Histoire de la Réformation du Seizième Siècle_Vol 3 by Jean-Marie Merle D'Aubigne - HTML preview

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« Malheureusement Luther avait persuadé aux siens, dit Cochloeus, qu'il ne fallait ajouter foi qu'aux oracles des livres saints. » Un cri s'élevait dans l'assemblée et proclamait la honteuse ignorance de ces vieux théologiens qui jusqu'alors avaient passé pour si savants aux yeux de leur parti [14]. Les hommes les plus humbles, le sexe le plus faible, avec le secours de la Parole, persuadaient et entraînaient les cœurs. Il se fait des œuvres extraordinaires dans les temps extraordinaires.

Un jeune tisserand lisait les écrits de Luther, à Ingolstadt, sous les yeux du docteur Eck, à la foule assemblée. Dans la même ville, l'université ayant voulu contraindre un disciple de Mélanchton à se rétracter, une femme, Argula de Staufen, prit sa défense et invita les docteurs à disputer publiquement avec elle. Des femmes et des enfants, des artisans et des soldats, en savaient plus sur la Bible que les docteurs des écoles et les prêtres des autels.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Deux camps se partageaient la chrétienté, et leur aspect offrait un frappant contraste. En face des vieux soutiens de la hiérarchie, qui avaient négligé la connaissance des langues et la culture des lettres (c'est l'un d'eux qui nous l'apprend), se trouvait une jeunesse généreuse, adonnée à l'étude, approfondissant les Écritures et se familiarisant avec les chefs-d'œuvre de l'antiquité [15].

Doués d'un esprit prompt, d'une âme élevée, d'un cœur intrépide, ces jeunes hommes acquirent bientôt de telles connaissances, que de longtemps nul ne put se mesurer avec eux. Ce n'était pas seulement leur foi pleine de vie qui les rendait supérieurs à leurs contemporains, mais encore une élégance de style, un parfum d'antiquité, une vraie philosophie, une connaissance du monde, complétement étrangers aux théologiens veteris fa rinœ, comme les nomme Cochloeus lui-même.

Aussi, quand ces jeunes défenseurs de la Réforme se rencontraient dans quelque assemblée avec les docteurs de Rome, ils les attaquaient avec une aisance et une assurance telles, que ces hommes grossiers hésitaient, se troublaient et tombaient aux yeux de tous dans un juste mépris.

L'ancien édifice s'écroulait sous le poids de la superstition et de l'ignorance; le nouveau s'élevait sur les bases de la foi et du savoir. Des éléments nouveaux pénétraient dans la vie des peuples. A l'engourdissement, à la stupidité succédaient partout l'esprit d'examen et la soif de l'instruction. Une foi active, éclairée et vivante, rem plaçait une piété superstitieuse et d'ascétiques contemplations. Les œuvres du dévouement succédaient aux dévotes pratiques et aux pénitences. La chaire l'emportait sur les cérémonies de l'autel; et le règne antique et souverain de la Parole de Dieu était enfin restauré dans l'Église.

L'imprimerie, cette puissante machine que le quinzième siècle avait découverte, venait en aide à tant d'efforts, et ses puissants projectiles battaient incessamment en brèche les murs de l'ennemi.

L'élan que la Réformation donna à la littérature populaire, en Allemagne, est immense. Tandis qu'il n'avait paru en 1513 que trente-cinq publications, et trente-sept en 1517, le nombre des livres augmenta avec une étonnante rapidité après l'apparition des thèses de Luther. Nous trouvons, en 1518, soixante et onze écrits divers; en 15io, cent onze; en 1520, deux cent huit; en 15ai, deux cent onze; en 15a2, trois cent quarante-sept; en 1523, quatre cent quatre-vingt-dix-huit. Et où tout cela se publiait-il ? Presque toujours à Wittemberg. Et quel en était l'auteur ? Le plus souvent, Luther. L'an j 022 vit paraître cent trente écrits du réformateur; l'année suivante, cent quatre-vingt-trois. Cette même année, il n'y eut en tout que vingt publications catholiques. La littérature de l'Allemagne se formait ainsi au milieu des combats, en même temps que sa religion. Elle se montrait déjà savante, profonde, pleine de hardiesse et de mouvement, comme on l'a vue plus tard. L'esprit 105

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle national se manifestait pour la première fois sans mélange, et, au moment même de sa naissance, il recevait le baptême de feu de l'enthousiasme chrétien.

Ce que Luther et ses amis composaient, d'autres le répandaient. Des moines, convaincus de l'illégalité des liens monastiques, désireux de faire succéder une vie active à leur longue paresse, mais trop ignorants pour annoncer eux-mêmes la Parole de Dieu, parcouraient les provinces, les hameaux, les chaumières, en vendant les livres de Luther et de ses amis [16]. L'Allemagne fut bientôt couverte de ces hardis colporteurs [17]. Les imprimeurs et les libraires accueil laient avec avidité tous les écrits consacrés à la Réformation; mais ils rejetaient les livres du parti opposé, où l'on ne trouvait ordinairement qu'ignorance et barbarie [18]. Si l'un d'eux pourtant se hasardait à vendre un livre en faveur de la papauté et l'exposait dans les foires, à Francfort ou ailleurs, marchands, acheteurs, hommes lettrés, faisaient pleuvoir sur lui la moquerie et les sarcasmes [19]. En vain l'empereur et les princes avaient-ils rendu des édits sévères contre les écrits des réformateurs.

Dès qu'une visite inquisitoriale devait être faite, les marchands, qui en recevaient avis en secret, cachaient les livres qu'on voulait proscrire; et la foule, toujours avide de ce dont on veut la priver, enlevait ensuite ces écrits et les lisait avec encore plus d'ardeur. Ce n'était pas seulement en Allemagne que ces choses se passaient; les écrits de Luther étaient traduits en français, en espagnol, en anglais, en italien, et répandus parmi ces peuples.

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FOOTNOTES

[1] Der ùbrigenPredigerFeindschafft,Neid, Nachstellungen, Pratîcken und Schrecken. (Seckendorff, p. 55g.)

[2] Seckendorf, p. 8n. Stentzel, Script. Rer. Siles. I, p. 45;.

[3] Ranke, Deutsche Geschichte. II, p. 70.

[4] Eaque omnia prompte, alacriter, eloquenter. (Cochlœns, p. 5a.)

[5] Populo odibiles catholici concionatores. (Ibid.)

[6] Ad cxtremam redacti inopiam, aliunde sibi victum qna;rere cogerentur. (Ibid., p.

53.)

[7] Triumphantibus novis praedicatoribus qui sequacem po pulum verbo novi Evangelii sniducebant. (Cochlœus, p. 53.)

[8] Multi, omissa re domestica, in speciem veri Evangelii, parentes et amicos relinquebant. (Ibid.)

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[9] Ubi vero aliquos nacti fuissent amicos in ea eivitate.. (Ibid., p. 54.)

[10] Mira eis eral liberalkas. (Cochloeus, p. 53.)

[11] Eam usque diem nnnquam germane prsedicatam. (Ibid.)

[12] Omnes aequales et fratres in Christo. (Ibid.)

[13] Alaïcis lutheranis, plures scripturae locos, quam a mo nachis et praesbyteris.

(Cochlœus, p. 54-)

[14] Reputabantur catholici ab illis ignari Scripturarum. (Ibid.)

[15] Totam vcro juventutem, eloquentia; litteris, linguarum que studio eleditam in pat tem suam traxit. (Cochlœus, p. 54.;

[16] Panzer's Annalen der Deutsch. Litt Ranke's Deutsch. Gesch. II, p. 79.

[17] Apostatarum, monasteriis relictis, infinitus jam erat numéros, in speciem bibliopolarum. (Cochlœus, p. 54.)

[18] Catholicorum, vclut indocta et veteris barbariui trivialia scripta, contemnebant.

(Ibid.)

[19] In publiais mercatibus Francofordiae et alibi, vexaban tur ac ridebantur.

(Cochlœus, p. 54-)

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE XIII.

Si les plus chétifs instruments portaient à Rome de si terribles coups, qu'était-ce quand la parole du moine de Wittemberg se faisait entendre ? Peu après la défaite des nouveaux prophètes, Luther traversait dans un char, en habit de laïque, le territoire du duc George. Son froc était caché, et le réformateur semblait être un simple bourgeois du pays. S'il avait été reconnu, s'il était tombé entre les mains du duc irrité, peut-être en était-ce fait de lui. Il allait prêcher à Zwickau, berceau des prétendus prophètes. A peine l'apprit-on à Schneeberg, à Annaberg et dans les lieux environnants, qu'on accourut en foule. Quatorze mille personnes arrivèrent dans la ville; et comme il n'y avait pas de temple qui pût contenir une telle multitude, Luther monta sur le balcon de l'hôtel de ville, et prêcha en présence de vingt-cinq mille auditeurs qui couvraient la place, et dont quelques-uns étaient montés sur des pierres de construction entassées près de l'hôtel [1]. Le serviteur de Christ parlait avec ferveur sur l'élection de grâce, lorsque tout à coup, du milieu de l'auditoire, on en tendit pousser quelques cris. Une vieille femme, l'œil hagard, étendait ses bras amaigris, du haut de la pierre sur laquelle elle s'était placée, et semblait vouloir, de sa main décharnée, retenir cette foule qui allait se précipiter aux pieds de Jésus-Christ. Ses cris sauvages interrompaient le prédicateur.

« C'était le diable, dit Seckendorf, qui, prenant la forme d'une vieille femme, voulait exciter un tumulte [2]. » Mais ce fut en vain; la parole du réformateur fit taire le mauvais esprit; l'enthousiasme gagna ces milliers d'auditeurs; ou se saluait du regard, on se serrait les mains, et bientôt les moines, interdits, ne pouvant conjurer l'orage, se virent obligés à quitter Zwickau.

Dans le château de Freyberg résidait le duc Henri, frère du duc George. Sa femme, princesse de Mecklembourg, lui avait donné, l'année précédente, un fils qui avait été nommé Maurice. Le duc Henri joignait à l'amour de la table et du plaisir, la brusquerie et la grossièreté d'un soldat. Du reste, pieux à la manière du temps, il avait fait un voyage à la terre sainte et un autre à Saint-Jacques de Compostelle. «

A Compostelle, a disait-il souvent, j'ai déposé cent florins d'or sur l'autel du saint, et je lui ai dit : O saint Jacques, c'est pour te plaire que je suis venu jusqu'ici; je te fais cadeau de cet argent; mais si ces coquins-là (les prêtres) te le prennent, je n'y puis rien; prends-y donc garde*. [3]»

Un franciscain et un dominicain, disciples de Luther, prêchaient depuis quelque temps l'Evangile à Freyberg. La duchesse, à qui sa piété avait inspiré l'horreur 'de l'hérésie, écoutait ces prédications, tout étonnée que cette douce parole d'un Sauveur fut ce dont on lui avait tant fait peur. Peu à peu ses yeux s'ouvrirent, et elle trouva la paix en Jésus-Christ.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle A peine le duc George apprit-il qu'on prêchait l'Évangile à Freyberg, qu'il pria son frère de s'opposer à ces nouveautés. Le chancelier Strehlin et les chanoines le secondèrent de leur fanatisme. Il y eut un grand éclat à la cour de Freyberg. Le duc Henri faisait à sa femme de brusques réprimandes et de durs reproches, et plus d'une fois la pieuse duchesse arrosa de ses larmes le berceau de son enfant.

Cependant, peu à peu ses prières et sa douceur gagnèrent le cœur de son mari; cet homme si rude s'amollit; une douce harmonie s'établit entre les deux époux, et ils purent prier ensemble près de leur fils. Sur cet enfant planaient de grandes destinées; et de ce berceau, près duquel une mère chrétienne avait si souvent épanché ses douleurs, Dieu devait faire sortir un jour le défenseur de la Réformation.

L'intrépidité de Luther avait ému les habitants de Worms. L'arrêt impérial faisait trembler les magistrats; toutes les églises étaient fermées; mais sur une place couverte d'une foule immense, un prédicateur, du haut d'une chaire grossière ment construite, annonçait avec entraînement l'Évangile. L'autorité paraissait-elle vouloir intervenir, la foule se dissipait en un moment, on emportait furtivement la chaire; mais l'orage passé, on la redressait aussitôt dans quelque endroit plus reculé, où la foule accourait pour entendre de nouveau la Parole de Christ. Cette chaire improvisée était portée chaque jour d'un lieu à un autre, et elle servait à affermir ce peuple, encore ébranlé par les émotions de la grande scène de Worms

[4].

Dans une des principales villes libres de l'Empire, à Francfort-sur-le-Main, tout était dans l'agitation. Un courageux évangéliste, lbach, y prêchait le salut par Jésus-Christ. Le clergé, dont Cochléus, si célèbre par ses écrits et sa haine, faisait partie, plein d'irritation contre cet audacieux collègue, le dénonça à l'archevêque de Mayence. Le conseil, quoique timide, prit pourtant sa défense, mais en vain; le clergé destitua le ministre évangélique et le chassa. Rome triomphait; tout semblait perdu; les simples fidèles se croyaient privés pour toujours de la Parole; mais dans le moment où la bourgeoisie se montrait disposée à céder à ces prêtres tyranniques, plusieurs nobles se déclarèrent pour l'Evangile. Max de Molnheim, Harmut de Cronberg, George de Stockheim, Emeric de Reiffenstein, dont les biens se trouvaient près de Francfort, écrivirent au conseil : « Nous sommes contraints de nous lever contre ces loups spirituels. » Et, s'adressant au clergé : Embrassez, lui dirent-ils, la doctrine évangélique; rappelez Ibach, ou nous vous retirerons les dîmes ! »

Le peuple, qui goûtait la Réforme, encouragé par le langage des nobles, s'émut; et un jour, au mo ment où le prêtre le plus opposé à la Réformation, le persécuteur d'Ibach, Pierre Mayer, allait prêcher contre les hérétiques, un grand tumulte se fit entendre. Mayer, effrayé, abandonna précipitamment l'église. Ce mouvement décida le conseil. Une ordonnance enjoignit à tous les prédicateurs de prêcher purement la Parole de Dieu, ou de quitter la ville.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle La lumière qui était partie de Wittemberg, comme du centre de la nation, se répandait ainsi dans tout l'Empire. A l'occident, le pays de Berg, Clèves, Lippstadt, Munster, Wesel, Miltenberg,

Mayence, Deux-Ponts, Strasbourg, entendaient l'Évangile. Au midi, Hof, Schlesstadt, Bamberg, Esslingen, Hall en Souabe, Heilbronn, Augsbourg, Ulm et beaucoup d'autres lieux le saluaient avec joie. A l'orient, le duché de Liegnitz, la Prusse et la Poméranie lui ouvraient leurs portes. Au nord, Brunswick, Halberstadt, Gosslar, Celle, la Frise, Brème, Hambourg, le Holstein, et même le Danemark et d'autres contrées voisines, s'émouvaient au son de la nouvelle parole.

L'électeur avait déclaré qu'il laisserait les évêques prêcher librement dans ses États, mais qu'il ne leur livrerait personne. Aussi vit-on bientôt les prédicateurs évangéliques, poursuivis dans d'autres contrées, se réfugier en Saxe. Ibach de Francfort, Eberlin d'Ulm, Kauxdorf de Magdebourg, Valentin Musteus, que les chanoines de Halberstadt avaient horriblement mutilé [5], et d'autres fidèles ministres, venus de toute l'Allemagne, accouraient à Wittemberg, comme au seul asile qui leur fût assuré. Ils s'y entretenaient avec les réformateurs; ils s'affermissaient auprès d'eux dans la foi, et ils leur faisaient part eux-mêmes des expériences qu'ils avaient faites et des lumières qu'ils avaient acquises. C'est ainsi que l'eau des fleuves revient, par les nues, des vastes étendues de l'Océan, nourrir les glaciers d'où elle descendit autrefois dans la plaine. L'œuvre qui se développait à Wittemberg, formée ainsi de beaucoup d'éléments divers, de venait toujours plus l'œuvre de la nation, de l'Europe, de la chrétienté. Cette école fondée par Frédéric, vivifiée par Luther, était le centre de l'immense révolution qui renouvelait l'Église, et elle lui imprimait une unité réelle et vivante, bien supérieure à l'unité apparente de Rome. La Bible régnait à Wittemberg, et ses oracles étaient partout entendus.

Cette académie, la plus récente de toutes, avait acquis dans la chrétienté le rang et l'influence qui avaient appartenu jusque-là à l'antique université de Paris. La foule qui y accourait de toute l'Europe y faisait connaître les besoins de l'Église et des peuples; et en quittant ces murs, devenus sacrés pour elle, elle rapportait à l'Église et aux peuples la Parole de la grâce, destinée à guérir et à sauver les nations.

Luther, à la vue de ces succès, sentait son cou rage croître dans son cœur. Il voyait cette faible entreprise, commencée au milieu de tant de craintes et avec tant d'angoisses, changer la face du monde chrétien, et il en était étonné lui-même. Il n'avait rien prévu de semblable, à l'heure où il se leva contre Tezel. Prosterné devant le Dieu qu'il adorait, il reconnaissait que cette œuvre était son œuvre, et il triomphait dans le senti ment d'une victoire qui ne pouvait plus lui être ravie. « Nos ennemis nous menacent de la mort, disait-il au chevalier Harmut de Cronberg; s'ils avaient autant de sagesse qu'ils ont de folie, ce serait, au contraire, de la vie qu'ils nous menaceraient. Quelle plaisanterie ou quel outrage n'est-ce pas que de 110

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle prétendre menacer de la mort Christ et les chrétiens, eux qui sont les maîtres et les vainqueurs de la mort [6] ? C'est comme si je voulais effrayer un homme en sellant son coursier et en l'aidant à monter dessus, [7] Ils ne savent donc pas que Christ est ressuscité des morts? Il est encore pour eux couché dans et le sépulcre; que dis-je ?

