Histoire de l’Erudit by Mohammad Amin Sheikho - HTML preview

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Chapitre 4

Un Enfant D’une Maturite Precoce

Il franchit la porte et se tint derrière elle, avec dans sa main une pièce de dix bichli. Il la serra contre sa poitrine pendant un moment, puis la jeta en l’air, la rattrapa et l’introduisit dans sa poche.

Il remarqua une chose et prit une décision.

Voilà donc le jeune M. Amin. Il avait sept ans et grandissait rapidement en taille et en grâce. Il était plein de vitalité et de gaieté. Des signes de virilité et des marques de noblesse se lisaient sur son apparence. Son regard de lynx contait l’histoire du passé. Ses mouvements répandaient des ondes de parfum tandis que ses traits physiques révélaient son génie. La pureté était son vêtement et la dignité sa couronne. Parmi ses pairs, il était semblable à une flamme qui jamais ne s’éteint.

Quant à son père, c’était un homme bon. Il était engagé dans des activités commerciales et connu pour son honnêteté et ses bonnes manières. Ses qualités louables lui ont valu d’être un marchand de renommée, qui offrait une vaste gamme de marchandises. Il était l’un des meilleurs parmi ses pairs. De plus, Dieu lui avait fait don de grands biens au point où il ne manquait de rien.

Pour chaque nouvelle journée, le père confiait une majeedi –l’équivalent de la moitié d’une livre d’or – à sa femme comme argent de poche pour son fils, monsieur M. Amin.

Aussitôt que ce dernier en prenait possession, il rejoignait ses amis qui avaient l’habitude de l’attendre et gaspillait tout cet argent sur eux. A certains il donnait quelques pièces, et à d’autres il achetait ce dont ils avaient besoin, de telle sorte qu’il n’y en avait aucun qui ne fut couvert de ses présents. En effet, il était pour ce groupe le maître généreux qui les comblait et le maître bienveillant qui les secourait. Malheur à ceux qui s’écartaient du chemin de la vertu ou enfreignaient les règles du code de l’éthique.

Lorsque le père au cœur pur mourut et fut enseveli, sa femme éprouva un profond chagrin, tant son mari lui manquait. Elle s’assit auprès de son fils de sept ans tout en pleurant à chaudes larmes et en poussant des gémissements à fendre le cœur. Cette perte l’avait durement éprouvée. A la vue de son fils, elle fut remplie

d’affliction à la pensée que celui-ci, comme elle, souffrait du départ du pilier de la famille. Elle ignorait cependant que ce n’était pas le cas, car en réalité, l’enfant était encore trop jeune pour mesurer l’ampleur de la situation. Tout ce qu’elle percevait, c’était l’expression de sa propre désolation sur le visage de son fils qui la regardait avec étonnement et stupéfaction.

Le matin du jour suivant, le jeune garçon vint auprès de sa mère et lui tendit la main comme à l’accoutumée, pour recevoir son argent de poche. Mais celle-ci feignit d’être occupée. Cependant, il ne bougea pas, attendant une réaction de la part de sa mère. A ce moment, elle se tâta la poitrine avec hésitation, puis se tortilla et se courba pour finalement sortir une pièce de dix bichli [15] qu’elle remit à son fils. Elle était en sueur.

En la recevant, une ombre de curiosité se dessinait sur son visage. Il se demandait: « Pourquoi seulement dix bichli? Où est le reste? Qu’en est-il de la majeedi? C’est bizarre! Pourquoi? »

Néanmoins, il la prit et gagna la porte. Aussitôt qu’il en franchit le seuil, il entra en méditation profonde qui finit par envahir son être innocent et son esprit docile. Il se disait alors: « Celui qui prenait soin de notre famille et pourvoyait à nos besoins n’est plus. Il a travaillé dur pour assurer une vie décente à sa famille. Mais cette pauvre femme, comment peut-elle gagner de l’argent? Puisqu’elle ne peut quitter la maison à cause de son statut de femme, comment peut-elle donc avoir du travail? »

Il regarda la pièce de dix bichli pendant quelques minutes, puis la jeta en l’air, la rattrapa et la mit dans sa poche. Il se mordit la lèvre et s’en alla jusqu’à disparaitre au loin.

Cette pièce fut le dernier argent de poche qu’il reçut de sa mère. En effet, le jour suivant, elle ne fit point cas de sa demande.

Les jours passèrent, et il ne demandait toujours pas de l’argent à sa mère. Une semaine s’était écoulée lorsqu’ elle lui posa cette question: « Mon fils, n’as-tu pas besoin de ton argent de poche? » Il lui répondit: « Ma chère maman, j’ai encore les dix bichli que tu m’as donnés. Je ne les ai pas dépensés. Lorsque je le ferai, alors je te demanderai ce dont j’ai besoin ».

A l’écoute de ces paroles, elle était si émue. Il lui épargnait véritablement l’embarras face à une telle situation. Ainsi, ce garçon magnanime et comblé accepta d’endurer la souffrance et de vivre patiemment dans la privation.

Quelle situation embarrassante pour lui, qui avait l’habitude de gaspiller tout son argent sur les enfants du voisinage. Comme il était difficile pour lui, leur chef, d’aller à leur rencontre les mains vides, bien qu’il pouvait lire dans leurs regards l’attente de ses dons et présents, attente qui parfois s’exprimait verbalement.

Le jeune garçon garda la pièce de dix bichli dans sa poche jusqu’à ses dix-huit ans. Il vécut onze années dans la sobriété et la privation, attendant avec patience d’être comblé par Dieu ; pendant que tout son entourage vivait dans l’aisance et le confort.