAPITRE IX.
Réfutation. — Charles la rejette. — Entrevue avec les princes protestants. — Les Suisses. — La tétrapolitaine. — Confession de Zwingle — Divisions. — Exclusion de l'Électeur. Le choix de l'Électeur. Sa réponse. Nouvelle réfutation. — Vue concession. —
L'Écriture et la hiérarchie. Ordre de Charles. — Mélanchton et le nonce. — Résolution de l'Empereur. La réfutation offerte et refusée. — Nouvelle période. — la Violence.. —
Le consistoire. — Recours à Dieu, — Deux miracles. —Jean le Persévérant et les princes. — Essais de séduction. — Pantomime. — Les spectres. La nuit du 6 août.
CHAPITRE X.
Philippe de Hesse. — Tentation. — Se conférence 'avec Charles.— Philippe pense au départ. — Dissimulation du Landgrave. — Chartes. — Convocation,— Menaces de Joachim – Mécontentement de Philippe. — la Fuite d'Augsbourg. — Découverte. —
Opinion de Luther. — Métamorphose. —La Diète convoquée.— Douceur inaccoutumée.
CHAPITRE XI.
Troisième Période.—Commission Mixte. — Les Trois Points. — Dissimulation Romaine. — Philippe rappelé. —Abus et Concessions. — On accorde les évêques — Le Pape. — Danger des concessions. — Opposition des laïques. — Opposition de Luther.—
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle La parole au dessus de l'Église.—Aveuglement de Mélanchton. —Le Protestantisme se perd. .—Pas de Concessions —Nouvelle Commission.—Décision de Landgrave.—Les deux Fantômes. — Les trois doctrines — La grande antithèse.—Rupture des conférences. — Demandes de Congés. — Promesse d'un Sommation, de Charles. —
Refus des Protestants. — Menaces de Charles.—Altercations et Tumulte. — Rome cède et les Protestants, résistent.—Appel de Luther
CHAPITRE XII.
Préparatifs de l'Électeur. — Son indignation. — Le recez d’Augsbourg.—Embuches.—
Apologie de la confession. —Intimidation.—Dernière entrevue.—Paroles de paix. —
Exaspération des Papistes.—Restauration du papisme. — Tumulte à Augsbourg. —
Union des Églises évangéliques. —Le Pape et l'Empereur.— Clôture de la Diète. —
Armements divers. — Attaque de Genève. — Chant de victoire de Luther LIVRE XV. SUISSE-CONQUÊTES. (1526-1530.)
CHAPITRE I.
Trois périodes. — Deux mouvements.— Une vallée des Alpes. — Un maître d'école.—
Nouvelle consécration de Farel. — Allemagne, Suisse et France. — Je suis Guillaume Farel. — Opposition.— Ordonnance de révolte. — Lausamie — Farel à Mites Galéot. —
Farel et le moine quêteur. — Dispute dans la rue. — Le moine demande grâce. —
Émeute. Opposition aux Ormonds. — Le moine parisien. —Union chrétienne CHAPITRE II.
Un État militaire. — Irrésolution de Berne. -r Berne se joint à Zurich. — Le signal de Zwingle. — Les Anabaptistes, à Berne. — Le peuple se prononce pour la liberté. —
Lutte. — Dispute proposée. — Protestation des Waldstettes. — Protestation des évêques. — L'Église juge des controverses. —Zwingle veut accourir. — Caravane évangélique. — L'Église des Cordeliers. — Ouverture de la conférence. — L'Imité. —
Prêtre converti à l'autel.— Fête de saint Dirai« Magnificat. — Les bouchers.— Fin. —
Les autels dénie*. —Douleur des Papistes.— Sermon d'adieu de Zwingle. katnistie. —
Triomphe de Zwingle. —Édit de réforme— Les faux alliés de la Réforme.
CHAPITRE III.
La Réforme acceptée par le peuple. — Foi, pureté, charité. —Première communion évangélique. — Renouvellement de la magistrature. — Tête et caverne de saint Béat. —
Mécontentement dans les Montagnes.—Révolte dans l'Oberland. — Dangers et confusion. — Complainte de Manuel. — Underwald passe le Briinig. — Énergie de Berne. — Victoire.— La Réformation et les souvenirs 22
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IV.
Réformation de Saint-Gall. — Réformation à Glaris. — Wesen. —Appenzell. — Les Grisons.— Schaffouse. — Thurgovie. — Rheinthal. — Obstacles à Bâle. — Zèle des bourgeois. — Mariage d'Œcolampade. — Premier mouvement. —Pétition des Réformés CHAPITRE V.
On prend les armes. — Demi-mesure rejetée. — Nouvelle proposition. — Une nuit de terreur. — Les idoles brisées dans la cathédrale. — L'heure du vertige. — Le petit Bâle.
Légalisation de la Réforme. — Érasme quitte Bâle. — Transformation. — Révolution et Réformation.
CHAPITRE VI.
Mission de Farel. —Farel à Lausanne. — Morat. — Neuchâtel. —Farel prêche à Serrière. — Il entre à Neuchâtel. —Les moines. — Prédication de Farel. — La Papauté à Neuchâtel. — Les chanoines et les moines se coalisent. — Farel dans le Vully. —
L'évêque de Bâle. — Placards à Neuchâtel. — Farel dans la chapelle de l'hôpital. — La députation de Berne.
CHAPITRE VII.
Valengin. — Guillemette de Vergy. — Farel au val de Rus. — La messe interrompue. —
Guet-apens contre Farel. — Farel en prison. — Les bourgeois et les chanoines. —Farel entraîné à la cathédrale. — Son sermon. — La terrasse du château. — Les idoles détruites. — Les Réformés au gouverneur. — Triomphe de la Réforme.
CHAPITRE VIII.
Les Catholiques demandent une votation. — Les Bernois soutiennent la Réforme. —
Les deux partis en présence. —Les Réformés demandent la votation. — Les Romains saisissent l'épée. — Les Romains inscrivent leurs noms. — La votation. — Majorité pour la Réforme. — Droits des prudhommes. — Un miracle. — Départ des chanoines.
CHAPITRE IX.
Évangélisation du pays. — Réaction. — Complot et délivrance. — Farel à Valengin, à la Cote. — La pierre de maître Jean. Farel à Saint-Blaise. — Expédient grossier à Valengin. — Vengeance. — Établissement de la Réforme. — Réforme de la Suisse française
LIVRE XVI. SUISSE. - CATASTROPHE. (1528 - 1531 )
CHAPITRE I.
Alliances politiques. — Zwingle pasteur, homme d'État, général. — Persécutions en Thurgovie.— Alliance des Waldstettes avec l'Autriche.—Conditions de l'alliance. —
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Députation de la Diète aux cinq cantons. — Proposition de Zwingle. — Martyre de Keyser — Zwingle et la guerre. — Épuration du Conseil CHAPITRE II.
Underwald veut rétablir la messe. — Zwingle veut y maintenir la liberté. — Guerre. —
Zwingle part. — Armement des cinq cantons. — Médiation du Landamman Ebli. —
Intervention de Berne. — Opposition de Zwingle. — Cordialité Suisse. —Discipline zurichoise. —Une conférence. —Traité de Paix.—Le Traité avec l'Autriche déchiré.—
Hymne et tristesse de Zwingle.— Des femmes disent la messe..
CHAPITRE III.
L'unité par la liberté. — Évangélisation des cinq cantons. — Réponse de Schaffouse. —
Zurzach. — Glaris, Brunner et Tschoudi. — Hostilités, hésitations. — Bailliages italiens. —Le moine de Côme. — Son angoisse et son espoir. — Le moine de Locarno. —
Appel pour l'Italie.— Réforme de Wettingen. —Autres couvents. — L'abbé de Saint-Gall.—Killian Kouffi — Saint-Gall recouvre sa liberté. — Soleure. — Miracle de saint Ours.— Triomphe de la Papauté. — Les Grisons envahis par les Espagnols. — Appel des ministres aux cinq cantons. — Refus. — Indépendance de l'Église voulue par Œcolampade. — Diète évangélique
CHAPITRE IV.
Rôle politique dé Zwingle. — Luther et Zwingle, ou l'Allemagne et la Suisse. —Philippe de Hesse et la cité chrétienne. Rapprochement entre Zwisagle et Luther. — Projet d'alliance de Zwingle contre l'Empereur. --Zvringle contre Charles Quint. — Détrôner les tyrans. — Zwingle destine l'Empire à Philippe. — Alliance universelle. —
Ambassade à Venise. — Alliance projetée avec la France.— Plan présenté par Zwingle. — Les Français le rejettent. — Déclaration des cinq cantons. — Discours violents. —Persécutions. — Papier mystérieux. —Diète évangélique.— Diète générale à Bade.—Cri de guerre de Zwingle. — Députation de Schwitz et d’Uri.—Réforme politique de la Suisse. — Activité de Zurich et de Zwingle CHAPITRE V.
Berne propose de fermer les marchés. -- Opposition de Zurich. Proposition de Berne agréée. — Mise à exécution. — Sermon de guerre de Zwingle. — Blocus des Waldstettes. — Indignation des Waldstettes, — Cri de désespoir. — Les processions.
Médiation de la France. — Diète de Brenigarten. — Espérance.—Les cinq cantons inflexibles.— Transformation de la Réforme et de Zurich. — Mécontentement. —Fausse position de Zwingle. — Il demande sa démission. — Refus. —Zwingle à Brenagarten.—
Adieux à Bullinger,--Fantôme. — Détresse de Zwingle. — Menaces des Waldstettes.—
Affreux présages. — La comète. — Calme de Zwingle. — Diète de Lucerne.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VI.
La médiation échoue. — Calme trompeur. —Fatale inactivité. -- Les deux pains. --
Alliances redemandées. —Avertissement.... Manifeste. Les bailliages pillés. Cappel. —
Lettre de l'abbé. — Aveuglement de Zurich. Nouveaux avertissements. — La guerre est commencée. — Le tocsin. — Nuit d'effroi. — Détachements. — Appels. — La bantriére:— Zwingle. — Anna. —Le cheval de Zwingle. — Départ de la bannière.
CHAPITRE VII.
Départ des Waldstettes. — Exhortation et prière. — Déclaration de guerre. — Conseil de guerre. — L'armée des cantons sur l'lfelsberg. — Le bois de hêtre. — Attaque d'avant-garde. — Ils sont repoussés. — Le Prêtre de Zug. — Le Marais. — Tristesse de Zwingle. —L'armée de Zurich monte l'Albis. —Halte et conseil au Hêtre. —Paroles de Zwingle et de Schweizer. — Vue de l'Albis. —Arrivée de la bannière.—Les Waldstettes atteignent la hauteur. — Reconnaissance de Jauch. — Appel et entreprise de Jauch.
CHAPITRE VIII.
Changement imprévu. — Lavater et Zwingle. — Avantage des Zurichois. — Toute l'armée s'avance. — Terrible Mêlée. — La grande bannière. — Mort du banneret. —
Kammli et de Nœff. — La Bannière en Danger— La Bannière sauvée.—Massacre. —
Gérald de Knonau. — Mort des ministres. —Zwingle blessé. — Dernières paroles de Zwingle. — L'armée fait halte. — Fanatisme des vainqueurs. — La fournaise de l'épreuve. —Mort de Zwingle. — Compassion.— Le Bivac.— Le cadavre de Zwingle. —
Hommage et outrage.
CHAPITRE IX.
Consternation dans Zurich. — Violence de la populace.—Douleur et détresse. —Le deuil d'Anna Reinhard. — Thomas Plater. — Oraison funèbre. — Armée de Zurich. —
L'armée des Réformés s'accroît. — Elle prend l'offensive. — Bataille Nocturne du Gotibel. —Inactivité de Berne. —Plan de Charles-Quint. — Fin de la Guerre. — Traité de Paix. — Restauration de la Papauté. —Bremgarten.— Rapperschwil—Soleure. —
Prêtres et moines partout. — Tristesse d'Œcolampade. —Une scène paisible. — Mort d'Œcolampade. — Caractère d'Œcolampade. — Bullinger remplace Zwingle. —
Humiliation de la Réforme.— Retour à la Foi— La Leçon de Cappel— Nouvelles destines.
FIN DE LA TABLE DES MATIERES.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle LIVRE XIII. PROTESTATION DE SPIRE ; CONCORDE DE
MARBOURG. (1526 à 1529.)
CHAPITRE I
Double mouvement de la Réformation. — Il y a un temps réformateur. — Diète de Spire, 1526. — Les prêchés évangéliques. — Palladium. Réforme des mœurs. — Fermeté des Réformateurs. — Commission pour abolir les abus. — Tiers-parti entre la Papauté et la Réforme. Colporteurs. — La Papauté et ses membres. — La destruction de Jérusalem. —Réveil de Rome. — L'ordonnance de Séville publiée. — Désunions de l'Empereur et du Pape. — Ligue et bref de Clément VII. — On propose la liberté religieuse. — Époque importante. — Ferdinand appelé en Hongrie.
