Histoire de la Réformation du Seizième Siècle_Vol 4 by Jean-Marie Merle D'Aubigne - HTML preview

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On courut chez l'Empereur, qui ne demandait pas mieux que de s'entendre avec les Protestants à ce sujet, et ratifia tout. Il était samedi; on expédia s'usait un héraut impérial, qui parcourant, à sept heures du soir, au son des trompettes, les rues de la ville 3, criait de toutes ses forces : « Écoutez ! Écoutez [14]!... Ainsi ordonne Sa Majesté Impériale, notre très-gracieux seigneur : Nul prédicateur ne pourra prêcher dans Augsbourg, excepté ceux que Sa Majesté aura nommés; et cela sous peine d'encourir la disgrâce et les châtiments de Sa Majesté. »

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Mille discours divers furent alors échangés dans les demeures des bourgeois d'Augsbourg.

« Nous sommes bien impatients, disait-ou, de voir ces prédicateurs désignés par l'Empereur, et qui ne prêcheront, ô merveille inouïe, ni contre la doctrine évangélique, ni contre la doctrine du Pape [15]! Il faut nous attendre, ajoutait un autre, à voir paraître quelque Tragélaphe ou quelque Chimère, avec la tête d'un lion, la queue d'un dragon, et le corps d'une chèvre [16] » Les Espagnols se montrèrent fort satisfaits de cet accord, car plusieurs d'entre eux n'avaient entendu de leur vie un seul sermon; ce n'était pas la mode en Espagne; mais les amis de Zwingle furent remplis d'indignation et d'épouvante [17].

Enfin, le dimanche 19 juin commença; chacun courut dans les églises; et les fidèles qui les remplissaient, l'œil fixé sur le prédicateur et les oreilles tendues [18], s'apprêtèrent à ouïr ce que diraient ces nouveaux et étranges orateurs [19]. On croyait généralement que leur tâche serait de faire un discours évangélico-papiste, et l'on était fort impatient d'entendre cette merveille. Mais « la montagne en travail enfante une souris. »

Le prédicateur lut d'abord la prière commune; il y ajouta l'évangile du jour, finit par une confession commune des péchés, et renvoya son auditoire. On se regardait ébahi : « Vraiment, disait-on, voilà un prédicateur qui n'est ni évangélique ni papiste, mais purement textuel. »

A la fin tous se prirent à rire, « et certes, dit Brentz, « il y avait de quoi [20]. » On peut être d'un autre avis [21]. Dans quelques églises cependant, les chapelains, après avoir lu l'évangile, y ajoutèrent quelques paroles puériles, sans christianisme, sans consolation, et nullement basées sur la parole de Dieu [22].

Après le prétendu sermon, on passa à la messe. Celle de la cathédrale fut particulièrement bruyante. L'Empereur n'y était pas, car il avait coutume de dormir jusqu'à neuf ou dix heures [23], et l'on célébrait pour lui une messe tardive ; mais Ferdinand et plusieurs princes y assistaient. Orgues, soufflets, tuyaux, voix retentissantes des chœurs, tout était mis en œuvre, et une foule nombreuse et bigarrée, accourant par toutes les portes, remplissait le temple. On eût dit toutes les nations du monde se donnant rendez-vous dans la cathédrale d'Augsbourg. Ici (les Français, et là- des Espagnols; ici des Mores, et là des Moresques; ici des Italiens, et là des Turcs; même, dit Brentz, de ceux qu'on nomme Stradiotes [24]. Cette messe ne représentait pas mal le pêlemêle du Papisme. Un prêtre seul, fervent, romain, osa faire l'apologie de la messe dans l'église de Sainte-Croix, Charles, voulant maintenir son autorité, le fit jeter dans la tour des Cordeliers, d'où on le laissa s'évader.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Quant aux pasteurs évangéliques d'Augsbourg, presque tous quittèrent la ville pour porter ailleurs l'Évangile. Les princes protestants se montrèrent jaloux d'assurer à leurs églises le ministère d'hommes si distingués.[25]

Le découragement et l'effroi suivirent de près cette mesure, et les plus fermes même furent émus. « Notre Seigneur Dieu, disait l'Électeur en poussant des soupirs, a reçu l'ordre de se taire à la diète d'Augsbourg. [26]» Luther perdit dès lors la bonne opinion qu'il avait eue de Charles.

« Voici quelle sera la fin de tout ceci, » dit-il : « l'Empereur, qui a ordonné à l'Électeur de renoncer aux assemblées, lui ordonnera ensuite de renoncer à la doctrine. Les Papistes, livré* aux démons, sont transportés de rage; et, pour vivre, il leur faut boire du sang Ce n'est pas avec des hommes que vous avez affaire à Augsbourg, c'est avec les portes mêmes de l'enfer. [27] »

« Tous, sauf l'Empereur, disait Mélanchton, nous haïssent d'une haine pleine de violence.

« Le péril est grand, très grand '... Priez Christ « qu'il nous sauve ! [28] Mais Luther, quelque attristé qu'il fût, loin de se laisser abattre, releva la tête, et chercha à enflammer le courage de ses frères [29] « Sachez bien, et n'en doutez pas, leur écrivait-il, « que vous êtes les confesseurs de Jésus-Christ « et les ambassadeurs du Grand Roi'. » Ils avaient besoin de cette pensée; car les adversaires, enflés par ce premier succès, ne négligeaient rien de ce qui pouvait perdre les Protestants, et, faisant un pas de plus, se proposaient de les contraindre à assister aux cérémonies romaines [30].

« L'électeur de Saxe, dit le Légat à Charles, doit, en vertu de son office de grand «

maréchal de l'Empire, porter le glaive devant vous dans les cérémonies de la Diète.

Ordonnez-lui donc de s'acquitter de son devoir à la messe du Saint-Esprit qui doit l'ouvrir.» —

« Refuser, se dit l'Électeur eh recevant ce message, « c'est perdre ma dignité ; obéir, c'est fouler aux pieds ma foi et déshonorer l'Évangile! » Mais les théologiens luthériens levèrent les scrupules de leur prince. « C'est pour une Cérémonie de l'Empire, dirent-ils, comme grand maréchal et non comme chrétien, que l'on vous convoque; la parole de Dieu même, dans territoire de Naaman, vous autorise à vous tendre à cette invitation. »

Les amis de Zwingle ne pensèrent pas de même; leur marche était plus décidée que celle des docteurs saxons. « Les martyrs se firent égorger, dirent-ils, plutôt que de déposer un grain d'encens devant les idoles. » Quelques Protestants même, entendant parler de ce reni Spiritus, dirent en hochant la tête : « Nous craignons fort que le chariot de l'Esprit, qui est la parole de Dieu, étant laissé de côté par les Papistes, l'Esprit Saint ne puisse arriver jusqu'à Augsbourg [32]. »

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le lundi 20 juin, eut lieu la messe d'ouverture. En dehors du chœur, sur une galerie qui le dominait, se placèrent le Landgrave et d'autres Protestants, qui préféraient se tenir à distance de l'hostie [33]. L'Électeur, armé du glaive, resta debout près de l'autel, au moment de l'adoration. Aussitôt après, les acolytes ayant fermé les portes du chœur [34], Vincent Pompinello, archevêque de Rossano, fit le sermon. Il commença par les Turcs et leurs ravages; puis, par un mouvement inattendu, il se mit tout à coup à exalter les Turcs par-dessus les Allemands :

« Les Turcs, dit-il, n'ont qu'un seul prince, auquel ils obéissent; mais les Allemands en ont plusieurs, qui n'obéissent à personne. Les Turcs se trouvent sous une seule loi, une seule coutume, une seule religion; mais, parmi les Allemands, il en est qui veulent toujours de nouvelles lois, de nouvelles coutumes, de nouvelles religions. Ils déchirent la tunique sans couture de Christ; ils abolissent, par des inspirations diaboliques, les dogmes sacrés établis d'un consentement unanime, et leur substituent des bouffonneries et des obscénités — Magnanime Empereur, puissant Roi [35]» dit-il en se tournant vers Charles et son frère, affilez vos épées, brandissez-les contre ces perfides perturbateurs de la religion, et: ramenez-les ainsi dans le bercail de l'Église [36].

« Point de paix pour l'Allemagne; tant que le glaive n'aura pas entièrement extirpé cette hérésie [37]. Saint Pierre et saint Paul, je vous invoque! Vous, saint Pierre, afin que vous ouvriez avec vos clefs les cœurs de marbre de ces princes; et vous, saint Paul, afin que, s'ils se montrent trop rebelles, vous veniez avec votre glaive, et vous coupiez, tranchiez et brisiez cette dureté inouïe. »

Ce discours, entremêlé d'un panégyrique d'Aristide, de Thémistocle, de Scipion, de Caton, de Curtius et de Scwvola, étant fini, l'Empereur et les princes se levèrent pour présenter leurs offrandes; et le Grand Maréchal aussi bien que le Margrave allèrent eux-mêmes à l'offertoire, mais en souriant, dit-on [38]'. Ce fait est peu d'accord avec le caractère de ces princes.

Enfin on sortit de la cathédrale; nul, sauf les amis du Nonce, n'était satisfait de son discours. L'archevêque de Mayence en était scandalisé. a Que voulait-il dire, s'écriait-il, en demandant à saint Paul de couper les Allemands avec son glaive? »

On n'avait entendu dans la nef de l'église que des éclats de voix inarticulés; les Protestants interrogeaient ceux de leurs amis qui étaient dans le chœur. « Plus ces prêtres excitent leurs princes à des guerres sanglantes, dit alors Brentz, plus il faut que nous, nous empêchions les nôtres de se livrer à la violence [39]'. » Ainsi meulait, après le discours du ministre de Rome, un ministre de l'Évangile de paix.

L'Empereur, après la messe, monta en voiture, entouré du plus brillant cortège ; et étant arrivé à l'hôtel de ville, où les séances de la Diète devaient avoir lieu, il s'assit sur un trône recouvert d'un drap d'or, tandis que son frère se plaçait sur un siège en face de lui; puis, tout autour d'eux, se rangèrent les Électeurs, quarante-deux 158

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle princes souverains, les députés des villes, les évêques et les ambassadeurs, formant enfin ces comices illustres que Luther, six semaines auparavant, avait cru voir siéger dans les airs [40].

Le Comte-Palatin lut la proposition impériale. Elle se rapportait à deux points : la guerre contre les Turcs, et la controverse religieuse [41]. « Sacrifiant au bien commun mes injures et mes intérêts particuliers, disait l'Empereur, j'ai quitté mes royaumes héréditaires pour passer, non sans de grands dangers, en Italie, et de là en Allemagne. « J'ai appris avec douleur les divisions qui y ont éclaté, et qui, portant atteinte, non-seulement de la majesté impériale, mais encore aux commandements du Dieu tout-puissant, doivent engendrer le pillage, l'incendie, la guerre et la mort. [42]» A une heure, l'Empereur, accompagné de tous les princes, retourna dans son palais.

LE mérou jour, l'électeur de Saxe rassembla chez lui ses coreligionnaires, que le discours de l'Empereur avait vivement émus, et il les exhorta à ne se laisser détourner, par aucune menace, d'une cause qui était celle de Dieu Même [43]. Tous se montrèrent pénétrés de cette pensée des Écritures : « Parlez, et la parole n'aura point d'effet, parce que le Dieu fort est avec nous. »

L'Électeur avait à porter un pesant fardeau. Non-seulement il devait marcher à la tête des princes, mais il avait encore à se défendre de fluence énervante de Mélanchton. Ce n'est pas une abstraction de l'État que ce prince nous présente dans toute cette affaire, c'est la plus noble individualité [44]. Le mardi de bon matin, sentant la nécessité de ces forces invisibles qui, selon une belle image des livres saints, font passer comme à cheval par-dessus les lieux escarpés de la terre, et voyant ses domestiques, ses conseillers et son fils réunis, selon la coutume, autour de lui, Jean les pria affectueusement de se retirer Il savait que ce n’était qu'en se tenant avec humilité devant Dieu qu'il pourrait subsister avec courage devant Charles [45].

Seul dans sa chambre, il ouvrit et lut les Psaumes; puis, se jetant à genoux, il présenta à Dieu la plus fervente prière [46]. Alors, voulant se confirmer dans la fidélité inébranlable qu'il venait de promettre au Seigneur, il s'avança vers son secrétaire, et y coucha par écrit ses résolutions. Doltzig et Mélanchton lurent plus tard ces lignes, et en furent remplis d'admiration [47].

S'étant ainsi retrempé dans des pensées célestes, Jean prit en main la proposition impériale, la médita mûrement, et ayant fait venir son fils, le chancelier Brick, et un peu plus tard Mélanchton, ils tombèrent d'accord que c'était par les affaires religieuses que les délibérations de la Diète devaient commencer : ses alliés, consultés par lui, se rangèrent à cet avis.

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le Légat avait conçu un projet diamétralement opposé. Il voulait étouffer l'affaire religieuse, et demandait à cette fin que les princes se contentassent de l'examiner en comité secret.

Prendre ses adversaires par le silence, sans confession, sans dispute, comme on prend une ville par la famine, sans bataille et sans assaut; bâillonner la Réformation, et la réduire ainsi à Mn-puissance et à la mort, telle était sa tactique.

Ce n'était pas assez d'avoir fait taire les prédicateurs; il fallait faire taire les princes, mettre la Réforme au secret, et l'y laisser s'éteindre.

Ce plan était bien conçu, il s'agissait de l'exécuter. [48] Celui qu'on choisit pour cette intrigue était un gentilhomme espagnol, homme honnête, Alphonse Valdès, secrétaire de Charles-Quint. La politique se sert souvent des gens de bien pour les trames les plus perfides. On décida que Valdès s'adresserait au plus craintif des Protestants, à *Mélanchton.

Le 16 ou le 17 juin, aussitôt après l'arrivée de Charles, Valdès fit prier Mélanchton de passer chez lui, « Les Espagnols, lui dit-il, imaginent que les Luthériens enseignent des doctrines impies sur la sainte Trinité, sur Jésus-Christ, sur la bienheureuse mère de Dieu ; « aussi croient-ils faire une œuvre plus méritoire « en égorgeant un Luthérien qu'en tuant un « Turc.» — « Je le sais, répondit Mélanchton, et je n'ai « pas encore pu parvenir à faire revenir vos coma patriotes de cette erreur.

»

— « Mais enfin, que demandent donc les Luthériens ? »

— « L'affaire luthérienne n'est pas si compliquée et si inconvenante que l'imagine Sa Majesté. Nous n'attaquons pas l'Église catholique « autant qu'on le croit vulgairement [49], et toute la controverse se réduit à ces trois points : les deux «

espèces dans le sacrement de la Cène, le mariage des pasteurs, et l'abolition des messes privées. Si nous pouvons tomber d'accord sur ces articles, il sera facile de s'entendre sur les autres. Eh bien! J’en ferai rapport à Sa Majesté. » Charles-Quint fut ravi de cette communication.

ALLEZ, dit-il à Valdès, rapportez ces choses au « Légat, et demandez à maître Philippe de vous remettre par écrit une courte exposition de ce croient et de ce qu'ils nient. »

Valdès courut chez Campeggi. « Ce que vous me dites me plaît assez, lui dit celui-ci.

Quant aux deux espèces dans la Cène et au mariage des prêtres, il y aura moyen de s'entendre mais nous ne pouvons consentir à l'abolition des messes privées. » C'eût été, en effet, retrancher un des plus grands revenus de l'Église.

Le samedi 18 juin, Valdès vit de nouveau Mélanchton. « L'Empereur nous demande une exposition modeste et concise, lui dit-il, et il est persuadé qu'il sera plus 160

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle avantageux de traiter cette affaire brièvement, secrètement [50]', en évitant « toute audience publique et toute dispute prolixe, « qui n'engendrerait que colère et que division, [51]»

« Eh bien! dit Mélanchton, j'y réfléchirai. »

Mélanchton était presque gagné; une conférence secrète allait beaucoup mieux à sa timidité. N'avait-il pas souvent répété : Avant tout, la paix ? Tout faisait donc espérer au Légat qu'il pourrait se contenter d'envoyer des muets contre la Réforme, pour l'étrangler entre quatre murs [52].

