Histoire de la Réformation du Seizième Siècle_Vol 5 by Jean-Marie Merle D'Aubigne - HTML preview

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Or il se préparait en Angleterre des événements qui devaient faire une grande brèche à la papauté. Les négociations d’Henri VIII avec Clément VII jouent un rôle dans la Réformation. En faisant connaître la cour de Rome, elles détruisirent le respect que le peuple avait pour elle; elles lui enlevèrent cette autorité et cette puissance, comme parle l'Écriture, que la royauté lui avait prêtée ; et le trône du pape une fois tombé en Angleterre, Jésus-Christ y affermit le sien.

Henri, désirant avec ardeur un héritier et pensant avoir trouvé la femme qui devait assurer son bon heur et celui de l'Angleterre, avait formé le dessein de rompre les liens qui l'unissaient à la reine, et, dans ce but il consultait sur son divorce ses plus intimes conseillers. Il y en avait un, surtout, dont il ambitionnait l'approbation; c'était Thomas More. Un jour donc que l'ami d'Érasme se promenait avec son maître dans la belle galerie de Hampton-Court, lui rendant compte d'une mission qu'il venait de remplir sur le continent, le roi l'interrompit brusquement : « Mon mariage avec la reine, dit-il, est contraire aux lois de Dieu, de l'Église et de la nature. » Puis prenant une Bible, il indiqua du doigt les passages en sa faveur [1]. « Je ne suis pas théologien, dit More embarrassé ; que Votre Majesté consulte une assemblée de docteurs. » Warham, sur l'ordre d’Henri, réunit donc à Hampton-Court les plus savants canonisent; mais des semaines s'écoulèrent sans qu'ils pussent s'entendre

[2]. La plupart citaient en faveur du roi les passages du Lévitique (XVIII, 16; XX, 21), qui défendent de prendre la femme de son frère* [3].

Mais Fisher, évêque de Rochester, et les autres adversaires du divorce répondaient que, selon le Deutéronome (XXV, S), quand une femme reste veuve sans enfants, son beau-frère doit la prendre pour femme, afin de perpétuer en Israël le nom de son frère. Cette loi ne regardait que les Juifs, » répliquaient les partisans du 267

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle divorce; ils ajoutaient qu'elle avait pour but de maintenir les héritages distincts et les généalogies intactes, jusqu'à la venue du Christ. La constitution judaïque a passé, mais la loi du Lévitique, qui est une loi morale, oblige tous les hommes, dans tous les siècles. »

Les évêques, pour sortir d'embarras, demandèrent que l'on consultât les universités les plus respectées; et des commissaires partirent pour Oxford, Cambridge, Paris, Orléans, Toulouse, Louvain, Padoue, Bologne, munis de sommes destinées à dédommager les docteurs étrangers, du temps et de la peine que ce travail devait leur coûter. On avait ainsi quelque relâche, et l'on allait mettre tout en œuvre pour faire revenir le roi de son dessein. Wolsey, qui le premier avait suggéré à Henri l'idée du divorce, en était maintenant tout effrayé. Il lui semblait qu'un signe de la fille des Boleyn al lait le précipiter de la place qu'il avait si laborieuse ment conquise, et il répandait autour de lui sa mauvaise humeur, tantôt menaçant Warham et tantôt persécutant Pace. Mais craignant de contrarier ou vertement Henri VIII, il fit venir de Paris Clarke, évêque de Bath, et Wells, alors ambassadeur en France. Celui-ci entra dans ses vues, et après avoir prudemment louvoyé, il se hasarda enfin à dire à Henri : « Sire, la marche du procès sera si lente, qu'il faudra plus de sept années pour en finir! — En voilà dix-huit que je patiente, répondit froidement le roi, j'en attendrai bien encore quatre ou cinq. [4] »

Le parti politique ayant échoué, le parti clérical fit jouer un ressort d'une autre nature. Une fille, que l'on appelait la sainte nonne 'de Kent, Elisabeth Barton, avait été de bonne heure sujette à des convulsions épileptiques. Le prêtre de sa paroisse, nommé Masters, lui avait persuadé qu'elle était inspirée de Dieu, et s'associant un moine de Cantorbéry, nommé Becking, il s'était mis à exploiter la prophétesse.

Elisabeth parcourait les campagnes, en trait dans les manoirs et les couvents, puis tout à coup ses membres se tordant, sa figure s'altérant, un mouvement violent agitant tout son corps, elle proférait des paroles étranges, que la foule ébahie recevait comme des révélations des anges et de la Vierge. Fisher, évêque de Rochester, Abel, agent ecclésiastique de la reine, More lui-même, étaient au nombre des partisans d'Elisabeth Barton. Le bruit du divorce étant parvenu jusqu'à la sainte, un ange lui ordonna de se rendre auprès du cardinal. A peine se trouve-t-elle en sa présence, que ses joues pâlissent, son corps frissonne, elle tombe en extase, et s'écrie : « Cardinal d'York, Dieu a mis trois glaives dans ta main, le glaive spirituel, pour ranger l'Église sous l'autorité du pape; le glaive civil, pour gouverner le royaume; et le glaive de la justice pour empêcher le divorce du roi... Si tu ne manies pas fidèlement ces trois glaives, Dieu t'en demandera compte. [5] » Après ces mots, la pythonisse se retira.

Mais d'autres influences se disputaient alors l'âme de Wolsey. La haine, qui le portait à combattre le divorce, et l'ambition, qui dans son opposition lui faisait voir 268

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle sa ruine. Enfin, l'ambition l'emporta, et il se résolut à faire oublier ses objections imprudentes par l'énergie de son zèle.

Henri se hâta de mettre ce changement à profit. Prononcez vous-même le divorce, dit-il à Wolsey, le pape ne vous a-t-il pas nommé son vicaire général* [6]?» Le cardinal ne se souciait pas de s'avancer autant. « Si c'était moi qui décidait l'affaire, la reine en appellerait au pape, dit-il; il faut donc ou demander au Saint-Père des pouvoirs spéciaux, ou persuader à la reine de se retirer dans un cloître. Et si nous échouons dans l'un ou l'autre de ces expédients, alors nous obéirons aux arrêts de la conscience, même en dépit du pape. [7]»

On résolut de commencer par la tentative la plus régulière, et Grégoire da Casale, le secrétaire Knight et le protonotaire Gambara, furent chargés d'une mission extraordinaire auprès du pontife romain. Da Casale était l'homme de Wolsey et Knight celui d’Henri VIII. « Vous demanderez au pape, dit Wolsey aux envoyés : 1ůne commission qui m'autorise à examiner ici cette affaire ; 2° sa promesse de prononcer la nullité du mariage de Catherine avec Henri, si nous reconnaissons que celui de cette princesse avec Arthur a été réellement accompli ; 3ůne dispense qui permette au roi de conclure une nouvelle union. »

Wolsey voulait ainsi assurer le divorce, sans porter atteinte à l'autorité papale. On insinuait qu'un faux renseignement donné par l'Angleterre à Jules II, sur l'accomplissement du premier mariage, avait porté ce pontife à permettre le second.