Nous avons vu les commencements, les luttes, les revers et les progrès de la Réformation; mais les combats que nous avons jusqu'à présent décrits n'ont été que partiels : nous entrons maintenant dans une période nouvelle, celle des batailles générales. Spire (1529) et Augsbourg (1530) sont deux noms qui brillent d'une gloire plus immortelle que Marathon, Pavie ou Marengo. Des forces jusqu'à présent dispersées se réunissent en un énergique faisceau; la puissance de Dieu opère de ces actions d'éclat qui ouvrent une ère nouvelle à l'histoire des peuples, et donnent une impulsion irrésistible à l'humanité; les consciences sont affranchies; la liberté de l'esprit est conquise. Le passage des temps moyens aux temps modernes est enfin arrivé.
Une grande protestation va s'accomplir; et bien qu'il y ait des protestants et des protestations dans l'Église depuis le commencement même du christianisme, puisque la liberté et la vérité ne peuvent se maintenir ici-bas qu'en protestant sans cesse contre le despotisme et l'erreur, le protestantisme va faire un pas nouveau. Il va prendre un corps, et attaquer ainsi avec d'autant plus d'énergie ce mystère d'iniquité qui depuis des siècles a pris un corps à Rome, dans le temple même de Dieu [1].
Mais quoiqu'il s'agisse de protestation, il ne faut pas croire pourtant que la Réformation soit une œuvre négative. Partout où quelque chose de grand se développe, dans la nature comme dans la société, il y a un principe de vie qui opère, un germe que Dieu féconde. Une simple négation ne saurait émouvoir les peuples.
La Réformation, quand elle se leva au seizième siècle, ne fit pas une œuvre nouvelle, car une réformation n'est pas une formation; mais elle tourna sa face vers les origines du christianisme, se précipita vers elles, et les embrassa avec amour.
Cependant, elle ne se contenta pas de ce retour aux temps primitifs. Chargée de ces principes créateurs de la foi, qu'elle avait saisis avec adoration, la Réformation rapporta à la chrétienté déchue et inanimée du seizième siècle les éléments divins, 26
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle le feu sacré, qui devaient lui rendre la lumière et la vie. C'est dans ce double mouvement que furent son action et sa force. Sans doute, elle repoussa plus tard des formes surannées et combattit l'erreur; mais ce ne fut là que la moindre de ses œuvres et son troisième mouvement. La protestation même dont nous avons à parler eut pour but le rétablissement de la vérité et de la vie, et fut un acte essentiellement positif.
Cette action double, puissante et rapide de la Réforme, par laquelle les temps apostoliques furent rétablis à l'entrée des temps modernes, ne vint pas des hommes.
Une réformation ne se fait pas arbitrairement, comme, en quelques pays, les chartes et les révolutions. Une vraie réformation, préparée pendant plusieurs siècles, est le produit de l'esprit de Dieu. Avant le temps voulu, les pins grands génies, et même les hommes de Dieu les plus fidèles, ne sauraient la produire; mais quand le temps réformateur est arrivé, quand Dieu veut intervenir dans le monde pour le renouveler, il faut que la vie divine se fraye un passage, et elle sait se créer elle-même les humbles organes par lesquels elle se communique à l'humanité. Alors, si les hommes se taisent, les pierres mêmes crieront [2]
C'est sur la protestation de Spire (1529) que nous allons surtout fixer nos regards; mais cette protestation fut préparée par des années de paix, et suivie par des essais de concorde, que nous devrons aussi raconter. Néanmoins, l'établissement formel du protestantisme demeure le grand fait qui domine l'histoire de la Réformation, de 1526 à 1529.
Le duc de Brunswick avait apporté en Allemagne le message menaçant de Charles-Quint. L'Empereur allait se rendre d'Espagne à Rome, pour s'entendre avec le Pape, et de là passer les Alpes, afin de soumettre les hérétiques. Mais auparavant la Diète de Spire (1526) devait leur adresser une dernière sommation [3]. L'heure fatale allait sonner pour la Réforme.
Le 25 juin 1526, la Diète s'ouvrit. Dans son instruction, datée de Séville, 23 mars, l'Empereur ordonnait qu'on maintînt en entier les coutumes de l'Église, et invitait la Diète à punir ceux qui se refuseraient à exécuter l'édit de Worms [4]. Son frère, Ferdinand, se trouvait à Spire, et sa présence rendait ces ordres plus redoutables.
Jamais l'inimitié que les partisans de Rome portaient aux princes évangéliques, n'avait paru d'une manière si éclatante : « Les pharisiens, dit Spalatin, poursuivaient Jésus-Christ d'une véhémente haine [5].»
Jamais aussi les princes évangéliques n'avaient montré tant d'assurance. Au lieu de paraître effrayés et tremblants comme des coupables, on les vit s'avancer entourés des ministres de la Parole, la tête levée et le regard joyeux. Leur première démarche fut de demander un temple. L'évêque de Spire, comte palatin du Rhin, le leur ayant refusé avec indignation [6], les princes s'en plaignirent comme d'une injustice, et ordonnèrent à leurs ministres de prêcher chaque jour dans les salles de leurs palais.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Une foule immense de la ville et de la campagne s'y précipita aussitôt [7]. En vain, dans les jours de fête, Ferdinand, les princes ultramontains et les évêques, assistaient-ils aux pompes du culte romain dans la belle cathédrale de Spire; la simple parole de Dieu, prêchée dans les vestibules des princes protestants, attirait des milliers d'auditeurs, et la messe se célébrait dans le vide [8].
Ce n'étaient pas seulement des ministres, c'étaient des chevaliers, des palefreniers.
«des idiots,» qui, ne pouvant contenir leur zèle, exaltaient partout avec vivacité la parole du Seigneur [9].
Tous les serviteurs des princes évangéliques portaient, brodées sur la manchette de la main droite, ces lettres : v. D. M. I. Æ., c'est-à-dire : LA PAROLE DU SEIGNEUR
DEMEURE ÉTERNELLEMENT [10]. On lisait la même inscription sur les armes des princes, suspendues à leurs hôtels. La parole de Dieu, tel était dès ce moment le mot d'ordre et le palladium de la Réforme.
Ce n'était pas tout : les protestants savaient que le culte ne suffit pas; aussi le Landgrave avait-il demandé à l'Électeur d'abolir « certains usages de cour, » qui déshonoraient l'Évangile. En conséquence, ces deux princes avaient rédigé un ordre de vie qui interdisait l'ivresse, la débauche, et autres coutumes vicieuses usitées en Diète [11].
Peut-être les princes protestants affichaient-ils quelquefois leur dissidence au-delà de ce que la sagesse eût exigé. Non-seulement ils n'allaient point à la messe et n'observaient pas les jeûnes prescrits, mais encore on voyait, dans les jours maigres, leurs serviteurs porter les plats de viande et de gibier destinés à la table de leurs maîtres, et passer, dit Cochléus, sous les yeux de la foule que le culte rassemblait.
C'était, dit cet auteur, afin d'attirer les catholiques par le fumet des viandes et des vins [12].
L'Électeur avait, en effet, un grand état; sept cents personnes formaient sa suite.
Un jour, il donna un banquet où assistaient vingt-six princes avec leurs gentils hommes et leurs conseillers. On y joua jusqu'à une heure très-tardive, dix heure du soir. Tout, dans le duc Jean, annonçait le prince le plus puissant de l'Empire. Le jeune landgrave de Hesse, plein de zèle et de science, et qui se trouvait, quant à l'Évangile, dans la force titi premier amour, faisait une impression profonde sur ceux qui l'approchaient ; il disputait souvent avec les évêques, et, grâce à la connaissance qu'il avait des saintes Écritures, il leur fermait aisément la bouche
[13].
Cette fermeté des amis de la Réformation porta des fruits qui dépassèrent leurs espérances. On ne pouvait plus se faire illusion; l'esprit qui se manifestait dans ces hommes était bien celui de la Bible. Partout le sceptre tombait des mains de Rome.
« Le levain de Luther, disait un zélé papiste, fait fermenter tous les peuples de 28
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle l'Allemagne, et les nations étrangères elles-mêmes sont agitées par de redoutables mouvements' [14].
On vit aussitôt quelle est la force des grandes convictions. Les États bien disposés pour la Réforme, mais qui n'avaient osé y adhérer publiquement, s'enhardirent. Les États neutres, qui désiraient le repos de l'Empire, prirent la résolution de s'opposer à l'édit de Worms, dont l'exécution eût porté le trouble dans toute l'Allemagne; et les États papistes perdirent tout à coup leur hardiesse. L'arc des forts fia brisé'[15].
Ferdinand ne crut pas, en un moment si critique, pouvoir communiquer à la Diète la rigoureuse instruction de Séville [16]; et il y substitua une proposition de nature à satisfaire les deux partis.
Aussitôt les laïques reprirent l'influence dont le clergé les avait dépossédés. Les ecclésiastiques s'étant opposés, dans le collège des princes, à ce que la Diète s'occupât des abus de l'église, leur demande fut écartée. Sans doute, une assemblée non politique eût été préférable à la Diète; mais c'était déjà quelque chose que les affaires de la religion ne dussent plus être réglées uniquement par les prêtres.
Les députés des villes ayant reçu communication de cette résolution, allèrent plus loin encore, et demandèrent l'abolition de tous les usages contraires à la foi en Jésus-Christ. En vain les évêques s'écrièrent-ils qu'au lieu d'abolir de prétendus abus, on ferait bien mieux de brûler tous les livres dont depuis huit années on inondait l'Allemagne : cr Vous voulez, leur répondit-on, ensevelir toute sagesse et toute science [17] !... » La demande des villes fut admise' [18], et la Diète se divisa en commissions pour l'abolition des abus. On vit alors se manifester le profond dégoût qu'inspiraient les prêtres de Rome. «Le clergé » dit le député de Francfort, se moque du bien public, et ne recherche que son intérêt propre. »
« Les laïques, dit le député du duc George, ont bien « plus à cœur que les ecclésiastiques le salut de la chrétienté. »
Les commissions firent leur rapport : on en fut étonné. Jamais l'on n'avait parlé avec tant de franchise contre le Pape et les évêques. La commission des princes, dans laquelle des députés ecclésiastiques et laïques se trouvaient en nombre égal, proposa une fusion de la Papauté et de la Réforme. Les prêtres font mieux de se marier, dit-elle, que de tenir dans leurs maisons des personnes mal famées; chacun doit être libre de communier sous une ou sous deux espèces; l'allemand et le latin peuvent être également employés dans la cène et dans le baptême; quant aux autres sacrements, qu'on les conserve, mais qu'on les administre gratuitement; enfin, que la parole de Dieu soit prêchée « selon l'interprétation de l'Église,» (c'était la demande de Rome), « mais en expliquant toujours l'Écriture par l'Écriture,» (c'était le grand principe de la Réformation).
29
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Les évêques de Würzburg, de Strasbourg, de Freysingen, et George Truchsess même, se trouvaient dans la commission d'où- émanaient ces propositions; mais le bouillant Landgrave y était aussi, et ses invincibles citations de la Bible avaient fait taire les uns et entraîné les autres. Ainsi le premier pas vers une union nationale était fait. Encore quelques efforts, et toute la race germanique marchait dans le sens de l'Évangile.
Les chrétiens évangéliques, à la vue de cette perspective glorieuse, redoublèrent d'efforts.[19] Démettrons fermes dans la doctrine, » disait l'électeur de Saxe à ses conseillers '. En même temps, des colporteurs vendaient dans toute la ville des livres chrétiens courts, faciles à lire, en latin, en allemand, ornés de gravures, et où les erreurs de Rome étaient vivement attaquées [20]. L'un de ces livres était intitulé : La papauté avec ses membres, peinte et décrite par le docteur Luther. On y voyait figurer le Pape, ses cardinaux, puis tous les ordres religieux au-delà de soixante, avec divers costumes et caractères. On lisait, sous l'image de l'un de ces ordres :
« Couchés dans l'or, la convoitise, « On les voit Jésus oublier; sous l'image d'un autre :
« Que la Bible ne vous séduise! « Défense de l'étudier! [21] »
BOUS une troisième : «Jeûner, prier à perdre haleine. «Et la cuisine toujours pleine Ainsi des autres [22]. « Pas un seul de ces ordres, disait Luther au lecteur, ne pense à la foi ou à la charité. Celui-ci porte une tonsure, celui-là un capuchon, celui-ci un manteau, celui-là une robe. L'une est blanche, l'autre est noire, l'autre est grise, l'autre est bleue. Celui-ci tient un miroir, celui-là des ciseaux ; chacun ses joujoux...
Ah ce sont là les sauterelles, les hannetons, les hurbecs et les vermisseaux qui, comme le dit Joël, «ont brouté toute la terre [23]. »
Mais si Luther maniait le fouet du sarcasme, il embouchait aussi la trompette des prophètes; c'est ce qu'il fit dans l'écrit intitulé : La destruction de Jérusalem.
