Cette histoire s’est déroulée dans l’un des jardins d’Al-Hama [16] où il faisait beau et où les branches inclinées des arbres se redressaient sous la bonne brise.
Le soleil souriant, éclairait la nature et surveillait le petit maître talentueux assis sur le dos de son cher cheval, qui courait à toute vitesse sur le sol paré d’un ravissant revêtement d’herbes vertes.
Le père du petit monsieur était mort alors qu’il n’avait même pas sept ans et jouissait encore de son enfance. Seule sa mère et lui vivaient dans la maison après que Sâlim, son frère aîné, eût voyagé.
Quant au cheval de son père, il demeura dans son enclos. Celui qui le montait l’avait abandonné pour toujours, mais le petit cavalier lui, était là.
Du vivant de son père, M. Amin ne pouvait le monter qu’en cachette ou en trouvant des astuces efficaces. Or, après la mort de son père, il ne lui restait plus que sa mère, une femme au cœur sensible et aux sentiments tendres. Il n’avait plus tellement besoin d’user de subterfuges, mais une simple autorisation suffisait. Parfois, il allait auprès de sa mère et la suppliait avec des paroles mielleuses ou insistait sur la question avec une demande pressante qui, dans la plupart des cas, l’amenaient à lui donner la clé de l’enclos lui permettant de faire sortir le cheval. Que sa joie était immense! Que son allégresse et son bonheur étaient extrêmes, quand l'idée de protéger plutôt ses sentiments emportait sur l’esprit de crainte qui taraudait sa mère. C'est un ange! Mais toujours, le cœur de sa mère était inondé de panique et d’inquiétude, car il était encore tout petit et elle craignait qu’il pût tomber du dos d’Al-Assila, la jument. Si une telle chose arrivait, à Dieu ne plaise, il devrait sûrement en payer le prix de sa santé, éventualité qu’elle ne pouvait supporter ou même imaginer.
Par conséquent, s’opposer parfois à ce qu’il fasse sortir le cheval, résultait en la colère et la tristesse du petit garçon qui cessait de jouer et gardait le silence pendant un long moment. Cet état de son fils lui déchirait le cœur de douleur et de tristesse, comme si elle se trouvait entre le marteau et l’enclume. Quand elle refusait de lui donner le cheval, elle se sentait triste parce que son fils l’était davantage. Et quand elle acceptait de le lui donner, une grande inquiétude l’envahissait et elle avait peur pour lui. Alors elle était contrainte de le sortir afin de le surveiller dans ce grand verger de la vallée de Barada à Al-Hama.
Une fois, alors qu'il était sur son cheval, il se livra à une course contre un vent impétueux dans un jardin entouré d'arbres bercés par une brise légère et rafraîchissante. Le petit cavalier était très content et ravi ; il avait l'impression que le monde n’était pas assez grand pour lui. Sa mère s'inquiétait pour lui et en même temps, était heureuse de le savoir heureux…Mais soudain, il se passa quelque chose
Oh! Que c’était terrible!
Pendant que le petit héros allait au galop sur son cheval, lequel était aussi rapide que l’éclair, en sorte que le plus agile des meilleurs cavaliers n’aurait pu le suivre, il passa sous un grand arbre aux branches solides et tendues et l’une d’elles l’intercepta alors qu’il allait encore à toute vitesse, percutant son ventre, ce qui l’arracha du dos de son cheval.
A la vue de cette horrible scène, sa mère faillit s’écrouler, car elle ne pouvait souffrir de voir ce qui se passait, et le pessimisme brisa son cœur avec des pensées sur le sort réservé à son fils bien-aimé.
Elle posa les mains sur ses yeux pour les empêcher de voir ce grand désastre et ses jambes ne pouvaient plus tenir. Alors elle s’assit sur le sol, puis baissa la tête, comme pour ne pas être témoin de la mort de son cher fils.
C’était un moment pénible et douloureux…Elle fut saisie d’un grand choc car elle était certaine que la mort de son fils était survenue quand la branche avait frappé son ventre, freinant ainsi son élan sur le dos du cheval. L’animal avait poursuivi sa ruée vers l’avant, courant sur plusieurs mètres, puis s’arrêta lorsqu‘il ne sentit plus le poids du cavalier sur son dos.