Dans l'enfer. Mais nous, nous savons qu'il vit. »

Il s'indignait à la pensée qu'on pût regarder à lui comme à l'auteur d'une œuvre, dans les plus petits détails de la quelle il reconnaissait la main de son Dieu. «

Plusieurs croient à cause de moi, disait-il. Mais ceux-là seuls sont dans la vérité qui demeure raient fidèles, alors même qu'ils apprendraient, ce dont Dieu me préserve, que j'ai renié Jésus Christ. Les vrais disciples ne croient pas en Luther, mais en Jésus-Christ. Moi-même je ne me soucie pas de Luther. Qu'il soit un saint ou un fripon, que m'importe ? Ce n'est pas lui que je prêche, c'est Christ. Si le diable peut le prendre, qu'il le prenne ! Mais que Christ nous de meure, et nous demeurerons aussi. [8]»

En effet, en vain voudrait-on expliquer ce grand mouvement par des circonstances humaines. Les lettrés, il est vrai, aiguisaient leur esprit et lançaient des traits acérés contre les moines et contre le pape; le cri de la liberté, que l'Allemagne avait si souvent poussé contré la tyrannie des Italiens, retentissait de nouveau dans les châteaux et dans les provinces; le peuple se réjouissait en entendant les chants du «

rossignol de Wittemberg », présage du printemps qui partout commençait à poindre Mais ce n'était pas un mouvement extérieur, semblable à celui que le besoin d'une liberté terrestre imprime, qui s'accomplissait alors. Ceux qui di sent que la Réformation fut opérée en offrant aux princes les biens des couvents, aux prêtres le mariage, aux peuples la liberté, en méconnaissent étrangement la nature. Sans doute un emploi utile des fonds qui avaient nourri jusqu'alors la paresse des moines, sans doute le mariage, la liberté, qui viennent de Dieu même, purent favoriser le développement de la Réforme; mais la force motrice n'était pas là.

Une révolution intime s'opérait alors dans les profondeurs du cœur humain. Le peuple chrétien apprenait de nouveau à aimer, à pardonner, à prier, à souffrir et même à mourir pour une vérité qui ne lui promettait du repos que dans le ciel.

L'Église se transformait. Le christianisme brisait les enveloppes dans lesquelles on l'avait si longtemps retenu, et rentrait vivant dans un monde qui avait oublié son ancien pouvoir. La main qui fit le monde s'était retour née vers lui; et l'Évangile, reparaissant au milieu des nations, précipitait sa course, malgré les efforts puissants et répétés des prêtres et des rois; semblable à l'Océan qui, quand la main de Dieu pèse sur ses flots, s'élève avec un calme majestueux le long des rivages, sans que nulle puissance humaine soit capable d'arrêter ses progrès.

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FOOTNOTES

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[1] Von dem Rathhaus unter einemZulauf vona5,ooo Men schen. (Seck., p. 53g.)

[2] Der Teufel indem er sich in Gestalteines alten Weibes.. (Ibid.)

[3] Lasst du dir's die Buben nchmen... (Seck., p. 430.)

[4] So liessen sie eine Canzel machen, die man von einem Ort zum andern .. (Seck., p. 436.)

[5] Aliquot ministri canonicorum, capiunt D. Valentinum Mustaeum et vinctum manibus pedibusque, injecto in ejus os freno, deferunt per trabes in inferiores cœnobii parles, ibi ejue in cella cerevisiaria eum castrant. (Hamelmann, Historia rcnati Evangelii, p. 880.)

[6] Herren und Siegmànner des Todes. (L. Epp. II, p. 164.)

[7] Ich kenne auch selbst nicht den Luther. (Ibid., p. 168.) •

[8] Wittemberger Nachtigall, poésie de Hans Sachs, 1523. m. 1 1

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle LIVRE X. AGITATIONS, REVERS ET PROGRES. (1522 - 1526.) CHAPITRE I.

La Réformation, qui n'avait d'abord existé que dans le cœur de quelques hommes pieux, était entrée dans le culte et dans la vie de l'Église; il était naturel qu'elle fît un nouveau pas et pénétrât de là dans les rapports civils et dans la vie des nations.

Sa marche fut toujours du dedans au dehors. Nous allons voir cette grande révolution prendre pos session de la vie politique des peuples.

Depuis près de huit siècles, l'Europe formait un vaste état sacerdotal. Les empereurs et les rois avaient été sous le patronage des papes. S'il y avait eu, surtout en France et en Allemagne, d'énergiques résistances à d'audacieuses prétentions, Rome avait eu finalement le dessus, et l'on avait vu des princes, dociles exécuteurs de ses terribles jugements, combattre pour assurer son empire, contre de simples fidèles soumis à leur domination, et répandre pour elle avec profusion, le sang des enfants de leur peuple.

Aucune atteinte ne pouvait être portée à ce vaste état ecclésiastique dont le pape était le chef, sans que les rapports politiques en fussent aussi ébranlés. Deux grandes idées agitaient alors l'Allemagne. D'un côté, on voulait un renouvellement de la foi; de l'autre, on demandait un gouvernement national, au sein duquel les états germaniques fussent représentés, et qui pût faire contrepoids à la puissance des empereurs [1].

L'électeur Frédéric avait insisté sur ce point, lors de l'élection qui avait donné un successeur à Maximilien; et le jeune Charles s'était soumis. Un gouvernement national, composé du gouverneur impérial et des représentants des électeurs et des cercles, avait été en conséquence formé. Ainsi Luther réformait l'Église, et Frédéric de Saxe réformait l'État.

Mais tandis que, parallèlement à la réforme religieuse, d'importantes modifications politiques étaient introduites par les chefs de la nation, il était à craindre que la commune » ne vînt aussi à s'émouvoir, et ne compromît, par ses excès religieux et politiques, les deux réformations. Cette intrusion violente et fanatique de la populace et de quelques meneurs, qui semble inévitable dès que la société s'ébranle et se transforme, ne manqua pas d'avoir lieu en Allemagne, aux temps qui nous occupent.

Il y avait encore d'autres causes pour faire naître de telles agitations. *

L'empereur et le pape s'étaient unis contre la Réforme, et elle semblait devoir succomber sous les coups de si puissants adversaires. La politique, l'intérêt, l'ambition, imposaient à Charles-Quint et à Léo X l'obligation de la détruire. Mais ce sont là de mauvais champions pour combattre la vérité.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le dévouement à une cause que l'on regarde comme sacrée, ne peut être vaincu que par un dévouement contraire. Or Rome, docile à l'impulsion d'un Léon X, s'enthousiasmait pour un sonnet ou pour une mélodie, mais était insensible à la religion de Jésus-Christ; et si quelque pensée moins futile venait la visiter, au lieu de se purifier et de se retremper dans le christianisme des apôtres, elle s'occupait d'alliances, de guerres, de conquêtes, de traités, qui lui assurassent des provinces nouvelles, et elle laissait, avec un froid dédain, la Réformation ranimer partout l'enthousiasme religieux, et marcher triomphante, vers de plus nobles conquêtes.

L'ennemi qu'on avait juré d'écraser dans la basilique de Worms, se présentait plein d'audace et de force; la lutte devait être vive; le sang allait couler.

Cependant quelques-uns des dangers les plus pressants dont la Réformation était menacée, parurent alors s'éloigner. Le jeune Charles se trouvant un jour, avant la publication de l'édit de Worms, à une fenêtre du palais, avec son confesseur, avait dit, il est vrai, en portant la main droite sur son cœur : Je jure de faire pendre à cette fenêtre le premier qui, après la publication de mon édit, osera se montrer Luthérien. [2]»

Mais bientôt son zèle s'était grandement ralenti. Son projet de rétablir la gloire antique du saint Empire, c'est-à-dire d'augmenter sa puissance, avait été reçu avec froideur [3]. Mécontent de l'Allemagne, il quitta les bords du Rhin, se rendit dans les Pays-Bas, et profita du séjour qu'il y fit, pour donner aux moines quelques satisfactions, qu'il se voyait hors d'état de leur accorder dans l'Empire.

Les œuvres de Luther furent brûlées à Gand, par la main du bourreau, avec toute la solennité possible.

Plus de cinquante mille spectateurs furent présents à cet autodafé; l'empereur lui-même y assista avec un sourire approbateur [4]. Puis il se rendit en Espagne, où des guerres et des troubles le contraignirent, pour quelque temps du moins, à laisser; l'Allemagne tranquille. Puisqu'on lui refuse dans l'Empire la puissance qu'il réclame, que d'autres y poursuivent l'hérétique de Wittemberg.

De plus graves soucis le préoccupent. En effet, François 1er, impatient d'en venir aux mains avec son rival, lui avait jeté le gant. Sous le prétexte de rétablir dans leur patrimoine les enfants de Jean d'Albret, roi de Navarre, il avait commencé une lutte, longue et sanglante, qui devait durer toute sa vie, en faisant entrer dans ce royaume, sous le commandement de Lesparre, une armée dont les conquêtes rapides ne s'arrêtèrent que devant la forteresse de Pampelune.

Sur ces fortes murailles devait s'enflammer un enthousiasme destiné à s'opposer un jour à l'enthousiasme du réformateur, et à souffler dans la papauté un esprit nouveau d'énergie, de dévoue ment et de domination. Pampelune devait être comme le berceau du rival du moine de Wittemberg.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle L'esprit chevaleresque, qui avait si longtemps animé le monde chrétien, ne se trouvait plus qu'en Espagne. Les guerres contre les Maures, à peine finies dans la Péninsule et toujours renouvelées en Afrique, des expéditions lointaines et aventureuses au-delà des mers, entretenaient dans la jeunesse castillane cette vaillance enthousiaste et naïve dont Amadis avait été l'idéal.

Parmi les défenseurs de Pampelune se trouvait un jeune gentilhomme nommé don Inigo Lopez de Recalde, cadet d'une famille de treize enfants. Élevé à la cour de Ferdinand le Catholique, Recalde, doué des grâces et de la beauté du corps [5], habile à manier l'épée et la lance, recherchait avec ardeur la gloire de la chevalerie.

Se couvrir d'armes étincelantes, monter un coursier généreux [6], s'exposer aux brillants dangers d'un tournoi, courir de hasardeuses aventures, prendre part aux débats passionnés des factions [7], et déployer pour saint Pierre autant de dévotion que pour sa dame, telle était la vie du jeune chevalier. Le gouverneur de la Navarre étant allé chercher du secours en Espagne, avait laissé à Inigo et à quelques nobles la garde de Pampelune. Ces derniers, voyant la supériorité des troupes françaises, résolurent de se retirer. Inigo les conjura de tenir tête à Lesparre; les trouvant inébranlables dans- leur dessein, il les regarda avec indignation, les accusa de lâcheté, de perfidie; puis se jeta seul dans la citadelle, décidé à la défendre au prix de sa vie [8].

Les Français, reçus avec enthousiasme dans Pampelune, ayant proposé au commandant de la forteresse de capituler : « Supportons tout, dit Inigo avec feu à ses compagnons, plutôt que de nous rendre [9]. » Les Français commencent alors à battre les murs avec leurs puissantes machines, et bientôt ils tentent l'assaut. Le courage et les paroles d'Inigo excitent les Espagnols; ils repoussent les assaillants de leurs traits, de leurs épées, de leurs hallebardes; Inigo combat à leur tête; debout sur la muraille, l'œil enflammé, le jeune chevalier brandit son épée, et ses coups tombent sur l'ennemi. Soudain un boulet vient frapper le mur, à la place même qu'il défend une pierre se détache, blesse grièvement le chevalier à la jambe droite, et le boulet, renvoyé par la violence du coup, brise sa jambe gauche. Inigo tombe sans connaissance [10]. Aussitôt la garnison se rend, et les Français, pleins d'admiration pour le courage de leur jeune adversaire, le font conduire en litière chez ses parents, au château de Loyola. C'est dans ce manoir seigneurial, dont il a plus tard porté le nom, qu'Inigo était né, huit ans après Luther, de l'une des familles les plus illustres de ces contrées.

Une opération douloureuse était devenue nécessaire. Au milieu des souffrances les plus aiguës, Inigo fermait ses poings avec effort, mais ne poussait pas un seul cri

[11].

Contraint à un pénible repos, il avait besoin d'occuper de quelque manière sa vive imagination. A défaut des romans de chevalerie, dont il s'était nourri jusqu'alors, on 115

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle lui donna la vie de Jésus Christ et les légendes ou les Fleurs des saints. Cette lecture, dans l'état de solitude et de maladie où il se trouvait, fit sur son esprit une impression extraordinaire. Il crut voir s'éloigner, s'effacer et s'éteindre la vie bruyante des tournois et des combats, qui seule jusqu'alors avait occupé sa jeunesse, et en même temps s'ouvrir devant ses yeux étonnés une carrière plus glorieuse. Les humbles actions des saints et leurs souffrances héroïques lui parurent tout à coup bien plus dignes de louange que tous les hauts faits d'armes de la chevalerie.

Etendu sur son lit, agité par la fièvre, il se livrait aux pensées les plus contradictoires. Le monde qu'il abandonnait et celui dont il saluait les saintes macérations lui apparaissaient à la fois, l'un avec ses voluptés, l'autre avec ses rigueurs; et ces deux mondes se livraient dans son esprit un combat acharné. « Que serait-ce, disait-il, si je faisais ce qu'ont fait saint François ou saint Dominique

[12]?»

Puis l'image de la dame à laquelle il avait voué son cœur se présentant à lui : « Ce n'est pas une comtesse, s'écriait-il avec une naïve vanité, ce n'est pas une duchesse, c'est plus que tout cela » Mais ces pensées le laissaient plein d'amertume et d'ennui, tandis que son projet d'imiter les saints le rem plissait de paix et de joie. Dès lors son choix fut arrêté [13]. A peine rétabli, il résolut de faire ses adieux au siècle.

Après avoir, comme Luther, fait encore un repas avec ses anciens compagnons d'armes, il partit seul, dans le plus grand secret [14], pour se rendre vers les de meures solitaires que des ermites de Saint-Benoît avaient taillées dans le roc des montagnes de Montserrat. Pressé, non par le sentiment de ses péchés, ou par le besoin de la grâce divine, mais par le désir de devenir chevalier de Marie », et de se rendre illustre par des macérations et des œuvres pies, comme toute l'armée des saints, il se confessa' pendant trois jours, donna à un mendiant ses riches vêtements, se couvrit d'un sac et se ceignit d'une corde [15]. Puis, se rappelant la célèbre veille d'armes d'Amadis de Gaule,- il suspendit son épée devant une image de Marie, passa la nuit en veille dans son nouvel et étrange costume, et se livra, tantôt à genoux et tantôt de bout, mais toujours en prière et le bâton de pèlerin à la main, à tous les dévots exercices que l'illustre Amadis avait jadis pratiqués.

« C'est ainsi,» dit l'un des biographes du saint, le jésuite Maffei, que tandis que Satan armait Martin Luther contre toutes les lois divines et humai nés, et que cet infâme hérésiarque comparais sait à Worms et y déclarait une guerre impie au siège apostolique, Christ, par un appel de sa divine providence, suscitait ce nouveau coin battant, et le liant, lui et plus tard tous ses sectateurs, au service du pontife romain, l'opposait à la licence et à la fureur de la perversité hérétique [16] . »

Loyola, boitant encore d'une jambe, se traîna par des chemins détournés et déserts, à Manresa, et y entra dans un couvent de dominicains, afin de se livrer, dans ce lieu obscur, aux plus dures pénitences. Comme Luther, il allait chaque jour mendier de porte en porte sa nourriture [17]. Il demeurait sept heures à genoux et se flagellait 116

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle trois fois par jour; à minuit, il était de nouveau en prière; il laissait croître en désordre ses cheveux et ses ongles, et il eût été impossible de reconnaître dans le moine pâle et défait de visage de Manresa, le jeune et brillant chevalier de Pampelune.

Cependant le moment était venu où les idées religieuses, qui n'avaient guère été jusqu'alors pour Inigo qu'un jeu de chevalerie, devaient se révéler à lui avec plus de gravité, et lui faire sen tir une puissance qu'il ignorait encore. Tout à coup, sans que rien eût pu le lui faire pressentir, la joie qu'il avait jusqu'alors éprouvée disparut

[18]. En vain eût-il recours à la prière et au chant des cantiques, il ne put trouver le repos [19]. Son imagination avait cessé de l'entourer d'aimables prestiges; il était laissé seul avec sa conscience. Il ne pouvait comprendre un état si nouveau pour lui, et il se demandait avec effroi si Dieu, après tant de sacrifices qu'il lui avait faits, était encore irrité contre lui. Nuit et jour, de sombres terreurs agitaient son âme; il versait des larmes amères; il appelait à grands cris la paix qu'il avait perdue mais tout cela en vain. Il recommença alors la longue confession qu'il avait faite à Montserrat. « Peut-être, pensait-il, ai-je oublié quelque chose. [20]» Mais cette confession augmenta encore son angoisse; car elle lui rappela toutes ses fautes. Il errait morne, abattu; sa conscience lui criait qu'il n'avait fait pendant toute sa vie qu'entasser péchés sur péchés, et le malheureux, livré à d'accablantes terreurs, faisait retentir le cloître de ses gémissements.

