Histoire de la Réformation du Seizième Siècle_Vol 4 by Jean-Marie Merle D'Aubigne - HTML preview

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[10] Erant enim prius qui dicerent : Ego asseram purgatorium ; alios : Ego impugnabo paradoxa tituli serti, etc. (Lamberti ad Colon.)

[11] Sehminde, Monumenta Hassiaeu, II, p. 588 et suiv. u Pro Hassiae ecclesiis, et si deinde non nase alite ad idem nostro exemplo provocarentur.

[12] Synodus Hassiaca in nomine Domini congregata. ( Ibid.)

[13] Ne boraines non intelligant. (lb., cap. 3.)

[14] Non admittimus verbum aliud quam ipsius pastoris nos-tri. (Ibid. cap. 2.)

[15] Si quis pius, in verbo sancto exercitatus, docere petit verbum sanctum, non repellatur, a Deo enim interne mittitui.. (Ibid. cap. 23.)

[16] Ne quis putet nos hic per episcopos alios intelligere quam ministros Dei verbi.

(lb., 592.)

[17] Eligat quœvis Ecelesia episcopum suum. ( Ibid., cap. 2 i, p. 620.)

[18] Manus imponant duo ex senioribus, nisi alii episcopi in-tersint. (Ibid. cap. 2 t, p.

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[19] Deponat Ecclesia episcopum suum, quod ad eam spectet judieare de voce pastorum. (Ibid., cap. 23, p. 610.)

[20] Mat quaevis Ecclesia episcopum suum, sicque illi admi-nistret ut cum sua familia vivere possit. (Ib.)

[21] Fiat conventus Fidelium in congru loco, ad quem quotquot ex viris in Sanctorum numero habentur Christi Ecclesiam nunquam fuisse sine excommunicatione (Ibid., Cap. 15.)

[22] Ut semel pro tota Hessia celebretur synodus apud Mar-purgum tertia dominica postyascha. (lb., cap. i8, p. 633.)

[23] Uuiversi episcopi.... Quaelibet ecclesia congregetur et eligat ex se ipsa unum plenum fide et spiritu Dei. (Ibid.)

[24] Rettig : Die Freye Kirche.

[25] Tutius enim et salubrius esset quemlibet patremfamilias suce domui legere Evangelium. (L. Opp., II, p. 363.)

[26] Per ondines papisticos, non sacerdoces Dei sed sacerdotes Satana, tantum ut Christum conculcent. (lb., 364.)

[27] Orationibus tum privatis tum publicis. (Ibid. 370.)

[28] Eligite quem et quos volueritis. Tum impositis super eos manibus, sint hoc ipso vestri episcopi, vestri ministri seu pas-tores. (Ibid.)

[29] In aide parochiali evangelico more docebat, in filiali missificabat. (Seck., p. ion.)

[30] Rusticis nihil discentibus, nihil orantibus, sic enim sua papistica neglexerunt, et nostra contemnunt. ( L. Epp., III, p. 224. )

[31] Ut horrendum sit episcoporum papisticorum administrationem considerare. (L.

Epp., p. 4n4.)

[32] Als oberster Vormund der Jugend und aller die es be-durfen, soli sie mit Gewalt dazu halten. (L. Epp., III, p. i36.)

[33] Nequam esse oportet, qui princeps esse debet, et tyran-num decet regem esse, hoc exigit mundus. ( L. Epp., III, p. 147.) Luther dans ces mois est l'antipode de Zwiugte.

[34] Non publice sive promiscue et admissa munis generis plebe. (De misse Germanica.)

[35] Qui nomina sua in catalogum referrent, ajoute-t•il. tbitt.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[36] Excommunicari qui christianq more se non gererent. (Ibid.)

[37] Neque enim habeo qui sunt idonei. (Ibid.)

[38] Sed mihi nihil erit unquam antiquius publica pace. (Corp. Ref., 21 mars i5,8.)

[39] Jacq., III, 17.

[40] M. I)eWette pense que cette lettre est de Luthere. Epp., III, 352:) Il me parait évident, comme à M. Bretschneider ,

[41] Obsecro, quantum ex veteribus cceremoniis retineri po-test, retineas. (Corp.

Ref., II, 55i .)

[42] Oinnis novitas nocet in vulgo.

[43] Non abolens eam totam ( latins missa), satis est alicubi miscere germanicas cantationes.

[44] Ut retiueantur vestes usitatœ in sacris . (Corp. Ref. ad Ionam, 20 décem b re 1527.)

[45] Furor est non pietas, tales cceremonias improbare. ( Ib., 910.)

[46] Alii dicerent prodi causam. (Camer. Vita Mel., p. 107.)

[47] Medium ferme inter Catholicam et Lutheranam. (Cochi., 168.)

[48] Manstrosus ilie Germania- partus, Lutherus Septiceps. (Ibid., 169)

[49] Habiturum me defeetiônis prasmittm, eonditionen1 Aignan apnd Ferdinandum regem. (Corp. Ref., Camerarlo, 13 septembre 1528.)

[50] Viginti fore rudes et inepti, tnultique coneubiriarii et po-ta tores deprehensi surit. (Seckend, p. :oz.)

[51] Evangelici auctoritatem Ecclesiae non aliter agnoscendam esse contendebant, quam si vocero pastoris Christi sequeretur. (Seckend., I, 245.)

[52] Non modo quoad corpus sed etiam quoad auimam. (Seck., II, 121. )

[53] Cette église se trouvait alors sur la place du Château entre la rue Larde et la rue des Frères.

[54] Cramer's, Pommersches Kirchen Chroniken, III, pà 64.

[55] Aliquot diebus a marito in cubiculo detenta fuisse. (Seck., Il, 122. )

[56] Marchio statuerat eam immurare. (L. Epp. ad Lenkium, 28 mars 1528.1

[57] Apoc., ch. XII, v. I I.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle 61

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IV.

Édit d'Ofen. —Libéralisme de Luther. — Winckler tué. — Martyre de Fletsted. —

Charpentier. —Kayser. — Effroi du peuple.— Othon de Pack. — Fraude de Pack. — Le Landgrave à Dresde. — Le document. — Alliance avec l'Électeur. Ligue évangélique. —

Conseil pacifique des Réformateurs. — Parti mitoyen pris par l'Électeur.— Surprise des princes papistes. — L'opinion publique. — Dangers et force de la Réforme.

Ces triomphes de l'Évangile ne pouvaient passer inaperçus; il y eut une réaction puissante ; et en attendant que les circonstances politiques permissent d'attaquer en grand la Réforme sur le sol même où elle s'était établie, et de la pour* suivre par des diètes, et, s'il le fallait, avec des armées, on se mit à la persécuter en détail dans les pays romains, avec des tortures et les échafauds.

Dès le 20 août 1527, le Roi Ferdinand, dans un édit d'Ofen en Hongrie, établit un tarif de crimes et de peines dont voici un échantillon : CRIMES.

Manque d'aller à confesse. Parler coutre le purgatoire. Parler contre les saints. Dire que Marie a été une femme comme une autre. Prendre la sainte cène à la manière hérétique. Consacrer le sacrement sans être prêtre romain. Nier la divinité ou l'humanité du Christ.

PEINES.

Prison, amende. Bannissement.

Prison, bannissement et autres peines.

Châtiment corporel, confection ou mort.

De même ; de plus, la maison où la cène a eu lieu confier que ou à jamais rasée.

Mort par le glaive, par l'eau ou par le leu [1].

Mort par le feu.

Telle n'était pas la législation de Luther. Linlu lui ayant demandé s'il était permis au magistrat de mettre à mort les faux prophètes, entendant par-là les sacramentaires dont Luther attaquait la doctrine avec tant de force, le Réformateur lui répondit : « Je suis lent quand il y va de la vie, même si l'on est grandement coupable ; je ne puis aucunement admettre que les faux docteurs soient mis à mort

[4]; il suffit de les éloigner. » Depuis des siècles l'Église romaine -se baignait dans le sang : Luther fut le premier à professer les grands principes d'humanité et de liberté religieuse. Sans doute ils ne devaient pas être aussitôt admis par tous les protestants; les restes de papisme ne pouvaient s'extirper d'un seul coup, les racines 62

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle en étaient trop profondes; niais Luther jeta son pain sur la surface des eaux, et avec le temps on l'a retrouvé [5].

On avait quelquefois recours contre la Réforme à des voies plus expéditives que l'échafaud même. George Winkler, pasteur de Halle, ayant été cité devant l'archevêque Albert à Aschaffenburg, au printemps 1527, pour avoir distribué la cène sous les deux espèces, avait été renvoyé absous par ce prélat, au grand désappointement des chanoines.

Le ministre, monté sur le cheval .du fou de cour du prince-cardinal, qu'on lui avait prêté par ironie peut-être, retournait chez lui en suivant un chemin inusité, au milieu des bois, quand des cavaliers se jetèrent sur lui, l'assassinèrent sans rien lui prendre, et s'enfuirent par des chemins non frayés [6]. «Le monde, s'écria Luther, est une caverne d'assassins sous le commandement du Diable, une auberge dont l'hôte est un brigand, et qui porte cette enseigne : Au a mensonge et au meurtre; et il n'est personne qu'on y égorge plus volontiers que ceux qui y sa annoncent Jésus-Christ. »

Bientôt la persécution se déchaîna ouvertement sur le Brandebourg, la Souabe et les bords du Rhin. « Cologne! Cologne ! s'écriait le martyr Fletsted, en marchant au supplice dans les rues de cette ville, pourquoi persécutes-tu la parole de Dieu? Il y a un nuage dans les airs qui crèvera bientôt sur toi avec furie.» Puis, le bourreau l'ayant fait entrer dans une maisonnette faite de bois et de paille, et l'ayant fait asseoir nu, sur un bloc, à côté de son frère Clarenback, déjà étranglé par les chaînes de fer qu'on lui avait serrées autour du cou, Fletsted s'écria : « Frère, le Seigneur t'a été propice... et moi je te suis. » Alors le feu ayant été mis à cette maison de mort, le martyr mourut étouffé [7].

A Munich, George Charpentier était conduit à l'échafaud pour avoir nié que le baptême d'eau puisse sauver l'homme par sa vertu. «Quand vous serez jeté dans le feu, lui dirent quelques-uns de ses frères, donnez-nous un signe auquel nous reconnaissions que vous persistez en la foi. » —

« Tant que je pourrai ouvrir la bouche, répondit-il, je confesserai le nom de Jésus [8].

» Les bourreaux l'étendirent sur une échelle, lui lièrent un sachet de poudre à canon autour du cou, puis le lancèrent dans les flammes. Aussitôt Charpentier cria : «

Jésus ! Jésus ! » et le bourreau l'ayant tourné et retourné avec des crochets, le martyr répéta encore à plusieurs reprises : « Jésus! » et rendit l'âme.

A Landsberg, neuf hommes furent jetés dans le feu, et à Munich vingt-neuf dans les eaux. A Schoerding, Léonard Kayser, disciple et ami de Luther, condamné par l'évêque de Passau, eut la tête rasée, et, revêtu d'une souquenille, fut placé sur un cheval. Alors les bourreaux s'étant mis à jurer parce qu'ils ne pouvaient démêler les liens dont ils voulaient l'enchaîner : « Chers amis, leur dit-il avec douceur, vos liens 63

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle ne sont pas nécessaires : Christ, mon Seigneur, m'a déjà lié. » Arrivé près du bûcher, Kayser regarda la foule, et s'écria : « Voilà la moisson; ô maître, envoie tes ouvriers!

»

Ensuite il monta sur l'échafaud, et dit : « O Jésus! je suis à toi, sauve-moi! » Ge furent ses dernières paroles [9]. « Qui suis-je, moi verbeux diseur, s'écria Luther en apprenant cette mort, à côté de ce grand faiseur [10]? »

Ainsi la Réformation manifestait par des œuvres éclatantes la vérité qu'elle était venue rétablir: savoir, que la foi n'est pas, comme Rome le prétend, Une connaissance historique, vaine, morte [11], mais une foi vivante, l'œuvre de l'Esprit-Saint, le canal par lequel Christ remplit le cœur de nouveaux désirs et de nouvelles affections, le culte véritable du Dieu vivant.

Ces martyres remplirent l'Allemagne d'horreur, et de sinistres prévisions descendirent des trônes dans les rangs du peuple. Au foyer domestique, dans les soirées d'hiver, il n'était question que de prisons, de tortures, d'échafauds, de martyres; et le moindre craquement faisait trembler les femmes, les enfants, les vieillards. Ces récits grossissaient de bouche en bouche; le bruit d'une conspiration universelle contre l'Évangile se répandait dans tout l'Empire.

Les adversaires, profitant de cette terreur, annonçaient d'un air mystérieux qu'il fallait s'attendre, dans cette année (1528), à quelque mesure décisive contre la Réforme [12]'. Un misérable résolut de profiter de cet état des esprits pour satisfaire son avarice.

Nuls coups ne sont plus terribles pour une cause, que ceux qu'elle se porte à elle-même. La Réformation, atteinte d'un vertige, fut alors sur le point de se détruire. Il y a un esprit d'erreur qui conspire contre la cause de la vérité, séduisant par la ruse'[13]. La Réformation allait éprouver ses atteintes et chanceler sous l'attaque la plus redoutable, le trouble des pensées et l'éloignement des voies de la sagesse et de la vérité.

Othon de Pack, vice-chancelier du duc George de Saxe, était un homme adroit et dissipateur [14], qui tirait parti de sa place, et recourait, pour avoir de l'argent, à toutes sortes de pratiques. Le Duc l'ayant une fois envoyé à la diète de Nuremberg comme son représentant, l'évêque de Mersbourg le chargea de sa contribution pour le gouvernement impérial. Cet argent ayant été plus tard réclamé de l'Évêque, Pack déclara l'avoir remis à un bourgeois de Nuremberg, dont il exhiba la signature et le sceau. Cet acte était faux ; Pack lui-même en était l'auteur [15]. Cependant ce malheureux paya d'effronterie; et n'ayant pu être convaincu, il ne perdit pas la confiance de son maître. Bientôt il trouva l'occasion d'exercer plus en grand son talent criminel.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Nul n'avait plus de soupçons à l'égard des Papistes que le landgrave de Hesse.

Jeune, susceptible, inquiet, il prêtait sans cesse l'oreille. Or, en février 1528, Pack se trouvant à Cassel pour assister Philippe dans une affaire difficile, le Landgrave lui fit connaître ses craintes. Si quelqu’un devait avoir aperçu quelque chose des projets des Papistes, c'était le vice-chancelier du plus grand ennemi de la Réforme.

L'astucieux Pack poussa un soupir, baissa les yeux, et se tut. Aussitôt Philippe, inquiet, le pressa, et lui promit de ne rien faire qui fût nuisible au Duc. Alors Pack, comme s'il se fût laissé arracher à regret un secret important, avoua que la ligue contre les Luthériens avait été conclue à Breslau le mercredi après le dimanche de Jubilante, 12 mai 1527 ; et il s'engagea à procurer l'original de cet acte au Landgrave, qui lui assura pour ce service une rémunération de 4,000 florins. C'était la plus belle affaire que ce malheureux n’eût jamais faite; mais aussi elle n'allait à rien moins qu'à renverser l'Empire de fond en comble.

Le Landgrave était hors de lui. Il se contint cependant, voulant, avant que d'informer ses alliés, avoir vu de ses propres yeux. Il se rendit donc à Dresde. « Je ne puis, lui dit Pack, vous fournir l'original ; le Duc le porte toujours avec lui, « pour le faire lire à d'autres princes, qu'il se propose de gagner. Il l'a montré naguère à Leipzig au duc Henri de Brunswick.

Mais voici une copie faite par ordre de son altesse:» Le Land- grave prit le document, qui portait toutes les marques de la plus parfaite authenticité. Le cordon de soie noire le traversait, et était fixé aux deux extrémités par le sceau de la chancellerie ducale [16]'. Au-dessus se trouvait l'empreinte de l'anneau que le duc George portait toujours à la main, avec les trois écussons que Philippe avait vus si souvent, en haut le crancelin, en bas les deux lions. Il n'a plus de doute sur l'authenticité du document. Mais que dire de l'indignation du Landgrave en lisant cet acte coupable ?

Le roi Ferdinand, les électeurs de Mayence et de Brandebourg, le duc George de Saxe, les ducs de Bavière, les évêques de Salzbourg, Wurtzbourg et Bamberg, se coalisent pour sommer l'électeur de Saxe de leur livrer l'archi-hérétique Luther, tous les prêtres, moines et nonnes apostats, et de rétablir l'ancien culte. A défaut, on envahira ses États, et on en dépossédera à jamais ce prince et ses descendants.

La même mesure devra ensuite être appliquée au Landgrave. Seulement (« c'est à votre beau-père, dit-on à Philippe, qui a fait « insérer cette clause) ses États lui seront rendus, « vu sa jeunesse, s'il se réconcilie pleinement avec «la sainte Église.»

Le document fixait de plus le contingent d'hommes et d'argent des confédérés, et la part qu'ils auraient aux dépouilles des deux princes hérétiques [17].

Plusieurs circonstances semblaient confirmer l'authenticité de cet acte. Ferdinand, Joachim de Brandebourg et George de Saxe s'é talent, en effet, trouvés réunis, le jour indiqué, à Breslau, et un prince évangélique, le margrave George, avait vu Joachim sortir de la chambre de Ferdinand, en tenant à la main un grand parchemin muni de plusieurs sceaux. Le Landgrave, ému, fit prendre copie de l'acte, 65

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle promit pour le moment le secret, remit à Pack 4,000 florins, et s'engagea à lui payer le reste de la somme convenue, s'il lui procurait l'original. Puis, voulant conjurer l'orage, il courut à Weimar faire part à l'Électeur de cette trame inouïe.