Heureusement que le Chancelier et l'Électeur ne jugèrent pas convenable d'entrer dans les insinuations dont Charles avait chargé l'honnête Valdès. La résolution de ces membres laïques de l'Église la sauva du faux pas qu'allaient faire ses docteurs, et les ruses italiennes échouèrent contre la fermeté évangélique. On permit seulement à Mélanchton de remettre la confession à l'Espagnol, pour que celui-ci en pet connaissance.

Malgré la modération qu'on y avait mise, Valdès s'écria : « Ces paroles sont trop amères, et vos adversaires ne pourront jamais les endurer'. [53] » Ainsi finit la manœuvre du Légats.

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FOOTNOTES

[1] Maximus populi concursus in amplissima œde. (Cochl., p. 193-)

[2] Faoundus et ad concitaudum populum idoneus et acer. (Ibid.)

[3] Freitag vor dem Morgenessen. (C. R., II, p. z i3.)

[4] Nec se illo anima nutrimento carere. (Cœlestinus, Comit, I, p. 86. Forst.

Urkunden, I, p. 283.)

[5] Cœur a meridie. (Seck., p. i65.) Den ganzen Tay. (C. R., II, p. s s3.)

[6] Eo ipso die, conciones continuatœ. (Seck., p. 165.)

[7] Cessare debeant omnes tam Papistarum quam Evangeli-connu conciones. (C. A., II, p. i 16.)

[8] Qui tantum recitet Evangelium et Epistolam yptxpecisexaç. (lb., P. 119.)

[9] Non sumus parochi itugustanorusn, ajoutait-il. (C. a., p. 119.)

[10] Vide miram sapientiam aulicorum. (Ib.)

[11] Ut de remediis propulsandse injurie cogitent. (Seck., H, p. 165.) 161

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[12] Ob je einer einen Prediger in semer Herberg fur sich predigen Iiess. (C. Ref., II, p. i 13.)

[13] Per tubicines et beraldunt. Sturmius, Zwing. Epp., p. 466.)

[14] Aère, Mirs. (C. Ref., H, p. 124.) 5,

[15] Ornnes nunc avidissime exspectant. (C. Ref., II, p. 1i6.)

[16] Chimœram aut Tragelaphurn aliquem exspectamus. (Ibid.) --Le Tragélaphe est un animal fabuleux, moitié chèvre, moitié cerf.

[17] MulLos deterrent. (Sturmius Zwingli°, Epp., p. 466.)

[18] Arrectis auribus. (C. R., H, p. 116.)

[19] Quid novi novus concionator allaturus sit. (Ibid. p. 117.)

[20] Sic habes concionatorem neque evangelicum neque papisticum, sed nudum textualem. (Ib.)

[21] Rident omnes, et certe res valde ridicula est. (Ib.)

[22] Paucula quœdam, eaque puerilia et inepta, nec chris-tiane, absque fundamento verbi divinii et consolatione. (Seck., II, p. 165.)

[23] Dbrmire solet usque ad nonam aut decimam. (Corp. R., II, p. I 17.)

[24] Ibi videas hic Gallas, hic Hispanos, hic fEthiopes, illic

[25] Etiam JEthiopissas, hic Italôs, illic etiam Turcos, sut quoi vocant Stratiot3s.

(Ib.)

[26] Bac ratione, Deo, ejusque verbo, silentium est imposi-tum. (5eck., II, p. i65.)

[27] Ut niai sanguinem biberint, vivere non poasint. (Ib.)

[28] Magnum mina pericutum est. (C. B.., II, p. a.)

[29] Ea fides vivificabit et consolabitur vos, quia Magni Refis estis legati. (L. Epp., IV, p. 59.)

[30] Serpi, Histoire du concile de Trente. (Livre I, p. 99)

[31] II. Rois, V, z8. Exemplo Naamanis. (Seck., II, p. 167. Sarpi, p. 99)

[32] Ne ablato Spiritus vehiculo, quod est verbum Dei, Spi-ritus Sanctus ad Augustam, prœpedum imbecillitate, pervenire non possit. (C. R., II, p. 116.)

[33] Abstinendo ab adoratione bostir. (Seck., II, p. 119.) 162

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[34] Erant enim chori fores clausae, nec quisquam orationi interfuit. (C. R., II, p.

z2o.)

[35] Diabolica persuasione eliminent, et ad scurrilia ac impudica quœque deducant.

(Pallavic. Hist. Trid., C. I, p. 231.)

[36] Exacuant gladios suos in perversos illos perturbatores. (C. Ref., II, p. 120.)

[37] Nisi eradicata funditus per gladium hœresi illa. (Ib.)

[38] Protestantes etiam ad offerendum munuscula in altari, ut maris erat, accessisse, sed cum risu. (Spalat. Seck., II, p.167.)

[39] Ut nostros principes ab importuna violentia retineamus. (C. Ref., U, p. 'no.)

[40] Imperator cum omnibus in curiam vectus est. (Sturmivs Zwingli°, £pp., 43o4

[41] Ex volucrum monedularumque regno. (L. Epp,, IV, p.13.)

[42] Nicht anders dam zu Raub, Brandt und Krieg. (F. Ur. kundent I, p, 3o7.)

[43] Cohortatus est ad intrepidam causse Dei assertionem. (Seck., II, 168.)

[44] Esaïe, VIII, V. z o.

[45] Mane remotis omnibus consiliariis et ministris. (Seck., II, p. z 69.)

[46] Precibus ardentissimis a Deo successum negotii petiisset. (Ibid.)

[47] Quœ cum admiratione legisse dicuntur. (Ibid.)

[48] Hispanis persuasum esse Lutheranos impie de sacro-sancta Trinitate. (Ex relatione Spalati in Seck., U, p. 165.)

[49] Non *deo pereos Eeclesians catholicam eppugnari quai vulgo putaretur. (lb., p.

Ise.)

[50] Mit bçeder Gestalt ‘acratneme oder der Pfaffen und Mina Ehe. (C. Ref., II, p. id.)

[51] In cache iA eituar Fast und Mille vorzunehmen. Ibid.)

[52] Cœlestin. Most., p. 3.

[53] Ac plane putavit irtxpecepov esse quam ut ferre possent adversarii. (C. R., II, p.

14o.)

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VI.

Délai refusé aux Protestants. Signature de la confession. — Courage des princes. —

Faiblesse de Mélanchton. — Conscience! .— 24 juin. — Audience du Légat. — On refuse d'entendre les Protestants. — Lutte. Accablement de Mélanchton. — Un miracle à Rome. — Désolations et triomphe. — Prière de Luther. — Luther sans nouvelles d'Augsbourg. — Passages et inscriptions. — Luther rassure Mélanchton Charles, contraint de se résigner à une séance publique, ordonna, le mercredi 22

juin, à l'Electeur à ses alliés de tenir prête leur confession pour le surlendemain vendredi 24. Le parti romain était aussi invité à présenter une confession de foi; mais il s'en dispensa, disant qu'il s'en tenait à l'édit de Worms [1].

L'ordre de l'Empereur prenait les Protestants à l'improviste, car les négociations entre Valdès et Mélanchton avaient empêché celui-ci de mettre la dernière main à la confession. Elle n'était pas au net, et l'exorde, ainsi que les conclusions, n'étaient point définitivement rédigés; en conséquence, les Protestants prièrent l'archevêque de Mayence de leur obtenir un délai d'un jour; mais ce délai leur fut refusé [2]. On travailla donc sans désemparer, même pendant la nuit, à corriger la confession et à la transcrire.

Le jeudi 23 juin, tous les princes, députés, conseillers et théologiens protestants, se réunirent de bonne heure chez l'électeur de Saxe. On lut la confession en langue allemande, et tous y donnèrent leur pleine adhésion, sauf le Landgrave et les Strasbourgeois, qui demandèrent un change- ment dans l'article sur la Cène'; les princes rejetèrent cette demande [3].

Déjà l'Électeur s'apprêtait à signer, quand Mélanchton l'arrêta; il craignait de donner à l'affaire religieuse une couleur trop politique. Selon lui, c'était l'Église qui devait ici comparaître, et non pas l'État. « C'est aux théologiens, c'est aux ministres

» dit-il, de proposer ces choses [4]; réservons pour d'autres circonstances l'autorité des grands de « la terre. »

« A Dieu ne plaise que vous m'excluiez! répondit l'Électeur; je veux faire ce qui « est droit, sans m'inquiéter de ma couronne; je veux confesser le Seigneur. Mon chapeau électoral et mon hermine ne valent pas pour moi la croix de Jésus-Christ. Je laisserai sur la terre ces insignes de nia grandeur, mais la croix de mon Maître m'accompagnera jusqu'aux étoiles.» Comment résister à des paroles si chrétiennes?

Mélanchton se rendit. Alors l'Électeur s'approcha, signa, et passa la plume au Landgrave. Celui-ci fit d'abord quelques difficultés.

Cependant l'ennemi était à la porte; était-ce le moment de se désunir? Philippe de Hesse signa, mais en déclarant que la doctrine de la Cène ne le satisfaisait pas [5].

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Le Margrave et le duc de Lunebourg ayant écrit leur nom, le prince d'Anhalt prit la plume et dit : « J'ai fait plus d'une course pour plaire « à d'autres; maintenant, si l'honneur de Jésus-Christ mon seigneur le requiert, je suis prêt à « laisser derrière moi mes biens et ma vie, et à « me précipiter dans l'éternité vers la couronne «

immortelle. [6]» Puis, ayant signé, ce jeune prince dit, en se retournant vers les théologiens : « Plutôt « renoncer à mes sujets et à mes États, plutôt « partir du pays de mes pères un bâton à la main, « plutôt gagner ma vie en ôtant la poussière des «

souliers de l'étranger que de recevoir une autre « doctrine que celle qui est contenue dans cette « confession! » Nuremberg et Reutlingen seules, entre les villes, apposèrent leur signature a On arrêta de demander à l'Empereur que la confession fût lue publiquement [7].

Ce courage des princes frappait tout le monde. Rome avait écrasé les membres de l'Église, et en avait fait un troupeau d'esclaves qu'elle traînait après elle, muets et avilis; la Réformation les affranchissait et avec leurs droits elle leur rendait leurs devoirs. Le prêtre n'avait plus le monopole de la religion ; chaque chef de famille redevenait sacrificateur dans sa maison, et tous les membres du peuple de Dieu étaient dès lors appelés au rang de confesseurs. Les laïques ne sont rien où presque rien dans la secte de Rome, mais ils étaient la partie essentielle de l'Église de Jésus-Christ. Partout où l'esprit-prêtre s'établit; l'Église nient ; partout a les laïques, comme ses princes bourg, comprennent leur dépendance immédiate de Christ et leur devoir, l'Église vit.

Les théologiens évangéliques étaient entant du dévouement des princes. « En voyant leur mette dans la confession de l'Évangile, disait « Brentz, le rouge tue monte au visage. Quelle « honte que nous, qui ne sommes auprès d'eux « que des mendiants, nous ayons tellement peur « de confesser Jésus-Christ [8]! » Brentz pensait aloès à certaines villes, suitée à Halié dont il était pasteur, mais sans doute aussi aux théologiens.

En effet, sans manquer de dévouement, ceux-ci manquaient quelquefois de fermeté.

Mélanchton était dans une constante agitation; il Courait, allait, venait, se glissant partout, dit Cochlée dans ses Philippiques, pénétrant non-seulement dans les maisons et, les hôtels des particuliers, mais encore s'insinuant jusque dans les palais des cardinaux, des princes, et même à la cour de l'Empereur. Soit à table, soit dans ses entretiens, il n'épargnait aucun argument pour persuader à tout venant que rien n'était plus facile que de rétablir la paix entre les deux partis.

Un jour, il fut chez l'archevêque de Salzbourg, qui, dans un long discours, lui fit un éloquent tableau des troubles enfantés, disait-il, par la Réforme, et termina par une péroraison « écrite avec du sang, » dit Mélanchton. Philippe, à la torture, s'étant hasardé à glisser dans la conversation le mot de conscience : a Conscience!... « reprit 165

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle brusquement l'Archevêque, conscience! Qu'est-ce que cela veut dire? Je vous dis, «

moi, que l'Empereur ne permettra pas que l'on porte ainsi le trouble dans l'Empire.»

—« Si j'avais « été à la place de Mélanchton, dit Luther, j'aurais aussitôt répondu à l'Archevêque : Et notre Empereur à nous ne tolérera pas un tel blasphème! » «Hélas!

disait Mélanchton, ils sont aussi pleins d'assurance et d'orgueil que s'il « n'existait pas de Dieu [9]. »

Un autre jour, Mélanchton fut chez Campeggi, et le conjura de persévérer dans la modération qu'il lui supposait. Un autre jour encore, il fut, à ce qu'il paraît, chez l'Empereur lui-même [10].

« Hélas ! Disaient les Zwingliens alarmés,' après « avoir mitigé la moitié de l'Évangile, Mélanchton « en sacrifie l'autre [11]. »

Les ruses des Ultramontains se joignaient à l'abattement de Philippe pour arrêter la marche courageuse des princes. Le vendredi 24 juin était le jour fixé pour la lecture de la confession ; mais les mesures étaient prises pour l'empêcher. A trois heures après midi, la Diète étant entrée en séance, le Légat s'annonça; l'Empereur alla à sa rencontre jusqu'au haut du grand escalier, et Campeggi s'étant placé en face de Charles-Quint, sur le trône du roi Ferdinand, prononça une harangue en style cicéronien :

« Jamais, dit-il, la « nacelle de saint Pierre n'a été si violemment agitée par tant de flots, de sectes et de tourbillons [12]... Le Saint-Père a appris ces choses avec «

douleur, et désire arracher l'Église à ces gouffres affreux. Pour l'amour de Jésus-Christ, pour « le salut de votre patrie, pour le vôtre propre, « ô puissant prince, défaites-vous de ces erreurs, « délivrez-en l'Allemagne, et sauvez la chrétienté !...

[13] »

Après une réponse modérée de l'électeur de Mayence, le Légat quitta l'Hôtel de Ville, et les princes évangéliques se présentèrent ; mais on avait pourvu à un nouvel obstacle. Des députés d’Autriche, de la Carinthie et de la Carniole furent d'abord entendus.

Beaucoup de temps s'était ainsi écoulé. Cependant les princes évangéliques se levèrent de nouveau, et le chancelier Brück, prenant la parole, dit : « Des dogmes nouveaux, qui ne sont pas « basés sur l'Écriture, des hérésies et des schismes, sont, dit-on, répandus par nous au milieu « du peuple. Considérant que ces accusations compromettent non-seulement notre bonne renommée, mais encore le salut des âmes, nous « supplions Sa Majesté de vouloir bien entendre l'exposition de nos doctrines. [14]»

L'empereur - il en était sans doute convenu avec le Légat fit répondre qu'il était trop tard ; que cette lecture était d'ailleurs inutile, et que les princes devaient se 166

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle contenter de remettre leur confession par écrit. Ainsi la mine, habilement préparée, jouait admirablement : la confession, une fois remise à l'Empereur, serait oubliée, et la Réformation devrait se retirer, couverte d'opprobre, sans qu'on eût même daigné l'entendre.

Les princes protestants, inquiets, insistèrent. « Il y va de notre honneur, disaient-ils, il y va de notre âme [15]. On nous accuse publiquement; nous devons répondre publiquement. »

Charles était ébranlé; Ferdinand se pencha vers lui, et lui dit quelques mots à l'oreille [16] ; l'Empereur refusa une seconde fois.

Alors l'Électeur et les princes, toujours plus alarmés, dirent pour la troisième fois, avec instance : « Pour l'amour de Dieu, laissez lire notre « confession! On n'y insulte personne. [17]» D'un côté, se trouvaient quelques hommes fidèles, demandant à grands cris à confesser leur foi; et de l'autre, le grand empereur d'Occident, entouré d'une foule de cardinaux, de prélats, de princes, s'efforçant d'étouffer la manifestation de la vérité [18]. Lutte grave, violente, décisive, et où les intérêts les plus saints se trouvaient agités.

A la fin, Charles parut céder. « Sa Majesté vous « accorde votre demande, dit-on aux princes; mais « comme il est maintenant trop tard, elle vous « prie de lui remettre votre confession écrite; et « demain, à deux heures, la Diète sera prête à « en entendre lecture au palais Palatin. »

Les princes furent saisis par ces paroles, qui, en paraissant tout leur accorder, ne leur accordaient rien.