D'étranges pensées trouvèrent alors accès dans son cœur. N'éprouvant aucun soulagement de la confession et des diverses ordonnances de l'Église [21], il se mit, comme Luther, à douter de leur efficace. Mais, au lieu de se détourner des œuvres des hommes, pour rechercher l'œuvre pleinement suffi sante de Christ, il se demanda s'il ne devrait pas poursuivre de nouveau les gloires du siècle. Son âme s'élança avec impétuosité vers ce monde qu'il avait fui [22]; mais aussitôt il recula saisi d'épouvante. Y avait-il alors quelque différence entre le moine de Manresa et le moine d'Erfurt ? Dans des traits secondaires, sans doute; mais l'état de leur âme était le même. Tous deux ils sentaient avec énergie la grandeur de leurs péchés.

Tous deux ils cherchaient la réconciliation avec Dieu, et ils en voulaient l’assurance dans leur cœur. Si un Staupitz, la Bible à la main, s'était présenté dans le couvent de Manresa, peut-être Inigo fut-il de venu le Luther de la Péninsule. Ces deux grands hommes du seizième siècle, ces deux fondateurs des deux puissances spirituelles, qui depuis trois cents ans se font la guerre, étaient frères alors; et peut-être, s'ils s'étaient rencontrés, Luther et Loyola fussent-ils tombés dans les bras l'un de l'autre, et eussent-ils mêlé leurs larmes et leurs vœux.

Mais ces deux moines, à dater de ce moment, devaient suivre des voies toutes différentes. Inigo, au lieu de reconnaître que ses remords lui étaient envoyés pour le pousser au pied de la croix, se persuada que ces reproches intérieurs venaient, non de Dieu, mais du diable, et il prit la résolution de ne plus penser à ses péchés, de les 117

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle effacer et de les anéantir lui-même dans un oubli éternel. Luther se tourna vers Christ; Loyola ne fit que se replier sur lui-même. Bientôt des visions vinrent confirmer Inigo dans la conviction qu'il s'était fait [23]. Ses propres résolutions lui avaient tenu lieu de la grâce du Seigneur; ses propres imaginations lui tinrent lieu de sa Parole. Il avait regardé la voix de Dieu dans sa conscience, comme une voix du démon; aussi le reste de son histoire nous le représente-t-il livre aux inspirations de l'esprit des ténèbres.

Un jour, Loyola rencontra une vieille femme, comme Luther, dans le temps de son angoisse, avait été visité par un vieillard. Mais la vieille Espagnole, au lieu d'annoncer au pénitent de Man resala rémission des péchés, lui prédit des apparitions de Jésus. Tel fut le christianisme auquel, comme les prophètes de Zwickau, Loyola eut recours. Inigo ne chercha pas la vérité dans les saintes Écritures; mais il imagina, à leur place, des communications immédiates avec le royaume des esprits.

Bientôt il ne vécut plus que dans des extases et des contemplations. Un jour, se rendant à l'église de Saint-Paul, située hors de la ville, il suivait, plongé dans ses méditations, les rives du Llobregat, et finit par s'y asseoir. Ses yeux s'étaient arrêtés sur la rivière, qui roulait silencieusement devant lui ses profondes eaux, et il s'abîma dans ses pensées. Tout à coup il entra en extase; il vit de ses yeux ce que les hommes ne comprennent qu'à peine après beaucoup de lectures, de veilles et de travaux [24]. Il se releva, se tint debout sur le bord du fleuve, et il lui sembla être devenu un autre homme; puis il se mit à genoux au pied d'une croix qui se trouvait dans le voisinage, disposé à sacrifier sa vie au service de la cause dont les mystères venaient de lui être révélés. Dès lors ses visions devinrent plus fréquentes. Assis sur l'escalier de Saint-Dominique à Manresa, il chantait un jour des psaumes à la sainte Vierge. Tout à coup son âme fut ravie d'extase; il demeura immobile, plongé dans sa contemplation; le mystère de la sainte Trinité se révéla à ses yeux sous de magnifiques symboles [25]; il versait des larmes, il faisait entendre des sanglots, et tout le jour il ne cessa de parler de cette vision ineffable.

Ces apparitions nombreuses avaient détruit tous ses doutes; il croyait, non comme Luther, parce que les choses de la foi étaient écrites dans la Parole de Dieu, mais à cause des visions qu'il avait eues. Quand même il n'y aurait point eu de Bible, disent ses apologistes, quand même ces mystères n'eussent jamais été révélés dans l'Écriture [26], il les eût crus, car Dieu s'était ouvert à lui [27]. » Luther, à l'époque de son doctorat, avait prêté serment à la sainte Ecriture, et l'autorité, seule infaillible, de la Parole de Dieu, était devenue le principe fondamental de la Réformation. Loyola prêta alors serment aux rêves et aux visions; et des apparitions fantastiques de vinrent le principe de sa vie et de sa foi.

118

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le séjour de Luther au couvent d'Erfurt, et celui de Loyola au couvent de Manresa, nous expliquent, l'un la Réformation, l'autre le papisme moderne. Nous ne suivrons pas à Jérusalem, où il se rendit en quittant le cloître, le moine qui devait ranimer les forces épuisées de Rome. Nous le rencontrerons plus tard, dans le cours de cette histoire. II. Tandis que ces choses se passaient en Espagne, Rome elle-même semblait prendre un caractère plus sérieux. Le grand patron de la musique, de la chasse et des fêtes, disparaissait du trône pontifical, pour faire place à un moine pieux et grave. Léon X avait ressenti une grande joie eu apprenant l'édit de Worms et la captivité de Luther; aussitôt, en signe de sa victoire, il avait fait livrer aux flammes l'image et les écrits du réformateur *[28]. C'était la seconde ou la troisième fois que la papauté se donnait cet innocent plaisir.

En même temps, Léon X, voulant témoigner sa reconnaissance à Charles-Quint, réunit son armée à celle de l'empereur. Les Français durent quitter Parme, Plaisance, Milan; elle cousin du pape, le cardinal Jules de Médicis, entra dans cette dernière ville. Le pape allait ainsi se trouver au faîte de la puissance.

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FOOTNOTES

[1] Pfeffel. Droit publ. de l'Ail. 5go.— Robertson. Charles V, JII, 114. — Ranke.

Deutsche Gesch.

[2] Sancte juro... eum ex hac fenestra meo jussn suspen sum iri. (Pallavicini. I, p.

i30.)

[3] Essendo tornato dalla Dieta che sua Maestà haveva fatta in Wormatia, escluso d'ogni conclusion buona d'ajuti e di favori che si fussi proposto d'ottenerein essa.

(Instruttione al card. Farnese. Manuscrit de la bibl. Corsini, publié par Ranke.)

[4] Ipso Caesare, ore subridenti, spectaculo plausit. (Palla vicini. I, p. i30.)

[5] Cum esset iu eorporis ornatu elegantissimus. (MafTaei, Vita Loyolae, 1586, p. 3.)

[6] Equorumquc et arinorain usu praecelleret. (Ibid.)

[7] Partim in factionum rixarumque pcriculis, partim in amatoria vesania.. tempus consumeret. (Maffaei, Vita Loyolae 1586,p. 3.)

[8] Ardentibus oculis, detestatus ignaviam perfidianique, spectantibus omnibus, in arcem solus introit. (Ibid., p. 6.)

[9] Tam acri ac vehementi oratione commilitonibus dissuasit. (Ibid.)

[10] Ut e vestigio semianimis alicnata mente corruerit. (Maf., Vita Loyolae 1586, p.

7.)

119

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[11] Nullum aliud indicium dédit doloiis, nisi ut coaotos in pugnum digitos valde constringeret. (lbid., p. 8.)

[12] Quid si ego hoc agerem quod fecit b. Franciscus, quid si hoc quod b. Dominicus?

(Acta Sanct. VII, p. 6U,.)

[13] Non era condessa, ni duquessa, mas era su estado mas alto... (Ibid.)

[14] Ibi duce amicisque ita salutatis, ut arcana consilioruni suorum quam accuratissime tegeret. (Maf., p. 16.)

[15] Pretiosa vestimenta quibus erat ornatus, pannoso cui dam largitus, sacoo sese alacer induit, ac fune praecinxit. (Maf., p. 20.)

[16] Furori ac libidini hsereticae pravitatis opponerct. (Ibid., p. 21 .)

[17] Victum ostiatini precibns infimis emendicare quotidie. (Maffaei, p. 23.)

[18] Tune subito, nulla praecedente significatione, prorsus exui nudarique se omni gaudio sentiret. (Ibid., p. 27.)

[19] Ncc jam in precibus, neque in psalmis... ullam inveni ret delectationum aut requiem. (Ibid.)

[20] Vanis agitari terroribus, dies noctesque fletibus jungere. (Maffaei, p. a8.)

[21] Ut nullajam res mitigare dolorem posse videretur. (Ibid., P- 29 )

[22] Et saeculi commodis repetendis magno quodani impetu cogitaverit. (Ibid., p.

30.)

[23] Sine ulla dubitatione constituit praeteritae vitae labes perpétua oblivione conterere. (Maf., p. 31.)

[24] Quae vix démuni soient homines intelligentia comprehcn tlere. (Maff., p. 3a.1

I76

[25] En figuras de tres teclas.

[26] Quod etsi nulla scriptura, mysteria illa fidei doceret. (Act. Sanct.)

[27] Quae Deo sibi aperiente cognoverat. (Maff., p. 34-)

[28] Comburi jussit alteram vultus in ejus statua, alteram animi ejus in libris.

(Pallavicini. I, p. ia8.)

120

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE II.

C'était au commencement de l'hiver de l'an 1 5i 1; Léon X avait coutume de passer l'automne à la campagne. On le voyait alors quitter Rome sans surplis, et, ce qui est encore bien plus scandaleux, dit son maître des cérémonies, avec des bottes. Il chassait au vol à Viterbe, au cerf à Corneto; le lac de Bolsena lui offrait les plaisirs de la pêche; puis il allait passer quelque temps au milieu des fêtes à Malliana, son séjour favori. Des musiciens, des improvisateurs, tous les artistes dont les talents pouvaient égayer cette délicieuse villa, y entouraient le souverain pontife. C'était là qu'il se trouvait au moment où on lui apporta la nouvelle de la prise de Milan.

Aussitôt grande agitation dans la villa. Les courtisans et les officiers ne se contiennent pas de joie; les Suisses tirent des coups de carabine, et Léon, hors de lui, se promène toute la nuit dans sa chambre, regardant souvent de la fenêtre les réjouissances des Suisses et du peuple. Il revint à Rome, fatigué, mais dans l'ivresse.

A peine était-il de retour au Vatican, qu'un mal soudain se déclare. Priez pour moi,»

dit-il à ses serviteurs. Il n'eut pas même le temps de recevoir le saint sacrement, et mourut à la force de l'âge (quarante-sept ans), à l'heure du triomphe et au bruit des fêtes. Le peuple fit entendre des invectives en accompagnant le cercueil du souverain pontife. II ne pouvait lui pardonner d'être mort sans sacrements et d'avoir laissé des dettes à la suite de ses grandes dépenses. Tu es parvenu au pontificat comme un renard, disaient les Romains; tu t'y es montré comme un lion, et tu l'as quitté comme un chien.» Tel fut le deuil dont Rome honora le pape qui excommunia la Réformation, et dont le nom sert à désigner l'une des grandes époques de l'histoire. Cependant une faible réaction contre l'esprit de Léon et de Rome avait déjà commencé dans Rome même. Quelques hommes pieux y avaient fondé un oratoire, pour leur édification commune *[1], près du lieu où la tradition assure que se réunirent les premières assemblées des chrétiens. Contaiïni, qui avait entendu Luther à Worms, était le principal de ces prêtres. Ainsi commençait à Rome, presque en même temps qu'à Wittemberg, une espèce de réformation. On l'a dit avec vérité : partout où il y a des germes de piété, il y a aussi des germes de réforme. Mais ces bonnes intentions devaient se dissiper bientôt.

En d'autres temps, pour succéder à Léon X, on eût choisi un Grégoire VII, un Innocent III, s'ils se fussent trouvés toutefois; mais l'intérêt de l'Empire allait maintenant avant celui de l'Église, et il fallait à Charles-Quint un pape qui lui fût dévoué. Le cardinal de Médicis, plus tard pape sous le nom de Clément VII, voyant qu'il ne pouvait encore obtenir la tiare, s'écria : Prenez le cardinal de Tortose, homme âgé, et que chacun « regarde comme un saint.» Ce prélat, né à Utrecht, au sein d'une famille bourgeoise, fut en effet élu et régna sous le nom d'Adrien VI.

121

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Il avait autrefois été professeur à Louvain, puis il était devenu précepteur de Charles, et avait été revêtu, en 1517, par l'influence de l'empereur, de la pourpre romaine. Le cardinal de Vio appuya la proposition. Adrien a eu une grande part, dit-il, à la condamnation de Luther par les docteurs de Louvain [2]. » Les cardinaux, fatigués, surpris, nommèrent cet étranger; mais bientôt, revenus à eux-mêmes, ils en furent, dit un chroniqueur, comme morts d'épouvante.

La pensée que le rigide Néerlandais n'accepterait pas la tiare, leur donna d'abord quelque soulagement; mais cet espoir dura peu. Pasquin représenta le pontife élu, sous la figure d'un maître d'école, et les cardinaux sous celle de jeunes garçons qu'il châtie. Le peuple fut dans une telle colère, que les membres du conclave durent se trouver heureux de n'être pas jetés à la rivière [3]. En Hollande, au contraire, on témoigna par de grandes démonstrations la joie qu'on ressentait de donner un pape à l'Église. Utrecht a planté; Louvain a arrosé; l'empereur a donné l'accroissement, »

écrivit-on sur des tapisseries suspendues en dehors des maisons. Quelqu'un écrivit au-dessous ces mots : Et Dieu n'y a été pour rien ! »

Malgré le mécontentement exprimé d'abord par le peuple de Rome, Adrien VI se rendit dans cette ville au mois d'août 15îi, et il y fut bien reçu. On se disait qu'il avait plus de cinq raille bénéfices à donner, et chacun comptait en avoir sa part.

Depuis longtemps le trône papal n'avait été occupé par un tel pontife. Juste, actif, savant, pieux, simple, de mœurs irréprochables, il ne se laissait aveugler ni par la faveur, ni par la colère. Il arriva au Vatican avec son ancienne gouvernante, qu'il chargea de continuer à pourvoir humblement à ses modiques besoins, dans le palais magnifique que Léon avait rempli de son luxe et de ses dissipations. Il n'avait aucun des goûts de son prédécesseur.

Comme on lui montrait le magnifique groupe de Laocoon, retrouvé depuis quelques années, et acquis à grand prix par Jules II, il s'en détourna froidement en disant : Ce sont les idoles des païens! » J'aimerais bien mieux, écrivait-il, servir Dieu dans ma prévôté de Louvain, qu'être pape à Rome. » Adrien, frappé des dangers dont la Réformation menaçait la religion du moyen âge, et non, comme les Italiens, de ceux auxquels elle exposait Rome et sa hiérarchie, désirait sérieusement la combattre et l'arrêter, et le meilleur moyen pour y réussir lui paraissait être une réforme de l'Eglise, opérée par l'Église elle-même. L'Église a besoin d'une réforme, disait-il, mais il faut y aller pas à pas. » —

L'opinion du pape, dit Luther, est qu'entre « deux pas il faut mettre quelques siècles. » En effet, il y avait des siècles que l'Église marchait vers une réformation. Il n'y avait plus lieu de temporiser; il fallait agir. Fidèle à son plan, Adrien entreprit d'éloigner son opposition de la ville les impies, les prévaricateurs, les usuriers; ce qui n'était pas chose facile : car ils formaient une partie considérable de la population. D'abord les Romains-se moquèrent de lui; bientôt ils le haïrent. La 122

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle domination sacerdotale, les profits immenses qu'elle rapportait, la puissance de Rome, les jeux, les fêtes, le luxe qui la remplissaient, tout était perdu sans retour, si l'on retournait aux mœurs apostoliques.

Le rétablissement de la discipline rencontra surtout une énergique opposition. Pour y parvenir, dit le cardinal grand pénitencier, il faudrait d'abord rétablir la ferveur des chrétiens. Le remède passe les forces du malade et lui donnera la mort.

Tremblez que pour vouloir con server l'Allemagne, vous ne perdiez l'Italie'. [4]» En effet, Adrien eut bientôt plus à redouter le romanisme .que le luthéranisme lui-même. On s'efforça de le faire rentrer dans la voie qu'il voulait quitter. Le vieux et rusé cardinal Soderin de Volterre, familier d'Alexandre VI, de Jules II et de Léon X, faisait souvent entendre à l'honnête Adrien des mots propres à le mettre au fait du rôle, si nouveau pour lui, qu'il était appelé à remplir. Les hérétiques, lui dit-il un jour, ont de tout temps parlé des mœurs corrompues de la cour de Rome, et néanmoins jamais les papes ne les ont changées. » —

Des réformes, dit-il en une autre occasion, que les hérésies ont jusqu'ici été éteintes; c'est par des croisades. » — Ah ! répondait le pontife en poussant un profond soupir, que la condition des papes est malheureuse, puisqu'ils n'ont pas même la liberté de faire le bien [5] ! »

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FOOTNOTES

[1] Si unirono in un oratorio, chiamato dei divino amore, circa sessanta di loro.