Versant des larmes comme Jérémie, il dénonçait au peuple allemand une ruine semblable à celle de la sainte cité, si, comme elle, il rejetait l'Évangile [24].«Dieu nousa communiqué tous ses «trésors, s'écrie-t-il ; il est devenu homme, il nous a servis, il est mort pour nous il est ressuscité, et il a tellement ouvert les portes du ciel, que tous peuvent y entrer ...
Le temps de la grâce est venu.... la bonne nouvelle est proclamée... Mais où est la ville, où est le prince qui la reçoive?... Ils l'insultent; ils tirent leur épée, et saisissent Dieu hardiment par la barbe [25].... « Mais attendez . . . il se retournera : d'un coup il leur brisera la mâchoire, et l'Allemagne tout « entière ne sera plus qu'une grande ruine. »
30
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle La vente de tous ces écrits était considérable [26]. Ce n'étaient pas seulement les paysans et les bourgeois qui lisaient ces livres; c'étaient aussi les nobles et les princes. On laissait les prêtres seuls au pied des autels, et l'on se jetait dans les bras du nouvel Évangile [27]. » La nécessité d'une réforme des abus fut proclamée le 1er août par un comité général.
Alors Rome, qui avait paru sommeiller, se réveilla. Des prêtres fanatiques, des moines ignorants, des princes ecclésiastiques, assiégèrent Ferdinand. La ruse, l'argent, rien ne fut épargné pour l'émouvoir. Ferdinand ne tenait-il pas en main l'instruction de Séville?... Se refuser à la publier, c'était accomplir la ruine de l'Église et de l'Empire. Que la voix de Charles oppose son puissant veto à l'étourdissement qui entraîne l'Allemagne, et Allemagne sera sauvée!... Ferdinand consentit à la démarche qu'on lui demandait, et fit enfin connaître, le 3 août, l'arrêt donné par l'Empereur plus de quatre mois auparavant, en faveur de l'édit de Worms.
La persécution allait commencer; les réformateurs allaient être jetés au fond des cachots; l'épée tirée aux bords du Guadalquivir allait enfin percer le cœur de la Réforme.
L'effet de l'ordonnance impériale fut immense. L'Électeur et le Landgrave annoncèrent aussitôt qu'ils allaient quitter la Diète, et ordonnèrent à leurs gens de tout préparer pour le départ. En même temps les députés des villes se rapprochaient de ces deux princes, et l'Évangile parut devoir entrer immédiatement en lutte avec le Pape et Charles-Quint.
Mais la Réformation n'était pas encore prête pour une lutte générale. Il fallait que l'arbre poussât de plus profondes racines, avant que le Tout-Puissant laissât se déchaîner sur lui les vents impétueux. Un esprit d'aveuglement, semblable à celui qui fut jadis envoyé sur Saül et sur Hérode [28], s'empara alors du grand ennemi de la parole de Dieu ; et ce fut ainsi que la Providence divine sauva la Réforme en son berceau.
Le premier moment de trouble étant passé, les amis de l'Évangile se mirent à considérer la date de l'instruction impériale, et à peser les nouvelles combinaisons politiques qui semblaient annoncer au monde les événements les plus inattendus.
« Quand l'Empereur a écrit ces lettres, dirent les villes de la haute Allemagne, il était en bon accord avec le Pape; mais maintenant tout est changé. On assure même qu'il a fait dire à Marguerite, des Pays-Bas, de procéder doucement quant à l'Évangile. Envoyons-lui une députation. » Cela n'était pas nécessaire; Charles n'avait pas attendu ce moment pour prendre une autre résolution. La marche des choses publiques, faisant un brusque détour, s'était précipitée dans des voies toutes nouvelles. Des années de paix allaient être accordées à l'Église renaissante.
31
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Au moment où Charles voulait se rendre à Rome, afin d'y recevoir des mains du pontife la couronne impériale, et de lui livrer en échange l'Évangile et la Réformation, Clément VII, saisi d'un étrange vertige, venait de se tourner subitement contre ce puissant monarque. L'Empereur, ne voulant pas favoriser en tout point son ambition, s'était opposé à ses prétentions sur les États du duc de Ferrare. Aussitôt Clément, indigné, s'était écrié que Charles-Quint voulait asservir la Péninsule, et que le temps était venu de rétablir l'indépendance de l'Italie. Cette grande pensée de l'indépendance italienne, entretenue alors par quelques littérateurs, n'était point comme maintenant dans la masse de la nation. Aussi Clément s'empressa-t-il de recourir aux combinaisons de la politique. Le Pape, les Vénitiens, le roi de France, à peine sorti de captivité, formèrent une sainte ligue, dont une bulle proclama le roi d'Angleterre conservateur et protecteur.
En juin 1526, l'Empereur, inquiet, fit faire au Pape les propositions les plus favorables; mais ces avances furent inutiles, et le duc de Sessa, ambassadeur de Charles à Rome, revenant à cheval de sa dernière audience, indigné de l'accueil qu'il avait reçu, fit monter en croupe un fou de cour, qui, par mille singeries, donna à comprendre au peuple romain combien son maître se moquait des projets du Saint-Père. Celui-ci répondit à ces bravades par un bref, dans lequel il menaçait l'Empereur d'excommunication; puis, sans perdre de temps, il fit entrer ses troupes en Lombardie, tandis que Milan, Florence et le Piémont se déclaraient pour la sainte ligue. Ainsi, de nombreux ennemis s'élevaient contre la puissance du jeune César, et l'Europe s'apprêtait à tirer vengeance du triomphe de Pavie.
Charles n'hésita pas. Il fit conversion à droite, aussi rapidement que le Pape l'avait faite à gauche, et se tourna brusquement vers les princes évangéliques. «
Suspendons l'édit de Worms, écrivit-il « à son frère, ramenons les partisans de Luther par « la douceur, et faisons triompher par un bon « concile la vérité évangélique. » Il demandait en même temps que l'Électeur, le Landgrave et leurs alliés marchassent avec lui « contre les Turcs ou contre l'Italie, pour le bien commun de la chrétienté. »
Ferdinand hésita. Gagner l'amitié des luthériens, c'était perdre celle des autres princes. Le frère de Charles faisait entendre de graves menaces [29]. Le duc Guillaume de Bavière affichait des prétentions à la couronne impériale, et le Pape, suivant l'exemple des Hildebrand, des Clément VI, et de tant d'autres de ses prédécesseurs, se préparait à donner à ce prince la dépouille de Charles-Quint. Les protestants eux-mêmes n'étaient pas très empressés à serrer la main que leur tendait l'Empereur : ils n'étaient pas sans défiance..« C'est Dieu, Dieu lui-même, disaient-ils, qui sauvera ses églises [30]. » Ils mettaient Jésus-Christ au-dessus de César.
32
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle La Diète était agitée. Que faire ? On ne pouvait ni abolir l'édit de Worms, ni l'exécuter.
Cette étrange situation amena de force la seule solution désirable : la liberté religieuse. Ce fut aux députés des villes qu'en vint la première pensée.
« En tel lieu, disaient-ils, on a gardé les anciennes cérémonies; en tel autre, on les a abolies; et cc tous croient avoir raison. Laissons chacun libre de faire comme il l'entend, jusqu'à ce que, par la parole de Dieu, un concile rétablisse l'unité désirable.
»
Cette pensée prit faveur, et le recez de la Diète, sous la date du 27 août, arrêta qu'un concile libre, universel, ou tout au moins national, serait convoqué dans l'espace d'une année, que l'on demanderait à Charles de revenir promptement en Allemagne, et que jusque-là chaque État se comporterait dans son territoire de manière à pouvoir en rendre compte à Dieu « et à l'Empereur [31]. »
Ainsi l'on se sauva par le juste-milieu; et cette fois c'était bien le véritable. Chacun maintint son droit en reconnaissant celui des autres. Sans doute les situations ne devenaient pas égales. La doctrine évangélique n'avait qu'elle-même pour se protéger; la doctrine romaine avait, dans les pays romains, l'édit de Worms, ses prisons et ses bûchers. Le protestantisme donne toujours plus de liberté qu'il n'en reçoit lui-même.
La diète de Spire, de 1526, forme uni époque importante de l'histoire : une ancienne puissance, celle du moyen âge, est ébranlée; une puissance nouvelle, celle des temps nouveaux, prend pied; la liberté religieuse se pose hardiment en face du despotisme romain ; l'esprit laïc l'emporte sur l'esprit prêtre. Dans ce seul pas il y a une grande victoire; la cause de la Réforme est gagnée.
On ne s'en douta guère. Luther, le lendemain du jour où le recez fut publié, écrivait à un ami : « La Diète se tient à Spire, à la mode allemande ; on y boit, on y joue; mais, à cela près, on n'y fait rien. »
« Le congrès danse et ne marche pas, » a-t-on dit de nos jours. C'est que de grandes choses se font souvent sous l'apparence de la frivolité, et que Dieu accomplit ses desseins à l'insu même de ceux dont il se sert comme de ses instruments. Il se manifesta, dans cette diète de Spire, un sérieux, un amour de la liberté de conscience, qui est le fruit du christianisme, et qui, au seizième siècle, eut, dans les nations germaniques, ses premiers, si ce n'est ses plus énergiques développements.
Cependant Ferdinand hésitait encore; Mahomet lui-même vint en aide à l'Évangile.
Louis, roi de Hongrie et de Bohême, noyé à Mohács le 29 août 1526, au moment où il fuyait devant Soliman H, avait légué à Ferdinand la couronne de ces deux royaumes.
Mais le duc de Bavière, le vayvode de Transylzan ie, et par-dessus tout le terrible 33
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Soliman, la lui Contestaient. C'était assez pour occuper le frère de Charles; il laissa là Luther, et courut disputer deux trônes.
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FOOTNOTES
[1] Deuxième épître aux Thessaloniciens, chap. II.
[2] Évangile selon saint Luc, ch. XIX, V. 40.
[3] Voir tome III, fin du livre X. Il ne faut pas confondre la diète de Spire, 1526, avec celle de 1529, où eut lieu la protesta tion.
[4] Sleidan, Hist. de la Réf., liv. VI.
[5] Christum phariseis vehementer fuisse invisum. (Seckend., II, 45.)
[6] Fortiter interdixit. (Cochlœus, 138.)
[7] Ingens concursus plebis et rusticorum (ibid.); muftis millibus hominum accurrentibus. (Seckend., II, 45.)
[8] Populum a sacris avertebant. (Cochlœus, 138.)
[9] Ministri eorum, equites et stabularii, idiote, petulanter jactabant verbum Domini. (Coati:eus, 138.)
[10] Verbum Domini manet in œternum. (Ib.)
[11] Adversus inveteratos illos et impios usus nitendum esse. Meckend., II, 46.)
[12] Ut complures allicerentur ad eorum sectam, in ferculis portabantur carnes coctœ in diebus jejunii, aperte, in conspectu totius auditorii. (Cochlœus, p. 138.)
[13] Annales Spalatini.
[14] Germania3 populi lutherie° fermento ineseati et in «ternis quoque nationibusgravissitni erant motus. (Coehloeus, 138.)
[15] Samuel, 11, 4.
[16] Ranke,.Deutsche Gesch., II, p. 362.
[17] Omnes libros esse comburendos. Sed rejectum est, quia sic omnis doctriva et eruditio theologica interitura esset. (Seck.,II, 45.)
[18] Civitatum suffragia multum valuerunt. (Ibid.) 34
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle
[19] Elector Saxoniae consiliaros suos exhortatus est, ut in doctrina evangelica firmi... (Seck., II, 45.)
[20] Circumferebantur item libri lutherani venales, per totem civitatem. (Cochl., 138.)
[21] Dass die Schrift sie nicht verführe Durft ihr Kaineu nicht studir. (L. opp. XIX, 536.)
[22] Doch war ihr Mach nimmer leer. (Ib.)
[23] L. opp. XIX, p. 335. — Joël, I, 5.
[24] Libelli, parvuli quidem mole sed virulentia perquam grandes. . . Sermo Lutheri teuthonicus de destruction Jerusalem. (Cochlceus, 138.)
[25] Greiffen Gott zu frech in den Bart. (Luth., opp. XIV (Leipz.), p. 226.) Deo nimis ferociter barbam vellicant. (Cochl.)
[26] Perquam plurima vendebantur exemplaria. (Cochl., 139.)
[27] Non solum plebs et rustica turba, verum etiam plerique optimatum et nobilium trahebantur in favorem novi Evangelii, atque in odium antique religionis .... (Ibid., 40.)
[28] Sleidan, Hist. de la Réf., liv. VI, p. 229. 9 Samuel, XVI, 14-23.— Matthieu, II.
[29] Ferdinandus ut audio graviter minatur. (Corp. B., I, p. 8o z.)
[30] Imperator pollicetur... Sed nemo his promissis move-tur. Spero Deum defensurum esse suas ecclesias. (Corp. Ref., 4p. 8019 34 juin.)