Le pape ne s'étant trompé que quant au fait, son infaillibilité était sauve. Wolsey voulut plus encore; sachant qu'on ne pouvait se fier à la bonne foi du pontife, il de manda un quatrième instrument, par lequel le pape s'engagerait à ne jamais rétracter les trois autres; il oublia seulement de prendre ses précautions pour le cas où ce serait le quatrième que Clément rétracte rait. « Avec ces quatre trappes, habilement combi nées, disait le cardinal, j'attraperai le lièvre (il voulait dire le pape) ; s'il échappe à l'une, il a tombera dans l'autre. » On se flattait à la cour d'un prompt dénouement. L'Empereur n'était-il pas l'ennemi déclaré du pontife? Henri VIII, au contraire, ne s'était-il pas constitué protecteur de la ligue clémentine ?

Clément VII, appelé à choisir entre son geôlier et son bienfaiteur, pouvait-il hésiter ? En effet, Charles-Quint se trouvait dans la position la plus embarrassante.

Ses gardes se promenaient, il est vrai, en long et en large devant la porte du château Saint-Ange, où Clément était prisonnier, et l'on disait à Rome en souriant :

« Maintenant il est vrai de dire : Papa non potest errare. [8] » Mais garder le pape prisonnier dans Rome n'était pas possible : et que faire de lui ? Le vice-roi de Naples proposa à Alarcon, commandant du château Saint Ange, de transporter Clément à Gaëte; mais le colonel espagnol, effrayé, s'écria : « A Dieu ne plaise que je traîne après moi le corps même de Dieu ! » Charles lui-même pensa à faire conduire le 269

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle pontife en Espagne ; mais une flotte ennemie ne pouvait-elle pas l'enlever en route ?

Le pape captif embarras sait Charles encore plus que le pape libre.

Ce fut alors que François - Philippe, écuyer de Catherine, ayant échappé aux combinaisons d’Henri VIII et de Wolsey, arriva à Madrid. Il y fut tout un jour en conférence avec Charles-Quint. Ce prince fut d'abord étonné, accablé même des desseins du roi d'Angleterre. La malédiction de Dieu semblait s'appesantir sur sa maison. Déjà sa mère était folle; sa sœur de Danemark, chassée de ses États ; sa sœur de Hongrie, devenue veuve lors de la bataille de Mohacz; les Turcs s'emparaient de ses domaines ; Lautrec était vainqueur en Italie, et les catholiques, irrités de la captivité du pape, détestaient son ambition. Ce n'est pas assez : Henri VIII prétend répudier sa tante, et le pape va naturelle ment donner la main à ce dessein coupable. Charles doit choisir entre le pontife et le roi. L'amitié du roi d'Angleterre pourrait l'aider à rompre la ligue qui prétend le chasser d'Italie, et en sacrifiant Catherine il serait sûr d'obtenir cet appui; mais, placé entre la raison d'État et l'honneur de sa tante, l'Empereur n'hésita pas; il renonça même à certains projets de réforme qu'il avait à cœur. Il se décida tout à coup pour le pape, et dès lors tout prit une direction nouvelle.

Charles, doué de beaucoup de discernement, avait compris son siècle ; il avait vu que des concessions étaient réclamées par les mouvements des esprits, et il aurait voulu opérer la transition du moyen-âge aux temps modernes par une pente habilement ménagée. Il avait en conséquence demandé un concile pour réformer l'Eglise et affaiblir en Europe la domination romaine. Il en arriva tout autrement. Si Charles se détournait d’Henri, il devait se tourner vers Clément; et après avoir fait descendre dans la prison le chef de l'Eglise, il fallait le faire remonter sur le trône.

Charles-Quint sacrifia les intérêts de la société chrétienne à ceux de sa famille. Ce divorce, que l'on regarde en Angleterre comme la ruine de la papauté, fut. ce qui la sauva dans l'Europe continentale.

Mais comment l'Empereur gagnera-t-il le cœur du pontife, rempli d'amertume et de colère? Il jeta les yeux pour cette mission difficile sur un moine habile. De Angelis, général de l'Observance espagnole, et lui ordonna de se rendre au château Saint-Ange, sous prétexte de négocier la mise en liberté du Saint-Père. On conduisit le cordelier dans la partie la plus forte du château, nommée le roc, où se trouvait Clément ; et ces deux prêtres firent assaut de ruse. Le moine, aidé de l'adroit Moncade, entremêlait habilement la délivrance du pape et le mariage de Catherine.

Il assurait que l'Empereur voulait ouvrir au pontife les portes de la prison, et en avait même déjà donné l'ordre [9] ; puis il ajoutait aussitôt : L'Empereur est décidé à soutenir les droits de sa tante et jamais il ne consentira au divorce * [10]. — Si vous êtes pour moi un bon pasteur, écrivit Charles lui-même au pape le 22 novembre, je serai pour vous une bonne brebis. » En lisant ces mots. Clé 270

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle ment sourit; il comprit la situation ; l'Empereur avait besoin du prêtre, Charles était aux pieds de son captif : Clément était donc sauvé ! Le divorce était une corde tombée du ciel, qui ne pouvait manquer de le tirer de la fosse ; il n'avait qu'à se tenir tranquille pour remonter sur son trône. Aussi Clément parut-il dès lors moins pressé de sortir du château, que Charles de l'en délivrer. « Tant que le divorce est en suspens, pensait le rusé Médicis, j'ai deux «grands amis; mais dès que je me serai prononcé pour l'un, j'aurai dans l'autre un ennemi mortel. [11] » Il promit au moine de ne rien décider dans cette affaire sans en avoir prévenu l'Empereur.

Pendant ce temps, Knight, envoyé par l'impatient Tudor, ayant ouï dire, en traversant les Alpes, que le pape était libéré, accourut à Parme où se trouvait Gambara : « Il ne l'est pas encore, ré pondit le protonotaire : mais le général des Franciscains espère, sous peu de jours, faire cesser sa 't captivité Continuez donc votre route, [12]» ajouta-t-il. Ce n'était pas sans de grands dangers que Knight pouvait le faire. « Quiconque n'a pas un sauf conduit ne peut aller à Rome sans exposer sa vie, » lui dit-on à Foligno, à soixante milles de la métropole ; Knight s'arrêta. Sur ces entrefaites, un messager d’Henri VIII lui apporta des dépêches plus instantes que jamais ; Knight partit avec un domestique et un guide.