(Caracciolo. Vita da Paolo IV. Msc. Ranke.) 12. l8o

[2] Doctores Lovanienses accepisse consilium a tam cons picuo alumno. (Pallavicini, p. i36.)

[3] Sleidan. Hist. de la Réf. I, p. 124.

[4] Ce n'est jamais par i Sarpi. rUst. du concile de Trente, p. ao. a Per longa esperienza délie cose del mundo, molto pru dente e accorto. (Nardi. Hist. Fior.,lib.

7.)

[5] Sarpi. Hist. dn conc. deTr., p. ai. 1 84

123

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE III.

Le a3 mars 15ai, avant l'arrivée d'Adrien à Rome, la diète s'était assemblée à Nuremberg. Déjà avant cette époque, les évêques de Mersbourg et de Misnie avaient demandé à l'électeur de Saxe la permission de faire, dans ses États, la visite des couvents et des églises. Frédéric, pensant que la vérité devait être assez forte pour résister à l'erreur, avait répondu favorablement à cette demande. La visite se fit.

Les évêques et leurs docteurs prêchèrent avec violence contre la Réforme; ils exhortèrent, ils menacèrent, ils supplièrent; mais leurs argumentations paraissaient sans force; et quand, voulant recourir à des armes plus efficaces, ils demandèrent au bras séculier de faire exécuter leurs décrets, les ministres de l'électeur leur répondirent qu'il fallait examiner l'affaire d'après la Bible, et que l'Électeur, dans son âge avancé, ne pouvait pas se mettre à étudier la théologie.

Ces efforts des évêques ne ramenèrent pas une seule âme dans le bercail de Rome, et Luther, qui, peu de temps après, parcourut ces contrées et y -fit entendre sa parole puissante, effaça les faibles impressions qu'ils avaient produites çà et là. Ce que Frédéric avait refusé de faire, on pouvait craindre que le frère de l'empereur, l'archi duc Ferdinand ne le fît. Ce jeune prince, qui pré sida une partie des séances de la diète, prenant peu à peu plus de fermeté, pouvait bien, dans son zèle, tirer témérairement l'épée, que son frère, plus prudent et plus politique, laissait sagement dans le fourreau. En effet, Ferdinand avait commencé à poursuivre avec cruauté, dans ses Etats héréditaires d'Autriche, les partisans de la Réformation.

Mais Dieu employa à diverses reprises, pour délivrer le christianisme renaissant, le même instrument dont il s'était servi pour détruire le christianisme corrompu. Le croissant parut dans les provinces épouvantées de la Hongrie.

Le 9 août, après six semaines de siège, Belgrade, le boulevard de ce royaume et de l'Empire, tomba sous les coups de Soliman. Les sectateurs de Mahomet, après avoir évacué l'Espagne, semblaient vouloir rentrer en Europe par l'Orient. La diète de Nuremberg oublia le moine de Worms, pour ne penser qu'au sultan de Constantinople. Mais Charles Quint réunit dans son esprit ces deux adversaires. Il faut, écrivit-il au pape, de Valladolid, le 3i octobre, il faut arrêter les Turcs et punir par l'épée les partisans de la doctrine empoisonnée de Luther [1]. »

Bientôt l'orage, qui avait paru se détourner de la Réforme et se diriger vers l'Orient, s'amoncela de nouveau sur la tête du réformateur. Son retour à Wittemberg et le zèle qu'il y déployait avaient ré veillé toutes les haines. Maintenant que l'on sait où le prendre, disait le duc George, qu'on exécute contre lui l'arrêt de Worms ! [2]» On assurait même en Allemagne que Charles-Quint et Adrien se trouveraient ensemble à Nuremberg pour y aviser. « Satan sent la blessure qui lui est faite, dit Luther; 124

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle c'est pourquoi il se met dans une telle fureur. Mais Christ a déjà étendu sa main et il le foulera bientôt sous ses pieds, malgré les portes de l'enfer [3]. »

Au mois de décembre 15a2, la diète s'assembla de nouveau à Nuremberg. Tout paraissait annoncer que, si Soliman avait été le grand ennemi dont elle s'était occupée dans sa session du printemps, Luther serait celui dont elle s'occuperait dans la session d'hiver. Adrien VI, d'origine allemande, se flattait de trouver auprès de sa nation un accueil dont un pape d'origine italienne n'eût jamais pu se flatter

[4]. Il chargea en conséquence Chieregati, qu'il avait connu en Espagne, de se rendre à Nuremberg.

A peine la diète fut-elle assemblée, que plusieurs princes parlèrent avec violence contre Luther. Le cardinal-archevêque de Salzbourg, qui jouissait de toute la confiance de l'Empereur, voulait que l'on prît des mesures promptes et décisives avant l'arrivée de l'électeur de Saxe. L'électeur Joachim de Brandebourg, toujours ferme dans sa marche, et le chancelier de Trêves, pressaient également l'exécution de l'édit de Worms. Les autres princes étaient en grande partie indécis, partagés.

L'état de tourmente dans lequel se trouvait l'Église rem plissait d'angoisse ses plus fidèles serviteurs. « Je donnerais, s'écria en pleine diète l'évêque de Strasbourg, un de mes dix doigts pour n'être pas prêtre *. [5] »

Chieregati, d'accord avec le cardinal de Salzbourg, demandait la mort de Luther. « Il faut, disait-il de la part du pape, et en tenant dans ses mains un bref du pontife, il faut séparer entièrement du corps ce membre gangrené [6]. Vos pères ont fait périr à Constance Jean Huss et Jérôme de Prague; mais ils revivent dans Luther. Suivez l'exemple glorieux de vos ancêtres, et remportez, avec le secours de Dieu et de saint Pierre, une victoire magnifique sur li dragon infernal. »

A l'ouïe du bref du pieux et modéré Adrien, la plupart des princes furent saisis d'effroi [7]. Plusieurs commençaient à mieux comprendre les arguments de Luther, et ils avaient espéré autre chose du pape. Ainsi donc Rome, sous un Adrien, ne veut pas reconnaître ses fautes; elle agite encore ses foudres, et les provinces germaniques vont être couvertes de désolation et de sang. Tandis que les princes gardaient tristement le silence, les prélats et les membres de la diète dévoués à Rome s'agitaient en tumulte. Qu'on le mette à mort [8], » criaient-ils, au dire de l'envoyé de Saxe, qui assistait à la séance.

Des paroles bien différentes se faisaient entendre dans les temples de Nuremberg.

La foule se précipitait dans la chapelle de l'hôpital et dans les églises des Augustins, de Saint-Sébald et de Saint Laurent, pour y assister à la prédication de l'Evangile.

André Osiandre prêchait dans ce dernier temple avec une grande force. Plusieurs princes, et en particulier Albert, margrave de Brandebourg, qui, en sa qualité de grand maître de l'ordre Teutonique, prenait rang immédiatement après les 125

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle archevêques, s'y rendaient fréquemment. Des moines qui abandonnaient les couvents de la ville, apprenaient des métiers pour gagner leur vie par leur travail.

Chieregati ne pouvait tolérer tant d'audace. Il demanda qu'on fît jeter en prison les prêtres et les moines rebelles. La diète, malgré la vive opposition des envoyés de l'électeur de Saxe et du margrave Casimir, résolut de faire saisir les moines; mais elle consentit à communiquer d'abord à Osiandre et à ses collègues les plaintes du nonce.

Un comité, présidé par le fanatique cardinal de Salzbourg, fut chargé de l'exécution.

Le péril était imminent; la lutte allait commencer, et c'était le conseil même de la nation qui l'engageait. Toutefois, la bourgeoisie la prévint. Pendant que la diète délibérait sur ce qu'il fallait faire à l'égard de ces ministres, le conseil de la ville de Nuremberg délibérait sur ce qu'il devait faire à l'égard de la résolution de la diète. Il arrêta, sans outrepasser par-là ses attributions, que si l'on voulait enlever de force les prédicateurs de la ville, on les mettrait de force en liberté. Une telle résolution était significative. La diète étonnée répondit au nonce, qu'il n'était pas permis de saisir les prédicateurs de la ville libre de Nuremberg, sans les avoir convaincus d'hérésie.

Chieregati fut vivement ému de ce nouvel outrage fait à la toute-puissance de la papauté. « Eh bien, dit-il fièrement à Ferdinand, ne faites rien, mais laissez-moi agir. Je ferai saisir ces prédicateurs hérétiques au nom du pape *. [9]» A peine le cardinal-archevêque Albert de Mayence et le margrave Casimir eurent-ils appris cette étrange résolution, qu'ils se rendirent en hâte auprès du légat et le supplièrent d'y renoncer. Le nonce se montrait inébranlable, soutenant qu'il fallait qu'on obéît au pape au sein de la chrétienté. Les deux princes quittèrent le légat en lui disant :

« Si vous persistez dans votre dessein, nous vous sommons de nous le faire savoir; car nous quitterons la ville avant que vous ayez osé mettre la main sur ces prédicateurs [10]. » Le légat abandonna son projet.

Désespérant de réussir par la voie d'autorité, il résolut d'avoir recours à d'autres expédients, et fit dans ce but connaître à la diète les desseins et les mandats du pontife qu'il avait jusqu'alors tenus secrets.

Mais l'honnête Adrien, étranger au monde, nuisait, par sa franchise même, à la cause qu'il avait tant à cœur de servir. « Nous savons bien, disait-il dans les résolutions remises à son légat, que depuis plusieurs années on voit dans la sainte cité beaucoup d'abus et d'abominations [11]. La contagion a passé de la tête dans les membres; elle est descendue des papes aux autres ecclésiastiques. Nous voulons réformer cette cour romaine de laquelle proviennent tant de maux; le monde entier le désire, et c'est pour le faire, que nous nous sommes résignés à monter sur le trône des pontifes. »

126

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Les partisans de Rome rougirent de honte en entendant ces étranges paroles. Ils trouvaient, comme Pallavicini, ces aveux trop sincères [12]. Les amis de la Réformation, au contraire, se réjouissaient de voir Rome elle-même proclamer sa corruption. On ne doutait plus que Luther n'eût raison, puisque le pape le déclarait.

La réponse de la diète fit voir combien l'autorité du souverain pontife avait baissé dans l'Empire. L'esprit de Luther semblait avoir passé dans le cœur des représentants de la nation. Le mo ment était favorable : l'oreille d'Adrien semblait ouverte; l'empereur était absent; la diète résolut de rassembler en un corps tous les griefs que, depuis des siècles, l'Allemagne avait contre Rome, et de les envoyer au pape.

Le légat fut effrayé d'une telle détermination. Il supplia et menaça tour à tour, mais en vain. Les états séculiers étaient décidés, et les états ecclésiastiques ne s'opposaient pas à leur dessein. Quatre-vingts griefs furent signalés. Les abus et les ruses des papes et de la cour romaine pour pressurer l'Allemagne, les scandales et les profanations du clergé, les désordres et les simonies des tribunaux ecclésiastiques, les empiétements sur le pouvoir séculier pour l'asservissement des consciences, étaient exposés avec autant de franchise que de force.

Les états donnaient à entendre que c'étaient des traditions d'hommes qui étaient la source de toute cette corruption, et ils terminaient en disant : Si ces griefs ne sont pas redressés en un temps déterminé, nous aviserons à d'autres moyens, pour échapper à tant d'oppressions « et de souffrances [13]. » Chieregati, prévoyant le terrible recez que la diète ferait rédiger, quitta en hâte Nuremberg, afin de ne pas être porteur d'un si triste et si insolent message.

Cependant n'était-il pas à craindre que la diète cherchât à racheter sa hardiesse en sacrifiant Luther? On le pensa d'abord; mais un esprit de justice et de vérité avait soufflé sur cette assemblée. Elle demanda, comme Luther, la convocation dans l'Empire d'un concile libre, et ajouta qu'en attendant qu'il eût lieu, on ne prêcherait que le pur Évangile et l'on n'imprimerait rien sans l'approbation d'un certain nombre de gens de bien et de savoir [14].

Ces résolutions nous permettent d'apprécier les pas immenses que la Réformation avait faits depuis Worms; et cependant l'envoyé saxon, le chevalier de Feilitzsch, protesta solennellement contre la censure, quelque modérée qu'elle fût, que la diète prescrivait. On vit dans l'arrêté de la diète une première victoire de la Réformation, à laquelle de plus décisives encore allaient succéder. Les Suisses eux-mêmes en tressaillirent dans leurs montagnes.

« Le pontife romain est vaincu en Allemagne, dit Zwingle. Il n'y a plus qu'à lui arracher ses armes. Voilà la bataille qu'il nous reste « à livrer, et ce sera la plus 127

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle furieuse; mais nous avons Christ pour témoin du combat [15]. » Luther dit hautement que c'était Dieu même qui avait inspiré un tel édit aux princes [16].

La colère fut grande au Vatican, parmi les ministres de la papauté. Quoi! Ce n'est pas assez d'avoir un pape qui trompe toutes les espérances des Romains, et dans le palais duquel on ne chante, ni ne joue; il faut encore voir des princes séculiers tenir un langage que Rome déteste, et refuser la mort de l'hérétique de Wittemberg.

Adrien lui-même fut rempli d'indignation de ce qui se passait en Allemagne, et ce fut sur l'électeur de Saxe qu'il déchargea sa colère. Jamais les pontifes de Rome ne firent entendre un cri d'a larme plus énergique, plus sincère et peut-être plus touchant.

« Nous avons attendu longtemps et peut-être trop longtemps, dit le pieux Adrien, dans le bref qu'il adressa à l'électeur; nous voulions voir si Dieu ne visiterait pas ton âme, et si tu n'échapperais pas enfin aux embûches de Satan. Mais là où nous espérions cueillir des raisins, il ne s'est trouvé que du verjus. Le souffleur a soufflé en vain; tes méchancetés ne se sont point fon dues. Ouvre donc les yeux pour voir la grandeur de ta chute ! ... .

« Si l'unité de l'Eglise a cessé, si les simples ont été détournés de la foi qu'ils avaient puisée aux mamelles de leur mère, si les temples sont déserts, si les peuples sont sans prêtres, si les prêtres ne reçoivent plus l'honneur qui leur est dû, si les chrétiens sont sans Christ, à qui le devons-nous, si ce n'est à toi*[17] ?. . Si la paix chrétienne s'est enfuie de la terre, s'il n'y a plus dans le « monde que discorde, rébellion, brigandage, assassinat, incendie; si le cri de guerre retentit de l'Orient à l'Occident, si une bataille universelle se prépare, c'est toi, c'est encore toi qui en es l'auteur !

« Ne vois-tu pas cet homme sacrilège (Luther), déchirer de ses mains coupables et fouler de ses pieds impurs les images des saints, et même la croix sacrée de Jésus-Christ ? Ne le vois-tu pas, dans sa colère impie, exciter les laïques à laver leurs mains dans le sang des prêtres et à renverser les églises du Seigneur?

« Et qu'importe que les prêtres qu'il attaque soient de mauvais prêtres ? Le Seigneur n'a-t-il pas dit : Faites ce qu'ils disent, et non ce qu'ils font; montrant ainsi l'honneur qui leur appartient, quand même leur vie est coupable [18] ? « Apostat rebelle, il n'a pas honte de souiller les vases consacrés à Dieu; il arrache de leurs sanctuaires les vierges saintes consacrées à Christ, et il les donne au diable; il prend les prêtres du Seigneur et il les livre à d'infâmes prostituées. Épouvantable profanation, que les païens mêmes eussent condamnée avec effroi, s'ils l'avaient trouvée dans les pontifes de leurs idoles ! De quelle peine, de quel martyre penses-tu donc que nous te jugerons digne? Aie pitié de toi-même, aie pitié de tes misérables Saxons; car si vous ne vous convertissez bientôt, Dieu fera fondre sur vous ses vengeances. [19]

128

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle ________________________________________

FOOTNOTES

[1] Dass man die Nachl'olger derselben vergiften Lehre, mit dem Schwert strafen mag. (L. Opp. XVII, p. 3a1.)

[2] Cum fama sit fortis et Csesarem et Papam Nurnbergam conventuros. (L. Epp. II, p. ai4 « )

[3] Sed Christus qui cœpit conteret eum. (Ibid.,p. 21 5.)

[4] Quod exea regionc venirent, unde nobis secundum car nem origo est. (Bref du pape. L. Opp. lat. II, p. 35a.)

[5] Er wollte einen Finger drum geben. (Seck., p. 568.)

[6] Resecandos uli membra jam putrula a sano corporc. (Pall. I, 158.)

[7] Einen grossen Schrecken eingejagt. (Seck., p. 55i.)

[8] Nicht anders geschrien denn : Crucifige! Crucifige ! (L. Opp. XVIII, p. 36?.)

[9] Sese auctoritate pontilica curaturnm ut isti caperentur. (Corp. Réf. I, p. 606.)

[10] Priusquam illi caperentur, se urbe cessuros esse. (Corp. Réf. I, p. 606.)

[11] In eam sedem aliquot jam annos qusedam vida irrep sisse, abususin rébus sacris, in legibus violationes, in cunc tis denique perversionem. (Pallav. I,p. i6o.Voy.

aussi Sàrpi, p. a5. L. Opp. XVIII, p. 329, etc.)

[12] Libérions tamen quam par « rat, sinceritatis fuisse visuni est, ea conventui patefacere. (Ibid., p. 162.)