[31] Juus quisque in sua ditione ita se gereret, ut rationew Deo et Imperatori reddere posset. (Seck., II, p. 41.)
35
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE II
Freund berg assemble une armée. — Manifeste de l'Empereur. — Marche sur Rome. —
Révolte des troupes. — Mort de Freund berg. — Le Pape et les Romains. — L'assaut. —
Le sac de Rome. — Jeux des Allemands. — Luther pape. —Les Espagnols. — Clément capitule
L'Empereur recueillit aussitôt les fruits de sa politique. Drayant plus les mains liées par l'Allemagne, il les tuirlia contre Rome. La Réformation venait d'être élever, la Papauté allait âtre abaissée. Les coups portés un impitoyable ennemi allaient ouvrir à l'43mYre évangélique une carrière toute nouvelle.
Ferdinand, retenu par les affaires de Hongrie, chargea de l'expédition d'Italie Freundsberg, ce vieux général qui avait frappé amicalement sur l'épaule de Luther, au moment où le Réformateur allait se présenter devant la diète de Worms [1].
« Freundsberg, qui, dit un contemporain', portait dans son cœur chevaleresque le saint Évangile de Dieu, bien fortifié et flanqué d'une forte muraille, » engagea les bijoux de sa femme, fit battre l'appel dans toutes les villes de la haute Allemagne, et, grâce à l'idée magique d'une guerre contre le Pape, vit bientôt de nombreux soldats accourir sous son étendard. « Annonces, avait fait dire Charles-Quint à son frère, que l'armée doit cc marcher contre les Turcs; chacun saura de quels Turcs il s'agit.
[2]»
Ainsi le puissant Charles, au lieu de lutter avec le Pape contre la Réforme, comme il l'avait dit à Séville, va lutter avec la Réforme contre le Pape. Il a suffi de quelques jours pour opérer cet étrange revirement; il y en a peu dans l'histoire où la main de Dieu soit plus évidente,
Aussitôt Charles prend toutes les allures d'un réformateur.
Le 17 septembre, il adresse au Pape un manifeste [3] dans lequel il lui reproche de se comporter, non comme le père commun de tons les fidèles, mais comme un homme insolent et superbe [4]; et lui témoigne son étonnement de ce que, vicaire du.
Christ, il ose répandre le sang pour acquérir des possessions terrestres; ce qui, ajoute-t-il, est tout à fait « contraire à la doctrine évangélique [5] . » Luther n'eût pas mieux parlé. « Que Votre Sainteté, continuait Charles-Quint, « rengaine dans son fourreau le glaive de saint « Pierre, et convoque un concile universel.» Mais le glaive était du goût du pontife beaucoup plus qu'un concile. La Papauté n'est-elle pas, selon les docteurs romains, la source des deux pouvoirs ? Ne peut-elle pas destituer les rois, et par conséquent les combattre [6] ? Le Pape maintint donc sa lance tournée contre Charles, et Charles se prépara à lui faire bonne guerre.
Alors commença cette terrible campagne, durant laquelle éclata à Rome, sur la Papauté, l'orage qui avait dû fondre en Allemagne sur l'Évangile. A la force des 36
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle coups dont fut frappée la ville des pontifes, on peut juger de la violence de ceux qui eussent brisé les églises de la Réformation. En retraçant tant d'horreurs, on a besoin de se rappeler que les châtiments de la ville aux sept collines ont été prédits par les Écritures de Dieu [7].
Au mois de novembre, Freundsberg, à la tête de quinze mille hommes, se trouvait en Allemagne, au pied des Alpes. Le vieux général, évitant les routes militaires bien gardées par l'ennemi, se jeta dans un sentier étroit, suspendu au-dessus d'affreux précipices, et que quelques coups de bêche eussent rendu impraticable. Défense aux soldats de regarder derrière eux; néanmoins les tètes tournent, les pieds glissent, et chevaux et lansquenets tombent de temps en temps au fond de l'abîme. Dans les passages les plus difficiles, les soldats dont la marche est la plus sûre abaissent à droite et à gauche de leur vieux chef leurs longues piques en guise de barrières; et Freundsberg avance, s'attachant au lansquenet de devant, et poussé par celui de derrière. En trois jours les Alpes furent franchies, et le 19 novembre l'armée se trouva sur le territoire de Brescia.
Le connétable de Bourbon, qui, depuis la mort de Pescaire, commandait en chef l'armée impériale, venait de s'emparer du duché de Milan. L'Empereur le lui ayant promis pour récompense, il dut y rester quelque temps pour y consolider son pouvoir.
Enfin, le 12 février, il joignit avec ses Espagnols l'armée de Freundsberg, impatienté de ses retards. Bourbon avait beaucoup d'hommes et point d'argent; il se décida à suivre le conseil du duc de Ferrare, cet ennemi implacable des princes de l'Église, et à tirer droit sur Rome L'armée tout entière reçut cette nouvelle avec un cri de joie.
Les Espagnols étaient pleins du désir de venger Charles-Quint, les Allemands pleins de haine contre le Pape; tous remplis de l'espérance de voir leurs soldes et leurs peines enfin richement payées au moyen des trésors de la chrétienté, que Rome accumulait depuis des siècles.
Leur cri retentit jusqu'au-delà des Alpes. Chacun en Allemagne crut que l'heure suprême de la Papauté était enfin arrivée, et l'on se prépara à contempler sa chute.
« Les forces de l'Empereur triomphent en Italie, écrivait Luther; le Pape est visité de toutes parts; sa destruction approche; son heure et sa fin sont venues'.[8] »
Quelques avantages remportés par les troupes papales dans le royaume de Naples y firent conclure une trêve, qui devait être ratifiée par le Pape et par l'Empereur. A cette nouvelle, un affreux tumulte s'éleva dans l'armée du Connétable. Les bandes espagnoles se révoltèrent, l'obligèrent à s'enfuir, et pillèrent sa tente. Puis, s'approchant des lansquenets, elles se mirent à crier à tue-tête les seuls mots allemands qu'elles eussent appris : «Lance! lance! Argent! Argent ! [9] » Ces mots retentirent dans le cœur des Impériaux; ils s'émurent à leur tour, et se mirent à crier aussi de tous leurs poumons Lance! lance! Argent! Argent! Freundsberg fit battre l'appel; et, ayant rangé en cercle autour de lui et de ses principaux capitaines 37
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle ses soldats exaspérés, il leur demanda tranquillement s'il les avait jamais abandonnés.
Tout fut inutile. La vieille affection que les lansquenets portaient à leur capitaine semblait éteinte; une seule corde vibrait encore dans leurs cœurs ; il leur fallait la solde et la guerre. Aussi, baissant tous leurs lances, ils les tiennent en arrêt, comme s'ils voulaient en percer leurs chefs, et se mettent à crier de nouveau en rugissant : Lance! lance! Argent! argent! Freundsberg, qu'aucune armée, quelque grande qu'elle fût, n'avait jamais effrayé; Freundsberg, qui avait coutume de dire, «
Beaucoup d'ennemis, beaucoup d'honneur, [10]» voyant ces lansquenets, à la tête desquels il avait vieilli, diriger contre lui leur fer meurtrier, perd la parole, et, frappé comme d'un coup de foudre, tombe évanoui sur un tambour La force du vieux général était pour toujours brisée. Mais la vue de leur capitaine mourant fit sur les lansquenets ce qu'aucun discours n'eût pu faire. Toutes les lances se relevèrent, et les soldats émus se retirèrent, l'œil morne et d'un pas silencieux. Quatre jours plus tard, Freundsberg retrouva la parole. « En avant! dit-il au Connétable. Dieu lui-même « nous fera toucher au but. En avant ! en avant ! répétèrent les lansquenets.
Il n'y avait plus pour Bourbon d'autre alternative; d'ailleurs, ni Clément, ni Charles-Quint ne voulaient entendre parler de paix. Freundsberg fut conduit à Ferrare, et plus tard à son château de Mindelheim, où il mourut après dix-huit mois de maladie; et le 28 avril, Bourbon prit cette grande route de Rome, que tant d'armées redoutables venues du Nord avaient déjà suivie.
Tandis que l'orage descendu des Alpes s'approchait de la ville éternelle, le Pape perdait la tête, renvoyait ses troupes, et ne conservait que ses gardes du corps. Plus de trente mille Romains, il est vrai, en état de porter les armes, faisaient parade de bravoure dans les rues de l'antique cité, traînaient de grands sabres après eux, se querellaient et se battaient; mais ces bourgeois, âpres au gain, se souciaient fort peu de défendre le Pape, et désiraient au contraire que le magnifique Charles vînt s'établir dans Rome, espérant un grand profit de son séjour.
Le 5 mai au soir, Bourbon arriva sous les murs de Rome, et il eût donné l'assaut à l'instant même, s'il avait eu des échelles. Le 6 au matin, l'armée, couverte par un brouillard qui cachait ses mouvements [11]', se mit en marche, les Espagnols se dirigeant par la montagne vers la porte du Saint-Esprit, les Allemands suivant la route d'en bas [12]'. Bourbon, voulant encourager ses soldats, saisit lui-même une échelle, escalada la muraille, et leur cria de le suivre. En ce moment une balle l'atteignit; il tomba, et rendit l'âme une heure après. Ainsi finit ce malheureux, traître à son roi et à sa patrie, et suspect même à ses nouveaux amis.
Cette mort, loin d'arrêter l'armée, ne fit que l'exciter. Claude Seidenstuker, tenant à la main sa longue épée, franchit des premiers la muraille; Michel Hartmann le -
suivit, et ces deux Allemands réformés s'écrièrent que Dieu même marchait devant 38
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle eux dans la nue. On ouvrit les portes, l'armée s'y précipita, les faubourgs furent pris, et le Pape s'enfuit dans le château Saint-Ange avec treize cardinaux. Les Impériaux, à la tête desquels se trouvait alors le prince d'Orange, lui firent proposer la paix moyennant trois cent mille écus. Mais Clément, qui croyait la sainte ligue sur le point de le délivrer, et qui s'imaginait déjà voir dans le lointain ses premiers cavaliers, repoussa toute proposition. Après quatre heures de repos, l'attaque recommença, et une heure après le coucher du soleil l'armée était maîtresse de toute la ville. Elle resta sous les armes et en bon ordre jusqu'à minuit, les Espagnols sur la Piazza Navona, et les Allemands au Campofiore. Enfin, n'apercevant aucune démonstration ni de guerre, ni de paix, les soldats se débandèrent et coururent au pillage.
Alors commença le fameux « sac de Rome. » La Papauté, depuis des siècles, avait mis la chrétienté au pressoir. Prébendes, annates, jubilés, pèlerinages, grâces ecclésiastiques, elle avait fait argent de tout. Ces troupes avides, qui depuis bien des mois ne vivaient que de misère, prétendirent lui faire rendre gorge. Nul ne fut épargné, les Impériaux pas plus que les Ultramontains, les Gibelins .pas plus que les Guelfes. Églises, palais, couvents, maisons particulières, basiliques, banques, tombeaux, tout fut pillé, jusqu'à l'anneau d'or que portait encore au doigt le cadavre de Jules II. Les Espagnols se montrèrent les plus habiles ; ils flairaient l'argent et le dépistaient dans les cachettes les plus mystérieuses. Mais les Napolitains étaient plus dissolus et plus violents [13]. « On entendait, dit Guicciardini, les cris pitoyables des femmes romaines et des religieuses que les soldats emmenaient par troupes pour assouvir leur brutalité [14]. »
Les Allemands trouvèrent d'abord un certain plaisir à faire sentir aux Papistes le poids de leurs glaives; mais bientôt, heureux d'avoir enfin à manger et à boire, ils se montrèrent plus débonnaires que leurs alliés. C'était sur les choses que les Romains appelaient « saintes » que se déchargeait la colère des Luthériens. Ils enlevaient les calices, les ciboires, les ostensoirs d'argent, et revêtaient d'habits sacerdotaux des valets et des goujats [15]. Le Campofiore était changé en une immense salle de jeu.
On y apportait des sacs d'écus, des vases d'or, on les mettait sur un coup de dés; et après les avoir perdus, on allait en piller d'autres.
Un certain Simon Baptista, qui avait prédit le sac de la ville, avait été jeté en prison par le Pape; les Allemands le délivrèrent, et le firent boire avec eux. Mais, comme Jérémie, il prophétisait contre tous : « Prenez, pillez, cria-t-il à ses libérateurs; vous rendrez pourtant tout; l'argent des soldats et l'or des prêtres suivront le même chemin. Rien n'amusait les Allemands comme de se moquer de la cour du Pape. «
Plusieurs prélats, dit Guicciardini, étaient promenés par toute la ville de Rome sur des ânes [16]. » Après cette procession, les évêques payaient leur rançon; mais ils tombaient dans les mains des Espagnols, qui la leur faisaient payer une seconde fois.