« J'ai vu, à Jean et à son fils; il y a plus, j'ai eu entre les mains un exemplaire de cet horrible traité. Les sceaux, les signatures, rien n'y manque [18]. En voici la copie, et je m'engage à mettre sous vos yeux l'original. Le danger le plus affreux nous menace, nous, nos fidèles su« jets, et la parole de Dieu.»

L'Électeur n'avait aucune raison de douter du récit que le Landgrave venait de lui faire. Il fut étourdi, confondu, entraîné. Les mesures les plus promptes pouvaient seules éloigner des désastres inouïs; il fallait risquer tout pour échapper à une perte certaine.

L'impétueux Philippe lançait feu et flamme [19]; son plan de défense était tout préparé; il le présenta, et, dans le premier moment de consternation, il emporta d'assaut le consentement de son allié. Le 9 mars 1528, les deux princes convinrent de faire usage de toutes leurs forces pour se défendre, et même de prendre l'offensive; et de sacrifier leur vie, leur honneur, leur rang, leurs sujets, leurs États, pour sauver la parole de Dieu. Les ducs de Prusse, de Mecklembourg, de Lunebourg, de Poméranie, les rois de Pologne, de Danemark, le margrave de Brandebourg, devaient être invités à entrer dans cette alliance. Six cent mille florins étaient destinés aux frais de la guerre. Pour se les procurer, on ferait des emprunts, on engagerait des villes, et l'on vendrait les joyaux des églises [20]. Déjà on levait une puissante armée [21].

Le Landgrave partit lui-même pour Nuremberg et pour Ansbach. L'épouvante était générale dans ces contrées ; la commotion se faisait sentir dans toute l'Allemagne

[22], et même au dehors. Jean Zapoly, roi de Hongrie, alors réfugié à Cracovie, promit i oo,000 florins pour lever une armée, et 20,000 florins par mois pour la solder. Ainsi l'esprit de ténèbres et d'erreur faisait perdre la tête aux princes. S'il entraînait aussi les Réformateurs, la ruine de la Réforme n'était pas éloignée.

Mais Dieu veillait sur son œuvre. Appuyés sur le rocher de la Parole, Mélanchton et Luther répondirent : Il est écrit : Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu. Dès que ces deux hommes, que le danger menaçait, car c'était eux que l'on devait livrer à la puissance papale, virent le jeune Landgrave tirer son glaive, et le vieil Électeur lui-même porter la main à la poignée, ils poussèrent un cri d'alarme, et ce cri, entendu dans le ciel, sauva la Réforme.

Luther, Mélanchton, Pomeranus firent aussitôt parvenir à l'Électeur l'avis suivant :

« Que l’at« taque ne vienne point de notre côté, et que le sang ne coule pas par notre faute. Attendons l'ennemi, et cherchons la paix. Envoyons une ambassade à l'Empereur pour lui faire connaître ces complots odieux. »

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle C'est ainsi que la foi des enfants de Dieu, si méprisée des politiques du monde, les conduisait droitement, alors que les diplomates s'égaraient. L'Électeur et son fils, se rangeant à l'avis des Réformateurs, déclarèrent au Landgrave qu'ils ne prendraient pas l'offensive. Philippe fut consterné.

« Les préparatifs des Papistes ne valent-ils pas une attaque ? s'écria-t-il. Quoi !

Nous menacerons de la guerre, et nous ne la ferons pas ! Nous enflammerons la haine de nos adversaires, et nous leur laisserons le temps de préparer leurs forces !

Non, non ; en avant! C’est ainsi que nous nous assurerons une paix honorable. »

— « Si le Landgrave veut commencer la guerre, répondit le Réformateur, l'Électeur n'est pas obligé d'observer le traité; car il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes.

Dieu et le droit sont au-dessus de toute alliance. Gardons-nous de peindre le Diable sur notre porte, et de le prendre pour compère. Mais si le Landgrave est attaqué, l'Électeur doit lui venir en aide, car Dieu veut que l'on garde sa foi. [23] »

Ce conseil que donnaient les Réformateurs était désintéressé. Jamais homme condamné à la question n'endura un supplice semblable au leur; aux craintes que leur inspirait le Landgrave succédaient celles que leur causaient les princes ultramontains. Ce rude exercice les laissait tout meurtris.

« Je suis consumé de douleur, disait Mélanchton, et ces angoisses me mettent à la plus horrible torture [24]. L'issue, ajoutait-il, ne se trouvera qu'à genoux et devant Dieu [25].»

Enfin l'Électeur, tiré en sens contraire par les théologiens et les politiques; prit un parti mitoyen; il résolut de rassembler son armée, mais seulement, dit-il, pour obtenir la paix. «Hélas ! s'écria « Mélanchton, le pilote doit suivre, non la route «qu'il croit être la plus droite, mais celle que les «vents lui permettent de prendre [26].»

Philippe de Hesse se rendit de même, et envoya aussitôt des copies du fameux traité au duc George, au duc de Bavière et aux représentants de l'Empereur, en leur demandant de renoncer à de si cruels desseins.

« J'aimerais mieux, écrivait-il à son beau-père, me voir couper un membre, que de vous savoir dans une telle alliance. »

On ne saurait décrire la surprise des cours d'Allemagne à la lecture de ce document.

Le duc George répondit aussitôt au Landgrave qu'il s'était laissé tromper par d'impertinentes sottises; que celui qui prétendait avoir vu l'original de cet acte était un infâme menteur et un désespéré fripon; et qu'il sommait le Landgrave de le lui faire connaître, sans quoi on pourrait bien le croire lui-blême l'inventeur de cette fable insolente. Le roi Ferdinand, l'électeur de Brandebourg, tous les prétendus conjurés, parlèrent de même.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Philippe de Hesse reconnut qu'il avait été trompé z; sa honte ne peut se comparer qu'à sa colère. Il avait donc justifié lui-même l'accusation de ses adversaires qui l'appelaient un jeune écervelé, et avait compromis au plus haut degré la cause de la Réforme et celle de son peuple. « Si cela n'était pas arrivé, dit-il plus tard, cela n'arriverait plus maintenant. Je n'ai rien fait dans toute ma vie qui m'ait causé plus de chagrin. » Pack, épouvanté, s'enfuit auprès du Landgrave, qui le fit arrêter; et des envoyés des dives princes que ce malheureux avait compromis s'étant réunis à Cassel, l'on procéda à son interrogatoire. Il prétendit que l'acte original de l'alliance avait vraiment existé dans les archives de Dresde.

L'année suivante, le Landgrave le chassa de la Hesse, montrant ainsi qu'il ne le craignait pas; et plus tard, Pack, découvert en Belgique, fut, sur la demande du duc George, toujours impitoyable à son égard, saisi, mis à la question, et enfin décapité.

Le Landgrave ne voulut pas avoir pris inutilement les armes. L’archevêque, électeur de Mayence dut, le II juin 1528, renoncé, dans le camp de Herzkirchen, à toute juridiction spirituelle sur la Saxe et la Liesse [27]. Ce n'était pas un petit avantage.

L'opinion publique fit aussi ses réserves. A peine avait-on posé les armes, que Luther prit la plaine et commença une autre guerre. « Que les princes impies nient cette alliance tant qu'ils «voudront, écrivit-il à Link, je sais de science «certaine qu'elle n'est pas une chimère. Sangsues «insatiables, ils ne se donneront aucun repos «qu'ils ne voient toute l'Allemagne baignée dans «son sang [28] » La pensée de Luther fut celle à laquelle on s'arrêta généralement. « Le document présenté au Landgrave peut être, dit-on, de l'invention de Pack ; mais tout cet échafaudage de mensonges repose sur quelque vérité. Si l'alliance n'a pas été conclue, elle a été conçue. [29]»

Cette affaire eut de tristes effets. Elle souffla la division dans le sein de la Réforme, et attisa la haine entre les deux partis [30]. Les étincelles des bûchers de Kayser, de Winkler, de Charpentier et de tant d'autres martyrs, accrurent encore le feu qui menaçait d'embraser l'Empire. C'est dans des circonstances si critiques, et avec des dispositions si menaçantes, que s'ouvrit la fameuse diète de Spire, en mars 1529.

L'Empire et la Papauté s'apprêtaient réellement à anéantir la Réformation, mais d’une autre manière que Pack ne l'avait prétendu. Il restait à savoir s'il se trouverait dans l'Église renouvelée plus de force vitale qu'il n'y en avait eu dans tant de sectes que Rome avait facilement étouffées. Heureusement que la foi avait grandi, et que la constitution donnée à l'Église avait prêté plus de force à ses adhérents. Tous étaient décidés à défendre une doctrine si pure, et un ordre ecclésiastique si supérieur à celui de la Papauté. Pendant trois années de calme, l'arbre évangélique avait poussé de profondes racines, et si l'orage venait à fondre, il pouvait maintenant Je braver.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle FOOTNOTES

[1] Die sollen mit dem Feuer, Schwerdt oder Wasser ge.strafft werden. (Ferd.

Mandat., L. Opp., XIX, p. 596.)

[2] Contra hostes sacramen tarios strenue nobiscum certare. (Ad Lenkium, 14 juillet i 528.)

[3] Ego ad judicium sanguinis tardus sum, etiam ubi inerituut abundat. ( Ibid.)

[4] Nullo modo possum admittere falsos doctores occidi. (Ibid.)

[5] Eccles. XI, 1.

[6] Mox enim ut interfecerunt,auÈngerunt per avia loca ni-hil prœdœ aut pecuniœ

rapientes. (Cochl., p. 152.)

[7] Les martyrs de Rabuz, II, 243, 249; et de Crespin, p. 101.

[8] Dum os aperire licebit, Servatoris nostri nomen profiteri nunquam intermittam.

(Scultet., II, p. i Io.)

[9] Incenso jam igue, clara voce proclamavit : Tuus sum lesu! Saliva me ! (Seckend., II, p. 85.)

[10] Tain impar, verbosus praedicator, illi tain potenti verbi operatori. (L. Epp., III, p. 214.)

[11] Si quis dixerit fidem non esse veram fiden, licet non fit riva, aut eum qui fidem sine charitate habet non esse christianum, anathema sit. (Conc. Trid., Sess. 6,. 18.)

[12] Nescio quid minari quod hoc anno contra reformatio.ne® expectandum sit.

(Seck., II, Ioit.)

[13] Deuxième épître aux Corinthiens, ch. XI, v.3.

[14] Homo erat versutus et preterea prodigus, quo vitio ad alia inductus est. (Seck, II, p. 94.)

[15] Il se trouve dans les archives de Dresde.

[16] Coi filum sericum circumligatum et sigillum caucasien impressum erat. (Seck., II, 4.)

[17] Hortleber, De Bello Germanico, II, p. 579.

[18] Num h afflrmabat se archetypon vidisse, commemorabat acppayékç. (Corp.

Ref., I, 986.)

[19] Mirabiliter incensus erat. (Corp. Ref., I, 986.) 69

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[20] Venditisque templorum donariis. (Seck.,I1, 95.)

[21] Maguo studio validum comparuerunt ambo exercitum (cocht., p. 17z.)

[22] Non Ieviter commotos esse nostrorum animos. ( Corp. Ref., I, p. 986.)

[23] Man darf den Teufel nicht über die Thür malen, noch Ihn zu Gevattern bitte».

(L. Epp., III, 321.)

[24] Cura vehementer cruciarunt. (C. R., I, g85.)

[25] 'Ev yo4vacrt Ose. (Ibid. g88.)

[26] Gubernatori cursus tenendus est quem sinunt venti, non quem rectissimum esse novit. (Ibid. 387.)

[27] Kopp. Hess. Gerichts Vert., I, p. soi.

[28] Sanguisugie insatiabiles quiescere nolunt, nisi Germaniam sanguine madere sentiant. 4 juin 1528.)

[29] Non enim prorsus confecta res. (C. R., I, g88.)

[30] Hsec mine apad inimicos odia auxerint. (Ibid., 985.) 70

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE V.

Le sac de Rome, en indignant les adhérents du Pape, avait donné des armes à tous les ennemis de l'Empereur. Lautrec et ses Français avaient contraint l'armée de Charles, amollie par les délices d'une nouvelle Capoue, à se cacher dans les murs de Naples. Doria, à la tête de ses galères génoises, avait anéanti la flotte espagnole, et toute la puissance impériale avait paru prendre fin en Italie. Mais tout à coup Doria s'était prononcé pour l'Empereur; la peste avait fait périr Lautrec et la moitié de son armée, et Charles, en étant quitte pour la peur, avait ressaisi le pouvoir, bien résolu à s'unir désormais étroitement avec le pontife romain, dont l'abaissement avait failli lui coûter si cher. De son côté, Clément VII, entendant les Italiens lui reprocher sa naissance illégitime et lui refuser même le titre de pape, disait hautement : «Mieux vaut être le palefrenier de l'Empereur que le jouet de mon peuple.»

Le 29 juin 1528, la paix entre le chef de l'Empire et le chef de l'Église se conclut à Barcelone, en posant pour base la ruine de l'hérésie ; et en novembre, une diète fut convoquée à Spire pour le 21 février 1529. Charles-Quint était résolu à tenter de détruire la Réforme par un vote fédéral. Puis, Ai ce vote ne suffisait pas, à déployer contre elle tout son pouvoir. Le chemin ainsi tracé, on allait se mettre à l'œuvre.

L'Allemagne comprit la gravité de la conjoncture. De funestes présages agitaient les esprits. Au milieu de janvier, une grande lumière avait tout à coup éclairé une nuit profonde « Qu'est« ce que cela signifie? s'écria Luther : Dieu le sait. [1]» Au commencement d'avril, on parlait d'un tremblement de terre qui avait englouti des châteaux, des villes, des contrées entières de la Carinthie et de l'Istrie, et partagé en quatre la tour de Saint-Marc, à Venise. « Si cela est vrai, dit le Réformateur, ces prodiges sont les précurseurs de la journée de Jésus-Christ [2]. » Les astrologues déclaraient que l'aspect des quadrangulaires de Saturne et de Jupiter, et la constitution générale des astres, étaient formidables [3]. L'Elbe roulait des eaux grossies et tumultueuses, et des pierres tombaient de la voûte des temples. « Toutes ces choses, s'écriait Mélanchton effrayé, m'émeuvent profondément [4]. »

Les lettres de convocation du gouvernement impérial n'étaient que trop en accord avec ces prodiges. L'Empereur, écrivant de Tolède à l'Électeur, l'accusait de sédition et de révolte. Partout circulaient des bruits sourds, qui suffisaient pour faire tomber les faibles.

Le duc Henri de Mecklembourg et l'Électeur palatin se retournèrent brusquement du côté du Papisme.

Le parti-prêtre se présentait en Diète nombreux, puissant et décidé [5]. Le 5 mars, Ferdinand d'Autriche, après lui les ducs de Bavière, enfin les électeurs ecclésiastiques de Mayence et de Trèves, avaient franchi les portes de Spire, entourés de nombreuses hallebardes [6]. Le 13 mars, l'électeur de Saxe était arrivé, 71

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle accompagné seulement de Mélanchton et d'Agricola. Mais Philippe de Hesse, fidèle à son caractère, entrait dans la ville, le 18 mars, au son des trompettes, avec deux cents cavaliers.

Aussitôt on vit se manifester la divergence des esprits. Un papiste ne rencontrait pas un évangélique dans la rue sans lui lancer des regards irrités, qui semblaient le menacer de perfides machinations [7]. L'Électeur palatin passait à côté des Saxons sans avoir l'air de les connaître [8]; et bien que Jean de Saxe fût le plus considérable des électeurs, aucun des chefs du parti contraire ne lui rendit visite. Réunis autour de leurs tables, les princes catholiques-romains semblaient absorbés dans des jeux de hasard [9].

Mais ils donnèrent bientôt des marques positives de leurs dispositions hostiles. On défendit à l'Électeur et au Landgrave de faire prêcher l'Évangile dans leurs hôtels.

Déjà même on assurait que Jean allait être chassé de Spire et dépouillé de son électorat [10]. « Nous sommes, disait Mélanchton, l'exécration et la balayure du monde; mais Christ regarde à son pauvre peuple, et il le sauvera [11]. » En effet, Dieu était avec les témoins de sa parole. Le peuple de Spire avait soif de l'Évangile, et l'Électeur écrivait à son fils, le dimanche des Rameaux : « Huit mille personnes environ ont assisté aujourd'hui dans ma chapelle au culte du matin et à celui du soir. »

Alors le parti romain se hâta. Son plan était simple, mais énergique. Il fallait supprimer la liberté religieuse qui subsistait depuis près de trois années, et pour cela faire disparaître le décret de 1526, en faisant reparaître celui de 1521.

Le 15 mars, les commissaires impériaux annoncèrent à la Diète que le dernier arrêté de Spire, qui laissait chaque État libre d'agir conformément aux inspirations de sa conscience, ayant donné lieu à de grands désordres, l'Empereur l'annulait, en vertu de sa toute-puissance.