[13] Wie sie solcher Beschwerung mid Drangsaal entladen werden.(L. Opp. XVIII, p.

354.)

[14] Ut pie placideque purnm Evangelium praedicaretur. (Pal. I, p. 166. — Sleidan.

I,p. i35.)

[15] Victns est ac ferme profligatus e Germania romanijs pon tifex. (Zw. Epp. 3i3, 11

octobre 15a3.)

[16] Gott habe solches E. G. eingebcn. (L. Opp. XVIIf, 476.)

[17] Dass die Kirchen ohne Volk sind, dnss die Vôlkcr ohne

[18] Priester sind, dass die Priester ohne Ehre sind, und dass die Christen ohne Christo sind. (L. Opp. XVIII, p. 371.)

[19] Wenn sie gleich eines verdammten Lebens sind. (Ibid. p.379.) 129

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IV.

« Au nom du Dieu Tout - Puissant et de notre Seigneur Jésus-Christ, dont je suis le représentant sur la terre, je te déclare que tu seras puni dans ce monde, et que tu seras plongé au feu éternel dans celui qui est à venir. Repens-toi et te convertis! ...

Les deux glaives sont suspendus sur ta tête, le glaive de l'Empire et le glaive de la papauté .. »

Le pieux Frédéric frémit en lisant ce bref menaçant. Il avait écrit peu auparavant à l'empereur, pour lui dire que la vieillesse et la maladie le rendaient incapable de s'occuper de ces affaires; et on lui répondait par la lettre la plus audacieuse que jamais prince souverain eût reçue. Affaibli par l'âge, il jeta les yeux sur cette épée qu'il avait portée au saint sépulcre, dans les jours de sa force. Il commença à croire qu'il faudrait la tirer du fourreau pour protéger la conscience de ses sujets, et que, déjà sur le bord de la tombe, il ne pourrait y descendre en paix. Il écrivit aussitôt à Wittemberg pour avoir l'avis des pères de la Réformation.

Là aussi l'on prévoyait des troubles et des persécutions. « Que dirai-je? s'écriait le doux Mélanchton, de quel côté me tournerai-je? La haine nous « accable, et le monde est transporté de rage « contre nous [1].» Luther, Linck, Mélanchton, Bugenhagen et Amsdorff consultèrent ensemble sur ce qu'il fallait répondre à l'électeur. Ils le firent tous à peu près dans le même sens, et les avis qu'ils lui donnèrent sont bien remarquables : « Nul prince, dirent-ils, ne peut entreprendre une guerre sans le consentement du peuple, des mains duquel il a reçu l'empire [2]. Or, le peuple ne veut pas que l'on se batte pour l'Évangile, car il ne croit pas. Que les princes ne prennent donc pas les armes : ils sont princes des nations, c'est-à-dire des infidèles.

» Ainsi, c'était l'impétueux Luther qui demandait au sage Frédéric de remettre l'épée dans le fourreau. Il ne pouvait mieux répondre au reproche que le pape venait de lui faire, d'exciter les laïques à laver leurs mains dans le sang du clergé. Peu de caractères ont été moins bien compris que le sien. Cet avis est du 8 février 15a3.

Frédéric se contint.

La colère du pape porta bientôt ses fruits. Les princes qui avaient exposé leurs griefs contre Rome, effrayés de leur hardiesse, voulurent l'expier par leurs complaisances. Plusieurs se disaient d'ailleurs que la victoire demeurerait au pontife de Rome, puisqu'il paraissait le plus fort. « De nos jours, dit Luther, les princes se contentent de dire : trois fois trois font neuf; ou bien, deux « fois sept font quatorze : le compte est juste; l'affaire réussira. Alors notre Seigneur Dieu se lève et dit : Pour combien donc me comptez-vous, moi? … Pour un zéro peut-être?... Puis il tourne sens dessus dessous leurs supputations, et leurs comptes se trouvent faux

[3]. »

130

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Les flammes de feu que vomissait l'humble et doux Adrien, allumèrent l'incendie; et son frémissement imprima à toute la chrétienté une immense agitation. La persécution, quelque temps arrêtée, recommença. Luther trembla pour l'Allemagne et s'efforça de conjurer l'orage. « Si les princes, dit-il, s'opposent à la vérité, il en résultera un tumulte qui perdra princes, magistrats, prêtres et peuple. Je tremble de voir bientôt l'Allemagne tout entière nager dans le sang [4]. Elevons-nous comme une muraille et préservons notre peuple de la fureur de notre Dieu! Les peuples ne sont plus maintenant ce qu'ils ont été jusqu'à cette heure [5]. Le glaive des guerres civiles est suspendu sur la tête des rois. Ils veulent perdre Luther, mais Luther veut les sauver. Christ vit et règne; je vivrai et je régnerai avec lui [6]. » Ces paroles furent sans effet; Rome se hâtait vers les échafauds et vers le sang. La Réformation, comme Jésus-Christ, n'était pas venue apporter la paix, mais l'épée.

La persécution était nécessaire dans les voies de Dieu. Comme on durcit les objets par le feu, pour les mettre à l'abri de l'in fluence de l'atmosphère, ainsi le feu de l'épreuve devait garantir la vérité évangélique de l'influence du monde. Mais ce feu fit plus encore : il servit, comme dans les premiers temps du christianisme, à allumer dans les cœurs un enthousiasme universel pour une cause poursuivie avec tant de fureur. Il y a dans l'homme, quand il commence à connaître la vérité, une sainte indignation contre l'injustice et la violence. Un instinct qui vient de Dieu, le pousse à se ranger du côté de ceux qu'on opprime; et en même temps la foi des martyrs l'élève, le gagne* l'entraîne vers cette doctrine salutaire, qui donne tant de courage et tant de paix.

Le duc George se montra à la tête de la persécution. Mais c'était peu que de l'exercer dans ses propres États; il eût voulu surtout qu'elle ravageât la Saxe électorale, ce foyer de l'hérésie, et il fit tout pour ébranler l'électeur Frédéric et le duc Jean, « Des marchands, leur écrivait-il de Nuremberg, venant de la Saxe, rapportent sur ce pays des choses étranges et contraires à l'honneur de Dieu et des saints : on y reçoit avec la main le sacrement de la cène! On consacre dans la langue du peuple le pain et le vin; on met le sang de Christ dans des vases ordinaires; et même un homme, à Eulenbourg, pour insulter le prêtre, est entré dans l'église monté sur un âne! Aussi qu'arrive-t-il ? Les mines dont Dieu avait enrichi la Saxe s'épuisent depuis les prédications novatrices de Luther. Oh! Plût à Dieu que ceux qui se vantent d'avoir relevé l'Évangile dans l'électorat l'eussent porté plutôt à Constantinople. Luther a un chant doux et agréable, mais une queue empoisonnée, qui pique comme celle du scorpion. Dressons nos mains au combat ! Jetons dans les chaînes ces moines apostats et ces prêtres impies; et cela sans retard, car les cheveux qui nous restent blanchissent aussi bien que « nos barbes, et nous montrent que nous n'avons plus que quelques jours pour agir *. [7]»

Ainsi écrivait le duc George à l'électeur. Celui-ci lui répondit avec fermeté et douceur, que qui conque ferait une mauvaise action dans ses Etats, n'échapperait 131

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle pas à la condamnation qui lui se rait due; mais que, pour ce qui regardait les consciences, il fallait s'en remettre à Dieu [8]. George, ne pouvant persuader Frédéric, se hâta de sévir autour de lui contre l'œuvre qu'il haïssait. II jeta en prison les moines et les prêtres sectateurs de Luther; il rappela les étudiants de ses Etats, des universités que la Réforme avait atteintes; et il ordonna qu'on livrât au magistrat tous les Nouveaux-Testaments en langue vulgaire. Les mêmes mesures furent prises en Autriche en Wurtemberg et dans le duché de Brunswick.

Mais ce fut dans les Pays-Bas, soumis à l'autorité immédiate de Charles-Quint, que la persécution se déchaîna avec te plus de force. Le couvent des Augustins, à Anvers, était rempli de moines qui avaient accueilli les vérités de l'Évangile.

Plusieurs des frères qui s'y trouvaient, avaient séjourné quelque temps à Wittemberg, et depuis 15ic), on prêchait le salut par grâce dans leur église avec une grande énergie. Le prieur Jacques Probst, homme ardent, et Melchior Mirisch qui se distinguait au contraire par son habileté et sa prudence, furent arrêtés et conduits à Bruxelles, vers la fin de l'année 15ar. Ils y comparurent devant Aléandre, Glapion et divers autres prélats. Surpris, interdit, effrayé, Probst se rétracta. Melchior Mirisch sut adoucir ses juges; il échappa à la fois à la condamnation et à la rétractation.

Ces persécutions n'épouvantèrent point les moines restés dans le couvent d'Anvers.

Ils continuèrent à annoncer l'Évangile avec force. Le peuple accourait en foule, et l'église des Augustins de cette ville se trouvait trop petite, comme l'avait été celle de Wittemberg. En octobre 15aa, l'orage qui grondait sur leur tête éclata; le couvent fut fermé, elles moines furent jetées en prison et condamnés à mort [9]. Quelques-uns parvinrent à s'échapper. Des femmes, oubliant la timidité de leur sexe, arrachèrent l'un d'eux, Henri de Zutphen, à ses bourreaux [10]. Trois jeunes moines, Henri Voes, Jean Esch et Lambert Thorn, se dérobèrent pendant quelque temps aux recherches des inquisiteurs. On vendit tous les vases du couvent; on barricada l'édifice; on en sortit, comme d'un lieu infâme, le saint sacrement; la gouvernante des Pays Bas, Marguerite, le reçut solennellement dans l'église de la Sainte-Vierge. [11] on ordonna de ne pas laisser pierre sur pierre de ce monastère hérétique, et l'on jeta en prison plusieurs bourgeois et des femmes de la ville qui y avaient écouté avec joie l'Évangile [12].

Luther fut rempli de douleur en apprenant ces nouvelles. « La cause que nous défendons, dit-il, n'est plus un simple jeu; elle veut du sang, elle demande la vie

[13]. »

Mirisch et Probst devaient avoir un sort bien différent. Le prudent Mirisch devint bientôt le serviteur docile de Rome et l'exécuteur des arrêts impériaux contre les partisans de la Réformation Probst, au contraire, échappé aux inquisiteurs, pleura sa faute; il rétracta sa rétractation, et il prêcha avec courage à Bruges, en Flandre, 132

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle la doc trine qu'il avait abjurée. Arrêté de nouveau et jeté dans les prisons de Bruxelles, sa mort paraissait inévitable [14]. Un franciscain prit pitié de lui, l'aida à fuir; et Probst, sauvé par un miracle de Dieu, » dit Luther, arriva à Wittemberg, où sa double délivrance remplit de joie les cœurs des amis de la Réforme Partout les prêtres romains étaient sous les armes.

La ville de Miltenberg sur le Mein, qui appartenait à l'électeur-archevêque de Mayence, était une des cités germaniques qui avaient reçu la Parole de Dieu avec le plus d'empressement. Les habitants avaient une grande affection pour leur pasteur Jean Dracon, l'un des hommes les plus éclairés de son temps. Il fut contraint de s'éloigner; mais les ecclésiastiques romains, effrayés, sortirent en même temps, redoutant la vengeance du peuple [15]. Un diacre évangélique demeura seul pour consoler les âmes. En même temps des troupes de Mayence entrèrent et se répandirent dans la ville, la bouche remplie de blasphèmes, brandissant l'épée, et se livrant à la débauche [16].

Quelques chrétiens évangéliques tombèrent sous leurs coups [17]; d'autres furent saisis et jetés dans les cachots; les rites de Rome furent rétablis; la lecture de la Bible fut interdite, et il fut défendu aux habitants de parler de l'Évangile, même dans leurs plus intimes entretiens. Le diacre s'était réfugié, au moment de l'entrée des troupes, dans la maison d'une pauvre veuve. On vint le dénoncer aux chefs, qui envoyèrent un soldat pour s'en emparer. L'humble diacre entendant le soldat qui cherchait sa vie, s'avancer à grands pas, l'attendit en paix, et au moment où la porte de la chambre s'ouvrit brusquement, il alla avec douceur à sa rencontre, l'embrassa avec cordialité, et lui dit : Je te salue, mon frère; me voici; plonge ton glaive dans mon sein [18]. » Le farouche soldat, étonné, laissa tomber son glaive de ses mains, et empêcha qu'on fît aucun mal au pieux évangéliste.

Cependant les inquisiteurs des Pays-Bas, altérés de sang, battaient le pays et cherchaient partout les jeunes Augustins échappés à la persécution d'Anvers. Esch, Voes et Lambert furent enfin dé couverts, jetés dans les chaînes et conduits à Bruxelles. Egmondanus, Hochstratten et quelques autres inquisiteurs les firent comparaître devant eux. « Rétractez-vous, leur demanda Hochstratten, votre assertion que le prêtre n'a pas la puissance de pardonner les péchés et que cela n'appartient qu'à Dieu seul? [19]» Puis, il énuméra toutes les autres doctrines évangéliques qu'il les sommait d'abjurer. « Non, nous ne rétracterons rien, s'écrièrent Esch et Voes avec fermeté; nous ne renierons pas la Parole de Dieu; nous mourrons plutôt pour la foi. »

LES JEUNES AUGUSTINS.

Comme les apôtres ont été séduits par Jésus Christ. »

LES INQUISITEURS [20]

133

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Nous vous déclarons hérétiques, Ugnes d'être brûlés vifs, et nous vous livrons au bras séculier. »

Lambert gardait le silence; la mort l'épouvantait; l'angoisse et le doute agitaient son âme. * Je demande quatre jours, » dit-il d'une voix étouffée. On le ramena en prison.

Aussitôt que ce délai fut expiré, on retira solennellement à Esch et à Voes la consécration sacerdotale, et on les livra au conseil de la gouvernante des Pays-Bas.

Le conseil les remit, les mains liées, au bourreau. Hochstratten et trois autres inquisiteurs les accompagnèrent jusqu'au bûcher [21]

Arrivés près de l'échafaud, les jeunes martyrs le regardèrent avec calme; leur constance, leur piété, leur âge a, arrachaient des larmes, même aux inquisiteurs.

Quand ils furent liés, les confesseurs s'approchèrent : Nous vous le demandons encore une fois : voulez-vous recevoir la foi chrétienne ? »

LES MARTYRS

Nous croyons à l'Église chrétienne, mais non à k votre Église. » Une demi-heure se passa; on hésitait, on espérait que la vue d'une si affreuse mort intimiderait ces jeunes hommes. Mais, seuls tranquilles au milieu de la foule qui s'agitait sur la place, ils entonnèrent des psaumes, s'interrompant de temps en temps pour dire avec courage :

« Nous voulons mourir pour le nom de Jésus-Christ. » Convertissez-vous, convertissez- vous, s'é criaient les inquisiteurs, ou vous mourrez au nom du diable »

« Non, répondirent les martyrs, nous mourrons comme chrétiens et pour la vérité de l'Évangile. »

On mit le feu au bûcher. Tandis que la flamme s'élevait lentement, une paix divine remplissait leurs cœurs, et l'un d'eux alla jusqu'à dire: Il me semble reposer sur un lit de roses [22]. » L'heure solennelle était venue; la mort était proche : les deux martyrs s'écrièrent d'une voix forte :

« O Domine Jesu ! Fili David, miserere nos tri ! Seigneur Jésus, Fils de David, aie pitié de nous! [23]»

Puis ils se mirent à ré citer d'une voix grave le symbole de la foi Enfin les flammes les atteignirent; mais elles brûlèrent les liens qui les retenaient au pilier, avant que de leur faire perdre le souffle de la vie. L'un d'eux, profitant de cette liberté, se jeta à genoux dans le feu, et adorant ainsi son maître [24], il s'écria, en joignant les mains: « Seigneur Jésus, fils de David, aie pitié de nous! » Le feu entoura leurs corps; ils entonnèrent le Te Deum laudamus; bientôt la flamme étouffa leur voix, et il ne resta plus d'eux que des cendres. Cette exécution avait duré quatre heures. Ce fut le 1er juillet 15a3 que les premiers martyrs de la Réformation donnèrent ainsi leur vie pour l'Évangile.

134

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Tous les hommes de bien frémirent en l'apprenant. L'avenir inspirait de vives craintes. Les supplices commencent, dit Erasme [25]. — Enfin, s'écria Luther, Jésus-Christ recueille quelque fruit de notre parole et il crée de nouveaux martyrs. »

Mais la joie que la fidélité de ces deux jeunes chrétiens avait causée à Luther, était troublée par la pensée de Lambert. Celui-ci était le plus savant des trois; il avait remplacé Probst à Anvers dans ses fonctions de prédicateur. Agité dans son cachot, effrayé par la mort, il l'était encore plus par sa conscience qui lui reprochait sa lâcheté, et qui le pressait de confesser l'Évangile [26]. Bientôt, délivré de ses craintes, il proclama hardiment la vérité, et il mourut comme ses frères.

Une riche moisson s'éleva du sang de ces martyrs. Bruxelles se tourna vers l'Évangile [27]. Partout où Aléandre élève un bûcher, dit Érasme, c'est comme s'il semait des hérétiques. [28]» Vos liens sont mes liens, s'écria Luther, vos cachots sont mes cachots, et vos bûchers sont mes bûchers [29] ! Nous sommes tous avec vous* et le Seigneur est à notre tête! »

Puis il célébra dans un beau cantique la mort des jeunes moines, et bientôt, en Allemagne et dans les Pays-Bas, dans les villes et dans les campagnes, on entendit retentir ces chants, qui partout répandaient l'enthousiasme pour la foi de ces martyrs :

Non, leur cendre ne périt pas ;

Partout celte sainte poussière,

Dispersée au loin sur la terre,

Sème, à Dieu de nouveaux soldats.