39
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Un jour, un lansquenet, Guillaume de Sainte—Celle, se revêtit des habits du Pape et posa sur sa tête la triple couronne; d'autres, se décorant des chapeaux et des longues robes rouges des cardinaux, l'entourèrent; et tous, se promenant sur des ânes dans les rues de la ville, arrivèrent devant le château Saint-Ange, où Clément VII se tenait caché. [17]
Là, les soldats-cardinaux mirent pied à terre, et, retroussant de la main le devant de leurs robes, ils baisèrent les pieds du prétendu pontife. Celui-ci but à la santé de Clément VII; les cardinaux à genoux firent de même, et s'écrièrent que, dès cette heure, ils seraient de pieux papes et de bons cardinaux, qui se garderaient bien d'exciter des guerres comme ceux qui les avaient précédés. Puis ils se formèrent en conclave ; et le pape ayant annoncé à son consistoire que son intention était de'
remettre sa papauté, aussitôt les mains se levèrent pour l'élection, et tous de s'écrier : « Luther pape ! Luther pape [18]'! » Jamais pontife n'avait été proclamé avec un si complet accord. Tels étaient les rires des Allemands.
On n'eut pas si bon març4 des Espagnols. Clément VII les avait nommés « Maures, »
et avait publié une indulgence plénière pour quiconque les tuerait. Aussi rien ne pouvait contenir leur fureur. Ces fidèles catholiques faisaient mourir les prélats au milieu d'horribles tortures destinées à leur arracher leurs trésors, et ils ne respectaient ni rang, ni sexe, ni âge. Ce ne fut qu'après un sac de dix jours, un butin de dix millions d'écus d'or, et la mort de cinq à huit mille victimes, que l'ordre et la paix commencèrent un peu à se rétablir.
Ainsi la cité pontificale expirait au milieu d'un pillage long et cruel ; et cette splendeur, dont Rome, depuis le commencement du seizième siècle, remplissait le monde, s'éteignait en quelques heures. Rien ne put soustraire au châtiment cette ville superbe, pas même les prières de ses ennemis. « Je ne voudrais pas, s'était écrié « Luther, que Rome fût brûlée. Ce serait une chose « monstrueuse [19]. »
Les craintes de Mélanchton étaient encore plus vives : « Je crains pour les bibliothèques, disait-il; on sait combien les livres sont odieux à Mars » Malgré ces vœux des réformateurs, la ville de Léon X succomba sous le jugement de Dieu.
Clément VII, assiégé dans le château Saint-Ange, craignant que l'ennemi ne fit, avec des mines, sauter sa demeure, capitula enfin : il renonça à toute alliance contre Charles-Quint, et s'engagea à demeurer prisonnier jusqu'à ce qu'il eût payé à l'armée quatre cent mille ducats.
Les chrétiens évangéliques contemplèrent avec étonnement ce jugement du Seigneur. « Tel est l'empire de Jésus-Christ, dirent-ils, que l'Empereur, poursuivant Luther à cause du Pape, est contraint à ruiner le Pape au lieu de Luther [20].
« Toutes choies servent au Seigneur, et tournent contre ses adversaires'. [21]»
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FOOTNOTES
[1] Vol. II, liv. 7, dupe 8.
[2] Haug Marschalk, dit Zoller.
[3] Caroli Imperat. Rescriptum ad Clementi& septimi Pape criminationes. (Goldasti, Constitut. imperiales, I, p. 479.)
[4] Non jam pastoris seu communis patris laudem, sed superbi et insolentis nomen.
(lb., 487.)
[5] Cum id ab evangelica doctrina prorsus alienum videtur. (Ibid., p. 489.)
[6] Utriusque potestatis apicem Papa tenet. (Turrecramata, de Potestate papali.)
[7] Apocalypse, ch. XVIII. On ne saurait, du reste, borner cette prédiction au sac incomplet et réparé de 1527.
[8] Papa ubique visitatur, ut destruatur : venit enim finis et bora ejus. ( Ad Haiismann, nt janvier 1527; L. Epp. p. 156. )
[9] Laer ! lanz! Geld ! field !
[10] Cum vero hastas ducibus obverterent, indignatione et regritudine animi oppressus, Fronsbergius subito in deliquium incidit, ita ut in tympano quod adstabat desidere cogeretur, nullum verbum proloqui amplius posset. (Secte., H, p.
79.)
[11] Guicciardini, vol. II, p. 721.
[12] Depuis la nouvelle enceinte élevée par Urbain VIII sur le haut du Janicule, la porte du Saint-Esprit et celle de Setti-miane sont devenues inutiles.
[13] Jovius, Vita Pompeï Colonnae, p. 191. Ranke, Deutsche Gesch., II, 398.
[14] Guicciardini, II, p. 724.
[15] Sacros calices, pixides et monstrantias rapiebant ; sacras vestes prophanis induebant liais. (Cochl., z 56.)
[16] Guerres d'Italie, II, p. 723.
[17] Eurodem civem sen ourialem baud raro, nunc ab Hispanis, nunc a Germanis aere mutuato redimi. (Coehkeus, i56.)
[18] Milites itaque levasse manum, ac exclamasse : Lutherus papa! Lutherus papa!
(Ibid.)
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[19] Romam nollem exustam ; magnum enim portentum esset. (L. Epp., II, p. 221.)
[20] Bletti° bibliothecis. (C. Ref., I, p. 869.)
[21] Ut Csar pro Papa Lutherum persequens, pro Luthero Papam cogatur vastare.
(L. Epp., III, p. 188.)
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE III
Constitution de l'Église. — Ordre démocratique. Réformation de la liesse. — Un soupirail. — Le Landgrave et Lambert. — Les paradoxes. -- Frère Boniface. Dispute de Hamberg. — Triomphe de — Première constitution évangélique. — Le chef. ---
Évêques. — Élections. —Discipline. — Subvention. — Administration. — Synode général. — inspecteurs. — Intérieur et extérieur dans l'Église. — Premiers principes de Luther. — Il admet l'influence des princes. — Deux extrêmes. — Contradictions. —
Dieu dans l'État. — Indépendance de l'Église.— Deux besoins : des ministres et des fidèles.— Luther s'adresse à l'Électeur.—Droit de contrainte des princes. — Visite des Églises décrétée. —Principes conservateurs de Mélanchton. — Ce qu'il conserve —
Étonnement des Évangéliques et des Papistes. — Visite générale. — Ses résultats. —
Progrès de la Réformation. — Villes impériales. — Franconie. —Frise.—
Brandebourg. — Élisabeth de Brandebourg. — Sa fuite. — Elle arrive en Saxe En effet, il fallait quelques années de paix à la Réforme pour qu'elle crût et se fortifiât, et elle ne pouvait avoir la paix que si ses deux grands ennemis se faisaient la guerre. La folie de Clément VII préserva la Réformation du coup qui la menaçait, et la ruine de Rome édifia l'Évangile. Ce ne fut pas seulement un gain de quelques mois; depuis 1526 jusqu'en 1529, il y eut en Allemagne un calme dont la Réformation profita pour s'organiser et s'étendre; suivons-la dans ses nouveaux développements.
Une constitution devait maintenant être donnée à l'Église renouvelée. Le joug papal ayant été rompu, l'ordre évangélique devait être rétabli. Rendre aux évêques leur ancienne juridiction était impossible; car ces prélats prétendaient être avant tout les serviteurs du Pape. Il fallait donc un nouvel état de choses, sous peine de voir l'Église tomber dans l'anarchie. On y pourvut. Ce fut alors que les peuples évangéliques se séparèrent définitivement de cette domination despotique qui, depuis des siècles, tenait tout l'Occident dans ses chaînes.
Déjà, à deux reprises, la Diète avait voulu faire de la réforme de l'Église une œuvre nationale; l'Empereur, le Pape et quelques princes s'y étaient opposés; la diète de Spire avait donc remis à chaque État l'œuvre difficile qu'elle-même ne pouvait pas accomplir.
Mais quelle constitution allait-on substituer à la hiérarchie papale ?
On pouvait, en supprimant le pape, garder tout l'ordre épiscopal : c'était la forme la plus rapprochée de celle qu'on allait abolir. C'est ce qui se fit plus tard en Angleterre; mais une Église épiscopale et pourtant évangélique était impossible sur le continent ; il n'y avait là, parmi les évêques, ni des Cranmer, ni des Latimer. On pouvait, au contraire, reconstruire l'ordre ecclésiastique, en recourant à la souveraineté de la parole de Dieu, et en rétablissant les droits du peuple chrétien, 43
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle C'était la forme la plus éloignée de la hiérarchie romaine. Entre ces deux ordres extrêmes, il y en avait d'intermédiaires.
Le second de ces points de vue était celui de Zwingle, mais le réformateur de Zurich n'avait pas été jusqu'au bout. Il n'avait pas appelé le peuple chrétien à exercer sa souveraineté, et s'était arrêté au conseil des Deux-Cents, comme représentant l'Église.
Le pas devant lequel Zwingle avait hésité pouvait se faire et se fit. Un prince ne recula pas devant ce qui avait effrayé des républicains même.
L'Allemagne évangélique, au moment où elle se mit à essayer des constitutions ecclésiastiques, commença par celle qui tranchait le plus fortement avec la monarchie papale.
Ce n'était pourtant pas de l'Allemagne que ce système devait sortir. Si l'aristocratique Angleterre devait se tenir à la forme épiscopale, la docile Allemagne devait plutôt s'arrêter dans un milieu gouvernemental. Ce fut de la France et de la Suisse que l'extrême démocratique jaillit. Un prédécesseur de Calvin arbora alors ce drapeau, que la main puissante du réformateur de Genève devait relever plus tard, et planter en France, en Suisse, en Hollande, en Écosse, en Angleterre même, d'où il devait, un siècle après, croiser l'Atlantique sur un vaisseau, et appeler l'Amérique du Nord à prendre rang parmi les peuples. [1]
Nul parmi les princes évangéliques de Spire n'était aussi entreprenant que Philippe de Hesse ; on l'a comparé à Philippe de Macédoine pour la finesse, et à son fils Alexandre pour le courage. Philippe comprenait que la religion acquérait enfin l'importance qui lui est due, et, loin de s'opposer au grand développement qui travaillait les peuples, il se mettait en harmonie avec les idées nouvelles.
L'étoile du matin s'était levée pour la Hesse presque en même temps que pour la Saxe. En 1517, lorsque Luther proclamait à Wittemberg la rémission gratuite des péchés, on voyait à Marbourg des hommes et des femmes se rendre secrètement dans l'un des fossés de la ville, et là, près d'un soupirail solitaire, prêter l'oreille à une voix qui en sortait, et qui faisait entendre à travers les barreaux de consolantes doctrines. Cette voix était celle du franciscain Jacques Limbourg, qui, ayant prêché que, depuis quinze siècles, les prêtres falsifiaient l'Évangile de Christ, avait été jeté dans ce cachot obscur. Ces rassemblements mystérieux durèrent quinze jours. Tout à coup la voix cessa; ces réunions du désert avaient été découvertes, et le franciscain, arraché à son souterrain, avait été entraîné à travers le Lahnberg, dans une contrée inconnue. Non loin du Ziegenberg, des bourgeois éplorés de Marbourg l'atteignirent, et, tirant brusquement la toile qui recouvrait son char, ils lui dirent : « Où allez-vous? »— «Où Dieu veut, » répondit tranquillement frère Jacques [2]. Il n'en fut plus 44
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle question, et l'on ne sait ce qu'il devint. Ces disparitions sont dans les coutumes de la Papauté.
A peine Philippe eût-il eu le dessus dans la diète de Spire, qu'il résolut de se consacrer à la réformation de ses États héréditaires.
Son caractère résolu le faisait pencher vers la réforme suisse : aussi n'était-ce pas un homme de juste-milieu qu'il lui fallait. Il s'était lié à Spire avec Jacques Sturm, député de Strasbourg. Sturm lui parla de François Lambert d'Avignon, alors à Strasbourg. D'un extérieur agréable, d'un caractère décidé, Lambert joignait au feu du Midi la persévérance des hommes du Nord. Le premier en France, il avait déposé le capuchon, et n'avait cessé dès lors de demander que toute l'Église fit radicalement réformée. Ce n'était pas pour le luxe et les aises de la vie qu'il avait embrassé l'Evangile. « Anciennement, disait-il, quand j'étais un hypocrite, je vivais dans l'abondance; maintenant je mange chrétiennement avec ma petite famille le pain de mon ordinaire ' ; niais plutôt être pauvre dans le royaume de Jésus-Christ, que d'avoir abondance d'or dans les maisons de dé« banche du Pape. [3]» Le Landgrave reconnut que Lambert était son homme, et l'appela.
Lambert, voulant préparer la réforme de la Hesse, composa cent cinquante-huit thèses, qu'il nomma « paradoxes; » et qu'il fit afficher, selon la coutume du temps, aux portes des églises. [4]
Aussitôt amis et ennemis s'y pressèrent en foule. Des catholiques-romains eussent voulu les déchirer, mais les bourgeois réformés faisaient sentinelle, et, tenant synode sur la place publique, discutaient, développaient, prouvaient ces thèses, et se moquaient de la colère des Papistes.