Cet acte arbitraire, inouï dans l'Empire, et le ton despotique dont on l'accompagnait, pénétrèrent les chrétiens évangéliques d'indignation et d'effroi. « Christ, s'écria Sturm, est de nouveau entre les mains de Caïphe et de Pilate [12]. »

Une commission fut chargée d'examiner la proposition impériale. L'archevêque de Salzbourg, Faber, Eck, c'est-à-dire, les ennemis les plus prononcés de la Réformation, en faisaient partie. Les Turcs valent mieux que les Luthériens, disait Falier; car les Turcs observent les jeûnes, et les Luthériens les violent [13]. S'il faut choisir entre les saintes Écritures de Dieu et les vieilles erreurs de l'Église, ce sont les premières qu'il faut rejeter [14]. » Chaque jour, en pleine assemblée, Faber lançait aux Évangéliques quelque pierre nouvelle [15], dit Mélanchton. « Oh ! Quelle Iliade j'aurais «à composer, ajoutait-il, si je devais rapporter «tous ces blasphèmes !'»

72

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Les prêtres réclamaient l'exécution de l'édit de Worms de 1521, et les membres évangéliques de la commission, parmi lesquels se trouvaient l'électeur de Saxe et Sturm, demandaient, au contraire, le maintien de l'édit de Spire de 1526, et demeuraient de cette manière sur le terrain de la légalité, tandis que leurs adversaires se jetaient dans les coups d'État.

Un ordre de choses nouveau s'étant établi légalement dans l'Empire, nul ne pouvait y porter atteinte ; et si la 'Diète prétendait détruire par la force ce que, trois ans auparavant, elle avait constitutionnellement établi, les États évangéliques étaient en droit de s'y opposer. La majorité de la commission sentit que le rétablissement de l'ancien ordre de choses serait une révolution non moins radicale que la Réforme elle-même. Comment assujettir de nouveau, à Rome et à son clergé, des peuples dans le sein desquels la parole de Dieu était si richement répandue?

C'est pourquoi, rejetant également les demandes des prêtres et celles des Évangéliques, la majorité arrêta, le 24 mars, que toute innovation religieuse continuerait à être interdite dans les lieux où l'édit de Worms avait été exécuté; et que dans ceux où l'on s'en était écarté, et où l'on ne pourrait s'y conformer sans avoir à craindre quelques révoltes, on ne ferait du moins aucune nouvelle réforme, on ne traiterait aucun point de controverse, on ne s'opposerait point à la célébration de la messe, on ne permettrait à aucun catholique d'embrasser le luthéranisme [16], on ne déclinerait point la juridiction épiscopale, et l'on ne tolérerait ni anabaptistes ni sacramentaires. Le statu quo et point de prosélytisme ! tel était l'essentiel de la proposition.

La majorité ne votait plus comme en 1526 ; le vent avait tourné contre l'Évangile ; aussi la proposition, retardée quelques jours dans sa marche par les fêtes de Pâques, ayant été soumise à la Diète le 6 et le 7 avril, passa.

Si elle recevait force de loi, la Réformation nt pouvait ni s'étendre dans les lieux où elle n'était pas encore, ni s'établir sue de solides fondements dans ceux où elle existait déjà. La restauration de la hiérarchie romaine, stipulée dans la proposition, ramènerait infailliblement les anciens abus; et la moindre déviation d'une ordonnance aussi vexatoire fournirait aisément aux Papistes un prétexte pour achever de détruire une œuvre déjà si fortement ébranlée.

L'Électeur, le Landgrave, le margrave de Brandebourg, le prince d'Anhalt et le chancelier de Lunebourg, d'un côté ; les députés des villes, de l'autre, consultèrent entre eux. Tout un nouvel ordre de choses devait éclore de ce conseil. Si l'égoïsme les eût animés, peut-être eussent-ils pu agréer ce décret. En effet, on les laissait libres, au moins en apparence, eux et les leurs, de professer leur foi. Devaient-ils, pouvaient-ils demander davantage ? Et étaient-ils tenus à se constituer les champions de la liberté de conscience dans le monde universel ? Jamais, peut-être, il n'y eut une situation plus critique; mais ces hommes généreux sortirent victorieux 73

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle de l'épreuve. Quoi ! Ils légitimeraient à l'avance les tortures et les bûchers! Ils opposeraient à ce que le Saint-Esprit convertit des âmes à Jésus-Christ ! Ils oublieraient le commandement de leur maître :

« Allez par tout le monde, et prêchez l'Évangile à toute créature! » Si l'un des États de l'Empire voulait un jour suivre leur exemple et se réformer, ils lui en ôteraient le pouvoir ! Entrés dans le royaume des cieux, ils en fermeraient après eux la porte !

Non. Plutôt tout endurer, tout sacrifier, même leurs États, leurs couronnes, leur vie!

« Rejetons cet arrêt, dirent les princes; dans les « choses de la conscience, la majorité n'a aucun « pouvoir. »—« C'est au décret de 1526, ajoutèrent « les villes, que l'on doit la paix dont jouit l'Empire ; l'abolir, c'est remplir l'Allemagne de troubles et de divisions. La Diète n'a d'autre compétente que de maintenir la liberté religieuse «

jusqu'au concile. »

Telle est, en effet, la grande attribution de l'État; et si maintenant les puissances protestantes doivent chercher à influer sur les puissances romaines, leur but doit être uniquement d'obtenir pour les sujets de celles-ci la liberté religieuse, que le Pape confisque à son profit partout où il règne sans partage, tout en usant largement de celle que les États protestants laissent à ses ministres.

Quelques-uns des députés voulaient que l'on refusât le secours contre les Turcs, pensant forcer ainsi la main à l'Empereur dans la question religieuse. Mais Sturm demanda qu'on ne mêlât pas les choses politiques avec le salut des âmes. On résolut donc de rejeter la proposition, mais sans menaces.

C'est cette résolution généreuse qui devait conquérir aux temps modernes la liberté de la pensée et l'indépendance de la foi. Cependant Ferdinand et les prêtres, non moins résolus, prétendaient vaincre ce qu'ils appelaient une audacieuse opiniâtreté ; et ce fut par les États les plus faibles qu'ils commencèrent. On se mit à effrayer, à diviser les villes, qui jusqu'alors avaient agi d'un commun accord. Le 12 avril, on fit comparaître leurs représentants. En vain, alléguant l'absence de quelques-uns d'entre eux, demandèrent-ils un délai ; on le leur refusa; on brusqua l'appel. Vingt et une villes libres acceptèrent la proposition de la Diète, et quatorze la rejetèrent.

C'était de la part de celles-ci un acte audacieux, et qui ne s'accomplit qu'au milieu des plus pénibles angoisses. « Ceci est la première épreuve, dit Pfarrer, second député de Strasbourg; maintenant viendra « la seconde : il faudra renier la parole de Dieu, « ou... brûler »

Une démarche passionnée de Ferdinand commença aussitôt la série des humiliations que l'on réservait aux villes évangéliques. Un député de Strasbourg devait, conformément au décret de Worms, faire partie du gouvernement impérial : dès le commencement d'avril, on le déclara priver de ses droits, « jusqu'à ce que la 74

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle messe fût rétablie dans Strasbourg. » Toutes les villes se réunirent pour réclamer contre cet acte arbitraire.

En même temps, l'Électeur palatin et le roi Ferdinand lui-même suppliaient les princes d'accepter le décret, les assurant que l'Empereur leur en saurait un gré infini. « Nous obéirons à l'Empereur, répondirent-ils, dans tout ce qui peut «

contribuer au maintien de la paix et à l'honneur « de Dieu. »

Il était temps de mettre fin à cette lutte. Le 18 avril, un décret déclara que l'on n'entendrait plus les États évangéliques; et Ferdinand se prépara à porter, le lendemain 19, le coup décisif.

En effet, ce jour étant arrivé, le Roi, entouré des autres commissaires de l'Empereur et de plusieurs évêques, parut en diète, remercia les États catholiques-romains de leur fidélité, et déclara que la résolution étant définitivement admise, elle allait être rédigée sous la forme de décret impérial. Puis il annonça à l'Électeur de Saxe et à ses amis qu'il ne leur restait plus qu'à se soumettre à la majorité.

Les princes évangéliques, qui n'avaient point prévu une déclaration aussi positive, tout émus de cette sommation, passèrent, selon l'usage, dans une chambre voisine, afin de délibérer. Mais Ferdinand n'était pas d'humeur à attendre leur réponse. Il se leva, et tous les commissaires impériaux avec lui. En vain s'efforça-t-on de l'arrêter; « J'ai reçu un ordre de Sa Majesté Impériale, ré« pondit-il, je l'ai exécuté.

Tout est fini. » Puis, sans avoir égard ni aux droits des princes évangéliques, ni à l'honneur qui leur était dû, il sortit.

Ainsi on intime un ordre aux princes chrétiens, puis on se retire, sans se soucier même de ce qu'ils auront à répondre. En vain envoyèrent-ils une députation pour supplier le Roi de revenir: « C'est « une affaire finie, répéta Ferdinand; il n'y a plus «

qu'à se soumettre [18]. » Ce refus consomma le schisme; il sépara Rome de l'Évangile. Peut—être plus de justice de la part de l'Empire et de la Papauté eût prévenu la rupture qui dès lors a divisé l'Église.

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FOOTNOTES

[1] Aurore boréale. Magnum chasma, quo nox tota illuminabatur. (L. Epp., III, p.

420.)

[2] Si vers sunt, diem Christi prsecurrunt hue monstre. (Ibid., 4384

[3] Adspectum wrpaytiovm Saturni et Jovis. (Corp. B.ef., I, p. 1o75.)

[4] Ego non leviter commoveor his rebus. (Corp. Ref., I, p. 1076.) 75

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[5] Numquam fuit tanta frequentia unis noneiliis datspisv, quanta in his est. (C. R.

I, 1039.)

[6] Moguntinum et Trevirensem cum comitatu armato. (Seck., II, p. z 29.)

[7] Vultu significant quantum nos oderint, et quid machinentur. (C. Ref.I, o4o.)

[8] Pfalz kennt kein Sachsen mehr. (Epp. Alberti Manfeld.)

[9] Adversae partis proceres alea tempus perdere. (Seck., 129.)

[10] Alii exclusum Spira, alii ademtum ei Electoratum. (L. Epp., II, 435.)

[11] Sed Christus respiciet, et salvabit populum pauperem. (C. R. I, io4o.)

[12] Christus est denuo in manibus Caiphi et Pilati. ( Jung, Beytrœge, p. z 1.)

[13] Vociferatus est Faber Turcas Lutheranis meliores esse . (Corp. Ref., 1, 1041.)

[14] Malle abjicere Scripturam quam veteres erroresEcclesiœ. (lb., i 046.)

[15] Faber lapidat nos quotidie pro concione, (Ihid,)

[16] Nec catholicos a libero religionis exercitio impediri debere, neque cuiquam ex his licere Lutheranismum amplecti. (Seck., p. m.)

[17] Sleidan, I, p. 261.

[18] Die Artikel weren beschlossen. (Jung. Beytr., XC.) 76

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VI.

La protestation. Essence du protestantisme. — Liberté et agression. — Union chrétienne. — Présentation de la protestation. — Médiation.— Rupture des négociations. — Chambre de la rue Saint-Jean. — Appel des protestants. —Union chrétienne. — Fuite de Grynéus. — Les protestants veinent Spire. Mite des princes Si l'on affichait tant de mépris, ce n'était pas sans cause. On sentait que la faiblesse était du côté de la Réforme, et que la force était du côté de Charles et du Pape. Mais les faibles ont aussi leur force. Les princes évangéliques le comprirent. Ferdinand ne tenait aucun compte de leurs réclamations ; il ne leur restait qu'à n'en tenir aucun de son absence, et à en appeler du recez de la Diète à la parole de Dieu, de l'empereur Charles à Jésus-Christ, le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs.

Ils s'y résolurent. Une déclaration fut rédigée à cet effet; c'est la fameuse protestation qui a dès lors donné le nom de protestante à l'Église renouvelée.

L'Électeur et ses alliés, étant rentrés dans la salle commune de la Diète, s'adressèrent ainsi aux États assemblés [1]:

« Chers seigneurs, cousins, oncles et amis «Nous étant rendus à cette Diète sur la convocation de Sa Majesté et pour le bien commun de « l'Empire et de la Chrétienté, nous avons entendu et compris que les décisions de la dernière Diète, «concernant notre sainte foi chrétien ne, devaient être supprimées, et qu'on se proposait de leur

«substituer des résolutions restrictives et gérantes. « Cependant le roi Ferdinand et les autres commissaires impériaux, en revêtant de leurs sceaux le dernier recez de Spire, avaient promis, au «nom de l'Empereur, d'accomplir sincèrement et inviolablement tout ce qui s'y trouve, et de ne rien permettre qui y fût contraire. Et de même, «vous et nous, électeurs, princes, prélats, seigneurs et députés de l'Empire, nous nous sommes alors engagés à maintenir toujours, et de tout notre pouvoir, tous les articles de ce décret. «Nous ne pouvons donc consentir à sa suppression. «Nous ne le pouvons, premièrement, parce que «nous croyons que Sa Majesté Impériale, ainsi «que vous et nous, sommes appelés à maintenir «fermement ce qui a été unanimement et solennellement résolu.

«Nous ne le pouvons, secondement, parce qu'il «s'agit ici de la gloire de Dieu et du salut de nos âmes, et qu'en de telles choses nous devons «regarder avant tout an commandement de Dieu, «qui est le Roi des rois et le Seigneur (les seigneurs; chacun de nous lui rendant compte «pour soi-même, sans se soucier le moins du

«monde de majorité ou de minorité «Nous ne portons aucun jugement sur ce qui vous concerne, très-chers seigneurs ; et nous «nous contentons de prier Dieu journellement qu'il nous fasse tous parvenir à l'unité de la foi; « dans la vérité, la charité et la sainteté, par «Jésus-Christ, notre trône de grâces et notre uni- «que médiateur.

77

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Mais pour ce qui nous regarde, adhérer à votre résolution, ce serait (que tout homme honnête en juge) agir contre notre conscience, con« damner une doctrine que nous tenons pour chrétienne, et prononcer qu'elle doit être abolie dans nos États, si nous pouvons le faire sans peine. «Ce serait renier Notre-Seigneur Jésus-Christ, «

rejeter sa sainte parole, et lui donner ainsi de justes raisons de nous renier lui-même, à son «tour, devant son Père, comme il en a fait la menace. «Quoi! Nous déclarerions, en adhérant à cet édit, « que si le Dieu tout-puissant appelle un homme à sa connaissance, cet homme n'est pas libre de recevoir la connaissance de Dieu ! Oh de quelles chutes mortelles ne deviendrions-nous pas ainsi les complices, non-seulement parmi nos sujets, «mais aussi parmi les vôtres! « C'est pourquoi nous rejetons le joug qu'on « nous impose.

« Et, bien qu'il soit universellement connu que, «dans nos États, le saint sacrement du corps et du sang de Notre-Seigneur soit convenable« ment administré, nous ne pouvons adhérer à ce que l'édit propose contre les sacramentaires, « attendu que la convocation impériale ne parlait cc pas d'eux, qu'ils n'ont point été entendus, et «que l'on ne peut arrêter des points si importants avant le prochain concile.

« De plus, » et c'est ici la partie essentielle de la protestation, « le nouvel édit établissant que «les ministres doivent enseigner le saint Évangile, en l'expliquant d'après les écrits agréés par «la sainte Église chrétienne, nous pensons que, cc pour que cette règle eût quelque valeur, il tau« Brait que nous fussions d'accord sur ce qu'on entend par cette vraie et sainte Église. Or, attendu qu'il y a à cet égard de grands dissentiments; qu'il n'est de doctrine certaine que celle qui est conforme à la parole de Dieu ; que le Seigneur défend d'en enseigner une autre ; cc que chaque texte de la sainte Écriture doit être expliqué par d'autres textes plus clairs; que ce saint livre est dans toutes les choses nécessaires au chrétien, facile et propre à dissiper les ténèbres, nous sommes résolus, avec la grâce de Dieu, à maintenir la prédication pure et exclusive de sa seule Parole, telle qu'elle est conte- «nue dans les livres bibliques de l'Ancien et du Nouveau Testament, sans rien y ajouter qui lui soit contraire I. Cette Parole est la seule vérité; elle est la norme assurée de toute doctrine et de toute vie, et ne peut jamais ni manglier ni tromper.

Celui qui bâtit sur ce fondement subsistera contre toutes les puissances de l'enfer; tandis que toutes les vanités humaines qu'on y oppose tomberont devant la face de Dieu. « C'est pourquoi, très-chers seigneurs, oncles, cousins et amis, nous vous supplions cordialement de peser avec soin nos griefs et nos motifs. « Que si vous ne vous rendez pas à notre requête, nous PROTESTONS par les présentes, devant Dieu, notre unique créateur, conservateur, rédempteur et sauveur, et qui un jour sera notre juge, ainsi que devant tous les hommes et cc toutes les créatures, que nous ne consentons ni n'adhérons en aucune manière, pour nous et les nôtres, au décret proposé, dans toutes les choses qui sont contraires à Dieu, à sa sainte «Parole, à notre bonne conscience, au salut de «nos âmes, et au dernier décret de Spire.

78

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« En même temps, nous nous flattons que Sa Majesté Impériale se comportera à notre égard comme un prince chrétien qui aime Dieu par- dessus toutes choses; et nous nous déclarons cc prêts à lui rendre, ainsi qu'à vous tous, gracieux qui sont notre juste et légitime devoir.»

Ainsi parlèrent, en présence de la Diète, ces hommes courageux que la chrétienté appellera dorénavant les Protestants.

