L'ombre du sceptre by Gwendal CLAUDEL - HTML preview

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Chapitre I

Peuple d’Almendra, je vous salue !

n ce jour de marché sur la place Saint Jean, lieu priv

E ilégié de la vente à l’étalage, l’affluence est telle

qu’il est difficile de discerner distinctement ven-deurs et chalands. Fruits de saison, volaille parfumée aux épices importées tous droit des royaumes voisins, breu-vages aux arômes enivrants réservés à une classe de pri-vilégiés, etc. en voilà des mets d’exceptions ! Il ne fau-drait tout de même pas commettre l’irréparable tort de les laisser à une populace !

C’est justement avec cette pensée en tête qu’un jeune homme de 15 ans, Grinn Lesteure, déambulait le long des étals. Rien dans sa démarche ne laissait transpa-raître les idées sombres qui l’habitaient. Seul son regard acéré, aiguisé au fil des années, trahissait son expertise dans la complexe entreprise qu’est le vol à l’étalage. Un regard à gauche, un regard à droite, et un haussement de sourcil plus tard, guidé par son instinct, il filait dans les 7

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rues à la conquête de ce quelque chose qui retint son attention. Il semblerait d’ailleurs que cette journée n’allât pas y faire exception.

Un scintillement au loin, à demi camouflé par une foule de citadins, capta alors son attention. En s’approchant, il constata qu’un pendentif minutieuse-ment orné de jades sur toute la longueur de la chaîne, ainsi que d’un énorme saphir en son centre, était l’objet de toutes les convoitises. La tentation de s’en emparer était forte, rien que d’imaginer les gains que ce petit bijou pourrait lui rapporter en « l’offrant » à la guilde le faisait saliver à tel point qu’il manqua même de trébucher. Toutefois, deux énormes molosses armés jusqu’aux dents, dissuadaient quiconque tenterait follement d’émettre le désir de se l’approprier.

« Ces gardes ont sûrement été commandités par le marchand derrière la transaction. Mieux vaut attendre qu’un riche bourgeois se le procure. A ce moment, il me sera bien plus aisé d’obtenir gain de cause» pensa en son for intérieur le jeune voleur. Un coup d’œil à droite lui confirma la présence de Pat, un de ses camarades et ami de longue date. Un hochement de tête comme pour s’accorder sur la marche à suivre, suivi d’un sourire franc, source d’une confiance absolu l’un envers l’autre.

Durant cet instant d’échanges quasi-instantanés, se distingua à travers la foule un homme corpulent entouré de deux femmes bien plus modestement vêtues. L’une semblait moins avenante que sa collègue qui ne cachait pas ses intentions envers l’homme trapu. Il est monnaie 8

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courante dans la cité d’Almendra, ville portuaire du royaume de Sancris, de croiser des esclaves. Ces derniers sont le plus souvent la propriété de riches individus, à l’image de cet être bedonnant. Toisant d’un regard hau-tain la plèbe entourant sa future conquête, d’un pas cha-loupé, il se dirigea en direction d’une tente érigée non loin de là. Cachant ainsi l’identité du commerçant cette tactique permet de ne pas mettre en péril la vie de ce dernier, des suites d’une heureuse transaction.

Quelques temps plus tard, il en ressortit avec le sourire d’un homme comblé. A son flanc, était plaquée une boîte sertie d’autant de joyaux que le collier de l’étal.

Nul besoin de préciser que l’objet contenu dedans possédait sans doute une valeur marchande inestimable.

Comme pour railler les petites gens de ne pouvoir se permettre ce genre de dépense, l’homme corpulent s’affichait aux yeux de tous, geste audacieux dans les bas-quartiers d’Almendra.

« Les bourgeois fortunés ne font que rarement long feu dans les quartiers de ces villes. Soit celui-ci est extrê-mement confiant dans l’entité qui assure sa sécurité, soit la hâte le presse, le poussant à s’exposer ainsi ». Malgré le doute et les nombreuses interrogations qui le taraudaient, la tentation était trop forte. Un clin d’œil à Pat et les voici sur les traces du « dodus », nom communément donné aux riches bourgeois.

Pour ne pas attirer son attention ou celle de son es-corte, agir de façon naturelle est indispensable. Pas de gestes brusques, un regard qui parcourt l’ensemble des 9

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étals, qui s’arrête sur des bibelots de certains stands, les consulter d’un œil intéressé si besoin, et bien sûr, ne pas regarder dans la direction de la cible de manière insis-tante. Le succès de l’opération dépend de la bonne exécu-tion de cette filature.