D'abord ce n'était pas dans une séance publique de la Diète à l'Hôtel de Ville, mais d'une manière privée, dans son propre palais, que l'Empereur voulait les entendre ; puis ils ne doutaient pas que si la confession sortait de leurs mains, ce n'en fût fait de la lecture publique. Ils tinrent ferme. « Ce travail a été fait en grande hâte, dirent-ils (et c'était la vérité); veuillez « nous le laisser encore cette nuit, pour le revoir. [19]»

L'Empereur fut obligé de se rendre, et les Protestants retournèrent à leurs hôtels pleins de joie, tandis que le Légat et les siens, voyant la confession inévitable, attendaient avec une anxiété toujours croissante la journée du lendemain. Parmi ceux qui s'apprêtaient à confesser la vérité évangélique, il en était un pourtant qui avait le cœur rempli de tristesse; c'était Mélanchton. Placé entre deux feux, il voyait les Réformés et plusieurs même de ses amis lui reprocher sa faiblesse, tandis que les Ultramontains détestaient ce qu'ils appelaient son hypocrisie. Son ami Camerarius, qui vint dans ce temps à Augsbourg, le trouvait souvent abîmé dans ses pensées, poussant de profonds soupirs, et versant des larmes amères [20].

167

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Brentz, ému de compassion, visitait le malheureux Philippe, s'asseyait à ses côtés, et pleurait avec lui [21]; Jonas, s'efforçant de le consoler d'une autre manière, l'exhortait à prendre le livre des Psaumes, et à crier de tout son cœur à InnéL17 en se servant des paroles de David plutôt que des siennes.

Un jour, une nouvelle étrange se répandit, dont tout Augsbourg s'entretint, et qui, portant la terreur parmi les amis du Pape, donna un moment de distraction à Mélanchton. « Une mule « ayant mis bas à Rome, disait-on, son petit est « venu au monde avec des pieds de grue. »

— « Ce prodige, s'écria Mélanchton, annonce que Rome « est près de sa fin [22]. »

Serait-ce parce que la grue est un oiseau de passage, et que la mule du Pape faisait ainsi mine de s'en aller? Mélanchton l'écrivit aussitôt à Luther, et Luther répondit qu'il se réjouissait fort que Dieu eût donné au Pape un signe aussi frappant de sa ruine prochaine [23]. Il est bon de se rappeler ces puérilités du siècle des Réformateurs, pour comprendre d'autant mieux la haute portée de ces hommes de Dieu dans les choses de la foi.

Ces billevesées romaines ne soulagèrent pas longtemps Mélanchton. Il se voyait, la veille du a5 juin, en face de cette confession qu'il avait rédigée, qui allait être lue, et où un mot de trop ou un mot de moins pouvait décider de l'approbation ou de la haine des princes, du salut ou de la perte de la Réformation et de l'Empire. Il n'y tenait plus, et le faible Atlas, écrasé sous le poids du monde qu'il portait, poussait un cri de douleur. « Tout mon temps se consume ici dans les « larmes et dans le deuil [24], » écrivait-il à Vite Dietrich, secrétaire de Luther au château de Cobourg.

Le lendemain, il écrivait à Luther lui-même : « Notre demeure est dans des pleurs «

perpétuels [25] ; notre consternation est indicible [26]. « O mon père... je ne veux pas que mes paroles « exagèrent mes douleurs ; mais, sauf vos consolations, il n'y a rien ici qui ne nous ravisse « notre paix. »

Rien ne contrastait avec les défiances et les désolations de Mélanchton comme la foi, le calme et le triomphe de Luther. Il lui fut avantageux de ne pas se trouver alors au milieu du tourbillon d'Augsbourg, et de pouvoir, dans son solitaire château, poser tranquillement les pieds sur le rocher des promesses de Dieu. Il sentait lui-même le prix de ce paisible ermitage, comme il l'appelait [27].

« Je ne puis assez admirer, disait « Vite Dietrich, la fermeté, la gaieté et la foi cet homme, si étonnantes en des temps si cruels. » Luther, outre la lecture constante de la parole de Dieu [28], ne passait pas un jour sans consacrer au moins trois heures à la prière, et trois heures choisies parmi les plus favorables à l'étude [29]. Un jour, comme Diedrieh s'approchait de la chambre du Réformateur, il entendit sa voix [30], et demeura immobile, retenant son haleine, à quelques pas de la porte.

168

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Luther priait, et sa prière, dit son secrétaire, était pleine d'adoration, de crainte et d'espérance, comme quand on parle à son ami et à son père [31]. » Je sais que tu es notre père et notre Dieu, disait le Réformateur, et que tu dissiperas les persécuteurs de tes enfants, car tu es toi-même en danger avec nous. Toute cette affaire est la tienne, et ce n'est que contraint par toi que nous y avons mis la main. Défends-nous donc, « ô Père! »

Le secrétaire, immobile comme une statue, dans le long corridor du château, ne perdait pas un des mots que la voix de Luther, claire et retentissante, apportait jusqu'à lui [32].

Le Réformateur pressait Dieu ; il le sommait d'accomplir ses promesses, avec tant d'onction, que Diedrieh sentait son cœur brûler au dedans de lui [33]. « Ah!

s'écriait-il en se retirant, comment ces prières « ne pèseraient-elles pas dans la cause désespérée « qui se débat à Augsbourg !... »

Cependant Luther eût aussi pu se laisser surmonter par la crainte, car on le laissait dans une complète ignorance sur ce qui se passait à la Diète. Un messager de Wittemberg, qui devait lui apporter des forêts de lettres (selon son expression), s'étant présenté: « Apportes-tu des lettres? » lui dit Luther. — « Non. » « Comment vont ces Messieurs?» — «Bien.» Luther, désolé d'un tel silence, retourna s'enfermer dans sa chambre. Bientôt parut un courrier à cheval, portant les dépêches de l'Électeur : « Apportes-tu des lettres ?» lui cria Luther. — « Non.» —

« Comment vont ces Messieurs? » ajouta-t-il avec crainte. — « Bien. »

—« Cela est étrange! » pensa le Réformateur. Une voiture étant partie de Cobourg chargée de farine (car on manquait presque de vivres à Augsbourg), Luther attendait avec impatience le retour du voiturier ; mais il revint à vide. Luther commença alors à rouler dans son esprit les plus tristes pensées, ne doutant pas qu'on ne lui cachât quelque malheur t. Enfin, un autre personnage, Jobst Nymptzen, étant arrivé d'Augsbourg, Luther se précipita de nouveau vers lui avec sa question ordinaire: « Apportes-tu des lettres ? » Il attendait en tremblant la réponse.

—«Non. »

— «Et comment « vont donc ces Messieurs ?»

— « Bien. » Le Réformateur s'éloigna, en proie à la colère et à la crainte.

Alors Luther ouvrait sa Bible, et, pour se consoler du silence des hommes, il s'entretenait avec Dieu. Il y avait surtout quelques passages des Écritures qu'il relisait sans cesse. Nous en donnons ci-dessous l'indication. Il faisait plus; il écrivait lui-même plusieurs déclarations de l'Écriture sur les portes, les vitres des fenêtres et les murailles du château. Ici, c'étaient ces mots du Psaume cxvizz i Je ne mourrai point, mais je vivrai, et je raconterai les faits de 'Éternel. Là, c'étaient ceux-ci, tirés 169

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle du Chapitre in des Proverbes : La voie des méchants les fera fourvoyer. Et au-dessus de son lit, ces paroles du Psaume iv : Je me coucherai et je dormirai en paix, car toi seul, 6 Éternel, me feras habiter en assurance.... Jamais homme peut-être ne s'entoura des promesses du Seigneur, n'habita dans l'atmosphère de sa parole, et ne vécut de son souffle, comme Luther à Cobourg.

Enfin, des lettres arrivèrent : « Si les temps « où nous sommes ne s'y fussent opposés, j'eusse I ne Timothée, chap. III, verset Is. Philipp., II, 12, 13. Jean, X, 17, 18. Matthieu, XVI, z8. Psaume XLVI, 1, 2. I. Jean, IV, 4. Psaume LV, 23. Psaume XXVII, 14. Jean, XVI, 33. Luc, XVII, 5. Psaume XXXII, IL'. Psaume CXLV, 18, 19.

Psaume XCI, 14, 15. Sirac, II, I1. I. Macchabées,'II, 61. Matthieu, VI, 31. I. Pierre, V, 6, 7. Matthieu, X, 28. Romains, IV et VI. Hébr., V et XI. I. Sam., IV, 18. I. Sam., XXXI, 4-8. I. Sam., II, 3o. II. Tim., II, 17, 18, 29. II. Tim., I, 12. Eph., III, 20, 21.

On remarquera parmi ces passages deux versets tirés des Apocryphes, mais dont il serait facile de trouver l'équivalent dans la parole de Dieu, imaginé quelque vengeance, écrivit Luther à Jonas; mais la prière arrêtait ma colère, et la colère arrêtait ma prière [34]. Je me réjouis de cet esprit tranquille que Dieu accorde à notre prince. Quant à Mélanchton, c'est sa philosophie qui le tourmente et rien autre. Car notre cause est dans les mains mêmes de celui qui « peut dire avec une indicible fierté : Nul ne la ravira de mes mains. Je ne voudrais pas et il n’était pas désirable, qu'elle fût dans les nôtres [35]. J'ai eu bien des choses dans mes mains, «

et je les ai toutes perdues; mais tontes celles que j'ai pu placer dans les siennes, je les possède encore. »

Apprenant que l'angoisse de Mélanchton continuait, Luther lui écrivit ; ce sont des paroles' qu'il faut conserver : « Grâce et paix en Christ: — En Christ, dis-je, et non selon le monde. Amen. « Je hais d'une haine véhémente ces soucis extrêmes qui vous, consument.... Si la cause est injuste, abandonnons-la ; si elle est juste, pourquoi ferions-nous mentir dans ses promesses celui qui nous commande de dormir sans peur ?... Le Diable peut-il faire davantage que de nous égorger?...

Christ ne fera pas défaut à l'œuvre de la justice et de la vérité. Il vit, il « règne : quelle crainte pouvons-nous donc « avoir ? Dieu est puissant pour relever sa cause "

Si elle est renversée, pour la faire marcher si " elle reste immobile ; et si nous n'en sommes pas dignes nous-mêmes, il le fera par d'autres que J'ai reçu votre Apologie

[36], et je ne puis comprendre ce que vous entendez quand vous nie te demandez ce qu'il faut céder aux Papistes ; on leur a trop cédé. Nuit et jour je inédite cette affaire; je la tourne et la retourne ; je parcours toute l'Écriture; et l'assurance que notre doctrine est la vérité même ne cesse de croître et mou esprit. Dieu aidant, je ne nie laisserai pas ravir une seule lettre de tout ce que nous « avons dit.

« L'issue de cette affaire vous tourmente, parce que vous ne pouvez la comprendre.

Mais si « vous le pouviez, je n'y voudrais, moi, avoir la moindre part. Dieu l'a mise 170

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle en un « lieu communique vous ne trouverez ni dans votre rhétorique, ni dans votre philosophie ; ce lieu s'appelle la foi [37]. C'est celui dans lequel subsistent toutes les choses que l'on ne peut ni comprendre ni voir. Quiconque veut les toucher comme vous, a des larmes pour salaire.

« Si Christ n'est pas avec nous, où est-il dans tout l'univers? Si nous ne sommes pas l'Église; où donc est l'Église?... Sont-ce les ducs de Bavière? « Est-ce Ferdinand, est-ce le Pape, est-ce le Turc, qui le sont? Si nous n'avons pas la parole de Dieu, qui est-ce qui la possède?

« Seulement il faut de la foi, de peur que la cause de la foi ne se trouve être sans foi

[38]. « Si nous tombons, Christ tombe avec nous, c'est-à-dire le Maître du monde.

J'aime mieux tomber avec Christ que d'être debout avec César. »

Ainsi écrivait Luther. La foi qui l'animait découlait de lui comme des torrents d'eaux vives. Il était infatigable; dans un seul jour il écrivit à Mélanchton, à Spalatin, à Brentz, à Agricola, à Jean-Frédéric, des lettres pleines de vie. Il n'était pas seul à prier, à parler, à croire ; au même moment, les chrétiens évangéliques s'exhortaient partout à la prière [39]. Tel fut le laboratoire où se forgèrent les armes avec lesquelles les confesseurs de Christ parurent devant la diète d'Augsbourg.

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FOOTNOTES

[1] Intelligo hoc min dpxtepiorç moliri, ut omnino nihil agatur, de negotiis ecclesiasticis. (C. Ref., II, p. 57.)

[2] Dasselbige abgeschlagen. (C. R., II, p. 127.)

[3] Argentinenses ambierunt aliquid ut excepto articulo sa-crameilti susciperentnr.

(lb., p. 155.)

[4] Non principum nomine edi, sed docentium qui timoi•gi vocaatur. (Camerar., p.

Iso.)

[5] Landgravius subscribit nobiscum, sed tamen dicit, sibi de somment a nost6s non satisfteri. (C. R., II, p. 155.)

[6] Confessioni tantum subscripserunt Norimberga et ReufHagen. II, p. 15'34

[7] Decretum est ut publice recitandat concessio ab Impers-tore peteretur. (Seck., II, p. 169.)

[8] Addebat epilogum plane sanguine scriptum. (C. R., p. 126.)

[9] Securi sunt quasi nullus sit Deus. (Ibid., p. 156.) 171

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[10] Melanebton a Csesare, Salisburgensi et'Campegio vocatus est. (Zw. Epp., II, p.

473.)

[11] Ut cum mitigarit tam multa cedat et reliqua. (Ibid.)

[12] Neque unquam tain varus sectarum turbinibua navicula Petri fiuctuaverit.

(Seck., II, p. 169.)

[13] Oratio valde lugubris et miserabilis contra Turcas. (C. R., II, p. 154.)

[14] Verum etiam ad anime dispendium aut sain tem eternam. (Seck., Il, p. 269.)

[15] Ihre geele, Ehre und Glimpf belanget. (C. R.,1I, p. 128.)

[16] Eniai eum subinde aliquid 8 Il in aurem insusurrare. (Seck., II, p. 169.)

[17] Zum Britten mal heftig angehalten. (C. R., II, p. 128.)

[18] Circumsistebant Cœsarem magno numero cardinalês ét prœlati ecclesiastici.

(Seck., II, p. 169.)

[19] Non quidem publice in pn»torio, sed privatim in palatio suo. (C. R., II, p. 124.)

[20] Non modo suspirantem, sed profundentem lacrymas conspexi. (Camérarius, p.

121.)

[21] Brentius assideb4t bec scribenti, usa lacrymans. (C. )1, p. z26.)

[22] A Roma, quœdam mula peperit, et partes habuit pedes gruis. Vides significari exitium Rome per schismata. p. 126.)

[23] Gaudeo Pape signum datum in mula puerpera, ut citius pereat. (L. Epp., IV, p.

47.)

[24] Hic consumitur omne mihi tempus in lacrymis et luta. (C. R., II, p. 126.)

[25] Versamur hic in miserrimis curis et plane perpetuis lacrymis. (Ibid., p. itio.)

[26] Mira consternatio animorum nostrorum. (Ibid.)

[27] Ex eremo tacite. (L. Epp., IV, p. 5i.) C'est ainsi qu'il date sa lettre.

[28] Assidue autem illa diligentiore verbi Dei tractatione alit. Il. p. 359-)

[29] Nullus abit dies, quia ut minimum tres boras easque studiis aptissimas, in orationibus ponat. (Ibid.)

[30] Semel mihi contigit ut orantem eum audirem. (Ibid.)

[31] Tanta spe et fide ut cum patre et amico colloqui sentiat. (Ibid.)

[32] Tum orantem clara voce, procul stans, audivi. (Ibid.) 172

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[33] Ardebat mihi quo_que animus singulari quodam impetu. (Ibid.)

[34] Red orandi tempus non sinebat irasci, et ira non sinebat orare. (t. Épp., IV, p.

46.)

[35] Xec vellem, nec cousultum esset, in nostra manu esse. (L. Epp., IV, P. 46.) .

[36] La Confession revue et corrigée.

[37] Dens posuit étira i t Idem cluerndatn conottunem, etuém in tua rhetorica non habes, nec in phitosorea Ma; is Socatur Ales. (L. Epp., IV, p. 53.)

[38] Tantum est opus fide, ne causa fidei sit sine fide. (Ibid., p. 6r .)

[39] E Witenberga scribunt, tain diligenter ibi Ecclesiatn orare. (L. Epp., IV, p. 69.) 173

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VII.