A peine avaient-ils fini, qu'ils annoncèrent leur intention de quitter Spire le lendemain. Cette protestation et cette déclaration firent une vive impression. On voyait la Diète, brusquement interrompue, se partager en deux camps ennemis, et préluder à la guerre; aussi la majorité était-elle en proie aux craintes les plus vives.

Quant aux Protestants, s'appuyant de droit humain sur l'édit de Spire, et de droit divin sur la Bible, ils étaient pleins de fermeté et de courage.

Les principes contenus dans cette célèbre protestation du 15 avril 1529 constituent l'essence même du protestantisme. Or la protestation s'élève contre deux abus de l'homme dans les choses de la foi: le premier, c'est l'intrusion du magistrat civil, et le second, c'est l'autorité arbitraire du clergé. A la place de ces abus, le protestantisme établit en face du magistrat le pouvoir de la conscience; et en face du clergé, l'autorité de la parole de Dieu.

Il récuse (l'abord la puissance civile dans les choses divines, et dit, comme les apôtres et les prophètes: Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Sans porter atteinte à la couronne de Charles-Quint, il maintient la couronne de Jésus-Christ, Mais il va plus loin : il établit que tout enseignement humain doit être subordonné aux oracles de Dieu. L'Église primitive elle-même, en reconnaissant les écrits des .apôtres, avait fait acte de soumission à cette autorité suprême, et non acte d'autorité, comme Rome l'assure. L'établissement d'un tribunal chargé de l'interprétation de la Bible n'avait abouti qu'à soumettre servilement l'homme à l'homme, dans ce qu'il doit avoir de plus libre, la conscience et la foi. Dans l'acte célèbre de Spire, aucun docteur ne parait, et la parole de Dieu règne seule. Jamais homme ne s'est élevé comme le Pape, et ne s'est effacé comme Luther.

Un historien romain ne prétend que le mot «protestant » signifie « ennemi de l'Empereur et du Pape. » Si par-là l'on entend *que le protestantisme décline, dans les choses de la foi, l'intervention, soit de l'Empire, soit de la Papauté, à la bonne heure. Cependant cette explication même n'épuise pas le sens de ce mot; car le protestantisme ne repoussait l'autorité de l'homme que pour mettre sur le trône de l'Église Jésus-Christ, et dans la chaire de l'Église sa Parole.

Un système purement négatif n'eût jamais pu se maintenir contre la puissance gigantesque de l'Empire et les cruelles étreintes de la hiérarchie romaine. Il n'y eut jamais rien de plus positif et en même temps de plus agressif que la position des 79

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle protestants dans Spire. En soutenant que leur foi est seule capable de sauver le monde, ils défendaient avec un courage intrépide les droits du prosélytisme chrétien.

On ne peut abandonner ce prosélytisme, comme on l'a fait dès lors, sans se placer en dehors du principe protestant.

Les protestants ne se contentèrent pas d'élever la vérité, ils maintinrent la charité.

Faber et les autres partisans du Pape s'étaient efforcés de séparer les princes, qui marchaient en général avec Luther, des villes, qui se rangeaient plutôt du côté de Zwingle. Œcolampade en avait écrit aussitôt à Mélanchton, et l'avait éclairé sur les doctrines des Réformés. Il avait rejeté avec indignation la pensée que Christ fût relégué dans un coin du ciel, et avait déclaré avec énergie que, selon les chrétiens suisses, Christ était eu tout lieu, soutenant toutes choses par la parole de sa puissance. « Avec les symboles visibles, avait-il ajouté, nous donnons et nous recevons la grâce invisible, comme le croient tous l'es fidèles [2]. »

Ces déclarations ne furent point inutiles. Il se trouva à Spire deux hommes qui, par des motifs différents, s'opposèrent aux efforts de Faber et secondèrent ceux d'Œcolampade.

Le Landgrave, roulant toujours dans son esprit des projets d'alliance, sentait bien que si les chrétiens de la Saxe et de la liesse laissaient condamner les Églises de la Suisse et de la haute Allemagne, ils se priveraient par là même de puissants auxiliaires [3], et Mélanchton, qui, loin de désirer comme le Landgrave une alliance diplomatique, craignait qu'elle ne hâtât la guerre, mettait pourtant avant tout la justice, et s'écriait : «A quels justes reproches ne nous exposerions-nous pas, si nous reconnaissions à nos adversaires le droit de condamner une doctrine sans avoir entendu ceux qui la défendent?» L'union de tous les chrétiens évangéliques est donc aussi un principe de protestantisme primitif.

Ferdinand n'ayant point entendu la protestation du 19 avril, une députation des États évangéliques vint la lui présenter le lendemain. Le frère de Charles-Quint la reçut d'abord, mais voulut aussitôt la rendre; et l'on vit alors une scène étrange, le Roi se refusant 'à garder la protestation, et les députés à la reprendre. Ceux-ci enfin, par respect, la reçurent (les mains de Ferdinand, mais la posèrent hardiment sur une table, et quittèrent immédiatement la salle.

Le Roi et les commissaires impériaux restaient donc en présence de cet écrit formidable. Il était là, sous leurs yeux, monument significatif du courage et de la foi des Protestants. Bruité contre ce témoin muet, mais puissant, qui accusait sa tyrannie, et lui laissait la responsabilité de tous les maux qui allaient fondre sur l'Empire, le Roi appela quelques conseillers, et leur ordonna de reporter aussitôt aux Protestants ce document, importun.

80

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Tout cela était inutile; la protestation était enregistrée dans les annales du monde ; rien ne pouvait plus l'en effacer. La liberté de la pensée et de la conscience était conquise aux siècles à venir. Aussi toute l'Allemagne évangélique, pressentant ces résultats, s'émut de cet acte courageux, et l'adopta comme l'expression de sa volonté et de sa foi. Partout on y vit, non un événement politique, mais une action chrétienne; et le jeune prince électoral Jean-Frédéric, organe de son siècle, écrivit aux protestants de Spire : « Que le Dieu tout-puissant qui vous a fait la grâce de le confesser énergiquement, librement et sans aucune crainte, vous conserve dans cette fermeté chrétienne jusqu'au jour de l'éternité'! »

Tandis que les chrétiens étaient dans la joie, leurs ennemis s'effrayaient de leur propre œuvre. Le jour même où Ferdinand avait décliné la protestation, le mardi 20

avril, à une heure après midi, Henri de Brunswick et Philippe de Bade se présentèrent comme médiateurs, eu annonçant pourtant qu'ils n'agissaient qu'en leur propre nom. Ils proposaient qu'il ne fût plus question du décret de Worms, et que l'on maintînt le premier décret de Spire, mais avec quelques modifications.

Les deux partis, tout en demeurant libres jusqu'au prochain concile, s'opposeraient à toute secte nouvelle, et ne toléreraient aucune doctrine contraire au sacrement du corps du Seigneur [4].

Le mercredi 21 avril, les États évangéliques ne se montrèrent point éloignés de ces propositions, et ceux même qui avaient embrassé la doctrine de Zwingle déclarèrent hardiment qu'elles ne compromettraient pas leur existence. « Seulement, CC dirent-ils, rappelons-nous que, dans des choses « si difficiles, il faut agir, non avec le glaive, mais avec la parole de Dieu'[5]. Car, comme dit saint Paul, tout ce qui ne vient pas de la foi est péché. Si donc l'on contraint les chrétiens à faire ce qu'ils croient injuste, au lieu de les amener par la parole de Dieu à reconnaître ce qui est bon, on les force à pécher, ce qui est encourir une responsabilité terrible. »

Les fanatiques du parti romain frémirent en voyant la victoire près de leur échapper; car ils rejetaient ces accommodements, et voulaient purement et simplement le rétablissement de la Papauté. Leur zèle fut le plus fort : on rompit les négociations.

Le jeudi 22 avril, à sept heures du matin, la Diète s'assembla, et l'on y lut le recez tel qu'il avait été auparavant arrêté, sans faire même mention de l'essai de conciliation qui venait d'échouer.

Faber triomphait. Fier d'avoir l'oreille des rois, il s'agitait avec furie; et on eût dit, à le voir, rapporte un témoin oculaire, un Cyclope forgeant dans son antre les chaînes monstrueuses dont il allait lier la Réforme et les réformateurs [6]. Les princes papistes, emportés par le tumulte, « donnaient de l'éperon, dit Mélanchton, et se jetaient « tête baissée dans un sentier plein de périls [7]. » La dernière ressource des 81

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle chrétiens évangéliques était de se mettre à genoux et de crier au Seigneur. « Tout ce qui nous reste à faire, répétait Mélanchton, c'est d'invoquer le Fils de Dieu [8]. »

Le 24 avril, eut lieu la dernière séance de la Diète. Les princes renouvelèrent leur protestation, à laquelle quatorze villes libres et impériales se joignirent ; puis ils pensèrent à donner à leur appel une forme juridique.

Le dimanche 25 avril, deux notaires, Léonard Stetiier de Freysingen et Pangrace Salzmann de Bamberg, s'étaient assis devant une table, dans une petite chambre, au rez-de-chaussée d'une maison située dans la rue de Saint-Jean, près de l'église du même nom, à Spire; les chanceliers des princes et des villes évangéliques, assistés de quelques témoins, les entouraient [9].

Cette petite maison était celle d'un humble pasteur, Pierre Muterstatt, diacre de Saint-Jean, qui, faisant ce que l'Électeur n'avait pas voulu faire, avait offert domicile pour l'acte important qui se préparait; aussi son nom passera-t-il à la postérité. Le document ayant été définitivement rédigé, l'un des notaires en donna lecture. « Puisqu'il y a « entre tous les hommes une communauté naturelle, disaient les protestants, et qu'il est permis, même à des condamnés à mort, de s'unir pour en appeler de leur condamnation; combien plus nous, qui sommes membres d'un même corps spirituel, l'Église du Fils de Dieu, fils d'un même « Père céleste, et par conséquent frères selon l'Esprit [10], sommes-nous autorisés à nous unir, quand «

c'est de notre salut ou de notre condamnation « éternelle qu'il s'agit. »

Après avoir raconté tout ce qui s'était passé dans la Diète, et avoir intercalé dans leur appel les principaux actes qui s'y rapportaient, les protestants terminaient en disant : « Nous en appelons donc pour nous, pour nos sujets, et pour tous ceux qui reçoivent ou recevront à l'avenir la parole de Dieu, de toute vexation passée, présente ou future, à Sa Majesté Impériale et à une « assemblée libre et universelle de la sainte chrétienté. » Cet acte remplissait douze feuilles de parchemin; les signatures et les sceaux furent placés sur la treizième.

C'est ainsi que, dans l'obscure demeure du diacre Muterstatt, se faisait la première confession de la vraie union chrétienne. En présence de l'unité toute mécanique du Pape, ces confesseurs de Jésus relevaient la bannière de l'unité vivante de Christ ; et comme aux jours du Seigneur, s'il y avait plusieurs synagogues en Israël, il n'y avait du moins qu'un seul temple. Les chrétiens de la Saxe Électorale, du Lunebourg, d'Anhalt, de la Hesse et du Margraviat, de Strasbourg, de Nuremberg, d'Ulm, de Constance, de Lindau, de Memmingen, de Kempten, de Nordlingen, de Heilbron, de Reutlingen, d'Isny,, de Saint-Gall, de Weissenbourg et de Windsheim, se serraient la main, le 25 avril, près de l'église de Saint-Jean, en présence des persécutions qui les menaçaient.

82

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Parmi eux se trouvaient ceux qui, comme Zwingle, reconnaissaient dans la Cène la présence toute spirituelle de Jésus-Christ, aussi bien que ceux qui, comme Luther, admettaient la présence corporelle. Il n'y avait alors dans le corps évangélique point de sectes, point de haines, point de schismes : l'union chrétienne était une réalité.

Cette chambre haute, où, dans les premiers jours du christianisme, les apôtres, avec les femmes et les frères, persévéraient d'un commun accord dans la prière [11], et cette chambre basse, où, dans les premiers temps de la Réformation, les disciples renouvelés de Jésus-Christ se présentaient au Pape, à l'Empereur, au monde et à l'échafaud, comme ne formant qu'un seul corps, sont les deux cénacles, ou plutôt les deux berceaux de l'Église; et c'est à cette heure de sa faiblesse et de son humiliation que brille le plus sa gloire.

Après cet appel, chacun gagna silencieusement son logis. Divers indices faisaient craindre pour la sûreté des protestants. Peu auparavant, Mélanchton conduisait précipitamment vers le Rhin, à travers les rues de Spire, son ami Simon Grynéus, le pressant de traverser le fleuve. Celui-ci s'étonnait d'une telle précipitation « Un vieillard d'une apparence grave et solennelle, mais qui m'est inconnu, lui disait Mélanchton, vient de « se présenter à moi, et m'a dit : Dans un instant, des archers, envoyés par Ferdinand, vont arrêter Simon Grynéus. » Lié avec Faber, et scandalisé de l'un de ses sermons, Grynéus s'était rendu chez lui et l'avait supplié de ne plus faire la guerre à la vérité. Faber avait dissimulé sa colère, mais s'était rendu aussitôt chez le Roi, dont il avait obtenu un ordre contre l'importun professeur de Heidelberg [12]. Mélanchton ne doutait pas que Dieu n'eût sauvé son ami par l'envoi d'un de ses saints anges. Immobile sur le bord du Rhin, il attendait que les eaux du fleuve eussent dérobé Grynéus à ses persécuteurs. « Enfin, s'écria-t-il en le voyant sur l'autre bord, le voilà arraché « aux dents cruelles de ceux qui boivent le sang innocent '[13]. » De retour dans sa maison, Melanchthon apprit que des archers l'avaient parcourue, y cherchant partout Grynéus Rien ne pouvait plus retenir les protestants à Spire. Aussi le lendemain de leur appel, le lundi 26 avril, l'Électeur, le Landgrave, et les ducs de Lunebourg, quittèrent cette ville, arrivèrent à Worms, puis retournèrent par la Hesse dans leurs États. L'appel de Spire fut publié par le Landgrave le 5 mai, et par l'Électeur le 13.

Mélanchton était revenu à Wittemberg le 6, persuadé que les partis allaient tirer l'épée. Ses amis étaient frappés de le voir troublé, anéanti et comme mort [16]. «

C'est une grande affaire que «celle qui vient de se passer à Spire, leur disait-il. Elle est toute grosse de périls, non-seulement pour l'Empire, mais aussi pour la religion elle-même [17]. Toutes les douleurs de l'enfer m'écrasent [18]. » Ce qui affligeait le plus Mélanchton, c'est qu'on lui attribuait et qu'il s'attribuait lui-même tous ces maux. « Une seule chose nous a nui, disait-il; « c'est de n'avoir pas approuvé, comme on nous le demandait, l'édit contre les Zwingliens. »

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Luther ne voyait pas les choses aussi en noir, mais il était loin de comprendre l'importance de la protestation. «La Diète, disait-il, s'est terminée presque sans résultats, si ce n'est que ceux qui flagellent Jésus-Christ n'ont pu satisfaire leur fureur.»

La postérité n'a pas ratifié ce jugement; et, datant au contraire de cette époque la formation définitive du protestantisme, elle a salué dans la protestation de Spire l'un des plus grands mouvements dont l'histoire conserve le souvenir.

Reconnaissons ceux auxquels en revient la principale gloire. Le rôle que jouent les princes, et particulièrement l'électeur de Saxe, dans la Réformation de l'Allemagne, doit frapper tout observateur impartial. Ce sont eux qui sont les vrais réformateurs et les vrais martyrs. Le Saint. Esprit, qui souffle où il veut, les avait animés du courage des anciens confesseurs de l'Église, et le Dieu d'élection se glorifiait en eux.

Peut-être plus tard ce grand rôle des princes aura-t-il des conséquences déplorables : il n'est aucune grâce de Dieu que l'homme ne puisse pervertir. Mais rien ne doit nous empêcher de rendre l'honneur à qui revient l'honneur, et d'adorer l'œuvre de l'Esprit éternel dans ces hommes éminents, qui, après Dieu, furent, au seizième siècle, les sauveurs de la chrétienté.

La Réformation venait de prendre un corps. C'était Luther seul qui avait dit non à la Diète de Worms : les églises et les ministres venaient de dire non à la Diète de Spire.

Nulle part la superstition, la scolastique, la hiérarchie, la papauté, n'avaient été si puissantes que chez les peuples germaniques. Ces nations, simples et candides, avaient humblement tendu le cou au joug venu des bords du Tibre. Mais il y avait en elles une profondeur, une vie, un besoin de liberté intérieure, qui, sanctifiés par la parole de Dieu, pouvaient les rendre les organes les plus énergiques de la vérité chrétienne. C'est d'elles que devait émaner la réaction contre ce système matériel, extérieur, légal, qui avait pris la place du christianisme ; c'est elles qui devaient briser ce squelette que l'on avait substitué à l'esprit et à la vie, et rendre au cœur de la chrétienté, ossifié par la hiérarchie, les battements généreux dont il était privé depuis tant de siècles. L'Église universelle n'oubliera jamais ce qu'elle doit aux princes protestants de Spire et à Luther.

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FOOTNOTES

[1] Il y a deux rédactions de cet acte, l'une plus courte, l'autre plus longue, qui fut remise par écrit aux commissaires impériaux ; c'est de cette dernière que nous extrayons les principaux passages.

[2] Ubique sit et portet omnia, verbo virtutis sur. (Hospin., Hist. Sacr., II, p. 112.) 84

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[3] X4ptv yacp rhv cUpecrov !Jerk Tees aup.Gate6pciuov. (Ibid.)