A Monte-Rotondo, il fut presque assassiné par les habitants; mais le lendemain 25

novembre, protégé par une pluie et un vent impétueux l'envoyé d’Henri entra à dix heures dans Rome sans que personne ne le remarquât et s'y cacha. Impossible de parler à Clément; les ordres de l'Empereur étaient positifs. Knight se mit alors à pratiquer les cardinaux; il gagna le cardinal de Pise, et par son moyen fit parvenir ses dépêches au pontife. Clément les ayant lues, les posa avec un sourire de satisfaction [13]. Bon, dit-il, voici maintenant Vautre qui vient aussi à moi ! » Mais à peine la nuit était-elle arrivée que le secrétaire du cardinal de Pise accourut chez Knight, et lui dit : « Don Alarcon a connaissance de votre arrivée ; et le pape vous conjure de partir aussitôt. » — Cet officier venait de s'éloigner, quand le protonotaire Gambara arriva aussi, fort agité. « Sa Sainteté vous presse de vous éloigner, lui dit-il, dès qu'elle sera en liberté, elle fera droit à la requête de Sa Majesté. » Deux heures après, deux cents soldats espagnols arrivèrent, entourèrent la maison où Knight s'était caché, la parcoururent en tous sens, mais inutilement; l'agent anglais s'était échappé [14]*.

La sûreté de Knight n'était pas le vrai motif qui portait Clément à presser son départ. Le jour même où le pape recevait le message du roi d'Angleterre, il signait avec Charles-Quint un traité qui le réintégrait sous certaines conditions dans l'un et l'autre de ses pouvoirs. En même temps le pape, pour puis de sûreté, faisait dire au général fiançais Lautrec, de hâter sa marche sur Rome, afin de le sauver des mains de l'Empereur. Clément, disciple de Machiavel, donnait ainsi la main droite à Charles, la main gauche à François Ier, et n'en ayant pas d'autre pour Henri VIII, 271

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle lui faisait faire de bouche les promesses les plus positives. Chacun de ces trois princes pouvait au même titre compter sur l'amitié du pontife.

C'était le 10 décembre que devait finir la captivité de Clément; mais il préférait devoir sa liberté à l'intrigue plutôt qu'à la générosité de l'Empereur, il se procura donc un habit de marchand, et la veille du jour fixé pour sa délivrance, sa consigne étant déjà fort adoucie, il s'évada du château, n'ayant que Louis de Gonzague pour l'accompagner dans sa fuite, et il se rendit à Orviéto.[15]

Tandis que Clément éprouvait toute la joie d'un homme qui s'est échappé de sa prison, Henri semblait être dans l'agitation la plus vive. Ayant cessé d'aimer Catherine, il se persuadait qu'il était la victime de l'ambition de son père, le martyr du devoir, le champion de la sainteté conjugale. Sa dé marche décelait son ennui, et même au milieu des conversations de la cour, des soupirs s'échappaient de sa poitrine. Il avait de fréquentes entrevues avec Wolsey. [16] « Je regarde avant tout au salut de mon âme lui disait-il; mais aussi à la sûreté de mon royauté. Déjà depuis longtemps un remords in cessant déchire ma conscience, [17] et ma pensée s'arrête sur mon mariage avec une inexprimable douleur* [18]. Dieu, dans son indignation, m'a enlevé mes fils, et si je persiste dans cette union illégitime, il me poursuivra par des châtiments plus terribles encore [19]. Mon seul espoir est dans le Saint-Père...»

Wolsey s'inclinait profondément et répondait : « Sire, je m'occupe de cette affaire, comme si elle était pour moi le seul moyen de gagner le ciel. » Et en effet il redoublait d'efforts. Il écrivait à Da Casale, le 5 décembre : « A tout prix, parvenez jusqu'au pape. Déguisez-vous, présentez-vous comme le domestique de quelque seigneur * [20], ou comme un messager du duc de Ferrare. Distribuez l'argent à pleines mains; sacrifiez tout, pourvu qu'on vous procure un entretien secret avec Sa Sainteté; dix mille ducats sont à votre disposition. Vous ex poserez à Clément les scrupules du roi, et la nécessité de pourvoir à la perpétuité de sa race et à la paix de son royaume. Vous lui direz que le roi est prêt, pour lui rendre la liberté, à déclarer la guerre à l'Empereur, et à se faire connaître ainsi à tout l'univers comme le vrai fils de l'Eglise. »

L'essentiel, Wolsey le comprenait, était de présenter le divorce à Clément VII, comme propre à assurer le salut de la papauté. Le cardinal écrivit donc à Da Casale, le 6 décembre : « Nuit et jour, je tourne et retourne .en mon âme l'état actuel de l'Eglise et je cherche les moyens les plus propres à retirer le pape de l'abîme où il est tombé. Tandis que je roulais en moi-même ces pensées au milieu des veilles de la nuit... un moyen s'est offert tout à coup à mon esprit. — Il faut, me suis-je dit, porter le roi à prendre la défense du Saint-Père. Ce n'était pas chose facile, car le roi est fortement attaché à l'Empereur [21]; toutefois, je me suis mis à l'œuvre. J'ai dit au roi que Sa Sainteté était prête à le satisfaire; j'y ai engagé mon honneur; j'ai 272

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle réussi [22]... Le roi sacrifiera, pour sauver le pape, ses trésors, ses sujets, son royaume, même sa vie [23]... Je conjure donc Sa Sainteté d'accueillir notre juste demande... » Jamais de si vives instances n'avaient été faites à la papauté.

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FOOTNOTES

[1] Layd the Bible open before me and showed me the words. » (More to Cromwell.

Strype, I, 2 P., p. 197.)

[2] Consulting from day to day and time to time. » (Cavendish, p. 209.)

[3]Ex his doctoribus asseritur quod Papa non potest dispensare in primo gradu afflnitatis. » (Burnet, Record, l, p. 12.)

[4] Since his patience had already held out for eighteen years. » (Collyers, I, p. 24.)

[5] God would lay it sore to his charge. » (Strype, I, lre P., p. 279.

[6] Quand, par des motifs assez semblables, Napoléon voulut se séparer de Joséphine, craignant comme Henri VIII la mauvaise volonté du pape, il forma comme lui le dessein de se passer du pontife et de faire annuler son mariage par les évêques de son empire ; plus puissant, il y réussit.

[7] Quid possit clam fleri qnoad forum conscipntife. » (Collyers, II, P- 84.)

[8] Le pape ne peut errer. » (Jeu de mots, résultant des deux sens de l'expression, en latin comme en français.)

[9] La Caesarea Majesta si corne grandamente desidera la liberatione de nostro signor, cosi eflicacemente la manda. » [Capituli, etc., Le Grand, III, p. 48.)

[10] That in any wise he should not consent to the same. » (SMt papers, VII, p. 29.)

[11] Quod sperabat intra paucos dies auferre suae Sanctitati squalo rem et tenebras. » [State papers, VII, p. 13.)

[12] Veari trobelous with wynde and rayne and therefore more met for our -voyage.

» [Ihid., p. 16.)

[13] Reopened the same saufly, as Gambara schewed unto me. » [State papers,f. 17.)

[14] I was not passed out of Home by the space of two hours; ère 200 Spaniards invaded and searched the house. » (Burnet, Records, I, p. 22.)