M. Amin, quant à lui, avait effectué une rotation complète autour de la branche avec son corps, et de ce fait, il absorba la puissance du coup qu’il avait reçu. Il transforma la puissance du coup résultant de la vitesse de son cheval en un mouvement circulaire autour de la branche après l’avoir attrapée de ses mains ; soulevant ses jambes vers le haut et baissant la tête, il retourna ses jambes vers le bas et sa tête vers le haut. Ainsi, il fit une rotation complète en cercle vertical sur la branche et grâce à cette acrobatie, évita le dommage grave qui aurait résulté de cette collision.
Ensuite, il se laissa choir sur le sol et atterrit sur ses puissantes jambes (il était vraiment fort et leste de corps). Il courut vers son cheval qui s’était arrêté à une distance de plusieurs mètres de lui, et d’un bond, il se posa sur le dos de l’animal en position assise et le fit encore foncer de l’avant, dans une course contre le vent impétueux.
Tous ces événements se déroulèrent en un laps de temps, tout au long duquel sa mère garda les yeux fermés dans le chagrin, au comble de son malheur.
Lorsque le cheval s’élança à nouveau, Amin continua sa course, comme si rien ne s’était passé, en direction de sa pauvre mère qui s’était déjà coupée du monde, avec ses mains sur les yeux et la tête baissée, ayant l’impression que la terre tremblait sous ses pieds. Au même instant, M. Amin s’approcha de sa mère du haut de son cheval, et lorsqu’elle entendit le bruit du cheval, elle leva la tête et retira les mains de ses yeux remplis de larmes et d’une grande tristesse. Elle était surprise par le spectacle qui s’offrait à ses yeux, car le petit cavalier était encore sur son cheval!
Alors M. Amin lui demanda: « Mère! Qu’as-tu donc? »
Elle n’en croyait pas ses yeux et ses oreilles, mais elle répondit d’une voix triste et basse: « Rien mon fils, rien », et elle se mit à se frotter les yeux, ne croyant pas ce qu’elle venait de voir. Était-ce une rêvasserie? Son cher fils était devant elle, sain et sauf, sur le dos du cheval, comme si rien de ce qu’elle venait de voir ne s’était réellement passé! Puis, elle dit encore dans la stupeur qui se lisait dans ses paroles: « Non, rien mon fils, rien, » et elle se refusait d’accepter ce qu’elle venait de voir, comme si aucun accident ni incident n’avait eu lieu.
Dieu merci, tout allait bien. Son fils était là devant elle, à califourchon sur le dos de son cheval, sain et sauf, en pleine forme et en bonne santé. Pouvait-elle nier de le voir en ce temps- là? Non évidemment, car il était là devant elle lui parlant et vice versa.
Alors le petit héros se sentit apaisé à propos de sa mère et sut qu’elle n’en avait pas cru ses yeux, à mesure que le soulagement se dessinait sur son visage et que la joie se dégageait progressivement d’elle au point de l’envahir.
L’accident qu’elle venait de vivre ne devint qu’un mirage, une illusion ou une horrible vision qui, Dieu merci, ne relevait plus que du passé. C’était là sa pensée et elle n’en croyait pas ses yeux. Ainsi, elle retrouva le sourire et là-dessus, son bon fils la quitta et repartit avec son cheval, et il sut exactement combien dure et difficile avait été l’expérience vécue par sa mère.
Il réalisa combien elle l’aimait, et combien son attention et son inquiétude vis-à-vis de lui étaient grandes. Et du fait donc de la compassion qu’il portait à sa mère, il ne lui révéla pas ce qui lui était réellement arrivé. Il lui permit de douter de ce qu’elle voyait afin de lui éviter des sentiments de douleur et une vie en permanence chargée d’inquiétude.
Quel jeune homme! Il avait une intelligence extraordinaire et de la présence d’esprit, un cœur aussi ferme que les montagnes et un comportement rationnel ; pourtant, c’était sa grande compassion pour sa mère qui l’avait conduit à laisser cette dernière croire que l’accident n’avait été qu’une simple illusion afin qu’elle ne souffrît point. Il en était ainsi parce qu’il savait l’affection que sa mère avait pour lui.
Quel garçon bon, cultivé et libre il était! – obéissant envers sa mère – et tous les garçons devraient être comme lui.