Le 25 juin 1530. — Les confesseurs d'Augsbourg. — Souvenirs et contrastes. — La confession. —.Prologue. — Justification par la foi. — L'Église. — Sainte-Cène. Libre arbitre. — Les œuvres mortes et la foi vivante. — Les princes devenus prédicateurs. —

Seconde partie. — Les erreurs. — Pratiques et œuvres romaines. — Les deux pouvoirs. — Il faut les distinguer. — Clarté. — Argumentation. — Les jours créateurs. — Indépendance des deux sociétés. — Pas de Glaive.— Ménagements pour l'Église catholique. —Lacunes. — Le baptême de l'Église évangélique Enfin le 25 juin commença. Ce devait être le plus grand jour de la Réformation, et l'un des plus beaux de l'histoire du christianisme et de celle de l'humanité. La chapelle du palais Palatin, où l'Empereur avait résolu d'entendre la confession, ne pouvant contenir qu'environ deux cents personnes [1], on vit, avant trois heures une grande foule remplir la cour du palais, dans l'espoir d'entendre au moins quelques paroles ; plusieurs même pénétrèrent dans la chapelle. On en fit sortir ceux qui n'étaient pas conseillers des princes.

Charles s'assit sur son trône. Les Électeurs ou leurs représentants se mirent à sa droite et à sa gauche; puis, les autres princes et députés de l'Empire. Le Légat avait refusé d'assister à cette solennité, de peur de paraître autoriser par sa présence la lecture de la confession [2].

Alors se levèrent Jean, électeur de Saxe, avec son fils Jean-Frédéric; Philippe, landgrave de Hesse; le margrave Georges de Brandebourg, Wolfgang, le prince d'Anhalt, Ernest, duc de Brunswick-Lunebourg, et son frère François; enfin, des députés de Nuremberg et de Reutlingen. Leurs regards étaient animés et leurs faces radieuses [3]. Les apologies des premiers chrétiens, des Tertullien et des Justin Martyr, parvenaient à' peine par écrit aux empereurs auxquels elles étaient adressées. Mais maintenant voici, pour entendre l'apologie du christianisme ressuscité, ce puissant Empereur, dont le sceptre, s'étendant bien au-delà des colonnes d'Hercule, atteint les dernières limites de l'univers; son frère le roi des Romains, des Électeurs des Princes, des Prélats, des Députés, des Ambassadeurs; qui tous voudraient anéantir l'Évangile, mais qui sont contraints, par une puissance invisible, à en entendre, et par là même à en honorer la confession.

Une pensée se présentait involontairement à l'esprit des assistants ; c'était le souvenir de la diète de Worms [4]'. Il y avait neuf ans qu'un pauvre moine était seul debout, pour cette même cause, dans une salle de l'hôtel de ville de Worms, en présence de l'Empire. Et maintenant, à sa place, voilà le premier des Électeurs, voilà des Princes et des Cités. Quelle victoire ce fait signale !... Sans doute, Charles-Quint lui-même ne put se soustraire à ce souvenir.

174

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle L'Empereur, voyant les Protestants se lever, leur fit signe de se rasseoir ; et alors les deux chanceliers de l'Électeur, Brück et Bayer, s'avancèrent au milieu de la salle et se placèrent en face du trône, tenant en main, le premier l'exemplaire latin, le second l'exemplaire allemand de la Confession. L'Empereur demanda qu'on lût la confession en latin [5]. « Nous sommes Allemands, dit l'électeur de Saxe, et sur terre allemande ; j'espère donc que Votre Majesté nous permettra de parler allemand. » Si l'on eût lu la confession en latin, langue inconnue de la plupart (les princes, l'effet général eût été perdu. C'était un autre moyen de fermer la bouche à l'Évangile.

L'Empereur se rendit à la demande de l'Électeur.

Alors Bayer commença à lire la confession évangélique, lentement, gravement, distincte-tue nit, d'une voix claire, étendue et sonore, qui retentissait sous les voûtes de la chapelle, et portait même au dehors ce grand témoignage rendu à la vérité Sérénissime, très-puissant et invincible Empereur et très-gracieux Seigneur, dit-il, [6] nous, qui comparaissons en votre présence, nous nous déclarons prêts à conférer amicalement avec vous sur les voies les plus propres à établir une seule, vraie et même foi, puisque c'est pour un seul et même Christ que nous combattons

[7]. Et dans le cas où les dissensions religieuses ne pourraient être réglées amicalement, alors nous offrons à Votre Majesté d'exposer notre cause en présence d’une couette universelle, libre et chrétienne [8]. »

Le prologue terminé, Bayer confessa d'abord la sainte Trinité, conformément au concile de Nicée [9], le péché originel et héréditaire qui apporte à tous ceux qui ne sont pas régénérés la mort éternelle [10]', l'incarnation du Fils ; vrai homme et vrai Dieu [11].

« Nous enseignons de plus, continua-t-il, que « nous ne pouvons être justifiés devant Dieu par nos propres forces, nos mérites et nos cœurs; mais que nous le sommes à cause de Christ, par grâce, par le moyen de la foi [12], quand nous croyons que les péchés sont remis en vertu de Christ, qui par sa mort a satisfait pour nos fautes : cette foi est la justice que Dieu impute au pécheur. « Mais nous enseignons en même temps que cette foi doit produire de bons fruits, et qu'il faut faire toutes les bonnes œuvres que Dieu a « commandées, pour l'amour de Dieu, et non pour gagner par elles la grâce de Dieu. »

Les Protestants déclarèrent ensuite leur foi en l'Église chrétienne, qui est, dirent-ils,

« l'assemblée de tous les vrais croyants et de tous les saints [13], au milieu desquels il y a néanmoins dans cette vie beaucoup de faux chrétiens, « d'hypocrites, et même de pécheurs déclarés ; et ils ajoutèrent qu'il suffisait, pour la vraie Mité de l'Église, que l'on fût d'accord sur la doctrine de l'Évangile et l'administration des sacrements, sans que les rites et les cérémonies institués par les hommes fussent partout les mêmes. [14] » Ils proclamèrent la nécessité du baptême, et déclarèrent que le corps 175

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle et le sang de Christ sont véritablement présents et administrés, dans la Cène du Seigneur, à ceux qui mangent [15]. »

Puis le Chancelier confessa successivement la foi des chrétiens évangéliques touchant la confession, la pénitence, la nature des sacrements, le gouvernement de, les ordonnances ecclésiastiques, le gouvernement politique, et le jugement dernier. «

Quant au libre arbitre, continua-t-il, nous confessons que la volonté humaine a quelque liberté d'accomplir la justice civile, et d'aimer les choses que la raison «

comprend ; que l'homme peut faire le bien qui « est du ressort de la nature, travailler aux « champs, manger, boire, avoir un ami; mettre un habit, bâtir une maison, prendre femme ; nourrir du bétail, exercer un état; comme aussi il peut de son propre mouvement faire le mal s'agenouiller devant une idole, et accomplir un meurtre. Mais nous maintenons que sans l'Esprit Saint il ne peut faire ce qui est juste devant Dieu. »

Puis; revenant à la grande doctrine de la Réformation, et rappelant que les docteurs du Pape « n'ont jamais cessé de pousser les fidèles à « des œuvres puériles et inutiles, comme l'usage a des chapelets, le service des saints, les vœux «

monastiques, les processions, les maigres, les « fêtes, les confréries, » les Protestants ajoutaient que pour eux, tout en pressant la pratique des œuvres vraiment chrétiennes, dont on avait peu parlé avant eux [16], « ils enseignaient qu'on « est justifié par la foi seule; non par cette foi qui « est une simple connaissance de l'histoire, et « que les impies et les démons eux-mêmes possèdent, mais par une foi qui ne croit pas seulement l'histoire, mais aussi l'effet de l'histoire ; qui croit que par Christ nous avons la grâce, qui sait qu'en Christ nous avons un Père propice, qui tonnait ce Dieu, qui l'invoque ; en un mot, qui n'est pas sans Dieu, comme le sont les païens. [17]»

« Tel est, dit Bayer, le sommaire de la doctrine professée dans nos églises; par où l'on « peut voir que cette doctrine n'est nullement opposée aux Écritures, à l'Église universelle, « ni même à l'Église romaine, telle que les donateurs nous la font connaître ; et puisqu'il en « est ainsi, nous rejeter comme hérétiques, c'est se rendre coupable envers l'unité et la charité. [18]» Ici se terminait la première partie de la confession, celle qui avait pour but d'exposer la doctrine évangélique. Le Chancelier lisait d'une voix si distincte, que la foule qui n'avait pu pénétrer dans la salle, et qui remplissait la cour du palais épiscopal et tous ses abords, ne perdait pas un mot [19].

Cette lecture produisit sur les princes qui remplissaient la chapelle l'effet le plus merveilleux. Jonas suivait des yeux tous les mouvements de leur physionomie [20], et y lisait l'intérêt, l'étonnement, et même l'approbation [21].

Les adversaires s'imaginent avoir fait merveille en interdisant la prédication de l'Évangile, écrivait « Luther à l'Électeur, et ils ne voient pas, les « malheureux ! Que, par la lecture de la confession en présence de la Diète, vous avez bien plus prêché 176

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle que dix prédicateurs n'auraient pu le faire. Finesse exquise! Expédient admirable Il

« Maître Agricola et les autres ministres doivent se taire ; mais à leur place se présentent l'électeur de Saxe et les autres princes et seigneurs, qui prêchent devant Sa Majesté Impériale et les membres de tout l'Empire, librement, à leur barbe et à leur nez.

Oui, Christ lui-même est en Diète, et il n'y garde pas le silence ! La parole de Dieu ne peut être liée. On l'interdit dans les chaires, et on doit l'entendre dans les' palais; de pauvres ministres ne peuvent l'annoncer et de grands princes la proclament; on «

défend aux serviteurs' de l'écouter, et leurs maîtres sont contraints de l'ouïr; on ne la veut « pas pendant la durée de la Diète, et on doit se résigner à en entendre plus en un seul jour « qu'on ne l'a fait en toute une année. Quand tous doivent se taire, alors les pierres crient, comme « parle notre Seigneur Jésus-Christ»

La partie de la confession destinée à signaler les erreurs et les abus restait encore.

Bayer continua; il exposa et démontra la doctrine des deux espèces dans l'Eucharistie; attaqua le célibat obligatoire des prêtres-, soutint que la Cène du Seigneur avait été changée en une véritable foire, où il n'était question que de vente et d'achat, et qu'elle avait été rétablie dans sa pureté primitive par la Réformation, et était célébrée dans les Églises évangéliques avec une dévotion et une gravité toutes nouvelles. Il déclara que l'on n'y donnait la Cène à personne qui n'eût auparavant confessé ses fautes, et rappela ce mot de Chrysostome : « Confesse-toi à Dieu, le Seigneur, L. Epp., IV, p. 82.

Ton véritable Juge ; dis ton péché, non avec la langue, mais dans ta conscience et dans ton cœur. » Bayer en vint ensuite aux préceptes sur la distinction des viandes et autres pratiques de Rome. « Célébrer telle fête, dit-il, faire telle prière ou « tel jeûne, être habillé de telle manière, et tant d'autres ordonnances des hommes, voilà ce « qu'on appelle maintenant une vie spirituelle et « chrétienne; tandis que les bonnes œuvres Prescrites de Dieu, comme celles d'un père de famille qui travaille pour nourrir sa femme, ses fils et ses filles, d'une mère qui met des enfants au monde et en prend soin, d'un prince ou d'un magistrat qui gouvernent le peuple, sont « regardées comme des choses séculières et d'une nature imparfaite. » Quant aux vœux monastiques en particulier, il représenta que puisque les Papes en donnaient dispense, rien ne s'opposait à ce qu'on les abolit.

LE dernier article de la confession traitait de l'autorité des évêques. Des princes puissants, couverts de la mitre épiscopale, étaient là : les archevêques de Mayence, de Cologne, de Salzbourg et de Brème; les évêques de Bamberg, de Wurtzbourg, d'Eichstadt, de Worms, de Spire, de Strasbourg, d'Augsbourg, de Constance, de Coire, de Passau, de Liégé, de Trente, de Blixen, de Lebus et Ratzebourg, fixaient leurs regards sur l'humble confesseur. Il continua sans crainte ; et, protestant avec énergie contre cette confusion de l'Église et de l'État, qui avait signalé le moyen âge, 177

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle il réclama la distinction et l'indépendance des deux pouvoirs. « Plusieurs, dit-il, ont maladroitement confondu la puissance des Évêques et la puissance temporelle; et de cette confusion sont sorties de grandes guerres, des révoltes et des séditions [21].

C'est pourquoi, pour rassurer les consciences, nous nous voyons contraints d'établir la différence qui existe entre la puissance de l'Église et la puissance du glaive [22]. «

Nous enseignons donc que la puissance des clefs ou des évêques est la puissance ou le commandement de Dieu, de prêcher l'Évangile, de remettre ou retenir les péchés, et d'administrer les sacrements.

Cette puissance se rapporte aux biens éternels, ne s'exerce que par le ministère « de la parole, et ne s'embarrasse pas de l'administration politique. L'administration politique, « d'autre part, s'occupe de tout autre chose que « de l'Évangile. Le magistrat protégé, non les âmes, mais les corps et les biens temporels. Il les défend contre les atteintes du dehors, et « contraint les hommes, par le glaive et les châtiments, à observer la justice civile et la paix [23].

C'est pourquoi il faut bien se garder de mêler la puissance de l'Église et la puissance de l'État [24]. « La puissance de l'Église ne doit point envahir un office qui lui est étranger; car Christ lui-même a dit Mon règne n'est pas de ce monde. Et encore : Qui m'a établi pour juge parmi vous? « Saint Paul dit aux Philippiens : Notre bourgeoisie est dans le ciel; et aux Corinthiens : Les armes de notre guerre ne sont pas charnelles, mais puissantes par la vertu de Dieu. « C'est ainsi que nous distinguons les deux gouvernements et les deux pouvoirs, et que nous les honorons l'un et l'autre comme les dons les plus excellents que Dieu ait octroyés ici-bas.

« L'office des évêques est donc de prêcher l'Évangile, de pardonner les péchés, d'exclure de l'Église chrétienne ceux qui se rebellent contre le Seigneur, mais sans puissance humaine, et uniquement par la parole de Dieu'[25]. « Si les évêques font ainsi, les Églises doivent leur « être soumises, selon cette déclaration de Christ : «

Qui vous écoute, m'écoute. « Mais si les évêques enseignent quelque chose qui soit contraire à l'Évangile, alors les Églises « ont un ordre de Dieu qui leur défend d'obéir. « (Matth., chap. vii, y. 15. Galates, chap. t, y. 8.

« 2 Cor., chap. xur, v. 8 et 10.) Saint Augustin lui-même écrit, dans sa lettre contre Pétrinien : « Il ne faut point obéir aux évêques catholiques, « s'ifs s'égarent, et enseignent quelque chose de « contraire aux Écritures canoniques de Dieu'. [26]»

Apres quelques discours sur les ordonnances et les traditions de l'Église, Bayer en vint à l'épilogue de la confession : « Ce n'est point par haine que nous avons parlé, reprit-il, ni pour insulter qui que ce soit ; mais nous avons exposé les doctrines que nous tenons pour essentielles, afin que l'on puisse comprendre « que nous n'admettons ni dogme ni cérémonie qui soient contraires à la sainte Écriture, et à l'usage de l'Église universelle. »

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Alors Bayer se tut. Il avait parlé pendant deux heures; le silence et le recueillement plein de gravité de l'assemblée ne s'étaient point démentis [27]. Cette Confession d'Augsbourg demeurera toujours l'un des chefs-d’œuvre de l'esprit humain, éclairé de l'Esprit de Dieu.

Le langage qu'on avait adopté, tout en étant parfaitement naturel, était le résultat d'une étude profonde des caractères.

Ces princes, ces guerriers, ces politiques qui siégeaient au Palatinat, tout ignorants qu'ils étaient en théologie, comprenaient, sans difficulté, la doctrine des Protestants; car ce n'était pas dans le style de l'école qu'on la leur exposait, mais dans celui de la vie ordinaire, et avec une simplicité et une lucidité qui rendaient tout malentendu impossible.