[15] Variis crebrisque cum regia majestate habitis sermonibus. » (Burnet, Records, l, p. 11.)

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

[16] Deumque primo et ante omnia ac anima? suae quietem et salu tem respiciens. »

[Ibid.)

[17] Longo jam tempore intimo suœ conscientiae remorsu. » (Burnet, Records, I, p.

11.)

[18] Ingenti cum molestia cordisque perturbatione. » [Ibid.)

[19] Gra-viusque a Deo supplicium expavescit. » [Ibid., p. 13.)

[20] Mntato habitii nt tanqnam alicujus minister. » [Ibid.)

[21] Diuque ac noctu mente volveus quo pacto.. . » [State papers, VII, p. 18.)

[22] Adeo tenaciter Caesari adhœrebat. » [llrid.)

[23] Usque ad mortem. » [Ibid., p. 19.)

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE IX

Les envoyés d'Angleterre à Orviéto — Leur discours au pape. —Clément gagne du temps. — Les Anglais chez «Quatri Santi » — Ruse du pape. — Knight la découvre et revient. — Les transformations de l'Antéchrist. Les Anglais obtiennent un nouveau document. — Nouvelle ruse. — Demande d'un second cardinal-légat. —

Nouvel expédient du pape. — Fin de la campagne.

C'était donc comme sauveurs de Rome, que se présentaient les envoyés du roi d'Angleterre. Ceci n’était sans doute pas une ruse; et Wolsey regardait probablement comme venant du ciel cette pensée qui s'était présentée à lui dans l'une de ses longues insomnies. Le zèle de ses agents redoubla. A peine le pape fut-il en liberté, que Knight et Da Casale se présentèrent au pied du rocher escarpé sur lequel est bâti Orviéto, et demandèrent à être introduits auprès de Clément VII.

Rien n'était plus compromettant pour le pontife qu'une telle visite. Comment paraître en bonne amitié avec l'Angleterre, quand Rome et tous ses États sont encore aux mains du neveu de Catherine d'Aragon? Le pape eut l'esprit bouleversé par la demande des deux envoyés. Il se remit toutefois; repousser la main puissante que l'Angleterre lui tendait, avait aussi son péril ; et comme il savait à merveille mener à bonne fin une négociation difficile, Clément reprit confiance en son habileté, et donna l'ordre d'introduire les envoyés d’Henri VIII.

Leur discours ne fut pas sans éloquence. « La” h mais l'Église ne s'est trouvée dans un état plus critique, dirent-ils. L'ambition démesurée des rois qui prétendent disposer à leur gré des choses spirituelles (ceci regardait Charles-Quint), tient suspendu au-dessus de l'abîme le navire apostolique. Le seul port qui lui soit ouvert au sein de a la tempête, c'est la faveur de l'auguste prince que nous représentons, et qui a toujours été le bouclier de la foi. Mais, hélas ! Ce monarque, boulevard imprenable de Votre Sainteté, est lui-même pour suivi par des tribulations qui égalent presque les vôtres. Sa conscience déchirée par les remords, sa couronne sans héritier, son royaume sans sécurité, son peuple exposé de nouveau à des troubles perpétuels... Que dis-je? Le monde chrétien tout entier livré à la plus cruelle discorde ...[1]

Voilà les conséquences d'une union fatale, que Dieu a frappée de sa réprobation... Il est même, ajoutèrent-ils en baissant la voix, il est des choses dont Sa Majesté ne peut vous parler dans sa lettre. . . certains malheurs. . . d'incurables maux dont la reine est atteinte, qui ne permettent pas au roi de la regarder jamais comme son épouse [2]. Si Votre Sainteté met fin à de telles misères en rom pant d'illégitimes nœuds, elle s'attachera ainsi Sa Majesté par d'indissolubles liens. Travaux, richesses, armées, couronne, vie même, le roi notre maître est prêt à mettre tout au service de Rome. Il vous tend la main, très saint Père... tendez-lui la vôtre; par votre union, l'Église sera sauvée, et l'Europe avec elle. »

275

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Clément était dans le plus cruel embarras. Sa politique consistait à tenir l'équilibre entre les deux princes, et l'on exigeait qu'il se décidât pour l'un d'eux. Il commença à regretter d'avoir reçu les ambassadeurs d'Henri VIII. « Considérez l'état où je me trouve, leur dit-il, et suppliez le roi d'at tendre que des événements plus favorables me laissent la liberté d'agir. — Eh quoi ! répliqua fièrement Knight, Votre Sainteté n'a-t-elle pas promis de faire droit à la requête de Sa Majesté? Si vous manquez maintenant à votre promesse, comment pourrais-je persuader au roi que vous la remplirez un jour* [3]? » Da Casale crut alors que le moment était arrivé de porter un coup décisif. Que de maux, s'écria-t-il, que d'inévitables douleurs votre refus va enfanter!...[4] L'Empereur ne pense qu'à enlever à l'Église son pouvoir, et le roi d'Angleterre seul a juré de le lui maintenir... » Puis, parlant plus bas, plus lentement, et appuyant sur chaque mot . . . : « Nous craignons, continua-t-il, que Sa Majesté, réduite à de telles extrémités..., de deux maux ne choisisse le moindre [5], et qu'appuyée sur la pureté de ses in tentions, elle ne fasse de sa propre autorité...

ce que maintenant elle demande avec tant de respect... Que verrions-nous alors?...

« Je frémis à cette pensée... Ah! Que Votre Sainteté ne se livre pas à une sécurité qui l'entraînerait infailliblement dans l'abîme... Lisez tout... remarquez tout...

devinez tout... prenez note de tout*... [6] Très saint Père, ceci est une question de vie ou de mort! » Et l'accent de Da Casale disait beaucoup plus encore que ses paroles.

Clément comprit qu'un refus positif l'exposerait à perdre l'Angleterre. Placé entre Henri et Charles Quint, comme entre l'enclume et le marteau, il résolut de gagner du temps. « Eh bien, dit—il à Knight et à Casale, je ferai ce que vous me demandez; mais je ne connais pas bien les formes que ces dispenses doivent avoir... Je consulterai à ce sujet le cardinal Quatri Santi... puis je vous en informerai. »

Da Casale et Knight, voulant devancer Clément VIl, coururent chez Laurent Pucci, cardinal Quatri Santi, et lui firent comprendre que leur maître saurait être reconnaissant. Le cardinal assura les députés de son affection pour Henri VIII, et ceux-ci, pleins d'espérance, lui présentèrent les quatre documents dont ils demandaient l'expédition. Mais à peine le cardinal eut il lut le premier, le projet qui chargeait Wolsey de décider en Angleterre l'affaire du divorce, qu'il s'écria : «

Impossible ! . . . Une bulle ainsi conçue couvrirait d'un éternel déshonneur Sa Sainteté, le roi et le cardinal d'York lui-même!... » Les députés étaient fort embarrassés, car Wolsey leur avait prescrit de ne demander au pape que sa signature [7]. Ils se remirent pourtant. « Tout ce que nous voulions, dirent-ils, c'est une commission suffisante. » De son côté, le pape écrivit à Henri VIII une lettre où il trouva moyen de ne rien dire.