[4] 1 Vergleich Artikel (Jung, Beytr., p. LV.)

[5] In diesen schweren Sachen, nichts mit Gewalt noch Schwerdt, sondern mit Gottes gewissem Wort. (Ibid., LIX. ) Ce document est de la main de Sturm.

[6] Cyclops ille nunc ferocem se facit. (C. R., I, p. 1062.)

[7] Ut ingrediantur lubricum isd iter, impingendo stimulis caltes. (C. R., I, 1o62.)

[8] De quo reliquum est ut invocerous Filium Dei. (Ib.)

[9] Untel' in einem kleinen Stüblein. (Instrumentum appellationis, Jung Beytr., p.

LXXVIII.)

[10] Membra unius corporis spiritualis Jesu Christi, et filii unius patris coelestis ideoque fratres spi ritua les. (Seck., 3o.)

[11] Actes, I, y. 14.

[12] Miranti quœ esset tant festinationis causa. (Camer. Vita Mel., p. Ii3.)

[13] Faber qui valde offemleretur oratione tali, dissimulare tamen omnia. (Ib.)

[14] Ereptus quasi e faucibus eorum qui sitiunt sanguinem innocentium. (Mel. ad Camer. 23 avril ; C. Ref., I, 1062.)

[15] Affluit armata quaedam manus ad comprehendum Gry-neum missa. (Camer.

Vit. Mel., 113.)

[16]Ita fui perturbatns, ut primis diebus peneextinctussim. (C. Ref., I, 1067.)

[17]Non enim tantum itnperium, sed religio etiam, periclitautur. ( Ibid.)

[18]Omnes (More; inferni oppresserant me. (Ibid., 1069.) 85

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VII.

L'Allemagne.— Les alliances protestantes échouent—Difficultés d'une union.'--Un avertissement luthérien.—Convocation à Marbourg.— Obstacles. — Décision de Zwingle. — Son départ. — La femme de Mathias Zell. — Les Réformateurs au château de Marbourg. — Demande de Carlstadt. — Mélanchton et Zwingle. — Trinité. — Saint-Esprit. — Péché originel. — Œcolampade et Luther, — La salle des Chevaliers. — Les docteurs réformés. — La requête de l'Église. Ceci est mon corps. — Syllogisme d'Œcolampade. — Zwingle entre dans la discussion. — La chair ne sert de rien. — La vieille chanson de Luther.—Lutte et agitation.— Conférence de l'après-midi. — Arrivée de nouveaux députés. Mathématiques. — Papisme. — Témoignage des Pères.—

Fulgence. Saint Augustin. — Œcolampade. — Le tapis. — Fin de la conférence. —

Jugements divers. — Efforts du Landgrave.— Nécessité de l'union. — Esprit sectaire des Luthériens. —Esprit pacifique des Suisses. — Dilemme de Bucer. —Luther se rapproche. — Luther rédige le projet d'union. — Unité de doctrine. — La Cène. —

Signature des articles. — Germe du papisme. — Séparation de la Papauté — Départ. —

Abattement de Luther. — Invasion de Soliman. — Sermon de bataille. -- Pierre et Luther. — Résultats de la conférence. —Agitation en Allemagne—

La protestation de Spire avait accru l'indignation des partisans du Pape ; et Charles-Quint, selon le serment qu'il avait prêté à Barcelone, s'appliquait à préparer un antidote convenable pour la maladie pestilentielle» dont les Allemands étaient atteints, et à venger d'une manière éclatante l'in suite faite à Jésus-Christ

[1].

Le Pape, de son côté, s'efforçait de faire entrer dans cette croisade tous les autres princes de la chrétienté; la paix de Cambrai, conclue le 5 août, facilitait l'accomplissement de ses desseins. Elle laissait à l'Empereur les mains libres contre les hérétiques. Après avoir fait la protestation de Spire, il fallait penser à la maintenir.

Les États protestants, qui, déjà à Spire, avaient jeté les bases d'une alliance évangélique, étaient convenus d'envoyer des députés à Rotach. Mais l'Électeur, ébranlé par les représentations de Luther, qui ne cessait de lui dire, « C'est en vous tenant tranquilles et en repos que vous serez délivrés, [2]» ordonna à ses députés d'écouter les propositions de ses alliés, toutefois sans rien décider. On s'ajourna à une nouvelle conférence, qui n'eut pas lieu.

Luther triomphait, car les alliances humaines échouaient. « Christ le Seigneur saura nous délivrer, sans le Landgrave, et même contre le Landgrave,» disait-il à ses amis [4]. Philippe de Hesse, contrarié par cette obstination de Luther, était convaincu qu'elle ne venait que d'une dispute de mots. « On ne veut pas entendre parler d'alliances à cause des Zwingliens, dit-il; eh bien! Faisons disparaître les différences qui les séparent de Luther. »

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle L'union de .tous les disciples de la parole de Dieu semblait, en effet, une condition nécessaire au succès de la Réforme. Comment les protestants résisteraient-ils à la puissance de Rome et de l'Empire, s'ils étaient divisés? Sans doute le Landgrave voulait unir les esprits, afin de pouvoir ensuite unir les épées, et ce n'est pas par de telles armes que la cause de Christ devait triompher. Mais si l'on parvenait à réunir les cœurs et les prières, la Réforme trouverait alors dans la foi de ses enfants une force telle, que les hallebardes de Philippe ne seraient elles-mêmes plus nécessaires.

Malheureusement cette union des esprits, que. l'on devait rechercher maintenant par-dessus toutes choses, était une œuvre fort difficile. Luther, en 1519, avait d'abord paru non-seulement réformer, mais rénover la doctrine de la Cène, comme les Suisses le firent plus tard. « Je vais au sacrement de la Cène, avait-il dit, et j'y reçois de Dieu un signe, que la justice et la passion de Christ me justifient; voilà l'usage du sacrement [5].» Ce discours, imprimé plusieurs fois dans les villes de l'Allemagne supérieure, y avait préparé les esprits à la doctrine de Zwingle. Aussi Luther, étonné de la réputation qu'on lui faisait, publia en 1527 cette déclaration solennelle :

« Je proteste devant Dieu et devant le monde entier que je n'ai jamais marché avec les sacramentaires. » En effet, Luther ne fut jamais Zwinglien quant à la Cène. Loin de là, en 1519, il croyait encore à la transsubstantiation. Pourquoi donc parlait-il d'un signe? Le voici. Tandis que, selon Zwingle, le pain et le vin sont les signes du corps et du sang de Jésus-Christ; selon Luther, le corps et le sang même de Jésus-Christ sont les signes de la grâce de Dieu. La différence est du tout an tout.

Bientôt le dissentiment se prononça. En 1527, Zwingle, dans son Exégèse amicale'

[6], réfuta avec douceur et respect l'opinion de Luther. Par malheur, le discours du réformateur saxon contre les enthousiastes sortait alors de presse; et Luther s'y indignait de ce que ses adversaires osaient parler de paix et d'unité chrétienne. « Eh bien! s'écriait- il, puisqu'ils se moquent ainsi du « monde, je veux leur donner un avertissement luthérien''. Malédiction à cette charité, malédiction à cette concorde!

A. bas ! À bas! dans l'a-

« Mme infernal ! Si j'égorgeais votre père, votre mère, votre femme, votre enfant, et que, voulant ensuite vous égorger vous-même, je vous disse, Restons en paix, mon cher ami! Que me répondriez-vous?... C'est ainsi que les enthousiastes égorgent Jésus-Christ mon seigneur, Dieu le Père, la Chrétienté ma mère, veulent encore m'égorger moi-même, et puis me disent: Soyons amis !... »

Zwingle répondit par deux écrits à « l'excellent Martin Luther. » Il le fit d'un ton froid, et avec un calme superbe, plus difficile à. pardonner que les injures du docteur saxon. « Nous devons vous regarder comme un vase d'honneur, lui dit-il, et nous .le faisons avec joie, malgré vos fautes.» Les écrits se succédèrent : Luther écrivant toujours avec la même fougue, Zwingle avec la même froideur et la même ironie.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Tels étaient les docteurs que le Landgrave entreprenait de réconcilier. Déjà, pendant. la diète de Spire, Philippe de Hesse, affligé d'entendre sans cesse répéter aux Papistes, « Vous qui vous dites attachés à la pure parole de Dieu, vous êtes pourtant désunis [7] », avait fait par écrit des ouvertures à Zwingle. Maintenant il fit plus, et invita les théologiens des divers partis à se réunir à Marbourg. Ces invitations reçurent un accueil bien différent. Zwingle, dont le cœur était large et fraternel, saisit la main du Landgrave ; mais Luther, qui, derrière cette prétendue concorde, découvrait des ligues et des batailles, la repoussa.

De grandes difficultés semblaient pourtant devoir retenir Zwingle. Pour se rendre de Zurich à Marbourg, il devait passer par les terres de l'Empereur et d'autres ennemis de la Réformation; le Landgrave lui-même ne lui dissimulait pas les dangers de la route '; pour y obvier, il lui promettait une escorte de Strasbourg en Hesse, et, jusque-là, la garde de Dieu [8]. Ces précautions n'étaient pas de nature à rassurer les Zurichois.

Des raisons d'un autre genre retenaient Luther et Mélanchton. « Il n'est pas bon, disaient-ils, que le Landgrave ait tant à faire avec les Zwingliens. Leur erreur est d'une nature telle, que les gens d'un esprit délié en sont facilement atteints. La raison 'aime ce qu'elle comprend, « surtout quand des hommes savants revêtent ses idées d'une apparence scripturaire. » Mélanchton ne s'en tint pas là, et mit en avant l'idée forte extraordinaire de prendre des Papistes pour juges de la dispute. « S'il n'y avait pas des juges impartiaux, disait-il, les Zwingliens au- «raient beau jeu pour se vanter de la victoire [9]. » Ainsi, selon Mélanchton, des Papistes devaient être des juges impartiaux, quand il s'agissait de la présence réelle !... Il alla plus loin encore.

« Que l'Électeur, écrivit-il le 14 mai au prince électoral, nous refuse la permission de nous rendre à Marbourg, en sorte que nous puissions alléguer cette excuse. »

L'Électeur ne voulut point se prêter à ce honteux manégé; et les réformateurs de Wittemberg se virent obligés d'accéder aux demandes de Philippe de Hesse. Mais ils le firent en disant: « Si les Suisses ne nous cèdent « pas, toute votre peine sera perdue; » et ils écrivirent aux théologiens de leurs amis, convoqués par ce prince : «

Si vous le pouvez, ne venez pas: « votre absence nous sera fort utile [10]. »

Zwingle, au contraire, qui eût été au bout du monde pour la concorde chrétienne, mettait tout en œuvre pour obtenir du magistrat de Zurich la permission de se rendre à Marbourg. « Je suis convaincu, disait-il au Conseil secret, « que si nous, docteurs, nous nous rencontrons face à face, la splendeur de la vérité illuminera «

nos yeux [11]. » Mais le Conseil, qui venait à peine de signer la première paix religieuse [12], et qui craignait de voir la guerre éclater de nouveau, se refusait au départ du Réformateur.

Zwingle alors se décida tout seul. Il reconnaissait que sa présence était nécessaire au maintien de la paix dans Zurich; mais c'était le bien de la chrétienté tout entière 88

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle qui l'appelait à Marbourg. Aussi, portant ses regards vers le ciel, il se résolut à partir, en s'écriant : « O Dieu! Qui ne nous a jamais abandonnés, tu exécuteras ta volonté pour ta propre gloire [13]. »

Pendant la nuit du 31 août au 1er septembre, Zwingle ne voulant pas même attendre le sauf-conduit du Landgrave, se préparait au départ. Rodolphe Collin, professeur de grec, devait seul l'accompagner. Le Réformateur écrivait au Petit et au Grand-Conseil : « Si je pars sans vous le dire, ce n'est pas que je méprise votre autorité, très sages seigneurs; mais c'est parce que, connaissant l'amour que vous me portez, je prévois que votre sollicitude s'opposerait à mou éloignement. [14] »

Comme il écrivait ces mots, arriva un quatrième message du Landgrave, plus pressant encore que les premiers. Le Réformateur envoya au bourgmestre la lettre du prince avec la sienne; puis il quitta sa maison, secrètement, de nuit', cachant son départ, soit à ses amis, dont il redoutait les instances, soit à ses ennemis, dont il craignait à bon droit les embûches; il ne dit pas même à sa femme le lieu où il allait, de peur de la troubler; puis, montant à cheval ainsi que Collin 29 il se dirigea rapidement vers Bâle.

Dans la journée, le bruit du départ de Zwingle se répandit dans Zurich, et ses ennemis en triomphèrent. « Il s'est enfui du pays, disaient-ils, et s'est sauvé avec des coquins! »—

« A Bruck, disaient d'autres, en traversant la rivière, il a fait naufrage, et il est mort.

» —

« Le Diable, assuraient plusieurs avec un sourire malin, le Diable lui est apparu corporellement, et l'a enlevé On n'en finissait pas, dit Raine.

Mais le Conseil se décida aussitôt à adhérer au dessein du Réformateur. Le jour même de son départ, on nomma, pour l'accompagner à Marbourg, l'un des conseillers, Ulrich Funck, qui partit aussitôt avec un domestique et un arquebusier.

Strasbourg et Bâle firent aussi accompagner leurs théologiens par des hommes d'État, dans la pensée que cette conférence aurait sans doute une portée politique.

Zwingle arriva sain et sauf à Bâle [15], et s'y embarqua le 6 septembre avec Œcolampade et quelques marchands [16]; en treize heures, il fut rendu à Strasbourg, où les deux Réformateurs logèrent dans la maison de Mathias Zell, prédicateur de la cathédrale. Catherine, femme de ce pasteur, préparait les mets à la cuisine, servait à table, selon les mœurs antiques de l'Allemagne [17]; puis, s'asseyant près de Zwingle, l'écoutait attentivement, et parlait avec tant de piété et de science, que celui-ci la mit bientôt au-dessus de beaucoup de docteurs.

Zwingle, après avoir discuté avec les magistrats de Strasbourg sur les moyens de résister à la ligue romaine, et sur l'organisation à donner à la confédération 89

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle chrétienne, quitta cette ville; et conduit, ainsi que ses amis, par des chemins perdus, des forêts, des montagnes, des vallées, des routes cachées mais sûres, il arriva enfin à-Mar-bourg, escorté de quarante cavaliers hessois ‘[18].

Luther, accompagné de Mélanchton, de Cruciger et de Jonas, s'était arrêté sur la frontière de la Hesse, déclarant que rien ne lui ferait mettre le pied dans ce pays, tant qu'il n'aurait pas le sauf-conduit du Landgrave. Ce document obtenu, Luther arriva à Alsfeld, où les écoliers à genoux, sous les fenêtres du Réformateur, lui chantèrent leurs pieux cantiques ; puis il entra dans Marbourg le 30 septembre, lendemain du jour où les Suisses y étaient arrivés. Les uns et les autres descendirent dans des auberges; mais ils y étaient à peine, que le Landgrave les fit inviter à prendre leur gîte au château, pensant rapprocher ainsi les partis contraires. Philippe les logea et les nourrit tous d'une manière vraiment royale [20].

« Ah! disait le pieux Jonas en parcourant les salles de ce palais, ce n'est pas en l'honneur des Muses, mais eu l'honneur de Dieu et de son Christ, qu'on nous traite si magnifiquement dans ces forêts de la Hesse. »

Le premier jour, après dîner, Œcolampade, Hédion et Bucer, désireux d'entrer dans les vues du prince, allèrent saluer Luther. Celui-ci pria cordialement avec Œcolampade dans la cour du château ; mais Bucer, avec lequel il avait été autrefois très-lié et qui était alors du côté de Zwingle, s'étant approché, Luther lui dit en souriant, et lui faisant signe de la main : « Toi, tu es un drôle et un fripon ! »

Le malheureux Carlstadt, qui avait commencé toute cette dispute, se trouvait alors en Frise, prêchant la présence spirituelle de Christ, et vivant dans un tel dénuement, que, pour avoir du pain, il avait dû vendre sa Bible hébraïque.

L'épreuve avait brisé son orgueil; il écrivit au Landgrave : [21] Nous ne sommes qu'un corps, qu'une maison, qu'un peuple, qu'une race sacerdotale; nous vivons et nous mourons par le seul et même Sauveur [22]. C'est pourquoi, moi pauvre exilé, je prie humblement Votre Altesse, par le sang de Jésus-Christ, de me permettre d'assister à cette dispute. »

Comment mettre Carlstadt en présence de Luther? et pourtant, comment repousser ce malheureux? Le Landgrave, pour sortir de peine, le renvoya au réformateur saxon. Carlstadt ne parut pas.

Philippe de liesse désirait que les théologiens eussent, avant la conférence publique, un entretien particulier; toutefois on regardait comme dangereux, dit un contemporain, que Luther et Zwingle, violents de leur nature, eu vinssent, dès le commencement, aux prises ; et comme Œcolampade et Mélanchton étaient les plus débonnaires, on les partagea entre les plus rudes [23]. Le vendredi ter octobre, après k service, on conduisit Luther et Œcolampade dans une chambre, et Zwingle 90

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle et Mélanchton dans une autre; puis on laissa ces nobles lutteurs s'essayer deux à deux.