Satan, en éteignant leur vie,

Au silence les contraignit;

Mais leur mort brave sa furie,

Et chante en tous lieux Jésus-Christ [30]

________________________________________

FOOTNOTES

[1] Quid dicam? quo me vertam? (Corp. Réf. I, p. 627.)

[2] Principi nullum licet suscipere bellum, nisi consentienle populo, quo accepit imperium. (Corp. Réf. I, p. 601.)

[3] So kehrt er ihnen auch die Rechnung gar um. (L. Opp. XXII, 1831.)

[4] Ut videar mihi videre Germaniam in sanguine natare. ( L. Epp. II, p. 156.) 135

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[5] Cogitent populos non esse taies modo, quales hactenus fuerunt. (Ibid., p. 157.)

[6] Christus meus vivit et régnat, et ego vivam et regnabo. (Ibid., p. 158.)

[7] Wie ihre Bârt und Ha.ire ausweisen. (Seckend., p. 482.)

[8] Miisse man solche Dirige GottuberIassen.(Ibid., p. 485.)

[9] Zum Tode vernrtheilet. (Seck., p. 548.)

[10] Quomodo roulieres vi Henricum liberarint. (L. Epp. II, p. 2G5.)

[11] Susceptum honorificea domina Margareta. (L. Epp. II, p. a65.)

[12] Cives aliquos, et mulieres vexatae et punitae. (Ibid.)

[13] Et vitam exiget et sanguinem. (Ibid., p. lit.)

[14] Est executor Csesaris contra nostros. (Ibid., p. 207.) 5 Domo captum, exustum credimus. (Ibid., p. 2i4-)

[15] Jacobus, Oei miraculo liberatus, qui nunc agit nobiscum. (L. Epp. II, p. 182.) Cette lettre, portée dans le recueil de M. de Wette sous la date du 14 avril, doit être postérieure au mois de juin; puisque le a6 juin Luther dit encore que Probst a été pris pour la seconde fois et va être brûlé. On ne peut admettre que Probst ait été à Wittemberg entre ses deux captivités, car Luther n'eût pas dit d'un chrétien qui se serait sauvé par une rétractation, qu'il avait été délivré par un miracle de Dieu.

Peut-être faut-il lire dans la date de la lettre, au lieu de in die S. Tiburtii, in die S.

Turia.fi, ce qui la porterait au i3 juillet, date qui me semble plus probable.

[16] So sie doch schàndlicher leben denn Huren und Buben. (L. Epp. II, p. 482.)

[17] Schlng etliche todt. (Seck., p. 604.)

[18] Sey gegriisst, mein BtuekT. {Scultet. ann. I, p.173.J l'chafaud. ao3 l'inquisiteur.

[19] Avouez que vous avez été séduits par Luther. »

[20] Facta est haec res Bruxelles in publico foro. (L. Epp. II, p. 361.)

[21] Nonduni triginta annorum. (Ibid.)

[22] Dit schijnen mij als roosen te zijn. (Brandt. Hist. der Re formatie. I, p. 79.)

[23] Admoto igni, canere cœperunt symbolum fidei, dit Eras me. (Epp. I, p. 1278.)

[24] Da ist der eine im Feuer auf die Knie gefallen. (L. Opp. XVIII, p. 481.;

[25] Cœpta est carnificina. (Epp., p. 1429.)

[26] Quarta post exustus est tertius frater Lambcrtus. (L. Epp. II, p. 36 1.) 136

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[27] Ea mors multos fecit lutheranos. (Er. Epp., p. 95a.) Tum demum coepit civitas favere Luthero. (Ibid., p. 1676. Érasme au duc George.) Ea civitas antea purissima.

(Ibid., p. i430.)

[28] Ubicumque fumos excitavit nuntius,ibi diceres fuisse factam hsereseon sementem. (Ibid.)

[29] Vestra vincula mea sunt, vestri carceres et ignés mei sunt. (L. Epp. H, p. 464-)

[30] Die Asche will nicht lassen ab, Sie stâubt in allen Landen, Hie hilft kein Bach, Loch, noch Grab. .. (L. Opp. XVIII, p. 484.)

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE V.

Adrien eût sans doute persévéré dans cette voie de violence; l'inutilité de ses efforts pour arrêter la réforme, son orthodoxie, son zèle, sa rigidité, sa conscience même, en eussent fait un cruel persécuteur. La Providence ne le permit pas. Le 14 septembre 15a3, il mourut, et les Romains, tout joyeux d'être délivrés de ce rigide étranger, couronnèrent de fleurs la porte de son médecin, en y mettant cette inscription : « Au sauveur de la patrie. [1]»

Jules de Médicis, cousin de Léon X, succéda à Adrien VI, sous le nom de Clément VII. Du jour de son élection il ne fut plus question de réforme, religieuse. Le nouveau pape, comme beaucoup de ses prédécesseurs, ne pensait qu'à maintenir les privilèges de la papauté, et à en faire servir les forces à l'agrandissement de sa puissance. :

Voulant réparer les fautes d'Adrien, Clément envoya à Nuremberg un légat de son caractère, l'un des prélats les plus habiles de sa cour, le cardinal Campeggi, homme d'une grande expérience des affaires, et qui connaissait presque tous les princes de l'Allemagne. Reçu avec magnificence dans les villes d'Italie, le légat s'aperçut bientôt du changement qui s'était opéré dans l'Empire. En entrant à Augsbourg il voulut, selon l'usage, donner la bénédiction au peuple; mais on se mit à rire. Il se le tint pour dit, et entra incognito à Nuremberg, sans se rendre à l'église de Saint Sébalde où le clergé l'attendait. Point de prêtres qui le devançassent en ornements sacerdotaux; point de croix portée solennellement devant lui *; on eût dit qu'un homme vulgaire traversait les rues de la ville. Tout annonçait à la papauté que son règne allait finir.

La diète s'était rouverte à Nuremberg au mois de janvier de l'an 1 524- Un orage menaçait le gouvernement national, qu'on devait à la fermeté de Frédéric. La ligue de Souabe, les villes les plus riches de l'Empire, Charles-Quint surtout, avaient juré sa perte. On l'accusait de favoriser la nouvelle hérésie. Aussi résolut on de renouveler cette administration, sans y maintenir un seul de ses anciens membres.

Frédéric, plein de douleur, quitta aussitôt Nuremberg.

Les fêtes de Pâques approchaient. Osiandre et les prédicateurs évangéliques redoublèrent alors de zèle. Le premier prêchait publiquement que l'Antéchrist était entré dans Rome, le jour où Constantin le Grand en était sorti pour établir sa résidence à Constantinople. On omit la consécration des rameaux et plusieurs cérémonies de cette fête; quatre mille personnes reçurent la cène sous les deux espèces, et la reine de Danemark, sœur de l'empereur, la reçut ainsi publiquement au château. « Ah ! s'écria l'archiduc Ferdinand hors de lui, je voudrais que vous ne fussiez pas ma sœur ! — Le même sein nous a portés, répondit la reine, et je sacrifierai tout pour vous plaire, sauf la Parole de Dieu [2]»

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Campeggi frémit à la vue de tant d'audace; mais, affectant de mépriser les rires du peuple et les discours des prédicateurs, et s'appuyant sur l'autorité de l'empereur et du pape, il rappela à la diète l'édit de Worms, et demanda qu'on étouffât la Réformation par la force. A ces mots, plusieurs des princes et des députés témoignèrent leur indignation: « Que sont devenus, dirent-ils à Campeggi, les griefs présentés au pape par la nation germanique ? » Le légat, suivant ses instructions, prit un air honnête et étonné : « Il est parvenu, dit-il, trois exemplaires de cet écrit à Rome; mais nous n'en avons reçu aucune communication officielle, et je n'ai pu croire qu'une si inconvenante brochure fût émanée de vos Seigneuries. »

La diète fut indignée de cette réponse. Si c'est ainsi que le pape accueille ses représentations, elle sait, elle aussi, comment accueillir celles qu'il voudra lui adresser. « Le peuple, dirent plusieurs députés, a soif de la Parole de Dieu; et la lui enlever, comme l'ordonne l'édit de Worms, serait à faire couler des ruisseaux de sang. »

Aussitôt la diète s'occupa de la réponse à faire au pape. Ne pouvant abolir l'édit de Worms, elle y ajouta une clause qui l'annulait. Il faut, dit-elle, s'y conformer autant que possible [3].» Or, plusieurs États avaient déclaré qu'il était impossible de l'observer. En même temps, évoquant l'ombre importune des conciles de Constance et de Bâle, la diète demanda la convocation, en Allemagne, d'un concile universel de la chrétienté. Les amis de la Réforme ne s'en tinrent pas là. Qu'attendre d'un concile qui peut-être ne sera jamais convoqué, et qui, dans tous les cas, sera composé d'évêques de toutes les nations ? L'Allemagne soumettra-t-elle ses tendances anti romaines à des prélats venus d'Espagne, de B'nince, d'Angleterre et d'Italie? Le gouvernement national a été renversé; il faut lui substituer une as semblée nationale qui protège les intérêts du peuple.

En vain Hannaart, envoyé d'Espagne par Charles-Quint, et tous les partisans de Rome et de l'empereur voulurent-ils s'opposer à ce plan; la majorité de la diète fut inébranlable. On con vint qu'une diète, une assemblée séculière se réunirait à Spire, au mois de novembre, pour régler toutes les questions religieuses, et que les Etats feraient immédiatement dresser par leurs théologiens, une liste des points controversés, qui seraient déférés à cette auguste assemblée.

On se mit aussitôt à l'œuvre. Chaque province rédigea ses cahiers; et jamais Rome n'avait été menacée d'une explosion plus puissante. La Franconie, le Brandebourg, Henneberg, Windsheim, Wertheim, Nuremberg, se prononcèrent dans le sens évangélique, contre les sept sacrements, les abus de la messe, l'adoration des saints, la suprématie du pape. « Voilà de l'argent de bonne empreinte, dit Luther. » Pas une des questions qui agitent le peuple ne sera passée sous silence dans ce concile national. La majorité obtiendra des mesures générales.. L'unité de l'Allemagne, son indépendance, sa réformation vont être sauvée. A cette nouvelle le pape ne put 139

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle contenir sa colère. Quoi! L’on ose établir un tribunal séculier qui décidera des choses religieuses contre son autorité même *! Si cette inconcevable résolution s'accomplit, sans doute l'Allemagne est sauvée, mais Rome est perdue. Un consistoire fut assemblé en grande hâte et, à voir les sénateurs hors d'eux-mêmes, on eût dit que les Germains marchaient sur le Capitole. « Il faut, dit Aléandre, faire tomber de la tête de Frédéric le chapeau d'électeur. »—

« Il faut, dit un autre cardinal, que les rois d'Angleterre et d'Espagne menacent les villes libres de rompre tout commerce avec elles. » Enfin la congrégation décida que le seul moyen de salut était de remuer ciel et terre pour empêcher l'assemblée de Spire.

Le pape écrivit aussitôt à l'empereur: Si c'est moi, le premier, qui fais tête à l'orage, ce n'est pas que je sois le seul que la tempête menace; mais c'est que le gouvernail est dans mes mains. Les droits de l'Empire sont encore plus attaqués que la dignité de la cour de Rome elle-même. [4]»

Tandis que le pape envoyait cette lettre en Castille, il s'efforçait de se faire des alliés en Allemagne. Bientôt il eut gagné l'une des plus puissantes maisons de l'Empire, celle des ducs de Bavière. Ledit de Worms n'avait pas été mieux observé dans ce pays qu'ailleurs, et la doctrine *évangélique y avait fait de grands progrès.

Mais, dès la fin de l'an 15ai, les princes de ce pays, ébranlés par le docteur Eck, chancelier de leur université d'Ingolstadt, s'étaient rapprochés de Rome, et avaient rendu un édit par lequel ils ordonnaient à tous leurs sujets de demeurer fidèles à la religion de leurs pères [5].

Les évêques bavarois se montrèrent alarmés de cet empiétement de la puissance séculière. Eck partit alors pour Rome, afin de demander au pape pour les princes une extension de pouvoir. Le pape accorda tout, et même il attribua aux ducs le cinquième des revenus ecclésiastiques de leur pays.

Ainsi, dans un temps où la Réformation n'avait encore rien organisé, le catholicisme romain avait déjà recours pour son maintien, à de puissantes institutions; et des princes catholiques, soutenus par le pape, mettaient la main sur les revenus de l'Église, bien avant que la Réforme eût osé y toucher. Que faut-il donc penser des reproches que les catholiques-romains lui ont faits si souvent à cet égard?

Clément VI pouvait compter sur la Bavière pour conjurer la redoutable assemblée de Spire. Bientôt l'archiduc Ferdinand, l'archevêque de Salzbourg et d'autres princes encore furent gagnés à leur tour.

Mais Campeggi voulait faire plus encore; il fallait diviser l'Allemagne en deux camps; il fallait exciter Germains contre Germains.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Déjà pendant son séjour à Stuttgart le légat avait conçu, d'accord avec Ferdinand, le plan d'une ligue contre la Réformation. « Il y a tout à craindre, disait-il, d'une assemblée où la voix du peuple se fera entendre. La diète de Spire peut perdre Rome et sauver Wittemberg. Serrons nos rangs; entendons-nous pour le jour de la bataille [6]. » Ratisbonne fut fixé pour le lieu du rendez-vous.

Malgré la jalousie qui divisait les maisons de Bavière et d'Autriche, Campeggi parvint à réunir dans cette ville, à la fin de juin 15ili, les ducs de Bavière et l'archiduc Ferdinand. L'archevêque de Salzbourg et les évêques de Trente et de Ratisbonne se joignirent à eux. Les évêques de Spire, Bamberg, Augsbourg, Strasbourg, Bâle, Constance, Freisingen, Passau et Brixen se firent représenter par des députés.

Le légat ouvrit l'assemblée, en peignant avec énergie les dangers que la Réforme faisait courir aux princes et au clergé. Extirpons l'hérésie et sauvons l'Église, »

s'écria-t-il.

Les conférences continuèrent pendant quinze jours, dans la maison de ville de Ratisbonne. Un grand bal, qui dura toute une nuit, vint égayer cette première assemblée catholique, tenue par la papauté contre la Réforme naissante [7]. On arrêta ensuite les mesures destinées à détruire les hérétiques.

Les princes et les évêques s'engagèrent à faire exécuter les édits de Worms et de Nuremberg, à ne permettre dans le culte aucun changement, à ne tolérer dans leurs États aucun ecclésiastique marié, à rappeler tous les étudiants de leurs pays qui pouvaient se trouver à Wittemberg, et à employer tous les moyens en leur pouvoir pour la destruction de l'hérésie. Ils ordonnèrent aux prédicateurs de s'en tenir, pour les passages difficiles, à l'interprétation des Pères de l'Eglise latine, Ambroise, Jérôme, Augustin et Grégoire. N’osant, en présence de la Réformation, rappeler l'autorité des scolastiques, ils se contentaient de poser les premiers fondements de l'orthodoxie romaine.

Mais, d'autre part, ne pouvant fermer les yeux sur les scandales et sur les mœurs corrompues des prêtres [8], ils convinrent d'un projet de réforme, dans lequel ils cherchèrent à tenir compte de ceux des griefs de l'Allemagne qui concernaient le moins la cour de Rome. On défendit aux prêtres de faire le commerce, de hanter les cabarets, de fréquenter les danses » et de se livrer, la bouteille à la main, à des disputes sur des articles de foi.

Tel fut le résultat de la confédération de Ratisbonne [9]. Tout en s'armant alors contre la Réformation, Rome lui céda quelque chose, et l'on put remarquer dans ces arrêtés, la première influence de la Réforme du seizième siècle, pour opérer une restauration intérieure du catholicisme. L'Évangile ne peut déployer sa force, sans que ses adversaires cherchent de quelque manière à l'imiter. Emser avait opposé 141

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle une traduction de la Bible à la traduction de Luther; Eck, des lieux communs à ceux de Mélanchton [10]; et maintenant Rome opposait à la Réformation, ces essais partiels de réforme, auxquels on doit le catholicisme moderne. Mais toutes ces œuvres de Rome n'étaient en réalité que des expédients subtils pour échapper aux dangers qui la menaçaient; des rameaux arrachés, il est vrai, à l'arbre de la Réformation, mais plantés en un sol qui devait leur donner la mort; la vie y manquait, et elle manquera toujours à des tentatives semblables.

Un autre fait s'offre ici à nous. Le parti romain forma à Ratisbonne la première ligue qui rompit l'unité germanique. Ce fut dans le camp du pape que le signal des combats fut donné. Ratisbonne fut le berceau de cette scission, de ce déchirement politique de l'Allemagne, que tant d'Allemands déplorent encore de nos jours.

L'assemblée nationale de Spire devait, en sanctionnant et en généralisant la réforme de l'Eglise, assurer l'unité de l'Empire. Le conventicule séparatiste de Ratisbonne déchira pour jamais la nation en deux partis [11].