Des quatre documents demandés, il en était deux sur l'envoi immédiat desquels Knight et Da Casale insistaient : c'était la commission pour prononcer le divorce, et la dispense pour conclure dans ce cas un second mariage. [8] La dispense sans la 276

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle commission était un papier de nulle valeur ; le pape le savait bien ; aussi résolut-il de ne donner que la dispense; c'était comme si Charles -Quint avait accordé à Clément captif la liberté de se rendre auprès de ses cardinaux, mais en lui refusant celle de quitter le château Saint-Ange. C'est ainsi qu'un système religieux qui se transforme en un système politique, lorsqu'il n'a pas la force, a recours à la ruse. «

La commission, dit à Knight l'adroit Médicis, doit être corrigée selon le style de notre cour, mais voici la dis pense. » Knight saisit le document. « Nous vous accordons, y était-il dit à Henri VIII, pour le cas où votre mariage avec la reine Catherine serait déclaré nul [9], licence de vous unir à une autre femme, pourvu qu'elle n'ait pas été l'épouse de votre frère... «L'Anglais fut dupe de l'Italien, Selon mon pauvre jugement, dit-il, cet acte doit nous être utile ! »

Alors Clément parut ne plus se préoccuper que de la santé de Knight, et lui témoigna tout à coup le plus vif intérêt. « Il est bon que vous hâtiez votre départ, lui dit- il, car il est nécessaire que vous voyagiez à votre aise. Gambara vous suivra en courant la poste, et vous apportera la commission. » Knight, ainsi mystifié, prit congé du pape, qui se débarrassa de la même manière de Da Casale et de Gambara.

Alors il commença à respirer. Il n'était pas de diplomate en Europe que Rome, même dans sa plus grande faiblesse, ne pût facilement abuser.

Il fallait maintenant éluder la commission. Tandis que les envoyés du roi s'en allaient débonnaire ment, comptant sur le document qui devait les suivre, le général de l'Observance espagnole répétait sur tous les tons au pontife : « Gardez-vous de livrer un acte qui autorise le divorce, et surtout ne permettez pas que l'on juge cette affaire dans les Étals du roi Henri. » Les cardinaux rédigèrent le document sous l'influence d'Angelis, et firent un chef-d'œuvre d'insignifiance. Si la bonne théologie ennoblit le cœur, la mauvaise, si féconde en subtilités, donne à l'esprit une habileté peu commune ; aussi les plus célèbres diplomates ont-ils été fort souvent des hommes d'Église. La pièce ainsi rédigée, le pape en expédia trois exemplaires, à Knight, à Da Casale et à Gambara.Knight était près de Bologne quand le courrier l'atteignit. Il fut stupéfait, et prenant des chevaux de poste, il retourna en toute hâte à Orviéto. [10] Gambara se rendit par la France en Angleterre avec la dispense inutile que le pape avait accordée.

Knight avait cru trouver plus de bonne foi à la cour du pape qu'à celle des rois, et on l'avait joué. Qu'allaient dire de sa sottise et Wolsey et Henri VIII ? Son amour-propre blessé commençait à lui faire croire tout ce que Tyndale et Luther disaient de la papauté. Le premier venait justement de publier l'Obéissance du chrétien et l'Injuste Mammon, où il représentait Rome comme l'une des transformations de l'antéchrist. « L'antéchrist, y disait-il, n'est pas un homme qui apparaîtra tout à coup avec de grands miracles ; c'est un être spirituel qui était sous l'Ancien Testament, qui a été du temps de Christ et des apôtres, qui est maintenant, et qui sera, je n'en doute pas, jusqu'à la fin du monde. S'il est vaincu par la Parole de Dieu, 277

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle il cesse, pour un temps, son terrible jeu et se retire, mais il revient bientôt avec un nouvel habit et sous un nouveau nom. [11] Nous voyons d'abord dans l'Église des scribes, des pharisiens, des anciens; ensuite des papes, des cardinaux, des évêques; ce n'est pas le même nom, mais c'est la même chose. L'antéchrist n'en restera pas là, et quand nous l'aurons mis dehors, il changera encore une fois d'apparence et reviendra en ange de lumière. Déjà la Bête, voyant qu'on la poursuit, rugit et cherche à de nouvelles cavernes où elle puisse cacher sa honte et se transformer de nouveau. » Cette pensée, d'abord paradoxale, s'insinuait peu à peu dans les esprits.

Les Romains, par leurs pratiques, faisaient accepter aux Anglais les peintures un peu vives des réformateurs. L'Angleterre devait avoir bien d'autres enseignements de cette nature, et apprendre ainsi peu à peu à se passer de Rome, pour sa prospérité et pour sa gloire.

Knight et Da Casale arrivèrent presque en même temps à Orviéto. Clément leur répondit par des soupirs : « Hélas! Je suis prisonnier de l'Empereur! Les impériaux pillent chaque jour des villes et des châteaux dans nos environs *... [12] Malheureux que je suis ! Je n'ai pas un ami, si ce n'est le roi votre maître, et il est loin de moi ! . . . Si je fais mainte nant quelque chose qui déplaise à Charles-Quint, je suis perdu... Signer la commission, c'est signer avec lui une rupture éternelle. » Mais Knight et Da Casale plaidèrent tellement leur cause auprès de Quatri Santi et pressèrent tellement Clément, que le pontife, à l'insu de l'Espagnol De Angelis, leur remit un document plus acceptable, mais non pas encore tel que Wolsey l'avait demandé. « En vous livrant cette commission, dit le pape, je vous livre ma liberté et peut-être ma vie. Je fais taire la prudence et n'écoule que l'amour. Je me confie à la générosité du roi d'Angleterre ; il est le maître de mes destinées... » Puis il se mit à verser des larmes,[13] et sembla près de s'évanouir. Knight, oubliant son dépit, promit à Clément que le roi ferait tout pour le sauver.

