Apocalypse en Krjoy by François TEPES - HTML preview

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La zatvoriatrie occidentale

Carnet professionnel et notes personnelles

Durant ce dernier séjour si particulier en Krjoy, j’ai été dans un questionnement existentiel permanent, incessant, et au combien perturbant. Mes quêtes aboutissaient déplorablement et invariablement sur deux mêmes observations et conclusions contradictoires, impossibles à départager. Soit j’étais fou, soit le monde était fou, mais l’un de nous deux par contraste était sain autrement la question ne se posait point. Ce lourd dilemme allait plus tard évoluer brusquement suite à ma rencontre avec Zgravja, nos échanges télépathiques et nos chassés-croisés énergétiques. Beaucoup de choses ont alors profondément changé en moi et j’ai finalement réussi à me positionner. Je n’obtenais pas toujours de réponses claires à mes interrogations, mais mon questionnement évoluait perceptiblement, et mon comportement aussi.

Il m’était devenu invraisemblable, par exemple, de continuer à porter un masque social. Je savais que c’était perçu comme un affront, un attentat à la pudeur, mais je ne parvenais plus à m’astreindre à cette comédie. Je percevais cela comme un savoir-être hypocrite devenu instinctif, une bouffonnerie gratuite qui me chauffait littéralement les oreilles de manière surprenante. Je me sentais à contrario tellement plus léger sans masque, tout nu et libre de l’être. J’avais retrouvé là un goût particulier, celui de mon intégrité.

J’avais par ailleurs ressenti un glissement de terrain, progressivement dans mon quotidien. Je ne croisais plus certaines personnes, celles notamment qui brillaient à ce jeu de dupe, mais faisais fortuitement en revanche de nouvelles rencontres, découvrant de brillants auteurs et de nouvelles œuvres éclairées. Il m’arrivait aussi de vivre des moments absolument magiques, des moments durant lesquels un peu trop d’intuitions se vérifiaient à mon goût, un peu trop de synchronicités se confirmaient… à en devenir inconfortable. Et puis j’avais cette impression étrange et confuse de grandir dans un nouvel environnement tout à la fois effrayant car inconnu, et singulièrement familier. Je vivais là une forme d’expansion de conscience qui alors me déstabilisait durablement.

J’ai dû apprivoiser cet inconfort et composer avec un nouveau schéma corporel en accordéon, plus éthéré et étendu, curieusement élargit au point d’avoir interagit avec celui de Krjoy et interféré avec des évènements locaux. J’ai pris conscience depuis que j’avais dansé avec la grille matricielle de Krjoy, sans le savoir. C’était surprenant et grisant de tenir la main d’une Sphère et de valser avec Elle, mais dangereusement glissant quand on pense au consensus borgne et dogmatique de la zatvoriatrie occidentale.

Ma routine neurotypée néanmoins reprenait périodiquement le dessus et mes activités à Prvimozk équilibraient mes deux vies. Je naviguais alors de l’une à l’autre sans réelle résistance, avec un imperturbable sourire béat je l’avoue. J’avais cependant pris conscience d’avoir posé les pieds en dehors des grilles de réalité reptiliennes, et une profusion de fâcheux évènements allaient sauvagement en effet se télescoper : harcèlement psychologique, burn-out professionnel, banqueroute financière, séparation et déménagement… et tout cela en contournant subtilement l’étiquetage zatvoriatrique lors des visites médicales obligatoires. Avec beaucoup de recul sur la question de la santé mentale, j’ai d’ailleurs fini par réaliser au combien la population krjoyenne, en vérité et par définition, souffrait de schizophrénie.

Quand les enfants jouent à faire semblant, ils s’attribuent des rôles et s’amusent. Ils savent bien que ce ne sont que des rôles. Les adultes eux, affirment que la vie n’a rien d’un jeu mais ne sortent jamais sans une panoplie de masques. Ils s’amusent en permanence à des jeux de rôles tellement inavoués qu’on ne sait jamais s’ils sont conscients ou fantasmés. Un masque en famille, un autre au travail, idem entre amis, entre voisins… Masques de complaisance, d’intimidation ou d’indifférence, à chaque fois c’est également un changement de personnalité qui s’opère, et les différentes expressions d’un même esprit neurotypé sont parfois en conflit ouvert !

Cette schizophrénie collective n’existe pas dans les espaces libres. Les diverses instances qui constituent un même collectif individuel sont en parfaite harmonie entre elles, à tous les niveaux et sur tous les plans. Les organes du corps chantent le même refrain, toutes les unités sont intègres et respectueuses entre elles, et chaque cellule fredonne la même mélodie. Les habitants des mondes libres ne ressentent pas le besoin de cacher une partie de leur être. Ils sont nus comme des vers et bienheureux de l’être.

Sans aucune surprise, l’étude des phénomènes d’introjection et de projection à Prvimozk était implicitement morbide, maculée par des adaptateurs aveugles et peu scrupuleux de l’être. Les états modifiés de conscience, tout comme les phénomènes numineux rapportés, étaient pour ces petits esprits sclérosés forcément suspicieux…

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