L’accoutrement qu’affichait les deux jeunes voleurs se fondait particulièrement bien dans la masse. Une tu-nique légère avec des lanières en cuir sur les poignets et les chevilles, avec par-dessus, une cape rapiécée, signe d’une pauvreté évidente. Les coutures avaient été réali-sées de manière grossière, les étoffes qui la composaient fournirent un spectacle original pour qui s’attardait sur sa composition. Cependant, c’est bien ce « drap ridicule »

qui maintint au chaud le corps de ces jeunes âmes durant les rudes soirées d’hiver. Sous cette cape, était dissimulée une dague, longue d’une vingtaine de centimètres au fil émoussé. Détail insignifiant puisqu’après tout, l’utilisation première de cette arme blanche n’aura été pour le moment que la section de fils retenant les bourses des « dodus ».

Curieusement, depuis que le dodu était sorti de la tente, sa démarche semblait s’être modifiée. Ses pas se faisaient plus lourds, plus pressants, des perles de sueurs parsemaient son front qu’il s’empressait d’effacer à l’aide d’un petit chiffon brodé aux initiales L.M. Des petits coup d’œil furtifs jetés à droite et à gauche trahissaient une certaine anxiété. En y songeant, qui ne serait pas troublé lorsqu’en possession d’un bien capable de changer la destinée d’une famille de roturiers sur plusieurs généra-10

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tions ? De plus, les ruelles étroites entourant la place du marché étaient tristement réputées pour être le théâtre d’activités sordides une fois le soleil couché. Le jeune Grinn pouvait en témoigner puisque l’organisation pour laquelle il travaillait était justement l’instigatrice de ces histoires à glacer le sang. En conséquent, l’inquiétude du bourgeois en était alors excusée.

Soudain, le dodu se retourna d’un coup sec et croisa le regard de Pat. Eberlué, ce dernier ne put contenir sa surprise. Sa réaction dévoila au grand jour le plan de filature mené depuis la place Saint Jean.

Flanqué de ses deux compagnes, le bourgeois s’élança alors dans une des ruelles les plus étroites de la cité menant vers le vieux port ! Ni une ni deux, les deux garçons se lancèrent à sa poursuite ! Ces ruelles, les deux adolescents en étaient experts. Le complexe réseau de rues d’Almendra ne renfermait plus aucun secret pour ces deux âmes familières de ce type de terrain. Dans cet élan d’adrénaline, Grinn, plus expérimenté que Pat, prit la tête des opérations.

— Il faut à tout prix l’arrêter ! Il ne doit en aucun cas atteindre le vieux port ! Trop de gardes s’y trouvent depuis tu-sais-quoi !

— T’as raison, on fait quoi d’coup ?

— Je le prends de revers et toi tu le pourchasses pour l’empêcher de faire demi-tour ! On se retrouvera du côté de l’entrée ouest.

— C’est quoi un « revers » ?

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— T’occupes, fait ce que je te dis.

Sans perdre plus de temps, chacun s’attela à sa mission. Mentalement, Grinn scanna les environs afin de stopper la course du dodu avant que ce dernier ne débar-quait sur la vieux port et appelait à l’aide. « A droite au chemin du vieux chêne, je longe la rivière de la vieille et je tourne à gauche à la statue du roi ! ». Sautant par-dessus les ordures qui jonchent les ruelles, il croisa un couple de jeunes tourtereaux complètement inconscients de la situation actuelle. « Qu’il doit être bon de n’avoir comme seule souci le temps passé séparé de sa bien-aimé… soupira Grinn d’un air distrait ».

Perdu dans ses pensées, il ne remarqua pas la bouteille laissée à même le sol et trébucha. « Ouïe ! » Par son cri, il réveilla un soldat de la garde, somnolant sur des sacs de jutes, au pied de la statue à l’effigie du souverain de Sancris, le roi Vergon. Tentant de reprendre ses esprits, Grinn ne vit le garde se mettre en travers de son chemin. Une main crasseuse le saisit alors au col et le projeta violemment.

— Tu vas m’le payer morveux ! On t’a pas appris à respecter la garde ? Laisse-moi corriger cette erreur !

Le garde, ayant une grosse cicatrice au visage au niveau de l’œil droit, s’approcha alors de Grinn d’un air menaçant. Sonné, ce dernier ne put esquiver le coup de poing du garde. Bam ! Dans les côtes ! Le souffle coupé, tentant de reprendre sa respiration, Grinn se roula en boule, prêt à encaisser d’autres coups. Dans cette posi-12

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tion, impossible de répliquer. Un coup de pied vient, puis un autre, et encore un autre. Dans la ruelle, seul réson-naient des coups sourds et étouffés laissés par les coups du garde, ainsi que les grognements de Grinn qui les accompagnaient.