— : « Ah ! dit Médicis, il «y aurait bien un moyen! — Lequel? Demandèrent les agents d’Henri VIII. — M. de Lautrec, qui dit chaque jour qu'il arrive, reprit Clément, et qui pourtant n'arrive jamais, n'a qu'à amener promptement l'armée française aux portes d'Orviéto. Alors je pourrai m'excuser en disant que ce général m'a contraint à signer la commission *[14]. — Rien de plus facile, répondirent les Anglais; nous allons presser son arrivée. »

Clément n'était pas encore rassuré. Le salut de l'Église romaine ne l'inquiétait pas moins que le sien propre ! . . . Charles pouvait découvrir cette ruse et la faire payer cher à la papauté. Il y avait péril de toutes parts. Si les Anglais parlaient d'indépendance, l'Empereur ne menaçait-il pas d'une réforme.’. . . Les princes de la catholicité, disait-on au pape, sont capables, sans peut-être en excepter un seul, de sou tenir la cause même de Luther, pour satisfaire une coupable ambition [15]. Le pape réfléchit, et retirant sa parole, promit de donner la commission quand Lautrec serait sous les murs d'Orviéto; mais les agents anglais insistèrent pour l'obtenir 278

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle immédiatement. Pour tout concilier, on convint que le pape donne rait l'acte au moment même, mais que dès que l'armée française serait arrivée, il en expédierait une nouvelle copie, portant la date du jour où il aurait vu Lautrec. « Conjurez le roi de tenir secret i l'acte que je vous livre *[16], dit le pape à Knight ; s'il commence le procès aussitôt après l'avoir reçu, je suis perdu pour toujours *[17]. » Ainsi Clément donnait permission d'agir à condition qu'on n’agisse pas. Knight prit congé le 1er janvier 1528, il promit tout ce que le pape voulait, puis craignant quelque nouvelle difficulté, il partit le même jour. Da Casale, de son côté, après avoir offert à Quatri Santi un don de quatre mille couronnes que le cardinal refusa, se rendit auprès de Lautrec, pour lui demander de venir contraindre le pape à signer un acte qui était déjà en route pour l'Angleterre. Mais, tandis que l'affaire paraissait se débrouiller à Rome, elle se compliquait à Londres.

Le projet du roi s'ébruitait, et Catherine s'abandonnait à la plus vive douleur. « Je protesterai, disait-elle, contre la commission donnée au cardinal d'York. N'est-il pas le sujet du roi, le vil flatteur de ses plaisirs ? » Catherine n'était pas seule dans sa résistance; la nation, qui haïssait le cardinal, ne pouvait le voir de bon œil revêtu d'une telle autorité. Pour obvier à cet inconvénient, Henri résolut de demander au pape un autre cardinal, qui serait chargé de terminer l'affaire à Londres, avec ou sans Wolsey.

Celui-ci entra dans cette idée; il est même possible que ce fut lui qui la suggéra, car il craignait fort de porter seul la responsabilité d'un jugement si odieux. II écrivit donc, le 27 décembre, aux agents du roi à Rome : « Obtenez l'envoi d'un légat, et surtout d'un légat habile, facile, traitable,... désireux de mériter la faveur du roi

[18], Campeggi, »par exemple. Vous prierez instamment le cardinal élu de voyager en toute diligence, et vous l'assurerez que le roi sera libéral à son égard*.[19] »

Knight, arrivé le 10 janvier à Asti, y trouva les lettres qui lui apportaient ces nouveaux ordres. Encore un arrêt! Tantôt c'est le pape qui l'oblige à rétrograder, tantôt c'est le roi. Le malheureux secrétaire d’Henri VIII, valétudinaire, craignant fort la fatigue, déjà défait et abattu par dix pénibles journées, fut de fort mauvaise humeur. Il résolut de laisser Gambara porter en Angleterre les deux documents ; de charger Da Casale, qui n'était pas éloigné du pape, de solliciter l'envoi du légat; et quant à lui, de s'en aller attendre à Turin des ordres ulté rieurs. — Si Sa Majesté trouve bon que je retourne à Orviéto, dit-il, je ferai tout ce que ma pauvre carcasse sera en état d'endurer [20]. »

Da Casale, arrivé à Bologne, pressait Lautrec de venir contraindre le pontife à signer l'acte que Gambara emportait déjà ; quand il reçut les nouvelles dépêches, il retourna en toute hâte à Orviéto, et le pape, en apprenant son arrivée, fut fort effrayé. II avait craint de remettre un simple papier, destiné à demeurer secret; et maintenant on lui demandait l'envoi d'un prince de l'Église! Henri n'est donc jamais satisfait! « La mission que vous demandez serait pleine de dangers, répondit-il; mais 279

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle nous avons découvert un autre moyen, seul propre à finir cette affaire. Gardez-vous de dire que c'est moi qui vous l'ai indiqué, ajouta le pape d'un ton mystérieux.

Mettez-le sur le compte de Quatri Santi et de Simonetta. » Da Casale était tout oreille.

Il n'y a pas de docteur au monde, poursuivit le pontife, qui puisse mieux juger de cette affaire et de ses circonstances les plus intimes, que le roi lui-même*[21]. Si donc il croit vraiment que sa femme a été la femme de son frère, qu'il charge le cardinal d'York de prononcer le divorce, que sans plus de cérémonies il épouse une autre femme [22]; et puis, qu'il demande après coup la confirmation du consistoire.

L'affaire ainsi conclue, je me charge du reste. — Mais, dit Da Casale peu satisfait de cette nouvelle intrigue, je dois remplir ma mission, et c'est un légat que le roi demande!... — Et qui enverrais-je? s'écria Clément; Da Monte? il ne peut se mouvoir; De Ceesis? il est à Naples. Ara Cœli? Il a la goutte. Piccolomini? il est partisan de l'Empereur... Campeggi serait le meilleur; mais il est à Rome, où il tient ma place, et il ne peut s'en éloigner sans péril pour l'Église. . . » Puis, tout ému, il ajouta : « Je me jette dans les bras de Sa Majesté. Jamais l'Empereur ne me pardonnera ce que je fais. S'il l'apprend, il me citera devant son concile; et il n'aura pas de repos qu'il ne m'ait enlevé la tiare et la vie*... [23] »

Da Casale se hâta de communiquer à Londres le résultat de la conférence. Clément ne pouvant dé nouer le nœud, invitait Henri à le couper. Ce prince hésitera-t-il à employer un moyen si facile, le pape (Clément lui-même le déclare) devant confirmer le tout?

Ici se termine la première campagne d’Henri VIII sur les terres de la papauté. Nous allons voir le résultat de tant d'efforts.

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FOOTNOTES

[1] Discordiœ crudelissimae per omnem christianum orbem. » [State papers, VII, p.

19.)

[2] Noimulla sunt secreta S.D.N. secreto exponenda et non eredenda scriptis... ob morbos nonnullos quibus absque remedio regina Iabo rat. » [State papers, VII, p.

19.) '

[3] Perforai the promise once broken. » (Burnet, Records, I, p. 23.)

[4] Da Casale et Knight, voulant devancer ClémentVIl,

[5] Ex duobus malis minus malum eligat. » [State pap., VII, p. 20.)

[6] Dt non gravetur, cuncta legere et bene notare. » [Ibid., p. 18.) 280

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

[7] Alia nulla re esset opus, praeterquam Ej us Sanctitatis signature.» (State papers, VU, p. 29.)

[8] Charissime in Christo fili, etc., » du 7 décembre 1527. [Ibid., VU, p. Î7.)

[9] Matrimonium cum Catharina nullum fuisse et esse declarari. » (Herbert's Henri VIII, p. 280.)

[10] I returned unto Orvieto with post horses. » (Burnet, Records, I, p. 23.)