En même temps la puissance d'argumentation était d'autant plus remarquable qu'elle était plus cachée. Tantôt Mélanchton (car c'était bien Mélanchton qui parlait par la bouche de Bayer) se contentait de citer un seul passage de l'Écriture ou des Pères en faveur de la doctrine qu'il soutenait, et tantôt il prouvait d'autant plus fortement sa thèse, qu'il semblait ne faire que l'exposer; d'un trait il indiquait les fâcheuses conséquences qu'entraînerait le rejet de la foi qu'il professait, ou bien il en montrait d'un seul mot l'importance, pour la prospérité de l'Église. En l'entendant, les hommes même les plus hostiles s'avouaient à eux-mêmes qu'il y avait bien quelque chose à dire en faveur de la secte nouvelle.

A cette force d'argumentation, l'apologie joignait une prudence non moins remarquable. Mélanchton, en déclinant avec fermeté les erreurs attribuées à son parti, ne paraissait pas même sentir l'injustice de ces imputations erronées; et, en signalant les abus de la Papauté, il ne les imputait pas expressément à ses adversaires, évitant avec soin tout ce qui pouvait irriter les esprits.

Mais ce qu'il y a de plus admirable, c'est la vérité avec laquelle sa confession expose les dogmes essentiels du salut. Rome a coutume de représenter les Réformateurs comme les créateurs des dogmes protestants ; mais ce n'est pas au seizième siècle qu'il faut chercher les jours de cette création.

Une trace 'lumineuse, dont Wicleff et Augustin marquent les points les plus saillants, nous ramène au temps des apôtres : c'est là que brillent, dans tout leur éclat, les jours créateurs de la vérité évangélique. Cependant, il est vrai (et si c'était là ce que Rome veut dire, nous adhérerions pleinement à sa pensée), jamais, depuis saint Paul, la doctrine chrétienne ne brilla de tant de beauté, de profondeur et de vie qu'aux jours de la Réformation.

Parmi toutes ces doctrines, celle de l'Église, si longtemps défigurée, reparaît surtout dans sa pureté native. Avec quelle sagesse, en particulier, les confesseurs d'Augsbourg protestent contre cette confusion de la religion et de la politique, qui, 179

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle depuis l'époque déplorable de Constantin, avait changé le royaume de Dieu en une institution terrestre et charnelle ! Sans doute, ce que la confession stigmatise avec le plus d'énergie, c'est l'intrusion de l'Église dans les choses de l'État; mais pense-t-on que ce soit pour approuver celle de l'État dans les choses de l'Église ? Le mal du moyen âge était d'avoir asservi l'État à l'Église, et les confesseurs d'Augsbourg se le/firent comme un seul homme pour le combattre.

Le mal des trois siècles qui se sont écoulés depuis lors, c'est d'avoir asservi l'Église à l'État, et l'on peut croire que Luther et Mélanchton eussent trouvé contre ce désordre des foudres non moins puissantes. Ce qu'ils combattent, en thèse générale, c'est la confusion des deux sociétés; ce qu'ils demandent, c'est leur indépendance ; je ne dis pas leur séparation, car la séparation de l'Église et de l'État fut une idée étrangère aux Réformateurs. Si les confesseurs d'Augsbourg ne voulaient pas que la puissance ecclésiastique dominât la société civile, ils eussent encore moins voulu que les choses d'en bas opprimassent celles du Ciel.

Il est une application particulière de ce principe que la confession signale. Elle veut que les évêques répriment ceux qui obéissent à l'impiété, mais sans puissance humaine, et uniquement par la parole de Dieu. » Elle rejette donc l'emploi du glaive dans le châtiment des hérétiques. C'est là, on le voit, un principe primitif, fondamental et essentiel de la Réformation, comme la doctrine contraire est un principe primitif, fondamental et essentiel de la Papauté. Que si l'on trouve chez les Protestants quelque écrit ou même quelque exemple contraire, ce n'est qu'un fait isolé qui ne saurait invalider les principes officiels de la Réforme; c'est l'une de ces exceptions qui servent à mieux faire ressortir la règle.

Enfin, la Confession d'Augsbourg n'usurpe point les droits de la Parole de Dieu ; elle veut eu être la servante et non la rivale ; elle ne fonde, elle ne règle pas la foi, mais simplement elle la professe. « Nos Églises enseignent, » dit-elle; et l'on se rappelle que Luther ne la considérait que comme une prédication faite par des princes et des rois. Si elle eût voulu davantage, comme on l'a prétendu dès lors, elle se fût par là même annulée.

Cependant la confession suivit-elle en tout la voie exacte de la vérité ? Il est permis d'en douter.

Elle fait profession de ne point s'éloigner de l'enseignement de l'Église Catholique, et même de celui de l'Église Romaine; elle entend sans doute par-là l'ancienne Église Romaine, car elle rejette le particularisme papiste qui, depuis huit siècles environ, enchaînait les consciences. Cependant la confession semble préoccupée de craintes superstitieuses, quand il s'agit de s'écarter des opinions professées par quelques-uns des Pères de l'Église, de rompre le réseau de la hiérarchie, et d'agir à l'égard de Rome sans de coupables ménagements. C'est au moins ce que professe Mélanchton, son auteur : « Nous ne mettons en avant aucun dogme, dit-il, qui ne 180

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle soit fondé dans l'Évangile « ou dans l'enseignement de l'Église catholique; nous sommes prêts à concéder tout ce qui est « nécessaire pour la dignité épiscopale [28], et pourvu que les évêques ne condamnent pas l'Évangile, nous conserverons tous les rites qui nous paraissent indifférents. En un mot, il n'est aucun fardeau que nous rejetions, si nous pouvons nous en charger sans crime [29]. »

Plusieurs penseront sans doute qu'un peu plus d'indépendance eût été convenable dans cette affaire, et qu'il eût mieux valu passer par-dessus les siècles qui ont suivi le temps des apôtres, et pratiquer franchement le grand principe que la Réformation avait proclamé : « Il n'y a pour des articles de foi d'autre fondement que la Parole de Dieu [30]. »

On a admiré la modération de Mélanchton; et en effet, en signalant les abus de Rome, il se tait sur ce qu'ils ont de plus révoltant, sur leur honteuse origine, leurs scandaleuses conséquences, et se contente de montrer qu'ils sont en contradiction avec l'Écriture ; mais il fait plus : il garde le silence sur le droit divin du Pape, sur le nombre des sacrements, et sur d'autres points encore. Sa grande affaire est de justifier l'Église renouvelée, et non d'attaquer l'Église déformée: « La paix! la paix !

» Mais si, au lieu de toute cette circonspection, la Réformation se fût avancée avec courage, eût entièrement dévoilé la Parole de Dieu, et eût fait un appel énergique aux sympathies de réforme répandues alors dans les cœurs, n'eût elle pas prit une position plus honorable, plus forte, et ne se fût-elle pas assuré de plus vastes conquêtes ? [31]

L'intérêt que mit Charles-Quint à écouter la confession semble douteux. Selon les tins, il s'efforçait de comprendre cette langue étrangère ; selon d'autres, il s'endormit Il est facile de concilier ces témoignages contradictoires, [32]

La lecture finie, le chancelier Brück s'avança, les deux exemplaires à la main, vers le secrétaire de l'Empereur, et les lui présenta. Charles-Quint, fort réveillé dans ce moment, prit lui-même les deux confessions, remit l'exemplaire allemand, considéré comme officiel à l'Électeur de Mayence, et garda pour lui l'exemplaire latin [33]; puis il fit répondre à l'électeur de Saxe et à ses alliés, qu'il avait gracieusement entendu leur confession [34]; mais que cette affaire étant d'une extrême importance, avait besoin de temps pour en délibérer.

La joie dont les Protestants étaient remplis brillait dans leurs regards [35]. Dieu avait été avec eux, et ils comprenaient que l'acte éclatant qui venait de s'accomplir leur imposait l'obligation de confesser la vérité avec une inébranlable persévérance : de tressaille de joie, écrivit Luther, de ce qu'il m'est donné de vivre à une époque où Christ est exalté publiquement par de si illustres confesseurs, et dans une si glorieuse assemblée. » Toute l'Église évangélique, émue et renouvelée par cette confession publique de ses représentants, fut alors unie plus intimement à son divin Chef, et baptisée d'un nouveau baptême. [36]

181

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

« Depuis le temps des Apôtres, disait-on ce sont les paroles d'un contemporain, il n'y a pas eu d'œuvre plus grande, ni de confession plus magnifique [37]. »

L'Empereur, étant descendu de son trône, s'approcha des princes protestants, et les pria à voix basse de ne point publier la confession [38]. Les Protestants l'ayant promis, chacun se retira.

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FOOTNOTES

[1] Capiebat forsan ducentos. (Jonas, C. R., II, p. 14)

[2] Sarpi, Hist. du Conc. de Trente, I, p. 102.

[3] Lœto et alacri amine et vultu. (Scultet., I, p. 273.)

[4] Ante decennium in conventu Wdrmatiensi. (C. R., II, p. 153.)

[5] Ciesar latin= prelegi volebat. (Seck., II, p. 170.)

[6] Qui clare, distincte, tarde, et voce adeo grandi et sonora, alun proutinciawit.

(Scsiltet., p. 274.)

[7] Ad unam veram concordem religionem, sieut limes strb uno Christo sumus et militantes. (Confessio, Prsefatio. Urkun. dem., I, P. 474.)

[8] Causam iiicturos in sali geeerali, iiharo et christiano concilio. (Ibid., p. 479.) •

[9] Et temest tues suit persouse ejumiern essentiee. (Ibid., p. 482.) •

[10] Vitium originis, afferens aeternam mortem his qui non renascuntur. (Ibid., p.

483.)

[11] Unus Christus, vere Deus et vere homo. (Ibid.)

[12] Quod homines non possint justificari coram Deo propriis viribus, meritis aut operibus, sed guais, propter Christum, per fidem. (Ibid., p. 484.)

[13] Congregatiu sanctorum et vere credentium. (Ibid., p. 487.)

[14] Ad veram unitatem Ecclesiœ, satin est consentire de doctrina Evangelii et administratione sacramentorum, nec necesse est, etc. (Ibid., p. 486.)

[15] Quod corpus et sanguis Christi, vere adsint et distri-buantur vescentibus in ccena Domini. (Ibid., p. 688.)

[16] De quibus rebus olim parum docebant concionatores, tantum puerilia et non necessaria opera urgebant. (Ibid., p. 495.)

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[17] Non tantum historia notitiam, sed fidem qua credit non tantum historien], sed etiani effectuai historia. (Ibid., p. 498.)

[18] Nihil finesse quod discrepet a Scripturis vel ab Ecclesia Catholica, vel ab Ecclesia Romana, quatenus ex scriptoribus nota est. (Ibid., p. 501.)

[19] Verum etiam in area inferiori et vicinis lods exaudiri potuerit. (Sc ul t., p. 274.)

[20] Jonas scribit vidisse se vultus omnium de quo mihi spondet narrationem coram.

(L.Epp., IV, p. 72.)

[21] Nonnulli incommode commiscuetunt potestatem ecele-siasticam et potestatem gladii, et ex hac confusione..... (Ur-kunden, Confess. Augsb., I, p. 539.)

[22] Coacti sunt ostendere discrimen ecclesiasticœ potestatis et potestatis gladii.

(Ibid.)

[23] Politica administratio versatur cires alias res quam Evan-gelium. Magistratus defendit, non mentes, sed corpom.. et commet 'm'aines gladio. (Ibid. p.541.)

[24] Non igitur commiscendEe surit potestates ecclesiastica et civilis. (Ibid.)

[25] Excludere a communione Ecclesiœ, sine vi humana, sed verbo. (Ibid. p. 544.)

[26] Nec catholicis episcopis consentiendum est, sicuti forte falluntur, aut contra canonicas Dei Scripturas aliquid sen-tiunt. (Ibid.)

[27] Mit Brosser Stille und Ernst. (Brücks Apologie, p. 59.)

[28] Concessuros omnia qum ad dignitatem episcoporum stabiliendam pertinent. (C.

R., II, p. 431.)

[29] Nullum detrectavimus onus, quod sine scelere suscipi posset. (Ibid.)

[30] Solum verbum Dei condit articulos fidei.

[31] Satis attentus erat Cœsar. (Jonas in C. B.., II, p. 154.) IV. 18

[32] Cucu nostra confessio legeretur, obdormivit. (Brentius, in C. R., H, p. a45.)

[33] L'exemplaire latin, déposé dans les archives de la maison impériale, devrait se trouver à Bruxelles; et l'exemplaire allemand, envoyé plus tard au Concile de Trente, devrait être au Vatican.

[34] Gnediglich vernohmen. (Urkunden, II, p. 3.)

[35] Cum incredibili protestautium gaudio. (Seék., U, p. 17o.)

[36] Mihi vehementer placet vixisse in banc horam. (L. Epp., IV, p. 71.)

[37] Grôsser und'hélerWerk. (Mathesius, Hist., p. 93 et 98.) 183

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[38] In Still angeredet und gebethen. (C. R., II, p. 143.) 184

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE VIII.

Effet à Augsbourg. — Témoignages divers. — Pays étrangers. — Liberté religieuse. —

Le dénouement. — Idée dominante de Luther. — Aveux ingénus. — Nouvelles recrues.—L'Empereur. — Espoir trompeur. Les villes. — Leur refus. — Conseil impérial. — Que doit-on répondre? — 'Débats animés. — L'encre rouge des Romains. —

Changement dans la majorité.—La réfutation et ses auteurs.—Différence entre Rouie et la Réforme. — Rome triomphe par l'État. — Désespoir de Mélanchton. — Voix pour la Réforme. — Une princesse chrétienne à Augsbourg. — Conférences évangéliques à la cour.—Des sermons protestants. —La pieuse chasseresse. — Chute de Mélanchton. —

Luther s'oppose à des concessions. — Le Légat se joue de Mélanchton. — Piège tendu par les ultramontains. — Doctrines d'école selon Mélanchton. — Réponse des Protestants

Les Catholiques-romains ne s'étaient attendus à rien de pareil. Au lieu d'une polémique haineuse, ils avaient entendu une confession éclatante de Jésus-Christ : aussi les adversaires les plus hostiles étaient-ils désarmés. « Nous ne voudrions pas pour beaucoup, disait-on de tous « côtés, n'avoir pas assisté à cette lecture [1] »

L'effet fut si prompt, que l'on crut un instant la cause définitivement gagnée [2]. Les évêques eux-mêmes imposaient silence aux sophismes et aux clameurs des Faber et des Eck « Tout ce que les Luthériens ont dit est vrai, s'écriait « l'évêque d'Augsbourg ; nous ne pouvons le nier [3]!... »

—« Eh bien, docteur ! dit à Eck le duc « de Bavière avec un ton de reproche, vous m'aviez donné une tout autre idée de cette doctrine et de cette affaire [4]. » C'était le cri universel; aussi les sophistes, comme on les appelait, étaient-ils fort embarrassés.

« Mais enfin, dit le duc de Bavière au docteur « Eck et à ses amis, pouvez-vous réfuter, avec de bonnes raisons, la confession faite par l'Électeur et ses alliés ? —

Avec les écrits des Apôtres et des Prophètes, non ... répondit Eck ; mais avec ceux des Pères et des Conciles, oui [5] »

— « Je comprends, reprit vivement le Duc, je comprends..... Les Luthériens, selon vous, sont dans « l'Écriture et nous, nous sommes à côté »

L'Archevêque Hermann, électeur de Cologne, le comte palatin Frédéric, le duc Éric de Brunswick-Lunebourg, le duc Henri de Mecklembourg, les ducs de Poméranie, étaient gagnés à la vérité, et Hermann chercha bientôt à l'établir dans son Électorat.

L'impression produite à l'étranger par la confession fut peut-être plus grande encore.

Charles en envoya des copies à toutes les cours; on la traduisit en français, en italien, même en espagnol et en portugais ; elle se répandit dans toute l'Europe, et ainsi s'accomplit ce qu'avait dit Luther : « Notre confession se frayera une voie dans 185

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle toutes les cours, elle parlera aux princes et aux rois, et le son en ira par toute la terre [6]'.

Elle détruisit les préjugés que l'on avait conçus, donna au monde une idée plus saine de la Réformation, et prépara les contrées les plus lointaines à recevoir les semailles de l'Évangile.[7]

Alors la voix de Luther commença de nouveau à se faire entendre. Il comprit que le moment était décisif, et se hâta de donner l'impulsion qui devait conquérir la liberté religieuse. Il demanda hardiment cette liberté aux princes catholiques-romains de la Diète. « Que chacun, leur dit-il, « soit libre de croire ce qu'il veut : contraindre à croire est une tâche qui dépasserait infiniment la puissance et de l'Empereur et du Pape [8]. » En même temps il agissait auprès des siens pour leur faire quitter Augsbourg. Jésus-Christ avait été hautement confessé.