Un jeune prêtre, plein d'idée de lui-même, que l'Évêque, le jour de la consécration, avait élevé pour la science au-dessus de saint Paul, et pour la chasteté au-dessus de la Vierge, Boniface Dornemann, se trouvant de trop petite taille pour atteindre au placard de Lambert, avait emprunté un escabeau, et, entouré d'une nombreuse audience ; s'était mis à lire à haute voix les thèses
«Tout ce qui est déformé doit être réformé. La parole de Dieu seule enseigne ce qui doit l'être, et toute réforme qui se fait autrement est vaine [5].» C'était la première thèse. « Hem ! dit le jeune prêtre, je n'attaquerai pas cela. » Il continua. « C'est à l'Église qu'il appartient de juger des choses de la foi. Or, l'Église est la congrégation a de ceux qu'unissent le même esprit, la même foi, le même Dieu, le même médiateur, la même « Parole, par laquelle seule ils sont gouvernés, et en laquelle seule ils ont la vie [6]. »
« Mais, dit encore tout haut le jeune prêtre, je «ne saurais combattre cette proposition [7].» Il continua, toujours sur sou escabeau. « La Parole est la véritable clef. A celui qui croit «à la Parole le royaume des cieux est ouvert, et «à celui qui n'y 45
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle croit pas il est fermé. Quiconque «donc possède vraiment la Parole de Dieu a la
«puissance des clefs. Toutes les autres clefs, tons et les décrets des conciles et des papes, et toutes les règles des moines, n'ont aucune valeur. Le frère Boniface branla la tête et poursuivit. « Depuis que le sacerdoce de la loi est aboli, « Christ est le seul, immortel et éternel sacrificateur, et il n'a pas besoin de successeurs bu- «mains. Ni l'évêque de Rouie, ni qui que ce soit «au monde, n'est son représentant ici-bas. Mais tous les chrétiens sont et ont été, depuis le commencement de l'Église, participants de son sacerdoce. » Cette thèse sentait bien l'hérésie. Dornemann pourtant ne se découragea pas; et, soit faiblesse d'esprit, soit commencement de lumière, à chaque proposition qui ne heurtait pas trop ses préjugés, il ne manquait pas de répéter : «
Certes, je n'attaquerai pas cela. » On l'écoutait avec étonnera nt, lorsqu'un bourgeois de l'audience, était-ce un fanatique romain, un fanatique réformé, au un mauvais plaisant ? je l'ignore, — fatigué de ces répétitions continuelles, s'écria :
« Ote-toi de là, mauvais drôle, qui ne sais pas trouver un mot à « attaquer!» Puis, donnant brutalement un coup de pied à l'escabeau, il fit tomber le malheureux clerc tout à plat dans la boue [8].
Le 21 octobre 1526, à sept heures du matin, les portes de l'église principale de Homberg s'ouvrirent, et l'on y vit entrer successivement les prélats, abbés, prêtres, comtes, chevaliers et députés des villes, et au milieu d'eux Philippe, en sa qualité de premier membre de l'Église.
Alors Lambert, ayant expliqué et prouvé ses thèses, ajouta : « Que celui qui a quelque chose à « leur opposer se lève. » Il se fit d'abord un grand silence; mais enfin le père gardien des franciscains de Marbourg, Nicolas Ferbert, qui en 1524, recourant à l'argument favori de Rome, avait supplié le Landgrave d'employer le glaive contre les hérétiques, se mit à parler, la tête inclinée, les yeux abattus et fixés vers la terre; mais, comme il appelait à son secours saint Augustin, Pierre Lombard et d'autres docteurs : « Ne mettez pas en « avant les opinions chancelantes des hommes, « lui dit le Landgrave, mais la parole de Dieu, qui, « seule, fortifie et affermit nos cœurs. » Le franciscain, interdit, s'assit en disant : « Ce n'est pas « ici le lieu de répondre. » La dispute pourtant recommença.
Lambert, déployant la puissance de la vérité et les ressources de son éloquence, étonna tellement son adversaire, que le gardien, épouvanté par ce qu'il appelait «
des tonnerres de blasphème et des foudres d'impiété [9], » se rassit encore, en disant : « Ce n'est pas ici le lieu de répondre. »
En vain le chancelier Feige lui déclara-t-il que chacun avait le droit de dire son opinion avec une entière liberté ; en vain le Landgrave lui-même lui cria-t-il que l'Église soupirait après la vérité : le mutisme était devenu le refuge de Rome. « Moi,
« je défendrai le purgatoire, » avait dit un prêtre avant la dispute. « Moi, j'attaquerai les paradoxes « du titre VI (sur le vrai sacerdoce), » avait dit un autre [10]. Un 46
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle troisième s'était écrié : « Mol, je renverserai ceux du titre X (sur les images). » Mais maintenant ils gardaient tous le silence.
Alors Lambert, après avoir encore à trois reprises sommé en vain ses adversaires de prendre la parole, joignit les mains et s'écria, comme Zacharie : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, de ce qu'il a visité et racheté son peuple! »
Après trois jours de dispute, qui avaient été pour la doctrine évangélique un continuel triomphe, on chargea des hommes choisis de constituer les églises de la Hesse d'après la parole de Dieu. Ils y travaillèrent pendant trois jours, puis la nouvelle constitution fut publiée au nom du synode.
La première constitution ecclésiastique, produite par la Réformation, doit trouver place dans l'histoire, d'autant plus qu'elle fut alors présentée comme constitution-modèle aux nouvelles églises de la chrétienté
L'autonomie, ou le gouvernement de l'Église par elle-même, en est le principe fondamental ; c'est de l'Église et de ses représentants qu'émane cette législation ; il n'est fait aucune mention dans le prologue ni de l'État ni du Landgrave [11].
Philippe, satisfait d'avoir brisé pour lui et pour son peuple le joug d'un prêtre étranger, ne voulait point se mettre à sa place, et se contentait d'une surveillance extérieure nécessaire au maintien de l'ordre.
Un second trait qui distingue cette constitution, c'est la simplicité soit dans le gouvernement, soit dans le culte. L'assemblée conjure les synodes futurs de ne pas charger les églises d'une multitude d'ordonnances, « attendu que là où les ordres «
abondent, le désordre surabonde. [12]» On ne voulut pas met-ne des orgues dans les temples, parce que, dit-on, il faut que les hommes comprennent ce qu'ils entendent
[13]. Plus les ressorts de l'esprit humain ont été ployés en un certain sens, plus on les voit, quand ils se débandent, se jeter avec violence dans le sens contraire.
L'Église passa alors Cette constitution se trouve dans de l'extrême des pompes et des symboles à l'extrême de la simplicité. Voici les principaux traits de cette constitution :
« L'Église ne peut être enseignée et gouvernée « que par la parole de son Souverain Pasteur. Quiconque aura recours à une autre parole sera déposé et excommunié [14].
« Tout homme pieux, instruit dans la parole de « Dieu, peut, quel que soit son état, être élu évêque, s'il le désire, car il est appelé intérieurement de Dieu [15].
« Que personne ne croie que par-évêque nous « entendions autre chose qu'un simple ministre de la parole de Dieu [16].
« Les ministres sont des serviteurs, et par con« séquent ils ne doivent pas être des seigneurs, des princes et des dominateurs.
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle
« Que les fidèles se rassemblent, et qu'ils élisent « leurs évêques et leurs diacres : chaque église doit « élire son pasteur [17].
« Que ceux qui sont élus évêques soient consacrés pour leur office par l'imposition des mains de trois évêques; et quant aux diacres, s'il n'y a pas de ministres présents, qu'ils reçoivent l'imposition des mains des anciens de l'Église [18].
« Si un évêque donne quelque scandale à l'Église « par sa mollesse ou par le luxe de ses vêtements, ou par la légèreté de sa conduite, et qu'étant « averti il persiste, qu'il soit déposé par l'Église [19].
« Que chaque église mette son évêque en état de vivre, avec sa famille et d'être hospitalier, comme Paul l'ordonne ; mais que les évêques n'exigent rien pour leurs fonctions casuelles [20]. « Que chaque dimanche il y ait, dans un lieu commun, une assemblée de tous les hommes « qui sont mis au nombre des saints, pour régler, «
avec l'évêque, d'après la parole de Dieu, toutes les affaires de l'Église, et pour excommunier quiconque donne scandale à l'Église; car l'Église de Christ n'a jamais existé sans exercer l'excommunication [21].
« De même que pour la direction des églises particulières il faut une assemblée chaque semaine, de même, pour la direction des églises de tout un pays, il faut, chaque année, un synode général [22].
« Tous les pasteurs en sont membres naturels ; « mais de plus chaque église élira dans son sein un homme plein d'esprit et de foi, auquel elle remettra ses pouvoirs pour tout ce qui est du ressort du synode [23]'.
« Chaque année on élira trois visiteurs, chargés de parcourir toutes les églises, d'examiner ceux qu'elles ont élus pour évêques, de confirmer ceux d'entre eux qui seront approuvés, et de « pourvoir à l'exécution des arrêtés du synode.
On trouvera, sans doute, que cette première constitution évangélique alla dans quelques points jusqu'aux extrêmes de la démocratie ecclésiastique; mais il s'y était glissé certaines institutions qui pouvaient grandir, et en changer la nature. On substitua plus tard six surintendants à vie aux visiteurs annuels (qui, selon l'institution primitive, pouvaient être de simples membres de l'Église), et, comme on l'a remarqué [24], les empiétements soit de ces surintendants, soit de l'État, paralysèrent peu à peu l'activité et l'indépendance des églises de la Hesse. Il en fut de cette constitution comme de celle de l'abbé Sieyès en l'an vin, qui, devant être républicaine, servit, par l'influence-de Napoléon Bonaparte, à établir k despotisme de l'Empire.
Ce n'en est pas moins une œuvre remarquable. Des docteurs romains ont reproché à la Réformation de faire de l'Église quelque chose de trop intérieur. En effet, la Réformation et la Papauté reconnaissent deux éléments dans l'Église, l'un intérieur, 48
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle l'autre extérieur; mais tandis que la Papauté donne la primauté à celui-ci, la Réformation la donne à celui-là. Cependant, si l'on reproche à la Réformation de n'avoir qu'une Église du dedans, et de ne point créer une Église du dehors, la constitution remarquable dont nous venons de présenter quelques traits nous dispensera de répondre. L'ordre ecclésiastique extérieur, qui jaillit alors des en trailles mêmes de la Réforme, est bien plus parfait que celui de la Papauté.
Une grande question se présentait. Ces principes deviendront-ils ceux de toutes les églises de la Réformation ?
Tout semblait l'indiquer. Les hommes les plus pieux pensaient alors que le pouvoir ecclésiastique provient des membres de l'Église. Il était dans la nature des choses qu'en s'éloignant de l'extrême hiérarchique, on se jetât dans l'extrême démocratique.
Luther lui-même avait professé cette doctrine dès 1523. Les Calixtins de Bohème, voyant les évêques de leur pays leur refuser des ministres, en étaient venus à prendre le premier prêtre vagabond. « Si vous n'avez pas d'autre moyen de vous procurer des pasteurs, leur écrivit Luther, « passez-vous-en plutôt ; et que chaque père de « famille lise l'Évangile dans sa maison et baptise ses enfants, tout en soupirant après le sacrement « de l'autel, comme les Juifs de Babylone après «
Jérusalem [25]. La consécration du Pape fait des « prêtres non de Dieu, mais du diable, des diseurs de messe, des machines à confesse, ordonnés « pour fouler aux pieds Jésus-Christ, anéantir son sacrifice et vendre au monde, sous son nom, des holocaustes inventés [26]. On naît prêtre non par « la naissance de la chair, mais par la naissance de l'esprit, et l'on ne devient ministre que par élection et par vocation : or voici comment cela doit s'opérer.
« D'abord, cherchez Dieu par la prière [27]; puis, « vous étant réunis avec tous ceux dont Dieu a touché le cœur, choisissez au nom du Seigneur « celui ou ceux que vous aurez reconnus propres « à ce ministère. Après cela, que les principaux « parmi vous leur imposent les mains, et les recommandent au peuple et à l'Église [28]. »
Luther, en appelant au peuple seul pour désigner les pasteurs, subissait une nécessité du temps. Il s'agissait de constituer le ministère ; or le ministère n'existant pas, ne pouvait avoir alors la part légitime qui lui revient dans le choix des ministres de Dieu.