[11] To corne again with a new name and new raiment. » (Preface to the Wicked Mammon. Tynd., Works, I, p. 80.)

[12] The cœsarian have taken, within these three days, two castles lying within six miles of this. » (Burnet, Records, p. 23.)

[13] Cum suspiriis etlacrymis. » (Burnet, Records, I, p. Î1.)

[14] And by this colour he would cover the matter. » [Ibid.)

[15] Non potest Sua Sanctitas sibi persuadera ipsos principes (ut forte aliqui jactant) assumpturos sectam Lutheranam contra Ecclesiam. » [State papers,X\l, p.

47.)

[16] Beseke your Highness to kepe secret the commission. » [Ibid., p. 36.)

[17] Is fully in your puissance with pubiishing of the commission to destroye for ever. » [Ibid.)

[18] Eruditus, indifferens, tractabilis, de regia majestate bene me rendi cupidus. »

[State papers, VII, p. 33.)

[19] Regia majestas sumptus, labores, atque molestias libcralissime compenset. »

[Ibid., p. 34.)

[20] I shall do as niush as my poor carcase may endure. » (Burnet, Records, 24.)

[21] Nullus doctor in mundo est, qui de hac re melius decernere possit quam ipse rex. » [Ibid., p. Î5.)

[22] Aliam uxorem ducat. » (Burnet, Records, ï, 25.)

[23] Vocabit eum ad concilium, vel nihil aliud quaret, nisi ut eum omni statu et vita privet. » [Ibid., p. 26.)

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE X

Désappointement en Angleterre. — Déclaration de guerre à Charles-Quint. —

Wolsey veut le faire déposer par le pape. — Nouveau projet. — Envoi de Fox et de Gardiner. — Leur arrivée à Orviéto. — Leur première entrevue avec Clément. — Le pape lit un livre d’Henri. —Menaces de Gardiner et promesse de Clément. — Le Fabius moderne. —Nouvelle entrevue et nouvelles menaces. — Le pape n'a pas la clef. —Proposition de Gardiner. — Difficultés et délais des cardinaux. — Gardiner porte les derniers coups. — Revers de Charles-Quint en Italie. — Terreur et concession du pape. — La commission est accordée. — Wolsey exige l'engagement.

— Une porte de derrière. — Angoisses du pape

Jamais on ne vit un désappointement plus complet que celui d’Henri et de Wolsey après l'arrivée de Gambara et de sa commission ; le roi était en colère, et le cardinal plein de dépit. Ce que Clément appelait le sacrifice de sa vie, n'était en réalité qu'un morceau de papier bon à jeter au feu. « Cette commission, disait Wolsey, est sans aucune valeur. [1]» — «Et memo, reprenait Henri VIII, pour la mettre à exécution, il nous faudrait attendre que les Impériaux eussent quitté l'Italie!... Le pape nous renvoie aux calendes grecques ! » — Sa Sainteté, remarquait le cardinal, ne s'engage pas à prononcer le divorce; donc la reine en appellera de notre jugement. —

Et quand le pape se serait engagé, ajoutait le roi, il suffirait que l'Empereur lui fasse bonne mine, pour qu'il rétractât tout ce qu'il aurait promis. — Tout ceci est une fraude ou une dérision, » concluaient le roi et son ministre.

Que faire? Le seul moyen d'avoir Clément pour nous, pensa Wolsey, c'est de se débarrasser de Charles ; il est temps d'abattre son orgueil. Le 21 janvier 1528, il fit donc déclarer la guerre à Charles-Quint par la France et par l'Angleterre. A l'ouïe de ce message, Charles s'écria : « Je reconnais la main qui jette au milieu de l'Europe le brandon de la guerre. Tout mon crime est de n'avoir pas placé le cardinal d'York sur le trône de Saint-Pierre. »

Cette déclaration de guerre ne suffisait pas à Wolsey; l'évêque de Bayonne, ambassadeur de France, le voyant un jour assez échauffé [2], lui dit à l'oreille : Les papes autrefois pour moindres occasions ont déposé des empereurs... » La déposition de Charles eût délivré le roi de France d'un rival fort importun ; mais Du Bellay, ayant peur de l'initiative dans une entreprise si hardie, en suggérait l'idée au cardinal. Wolsey réfléchissait ; cette pensée ne lui était pas encore venue. Il attira l'ambassadeur dans l'embrasure d'une fenêtre, et là lui jura bien étroit, dit l'ambassadeur, qu'il serait content de s'employer jusqu'au bout à faire déposer Charles-Quint par le pape : « Nul mieux que vous, reprit l'évêque, ne pourra engager Clément à le faire. — J'y emploierai tout mon crédit, » repartit Wolsey ; et les deux prêtres se séparèrent.

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Cette idée lumineuse ne quittait plus le cardinal. Charles lui a enlevé la tiare; il lui répondra en lui enlevant la couronne. Œil pour œil et dent pour dent. Le doyen de rote Staphiléo, alors à Londres, toujours plein de ressentiment contre l'auteur du sac de Rome, accueillit favorable ment l'ouverture que lui fit Wolsey; enfin l'envoyé de Jean Zapolya, roi élu de Hongrie, appuya le projet. Mais les rois de France et d'Angleterre trouvèrent quelques difficultés à mettre ainsi le trône des rois à la disposition des prêtres. Il paraît cependant que le pape fut sondé à ce sujet ; et si l'Empereur avait été battu en Italie, il est probable que la bulle eût été fulminée contre lui. Son épée sauva sa couronne, et le dessein des deux évêques échoua.

On se mit à chercher, dans le conseil du roi, des moyens moins héroïques. « Il faut poursuivre l'affaire à Rome, » disaient les uns. — Non, disaient d'autres, en Angleterre! Le pape craint trop l'Empereur pour prononcer lui-même le divorce. [3]»

— Si le pape craint l'Empereur plus que le roi d'Angleterre, s'écria l'orgueilleux Tudor, nous saurons bien lui mettre l'esprit en repos. [4]» Ainsi, à la première contradiction, Henri portait la main sur son épée, et menaçait de couper la corde qui attachait son royaume au trône du pontife italien.

J'ai trouvé ! dit enfin Wolsey ; il faut combiner les deux avis, juger l'affaire à Londres, et lier en même temps le pontife à Rome. » Puis, l'habile cardinal proposa un projet de bulle, où le pape, en déléguant son autorité à deux légats, déclarait que les actes de cette délégation [5]* auraient une vertu perpétuelle, dussent même des décrets contraires émaner plus tard de son infaillible autorité. On décida une nouvelle mission pour l'accomplissement de ce hardi dessein.

Wolsey, irrité de la sottise de Knight et de ses collègues, voulait des hommes d'une autre trempe. Il jeta donc les yeux sur son secrétaire, le docteur Etienne Gardiner, homme actif, intelligent, souple, rusé, savant canonisé, désireux de la faveur du roi, et qui, par-dessus tout cela, était bon catholique romain, ce qui, à Rome, avait aussi son utilité.