Au lieu de cette longue série de discussions et de querelles qui allait se rattacher à cet acte courageux, Luther aurait voulu une rupture éclatante, dût-il même sceller de son sang le témoignage rendu à l'Évangile [9]. Un bûcher eût été, selon lui, la fin naturelle de cette tragédie : « Je vous renvoie de cette Diète au nom du Seigneur, écrivit-il à ses amis : maintenant à la maison, encore à la maison, toujours à la maison ! Plût à Dieu, « fussé-je le sacrifice immolé à ce nouveau concile, comme Jean Huss à Constance [10] ! » Mais Luther ne s'attendait pas à un si belle fin; il comparait la Diète à un drame : on avait eu d'abord l'exposition, puis le prologue, ensuite l'action ; on attendait maintenant le dénouement, tragique selon quelques-uns, mais qui, selon lui, ne serait que comique [11]. On sacrifiera tout, « pensait-il, à la paix politique, et les dogmes « seront mis de côté. » Cette marche, qui, encore de nos jours, serait aux yeux du monde la suprême sagesse, eût été aux yeux de Luther la suprême folie.

L'intervention de Charles était surtout ce qui l'épouvantait : soustraire l'Église à l'influence séculière, et les gouvernements à l'influence cale, était alors une des pensées dominantes du grand Réformateur.

« Vous voyez, écrivait-il « Mélanchton, que l'on oppose à notre cause le « même argument qu'à Worms, savoir, encore et « toujours..., le jugement de l'Empereur.

Ainsi « Satan fait sans cesse la même bévue, et cette force efféminée du pouvoir civil est la seule « puissance que cet Esprit aux mille artifices sache « trouver contre Jésus-Christ. » Mais Luther prenait courage et relevait fièrement la tête. «Christ «

vient, continue-t-il; il vient, placé à la droite-, « de qui?... non de l'Empereur, car nous serions « depuis longtemps perdus, mais de Dieu même, « Ne craignez rien : Christ est le Roi des rois et « le Seigneur des seigneurs; s'il perd ce titre à Augsbourg, il faut aussi qu'il le perde sur toute « la terre et dans tous les cieux.

[12]»

186

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Un chant de triomphe fut donc, de la part des confesseurs d'Augsbourg, le premier mouvement qui suivit cet acte courageux, unique sans doute dans les annales de l'Église. Quelques-uns de leurs adversaires s'y associèrent d'abord, et les antres se turent; toutefois une réaction s'opéra bientôt.

Le lendemain matin, Charles Quint s'étant levé, échauffé et fatigué par une longue insomnie, le premier de ses Ministres qui se présenta dans les appartements impériaux fut le Comte-Palatin, aussi embarrassé que son maître.

« Il nous faut céder quelque chose, dit-il à Charles; et je rappelle à Votre Majesté que l'empereur Maximilien voulait accorder les deux espèces dans la « Cène, le mariage des prêtres et la liberté quant aux jeûnes. »

Charles-Quint saisit cette proposition comme une planche de salut. Mais bientôt arrivèrent Granvelle et Campeggi, qui l'engagèrent à s'en abstenir. Rome, étourdie un instant par le coup de massue dont on l'avait frappée, se relevait avec énergie. «

Je reste avec la mère, s'écriait dans une assemblée l'évêque de Wurtzbourg, entendant par « là l'Église romaine, avec la mère, la mère !... »

— « Monseigneur, lui dit Brentz avec esprit, de « grâce, pour la mère, n'oubliez ni le Père, ni le « Fils ! »

— « EH bien, je vous l'accorde, répondait « à l'un de ses amis l'archevêque de Salzbourg; moi aussi, je voudrais la communion sous les a deux espèces, le mariage des prêtres, la réformation de la messe, la liberté quant à l'abstinence « des viandes, et aux autres traditions. Mais que ce « soit un moine, un pauvre moine qui prétende

« nous réformer tous, c'est là ce que l'on ne peut « tolérer' [13]. » « Je n'aurais pas d'objection, disait un autre évêque, à ce que le culte se célébrât partout comme à Wittemberg; mais que « ce soit d'un pareil trou que sorte cette nouvelle.

Mélanchton insistant auprès de l'archevêque de Salzbourg sur la nécessité de la réforme du clergé : « Eh ! Que voulez-vous donc « nous réformer? dit celui-ci brusquement : nous autres prêtres, nous n'avons jamais rien valu ! » C'est l'un des aveux les plus naïfs que la Réformation ait arrachés au clergé.

De jour en jour on voyait arriver à Augsbourg des moines fanatiques et des docteurs pleins de sophismes, qui s'efforçaient d'enflammer la haine de l'Empereur et des princes [14]. « Si nous avons « eu auparavant des amis, s'écriait Mélanchton le lendemain de la Confession, maintenant nous « n'en avons plus ; nous sommes ici seuls, abandonnés de tous, et nous débattant contre d'immenses périls [15]. »

Charles, poussé par ces partis contraires, affectait une grande indifférence; mais, sans laisser rien paraître, il cherchait cependant à connaître à fond cette affaire. «

Qu'il n'y manque pas un mot, » avait-il dit à son secrétaire en lui demandant une traduction française de la confession. « Il n'en laisse rien voir, se disaient les 187

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Protestants, convaincus que Charles était gagné; car si on le savait, les États d'Espagne seraient perdus pour lui. Gardons à cet égard le secret le plus profond

[16].

Mais les courtisans de l'Empereur, qui s'apercevaient de ces étranges espérances, souriaient et branlaient la tête. « Si vous avez de l'argent, dit à Jonas et à Mélanchton, Schepper, l'un des secrétaires d'État, il vous sera facile d'acheter des Italiens la religion qu'il vous plaira ; mais si votre bourse est vide, votre cause est perdue. » Puis, prenant un ton plus grave : « Il est impossible, dit-il, que l'Empereur, entouré comme il l'est d'évêques et de cardinaux, approuve une autre religion que celle du Pape. [17]»

On le vit bientôt. Le lendemain de la Confession, le dimanche 26 juin, avant l'heure du déjeuner [18], toutes les députations des villes impériales étaient réunies dans l'antichambre de l'Empereur. Charles, désireux de ramener l'unité les États de l'Empire, commençait par les plus faibles. « Quelques-unes des villes, dit le Comte-Palatin, n'ont pas adhéré aux décrets de la dernière diète de Spire : l'Empereur leur demande de s'y soumettre. »

Strasbourg, Nuremberg, Constance, Ulm, Reutlingen, Heilbronn, Memmingen, Lindau, Kempten, Windsheim, Isny et Weissenbourg, que l'on sommait ainsi de renoncer à la fameuse protestation, trouvaient le moment singulièrement choisi; elles demandèrent du temps.

La situation était compliquée; la discorde avait .été jetée au milieu des villes, et la cabale travaillait chaque jour à l'accroître [19]. Ce n'était pas seulement entre les villes papistes et les villes évangéliques qu'il y avait désaccord ; c'était encore entre les villes zwingliennes et les villes luthériennes; et même, parmi ces dernières, celles qui n'avaient pas adhéré à la Confession d'Augsbourg montraient beaucoup de mauvaise humeur aux députés de Reutlingen et de Nuremberg : la démarche de Charles-Quint était donc habilement calculée, car elle reposait sur cet antique axiome : « Divise et commande. »

Mais l'enthousiasme de la foi surmonta toutes ces ruses; et le lendemain, 27 juin les députés des villes remirent à l'Empereur une réponse, dans laquelle ils déclaraient ne pouvoir adhérer au recez de Spire « sans désobéir à Dieu, et « sans compromettre le salut de leurs âmes [20]. »

Charles, qui eût voulu tenir un juste milieu, plus encore par politique que par équité, chancelait entre tant de convictions contraires. Désireux néanmoins d'essayer son influence médiatrice, il convoqua les États fidèles à Rome le dimanche 6 juin, peu après sa conférence avec les villes.

Les princes étaient au grand complet; on vit même le légat du Pape et les théologiens romains les plus influents assister à ce conseil, au grand scandale des 188

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Protestants. « Que doit-on répondre « à la confession? Telle fut la question posée par Charles-Quint au sénat qui l'entourait '. [21]

Trois avis furent émis. « Gardons-nous, dirent « les hommes de la Papauté', de discuter les raisons de nos adversaires, et contentons-nous d'exécuter l'édit de Worms contre Luther et les princes, peuples et théologiens qui sont ses adhérents, en les contraignant par les armes [22]. « Soumettons la confession à l'examen de juges « impartiaux, dirent les hommes de l'Empire, et renvoyons la décision finale à l'Empereur. La lecture même de la confession n'est-elle pas un appel des Protestants à la puissance impériale ? « Qu'on leur donne le juge qu'ils demandent!...»

D'autres enfin (c'étaient les hommes de la tradition et de la doctrine ecclésiastique) voulaient charger quelques docteurs de composer une réfutation qui serait lue aux États protestants et ratifiée par Charles.

Les débats furent fort animés ; les doux et les violents, les politiques et les fanatiques, se posèrent nettement dans l'assemblée. George de Saxe et Joachim de Brandebourg se montrèrent les plus passionnés, et dépassèrent même à cet égard les princes ecclésiastiques. « Un certain rustre, que vous connaissez bien, les pousse

« tous par derrière, écrit Mélanchton à Luther ; « et certains théologiens hypocrites tiennent le « flambeau et mènent toute la bande. » Ce rustre était sans doute le duc George. Les princes de Bavière eux-mêmes, que la confession avait d'abord ébranlés, se rallièrent aussitôt aux chefs du parti romain. L'électeur de Mayence, l'évêque d'Augsbourg, le duc de Brunswick, se montrèrent les moins défavorables à la cause évangélique. « Je ne puis nullement conseiller à Sa Majesté d'employer la force, disait Albert.

Si Sa Majesté contraignait les consciences et venait « ensuite à quitter l'Empire, les premières victimes seraient les prêtres; et qui sait si, au milieu de ces désordres, les Turcs ne fondraient « pas inopinément sur nous? » Mais cette sagesse un peu intéressée de l'archevêque ne trouvait pas de nombreux échos; et les hommes de fer se lançaient aussitôt dans la discussion, avec leur parole cassante. « Si l'on se bat contre les Luthériens, dit le comte Félix de Werdenberg, j'offre gratuitement mon épée, et je jure de ne pas la remettre dans le fourreau qu'elle n'ait renversé le château fort de Luther. »

Ce seigneur mourut, peu de jours après, des suites de son intempérance. Les modérés intervenaient de nouveau.

«Les Luthériens n'attaquent aucun article « de la foi, disait l'évêque d'Augsbourg ; accordons-nous avec eux, et cédons-leur, pour obtenir la paix, l'usage des deux espèces et le mariage des prêtres; si cela était nécessaire, je céderais même 189

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle davantage. » Là-dessus de grands cris : « Il est Luthérien, s'écriait-on, et nous verrons qu'il est tout prêt à sacrifier jusqu'aux « messes privées. [23]»

—« Les messes! il ne faut pas y « penser, disaient quelques-uns avec un ironique «

sourire : Rome ne les abandonnera jamais ; car « ce sont elles qui soutiennent ses cardinaux, ses « courtisans, leur luxe et leurs cuisines» L'archevêque de Salzbourg et l'électeur de Brandebourg répondirent surtout avec une grande violence à la motion de l'évêque d'Augsbourg.

« Les Luthériens, dirent-ils brusquement, nous ont remis une confession écrite avec de l'encre noire sur- du papier blanc. Eh bien ! si nous étions l'Empereur, nous leurs répondrions avec de l'encre rouge [24]...» —« Messieurs, répliqua via veinent l'évêque d'Augsbourg, prenez garde que les lettres rouges ne vous sautent aux yeux.... » L'électeur de Mayence dut intervenir, et calmer les interlocuteurs.

L'Empereur, désireux de jouer le rôle d'arbitre, eût voulu que le parti romain déposât du moins entre ses mains un acte-d ‘accusation contre la Réforme.

Mais la majorité, devenue toujours plus compacte depuis la diète de Spire, ne marchait plus avec Charles. Pleine du, sentiment de sa force, elle refusa de se constituer en parti, et de prendre l'Empereur pour juge. « Que parlez-vous, dit-elle, de diversité entre des membres de l'Empire? Il n'y a qu'un parti légitime. Il s'agit, non de décider entre deux opinions dont le tes droits sont égaux, mais de réprimer des rebelles, et de prêter main-forte à ceux qui sont de demeurés fidèles à la constitution de l'Empire. [25] »

Ce langage superbe éclaira Charles; il vit qu'il 'était dépassé, et qu'abandonnant sa haute position d'arbitre, il devait se résigner à n'être que l'exécuteur des ordres de la majorité. Ce fut cette majorité seule qui dès lors commanda dans Augsbourg : on exclut les conseillers impériaux qui émettaient des avis plus équitables, et l'archevêque de Mayence lui-même cessa de paraître en diète La majorité ordonna, avant tout, une réfutation de la doctrine évangélique par des théologiens romains. Si l'on avait appelé pour cela des hommes modérés, tels que l'évêque d'Augsbourg, la Réformation eût encore eu quelques chances de faire prévaloir les grands principes du christianisme ; mais ce fut aux ennemis mêmes de la Réforme, aux vieux champions de Rome et d'Aristote, aigris par tant de défaites, que l'on résolut de remettre cet examen.

Ils étaient nombreux à Augsbourg, et n'y jouissaient pas d'une grande estime. « Les princes, disait Jonas, ont amené avec eux leurs savants, et quelques-uns même leurs sots et leurs %noranis'. [26]» Le prévôt Faber et le docteur Eck marchaient à leur tête, et derrière eux se rangeait une cohorte de moines, surtout de Dominicains, suppôts de l'Inquisition, et impatients de se dédommager des opprobres qu'ils avaient si longtemps endurés. Il y avait le provincial des Dominicains, Paul Hugo, 190

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle leur vicaire Jean Bourkard, un de leurs prieurs, Conrad Koelein, qui avait écrit contre le mariage de Luther, puis des Chartreux, des Augustins, des Franciscains, et les vicaires de plusieurs évêques. Tels furent les hommes, au nombre de vingt, qui furent chargés de réfuter Mélanchton.

On pouvait à l'avance augurer de l'œuvre d'après les ouvriers : chacun comprit qu'il s'agissait, non de réfuter la confession, mais de la honnir. Campeggi, qui insinua sans doute à Charles cette liste néfaste, savait bien que ces docteurs étaient incapables de se mesurer avec Mélanchton ; mais leurs noms étaient un drapeau aux couleurs les plus tranchées de la Papauté, et annonçaient clairement et immédiatement au monde ce que la Diète se proposait de faire : c'était l'essentiel.

Rome ne voulait pas laisser à la chrétienté—même l'espérance.

Cependant, il s'agissait de savoir si la Diète, et l'Empereur qui en était l'organe, avaient le droit de prononcer dans ces matières toutes religieuses. Charles posa la question tant aux Évangéliques qu'aux Romains [27].

« Votre Altesse, répliqua Luther, consulté par « l'Électeur, peut répondre en toute assurance : « Eh bien oui, si l'Empereur le veut, qu'il soit « juge! Je supporterai tout de sa part; mais qu'il « ne décide rien contre la parole de Dieu. Votre « Altesse ne peut mettre l'Empereur au-dessus de « Dieu même [28]. Le premier commandement ne « dit-il pas : Tu n'auras point d'autre Dieu devant ma face? »

La réponse des adhérents du Pape fut, dans le sens contraire, tout aussi positive. «

Nous pensons, dirent-ils, que Sa Majesté, d'accord avec les Électeurs, Princes et États de l'Empire, a le droit de procéder en cette affaire, en tant qu'Empereur romain, tuteur, avocat et souverain protecteur de l'Église et de notre très-sainte foi

[29]. » Ainsi, dès les premiers jours de la Réformation, l'Église évangélique se rangea sous la couronne de Jésus-Christ, et l'Église Romaine sous le sceptre des rois.

Des hommes éclairés, même parmi les Protestants, ont méconnu cette nature opposée du Protestantisme et du Papisme.

