Apocalypse en Krjoy by François TEPES - HTML preview

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Consensus commun et adaptateurs spécialisés

Critiques personnelles d’Andrjoz, salon d’étude en Grandson

J’étais très embarrassé de découvrir un Prvimozk si implacablement distordu et encombré. J’avais moi aussi pris les vessies de l’autorité raptor pour des lanternes durant ma pseudo-léthargie, et comme tout le monde j’avais grandi avec un tas de fausses certitudes qui se sont effondrées en fin d’exercice… une sacrée leçon d’humilité !

La population de Prvimozk, je veux dire sa masse critique, fonctionnait d’un même bloc stéréotypé. Les étudiants et les resquilleurs étaient ensemble rabaissés sur ce même terrain plat, confrontant leurs valeurs au quotidien. Ils partageaient néanmoins la même vision du monde, la même perception d’une condition krjoyenne pitoyable, et défendaient une même philosophie… un nihilisme sclérosant durement renforcé par le joug archnorien.

J’ai été pour ma part affublé d’un atypisme génétique, inconfortable en société car je sentais et voyais les choses autrement plus larges. Je sentais, sans pouvoir le définir vraiment, la noblesse des espaces libres à travers certains vêtements et la puanteur de l’iniquité au travers d’autres costumes. Certains uniformes dégageaient en effet un fétide relent d’urine animale !

Cette sensibilité s’est affinée avec le temps, et je me suis senti de plus en plus étranger au sens commun du bon citoyen krjoyen. Sa manière de voir, d’écouter et de dire, sa manière de penser et de faire, je trouvais cela affreusement désolant. Le paradigme dualiste de Prvimozk affichait à son menu la dépression, la maladie et la mort. Une perversion idéale pour les étudiants venus expérimenter les tourments de la séparation, concept inédit dans les espaces libres où la souffrance demeure une énigme hermétique.

J’ai pu observé durant cette immersion les médias de masse, produire de manière industrielle des images macabres et inventer des histoires toutes aussi sinistres que choquantes, comme autant de miasmes psychologiquement pathogènes diffusés en perfusion permanente. Ce traitement de fond était relayé sur le terrain par des agents aveugles, les adaptateurs sociaux. Chacun était cloisonné dans une spécialité idéalement étanche et devenait lugubrement imperméable, ce qui aboutissait à cette édifiante orchestration de l’anxiété de vivre que j’ai pu observé de première main à Prvimozk.

La Joie était sinistrement considérée contre-productive, partout en Krjoy, et toute perte de rendement donnait lieu à un sordide réajustement des variables. Oui, ma plus grande difficulté a été de renoncer à éclairer mon entourage plus conformiste. Malgré les meilleures intentions, les meilleures précautions, la plupart de mes proches réagissaient avec violence. Violence exprimée ou contenue, cela dépendait des mécanismes de défense alors déployés.

L’étudiant devenu neuneu, à défaut de comprendre ce qu’il est réellement, remet communément son choix d’identité aux autorités en vigueur dans son pseudo-groupe d’appartenance. Son consentement, même aveugle, est un choix et j’apprends à éviter toute forme d’ingérence en différant mes projections d’excellence. Cela n’a pas été évident pour moi, mais je suis davantage en paix avec ce trait de caractère depuis cette dernière immersion.

C’est notamment par la grâce de Zgravja, étudiante libre en Grandson, que je suis parvenu à accepter l’inacceptable en cette session d’exercice. Mon rôle m’affirmait-elle par delà son voile, était de m’asseoir tranquillement dans la Lumière de mon cœur et de diffuser ses rayons alentour, rien de plus. Juste Cela et rien d’autre. Malgré mes expériences, mon bagage universitaire, ma sensibilité et mes prises de conscience… j’étais visiblement dépité.

« - Ce sont les colibris qui préviennent les feux de forêt mon cher Andrjoz, en attendant l’arrivée des canadairs ! »

Zgravja m’entretenait télépathiquement sur des questions économiques, géo-politiques, et surtout pour ce qui m’intéressait sur les énigmatiques questions d’organisation psycho-sociale qui me taraudaient tant. Elle me confia par exemple la problématique des problématiques raptors : maintenir une compliance servile et cloisonnée parmi la population. J’étais impressionné par les moyens déployés.

« - Maintenir une telle angoisse existentielle… confuse et inavouable…

- Oui, c’est un challenge au filigrane grimaçant. Les hautes autorités reptiliennes enrobent de sainteté les pires distorsions, entraînant dans leurs mensonges les adaptateurs spécialisés en double aveugle. Le premier socle de soumission concerne la quête du Soi. Qui sommes-nous, d’où venons-nous et où allons-nous ?

