« - Pour vous entendre avec un neuneu, ne bousculez jamais ses certitudes et prenez toujours soin de respecter sa zone de confort. Rappelez-vous qu’en cas de malentendu, le plus important pour lui est de sauver la face. Offrez-lui toujours une porte de sortie acceptable. Vous subirez sinon une adversité remarquable »
C’est avec ce genre de rappel à l’ordre qu’un infiltré sort de son sommeil, rarement en douceur. D’anciennes consignes surgissent instinctivement, venant de nulle part et curieusement familières, secouant l’aspirant qui s’éveille alors en son for intérieur et commence à rouvrir les yeux de son cœur. À contrario, un étudiant plus jeune ne dispose pas du même bagage cognito-sensitif et jouit d’une plus grande résistance à Prvimozk. Même confiné et bâillonné il tient la distance, alors qu’un infiltré disjoncte plus vite pour le bénéfice de tous…
Un esprit neurotypé, inflexiblement aplati, ne peut en effet distinguer le fond de le forme. Emprisonné dans ces limitations, l’étudiant amalgame l’essence à ses sens et attribut à son vécu en Krjoy une réalité unique et duelle. Et tout cela dans une dimension existentielle exclusivement externe qui respecte scrupuleusement une même flèche du temps. Son esprit demeure ainsi captif du même espace euclidien, assujetti au même temps linéaire qui le définit.
Aux premiers sons de l’Apocalypse cependant, la Lumière des Chœurs célestes réchauffe cet espace plat et le temps linéaire se met à fondre, dévoilant la persistance de la mémoire. Les premiers affectés sont les infiltrés qui réintègrent bon gré mal gré leur moitié oubliée. C’est un accouchement toujours un peu rude, parfois même excessivement laborieux. Certaines mémoires néanmoins reviennent, par bribes, et c’est avec une incroyable stupéfaction que les infiltrés se redécouvrent… et renouent, incrédules, leurs liens affectifs avec une famille de cœur invisible, percevant parfois aussi la présence lumineuse de collectifs exotiques invraisemblables.
Pour un enfant stellaire parti tête baissée comme ce cher Andrjoz, l’incorporation soudaine et plénière est toujours difficile, parfois même violente ou foudroyante !
« FUIS !! Pour ta survie mon ami, fuis !! Tu es face à une raptor de haut rang là, et toute une légion archnor en elle !! Ils ont perçu ta Lumière et sont affamés !! Tu es à Prvimozk mon ami et ils veulent ta peau… réveilles-toi !! »
À chaque espèce son espace et, face à une prédation aveugle, disparaître devient courageux et vital. La fuite in situ signifie perdre tout, jusqu’à la raison, à travers une prise de conscience brutale entraînant brusquement l’infiltré dans une nuit noire de l’âme… son ultime échappatoire. Il s’agit là d’une descente aux enfers qui déchire la croûte krjoyenne et plonge l’enfant stellaire dans les abîmes les plus sombres et les plus délétères.
J’ai suivi de près les déboires d’Andrjoz à Prvimozk et son réveil a été terrible en soi, malgré tous nos préparatifs. Cela a d’ailleurs constitué un véritable exercice de style pour mon détachement pédagogique… nous avons tous beaucoup appris grâce à sa soudaine plongée en profondeur.
Le bon sens d’un infiltré, parachuté ainsi dans les noires abysses d’une Sphère en exercice, resurgit invariablement au centre du puits sans fond de ses mémoires pédagogiques. S’accrocher à la paroi, coûte que coûte et rester en équilibre !! C’est dans cet espace de survie des plus rudimentaires qu’un enfant stellaire met à jour les plus jolis fruits produits en Krjoy… les plus beaux cristaux, les plus beaux joyaux. Et c’est par la grâce de ces trésors minéraux qu’il se retrouve enfin projeté hors de son puits et se réveille en Lui, demeurant bi-localisé en Krjoy également. Son retour à sa dimension plénière lui permet dès lors d’évaluer son mandat pédagogique et d’accepter une nouvelle mission, ou décider de prendre quelques vacances bien méritées… profiter un peu des loisirs fabuleux qu’offre la tant chantée.
Les infiltrés, sous toutes leurs formes, sont unis et soudés en Grandson. Il s’agit d’une joyeuse et luxuriante collectivité, tout aussi exubérante qu’insouciante, qui ordinairement évolue en s’amusant à incarner une multitude de « Je ». Le jeu est fondamental à tout apprentissage et les jeux de rôle n’ont de limites que celles de leurs participants. Loup y es-tu ?
Prvimozk est connu pour offrir un plateau inédit, une scène de théâtre où se jouent les plus fantasques scenarii de toute la galaxie, et les étudiants ont périodiquement besoin des infiltrés pour leur progression pédagogique. L’arrivée d’un infiltré ne coïncide donc pas avec sa date de naissance. Son arrivée arrive quand elle arrive, elle coïncide généralement avec une pression extérieure insupportable et une pénible prise de conscience, burn’black-out !
Après un lourd délestage et un récurage en profondeur, la grâce touche finalement l’enfant stellaire dont toute la structure énergétique se met à vibrer sur un nouveau diapason. L’infiltré qui explore ses couches les plus profondes connaît alors une agréable expansion de conscience, ouvrant grand les yeux de son cœur. L’enfant recommence alors à voir la Lumière derrière la lumière et s’accroupit aussitôt pour rester en équilibre, car il commence à se réveiller en Lui. Il le sait et le sent instinctivement, psychologiquement, et le perçoit également physiquement… une sensation troublante, résolument.
« - Ça fait comme un bruit de trompette hi hi hi, et ça te remonte l’estomac au-dessus de la tête, comme dans un Méga Grand-huit…
- Oui. Il existe un phénomène de synchronicité, qui fonctionne un peu comme un effet larsen en écho à une projection mentale. Parfois, cela secoue un peu. Le son de ta trompette c’est le Jingle de la gare de triage, mais les trains en partance n’attendent pas après les passagers indécis
- J’y vais, j’y vais pas ?
- Oui, c’est là toute la question car une fois franchi le tourniquet, faire demi-tour devient impossible et cela en épouvante plus d’un. Et nous le comprenons tous fort bien
- Akyra m’a aussi parlé d’une gare routière… avec des autobus en attente ?
- Oui, les autobus bleus de la dernière chance. Ce sont les navettes affrétées à l’attention des plus téméraires »