Mais une autre nécessité, provenant aussi de l'état des choses, devait porter le Réformateur à dévier des principes qu'il avait établis. La Réformation, en Allemagne, n'avait guère commencé par les classes inférieures, comme en Suisse et en France ; et Luther ne trouvait presque nulle part ce peuple chrétien, qui eût dû jouer un si grand rôle dans sa constitution nouvelle. Des paysans ignorants, des bourgeois entêtés, qui ne voulaient pas même entretenir leurs ministres, tels étaient les membres de l'Église. Or, que faire avec de tels éléments 49
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Mais si le peuple était indifférent, les princes ne l'étaient pas. Ils étaient au premier rang dans la lutte, et siégeaient au premier banc dans le conseil. L'organisation démocratique dut donc céder le pas à une organisation gouvernementale. On fait l'Église avec des chrétiens, et l'on prend les chrétiens où on les trouve, en haut ou en bas. Ce fut surtout en haut que Luther les trouva. Il admit donc les princes comme représentants du peuple, et dès lors l'influence de l'État entra comme l'un des principaux éléments dans la constitution de l'Église évangélique.
Ainsi Luther, partant, quant aux principes, de l'extrême démocratique, arriva, quant au fait, à l'extrême érasmien. Jamais peut-être il n'y eut un espace aussi immense entre les prémisses posées par un homme et la conduite qu'il suivit. Si Luther franchit ce vaste intervalle sans hésiter, ce ne fut pas seulement inconséquence de sa part, ce fut surtout obligation de se soumettre aux nécessités impérieuses du temps. Les principes sur l'organisation ecclésiastique ne sont pas d'une nature absolue comme les doctrines de l'Évangile; leur application dépend, à quelques égards, de l'état de l'Église. Cependant il y eut bien quelque inconséquence de la part du Réformateur. Il s'exprima souvent d'une manière contradictoire sur la part que les princes doivent prendre ou ne pas prendre aux affaires religieuses.
C'est là un point sur lequel Luther et son siècle ne furent point au clair. Ils en avaient bien d'autres à éclaircir.
Dans la pensée du Réformateur, la tutelle exercée par le prince ne devait être que provisoire. Les fidèles étant alors dans un état de minorité, ils avaient besoin d'un tuteur : mais le temps de la majorité pouvait venir pour l'Église, et alors viendrait l'émancipation.
Comme nous l'avons dit ailleurs, nous n'entendons pas prononcer ici sur cette grande controverse; mais il y a certaines vérités fondamentales que l'on ne peut point oublier. Dieu est le principe duquel tout émane et qui doit tout régir, les sociétés aussi bien que les individus, l'État aussi bien que l'Église. Dieu a affaire avec les gouvernements, et les gouvernements ont affaire avec Dieu. Les grandes vérités dont l'Église est dépositaire doivent agir sur toute une nation, sur celui qui est assis sur le trône, comme sur le paysan dans son humble cabane. Ce n'est pas seulement comme individu que le prince doit être éclairé par le flambeau du christianisme, c'est aussi comme gouverneur de son peuple. Dieu doit être dans l'État. Vouloir mettre d'un côté les nations, les gouvernements, la vie sociale et politique, et de l'autre, Dieu, sa Parole et son Église, comme s'il y avait entre ces deux mondes un grand abîme, et qu'ils ne dussent pas se toucher, ce serait à la fois une idée de lèse-humanité et de lèse-divinité.
Mais s'il doit y avoir une union intime entre ces deux ordres de choses, il faut chercher les moyens les plus propres à l'obtenir. Or, si la direction de l'Église est remise au gouvernement civil, comme ce fut le cas en Saxe, il est fort à craindre que 50
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle la réalité de cette union ne soit compromise, et que l'infiltration des forces célestes dans le corps de la nation ne soit obstruée. L'Église, administrée par un département civil, se sécularisera peu à peu, et perdra sa sève primitive. C'est ce qui s'est vu en Allemagne, où la religion est tombée en quelques lieux jusqu'au rang d'une administration toute temporelle. Pour qu'un être exerce toute l'influence dont il est capable, il doit avoir son libre développement.
Laissez un arbre croître en pleine terre et sans contrainte, vous jouirez mieux de son ombrage, et vous y cueillerez plus de fruits que si vous le plantiez dans un vase et le renfermiez dans votre cabinet. Il en est de même de l'Église de Christ. L'État ne doit pas commander à l'Église, comme l'Église ne doit pas commander à l'État.
Le protestantisme, en devenant gouvernemental, cessa d'être universel. Le nouvel esprit était capable de créer une nouvelle terre. Mais, au lieu de lui frayer des voies nouvelles, et de se proposer la régénération de toute la chrétienté et la conversion de tout l'univers, on chercha à se caser le plus commodément possible dans quelques duchés allemands. Cette timidité, appelée prudence, fit un tort immense à la Réformation.
La prérogative organisatrice une fois assignée aux conseils des princes, on pensa à l'organisation même, et Luther se mit à l'œuvre; car, quoiqu'il ait été par excellence l'homme agressif, et Calvin l'homme organisateur, ces deux qualités, aussi nécessaires aux réformateurs de l'Église qu'aux fondateurs d'empire, n'ont manqué ni à l'un ni à l'autre de ces grands serviteurs de Dieu.
Il fallait former un nouveau ministère; car la plupart des ecclésiastiques qui avaient quitté la Papauté s'étaient contentés de recevoir le mot d'ordre de la Réforme. Ces ex-prêtres du Pape étaient en général peu propres à devenir ministres du Seigneur.
Plongés dans les erreurs et les désordres habituels du clergé, et ne connaissant point l'essence de l'Évangile, ils s'en tenaient à la lettre de la polémique de Luther, sans avoir éprouvé la vertu sanctifiante de la vérité.
Il y avait 'rhème telle paroisse où le curé prêchait l'Évangile dans son église principale, et chantait la messe dans son annexe [29].
Mais il fallait plus encore que des ministres : un peuple chrétien devait être créé.
Luther avait le cœur brisé par l'état des troupeaux. « Partout, disait-il, on voit des paysans qui ne savent rien, «qui n'apprennent rien, qui ne font rien, si ce n'est d'abuser de la liberté ; qui ne confessent «pas leurs fautes et ne célèbrent point la Cène du «Seigneur, comme si la religion était une chose «à jamais passée. Hélas! ils ont abandonné leurs dogmes et leurs rites romains, et ils se moquent des nôtres [30].
Voilà, ajoutait-il, voilà l'œuvre des évêques du Pape [31]. »
51
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Luther ne recula pas devant cette double nécessité. Il se mit à chercher de nouveaux pasteurs et de nouveaux troupeaux, et recourut au prince pour l'accomplissement de cette œuvre.
Convaincu qu'une visite générale des églises était nécessaire, il s'adressa, dès le 22
octobre 1526, à l'Électeur. « Il y a parmi nos gens tant d'ingratitude envers la parole de Dieu, lui dit-il, que, si je pouvais le faire en bonne conscience, je les laisserais vivre sans pasteurs, comme des pourceaux; mais nous ne le pouvons. Partout où des villes et des villages qui pourraient posséder des écoles et des pasteurs méprisent de tels biens, Votre Altesse, en sa qualité de tuteur de la jeunesse et de tous ceux qui ne savent pas se conduire eux-mêmes, doit contraindre les habitants à recevoir ces moyens de grâce, comme on les contraint à travailler aux chemins, aux ponts et à d'autres corvées' [32]. L'ordre papal étant aboli, toutes les fondations tombent en vos mains comme en celles du chef suprême. «C'est à vous qu'il appartient de régler ces choses ; nul autre ne s'en soucie, nul autre ne le peut, nul autre ne le doit [33].
Chargez donc quatre personnes de visiter tout le pays : que deux s'enquièrent des dîmes et des biens ecclésiastiques ; que deux autres s'occupent de la doctrine, des écoles, des églises et des pasteurs. »
On pourrait se demander, en entendant ces paroles, si l'Église, qui s'était formée au premier siècle sans le secours des princes, ne pouvait pas, au seizième siècle, se réformer sans eux; et si, au lieu de faire antichambre au palais des grands, les réformateurs n'eussent pas dû fermer la porte de leur cabinet, prier le Père qui est au ciel, et agir ensuite avec toute l'énergie de leur foi?
Luther ne se contenta pas de solliciter par écrit l'intervention du prince. Rien ne l'irritait comme de voir les courtisans, qui, du temps de l'électeur Frédéric, s'étaient montrés les ennemis acharnés de la Réformation, se jeter maintenant, « en jouant, en riant, en gambadant, dit-il, sur les dépouilles de l'Église. [34]» Aussi, à la fin de cette année, l'Électeur étant venu à Wittemberg, Luther se rendit aussitôt au palais, fit ses plaintes au prince électoral qu'il rencontra à la porte; puis, sans s'embarrasser de ceux qui l'arrêtaient, pénétra de force dans la chambre à coucher de l'Électeur; et, interpellant ce prince surpris d'une visite si inattendue, le supplia de porter remède aux maux de l'Église. La visite des églises fut résolue, et Mélanchton fut chargé de rédiger l'instruction nécessaire.
Deux points devaient particulièrement attirer l'attention des commissaires : la discipline et le culte de l'Église. Dès 1526, Luther avait publié sa messe allemande,
[35]» mot par lequel il désignait l'ordre de l'Église en général.
« Les vraies assemblées évangéliques, avait-il dit, n'ont pas lieu publiquement, pêlemêle, en y admettant des gens de toute espèce; mais elles sont formées ci de chrétiens sérieux, qui confessent l'Évangile par leurs paroles et par leur vie [36], et au milieu desquels on peut reprendre et excommunier selon la règle de Christ '. Je 52
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle ne puis instituer de telles assemblées, car je n'ai personne à y mettre [37], mais si la chose devient possible, je ne manquerai pas à ce devoir. »
Ce fut aussi avec la conviction qu'il fallait donner à l'Église, non le meilleur culte imaginable, mais le meilleur possible, que Mélanchton travailla à son instruction.
La paix! telle fut, pendant toute sa vie, la boussole de ce réformateur. « Je n'aurai jamais rien de plus cher que la paix publique [38], écrivait-il à Érasme, Or l'Écriture sainte met quelque chose avarie la paix [39]. La pureté de doctrine, que Dieu veut avant tout, n'occupant plus que la seconde place dans la pensée de Mélanchton, la Réformation était en péril. Si Lambert, en Hesse, avait été à l'extrême des principes scripturaires, Mélanchton, en Saxe, allait se jeter vers l'extrême des principes traditionnels. Il y eut alors comme un revirement dans la Réformation allemande.
Au principe réformateur se substitua le principe conservateur. Mélanchton écrivit à l'un des inspecteurs [40] : « Tout ce que vous pouvez garder des vieilles cérémonies, garder le, je vous en conjure [41]'. N'innovez pas beaucoup, car toute innovation nuit au peuple [42]. »
En conséquence, on conserva la messe latine, en y mêlant quelques cantiques allemands [43], la communion sous une seule espèce pour ceux qui se faisaient scrupule de la prendre sous deux, une confession faite au prêtre sans être pourtant obligatoire, plusieurs fêtes des saints, les vêtements sacrés [44], et beaucoup d'autres rites, dans lesquels, disait Mélanchton, « il n'y a pas de mal, quoi qu'en dise Zwingle. Condamner de telles cérémonies, ajoutait-il, ce n'est pas de la piété, c'est de la fureur [45]. »
En même temps, Mélanchton exposait avec réserve les doctrines de la Réformation, et faisait passer au second plan ce qui s'était trouvé au premier; en sorte que, dans bien des cas, l'on ne pouvait plus voir de différence entre la doctrine romaine et la doctrine réformée.
Il est juste de reconnaître l'empire des faits et des circonstances sur ces organisations ecclésiastiques ; mais il est un empire qui s'élève plus haut encore : c'est celui de la parole de Dieu. La Réformation s'oubliait elle-même. Il était nécessaire que l'œuvre fût un jour reprise, et rétablie sur son plan primitif. Cette gloire fut celle de Calvin qu'elle est de Mélanchton. Luther n'a pas été si loin dans la voie des concessions.
Un cri général s'éleva, soit dans le camp de Rome, soit dans celui de la Réformation.
« On trahit notre cause, s'écriaient quelques-uns des chrétiens évangéliques; on nous enlève la liberté que Jésus-Christ nous avait donnée [46]» Agricola d'Eisleben accusait Mélanchton de vouloir substituer une morale légale à la bonne nouvelle de l'Évangile, et l'appelait un double papiste.
53
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle De leur côté, les ultramontains disaient hautement que l'enseignement de Mélanchton tenait un certain milieu entre la doctrine catholique- romaine et, celle de la Réforme [47]. Érasme insinuait que Luther commençait enfin à se rétracter.
Cochléus publiait une gravure horrible, » dit-il lui-même, ou l'on voyait d'un même capuchon sortir un monstre à sept têtes, représentant Luther. Chacune de ces têtes avait des traits différents, et toutes ensemble, prononçant des paroles affreuses et contradictoires, se disputaient, se déchiraient, et se mangeaient entre elles [48].
