Apocalypse en Krjoy by François TEPES - HTML preview

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Bilan d’un séjour à Prvimozk

Souvenirs de Gorkan, souhaits de réintégration

Je n’ai pour l’instant aucun souvenir propre à mes origines, d’avant ma mission de resquillage en Krjoy. J’imagine venir des espaces froids, cela me paraît évident. J’ai tout le temps de penser à moi ici. C’est grand, c’est beau et tellement tranquille… rien à voir avec les hôpitaux de Prvimozk.

Andrjoz m’a expliqué que je revenais de loin et que mes mémoires allaient doucement s’ajuster avec le temps, soutenant que mon parachutage en Krjoy n’avait rien d’un hasard. En attendant d’assimiler correctement cette dernière expérience de vie, je suis choyé par d’adorables chérubin-infirmiers dévoués ici à mes petits soins. Tous dégagent une telle sérénité contagieuse… je suis même parvenu à m’abandonner à leur inconditionnelle prévenance, sans plus chercher à comprendre les raisons de toutes ces bienveillances.

Je profite aussi quotidiennement de balades enchantées, dans le parc toujours ensoleillé de cette incroyable clinique. C’est un cadre féerique qui a le don de me recharger en énergie végétale, une forme d’éther densifié savoureusement parfumé, que je m’amuse à siroter au gré de ma respiration. Moi qui ne crois ni aux fées ni aux lutins, je dois avouer que dans ce cadre paradisiaque je m’attends à tout moment à voir surgir une joyeuse ribambelle de ces petites créatures fantastiques.

Je suis vraiment bien ici, pas pressé de m’en aller. Pour aller où ? Et puis il y a Andrjoz. Je ne comprends pas précisément sa fonction ici mais il m’instruit sur un tas de chose. C’est grâce à lui que je commence à faire aujourd’hui l’expérience consciente de mes centres énergétiques, et nous étions déjà liés, nous nous connaissions déjà !

Je me souvenais d’ailleurs fort bien de lui et de nos revers communs à Prvimozk. Je l’avais sollicité en qualité de consultant indépendant pour accompagner ma Direction dans la restructuration de mon service administratif, et je me souviens parfaitement bien de sa posture pleine de rigueur professionnelle, à l’image de l’expertise attendue. Je l’avais néanmoins trouvé sympathique. Il avait comme des étincelles qui pétillaient dans les yeux et un sourire franc…

Andrjoz était doté d’une vision quasi-instantanée et décortiquait devant nous les problématiques du service en un clin d’œil. Il avait scanné dans sa tête, en trois jours seulement, toute l’organisation de l’entreprise et développait déjà des réponses chirurgicales… certainement très efficaces mais pour le moins très inattendues également. Il allait vite, si vite que personne n’arrivait à le suivre, et lui restait impassible et imperméable à nos inquiétudes. Il accomplissait « simplement » son mandat en comptant sur la confiance que la Directrice en chef lui avait si chaleureusement accordé à son arrivée.

Dans les petits papiers de cette dernière cependant, et j’en avais été prioritairement informé, Andrjoz devait simplement servir de levier externe pour un ajustement interne déjà planifié dans les grandes lignes. Nous avions déjà eu affaire à des experts agrées pour des raisons similaires, et tous s’étaient prêtés au jeu sans vergogne et en avaient tiré profit avec la même discrétion… mais j’avais péché là un poisson qui n’avait encore jamais trempé dans ces eaux troubles !

L’impensable est arrivé lorsque Andrjoz, passionné, a soudainement balayé tous les plans de la Directrice en pleine réunion de travail sous nos yeux effarés. Il faisait table rase du passé, pour lui présenter les modèles d’une usine à gaz véritablement efficiente. Du sur-mesure, clé en main. Il en avait déjà produit les principaux schémas fonctionnels et hiérarchiques, tous visiblement excellents, et attendait fièrement le feu vert pour lancer une première série d’actions correctives. Soufflée, toute l’équipe de Direction a été pris d’un malaise manifeste. C’est là que Andrjoz a commencé à percevoir le schisme. Son travail, en parfaite cohérence avec son ordre de mission et les besoins de l’entreprise menaçait directement nos manigances.

Le pire, c’est que Andrjoz avait toujours réponse à tout, et avec une telle répartie technique et fonctionnelle que personne n’osait ouvertement le confondre. Son incorruptibilité et sa bienveillance irritait particulièrement la Grande Directrice, outrageusement tourmentée. Incapable de le mettre en défaut devant ses troupes, et dépouillée de ce premier niveau de soumission, elle ne parvenait plus à se justifier se son étrange stratégie managériale…

Effrayée, elle a choisi de le calomnier pour légitimer un renvoi express et j’ai honteusement participé à cette manœuvre. Andrjoz est alors devenu affreusement distant, le regard plus froid que de la glace et l’autorité naturelle qui s’échappait de lui, dure comme de la pierre, était écrasante, presque inquiétante. Je me souviens en avoir été profondément troublé.