Ce fut dans hi chambre de Zwingle et de Mélanchton que fut le principal combat. «

On assure, dit Mélanchton à Zwingle, que quelques-uns parmi vous parlent de Dieu à la manière des Juifs, comme si Christ n'était pas essentiellement Dieu. — Je pense sur la sainte Trinité, répondit Zwingle, comme le concile de Nicée et le symbole d'Athanase. — Des conciles !... des symboles!... Qu'est-ce à dire? répliqua Mélanchton; n'avez-vous pas sans cesse répété que vous ne reconnaissiez d'autre autorité que celle de l'Écriture ? Nous n'avons jamais rejeté les conciles, dit le réformateur suisse, lorsqu'ils se sont appuyés sur l'autorité de la parole de Dieu'[24].

« Les quatre premiers conciles sont sacrés quant aux dogmes, et nul fidèle ne les a jamais récusés. » Cette déclaration importante, transmise par Œcolampade, caractérise la théologie réformée.

Mais vous enseignez, reprit alors Mélanchton, comme Thomas Munster, que le Saint-Esprit agit tout seul, indépendamment des sacrements et de la parole de Dieu

»—«L'Esprit-Saint, répondit Zwingle, opère en nous la justification par la parole, mais par la parole prêchée et comprise, par l'âme et la moelle de la parole, par la pensée et la volonté de Dieu, recouvertes de paroles humaines »

« Du moins, continua Mélanchton, vous niez le péché originel, et ne faites consister le péché que dans les œuvres actuelles et extérieures, comme les Pélagiens, les philosophes et les Papistes. »

C'était le point difficile. « Puisque l'homme, de sa nature, s'aime lui-même, répondit Zwingle, au lieu d'aimer Dieu, c'est bien là un mal et un péché qui le condamne [26].

» Il avait plus d'une fois exprimé cette pensée [27]. Cependant Mélanchton triompha en l'entendant. « Nos adversaires, dit-il, ont cédé sur tous ces points! »

Luther avait suivi avec Œcolampade la même marche que Mélanchton avec Zwingle.

La discussion avait surtout roulé sur le baptême. Luther se plaignait qu'on ne reconnût pas que, par le simple signe, on devient membre de l'Église. « Il est vrai, dit Œcolampade, nous demandons la foi : ou une foi actuelle, ou une foi future.

Pourquoi le nierions-nous? Qui est chrétien, si ce n'est celui qui croit en Christ?

Cependant je ne voudrais pas affirmer que l'eau du baptême ne fût pas, en un certain sens, une eau régénératrice : car, par elle, celui que l'Église ne connaissait point devient son enfant [28]. »

Les quatre théologiens étaient dans le feu de la discussion, lorsque des valets vinrent leur annoncer que la table du prince était servie. Ils s'interrompirent donc, et Zwingle et Mélanchton rencontrèrent Œcolampade et Luther, qui sortaient comme eux. Œcolampade s'approcha de Zwingle, et lui dit tristement à l'oreille : « Je 91

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle suis tombé une seconde fois dans les mains du docteur Eck.» Dans la langue des Réformateurs, on ne pouvait rien dire de plus fort [29].

Il ne paraît pas que la conférence entre Luther et Œcolampade fut reprise après le dîner. La manière de Luther ne permettait pas de rien en attendre. Mais Mélanchton et Zwingle rentrèrent en séance ; et le docteur de Zurich trouvant que le docteur de Wittemberg lui échappait comme une anguille, disait-il, et prenait, comme Protée, mille formes diverses, saisit une plume, afin de fixer ainsi son antagoniste.

Zwingle couchait par écrit les paroles que lui dictait Mélanchton ; puis il écrivait ses réponses, et les lui donnait à lire [30]. Ils passèrent six heures à cette discussion, trois le matin et trois le soir [31]. Ou se prépara à la conférence générale.

Zwingle demandait qu'elle fût publique; Luther s'y opposa. On arrêta que les princes, nobles, députés et théologiens, y seraient admis; mais une grande foule de bourgeois, et même plusieurs savants et gentilshommes, accourus de Francfort, des contrées du Rhin, de Strasbourg, de Bâle et d'autres villes de la Suisse, en furent exclus. Brentz parle de cinquante à soixante auditeurs; Zwingle, seulement de vingt-quatre [32].

Sur une élévation que la Lahn arrose, se trouve un antique château d'où l'on domine la ville de Marbourg; plus loin, on découvre la belle vallée de la Lahn ; plus loin encore, des cimes échelonnées qui se perdent dans l'horizon. C'est sous les ogives et les cintres gothiques d'une salle antique de ce château, appelée la salle des Chevaliers, que la conférence devait avoir lieu.

Le samedi matin 2 octobre, le Landgrave s'assit dans la salle, entouré des gens de sa cour, mais si simplement habillé, que personne ne l'eût pris pour un prince; car il voulait éviter de paraître jouer, dans les choses de l'Église, le rôle d'un Constantin.

Devant lui se trouvait une table, dont Luther, Zwingle, Mélanchton et Œcolampade s'approchèrent.

Luther, prenant aussitôt un morceau de craie, se baissa sur le tapis de velours qui couvrait la table, et y traça d'une main ferme quelques mots en gros caractères.

Tous les yeux suivaient sa main, et bientôt on lut ces paroles: HOC EST CORPUS

MEUM [33]. Luther voulait que cette déclaration, sans cesse sous ses yeux, fortifiât sa foi, et servît d'avertissement à ses adversaires.

Derrière les quatre théologiens se rangèrent leurs amis, Hédion, Sturm, Funk, Trey, Éberard Than, Jonas, Cruciger, et d'autres encore. Jonas arrêtait sur les Suisses un regard scrutateur. « Zwingle, disait-il, a quelque chose de rustique et d'arrogant

[34] : s'il est versé dans les lettres, c'est en dépit de Minerve et des Muses. «Il y a dans Œcolampade une bonté naturelle et «une admirable douceur. Hédion semble avoir autant de libéralité que d'humanité; mais je trouve dans Bucer une ruse de 92

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle renard, qui sait se donner des airs d'esprit et de prudence. [35]» Les hommes du juste milieu sont souvent plus maltraités que ceux des partis extrêmes.

D'autres sentiments animaient ceux qui contemplaient de loin cette assemblée. Les grands hommes qui avaient entraîné les peuples sur leurs pas dans les plaines de la Saxe, sur les rives du Rhin et dans les hautes vallées de la Suisse, se trouvaient là en présence ; les chefs de la chrétienté séparée de Rome venaient voir s'ils demeureraient unis. Aussi, de toutes les parties de l'Allemagne se dirigeaient vers Marbourg des regards et des prières. « Princes illustres de la Parole » leur criait l'Église évangélique par la bouche du poète Cordus, pénétrant Luther, doux Ecolampade, magnanime Zwingle, pieux Snepf, disert Mélanchton, courageux Bucer, candide Hédion, excellent Osiander, vaillant Brentz, aimable Jonas, bouillant Craton, Moulus dont l'âme est plus forte que le corps, grand Denis, vous Myconius, vous tous que le prince Philippe, ce héros illustre, a appelés, ministres et évêques que les villes chrétiennes ont envoyés pour détourner le schisme et nous montrer la voie de la vérité, l'Église suppliante tombe en-larmes à vos pieds, et vous conjure, par les entrailles de Jésus-Christ, d'amener à bonne fin cette affaire, en sorte que le monde reconnaisse dans votre résolution l'œuvre de l'Esprit-Saint lui-même [36]. »

Le chancelier du Landgrave, Jean Feige, rappela, au nom du prince, que le colloque avait pour but de rétablir l'union. « Je proteste, dit alors Luther, que je diffère de tries adversaires quant à la doctrine de la Cène, et que j'en différerai toujours.

Christ a dit : Ceci est mon corps. Que l'on me montre qu'un corps n'est pas un corps.

Je rejette la raison, le sens commun, les arguments «de la chair, et les preuves mathématiques. Dieu «est au-dessus des mathématiques I. Nous avons la parole de Dieu; il faut l'adorer et la faire ! »

« On ne peut nier, dit Œcolampade, qu'il y ait des figures dans la parole de Dieu : Jean est Élie, la pierre était Christ, Je suis le cep. L'expression « Ceci est mon corps est une figure du même genre. » Luther accorda qu'il y avait des figures dans la Bible, mais il nia que cette dernière parole en fût une.

Tous les partis dont se compose l'Église chrétienne voient pourtant une figure dans ces paroles [37]. En effet, les Romains déclarent que Ceci est mon corps veut dire, non-seulement mon corps, mais aussi- mon sang, mais encore mon âme et même ma divinité, Christ tout entier [38]. Ces mots sont donc, selon Rome, une synecdoque, figure qui prend la partie pour le tout. Quand il s'agit des Luthériens, la figure est plus évidente encore [39]. Qu'il y ait ici synecdoque, ou métaphore, ou métonymie, toujours y a-t-il figure Œcolampade, pour le prouver, fit ce syllogisme: « Ce que Christ a rejeté au sixième Chapitre de saint Jean, il n'a pu l'admettre dans les paroles de la Cène.

« Or Christ, qui dit aux Capernaïtes, La chair ne sert de rien, a rejeté par là même la manducation orale de son corps.

93

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Donc il ne l'a pas établie lors de l'institution de la Cène. »

LUTHER. « Je nie la mineure (la seconde de ces propositions). Christ n'a pas rejeté toute manducation orale, mais seulement une manducation grossière, semblable à celle de la chair de bœuf ou de porc [40]. »

ŒCOLAMPADE. « Il y a du danger à trop attribuer à la matière. »

LUTHER. « Tout ce que Dieu commande devient esprit et vie. Si c'est par l'ordre du Seigneur que l'on relève un brin de paille, on fait en cela une œuvre spirituelle.

C'est à celui qui parle qu'il faut faire attention, et non à ce qu'il dit. « Dieu parle : hommes, vermisseaux, écoutez! — Dieu coma mande : que le monde obéisse, et que tous ensemble, nous prosternant devant sa parole, nous lui donnions un humble baiser '! [41] »

.ŒCOLAMPADE. « Mais puisque nous avons la manducation spirituelle, qu'avons-nous besoin de celle du corps ? »

LUTHER. « Je ne demande pas quel besoin nous en avons; « mais je vois qu'il est écrit : Mangez, ceci est mon « corps. Il faut donc le croire et le faire. —Il faut « le faire ; il faut le faire ; il faut le faire Si « Dieu m'ordonnait de manger du fumier, je le ferais, certain que cela me serait salutaire'. [42]» — Parole d'obéissance et de foi, quoique revêtue sans doute d'une forme étrange.

Alors Zwingle entra dans la discussion. « Il faut expliquer l'Écriture par l'Écriture, dit-il. On ne « peut admettre deux espèces de manducation corporelle, et dire que Jésus a parlé de manger, « et les Capernaïtes de mettre en pièces ; car le « même mot est employé dans les deux cas. « Jésus dit que manger sa chair corporellement «

ne sert de rien (Jean, VI, 63), d'où il résulterait « qu'il aurait donné dans la Cène une chose qui « nous serait inutile... Du reste, il est certaines paroles qui me semblent un peu puériles, comme celle du fumier, par exemple. Les oracles des démons étaient obscurs: tels ne sont pas ceux « de Jésus-Christ. [43]»

LUTHER. « Quand Christ dit que la chair n'est rien, il ne parle pas de sa chair, mais de la nôtre. »

ZWINGLE. « L'âme se nourrit d'esprit, et non de chair. »

LUTHER. « C'est avec la bouche qu'on mange le corps ; « l'âme ne le mange pas '.»

ZWINGLE. « Le corps de Christ est donc une nourriture « corporelle, et non une nourriture de l'âme.

LUTHER. « Vous êtes captieux. »

ZWINGLE. « Non; mais vous dites des choses contradictoires. »

94

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle LUTHER. « Si c'était Dieu qui me présentât des pommes sauvages, ce serait spirituellement que je les mangerais. Dans la Cène, la bouche reçoit le « corps de Christ, et l'âme croit à ses paroles. »

Zwingle cita alors un grand nombre de passages de l'Écriture, dans lesquels le signe est désigné par la chose signifiée elle-même, et en conclut que, vu la déclaration du Seigneur dans saint Jean, La chair ne sert de rien, il fallait expliquer de même les paroles de la Cène.

Plus d'un auditeur était frappé de ces arguments. Au milieu des professeurs de Strasbourg, on voyait s'agiter la longue et maigre figure du Français Lambert. Il avait été d'abord de l'opinion de Luther [44], et se trouvait alors chancelant entre les deux Réformateurs. « Je veux être, disait-il en se rendant au colloque, une feuille de papier blanc, sur laquelle le doigt de Dieu écrive sa vérité. » Bientôt, entendant Zwingle et Œcolampade, il s'écria : « Oui ! L’Esprit ; voilà ce qui « vivifie [45] ! »

Quand cette conversion fut connue: « Légèreté gauloise! » dirent les Wittembergeois en haussant les épaules. « Quoi! répondit Lambert, saint Paul était-il léger parce qu'il renonça au pharisaïsme ? Et l'avons-nous été nous-mêmes, parce que nous avons abandonné les « sectes perdues de la Papauté ? »

Cependant Luther n'était nullement ébranlé. « Ceci est mon corps, répétait-il en montrant du « doigt les paroles écrites devant lui ; ceci est mon « corps. Le Diable ne me sortirait pas de là. Cher« cher à comprendre, c'est déchoir de la foi [46]. »

« Mais, Monsieur le docteur, dit Zwingle, saint « Jean nous explique comment se mange le corps « de Christ, et il faudra bien que vous en veniez à « ne pas nous chanter toujours les mêmes chansons. [47]»

« Vous employez, dit Luther, des expressions « révoltantes [48]. » Les Wittembergeois appelaient cependant eux-mêmes l'argument de Zwingle « sa vieille chanson [49]. » Zwingle, sans se troubler, reprit : Il ajoutait que le corps du Christ n'était dans la Cène

« Je vous demande, Monsieur le docteur, si « Christ, dans le sixième Chapitre de saint Jean, « n'a pas voulu répondre à la question qui lui était « adressée ? »

LUTHER. « Monsieur Zwingle, vous voulez me fermer la « bouche par votre ton arrogant. Ce passage n'a « rien à faire ici. »

ZWINGLE, vivement. « Pardonnez-moi, Monsieur le docteur, ce pas« sage vous casse le cou. »

LUTHER. « Ne faites pas tant le brave ! Vous êtes en Hesse, et non en Suisse. Dans ce pays, on ne coupe pas ainsi la gorge aux gens. »

95

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Puis, se tournant vers ses amis, Luther se plaignit vivement de Zwingle, comme si celui-ci avait réellement voulu qu'on lui coupât le cou. « ll emploie des termes de guerre, disait-il, des mots de sang'. [50]» Luther oubliait qu'il s'était lui-même servi d'une phrase semblable, en parlant de Carlstadt.

Zwingle reprit : « En Suisse aussi il y a bonne justice, et l'on ne rompt le cou à personne sans jugement. Ce mot indique seulement que votre cause est perdue et sans espérance.»

Une grande agitation régnait dans la salle des Chevaliers. La rudesse du Suisse et l'opiniâtreté du Saxon s'étaient rencontrées et heurtées. Le Landgrave, tremblant de voir échouer son projet de pacification, faisait signe de la tête qu'il adoptait l'explication de Zwingle. « Monsieur le docteur, dit« il à Luther, ne devrait pas se cabrer pour des « locutions si ordinaires. » N'importe ; la mer agitée ne pouvait plus se calmer. Le prince se leva, et l'on se rendit dans la salle à manger. Après le dîner, on se remit à l'œuvre.

« Je crois, dit Luther, que le corps de Christ est dans le ciel ; mais je crois aussi qu'il est dans le sacrement. Peu m'importe que cela soit contre « la nature, pourvu que cela ne soit pas contre « la foi [51]. Christ est dans le sacrement substantiellement, tel qu'il est né de la Vierge. »

Œcolampade cita alors ce passage de saint Paul : « Nous ne connaissons pas Jésus-Christ selon la chair [52]. »

LUTHER. « Selon la chair, veut dire ici, selon les affections charnelles [53]. »

ŒCOLAMPADE. « Vous ne voulez pas qu'il y ait une métaphore dans ces mots, Ceci est mon corps, et vous « admettez une synecdoque. »

LUTHER. « La métaphore ne laisse subsister qu'un signe; mais il n'en est pas ainsi de la synecdoque. Si l'on dit que l'on veut boire une bouteille, on entend bien que la bière est dans la bouteille. « Le corps de Christ est dans le pain, comme un glaive est dans son fourreau, ou comme l'Esprit-Saint est dans la colombe. »

On discutait ainsi, quand on vit entrer dails la salle Osiander,, pasteur de Nuremberg, Étienne Agricola, pasteur d'Augsbourg, et Brentz, pasteur de Halle eu Souabe, auteur du fameux Sinogramme. Le Landgrave les avait aussi invités. Mais Brentz, auquel Luther avait écrit de se garder de paraître, avait, sans doute par son indécision, retardé son départ et celui de ses amis. On les fit asseoir à Côté de Luther et de Mélanchton. « Écoutez, leur dit-on; et s'il est nécessaire, parlez. » Ils profitèrent peu de cette permission.