La philosophie d'Aristote et la hiérarchie de Rome, grâce à cette alliance avec le pouvoir ci. vil, allaient enfin voir arriver le jour si longtemps attendu de leur triomphe. Tant qu'on avait abandonné les scholastiques à la force de leurs syllogismes et de leurs injures, ils avaient été battus; mais maintenant Charles-Quint et la Diète leur tendaient la main; les raisonnements de Faber, d'Eck et de Wimpina allaient être parafés par les chanceliers germaniques, et munis des grands sceaux de l'Empire. Qui pourrait leur résister ? L'erreur romaine reçoit surtout sa force de son union avec le bras séculier, et ses victoires dans l'ancien et le nouveau monde sont dues, de nos jours encore, au patronage de l'État Ces choses n'échappèrent point à l'œil clairvoyant de Luther. Il reconnut à la fois la faiblesse des arguments des docteurs papistes et la puissance du bras de Charles. «

191

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Vous attendez la réponse de vos adversaires, écrivait-il à ses amis d’Augsbourg ; elle est déjà toute faite, et la voici : Les Pères, les Pères, les Pères; l'Église, l'Église; les usages, la coutume; mais de l'Écriture.... rien [31] ! Puis l'Empereur, appuyé du témoignage de ces arbitres, prononcer contre vous [32]; et alors vous entendrez de toutes parts des forfanteries qui monteront jusqu'au Ciel, et des menaces qui descendront jusqu'aux Enfers. »

Ainsi changeait la situation de la Réforme. Charles était obligé de reconnaître son impuissance, et, pour sauver les apparences de son pouvoir, il se rangeait décidément avec les ennemis de Luther. L'impartialité de l'Empereur faisait défaut; État se tournait contre l'Évangile, et, pour sauveur, il ne lui restait que Dieu.

Il y eut d'abord chez plusieurs un grand abattement ; Mélanchton surtout, qui voyait de plus près les cabales des adversaires, épuisé d'ailleurs par ses veilles, tombait presque dans le désespoir [33]. « En présence de ces haines formidables »

s'écriait-il, je ne vois plus de sujet d'espérance [34].... » Et puis pourtant il ajoutait :

« Sauf le secours de Dieu. »

En effet, le Légat faisait jouer toutes ses batteries. Déjà Charles avait fait demander plusieurs fois l'Électeur et le Landgrave, et avait tout mis en œuvre pour les détacher de la Confession évangélique [35].

Mélanchton, inquiet de ces colloques Secrets, réduisit la Confession à son minimum, et engagea l'Électeur à demander seulement les deux espèces dans la Cène et le mariage des prêtres. « Interdire le premier de ces points, dit—il ce serait écarter de la communion un grand nombre de chrétiens; et interdire le second, ce serait priver l'Église de tous les pasteurs capables de l'édifier. Veut-on perdre la religion et allumer la guerre civile, plutôt que d'apporter à ces constitutions purement ecclésiastiques un adoucissement qui n'est contraire ni aux bonnes mœurs ni à la foi'[36] ?... » Les princes protestants invitèrent Mélanchton à se rendre lui-même auprès du Légat, pour lui faire ces propositions à Mélanchton, qui s'y décida, commençait à se flatter du succès.

En effet, on voyait, même parmi les Papistes, des hommes favorables à la Réformation. Il était arrivé récemment à Augsbourg, de par-delà' les Alpes [37], certaines propositions assez luthériennes [38]; et l'un des confesseurs de l'Empereur professait hautement la justification par la foi, maudissant ces ânes d'Allemands, qui ne cessaient, disait-il, de braire contre cette vérité [39]. »

Un chapelain de Charles approuvait même toute la Confession. Il y avait plus encore : Charles-Quint ayant consulté les Grands d'Espagne, connus pour leur orthodoxie : « Si les opinions des Protestants sont contraires aux articles de la foi, avaient-ils répondu, que Votre Majesté emploie toute sa puissance pour détruire cette faction : mais s'il ne s'agit que de quelques changements dans des ordonnances 192

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle humaines et des usages extérieurs, qu'elle se garde de toute violence [40]. » —

Réponse admirable ! s'écriait Mélanchton, qui se persuadait que la doctrine romaine était au fond d'accord avec l'Évangile.

La Réformation trouvait même plus haut des défenseurs. Dans l'une des demeures impériales d'Augsbourg, Marie, sœur de Charles-Quint et veuve du roi Louis de Hongrie, recevait souvent Mélanchton, Spalatin et d'autres amis de l'Évangile, et conversait familièrement avec eux. Cette princesse était encore très-jeune, et demeurait chez son grand-père Maximilien, quand elle avait commencé à lire et à comprendre les premiers écrits de Luther. En 1526, le roi Louis étant mort sur le champ de bataille de Mohács, le Réformateur écrivit à la jeune veuve une lettre de condoléance. « Que Votre Majesté cherche sa consolation auprès du véritable époux, qui est Jésus-Christ'[41], » lui disait-il. Et il joignait à son épître une touchante exposition des psaumes les plus consolants [42].

En même temps, Érasme composait pour cette princesse son Traité de la Meuve chrétienne, et le lui dédiait [43]. Dès lors la jeune veuve se tourna tout à fait vers la parole de Dieu. Elle n'avait point d'enfant, pour lui rappeler son mari et lui adoucir sa douleur k. Sa chambre à coucher devint son oratoire, selon une expression d'Érasme [44], et elle chercha par son exemple à conduire dans la voie de la piété tous ceux qui l'entouraient.

Trois jours après la lecture de la Confession, Marie était arrivée à Augsbourg, ayant avec elle la reine de Bohême, femme de Ferdinand, et son fidèle chapelain Jean Henkel, qui, d'accord avec Simon Grynéus et Vite Wintsheim, prêchait depuis quelque temps la parole de Dieu dans la capitale de la Hongrie. Obligée de se contraindre avec ses frères, Marie goûtait une indicible joie dans les conférences évangéliques qu'elle avait avec Henkel, Spalatin et Mélanchton [45]. Ils admiraient sa simplicité, sa cordialité, et étaient étonnés de trouver en elle une sœur. Ses lumières ne les surprenaient pas moins que sa piété ; car elle comprenait et lisait habituellement cinq langues, l'allemand, le français, l'italien, le bohème et le latin

« De nos jours, disaient-ils, le monde est « renversé ; nous avons des moines ignorants et des femmes éclairées. » Marie ne se contentait pas de ces conversations, et, faisant ce qu'on avait défendu à l'Électeur de Saxe et au Landgrave, elle voulait que chaque dimanche on célébrât le culte évangélique dans ses appartements.

Recueillie, et avide de la parole de Dieu, elle tenait en main la Bible latine, qui ne la quittait jamais, et y cherchait les passages cités par le prédicateur; puis, après le service, elle les examinait de nouveau avec soin.

Charles et Ferdinand, informés par les évêques de ces habitudes étranges, s'en plaignaient quelquefois à leur sœur; mais elle profitait, pour se défendre, de la grande affection que l'Empereur lui portait. Elle allait même plus loin; elle suppliait ce prince de ne pas se laisser séduire par les prêtres, comme son malheureux époux; 193

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle et, justifiant les Protestants des calomnies dont on les poursuivait, elle s'efforçait de retenir la main menaçante de Charles. Mélanchton écrivait à Luther, le 10 juillet : «

La sœur de l'Empereur, femme d'un génie héroïque, et distinguée surtout par sa piété et sa modestie, s'efforce d'apaiser son frère envers nous ; mais elle est obligée de le faire avec timidité et avec retenue [47]. »

Charles-Quint, qui ne pouvait se résoudre à tolérer la Réformation et ses ministres, fermait pourtant les yeux sur les sermons clandestins de sa sœur.

Ce n'était pas seulement dans ses appartements que Marie lisait la Bible. Elle aimait la nature, l'exercice, les bois épais, l'air libre, et la voûte des cieux. Souvent elle allait à 'la chasse, soit avec la cour, soit seule avec sa suite ; et on la voyait passer dans les forêts des journées entières. Quand la fatigue commençait à l'accabler, elle rompait la chasse, descendait de cheval, faisait taire les fanfares, éloignait ses chiens et son équipage, s'asseyait seule sous un arbre, y lisait en paix l'histoire du Seigneur, et oubliait ainsi Augsbourg, les princes, les prêtres et toutes les pompes de la cour I. Aussi l'appelait-on la pieuse chasseresse; les portraits qu'on a conservés d'elle la représentent en habit de chasse. Marguerite étant morte en décembre 1530, Charles-Quint nomma sa sœur Marie gouvernante des Pays-Bas.

Mélanchton, encouragé par ces démonstrations, et en même temps effrayé par les menaces de guerre que les adversaires ne cessaient de proférer, crut devoir acheter la paix à tout prix, et résolut, en conséquence, de descendre dans ses propositions aussi bas que possible.

Il demanda, le 6 juillet, au Légat une entrevue, en lui écrivant une lettre dont on a eu tort de mettre en doute l'authenticité [48]. Le cœur manque au champion de la Réforme ; la tête lui tourne; il chancelle, il tombe, — et dans sa chute il court risque d'entraîner avec lui la cause que des-martyrs ont déjà arrosée de leur sang. Voici ce que dit le représentant de la Réformation au représentant de la Papauté : « Il n'est aucun dogme sur lequel nous différions de l'Église romaine [49] : nous révérons l'autorité universelle du Pontife romain, et nous sommes prêts à lui obéir, pourvu qu'il ne nous rejette pas, et que, selon la clémence dont il a coutume d'user envers toutes les nations, il veuille bien ignorer ou approuver quelques petites choses qu'il ne nous est plus possible de changer. Maintenant donc, repousserez-vous ceux qui paraissent en suppliants devant vous ? Les poursuivrez-vous avec le fer et le feu ?...

Ah ! Rien ne nous attire tant de haine en Allemagne, comme notre inébranlable fermeté à soutenir les dogmes de l'Église Romaine [50].

Mais, avec l'aide de Dieu, nous demeurerons fidèles au Christ et à l'Église Romaine, quand même vous nous repousseriez. » Ainsi s'humilia Mélanchton. Dieu permit cette chute, afin que les siècles futurs pussent voir jusqu'où la Réforme était prête à descendre pour maintenir l'unité, et que nul ne pût douter que le schisme était venu de Rome ; mais aussi, sans doute, afin de manifester encore une fois dans le monde 194

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle quelle est dans les œuvres les plus glorieuses la faiblesse des plus nobles instruments.

Heureusement, il y avait un autre homme qui soutenait l'honneur de la Réformation. Au même moment, Luther écrivait à Mélanchton : « On ne peut mettre Christ et Bélial d'accord. Pour « ce qui me regarde, je ne céderai pas un cheveu '.

Plutôt que de céder, j'aime mieux tout « souffris, et même les maux les plus terribles.

« Cédez d'autant moins que vos adversaires demandent davantage._ Dieu ne nous aidera pas, « que nous ne soyons abandonnés de tous [51]. Et, craignant quelque faiblesse de la part de ses amis [52]: « Si ce n'était pas tenter Dieu, il y a longtemps que vous m'auriez vu près de vous [53]. »

La présence de Luther n'eût en effet jamais été plus nécessaire; car le Légat avait consenti à une entrevue, et Mélanchton allait faire sa cour à Campeggi [54].

C'était le 8 juillet, jour fixé par le Légat pour recevoir Mélanchton. Celui-ci était plein d'espérance. « Le Cardinal m'assure qu'il peut accorder

« L'usage des deux espèces et le mariage des prêtres, disait-il. Je me hâte de me rendre vers « lui [55].... »

Cette visite pouvait décider des destinées de l'Église. Si le Légat acceptait l'ultimatum de Philippe, les contrées évangéliques étaient replacées sous la puissance des évêques romains, et c'en était fait de la Réformation; mais l'orgueil et l'aveuglement de Rome la sauvèrent. Les Papistes, la croyant sur le bord de l'abîme, pensèrent qu'un dernier coup ferait sa ruine, et se décidèrent, comme Luther, à ne rien céder, pas même un cheveu. [56]»

Toutefois le Légat, en refusant, se donna un air de bienveillance, et parut obéir à des influences étrangères. « J'aurais bien le pouvoir de faire certaines concessions, dit-il, « mais il ne serait pas prudent d'en user sans « l'aveu des princes allemands : leur volonté doit s'accomplir; l'un d'eux surtout conjure l'Empereur d'empêcher que l'on vous cède la moindre chose : je ne puis rien accorder. » Puis le Prince romain, avec le plus aimable sourire, fit tout ce qu'il put pour gagner le chef des docteurs chrétiens. Mélanchton sortit, honteux des avances qu'il avait faites, mais se trompant encore sur Campeggi. « Sans cloute, dit-il, Eck et Cochlée « m'ont devancé chez le Légat [57].

Luther ne pensait pas de même : « Je ne me fie à aucun de « ces Italiens, disait-il ; ce sont des coquins. « Quand l'Italien est bon, il est très-bon ; mais « alors c'est un prodige, c'est un cygne noir'. [58]»

C'étaient bien, en effet, les Italiens qui frappaient la Réforme. Peu de jours après, le 12 juillet, arrivèrent les instructions du Pape. Il avait reçu la Confession par 195

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle estafette, et seize jours avaient suffi pour l'allée, la délibération et le retour.

Clément ne voulait entendre parler ni de discussion ni de concile. Charles-Quint devait marcher droit au but, faire entrer une armée en Allemagne, et puis étouffer la Réformation par la force. Toutefois, on crut à Augsbourg ne pas devoir agir si précipitamment, et l'on eut recours à d'autres moyens. [59] avoir tout dit, ils seront par là même obligés « d'admettre tout ce qu'ils n'ont pas condamné. » Ou assembla donc les princes protestants, et on leur demanda si la Réformation se bornait aux doctrines indiquées dans l'Apologie, ou s'il y avait encore autre chose.

Le piégé était adroitement tendu. La Papauté n'avait pas même été nommée dans l'écrit de Mélanchton ; d'autres erreurs encore y avaient été omises, et Luther lui-même s'en plaignait hautement. « Satan s'aperçoit bien, disait-il, que votre Apologie a passé d'un pied léger sur les articles du purgatoire, du culte des saints, et surtout du Pape et de l'Antéchrist. » Les princes demandèrent à conférer avec leurs alliés des villes ; et tous les Protestants se réunirent pour délibérer sur ce grave incident.

ON attendait l'explication de Mélanchton, qui ne déclina point la responsabilité de la chose. Aisément abattu par les fantômes de son imagination, il se redressait avec hardiesse quand on l'attaquait en face. « Toutes les doctrines essentielles, dit-il, ont été exposées dans la Confession, et toutes les erreurs et les abus y ont « été signalés.

Mais fallait-il se jeter dans toutes « ces questions, pleines de contestation et d'animosité, que l'on discute dans nos académies ? « Fallait-il demander si tous les chrétiens sont « prêtres, si la primauté du Pape est de droit divin, s'il peut y avoir des indulgences, si toute bonne œuvre est un péché mortel, s'il y a plus de sept sacrements, si un laïque peut les administrer, si l'élection divine a quelques fondements dans nos propres mérites, si la consécration sacerdotale imprime un caractère indélébile, si la confession auriculaire est nécessaire « au salut ?... Non, non ! Toutes ces choses sont « du ressort de l'école, et nullement essentielles « à la fois [60] »

On ne peut nier qu'il y eût dans les questions signalées ainsi par Mélanchton des points importants. Quoi qu'il en soit, les Protestants tombèrent facilement d'accord, et le lendemain ils présentèrent aux ministres de Charles une réponse conçue avec autant de franchise que de fermeté, où ils disaient « que, désireux de suivre la vérité avec la charité, ils n'avaient pas voulu compliquer la situation, et s'étaient proposé, non de spécifier toutes les erreurs qui s'étaient introduites dans l'Église, mais de confesser toutes les doctrines qui étaient essentielles au salut; que si néanmoins la partie adverse se sentait pressée de soutenir certains abus ou de mettre en avant quelque point non mentionné dans la Confession, les Protestants se déclaraient prêts à leur répondre, conformément à la parole de Dieu'. [61]» Le ton de cette réponse montrait assez que les chrétiens évangéliques ne craignaient pas de suivre 196

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle leurs adversaires partout où ceux-ci les appelleraient. Aussi le parti romain ne dit-il plus mot sur cette affaire.