Et je redécouvre Andrjoz ici, en la Grande Clinique, et le contraste est saisissant ! Tout son être irradie ici une douce lumière, et son paisible regard enchante et console tous les cœurs en convalescence dans ce service rattaché à la Grande Clinique. Andrjoz prend ici tout son temps et sa félicité est délicieusement contagieuse. Nous évoquons beaucoup de choses ensemble, notamment les archétypes hybrides des super-héros et super-vilains qui peuplèrent les premiers temps de notre Univers.

Andrjoz a un sacré sens de l’humour et fait souvent allusion aux auto-congratulations des systèmes raptor. Il illustre d’ailleurs souvent ces propos d’images d’archive, des fraudes en tout genre apparaissent alors sur un petit écran mural. J’ai ainsi revu vu ma Directrice en chef, ma glorieuse Diva des affaires, insistant sur son intelligence exceptionnelle devant nos partenaires commerciaux et palabrant devant ses troupes. Elle scandait avec aplomb les résultats d’un QI bidonné, et se vantait d’être si intelligente que peu d’experts pouvaient concrètement la suivre.

Je me souviens d’un tête à tête avec elle, intimiste, durant lequel elle me confia d’une manière directe et solennelle avoir une si extraordinaire sensibilité qu’elle était injustement traitée et sévèrement jugée. Elle incriminait directement la platitude des gens « ordinaires », et ses yeux doux m’excluaient bien sûr indiscutablement de cette médiocrité, m’invitant à gober l’hameçon avec sa ligne !

Andrjoz m’a projeté diverses scènes sans équivoque sur la nature de ma relation avec ce bourreau. Malgré cela, je ne pouvais me décoller de la fascination que son image continuait d’exercer sur moi. C’était une excellente comédienne avec moi aussi, je n’y avais vu que du feu et j’ai beaucoup de mal aujourd’hui encore à l’admettre et à le réaliser. Je l’ai admiré, adulé, et me serai damné pour obtenir les privilèges d’une relation plus rapprochée. Après toutes ces péripéties, ma souffrance reste vive.

Je ne ressens cependant plus sa présence en moi, mais demeure comme magnétiquement englué. Malgré sa perfidie et ses tromperies, ses jeux de séduction me manquent. Son magnétisme sexuel m’autorisait implicitement à tous les fantasmes, et le charme de son regard évocateur m’apportait une énergie capable de déplacer des montagnes. Andrjoz m’a expliqué les raisons de la polarisation sexuelle en Krjoy, en insistant sur le pouvoir créateur de cette énergie pure et fantastique. J’en connaissais évidemment le côté fantastique mais ignorais alors la candeur de son pouvoir créatif.

Pour mieux saisir la chose, il m’a invité à méditer sur le rose. Le mariage du rouge et du blanc, un symbolisme dont je ne saisis pas encore toute la profondeur. Quand Andrjoz s’est aperçu qu’il m’avait un peu perdu avec son histoire de rose, il s’est interrompu poliment et a sagement patienter le temps que j’assimile. Ses yeux tendres me souriaient, remplis de cadeaux…

« - La Lumière sexuelle est primordiale à la santé de toute enveloppe polarisée. Elle en est sa meilleure garante. Cette puissante énergie vitale puise sa force directement à la Source, à la manière d’un colossal vortex torsadé, animé du feu sacré originel. Son intensité est foudroyante. Chacun d’entre nous, avec ses propres outils de connexion au sacré, nous nous y abreuvons, sans nécessaire modération. Mais cette énergie primaire peut également être dévoyée par des mercenaires… »

J’ai fini par reprendre confiance en moi ici, petit à petit, et j’ai compris que ma cure arrivait à son terme. Je l’ai senti à travers les propos d’Andrjoz, quand il m’a dernièrement entretenu sur les archétypes cosmiques en résonance avec les super-héros de mon enfance. Son esprit décapant a rendu certaines scènes historiques horriblement désopilantes, et nous avons beaucoup ris ensemble. Ces précieux échanges m’ont surtout permis d’avancer sur ma problématique de super-héros avec laquelle je me sens désormais plus en paix… et de faire le choix, en pleine conscience éclairée, d’une longue réintégration.

J’ai en effet choisi de rejoindre les espaces libres, et peu importe le temps et les sacrifices. Mon but est à présent parfaitement clair. Je veux être formé et rejoindre les troupes d’infiltration les plus téméraires. Je ressens plus que tout l’envie grandissante de me rapprocher de ces têtes brûlées, je ressens leur magnétisme m’appeler !

Gorkan Ji, resquilleur converti

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« I’m an alligator, a mama-papa comin’ for you… I’m a space invador, I’ll be a rock’n rollin’ bitch for you… » - D.Bowie