« Nous tous, sauf Luther, dit Mélanchton, nous a n'avons été que des personnages muets [54]. » La lutte continua. Zwingle, voyant que l'exégèse ne suffisait pas à Luther, y joignit la dogmatique, et subsidiairement la philosophie naturelle. « Je 96

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle vous objecte, « dit-il, cet article de notre foi : Ascendit in ecerc lutn, il est monté au ciel. Si Christ est au ciel quant à son corps, comment peut-il être dans « le pain ? La parole de Dieu nous enseigne qu'il « a été semblable en toutes choses à ses frères (Hébreu. II, 17.) Donc il ne peut être à la fois en plusieurs lieux. »

LUTHER. «Si je voulais raisonner, je me ferais fort de «prouver que Jésus a eu une femme, des yeux noirs [55], et a habité notre bon pays d'Allemagne. « Je me soucie peu des mathématiques. [56] »

« Ce n'est pas de mathématiques qu'il s'agit ici, « dit Zwingle, mais de saint Paul, qui dit aux Philippines : optfri, soa. laGév [57]. »

LUTHER l'interrompant. « Citez en latin ou en allemand, et non en « grec. »

ZWINGLE, en latin. « Excusez-moi, voilà douze ans que je ne me sers que du Testament grec. » Puis, continuant à lire le passage, il en conclut que l'humanité de Christ est d'une nature finie comme la nôtre.

LUTHER, montrant les mots écrits devant lui. « Très-chers messieurs, puisque mon Seigneur «Jésus-Christ dit : Hoc est corpus meum, je crois «que son corps est vraiment là. » Ici la dispute s'anime. Zwingle saute de sa chaire, s'élance vers Luther, et, frappant sur la table devant lui, il lui dit [58] : •Monsieur le docteur, vous établissez donc que « le corps de Christ se trouve localement dans la « Cène, car vous dites : Le corps de Christ est vrai« ment là. Lia, continue Zwingle, là, là...

Là est un adverbe de lieu [59]'. Le corps de Christ est donc de nature à se trouver en un lieu. S'il est dans un lieu, il est dans le ciel; d'où il résulte qu'il n'est pas dans le pain... »

LUTHER. Or Je vous répète que je n'ai rien à faire avec « les preuves mathématiques. Aussitôt que la parole de consécration est prononcée sur le pain, «

le corps est là, quelque méchant que soit le « prêtre qui la prononce. »

ZWINGLE. Vous rétablissez ainsi le papisme [60]'. »

LUTHER. « Ce n'est pas par le mérite du prêtre que cela x se fait, mais à cause de l'ordonnance de Christ. « Je ne veux pas, quand il s'agit du corps de « Christ, entendre parler d'un lieu particulier. Je « ne le veux absolument pas... »

ZWINGLE. « Faut-il donc que toutes choses se passent précisément comme vous le voulez ?...

Le Landgrave s'aperçut que la conversation s'échauffait de nouveau; le repas attendait; il inter rompit la dispute [61].

Le lendemain, 3 octobre, était un dimanche ; la dispute continua, peut - être à cause d'une épidémie, la sueur anglaise, qui venait d'éclater à Marbourg, et qui ne permettait pas de prolonger la conférence. Luther, revenant sur la discussion de la 97

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle veille, dit : « Le corps de Christ est dans le sacrement, s mais il n'y est pas comme en un lieu... »

ZWINGLE. «Alors il n'y est pas. »

LUTHER». « Les sophistes disent qu'un corps petit fort «bien être en plusieurs lieux à la fois. L'univers « est un corps, et pourtant on ne peut dire qu'il «soit quelque part.

»

ZWINGLE. « Ah! Votas parlez des sophistes, monsieur le docteur. Vraiment, nous voilà donc obligés de « retourner aux oignons et aux potées de chair d'Égypte Quant à ce que vous dites, que navets n'est nulle part, je prie les hommes intelligents de peser cette preuve: » Puis Zwingle, qui avait, quoi qu'en dit Luther, plus d'Une flèche dans son carquois, après avoir établi sa thèse par l'exégèse et la philosophie, se résolut à la confirmer par le témoignage des docteurs de l'Église.

« Écoutez, dit-il, ce que Fulgence, évêque de et Ruspe en Numidie, disait, au cinquième siècle, à Thrasitnond, roi des Vandales : Le Fils de Dieu « a pris les attributs de la véritable humanité, et n'a point perdu ceux. de la véritable divinité. «

Né dans les temps, selon sa mère, il demeure éternellement, selon la divinité qu'il tient du Père.

Venant de l'homme, il est homme, et par conséquent en un lieu ; issu du Père, il est Dieu, et par conséquent présent en tout lieu. Selon sa nature humaine, il était absent du ciel quand il « était sur la terre, et il quitta la terre quand il monta au ciel; mais, selon sa nature divine, il « demeura dans le ciel quand il en descendit, et « il n'abandonna pas la terre quand il en monta'. [62]

Mais Luther répétait toujours : « Il est écrit : Ceci est mon corps.» Zwingle, impatienté, lui dit : « Tout cela n'est qu'une mauvaise querelle. Un disputeur opiniâtre pourrait aussi mettre en avant ce mot du Seigneur à sa mère : roll à ton fils, en « montrant saint Jean. En vain l'expliquerait-on; « il ne cesserait de crier : «

Non, non, il a dit : Ecce «filius Nus, Voilà ton fils, voilà ton fils n’Écoutez un nouveau témoignage ; il est du grand saint Augustin : « Ne pensons pas, dit-il, que «

Christ, selon la forme humaine, soit en tout lieu; et gardons-nous, pour établir sa divinité, d'enlever à son corps sa vérité. Christ est maintenant partout présent comme Dieu, et pourtant, « à cause de son vrai corps, il se trouve dans un a- lieu défini du ciel'. [63]»

« Saint Augustin, répondit Luther, ne parle « pas ici de la Cène. Le corps de Christ n'est pas dans la Cène comme dans un lieu.

Œcolampade s'aperçut qu'il pouvait tirer parti de cette assertion de Luther. « Le corps de Christ, « s'écria-t-il, n'est pas localement dans la Cène; « il n'y est donc pas en vrai corps, car, chacun le « sait, l'essence d’un corps est d'être en un lieu. [64]»

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Ici finit l'entretien du matin. Œcolampade, en y réfléchissant, se convainquit que l'assertion de Luther pouvait être regardée comme un rapprochement. « Je rappelle, dit-il après le dîner, que « M. le docteur a concédé ce matin que le corps de Christ n'était pas dans le sacrement comme en un lieu. Recherchons donc amicalement quelle est la nature de la présence du corps de Christ. On ne me fera pas faire un pas de plus, s'écria Luther, qui vit où l'on voulait l'entraîner. « Vous avez pour vous Fulgence et Augustin, mais nous avons pour nous les autres Pères. »

Œcolampade, qui paraissait aux Wittembergeois d'une exactitude chagrinante, s'écria : «Nommez ces docteurs. Nous nous faisons fort de vous prouver qu'ils sont de notre avis.»

« Nous ne vous les indiquerons pas [65], répondit « Luther. C'est dans sa jeunesse, ajouta-t-il, qu'Augustin a écrit ce que vous citez ; et il est d'ail« leurs peu intelligible.

»

Puis, se repliant sur le terrain qu'il avait résolu de ne jamais quitter, il ne se contenta plus de montrer du doigt son inscription : Ceci est mon corps, mais il saisit le tapis de velours sur lequel elle se trouvait écrite, l'epleta de la table, le présenta à Ecolampade et à Zwingle, et, leur mettant les mots devant les yeux' [66]: « Voyez, dit-il, voyez ! Voici notre passage. « Vous ne nous en avez pas encore débusqués, comme vous vous en étiez vantés, et nous ne nous soucions pas d'autres preuves. »

« Puisqu'il en est ainsi, dit Œcolampade, il vaut mieux cesser la dispute. Mais auparavant je déclare que si nous citons les Pères, c'est pour purger notre doctrine du reproche de nouveauté, et non pour appuyer notre cause sur leur autorité. » On ne peut mieux définir l'usage légitime des docteurs de l'Église.

Il n'y avait pas lieu, en effet, à poursuivre la conférence. « Luther, d'un caractère intraitable et impérieux, dit à cette occasion Seckendorf même, son apologiste ne cessait de sommer les Suisses de se soumettre simplement à son avis.» Le chapelier, effrayé de cette issue du colloque, exhorta les théologiens à s'entendre. « Je ne connais pour cela qu'un moyen, dit Luther, et le voici : Que nos adversaires croient comme «nous.» —« Nous ne le pouvons, répondirent les Suisses.»—« Eh bien ! reprit Luther, je vous abandonne au jugement de Dieu, et le prie de vous éclairer.» — «

Nous faisons de même » dit Œcolampade. [67]

Pendant que ces paroles s'échangeaient, Zwingle était muet, immobile, profondément ému, et la vivacité de ses affections, dont il avait donné plus d'une preuve dans le colloque, se manifestant alors d'une tout autre manière, il fondit en larmes en présence de tous.

La conférence finit. Elle avait été au fond plus tranquille que les documents ne semblent l'indiquer, ou peut-être avait-on alors pour de telles appréciations une mesure différente de la nôtre.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Sauf quelques incartades, tout s'était passé paisiblement, avec des formes honnêtes, une souveraine douceur, dit un témoin [68]'. On n'entendait, dans le colloque, d'autres paroles que celles-ci : « Monsieur et très-cher ami; » «Votre charité,

» ou autres expressions semblables. Pas un mot de schisme et d'hérésie. On eût dit que « Luther et Zwingle étaient des frères, et non des « adversaires [69].» C'est le témoignage de Brentz; mais sous ces fleurs se cachait un abîme; et Jonas, aussi témoin oculaire, appelle ce colloque un très-rude combat [70].

La contagion qui avait soudainement envahi Marbourg y faisait de terribles ravages, et remplissait tout le monde d'effroi [71]; chacun avait hâte de quitter cette ville. «

Messieurs, dit le Landgrave, vous ne pouvez-vous séparer ainsi. Et, désirant fournir aux docteurs l'occasion de se voir sans préoccupation théologique, il les invita tous à sa table : c'était le dimanche soir.

Philippe de Hesse n'avait cessé de montrer l'attention la plus suivie, et chacun s'était imaginé l'avoir de son côté. « J'aime mieux ajouter foi aux simples paroles du Christ qu'aux subtiles pensées des hommes, avait-il dit, selon Jonas [72]. » Mais Zwingle assurait que ce prince pensait maintenant comme lui, quoique vis- à-vis de certains personnages il dissimulât sa pensée. Luther, sentant la faiblesse de sa défense quant aux déclarations des Pères, remit à Philippe une note, où se trouvaient indiqués divers passages d'Hilaire, de Chrysostome, de Cyprien, d'Irénée et d'Ambroise, qu'il croyait être en sa faveur.

Le moment du départ approchait, et l'on n'avait rien fait. Le Landgrave travaillait vigoureusement à l'union, ainsi que Luther l'écrit à sa femme [73]. Il faisait venir les théologiens l'un après l'autre dans son cabinet [74]; il pressait, priait, avertissait, exhortait, conjurait. « Pensez, disait-il, au salut de la république chrétienne; ôtez la discorde de son sein [75] ! » Jamais général d'armée ne prit tant de peine à gagner une bataille.

Il y eut donc une dernière réunion ; et sans doute l'Église en vit rarement de plus solennelle.

Luther et Zwingle, la Suisse et la Saxe, se voyaient pour la dernière fois. La sueur anglaise abattait des hommes par milliers tout autour d'eux ; Charles-Quint et le Pape s'unissaient en Italie; Ferdinand et les princes catholiques se préparaient à déchirer la protestation de Spire; l'orage devenait toujours plus menaçant; l'union seule semblait capable de sauver les protestants; et l'heure du départ allait sonner, et les séparer peut-être pour toujours. [76]

« Confessons notre unité dans toutes les choses où elle existe, dit Zwingle; et quant aux autres, rappelons-nous que nous sommes frères. La paix n'existera jamais entre les églises, si, tout en maintenant la grande doctrine du salut par la foi, on ne peut différer sur des points secondaires [77]» Tel est en effet le vrai principe de l'union 100

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle chrétienne. Le seizième siècle était encore trop plongé dans la scolastique pour le comprendre: il' faut espérer que le dix-neuvième siècle le comprendra mieux.

« Oui, oui, s'écria le Landgrave, vous êtes d'accord ! Donnez donc un témoignage de votre unité, et reconnaissez-vous comme frères.[78] » —

« Il n'y a sur la terre personne avec qui je désire plus être uni qu'avec vous, » reprit Zwingle en s'approchant des docteurs de Wittemberg [79]. Œcolampade, Bucer, Hédion, dirent de même.

« Reconnaissez-des, reconnaissez-les comme frères, » continuait le Landgrave. Les cœurs étaient émus; on se touchait presque ; Zwingle, fondant en larmes en présence du Prince, des courtisans et des théologiens (c’est Luther lui-même qui le raconte [80]) s’approche de Luther et lui tend la main. Les deux familles de la Réforme allaient s'unir; de longues querelles allaient être étouffées au berceau ; mais Luther rejette la main qu'on lui présente. « Vous avez un autre esprit que nous,

» dit-il. Ces paroles repoussent les Suisses comme un choc électrique. Leur cœur se fondait au dedans d'eux, chaque fois que Luther les répétait; et il les répétait souvent; c'est lui-même aussi qui nous en informe.

Il y eut alors un moment de consultation entre les docteurs de Wittemberg. Luther, Mélanchton, Agricola, Brentz, Jonas, Osiander, conférèrent ensemble. Convaincus que leur doctrine particulière sur la Cène était essentielle au salut, ils regardaient comme en dehors de la foi tous ceux qui la rejetaient. « Quelle folie! disait Mélanchton, qui plus tard se rangea presque au sentiment de Zwingle; ils nous condamnent, et pourtant «ils désirent être tenus par nous pour des frères'. [81] » —

« Quelle versatilité, ajoutait Brentz ; ils nous ont « accusés naguère d'être les adorateurs d'un Dieu «de pain, et ils demandent maintenant notre « communion

[82]! » Puis, se tournant vers Zwingle et ses amis: « Vous n'appartenez point, dirent les « Wittembergeois, à la communion de l'Église chrétienne; nous ne pouvons vous reconnaître pour des frères [83]. » Les Suisses étaient loin de cet esprit sectaire. «

Nous pensons, dit Bucer, que votre doctrine porte atteinte à la gloire de Jésus-Christ, qui règne maintenant à la droite du Père.

Mais CC voyant que vous reconnaissez en toutes choses votre dépendance du Seigneur, nous regardons à votre conscience, qui vous oblige à recevoir le dogme que' vous professez; et nous ne doutons pas que vous ne soyez à Christ. »

« Et nous, dit Luther, nous vous déclarons encore une fois que notre conscience s'oppose à ce que nous vous recevions comme des frères.»

« Cela étant, reprit Bucer, vous le demander, serait une folie. »

« Je m'étonne fort, poursuivit Luther, que vous vouliez me tenir pour votre frère.

Cela montre clairement que vous ne faites pas grand cas de votre propre doctrine. »

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Choisissez, dit Bucer, proposant un dilemme au Réformateur : ou bien vous ne devez point reconnaître comme frère quiconque diffère de vous en quelque point, et si c'est ainsi, vous ne trouverez pas un seul frère dans vos propres rangs ; ou bien vous recevrez quelques-uns de ceux qui diffèrent de vous, et alors vous devez nous recevoir. [84]»

Les Suisses étaient à bout de leurs sollicitations.

« Nous avons la conscience, dirent-ils, d'avoir agi comme en présence de Dieu. La postérité en rendra témoignage [85]. » Ils allaient se retirer ; Luther demeurait comme un roc, à la grande indignation du Landgrave [86]. Les théologiens hessois, Krafft, Lambert, Snepf, Lonicer, Mélandre, unirent leurs efforts à ceux du Prince.

Luther, ébranlé, entra de nouveau en pour parler avec ses collègues. « Prenons garde, à ses amis, qu'en nous mouchant trop fort, nous ne fassions sortir du sang

[87]. »

Alors, se tournant vers Zwingle et Œcolampade : « Nous vous reconnaissons comme des amis, dirent-ils; nous ne vous tenons pas pour des frères et des membres de l'Église du Christ [88] ; mais nous ne vous excluons pas de cette charité universelle que l'on doit à ses ennemis mêmes [89]. »

Zwingle, Bucer, Œcolampade, avaient le cœur brisé [90] ; car cette concession était presque une nouvelle injure. Néanmoins ils résolurent de prendre ce qu'on leur offrait. « Évitons soigneusement les paroles et les écrits durs et violents, dirent-ils, et que chacun se défende sans invectives [91]. »

Alors Luther s'avançant vers les Suisses:« Nous a y consentons, dit-il, et je vous tends la main « de charité et de paix. » Les Suisses émus se précipitèrent vers les Wittembergeois, et tous se serrèrent la main [92]. Luther lui-même était attendri; la charité chrétienne reprenait ses droits dans son cœur. « Certainement, dit-il, une grande partie du scandale est enlevée par la suppression de nos âpres débats; nous n'eussions osé tant espérer. « Que la main de Jésus-Christ ôte le dernier obstacle qui nous sépare [93].

Il y a entre nous une concorde bienveillante; et si nous prions avec «persévérance, la fraternité viendra. » On voulut assurer par un écrit cet important Hsultat: n Il faut faire connaître au monde chrétien, dit le Landgrave, que, sauf le mode de «présence du corps et du sang dans la Cène, « vous êtes d'accord dans tous les articles de la foi

[94]'. » On convint de la chose; mais qui chargerait-on de cet écrit? Tous les regards se portèrent sur Luther. Les Suisses eux-mêmes firent un appel à son impartialité.

Luther se retira dans son cabinet, préoccupé, inquiet, et trouvant la tache fort difficile. « D'un «côté, se disait-il, je voudrais ménager leur faiblesses; mais, de l'autre, je ne voudrais pas porter la moindre atteinte à la sainte doctrine de «Christ.