- J’ai connu cela avec des adaptateurs religieux peu scrupuleux. Grâce à eux la Lumière devient poussière et l’âme qui quitte le corps devient le corps qui rend l’âme. L’innocence originelle est transmutée en culpabilité, la recherche de sens en hérésie… j’en ai beaucoup souffert

- Oui, je le sais, nous sommes témoins ici de ton périple. En Vérité, la bonté mal éclairée a causé d’incorrigibles avaries en Krjoy et la première torpille stellaire est pour ce vieux bâtiment à la dérive, cette vieille coque appelée religion. Une fois re-lié au Soi, une re-ligion en dehors de Lui relève du non-sens le plus élémentaire »

J’ai pu observé, de mes propres yeux, la réponse également donner par les systèmes éducatifs sur cette question du Soi. Elle s’opposait intelligemment aux dogmes religieux en servant des repas froids et sans saveur, néanmoins garantis plus digestes que les bouillons de bénitier. La dis-complémentarité de ces deux réponses brouillaient intelligemment les pistes de la Vérité, un flou qui relevait du grand art, comme Zgravja me l’enseignât alors.

« - Le second socle de soumission concerne l’enseignement et l’éducation, permettant l’intériorisation des fausses certitudes chez le neurotypé dès son enfance. Le monde du travail le maintient ensuite dans son smog cérébral

- Oui, on en revient à mon histoire de lanternes et de vessies

- Afin de favoriser un élitisme collaboratif, l’accent est mis sur les divisions cognitives privilégiant la pensée linéaire, cela garantit aux resquilleurs les nombreuses gratifications que tu sais, ainsi que les meilleures positions sociales. Une reconnaissance officielle récompense les sympathisants de ce système sous la forme de titres et de diplômes

- Des documents honteusement pompeux !!

- Oui, ce système frauduleux est une copie abjecte de notre système d’attribution des mondes. Il confère néanmoins les pouvoirs sociaux aux resquilleurs qui définissent inconsciemment, mais très ingénieusement aussi, les distances pédagogiques utiles entre érudits et ignorants en Krjoy, et nécessaires entre princes et mendiants à Prvimozk

- Oui, je vois cela au quotidien, diviser pour mieux régner… »

J’ai également pu voir ces faire-valoir, lors de cette dernière immersion, érigés comme des armures impénétrables, et j’ai été inquiété par des chars d’assaut imbus d’ogives toxiques qui offensaient le bon sens sans que personne ne moufte. Les véritables savoir-être étaient proprement effacés au profit de savoir-faire relationnels automatisés par des systèmes d’éducation et de formatage professionnel parfaitement sclérosants. Ce glissement de sens divisait d’autant mieux les adaptateurs cognitifs et leur analogues religieux, les uns prêchant une vérité invisible et déraisonnable, les autres réchauffant une logique frauduleuse sans aucune valeur intrinsèque.

Au moment où la Grande nouvelle est parvenue en Krjoy, secouant tous les systèmes de pensé, elle a littéralement embrasé le cœur de tous les étudiants, illuminant les couloirs les plus sombres des infrastructures reptiliennes. C’est à ce moment-là que les principaux acteurs socio-politiques et leurs sbires inféodés ont commencé à tomber les uns après les autres, comme des mouches. Une désinsectisation explosive très efficace cette grande révélation.

Les autorités de paix et de santé en Krjoy, les magnats de l’économie et des finances, tous ces milieux mondains regorgeaient de reptiles irréfléchis. De belles brochettes de lézards pris au piège de leurs propres souricières. Les masques de l’usurpation finalement tombaient et la population, sidérée, faisait face à un traumatisme collectif inimaginable. Affrontant un conflit cognitif insupportable, de nombreux krjoyens en ont perdu la raison. J’ai vu des scènes d’hystérie collective, j’ai entendu des cris et des insultes. Les krjoyens, ahuris, étaient révoltés. Certains, hors d’eux-mêmes, étaient prêts à en découdre et n’hésitaient pas à se bagarrer en pleine place publique. D’autres, plus modérés, observaient interdits le même silence intérieur.

Quant aux adaptateurs sociaux, ils étaient devenus aux yeux de tous les marionnettes désabusées d’un pouvoir illégitime et déchu. L’échiquier saurien s’était écroulé avec fracas et les braves petits pions, dès lors privés de leurs jolies petites cases colorées, étaient foncièrement désemparés et totalement désorientés. Le sol s’était dérobé sous leurs pieds, ils n’avaient plus aucune assise ni emprise, et les médias de masse réduits à l’impuissance par la force des évidences ne leur étaient plus d’aucune utilité.

Ces complexes consortiums d’annonceurs et d’adaptateurs entretenaient les peurs et au besoin en fabriquaient de nouvelles. Peurs de soi, peurs de l’autre ou du monde extérieur. La Lumière de l’Apocalypse est venue balayer et révoquer toutes ces perversions, alors que dans un grondement sourd et lointain une multitude de petits volcans entraient en éruption, annonçant une énergie colossale à venir, celle de l’ascension finale. Le grand moment de la délivrance arrivait, tandis qu’un titan impatient s’agitait…

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