Le garde s’étant suffisamment défoulé, d’un air suffisant, décida de laisser « tranquille » le pauvre adolescent qu’il aura rué de coup. De son côté Grinn, habitué à recevoir ce genre de traitement de la part de la Garde se releva tant bien que mal en se soutenant au mur. « Allez debout Grinn, ce n’est pas le moment de flancher, il ne s’agirait pas de foirer la mission ». Résigné, longeant le mur en boitant, il continua sa route en direction du vieux port. « J’ai perdu bien trop de temps à cause de cette ra-clure de garde, si par malheur la mission est un échec, je saurais le retrouver et lui faire payer au centuple ce qu’il vient de me faire subir » s’est-il juré tout en tenant ses côtes endolories.

Le contexte particulier de la cité d’Almendra créa une kyrielle d’inégalités et d’accrocs dans son organisation. Par exemple, de nombreux soldats véreux s’en donnaient à cœur joie dans ces quartiers miséreux. Pot-devin, violence gratuite, liberté absolue dans l’exercice des fonctions, voici-là la vie d’un membre de la Garde dans les bas-fonds d’Almendra.

Vous pensez que les nobles de la ville, garant de son bon fonctionnement, se préoccupent du bien-être de l’ensemble de ses habitants ? A vrai dire, trop peu de personnes s’intéressaient réellement du quotidien et du de-13

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venir du petit peuple vivant dans les bas quartiers d’une cité aussi imposante qu’une ville portuaire de la taille d’Almendra. Après tout, ne nous intéressons-nous pas aux rats seulement lorsque ces derniers menacent de faire s’effondrer notre plafond ? Tant que leur existence ne présente aucun risque apparent, leur présence n’a que peu d’intérêt.

C’est avec ce fatalisme gravé dans sa chair que Grinn reprit sa route. « Pas le choix, je vais devoir traverser le quartier de la bonne sœur si je compte rattraper Pat et le dodu ».

La manœuvre s’annonçait périlleuse. Depuis plusieurs années, un gang rival s’était installé juste à côté de la zone d’activité de la guilde des voleurs à laquelle ap-partenait Grinn. Leurs membres se faisaient appelés les vipères et leurs méthodes étaient peu orthodoxes. En effet, ce gang n’hésitait pas à trancher la gorge de n’importe qui menaçant leur organisation. Honnêtes citoyens, riches bourgeois, gardes intègres, voleurs rivaux… aucune distinction tant que la présence de l’individu en question ne servait les intérêts de leur communauté. Ils faisaient régner un tel régime de crainte au sein de la cité, que la royauté, inquiète au vue de la tournure des évènements, décida de renforcer la puissance militaire en complément de l’instauration d’un couvre-feu dans les zones atte-nantes au quartier de la bonne sœur. La présence du garde à la cicatrice en était d’ailleurs la parfaite démons-tration.

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A cette heure de la journée, l’activité de ce quartier commençait à décliner, les quelques passants, pour la plupart des marins arrivés plus tôt dans la journée, déambulaient. Des calèches transportaient les quelques hommes aisés du port au centre-ville, des gardes pa-trouillaient… Cette activité rémanente arrangeait bien Grinn qui espérait passer inaperçu en se fondant dans le flux de circulation.

« Il ne s’agirait pas de se faire repérer par l’un des membres du gang rival. Je leur ai déjà causé quelques ennuis, pitié, faites que je passe inaperçu. Encore une allée à traverser et j’y suis ! » s’était-il réjoui. Se mettant à accélérer le pas pour atteindre au plus tôt sa destination, il aperçu du coin de l’œil à sa droite le miroitement d’un objet métallique à la lumière du soleil qui dardait ses derniers rayons. Plissant les yeux, il discerna une dague à la forme tristement célèbre. « Une dague courbée ! Le signe des vipères ! »

Ni une ni deux, craignant avoir été reconnu, il se mit à courir comme un dératé. « S’ils m’attrapent, je suis fichu ! ». Naviguant adroitement entre les passants, il s’efforça de conserver un air naturel pour ne pas trop attirer l’attention de la Garde postée non loin de là. Un regard en arrière confirma ses soupçons… les vipères le talonnaient !

Soudain, une rue adjacente, menant également au vieux port s’offrit à lui. « Pas le choix si je veux les semer » pensa-t-il tout en s’enfonçant dans la ruelle sombre.