102

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[95]» Il ne savait comment s'y prendre, et ses angoisses ne cessaient d’augmenter. Il en sortit enfin : of Je m'en vais, dit-il, rédiger les articles de «la manière la plus exacte. Je sais-je pas que, «de quelque manière que je le fasse, ils ne voudront jamais les signer [96]?» Bientôt quinze articles furent couchés par écrit, et Luther, les tenant à la main, se rendit vers les théologiens des deux partis.

Ces articles sont importants; les deux doctrines qui s'étaient développées en Suisse et en Saxe d'une manière indépendante, étaient rapprochées et comparées entre elles : si elles étaient de l'homme, il devait se trouver en elles ou une servile uniformité, ou une notable opposition. Il n'en fut point ainsi. On reconnut entre la Réformation allemande et la Réformation suisse une grande unité, car elles provenaient d'un même enseignement divin, et une diversité secondaire, car c'était par des hourdes que Dieu les avait accomplies.

Luther prit son papier, et, lisant le premier article, il dit : « Premièrement, nous croyons qu'il y a un seul Dieu vrai et naturel, créateur du ciel, de la terre et de toutes les créatures; et que ce même Dieu, a unique en essence et eu nature, est triple en a personne, savoir : Père, Fils et Saint-Esprit, comme cela a été arrêté dans le concile de Nicée, et comme toute l'Église chrétienne le professe.»

Les Suisses donnèrent leur adhésion.

On s'accorda de même sur la divinité et l'humanité de Jésus-Christ, sur sa mort et sa résurrection, sur le péché originel, la justification par la foi, l'action du Saint-Esprit et de la Parole de Dieu, le baptême, les bonnes œuvres, la confession, l'ordre civil, les traditions.

Jusqu'à ce moment on était d'accord : les Wittembergeois ne revenaient pas de leur étonnement I. Les deux partis avaient rejeté, d'un côté, les erreurs des papistes, qui ne font guère de la religion qu'une affaire du dehors; de l'autre, celles des enthousiastes, qui ne parlent que du dedans; et ils se trouvaient entre ces deux camps, rangés sous la même bannière.

Mais le moment était venu où l'on allait se séparer. Luther avait gardé pour la fin l'article de la Cène. Le Réformateur reprit :

« Nous croyons tous, quant à la Cène, qu'elle «doit être célébrée sous les deux espèces, selon son «institution ; que la messe n'est pas une œuvre par laquelle un chrétien obtienne la grâce pour un autre homme mort ou vivant; que le sacrement de l'autel est le sacrement du vrai corps «et du vrai sang de Jésus-Christ; et que la jouis- «sauce spirituelle de ce corps et de ce sang est « principalement nécessaire à chaque fidèle. » C'était maintenant le tour des Suisses de s'étonner.

Luther continua : « Pareillement, quant à l'usage du sacrement, nous sommes d'accord que, comme la Parole, il «a été ordonné du Dieu Tout-Puissant, afin que les 103

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle consciences faibles fussent excitées par le «Saint-Esprit à la foi et à la charité. » La joie des Suisses redouble. Luther continue: « Et bien que nous ne soyons pas maintenant d'accord sur la question si le vrai corps et le vrai sang de Jésus-Christ sont corporellement dans le pain et dans le vin, cependant les deux parties intéressées se témoigneront de plus en plus l'une à l'autre une charité vraiment chrétienne, autant que la conscience le permettra ; et nous prierons tous assidûment le Seigneur « de daigner nous affermir, par son Saint-Esprit, dans la saine doctrine »

Les Suisses obtenaient ce qu'ils avaient demandé : unité dans la diversité. Il fut aussitôt résolu qu'on aurait une séance solennelle pour la signature des articles.

On les lut de nouveau. Œcolampade, Zwingle, Bucer et Hédion les signèrent les premiers sur un exemplaire, tandis que Luther, Mélanchton, Jonas, Osiander, Brentz et Agricola, les signèrent sur un autre; ensuite, des deux côtés on signa l'exemplaire de la partie adverse, et l'on envoya à la presse ce document important.

Ainsi la Réformation avait fait un pas important à Marbourg. Le sentiment de Zwingle sur la présence spirituelle, et celui de Luther sur la présence corporelle, se trouvent l'un et l'autre dans l'antiquité chrétienne; mais ce qui a toujours été rejeté, ce sont les deux doctrines extrêmes : d'un côté, celle des rationalistes, qui ne voient dans la Cène qu'une simple commémoration ; de l'autre, Osiander à l'accusatif « in den rechten Verstand », ce qui indiquerait un mouvement vers une chose qu'on n'a pas. Bullinger et Scultet ont le datif 2 Bullinger et d'autres indiquent le 3 octobre comme jour où l'accord fut signé. Osiander, témoin oculaire fort exact dans sa narration, indique le 4 octobre, ce qui concorde avec toutes les autres données.

celle des Papistes, qui y adorent une transsubstantiation. Ce sont là deux erreurs, tandis que la doctrine de Luther et celle de Zwingle, aussi bien que la doctrine mitoyenne de Calvin, ont été envisagées dans les temps anciens comme des manières diverses d'envisager la vérité. Si Luther avait lâché prise, il eût été à craindre que l'Église ne tombât dans l'extrême du rationalisme ; si Zwingle, qu'elle ne retombât dans l'extrême du Papisme. Il est salutaire que ces vues diverses subsistent; ce qui est pernicieux, c'est qu'en s'attachant à l'une d'elles, on anathématise les autres. « Il n'y a plus que cette petite pierre, écrivait Mélanchton, qui embarrasse l'Église du Seigneur. »

Tous, Romains et Évangéliques, Saxons et Suisses, admettaient la présence et même la présence réelle du Christ; mais ici était le point essentiel de séparation : cette présence s'accomplit-elle par la foi du communiant, ou par l'opus operatum du prêtre ? Le Papisme, le sacerdotisme, le puseyisme sont inévitablement en germe dans cette dernière thèse. Si l'on maintient qu'un prêtre méchant (comme disait 104

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Luther) opère cette présence réelle du Christ par trois paroles ; on est dans l'Église du Pape. Luther a semblé quelquefois admettre cette doctrine ; mais il a parlé souvent d'une manière plus spirituelle; et en prenant ce grand homme dans ses bons moments, nous ne voyons plus qu'unité essentielle et diversité secondaire dans les deux parties de la Réformation.

Sans doute le Seigneur a laissé à son Église des sceaux extérieurs de sa grâce, mais ce n'est pas à ces signes qu'il a attaché son salut. L'essentiel ; c'est le rapport du fidèle avec la Parole, avec l'Esprit—Saint, avec le Chef de l'Église. C'est cette grande vérité que la Réforme française et suisse proclame, et que le Luthéranisme même reconnaît. A partir du colloque de Marbourg, la controverse devint plus modérée.

Il y eut un autre gain. Les théologiens évangéliques proclamèrent à Marbourg, d'un accord unanime, 'leur séparation de la Papauté [97]. Zwingle n'était pas sans quelques craintes (mal fondées sans doute) à l'égard de Luther; ces craintes se dissipèrent. « Maintenant que nous sommes ceci, dit—il, les Papistes ne pourront plus espérer que Luther soit jamais des leurs [98]'. » Les articles de Marbourg sont le premier boulevard élevé en commun contre Rome par les Réformateurs.

Ce ne fut donc pas en vain qu'après la protestation de Spire, Philippe de Hesse chercha à rapprocher à Marbourg les amis de l'Évangile. Mais si le but religieux fut en partie atteint, le but politique fut entièrement manqué. On ne put arriver à une confédération de la Suisse et de l'Allemagne.

Néanmoins Philippe de Hesse et Zwingle eurent à cet égard de nombreuses et secrètes conversations. Elles inquiétaient les Saxons, non moins opposés à la politique de Zwingle qu'à sa théologie. « Quand vous aurez réformé la barrette des paysans, lui dit Jonas, vous prétendrez aussi réformer le chapeau de martre des princes. »

Le Landgrave ayant, le dernier jour, réuni tous les docteurs à sa table, ils se donnèrent amicalement la main [99]', et chacun pensa au départ. La concorde cordiale des chrétiens dans les doctrines essentielles, sans mettre en compromis les doctrines spéciales, tel était le résultat et l'exemple que la conférence de Marbourg laissait à la postérité.

Le mardi 5 octobre, le Landgrave quitta de bonne heure Marbourg, et le même jour, après-midi, Luther en sortit, accompagné de ses collègues; mais il n'en sortait pas en triomphateur. Un esprit d'accablement et d'effroi s'était emparé de son âme'[100].

Il s'agitait dans la poudre comme un ver, dit-il lui-même; il s'imaginait ne jamais revoir ni sa femme ni ses enfants, et s'écriait que lui, le consolateur de tant d'âmes angoissées, était maintenant sans aucune consolation [101].

105

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Cet état pouvait provenir en partie du manque de fraternité de Luther; mais il avait encore d'autres causes. Soliman était venu remplir une promesse faite au roi Ferdinand.

Celui-ci lui ayant redemandé, en 1528, la ville de Belgrade, le sultan avait fièrement répondu qu'il lui en porterait lui-même les clefs à Vienne. En effet, le Grand Turc, franchissant les frontières de l'Allemagne, avait envahi des régions que le sabot des coursiers musulmans n'avait jamais foulées ; et, huit jours avant le colloque de Marbourg, il avait couvert de ses tentes innombrables la plaine et les collines fertiles au milieu 'desquelles Vienne élève ses murs. C'était sous terre que la guerre avait commencée, les deux partis ayant creusé sous les remparts de profondes cavités.

A trois reprises, les mines des Turcs éclatèrent, et les murailles furent renversées

[102]. « Les balles volèrent dans les airs comme d'immenses essaims de petits oiseaux, dit un historien turc; et il y eut un vaste banquet dans lequel les génies de la mort choquèrent joyeusement les verres. » Luther ne resta pas en arrière. Déjà il avait écrit contre les Turcs, et maintenant il publia un Sermon de bataille. «

Mahomet, y disait-il, exalte Christ comme étant sans péché; mais il nie qu'il soit le vrai Dieu; c'est pourquoi il est son ennemi. Hélas ! Le monde est tel à cette heure, qu'il semble partout pleuvoir des disciples de Mahomet. [103]

Deux hommes doivent s'opposer aux Turcs : le premier c'est Chrétien, c'est-à-dire la prière ; le second c'est Charles, c'est-dire le glaive. Et d'ailleurs, je connais bien mes chers Allemands: porcs gras et bien remplis, ils ne pensent, dès que le danger s'éloigne, qu'à manger et «à dormir. Malheureux ! Si tu ne prends pas les armes, le Turc viendra, il t'emmènera dans sa Turquie, il t'y vendra comme un, chien, et tu devras servir jour et nuit, sous la verge et le rondin, pour un verre d'eau et un morceau de pain. Penses-y, convertis-toi, et demande au Seigneur de n'avoir pas le Turc pour maître d'école [104] »

Les, deux armes indiquées par Luger furent en effet vigoureusement employées; et Soliman, s'apercevant enfin qu'il n'était pas «l'âme de l'univers,» comme le lui avaient dit ses poètes, mais qu'il y avait dans le monde une force au-dessus de la sienne, leva le siège de Vienne le 16 octobre ; et l'ombre de Dieu, comme il s'appelait lui-Même, disparut dans le Bosphore et s'évanouit.

Mais Luther s'imagina qu'en se retirant des murs de Vienne, le «Turc, ou du moins son dieu, mi est le Diable, » s'était jeté sur lui, et que c'était cet ennemi de Christ et des siens quel dans son affreuse, agonie, il devait combattre et vaincre [105]. Il, y a une réaction immédiate de la, loi violée sur celui qui la viole. Or Luther avait .transgressé la loi royale, qui est la charité, et il en portait la peine. Il rentra enfin dans Wittemberg, et se jeta dans les bras des siens, « tourmenté par l'ange de la mort.»

106

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Ne méconnaissons pas toutefois les qualités essentielles à un réformateur, que Luther manifesta à Marbourg. Il y a dans l'œuvre de Dieu, comme dans un drame, des rôles différents. Que de caractères divers dans le collège des Apôtres et dans celui des Réformateurs! On a dit que le même caractère et le même rôle étaient échus à Luther et à Pierre, lors de la formation et de la réformation de l'Église [106].

Ils ont été, en effet, l'un et l'autre de ces hommes d'initiative qui s'élancent tout seuls en avant, mais à qui l'étendard qu'ils agitent donne bientôt une armée.

Peut-être y eût-il dans le Réformateur un trait qui ne fut pas au même degré dans l'Apôtre: c'est la fermeté. Pierre tomba à Antioche et dans la cour du souverain sacrificateur. Certes Luther, qui n'eut pas d'ailleurs les grâces miraculeuses de Pierre, ne fut pas sans chute, et nous venons de le montrer avec franchise; mais dès qu'il fut question de maintenir la doctrine qu'il croyait être celle de Dieu même, il fut toujours, et surtout à Marbourg, comme un inébranlable roc. Cette fermeté était nécessaire au succès de la Réformation. Sans partager toutes ses vues dans le colloque convoqué par le Landgrave, on est pourtant contraint de reconnaître en Luther, à Marbourg, non-seulement le grand homme, mais ce qui est plus, le héros de la foi. A cet intrépide témoin il eût aussi pu être dit : « Tu t'appelleras Céphas, c'est-à-dire, pierre. »

Quant à Zwingle, il quitta Marbourg, effrayé de l'intolérance de Luther. « Le Luthéranisme, «écrivait-il au Landgrave, pèsera sur nous aussi lourd que le Papisme [107].» Arrivé à Zurich le 19 octobre : « La vérité, dit-il à ses amis, l'a emporté d'une manière .si manifeste, que si jamais quelqu'un a été vaincu devant tout le monde, c'est Luther, quoiqu'il ne cessât de crier qu'il était invincible [108]. »

De son côté, Luther parlait de même. « C'est par crainte de leurs concitoyens,

«ajoutait-il, que les Suisses, quoique vaincus, n'ont pas voulu se rétracter [109]. »

Si l'on demande de quel côté fut donc la victoire, peut-être faut-il dire que Luther s'en donna les airs, mais que Zwingle en eut la réalité. La conférence répandit dans l'Allemagne la doctrine des Suisses, qui y était jusqu'alors peu connue ; et un nombre immense de personnes l'adoptèrent. Tels furent entre autres Laffards, premier recteur de l'école de Saint-Martin à Brunswick, Denis Mélandre, Juste Lening, Hartmann, Ibach, et d'autres encore. Le Landgrave lui-même, peu de temps avant sa mort, déclara que ce colloque lui avait fait abandonner la doctrine d'une présence corporelle de Christ dans la Cène.

Cependant ce qui domina cette époque célèbre, ce fut l'unité. Les adversaires en sont les meilleurs juges. Les Catholiques-romains étaient indignés que les Luthériens et les Zwingliens fussent tombés d'accord sur tous les points essentiels de la foi.

« Ils s'entendent entre eux contre l'Église catholique, disaient-ils, comme Hérode et Pilate contre Jésus-Christ [110]. » Les sectes enthousiastes disaient de même [111].

107

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle De l'extrême hiérarchique, ainsi que de l'extrême radical, on s'élevait également contre l'unité de Marbourg.

Bientôt une plus grande agitation vint apaiser toutes ces rumeurs, et des événements qui menaçaient tout le corps évangélique lui prêchèrent avec une nouvelle force sa grande et intime unité. L'Empereur, disait-on partout, irrité de la protestation de Spire, est débarqué à Gênes avec la pompe d'un conquérant. Après avoir juré, à Barcelone, de soumettre les hérétiques au Pape, il se rend vers ce pontife, pour fléchir humblement le genou devant lui; et il ne se relèvera que pour passer les Alpes et accomplir ses terribles desseins. « L'empereur Charles, écrivait Luther peu de jours après le débarquement de ce prince, a arrêté de se montrer contre nous plus cruel que le Turc lui-même, et déjà il fait entendre les plus horribles menaces. Voici l'heure de la faiblesse et de l'agonie de Jésus-Christ !

Prions or pour tous ceux qui auront bientôt à endurer la captivité et la mort [112]. »

Telles étaient les nouvelles qui troublaient alors l'Allemagne. La grande question était de savoir si la protestation de Spire pourrait être maintenue contre la puissance de l'Empereur et du Pape. Elle fut résolue en 1530.

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FOOTNOTES

[1] llatamque Christo injuriam pro viribus ulciscentur. (Dumont, Corps univ.

diplomatique, IV, 1, 5.)

[2] Isaïe, XXX, v. i

[3] L. Epp., III, 454.

[4] Unser Herr Christus, etc. (Ibid.). Cette foi de Luther est blâmée par un historien luthérien. (Planck., II, p. 454.)

[5] Arnica Exegesis, id est, Expositio Eucharistie negotii ad M. Lutherum. (Zw.

Opp.)

[6] Eine Lutherische Warnung. (Wider die Schwarm Geister. L. Opp., XX, 391.)

[7] Viam Francofurdi capias, quam autel) hac periculosiorem esse putamus. (Zw.

Epp. II, 329.)

[8] Juvante Deo tuti. (Zw. Epp., II, 329.)

[9] Papistische als Unpartheiische. (C. R., I, p. zo66.)

[10] Si potes, noli adesse. (L. Epp., III, 501.)

[11] Ut veritatis splendor oculos nostros feriat. (Zw. Epp., II, p. 321.) 108