Cependant les projets de Campeggi ne réussirent pas d'abord aussi bien qu'on l'avait imaginé. Peu de princes répondirent à cet appel. Les adversaires les plus décidés de Luther, le duc George de Saxe, l'électeur Joachim de Brandebourg, les électeurs ecclésiastiques, les villes impériales n'v prirent aucune part. On sentait que le légat du pape formait en Allemagne un parti romain contre la nation elle-même. Les sympathies populaires contrebalançaient les antipathies religieuses, et bientôt la réformation de Ratisbonne devint l'objet des risées du peuple.

Mais le premier pas était fait; l'exemple était donné. On pensait qu'il en coûterait peu par la suite pour affermir et agrandir cette ligue romaine. Ceux qui hésitaient encore devaient être nécessairement entraînés par la marche des événements. Au légat Campeggi de meure la gloire d'avoir inventé la mine qui devait mettre à deux doigts de leur perte les libertés germaniques, l'existence de l'Empire et celle de la Réformation. Dès lors la cause de Luther cessait d'être une affaire purement religieuse; la dispute du moine de Wittemberg prenait place dans l'ordre des événements politiques de l'Europe. Luther va se trouver éclipsé; et Charles Quint, le pape et les princes seront les principaux personnages sur le théâtre où le grand drame du seizième siècle doit s'accomplir. »

On avait cependant toujours en perspective l'as semblée de Spire; elle pouvait réparer le mal .que Campeggi avait fait à Ratisbonne. Rome mit donc tout en œuvre pour l'empêcher. Quoi ! » Disaient les députés du pape, non-seulement à Charles Quint, mais à son allié Henri VIII, et à d'autres princes de la chrétienté, quoi! Ces orgueilleux Germains prétendent décider, dans une assemblée nationale, des choses de la foi! Il faudra apparemment que les rois, la majesté impériale, toute la chrétienté, le monde universel, se sou mettent à leurs arrêts! »

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le moment était bien choisi pour agir sur l'empereur. La guerre entre ce prince et François 1er était dans toute sa force. Pescaire et le connétable de Bourbon avaient quitté l'Italie, et, entrés en France au mois de mai, ils y faisaient le siège de Marseille. Le pape, qui ne voyait point de bon œil cette attaque, pouvait faire sur les derrières de l'armée impériale une puissante diversion. Charles, qui devait craindre de le mécontenter, n'hésita pas, et sacrifia aussitôt l'indépendance de l'Empire à la faveur de Rome et au succès de sa lutte avec la France.

Le 1.5 juillet, Charles rendit, à Burgos en Cas tille, un décret dans lequel, d'un ton impérieux et passionné, il déclarait: « Que c'était au pape seul à convoquer un concile, à l'empereur seul à le demander; que la réunion fixée à Spire ne pouvait ni ne devait être tolérée; qu'il était étrange que la nation allemande entreprit une œuvre que toutes les autres nations de l'univers, même avec le pape, ne seraient pas en droit de faire; qu'on devait se hâter d'exécuter le décret de Worms contre le nouveau Mahomet. »

Ainsi venait d'Espagne et d'Italie le coup qui arrêtait en Allemagne les développements de l'Evangile. Ce n'était pas assez pour Charles, il avait offert, en 15ig, au duc Jean, frère de l'électeur, d'unir sa sœur, l'archiduchesse Catherine, au fils de celui-ci, Jean Frédéric, héritier de l'électorat. Mais n'était-ce pas cette maison de Saxe qui soutenait en Allemagne les principes d'indépendance religieuse et politique, que Charles haïssait? Il se décida à rompre entièrement avec le représentant importun et coupable des idées évangéliques et nationales, et donna sa sœur en mariage à Jean III. Roi de Portugal. Frédéric qui, en 15ig, s'était montré indifférent aux ouvertures du roi d'Espagne, sut surmonter en 15a4 l'indignation que la conduite de l'empereur lui fit éprouver; mais le duc Jean fit connaître avec fierté que ce coup l'avait profondément blessé.

On voyait ainsi se dessiner plus nettement dans l'Empire les deux camps ennemis qui devaient longtemps le déchirer.

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FOOTNOTES

[1] Communi habitu, quod per sylvas et campos ierat, per mediam urbem.. sine clero, sine praevia cruce. (Cochl., p. Si. 1

[2] Wolle sich des Wortes Gottes halten. (Seckend, p. 6i3.)

[3] Quantum eis possibile sit... (Cochlneus, p. 84.)

[4] Pontifex aegerrime tulit.. intelligens novnm de religione tribunal eo pacto excitari citra ipsius auctoritatem. (Pallav. I, p. 182.) 143

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[5] Erstes baierisches Religions Mandat. (Winter, Gesch. der Evang. Lehre in Baiern. I, p. 3i0.)

[6] Winter, Gesch. der Evaug. Lehre in Baiera. I, p, 15<3. t.

[7] Ranke, Deutsche Gesch. II, p. 15g.

[8] Improbis clericorum abusibus et perditis moribus. (Co ehlœus, p. 91.)

[9] Ut Luiheranee factioni efficacius resisterc possint, nltro nea.confederatione scse constrixerunt. (Ibid.)

[10] Enchiridion, seu loci communes contra haereticos. 15a5 .

[11] Ranke, Deutsche Gesch. II, p. i63.

144

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VI.

Le parti romain ne s'en tint pas là. L'alliance de Ratisbonne ne devait pas être seulement pour la forme; il fallait qu'elle fût scellée par le sang. Ferdinand et Campeggi descendirent ensemble le Danube, de Ratisbonne à Vienne, et se firent l'un à l'autre, pendant le voyage, de cruelles promesses. La persécution commença aussitôt dans les États autrichiens. [1]

Un bourgeois de Vienne, Gaspard Tauber, avait répandu les livres de Luther, et avait lui-même écrit contre l'invocation des saints, le purgatoire et la transsubstantiation Jeté en prison, il fut sommé par les juges, tant théologiens que jurisconsultes, de rétracter ses erreurs. On crut qu'il y consentait, et tout se prépara dans Vienne pour donner au peuple ce spectacle solennel. Le jour de la naissance de Marie, deux chaires furent élevées sur le cimetière de Saint-Etienne, l'une pour le chef du chœur qui devait célébrer par ses chants la repentance de l'hérétique, et l'autre pour Tauber lui-même. On mit en sa main la formule de rétractation [2]; le peuple, les chantres et les prêtres attendaient en silence. Soit que Tauber n'eût fait aucune promesse, soit qu'au moment d'abjurer, sa foi se ranimât tout à coup avec une force nouvelle :

« Je ne suis point convaincu, s'écria-t-il, et j'en appelle au saint Empire romain ! »

Les ecclésiastiques, le chœur, le peuple, sont saisis d'étonnement et d'effroi. Mais Tauber continue à demander la mort plutôt que de renier l'Évangile. Il fut décapité, son corps fut brûlé [3]; et son cou rage fit sur les bourgeois de Vienne une impression ineffaçable.

A Bude, en Hongrie, un libraire évangélique, nommé Jean, avait répandu dans le pays le Nouveau-Testament et les livres de Luther. On l'attacha à un poteau, puis on éleva peu à peu autour de lui tous ses livres, de manière à l'enfermer comme dans une tour, et on y mit le feu. Jean témoignait un inébranlable courage, s'écriant, du milieu des flammes, qu'il était heureux de souffrir pour le Seigneur [4].

« Le sang succède au sang, s'écria Luther en apprenant cette mort; mais ce sang généreux que Rome se plaît à répandre, étouffera à la fin le pape avec tous ses royaumes et tous ses rois [5].»

Le fanatisme s'enflammait toujours plus; on chassait les ministres évangéliques des églises; on bannissait les magistrats; on en venait quelque fois aux plus terribles supplices. Dans le Wurtemberg, un inquisiteur, nommé Reichler, faisait pendre aux arbres les luthériens, et surtout les prédicateurs. On voyait des hommes barbares clouer froidement par la langue, des ministres au poteau; en sorte que ces malheureux, faisant un effort et s'arrachant avec violence de la pièce de bois où ils étaient retenus, se mutilaient horriblement pour retrouver la liberté, et se privaient eux-mêmes de ce don de la parole qu'ils avaient longtemps fait servira annoncer 145

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle l'Évangile [6]. Les mêmes persécutions avaient lieu dans les autres États de la ligue catholique. Un ministre évangélique du pays de Salzbourg était conduit à la prison où il devait finir ses jours; pendant que les archers qui le menaient buvaient dans une auberge de la route, deux jeunes paysans, émus de compassion, trompèrent leur vigilance et délivrèrent le pasteur. La colère de l'archevêque s'enflamma contre ces pauvres gens, et sans leur faire subir aucun procès, il ordonna qu'ils fussent décapités. Ils furent conduits secrètement, et de grand matin, hors de la ville; arrivés dans la plaine où ils devaient mourir, le bourreau hésitait lui-même; car, disait-il, ils n'ont pas été jugés. Fais ce que je te commande, lui répondit brusquement l'émissaire de l'archevêque, et laisses-en au prince la responsabilité! »

Et les têtes des jeunes libérateurs tombèrent aussitôt sous le glaive [7].

La persécution désolait surtout les Etats des ducs de Bavière; les prêtres étaient destitués, les nobles chassés de leurs châteaux; la délation s'exerçait dans tout le pays; dans tous les cœurs régnaient la défiance et l'effroi. Un magistrat, Bernard Fichtel, se rendait à Nuremberg pour les affaires du duc; il rencontra sur le grand chemin François Bourkard, professeur d'Ingolstadt, ami du docteur Eck. Bourkard l'aborda, et ils firent route ensemble. Après le souper, le professeur vint à parler religion; Fichtel, connaissant son compagnon de voyage, lui rappela que le nouvel édit interdisait de tels entretiens, [8] Entre nous, répondit Bourkard, il n'y a rien à craindre.» — Je ne crois pas, dit alors Fichtel, que cet édit * puisse jamais s'exécuter; » puis il s'exprima d'une manière équivoque sur le purgatoire, et dit que c'était une chose horrible que de punir de mort pour des opinions religieuses. A ces mots, Bourkard ne put se contenir : « Quoi de plus juste, s'écria-t-il, que de couper la tête à tous ces scélérats de luthériens! » Il quitta pour tant Fichtel de bonne grâce, mais il courut le dénoncer. Fichtel fut jeté en prison, et ce malheureux, qui n'avait jamais pensé à devenir martyr et dont les convictions n'étaient pas profondes, n'échappa à la mort que par une honteuse rétractation. Il n'y avait plus de sûreté nulle part, et même dans le sein d'un ami.

Mais la mort à laquelle Fichtel échappa, d'autres la trouvèrent. En vain l'Evangile ne se prêchait-il plus qu'en secret *; les ducs le poursuivaient dans l'ombre, dans le mystère, sous les toits des maisons, dans les retraites cachées des campagnes. « La croix et la persécution, disait Luther, règnent dans la Bavière; ces bêtes féroces s'emportent avec fureur [9]. »

Le nord de l'Allemagne même n'était point à l'a bri de ces cruautés. Bogislas, duc de Poméranie, étant mort, son fils, élevé à la cour du duc George, persécuta l'Évangile; Suaven et Knipstrow durent s'enfuir.

Mais ce fut dans le Holstein que l'un des plus grands exemples de fanatisme fut alors donné. Henri de Zuphten, échappé, comme nous l'avons vu, du couvent d'Anvers, prêchait l'Evangile à Brème; Nicolas Boye, pasteur à Mehldorf, dans le 146

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle pays des Dittmarches, et plusieurs hommes pieux de ces contrées, l'appelèrent pour leur annoncer Jésus-Christ; il se rendit à leurs vœux. Aussitôt le prieur des Dominicains et le vicaire de l'official de Hambourg tinrent conseil. « S'il prêche et que le peuple l'entende, dirent-ils, tout est perdu! » Le prieur, après avoir passé une nuit agitée, se leva de grand matin et se rendit à l'inculte et stérile bruyère où s'assemblaient d'ordinaire les quarante-huit régents du pays. Le moine de Brème est arrivé, leur dit-il, pour perdre tous les Dittmarches! »

Ces quarante-huit hommes simples et ignorants, auxquels on assura qu'ils acquerraient une grande gloire en délivrant le monde du moine hérétique, résolurent de le mettre à mort, sans l'avoir encore ni vu, ni entendu.

C'était un samedi, et le prieur voulait empêcher que Henri ne prêchât le dimanche.

Il arriva chez le pasteur Boye au milieu de la nuit, avec la lettre des quarante-huit régents. Si Dieu veut que je meure chez les Dittmarches, dit Henri de Zuphten, le ciel est aussi près là qu'ailleurs [10]; je prêcherai. »

Il monta en chaire et prêcha avec force. Les auditeurs, touchés, enflammés par son éloquence chrétienne, avaient à peine quitté le temple, que le prieur leur remit une lettre des quarante-huit régents, défendant de laisser prêcher le moine. Ils envoyèrent aussitôt leurs représentants à la bruyère, et après bien des débats, les Dittmarches tombèrent d'accord que, vu leur grande ignorance, ils attendraient jusqu'à Pâques. Mais le prieur, irrité, vint vers quelques-uns des régents, et enflamma de nouveau leur zèle. « Nous lui écrirons, » dirent-ils. — « Gardez-vous-en, répondit le prieur; s'il commence à parler, on ne peut plus rien contre lui. Il faut le saisir pendant la nuit et le brûler avant qu'il ait pu ouvrir la bouche. »

Ainsi fut arrêté. Le lendemain de la fête de la Conception, la nuit étant venue, on sonna Ave Maria. A ce signal, tous les paysans des villages voisins se rassemblèrent au nombre de cinq cents, et les chefs ayant fait défoncer trois tonneaux de bière de Hambourg, leur communiquèrent ainsi un grand courage. Minuit sonnait comme on arrivait à Mehldorf; les paysans étaient en armes; les moines tenaient des flambeaux; tous marchaient sans ordre, échangeant des cris de fureur; en arrivant au village, on fit un profond silence, de peur que Henri ne s'échappât.

Tout à coup on enfonça les portes de la cure; les paysans ivres s'y précipitèrent et frappèrent tout ce qui se présenta devant eux; ils jetèrent pêle-mêle vases, chaudrons, gobelets, vêtements, saisirent l'or et l'argent qu'ils purent trouver, et, se précipitant sur le pauvre pasteur, ils le frappèrent en criant : Tue ! Tue ! » Puis ils le jetèrent dans la boue. Mais c'était à Henri qu'ils en voulaient; ils le tirèrent de son lit, lui lièrent les mains derrière le dos et le traînèrent après eux, sans vêtements, et par un froid rigoureux. Qu'es-tu donc venu faire ici? » Lui dirent-ils.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Henri ayant répondu avec douceur :”h A bas! À bas! Dirent-ils; si nous l'écoutons, nous de viendrons hérétiques comme lui! » On l'avait traîné nu sur la glace et la neige; ses pieds étaient en sang; il pria qu'on le mît à cheval : « Vraiment oui, répondirent-ils en se moquant, nous allons fournir des chevaux aux hérétiques [11].

Marche! » Et ils continuèrent à le traîner jusqu'à la bruyère. Une femme, qui était sur la porte de sa maison au moment où passait le pauvre serviteur de Dieu, se mit à pleurer :

« Bonne femme, lui dit Henri, ne pleurez pas sur moi. » Le bailli prononça sa condamnation. Alors l'un des furieux qui l'avaient amené frappa, d'un coup d'épée sur le crâne, le prédicateur de Jésus-Christ; un autre lui donna un coup de mas sue; puis on lui amena un pauvre moine, afin qu'il se confessât. Frère, lui dit Henri, vous ai-je fait quelque mal ? — Aucun, répondit le moine. — Je n'ai donc rien à vous confesser, reprit Henri, et vous n'avez rien à me pardonner. »

Le moine confus se retira. En vain s'efforçait-on d'allumer le bûcher, le feu ne voulait pas prendre. Le martyr demeura ainsi deux heures devant les paysans hors d'eux-mêmes, paisible et élevant les yeux vers le ciel. Comme on le liait pour le jeter sur le bûcher, il commença à con fesser sa foi. Brûle d'abord, lui dit un paysan en le frappant du poing sur la bouche, et ensuite tu parleras! » On le jeta, mais il tomba de côté; Jean Holme, saisissant une massue, lui frappa la poitrine, et on l'étendit mort sur des charbons ardents. Telle est l'histoire véritable des souffrances du saint martyr Henri de Zuphten »

Tandis que le parti romain tirait partout le glaive contre la Réformation, cette œuvre subis sait de nouveaux développements. Ce n'est pas à Zurich ou à Genève, c'est dans Wittemberg même, au foyer du réveil luthérien, qu'il faut chercher les commencements de cette Église réformée, dont Calvin est devenu le plus grand docteur. Ces deux grandes familles ont dormi dans le même berceau. L'union eût dû couronner leur âge même. Mais la question de la cène une fois soulevée, Luther rejeta avec violence l'élément réformé et se fixa lui et son Église dans un luthéranisme exclusif. Le chagrin qu'il ressentit de cette doctrine rivale lui fit perdre quelque chose de la bonhomie qui lui était naturelle, et lui donna un esprit de méfiance, un mécontentement habituel et une irritation qu'il n'avait pas eus jusque-là.