Se cachant derrière un tonneau, il tendit alors l’oreille 15

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pour savoir si ses poursuivants l’avaient également em-pruntée. Les secondes passèrent sans qu’aucun bruit ne vienne déranger la tranquillité de la rue adjacente. « Ouf, c’était moins une… Plus qu’à continuer tout droit et avec un peu de chance, je devrais intercepter le dodu et Pat qui le poursuit ».

Continuant sa course, Grinn déboucha enfin sur l’entrée ouest du quartier du vieux port. Respirant à plein poumons, malgré les quelques relents nauséabonds laissés par les ordures des habitants, Grinn ne put s’empêcher d’apprécier les embruns marins. L’horizon s’étendait à perte de vue et l’on pouvait discerner des petits points noirs à l’horizon, des vaisseaux qui allaient et venaient entre les ports situés aux abords de la mer sans fond, en référence aux innombrables frégates qui peu-plaient ses abysses. Un vent de liberté et de plénitude gonflait les voiles de ses navires qui n’étaient que peu influencés par les misères de la terre.

S’extirpant de sa rêverie, Grinn se reconcentra sur sa mission qui ne lui laissait pas le luxe de compter sur l’amabilité des éléments. « Pat ne devrait plus tarder, je vais préparer une embuscade ». Tendant un fil de pêche d’une résistance plus que suffisante pour soutenir le poids de 10 hommes, Grinn se planqua dans un coin de la ruelle. Graduellement, des bruits d’éclaboussures laissés par les pas d’un homme de forte corpulence se firent entendre. Toujours planqué, Grin n’osa pas jeter, ne serait-ce qu’un coup d’œil, par peur de se faire repérer par le 16

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dodu. Par-dessus ces bruits se superposèrent des bruits de pas plus étouffés.

« Une personne accompagne le dodu, un enfant coure à ses côtés ? Une femme peut-être ? Cette seconde option lui parut plus probable. L’image du dodu flanqué de deux jeunes femmes de part et d’autre lui vint tout à coup à l’esprit. « Mais oui ! Une des femmes devait être chargée de sa protection ! Celle au visage plus fermé sans doute… ! La seconde, à la figure plus voluptueuse, devait sans doute avoir à charge la satisfaction de besoins plus…

personnels. D’où son absence…».

Splash, Splash Splash… Les voilà à deux pas de la corde ! L’imminence de la situation força Grinn à fermer les yeux. Soudain, quelqu’un se prit les pieds dans la corde. Cette dernière se tendit alors d’un coup sec. BAM !

Un bruit sourd se fit entendre. Un individu se serait « je-té » tête la première sur le sol ? Rouvrant les yeux, Grinn remarqua qu’une femme gisait complétement inerte sur les pavés lissés par le temps. Vérifiant son pouls, il confirma que la jeune femme n’était que seulement sonnée.

Au même moment, Pat déboucha sur l’entrée de la ruelle.

Son sourire narquois suffisait à prouver que sa petite course s’était avérée fort divertissante.

Le cri de rage d’un homme vraisemblablement éreinté de par sa voix hachée retentit dans la ruelle.

— Qu’avez-vous fait à ma servante ? Savez-vous au moins qui je suis ? Hors de ma vue !

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— Moins fort ! Tu risques d’attirer l’attention !

s’exclamèrent en cœur Pat et Grinn tout en dégainant leurs dagues.

— …

— Quoi t’as perdu ta langue l’schnok ? le provoqua Pat en le pointant avec son arme.

— …

— Sors d’ta bourse c’que t’as acheté au marchand t’à l’heure !

— Jamais vous n’en verrez le contenu vauriens !

— L’contenu ? D’quoi tu causes l’gros ?

— …

Conscient d’en avoir trop dit, le bourgeois préféra se taire plutôt que d’en dévoiler davantage. Palpant sur son flanc sa bourse à la forme singulière, comme pour s’assurer de la présence de quelque chose, le dodu poussa un grand soupir. De grosses gouttes de sueurs commen-cèrent à perler sur son front.

« Est-il effrayé à l’idée de perdre un de ses biens les plus précieux ? Non, quelque chose ne tourne pas rond.

J’ai volé bien des gens et le comportement qu’il affiche n’est similaire à aucun d’eux ». L’attitude du bourgeois est identique à celle des religieux protégeant véhément tout biens religieux. Comme si ce dernier craignait que l’essence même de son existence menacée si par malheur il venait à perdre l’objet de toutes les convoitises. « Pourquoi diable semble-t-il accorder plus de valeur au bijou qu’à sa propre vie ? » s’interrogèrent les deux adolescents.

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Impatient, Grinn s’avança et d’un air menaçant or-donna :

— Allez fini de jouer, il temps de filer l’oseille.