Faber enfin, chapelain de Ferdinand et plus tard évêque de Vienne, écrivait de Bohême à Mélanchton, peut-être malicieusement, pour lui offrir une bonne place au près du roi
L'Électeur, étonné, résolut de communiquer l'instruction de Mélanchton à Luther.
Mais jamais le respect de celui-ci pour son ami ne se montra d'une manière plus éclatante. Il ne fit à l'écrit de Mélanchton qu'une ou deux additions peu importantes, et le renvoya avec de grands éloges. On eût dit un lion qui, entouré d'un filet, lèche la main qui lui rogne les ongles.
La visite générale commença. Luther en Saxe, Spalatin dans les contrées d'Altenbourg et de Zwickau, Mélanchton en Thuringe, Thuringe en Franconie, avec des substituts ecclésiastiques et plusieurs collègues laïques, se mirent en marche en octobre et en novembre 1528 [49].
On procéda avec des ménagements extrêmes à l'égard des prêtres, se bornant à exiger qu'ils renvoyassent ou épousassent leurs compagnes, et qu'ils s'engageassent à enseigner à l'avenir une doctrine plus pure. Un petit nombre de curés d'une ignorance trop grossière et d'une vie trop scandaleuse furent seuls congédiés [50].
Les inspecteurs mirent en ordre les biens ecclésiastiques, en attribuant une partie à l'entretien du culte, et plaçant l'autre à l'abri du pillage.
Les gentilshommes papistes avaient déjà, en plusieurs lient, mis la main sur les couvents. Aussi Luther disait' il qu'ils étaient à cet égard plus luthériens que les luthériens eux-mêmes. Les couvents demeurèrent supprimés. Cette suppression a donné lieu à de singuliers reproches. On a exalté l'Église romaine comme riche en corporations de la charité chrétienne, et l'on a prétendu que la séparation avait affaibli chez nous la force organisatrice. Il y tt peut-être quelque chose de spécieux dans cette remarque; néanmoins les sociétés protestantes modernes, destinées à répandre sur tonte la terre les bienfaits de l'Évangile par la Bible, par des missions et d'autres moyens encore, remplacent certes lei ordres monastiques avec de grands avantages. C'est le christianisme évangélique qui est maintenant à la tête de la chrétienté en fait d'association et d'organisation; et ce qui se fait à cette heure dans l'Église romaine n'est qu'une simple réaction de l'activité protestante.
Partout on établit l'unité de l'enseignement. Le petit et le grand catéchisme de Luther, qui parurent en 1529, contribuèrent plus peut-être qu'aucun autre écrit à 54
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle répandre dans les nouvelles églises l'antique foi des apôtres. Les pasteurs as grandes villes furent chargés, sous le nom de surintendants, de surveiller les églises et les écoles. En abandonnant le célibat, les ministres formèrent le germe d’un tiers état, d'où se répandirent plus tard, dans tous les rangs de la société, la science, l'activité et les lumières. C'est là une des causes les plus réelles de la supériorité intellectuelle et morale qui distingue incontestablement les peuples évangéliques.
L'organisation des églises de la Saxe, malgré ses imperfections, eut, pour le moment du moins, des effets heureux. C'est que la parole de Dieu avait alors le dessus, et que partout où cette parole exerce sa puissance, les erreurs et les abus secondaires sont par là même paralysés : la vie supplée aux défauts de la forme. Les ménagements dont on usa alors provenaient au fond d'un bon principe. La Réformation ne fit point comme les enthousiastes, qui, parce qu'une institution est corrompue, la rejettent tout entière. Elle ne dit pas, par exemple : « Les sacrements sont défigurés dans l'Église, passons-nous-en ; le ministère est corrompu, rejetons-le.
» Mais elle rejeta l'abus et rétablit l'usage. Cette sagesse est la marque d'une œuvre de Dieu. Et si Luther laissa quelquefois subsister la balle à côté du froment, Calvin parut plus tard, et nettoya plus parfaitement l'aire de la chrétienté.
Ce qui s'accomplissait alors en Saxe exerça une puissante réaction sur tout l'Empire germanique; et la doctrine évangélique y fit des pas gigantesques. Le dessein de Dieu, en détournant des contrées réformées de l'Allemagne la fougère qu'il faisait tomber sur la ville aux sept collines, se vit comme à l'œil. Jamais années ne furent plus utilement employées. Ce ne fut pas seulement à se constituer que la Réforme s'appliqua, ce fut à s'étendre.
Le duché de Lunebourg, plusieurs des villes impériales les plus importantes, Nuremberg, Augsbourg, Ulm Strasbourg, Gcettingue, Goslar, Nordhausen, Lubeck, Brême, Hambourg, enlevèrent les cierges des chapelles, et y substituèrent le flambeau plus brillant de la parole de Dieu.
En vain des chanoines effrayés alléguaient-ils l'autorité de l'Église: « L'autorité de l'Église, répondaient Kempe et Zechenhagen, réformateurs « de Hambourg, ne peut être reconnue que si l'Église elle-même obéit à son pasteur, qui est « Jésus-Christ
[51]. » Ce fut Poméranus qui remplit d'ordinaire, à l'époque de la Réformation, les fonctions attribuées dans les temps apostoliques à Timothée et à Tite, réglant les choses qui restaient à régler. Il mit alors la dernière main à la réforme des églises de Hambourg, de Brunswick, et d'autres lieux encore.
En Franconie, le margrave George de Brandebourg ayant réformé Ansbach et Bayreuth, écrivit à Ferdinand d'Autriche, son ancien protecteur, qui bavait froncé les sourcils en apprenant ses démarches : « Je l'ai fait par ordre de Dieu; car il commande aux princes de prendre soin non-seulement des corps de leurs sujets, mais aussi de leurs âmes [52] »
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le et jour de l'an 1527, un dominicain, nommé Résius r, ayant revêtit Sori capuchon, itibttta eti chaire à Noorden, et se déclara prêt à soutenir des thèses qu'il avait rédigées dans le sens de l'Évangile. Ayant réduit au silence, par des raisons solides, l'abbé de Noorden, homme lettré et savant, le seul adversaire qui se présentât, Résius, après une longue pause, rendit grâces à Dieu, se dépouilla de son froc, le posa hardiment sur la chaire; et ayant ainsi rejeté le monachisme et Rome, il descendit plein de joie, et fut reçu dans la nef par les acclamations des fidèles. Toute la Frisé posa bientôt avec Résius l'uniforme de la Papauté.
La Marche de Brandebourg se trouvait sous la domination de l'énergique Joachim, qui eût voulu écraser le luthéranisme. Cependant, tout en prohibant le Nouveau Testament traduit par Luther, il avait autorisé les traductions de l'Église romaine, qui suffirent pour éclairer son peuple. Mais c'était surtout à Berlin même, et dans le palais électoral, que la lumière évangélique éclatait.
La paix lie régnait pas dans cette auguste demeure. A côté de Joachim se trouvait sa femme Élisabeth, fille du roi Jean de Danemark et d'Une sœur de l'électeur de Saxe. L'Électrice, ayant hi avec admiration les livres de Luther, avait aussitôt cherché à répandre tout autour d'elle, et surtout dans l'esprit de ses enfants, la semence de la parole de Dieu. Dès lors, Joachim, zélé pour la religion de l'État, et passionné de l'astrologie; commença à regarder son épouse d'un œil Soupçonneux, et diverses circonstances vinrent accroître la désunion des deux époux.
Un jour, c'était Noël, Joachim, l'Électrice et leurs enfants avaient traversé le passage couvert qui conduisait du château à l'église de la cour et assistaient aux solennités de cette fête. Le moine qui prêchait, sachant que les opinions de Luther commençaient à se répandre dans la famille électorale, s'efforçait de prouver que l'apôtre Paul et ses épîtres, dont Luther parlait tant, ne méritaient pas de confiance.
Pour cela il citait le quatrième verset dit quatrième Chapitre aux Galates) Lorsque le temps a été accompli, Dieu a envoyé son fils, né d'une femme. « Voyez, s'écriait-il, saint Paul ment ici effrontément, car la sainte mère Marie n'a jamais été une femme ; elle est toujours restée vierge, même après la naissance de Christ.
« Allez donc avec les hérétiques croire, sur ratairité de cet apôtre, la justification par la foi. [53]»
Tout à coup le moine s'arrête comme frappé du ciel ; il chancelle et tombe ; une apoplexie foudroyante l'avait atteint. L'assemblée se lève effrayée'[54]. Cet événement extraordinaire donna lieu à une altercation pénible entre les augustes épuisent,
L'Électrice, sentant le besoin de recevoir la cène du Seigneur, conformément à l'institution da Christ, un ministre la lui donna secrètement aux fêtes de Pâques 1528, dans ses appartements; mais l'un de ses enfants en informa l'Électeur, sans 56
Histoire de la Réformation du Seizième Siècle doute par imprudence [55]. Celui-ci, transporté de colère contre sa femme, lui défendit de sortir de sa chambre pendant plusieurs jours; on assurait même qu'il avait l'intention de l'enfermer entre quatre murailles [56]. L'Électrice, privée de ses enfants, de sa liberté, dé tout secours religieux, et craignant les perfides manœuvres des prêtres romains, résolut de s'y soustraire par la fuite. Elle réclama le secours de son frère, le roi Christian II de Danemark, qui habitait Torgau.
Deux gentilshommes de service, Joachim de Götze et Achitn de Bredow, préparèrent tout pour sa fuite; cette princesse, profitant d'une nuit profonde, sortit, le 25 mars, du château, en habit de paysanne, et monta, à la porte de la ville, accompagnée d'une femme de chambre et d'un domestique, dans un mauvais char de campagne.
Ainsi la fille des rois de Danemark s'enfuyait pour l'Évangile, seule, déguisée, tremblante, loin des murs de sa capitale. L'essentiel était d'atteindre le plus promptement possible les frontières de Saxe; car si Joachim s'apercevait de la fuite de sa femme, avec quelle violence ne la poursuivrait-il pas ? Élisabeth pressait son conducteur, quand, dans un chemin difficile, le char se brisa, sans qu’on n’eût aucun moyen de le refaire.
L'Électrice détachant vivement lé mouchoir qui entourait sa tête, le jette à cet homme. Celui-ci s'en sert pour réparer le dommage, et bientôt la princesse arrive à Torgau, sous la garde du roi de Danemark, qui l'attendait à la frontière. « Si je dois vous exposer à quelque danger, dit-elle à son oncle l'électeur de Saxe, je suis prête à me rendre partout où la Providence me conduira. » Mais Jean lui assigna pour demeure le château de Lichtenbourg sur l'Elbe, près de Wittemberg. Sans prendre sur nous d'approuver la fuite d'Élisabeth, reconnaissons le bien que la providence de Dieu sut en tirer. Cette pieuse princesse vécut à Lichtenbourg dans l'étude de la parole de Dieu', paraissant rarement à la cour, mais allant souvent entendre les prédications de Luther, sous le toit duquel elle passa même trois mois. Elle fut la première de ces princesses pieuses qu'a comptées et que compte encore la maison de Brandebourg. Joachim, s'étant un peu apaisé, permit à ses enfants d'aller de temps en temps passer quelques semaines avec leur mère ; et les semences évangéliques, qui furent alors répandues dans leurs jeunes cœurs, portèrent plus tard des fruits précieux.
En même temps, le Holstein, le Schleswig, la Silésie, se décidaient pour la Réforme, et la Hongrie, ainsi que la Bohême, voyaient se multiplier ses adhérents.
Partout, à la place d'une hiérarchie qui cherchait sa justice dans une œuvre d'homme, sa gloire dans la pompe extérieure, sa force dans la puissance matérielle, on voyait alors reparaitre l'Église des Apôtres, humble comme aux temps primitifs, et ne cherchant, comme les anciens chrétiens, sa justice, sa gloire et sa puissance, que dans le sang de Christ et la parole de pieu [57].
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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle FOOTNOTES
[1] Vol. III, liv. XI, chap. itio.
[2] Rommel, Philippe de Hesse, 1, p. 128.
[3] Nunc cura familiola mea panem manduco, et potum capio in mensura. (Limberti commentarii de sacro conjugio.)
[4] Cum statura hominis hujusmodi esset ut inter Pygmasos iuternosci difficulter posset, scabellum sibi dari postulat, eoque conscenso, coepit positiones templi valvis affixas legere. (Othonis Melandri jocorum centurie.)
[5] Vana est ornais reformatio que alioqui fit. (Paradoxa FrarzeisciLamberti, dans Scultetus, Annales evangel.)
[6] Ecclesia est congregatio ()arum quos unit idem spiritus, etc. 'Ibid.)
[7] a liane equadem baud impugnaverim! Illam mequident attigerim! »(Oth.
Melandri joc. cent.
[8] Apagesis, nebulo, qui quod impugnes, infirmesque i nvenire baud possis!»
Hisque dictis scabellum ei mox subs-trahit, ut miser ille prœceps in lutum ageretur.
(Ibid.)
[9] Fulgura impietatum, tonitrua blasphemiarum.