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FOOTNOTES

[1] Brücks Geschichte der Handl. in den Sachen des Glau-bens zu Augsburg. (In Fiirstemanns Arch., p. 5o.)

[2] Multi episcopi ad pacem sunt inclinati. (L. Epp., IV, p. 70.)

[3] Illa quœ recitata sunt, vera sunt, sunt pura veritas; non possumus inficiari. (C.

R., II, p. 154.)

[4] So hab man lm var nicht gesagt. (Mathes., Hist., p. 99.)

[5] Mit Propheten und Aposteln Schrifften nicht. (Ibid.)

[6] Cœur sibi fecit nostram confessionem reddi italica et gallica lingua. (C. R., II, p.

1155.) La traduction française se trouve dans Forstemanns Urkunden, I, p. 357 : Articles principaulx de la foi.

[7] Perrumpet in omnes aulas principum et regum (L. Epp., IV, p. 96.)

[8] Épître à l'Électeur de Mayence. (L. Epp., IV, p. 74.)

[9] Igitur absolvo vos in nomine Domini ab isto conventu. ( Ibid., p. 96.)

[10] Vellem ego sacrificium esse hujus novissimi Johannes Huss Constantiœ....

(Ibid., p. i!o.)

[11] Sed catastrophen illi tragicam, nos comicam, expectemus. (Ibid. p. 85.)

[12] Sic Satan chorda semper oberrat eadem, et mille-artifex die Ibiefb hiibtet cornes Christians, Risi muon d'ad ()limbe rohur. (Ibid., p. zoo.)

[13] Aus dem Loch und Winckel. (L. Opp., XX, p. 307.)

[14] Quotidie confluunt hue sophistœ ac monachi. (C. R., H, p. 141.)

[15] Nos hic soli ac deserti. (Ibid.)

[16] Das alles wolle E. W. im besten Geheim halten. (Ibid., p. 154.)

[17] Nos, si pecuniam haberemus, facile religionem quam voemus emturos ab Italis.

(Ibid. p. 156.)

[18] Heute, vor dem Morgenessau. (Ibid. p. 43.)

[19] Es sied unter uns Sedten, viel Practica und eeltsatnes Wesens. (C. R., II, p. 150

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Histoire de la Réformation du Seizième Siècle

[20] Ohne Verletsung der Gewissen gegen Gatti. (F. Urkun-den, II, p. 6.)

[21] Adversarii nostri jam deliberant, quid velint respondere. (C. R., II, 26 juin.)

[22] Rem agendam esse vi, non audiendam causam. (Ibid., p. ;54.)

[23] Cardinel,Churtusauen, Pracht und Kiichen. (Briick Apol., p. 63.)

[24] Wir woliteu antvorten mit einer Schrift mit Rubricken geschrieben. (C. R., II, p.

147.)

[25] Non venit in senatum. (Ibid., p. 175.)

[26] Quidam etiam suos ineruditos et ineptos. (C. R., p. 104.)

[27] Voir le document tiré des Archives de Bavière. (F. Ur-kundenbuch, II, p. 9.)

[28] Künnen den Kaiser nicht über Gott setzen. (L. Epp., IV, p. 83.)

[29] Rômischen Kaiser, Vogt, Advocaten und Obristen Be-schirmer der Kirken. (F.

Urkundenbucb, II, p. 10.)

[30] À 0-taiti, par exemple.

[31] Patres, Patres, Patres ; — Ecclesia, Ecclesia; — usus, consuetudo ; praterea e Scriptura, nihil. (L. Epp., IV, p. 96.)

[32] Prouuutiabit Canar contra vos. (Ibid.)

[33] Quadam tristitia et quasi desperatione vexatur. (C. 8, II, p. 163.)

[34] Quid nobis sit sperandum in talais odiis inimicorum? (lb. p. i45.)

[35] Legati Norinberg. ad senatum. (Ibid. p. 161).

[36] Mélanchton ad Duc. Sax. Elect. (Ibid., p. 162.)

[37] Principes nostri miserunt nos ad R. D. V. (Ibid, p. 170

[38] Pervenerunt ad nos propositiones quœdam Italicœ, satis lutheranœ. (Ibid., p.

163.)

[39] Istis Germanis asinis, nobis in hac parte obgannientibus. (Ibid.)

[40] Hispanici proceres prœclare et sapienter responderunt Cœsari. (Ibid., p. 179.)

[41] Sicli trasten des recliten Briiutigams. ( L. Opp., V, p. 6o6.)

[42] Ps. 37, 62, 94 et 109

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[43] Restabat ultimum doloris levamen, si quis parvulus aula luderet .Eneas; et hoc solatii genus Maria tibi fatorum iniquitas invidit. (Ad Mariam, de Pidua christiana.

Erasmi Opp., V, p. 725.)

[44] Viduœ cubiculum nihil aliud quam oratorium esse debet. (Ibid., p. 739.)

[45] Wo Maria, Renkel, Mélanchton und Spalatin, iifters Re-ligionsgesprœche hielten. ( Je trouve cette citation dans des manuscrits hongrois qui m'ont été communiqués.)

[46] In Augsburg liess Maria immer einen evangelischen Gottesdienst mit Predigt halten. (Manuscrit hongrois.)

[47] H d8Elcieh enoxpci.copoç, mulier vere heroico ingenio, prœcipua pietate et modestia, studet nabis placare fratrem..... (C. Ref., II, p. 178.)

[48] Voir C. R., Il, p. 168.

[49] Dogma nullum habemus divers= ab Ecclesia Romana. (Ibid., p. 17o.)

[50] Quam quia Ecclesiœ Romane dogmata, summa constantia defendimus.

[51] At certe pro mea persona, ne pilum quidem cedam (L. Epp., IV, p. 88.)

[52] Neque enim juvabimur, ni deserti prius simus. (Ibid., p. 91.)

[53] Certe jamdudum coram vidissetis me. (Ibid., p. 98.)

[54] Ego multos prehensare soleo, et Campegium etiam. (C. R., P. 193.)

[55] Propero enim ad Campegium. (C. R., II, p. 174.)

[56] Se nihil posse dccernere, nisi de voluntate principum Germaniae. (Ibid.)

[57] Forte ad Legatum veniebant Eccius et Cochlœus. (Ibid., p. z75.)

[58] Verum hoc inonstrum est, nigroque simillimum cygno. (L.Epp., IV, p. 11o.)

[59] Nostra Confessio ad Romam per veredarios missa est. (Ibid., p. 186 et 219. )

[60] Mélanchtonis Judicium. (C. R., II, p. 182.)

[61] Ans Gottes Wort weiter Bericht zu thun. (F. Urkunden-buch, II, p. 19.) 199

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle CHAPITRE IX.

Réfutation. — Charles la rejette. — Entrevue avec les princes protestants. — Les Suisses. — La tétrapolitaine. — Confession de Zwingle — Divisions. — Exclusion de l'Électeur. Le choix de l'Électeur. Sa réponse. Nouvelle réfutation. — Vue concession. —

L'Écriture et la hiérarchie. Ordre de Charles. — Mélanchton et le nonce. — Résolution de l'Empereur. La réfutation offerte et refusée. — Nouvelle période. — la Violence.. —

Le consistoire. — Recours à Dieu, — Deux miracles. —Jean le Persévérant et les princes. — Essais de séduction. — Pantomime. — Les spectres. La nuit du 6 août.

La commission, chargée de réfuter la Confession, s'assemblait deux fois par jour [1] ', et chacun des théologiens qui la composaient y apportait ses réfutations et ses haines.

Le 13 juillet, l'ouvrage étant achevé, Eck, avec sa bande, » dit Mélanchton, le remit à l'Empereur. Quel fut l'étonnement de ce prince, en voyant un écrit de deux cent quatre-vingts pages rempli d'injures 31 «Les mauvais charpentiers perdent beaucoup de bois, dit Luther, et les écrivains impies salissent beaucoup de papier.

[2]» Ce n'était pas tout : on avait joint à la réfutation huit appendices sur les hérésies que Mélanchton avait dissimulées, disait-on, et l'on y exposait les contradictions et « les horribles sectes » que le luthéranisme avait enfantées. Enfin, ne se bornant pas à cette réponse officielle les théologiens romains, qui voyaient luire sur eux le soleil du pouvoir, remplissaient Augsbourg de pamphlets outrageux.

[3]

Il n'y eut qu'un sentiment sur la réfutation papiste: on la trouva confisse, violente, avide de sang [4]'. Charles-Quint avait trop de goût pour rie pas sentir la différence qu'il y avait entre le ton grossier de cet écrit et la noble dignité de la Confession de Mélanchton. Il roula, mania, froissa, endommagea tellement les nombreuses feuilles de ses docteurs, que, quand il les leur rendit deux jours après, il n'y en avait plus que douze qui fussent restées entières, dit Spalatin. Charles aurait eu honte de faire lire en diète un tel mémoire, et demanda, en conséquence, une nouvelle rédaction, plus courte et plus modérée [5]. Cela n'était pas facile; car les adversaires, confus et stupéfaits, dit Brentz, de la noble simplicité de la Confession évangélique, ne savaient ni par où commencer ni par où finir ; aussi mirent-ils près de trois semaines à refaire leur travail [6].

Charles et ses ministres doutaient fort de la réussite; c'est pourquoi, laissant pour le moment les théologiens, on imagina une autre manœuvre. « Prenons à partie chacun des princes protestants, se dit-on; isolés, ils ne résisteront pas. » En conséquence, le 15 juillet, le margrave de Brandebourg vit arriver chez lui ses deux cousins, les électeurs de Mayence et de Brandebourg, et ses deux frères, les margraves Frédéric et Jean-Albert.

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« Abandonnez cette nouvelle foi, lui dirent-ils, et revenez à celle qui existait il y a un siècle. Si vous le faites, il n'y a pas de faveurs que vous ne deviez attendre de l'Empereur; sinon, redoutez sa colère [7]. »

Le 16 juillet, le duc Frédéric de Bavière, le comte de Nassau, les sieurs de Regensdorf et de Truchsess, se firent annoncer chez l'électeur de Saxe, de la part de Charles. « Vous avez sollicité de l'Empereur, lui dirent-ils, de confirmer le mariage de votre fils avec la princesse de Juliers, et de vous conférer l'investiture de la dignité électorale ; mais Sa Majesté vous déclare que si vous ne renoncez pas à l'hérésie de Luther, dont vous êtes le principal fauteur, elle ne vous accordera point vos demandes. [8]»

En même temps, le duc de Bavière, recourant aux instances les plus pressantes, accompagnées des gestes les plus animés a et des menaces les plus sinistres [9], somma l'Électeur d'abandonner sa foi. « On assure, ajoutèrent les envoyés de Charles, que « vous avez fait alliance avec les Suisses. L'Empereur ne peut le croire, mais il vous ordonne « de lui faire connaître la vérité. » Les Suisses ! C’était dire la révolte. Cette alliance était le fantôme qu'on invoquait sans cesse à Augsbourg, pour' épouvanter Charles-Quint. Et en effet, déjà des députés ou du moins des amis des Suisses, paraissaient à Augsbourg et rendaient ainsi la position toujours plus grave.

Bucer était arrivé deux jours avant la confession, et Capiton le jour qui l'avait suivie

[10]' ; il était même question que Zwingle se joignit à eux [11]. Tout Augsbourg, sauf les députés strasbourgeois avait ignoré la présence de ces docteurs [12]. Ce ne fut que vingt et un jours après leur arrivée que Mélanchton l'apprit [13] définitivement, tant était grand le mystère dont les Zwingliens devaient s'entourer. Ce n'était pas sans raison : une conférence ayant été demandée par eux à Mélanchton: « Qu'ils écrivent, répondit-il; je compromettrais notre cause en m'abouchant avec « eux. »

Bucer et Capiton, dans leur retraite, avaient mis leur temps à profit pour composer la Confession tétrapolitaine ou des quatre villes. Les députés de Strasbourg, de Constance, de Memmingen et de Lindau la présentèrent à l'Empereur Ces villes s'y purgeaient du reproche de felmerre et de révolte qu'on leur faisait souvent ; elles déclaraient que leur seul motif était la gloire «et Christ, et professaient la vérité « librement, "[14] courageusement, mais sans insolence et sans R moquerie [15]. » Zwingle fit parvenir en même temps à Charles- 4"uint une confession particulière '[16], qui excita unie rumeur universelle. « N'ose-t-il pas y dire, « s'écriaient les Romains, que l'espèce mitrée et échalassée ( par où il entend les évêques) est « dans l'Église ce que les bosses et les écrouelles « sont dans le corps

[17]! » « N'insinue-t-il pas, disaient les Luthériens, que nous commençons à «

regarder en arrière, après les oignons et les « aulx de l'Égypte ! » « On dirait tout simplement qu'il a perdu la tête, s'écriait Mélanchton [18]. Toutes les cérémonies, 201

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle selon lui, doivent « être abolies; tous les évêques doivent être supprimés : en un mot, le tout est parfaitement « helvétisme, c'est-à-dire, souverainement barbare.»

Un seul homme fit exception dans ce concert de reproches, et ce fut Luther. «

Zwingle me plaît « assez, ainsi que Bucer, » écrivit-il à Jonas. Par Bucer, il entendait sans doute la Confession tétrapolitaine. Cette parole doit être remarquée.

Ainsi trois confessions, déposées aux pieds de Charles-Quint, attestaient les divisions qui déchiraient le protestantisme. En vain Bucer et Capiton insistaient-ils auprès de Mélanchton pour qu'on cherchât à s'entendre, et lui écrivaient-ils: «Nous irons où vous voudrez, quand vous le voudrez; « nous ne prendrons avec nous que Sturm, et, si « vous le désirez, nous ne le prendrons pas même'.[19]» Tout était inutile. Ce n'est pas assez qu'un Chrétien confesse Christ ; il doit aussi confesser ses frères, quand même ceux-ci seraient sous l'opprobre du monde. « Celui qui vous reçoit me reçoit, » a dit le Maître; mais les Protestants ne comprenaient pas ce devoir. « Le schisme est dans « le schisme,» disaient les Romains ; et l'Empereur se flattait d'une victoire facile. [20] Rentrez dans « l'Église, » « leur criait-on de toutes parts. » Cela « veut dire, répondaient les Strasbourgeois, laissez nous remettre dans votre bouche le mors avec « lequel nous vous mènerons partout où il nous « plaira

[21]. »

Toutes ces choses affligeaient profondément l'Électeur, qui se trouvait toujours sous le poids de la demande et des menaces de Charles-Quint. L'Empereur ne lui avait pas adressé une seule fois la parole [22]', et l'on disait partout que son cousin George de Saxe serait proclamé électeur à sa place.

LE jour après la fête de Saint-Jacques, il y eut une grande pompe à la cour. Charles, couvert de ses vêtements impériaux, dont la valeur, disait-on, dépassait deux cent mille ducats d'or, et déployant dans toute sa personne une majesté qui imprimait le respect et la crainte'[23], conféra à plusieurs princes l'investiture de leurs dignités; l'Électeur seul fut exclu de ces faveurs. Bientôt on lui fit mieux comprendre encore ce qu'on lui réservait, et on lui insinua que s'il ne se soumettait pas, l'Empereur le chasserait de ses États, et le punirait du dernier châtiment [24].

L’électeur pâlit, car il ne doutait point que les choses n'en vinssent véritablement là.

Comment avec son petit territoire résisterait-il à ce monarque puissant, qui avait vaincu la France et l'Italie, et qui voyait maintenant l'Allemagne à ses pieds? Et d'ailleurs, quand il le pourrait, en aurait-il le droit? D'affreux cauchemars poursuivaient Jean jusque dans ses rêves. Il se croyait coucher sous une immense montagne, sous laquelle il se de, battait péniblement, tandis que son cousin George se tenait debout sur le sommet, et paraissait le braver.

Enfin Jean sortit de cette agitation. «Il faut, « dit-il, que je renonce ou à Dieu ou au monde « eh bien, mon choix n'est pas douteux. C'est « Dieu qui m'a fait électeur, moi 202

Histoire de la Réformation du Seizième Siècle qui n'en étais « pas digne ; je me jette dans ses bras, et qu'il « fasse de moi ce qui lui semblera bon ! » Ainsi l'Électeur, par la foi, fermait la bouche des lions, et surmontait les royaumes [25].

Toute la chrétienté évangélique avait pris part à la lutte de Jean le Persévérant : on sentait que s'il tombait à cette heure, tout tombait, et l'on s'efforçait de le soutenir. «