Apocalypse en Krjoy by François TEPES - HTML preview

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Le mythe des super-héros

Au chevet de Gorkan Ji, en la Grande Clinique

J’avais jamais entendu parler des espaces libres avant mon arrivée ici. En fait si, mais de manière fantaisiste et cela remonte à mon enfance, à Prvimozk. J’étais comme magnétiquement attiré par certaines histoires de super-héros, davantage intrigué par les origines mystérieuses de ces personnages de bande dessinée que par leurs fantastiques super-pouvoirs. Ces justiciers venaient invariablement de mondes luxuriants où les gens étaient tous beaux, gentils et restaient à jamais jeunes et forts, très extraordinairement…

Enfant, ces mondes m’attiraient et me dérangeaient en même temps car celui dans lequel je grandissais était par contraste misérable et méprisant. Je voyais les plus forts se servir sans vergogne dans le gras, et intimider les plus faibles qui pliaient l’échine pour obtenir quelques restes. La théorie de l’évolution affirmait par ailleurs notre ascendance animale, ce qui justifiait à mes yeux la brutalité des comportements que j’observais.

Et pour cette question de manger ou être mangé, j’avais carrément les fesses entre deux chaises. Pas assez costaud pour en imposer, assez affirmé quand même pour ne rien consentir sans un intérêt direct. Cela dit, j’ai très tôt bénéficié d’un certain leadership que les autres enfants me prêtaient, sans aucune raison. Je jouissais sans pouvoir me l’expliquer d’une remarquable popularité à l’école, et j’attirais toujours des élèves plus doués que moi, étonnement dévoués à mes bêtises. J’en faisais mes complices, cela me permettait notamment de défausser ma responsabilité… mais je ne me souviens pas avoir été généreux avec eux, ni même avoir fait preuve d’intelligence.

Davantage copieur, je parvenais à deviner ce que mes petits camarades imaginaient dans leurs têtes davantage fécondes et l’exposait avant qu’ils ne l’expriment. Pas vraiment futé, j’étais plutôt opportuniste. Je manigançais d’ailleurs sans scrupule pour rester impuni, au-dessus du panier. Contre-vérités, amitiés conditionnées, j’étais plutôt fort à ces jeux, reproduisant effrontément mon déplorable modèle parental. Andrjoz m’a entretenu à ce propos, sur l’origine de mes parents… nos échanges m’ont beaucoup apporté et il m’a beaucoup rassuré.

Mon père était boucher, ma mère gérait la boutique et on mangeait de la viande à toutes les sauces, à tous les repas. Enfant unique, j’ai grandi dans l’atmosphère d’un tiroir-caisse avide et l’odeur du sang. J’ai aimé la carne et j’ai volé dans la caisse. Je regrettais parfois mes larcins mais les répétais à la première occasion. Je m’imaginais parfois en super-vilain, exploitant la médiocrité des masses. Je ne comprenais d’ailleurs pas pourquoi il fallait que les super-héros soient gentils. Naïvement bienveillants, je les trouvais plutôt maladroits. Pour autant, les vilains mangeaient toujours la poussière à la fin de chaque histoire !

Intrigué plus que simplement agacé, je voulais comprendre pourquoi les super-méchants ne parvenaient jamais à leurs fins. C’est pourtant ce que la vraie vie me montrait au quotidien. Puis le monde des super-héros s’est évanoui avec celui de mon enfance…

Je me souviens par la suite avoir été ferré par d’importantes charges de travail, en reprenant notamment l’affaire de mes parents. Entreprise que j’ai d’ailleurs revendu à la première occasion, en les spoliant sans aucun scrupule. Le rendement de ce commerce était loin de satisfaire mes ambitions sociales et un besoin frénétique d’étiqueter le vivant s’était emparé de moi. Ce besoin, en définitive, a fini par me voiler l’esprit du cœur. Je suis par la suite resté aveugle à l’essentiel.

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