— Nooooon !! Ne vous approchez pas ! Laissez-moi partir et je vous rendrais riche !

— Tu as la langue bien pendue pour quelqu’un qui s’apprête à être volé.

— Ayez pitié d’un honnête citoyen…

— Il n’est de bourgeois honnête.

Sur ce, d’un coup vif, Grinn trancha les liens reliant la bourse à la ceinture du bourgeois. La happant dans sa chute, Grinn la fourra dans sa besace en travers du torse.

Il semblait qu’à cet instant l’âme du bourgeois venait de quitter son enveloppe charnelle. Désespéré, ce dernier agita les bras pour tenter de reprendre ce qui lui revenait de droit.

Voyant que cette manœuvre ne le mènerait nulle part, tentant le tout pour le tout, il se mit à crier au vol.

— Gaaaardes !!!! Au vo…

A peine eut-il eu le temps d’appeler au secours qu’un violent coup derrière le crâne, asséné par le dos de la dague de Pat le mit K.O.

Pas peu fier de son coup, Pat se permit de le railler.

— Au dodo mon gros, temps d’la p‘tite sieste.

— Pas le temps de s’attarder, la garde risque de rappliquer !

— On lui règle pas son compte ? Il a vu nos visages, il risque d’tout faire foirer !

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— J’ai dit qu’on a pas de temps à perdre !

— C’qu’on fait c’est contre les règles d’la guilde. Si Chef l’apprend, on risque pas d’revoir l’jour.

— On s’occupera de ça plus tard, il faut déguerpir !

Au loin, un cliquetis des cottes de mailles se faisait de plus en plus distinct. « La Garde rapplique ? » Venant du vieux port, le bruit força les jeunes hommes à faire demi-tour foncer en direction du quartier de la bonne sœur. Empruntant un dédale de rues contournant le territoire des vipères, les deux jeunes hommes se relaxèrent peu à peu.

L’enchaînement des événements fut tellement in-tense qu’ils en vinrent presque à oublier l’objet même de leur truanderie. S’imaginant la valeur potentielle de l’objet volé, les yeux de Grinn et de Pat s’illuminèrent à l’instar de la ville d’Almendra les jours de fête. Impatient, Pat ne put contenir son excitation et demanda à son comparse de révéler le contenu de la bourse. Vérifiant qu’il n’y a personne aux alentours, Grinn déballa avec soin l’objet précieux…

Retenant leur respiration, les mains moites, les ge-noux qui tremblaient à l’idée de devenir célèbre au sein de la guilde, Grinn ouvrit la boîte sertie de pierres pré-cieuses. « Pour que la contenant soit aussi finement orné, le contenu ne peut qu’être inestimable… ». Reluquant l’objet que renferme l’écrin, les deux garçons restèrent figés de stupeur. Un parchemin… Un simple morceau de papier…

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Pat, ne pouvant contenir sa rage, frappa du pied le cageot le plus proche. De son côté, Grinn, plus calme, examina d’un œil intrigué le parchemin. « Le papier est d’excellente qualité, aucune impureté ne se trouve dessus. Oh, un sceau, encore intact qui plus est ».

Constatant l’air absorbé de Grinn, Pat le héla.

— Eh Grinn, pour l’amour de la bonne sœur Andrea tu vas t’réveiller ?

— La ferme, je suis occupé là.

— Occupé à quoi ? Lire c’qui ya écrit d’dans ? T’sais même pas lire ! Commence déjà par régler ça et on cause-ra plus tard.

— Pas besoin de savoir lire pour savoir que ce qu’il y a écrit dedans doit valoir son pesant de viris. En plus la boîte doit valoir un paquet avec tous les cailloux qu’il y a dessus.

— M’en fous, on ramène tout à la planque d’toute façon, non ?

— Pour sûr, Chef sait lire, il en saura plus que nous.

— Ahahah, on aura bien mérité une pinte d’alcool en rentrant ! Qui sait, p’tête que Bea verra enfin que j’chuis un homme ?

— Dans tes rêves mon Pat, elle continuera encore à se moquer de toi… Par contre… Si tu deviens riche…

Riant et blaguant sur leur future fortune, les deux jeunes gens avaient hâte de rentrer à la maison et de partager au reste de la bande le succès de leur larcin. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’une paire d’adolescents 21

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met à terre un dodu. Pour être tout à fait honnête, l’appel de la récompense supplantait les tourments que leur retour à la « maison » générait.

C’est donc le cœur léger que repartirent nos deux jeunes voleurs. Cependant ni l’un ni l’autre ne vit la paire de yeux braquée sur eux depuis que Grinn sortit le parchemin.

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