C'est entre les deux anciens amis, entre les champions qui, à Leipzig, avaient combattu ensemble contre Rome, entre Carlstadt -et Luther, que-cette dispute éclata. Leur attachement à des doctrines contraires provint, soit chez l'un soit chez l'autre, de tendances dignes d'estime. En effet, il y a deux extrêmes en matière de religion; l'un consiste à tout matérialiser; l'autre, à tout spiritualiser. Le premier de ces extrêmes est celui de Rome; le second est celui des mystiques. La religion, comme l'homme lui-même, est composée d'un esprit et d'un corps; les idéalistes 148

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle purs, comme les matérialistes, en fait de religion ou de philosophie, ont également tort.

Telle est la grande discussion qui se trouve cachée sous la dispute de la cène. Tandis qu'un œil superficiel n'y voit qu'une petite querelle de mots, un regard plus profond y découvre l'une des plus importantes controverses qui puissent occuper l'esprit humain.

Les réformateurs se partagent ici en deux camps; mais chacun de ces camps emporte avec lui une partie de la vérité. Luther, avec ses partisans, prétend combattre un spiritualisme exagéré; Carlstadt et les réformés attaquent un matérialisme odieux. Chacun d'eux se prend à l'erreur qui lui semble la plus funeste, et, en la combattant, il va peut-être au-delà de la vérité. Mais n'importe; chacun d'eux est vrai dans sa tendance générale, et, quoique appartenant à deux armées différentes, ces deux illustres docteurs se trouvent rangés l'un et l'autre sous un drapeau commun, sous celui de Jésus-Christ qui est seul la vérité dans son étendue infinie.

Carlstadt croyait que rien ne pouvait nuire davantage à la véritable piété que la confiance en des cérémonies extérieures et en une certaine in fluence magique des sacrements. La participation extérieure au sacrement de la cène suffit pour sauver, avait dit Rome, et ce principe avait matérialisé la religion. Carlstadt ne vit rien de mieux, pour la spiritualiser de nouveau, que de nier toute présence du corps de Christ, et il enseigna que le repas sacré était simplement, pour les fidèles, un gage de leur rédemption.

Quant à Luther, il prit, en cette occasion, une direction tout opposée. Il avait, au commence ment, combattu dans le sens même que nous venons d'indiquer. Dans son écrit sur la messe, qui parut, en 1520, il disait : Je puis, chaque jour, jouir des sacrements, si seulement je me rap pelle la parole et la promesse de Christ, et si j'en nourris et fortifie ma foi. »

Jamais Carlstadt, Zwingle ni Calvin n'ont dit quelque chose de plus fort. Il paraît même que la pensée lui vint souvent, à cette époque, qu'une explication symbolique de la cène serait l'arme la plus puissante pour renverser de fond en comble tout le système papiste; car il dit, en 1525, que cinq ans auparavant il avait soutenu de rudes combats pour cette doctrine [12], et que celui qui lui aurait prouvé qu'il n'y avait que du pain et du vin dans la cène lui aurait rendu un service immense.

Mais des circonstances nouvelles vinrent le je ter dans une opposition, quelquefois passionnée, à ces vues mêmes dont il s'était si fort rapproché. Le fanatisme des anabaptistes explique la direction que prit alors Luther. Ces enthousiastes ne se contentèrent pas d'estimer peu ce qu'ils appelaient la parole extérieure, c'est-à-dire, la Bible, et de prétendre à des révélations spéciales de l'Esprit saint; ils en vinrent 149

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle aussi à mépriser le sacrement de la cène, comme quelque chose d'extérieur, et à parler d'une communion intérieure comme de la seule véritable.

Dès lors, dans tous les essais que l'on fit pour exposer d'une manière symbolique la doctrine de la cène, Luther ne vit plus que le danger d'ébranler l'autorité des saintes Écritures, de substituer à leur sens véritable des allégories arbitraires, de tout spiritualiser dans la religion, de la faire consister, non dans des grâces de Dieu, mais dans des impressions d'homme, et de substituer ainsi au vrai christianisme un mysticisme, une théosophie, un fanatisme qui deviendraient infaillible ment son tombeau. Il faut le reconnaître sans la forte opposition de Luther, la tendance mystique, enthousiaste, subjective, eût peut-être fait alors de rapides progrès, et eût refoulé tous les bienfaits que la Réformation devait répandre dans le monde.

Carlstadt, impatient de ne pouvoir développer librement sa foi dans Wittemberg, pressé dans sa conscience de combattre un système qui selon lui abaissait la mort de Christ et anéantissait sa justice, » résolut de faire un éclat pour l'amour de la pauvre' chrétienté cruellement trompée. » Il quitta Wittemberg au commencement de l'année 1524, sans prévenir ni l'université, ni le chapitre, et se rendit dans la petite ville d'Orlamunde, dont l'église était placée sous son inspection. Il en fit destituer le vicaire, se fit nommer pasteur à sa place, et, en dépit du chapitre, de l'université et de l'électeur, il s'établit dans ce nouveau poste.

Bientôt il y répandit sa doctrine. Il est impossible, disait-il, de trouver dans la présence réelle quelque avantage qui ne découle pas déjà de la foi; elle est donc inutile. » Il avait recours, pour expliquer les paroles de Christ dans l'institution de la cène, à' une interprétation que n'ont point admise les Églises réformées. Luther, dans t la dispute de Leipzig, avait expliqué ces mots :

« Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, en séparant ces deux propositions, et appliquant la dernière à la personne du Sauveur. »

« De même, disait Carlstadt, prenez, mangez, se rapporte au pain; mais ceci est mon corps, se rapporte à Jésus-Christ, qui se montra alors lui-même, et qui faisait connaître, par le signe symbolique de la rupture du pain, que ce corps allait être bientôt détruit. »

Carlstadt ne s'en tint pas là. A peine affranchi de la tutelle de Luther, il sentit se ranimer son zèle contre les images. Ses discours imprudents, ses paroles enthousiastes pouvaient facilement, dans ces temps de fermentation, enflammer les esprits. Le peuple, croyant entendre un second Elie, brisa les idoles de Baal. Cette ferveur gagna bientôt les villages d'alentour. L'électeur voulut intervenir; mais les paysans lui répondirent qu'il fallait obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Alors le prince résolut d'envoyer Luther à Orlamunde, pour y rétablir la paix. Luther voyait dans Carlstadt un homme consumé par l'amour de la gloire [13], un fanatique qui se 150

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle laisserait emporter à faire la guerre à Jésus-Christ lui-même. Peut-être Frédéric eût-il pu faire un choix plus sage. Luther partit, et Carlstadt dut voir cet importun rival venir troubler encore une fois ses plans de réforme et arrêter son essor.

Iéna était sur la route d'Orlamunde. Arrivé dans cette ville le 23 août, Luther monta en chaire le 24, à sept heures du matin; il y parla pendant une heure et demie, en présence d'un nombreux auditoire, contre le fanatisme, la rébellion, la destruction des images et le mépris de la présence réelle, s'élevant surtout avec force contre les innovations d'Orlamunde. Il ne nomma pas Carlstadt, mais chacun put deviner qui il avait en vue.

Carlstadt, soit par hasard, soit à dessein, se trouvait à Iéna, et était au nombre des auditeurs de Luther. Il n'hésita pas à chercher d'obtenir raison de ce discours.

Luther était à dîner avec le prieur de Wittemberg, le bourgmestre, le secrétaire, le pasteur de la ville d'Iéna et plusieurs officiers de l'empereur et du margrave, quand on lui remit une lettre de Carlstadt qui lui de mandait un entretien; il la donna à ses voisins, et répondit au porteur : Si le docteur Carlstadt veut venir vers moi, soit; s'il ne le veut pas, je m'en passerai. »

Carlstadt arriva. Sa venue produisit une vive sensation sur toute l'assemblée. La plu part, impatients de voir les deux lions aux prises, suspendirent leur repas et ouvrirent de grands yeux, tandis que les plus timides pâlissaient d'effroi. Carlstadt, sur l'invitation de Luther, s'assit eu face de lui, puis il dit : « M. le docteur, vous m'avez mis aujourd'hui, dans votre sermon, sur le même rang que ceux qui prêchent la révolte et l'assassinat. Je déclare fausse une telle inculpation.

LUTHER. « Je ne vous ai point nommé; mais puisque vous vous êtes senti atteint, à la bonne heure. » Il y eut un moment de silence. Carlstadt reprit : Je me charge de prouver que, sur la doctrine du sacrement, vous vous êtes contredit vous-même, et que personne, depuis le temps des apôtres, ne Ta enseignée aussi purement que moi.

LUTHER. « Ecrivez; combattez !

CARLSTADT. « Je vous offre une dispute publique à Wittemberg ou à Erfurt, si vous me procurez un sauf conduit.

LUTHER. « Ne craignez rien, M. le docteur.

CARLSTADT. « Vous me liez mains et pieds, et quand vous m'avez mis hors d'état de me défendre, vous me frappez [14]. » Il se fit un moment de silence. Luther reprit

: « Écrivez contre moi, mais publiquement, et non en secret.

CARLSTADT. Si je savais que vous me parlassiez sincère ment, je le ferais.

LUTHER. « Faites-le, et je vous donnerai un florin. »

151

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CARLSTADT. « Donnez-le-moi; je l'accepte. » A ces mots, Luther mit la main à la poche, en tira un florin d'or, et, le donnant à Carlstadt, il dit : « Prenez-le, et attaquez-moi vaillamment. » Carlstadt, tenant en main le florin d'or, se tourna vers l'assemblée, et dit : « Chers frères, ceci est pour moi arrabo, un gage que j'ai le pouvoir d'écrire contre le docteur Luther; je vous en prends tous à témoin. »

Puis, courbant le florin pour qu'on pût le reconnaître, il le mit dans sa bourse et tendit la main à Luther. Celui-ci but à sa santé; Carlstadt le lui rendit. Plus vos attaques seront vigoureuses, plus elles me seront agréables, » reprit Luther.

« Si je vous manque, répondit Carlstadt, ce sera ma faute. »

Ils se donnèrent encore une fois la main, et Carlstadt retourna chez lui. Ainsi, dit un historien, de même que d'une seule étincelle procède souvent l'incendie de toute une forêt, on vit d'un petit commencement naître une grande division dans l'Eglise

[15].

Luther partit pour Orlamunde, et y arriva, mal préparé par la scène d'Iéna. Il assembla le conseil et l'Église, et dit : « Ni l'électeur ni l'université ne veulent reconnaître Carlstadt pour votre pasteur. — Si Carlstadt n'est pas notre pasteur, répondit le trésorier du conseil de ville, saint Paul est un faux docteur, et vos livres sont des mensonges, car nous l'avons élu. » Comme il disait ces mots, Carlstadt entra. Quelques-uns de ceux qui se trouvaient près de Luther lui firent signe de s'asseoir; maïs Carlstadt, allant droit à Luther, lui dit : « Cher M. le docteur, si vous voulez le permettre, je vous recevrai.

LUTHER. « Vous êtes mon ennemi. Je vous ai donné un florin d'or pour cela.

CARLSTADT. « Je veux demeurer votre ennemi aussi longtemps que vous demeurerez vous-même l'en nemi de Dieu et de sa vérité. »

LUTHER. « Sortez; je ne puis permettre que vous soyez présent ici.

CARLSTADT. « Cette réunion est publique. Si votre cause est juste, pourquoi me craindre ?

LUTHER, à son domestique. « Attelez, attelez; je n'ai rien à faire avec Carlstadt; et puisqu'il ne veut pas sortir, je pars » En même temps Luther se leva; alors Carlstadt sortit.

Après un moment de silence, Luther reprit : « Prouvez par l'Ecriture qu'il faut détruire les images. »

UN CONSEILLER, « M. le docteur, vous m'accorderez pourtant que Moïse a su les commandements de Dieu ? {Ouvrant une Bible) Eh bien ! Voici ses paroles : « Tu ne te feras point d’image taillée, ni aucune ressemblance. [16] »

152

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle LUTHER. Il n'est question dans ce passage que des images d'idoles. Si j'ai suspendu dans ma chambre un crucifix que je n'adore pas, en quoi peut-il me nuire ?

UN CORDONNIER. « J'ai souvent ôté mon chapeau devant une image qui se trouvait dans une chambre ou sur le chemin; c'est une idolâtrie qui enlève à Dieu la gloire qui n'est due qu'à lui seul.

LUTHER. « Il faudra donc aussi, à cause de l'abus, détruire les femmes et jeter le vin à la rue [17] ?

UN AUTRE MEMBRE DE l'ÉGLISE.

« Non, ce sont des créatures de Dieu, qu'il ne nous est pas ordonné de détruire. »

Après que la conférence eut duré encore quelque temps, Luther et les siens montèrent en voiture, étonnés de cette scène, et sans avoir pu convaincre les habitants qui réclamaient aussi pour eux le droit d'interpréter et d'exposer libre ment les Écritures. L'agitation était grande dans Orlamunde; le peuple insistait Luther; quelques hommes même lui crièrent : Va-t'en, au nom de tous les démons !

Et puisses-tu te rompre le cou avant d'être sorti de notre ville [18] ! » Jamais le réformateur n'avait encore eu à subir de telles humiliations.

Il se rendit à Kaie, où le pasteur avait aussi embrassé les doctrines de Carlstadt, et il résolut d'y prêcher. Mais eu entrant dans la chaire, il y trouva les débris d'un crucifix. II en éprouva d'abord une vive émotion; puis, se remettant aussitôt, il en rassembla les morceaux dans un coin de la chaire et fit un sermon dans lequel ne se trouvait aucune allusion à cette circonstance. « C'est par le « mépris, dit-il plus tard, que j'ai voulu me venger du diable, »

Plus l'électeur approchait de sa fin, plus il paraissait craindre qu'on n'allât trop loin dans la Réformation. Il ordonna que Carlstadt fût privé de ses charges et qu'il quittât non-seulement Orlamunde, mais encore les États électoraux. En vain l'Eglise de ce lieu intercéda-t-elle en sa faveur; en vain demanda- t-elle qu'on lui permît au moins d'y résider comme bourgeois, en lui accordant de faire un sermon de temps à autre; en vain représenta-t-elle qu'elle estimait la vérité de Dieu plus que le monde entier, et même que mille mondes, si Dieu en avait créé mille [19], Frédéric fut inflexible; il alla même jusqu'à refuser au malheureux Carlstadt l'argent nécessaire pour son voyage. Luther n'était pour rien dans cette dureté du prince; elle était loin de son caractère, et il le prouva plus tard. Mais Carlstadt le regarda comme l'auteur de son infortune, et remplit l'Allemagne de ses plaintes et de ses gémissements. Il écrivit une lettre d'adieu à ses amis d'Orlamunde. Cette lettre, pour la lecture de laquelle on sonna les cloches, et qui fut lue à l'église assemblée et fondant en larmes [20], était signée : « André Bodenstein, chassé par Luther sans avoir été ni entendu ni convaincu par lui. »

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle On ne peut sans peine voir ainsi aux prises ces deux hommes, amis autrefois, et excellents l'un et l'autre. Un sentiment de tristesse s'empara de tous les disciples de la Réformation. Qu'allait-elle devenir,, maintenant que ses plus illustres défenseurs en venaient aux mains? Luther s'aperçut de ces craintes et chercha à les calmer. «

Combattons, dit-il, comme combattant pour un autre. La cause est de Dieu, le soin est de Dieu, l'œuvre est de Dieu, la victoire est de Dieu, la gloire est de Dieu [21]. Il combattra et il vaincra sans nous. Que ce qui doit tomber, tombe! Que ce qui doit demeurer debout, demeure debout ! Ce n'est pas de notre cause qu'il s'agit, et ce n'est pas notre gloire que nous cherchons! »

Carlstadt se réfugiant à Strasbourg, où il publia plusieurs écrits. Il' possédait à fond, dit le docteur Scheur, le latin, le grec et l'hébreu; et Luther reconnaissait la supériorité de son érudition. Doué d'une âme élevée, il sacrifia à ses convictions, sa réputation, son rang, sa patrie, son pain même. Plus tard il se rendit en Suisse; c'est là qu'il eût dû commencer ses enseignements : son indépendance avait besoin de l'atmosphère libre où respiraient les Ecolampade et les Zwingle. Sa doctrine excita bientôt une attention presque aussi grande que celle qu'avaient obtenue les premières thèses de Luther. La Suisse parut gagnée; Bucer, Capiton semblèrent entraînés avec elle.

Alors l'indignation de Luther fut à son comble, et il publia l'un des plus forts, mais aussi l'un des plus violents de ses écrits de controverse, son livre Contre les prophètes célestes. »

Ainsi la Réforme, attaquée par le pape, attaquée par l'empereur, attaquée par les princes, commençait aussi à se déchirer elle-même. Elle paraissait près de succomber à tant de maux; et certes elle y eût succombé, si elle eût été une œuvre, d'homme. Mais bientôt, sur le point d'échouer, elle se releva avec une nouvelle énergie.

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FOOTNOTES

[1] Atque etiam proprios ipse tractatus perscripserim. (Co chloeus, p. 92, vers0.)

[2] Voir Cochl., Ib. Cum igitur ego Casparus Tauber, etc.

[3] Credo te vidisse Casparis Tauber historiam martyris novi Viennae, quem caesum capite scribunt et igne exustum pro verbo Dei. (Luther à Hausmann, 12

novembre 1 5*4. II» p. 563.)

[4] Idem accidit Budae in Ungaria bibliopolaeciridam Johanni, simul cum libris circa eumpositis exusto, fortissimeque passa pro Domino. (Luther à Hausmann, 12

novembre 15a4- II, p. 563.)

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[5] Sanguis sanguiriem tangit, qui suffocabit papam cum regibus et regnis suis.