Gardiner était en diminutif l'image vivante de son maître. Aussi le cardinal l'appelait-il la moitié de moi-même [6]. On lui adjoignit le grand aumônier Edouard Fox, homme modéré, considéré, ami particulier d’Henri, et avocat zélé du divorce.

Fox fut nommé le premier dans la commission, mais on con vint que le chef réel de l'ambassade serait Gardiner. « Répétez sans cesse, leur dit Wolsey, que Sa Majesté ne peut faire autrement que de se séparer delà reine. Prenez chacun par son faible.

Déclarez au pape que le roi s'engage à le défendre contre l'empereur; et aux cardinaux que leurs services seront royalement rétribués* [7]. Si tout cela ne suffit pas, que l'énergie de vos paroles donne au pontife une appréhension salutaire. »

Fox et Gardiner, après avoir été reçus gracieuse ment à Paris par François Ier, arrivèrent le 20 mars à Orvieto, après bien des détresses, et les habits en désordre, en sorte que personne ne les eût pris pour des ambassadeurs de Henri VIII. « Quelle 283

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle ville ! disaient-ils à leur tour, en traversant les rues, quelles ruines! Quelle misère !

Certes, on l'a bien appelée Orvieto, Urbs vêtus ! » L'état de la ville ne leur donnait pas une haute idée de l'état de la papauté, et ils s'imaginaient qu'avec un pontife si pauvrement logé, leur négociation devait être facile. Je vous donne ma maison, leur dit Da Casale, chez lequel ils se rendirent, ma chambre, mon propre lit ; » et comme ils faisaient quelques façons : « Impossible de vous loger ailleurs ; j'ai même dû emprunter ce qui était nécessaire pour vous recevoir. [8]» Da Casale les pressant de quitter leurs babils qui dégouttaient encore (ils venaient de traverser une rivière sur leurs mulets), ils répondirent qu'obligés de courir la poste, ils n'avaient pu prendre d'autres vêtements. « Hélas ! dit Casale, que faire? Il est fort peu de personnes à Orvieto qui aient un babil de rechange [9] ; les marchands même n'ont pas d'étoffes à vendre ; Orvieto est une vraie prison. On dit que le pape y est en liberté. Belle liberté vraiment! La disette, le mauvais air, le mauvais logement, et mille autres incommodités, tiennent le saint -père plus à l'étroit que quand il était au château Saint-Ange. Aussi, me disait-il l'autre jour, mieux être prisonnier à Rome que libre ici. [10] »

Deux jours après, on apporta pourtant des habits aux agents d’Henri ; et se trouvant alors en état de se montrer, ils eurent le lundi 22 mars, après le dîner, leur première audience.

Da Casale les conduisit près d'un vieux bâtiment en ruine. « C'est ici, dit-il, que Sa Sainteté de meure. » Ils se regardèrent fort étonnés, passèrent par-dessus les décombres, traversèrent trois chambres dont les plafonds étaient enfoncés, les murailles nues, les fenêtres sans rideaux, et où trente personnes n'ayant ni mine ni façon, » se tenaient debout contre le mur, en guise d'ameublement [11]. C'était la cour du pape.

Enfin, les ambassadeurs arrivèrent dans la chambre du pontife, et lui remirent les lettres d’Henri VIII. Votre Sainteté, dit Gardiner, en envoyant au roi une dispense, a ajouté que si cet acte n'était pas suffisant, elle s'empresserait d'en donner un meilleur. C'est la grâce que le roi vous demande. » Le pape, embarrassé, chercha à pallier son refus. On assure, dit-il, que le roi est entraîné dans cette affaire par une inclination secrète, et que la dame qu'il aime est loin d'être digne de lui... »

Gardiner répondit fermement : « Le roi veut en effet se marier après son divorce, pour donner un héritier à sa couronne; mais la femme qu'il se propose de prendre est animée des plus nobles sentiments; le cardinal d'York et toute l'Angleterre rendent hommage à ses vertus*. [12]» Le pape parut convaincu. Au reste, continua Gardiner, le roi a écrit lui-même un livre sur les motifs de son divorce. — Eh bien, venez demain me le lire, dit Clément. » Le lendemain, à peine les Anglais avaient-ils paru, que Clément prit le livre de Henri, se pro mena dans la chambre en le feuilletant, puis s'assit sur un long banc couvert d'un vieux tapis, « qui ne valait pas 284

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle vingt sous, » dit un chroniqueur, et lut tout haut le livre. Il comptait à haute voix le nombre des arguments; il faisait des objections comme si Henri était présent, et les accumulait sans attendre de réponse. « Les mariages défendus dans le Lévi tique, dit-il d'un ton bref et rapide, sont permis dans le Deutéronome ; et le Deutéronome venant après le Lévitique, c'est au Deutéronome qu'il faut s'en tenir! Il s'agit de l'honneur de Catherine et de l'empereur, et le divorce susciterait une terrible guerre

[13] !... » Le pape ne cessait de parler, et si l'un des Anglais voulait lui répondre : Silence ! » Disait-il, et il continuait sa lecture. Excellent livre ! dit-il pourtant d'un ton courtois, quand il eut fini; je le garde pour le relire, à loi sir. » Alors Gardiner ayant présenté une copie de la commission que Henri demandait : « Il est trop tard pour nous en occuper, répondit Clément; laissez-la-moi. — Il faut se presser, ajouta Gardiner. — Oui, oui, je le sais, répondit le pape. » Tous ses efforts allaient tendre à tirer l'affaire en longueur.

Le 28 mars, à trois heures, on introduisit les ambassadeurs dans le cabinet où couchait le pape ; les cardinaux Quatri Santi et De Monte, ainsi que le conseiller de rote Simonetta y étaient alors avec lui. Des chaises étaient disposées en demi-cercle, Asseyez-vous, dit Clément, qui se tenait debout au milieu*[14]. Maître Gardiner, dites maintenant ce que vous demandez. — Il n'y a de débat entre nous, dit Gardiner, que sur une question de temps. Vous vous engagez à confirmer le divorce quand il sera accompli ; et nous, nous vous de mandons de faire avant, ce que vous promettez de faire après. Ce qui est juste un jour ne l'est-il pas un autre ? » Puis élevant la voix, l'Anglais ajouta : a Si Sa Majesté s'aperçoit qu'on n'a pas plus de respect pour elle que pour un homme du commun peuple [15], elle devra faire usage d'un remède que je ne nommerai pas, mais qui ne manquera pas son effet... »

Le pape et ses conseillers se regardèrent en silence '[16] ; ils avaient compris. Alors l'impérieux Gardiner, remarquant l'effet qu'il venait de produire, ajouta d'un ton absolu : « Nous avons nos instructions, et nous sommes décidés à nous y tenir. — Je suis prêt à faire tout ce qui est compatible avec mon honneur, s'écria Clément effrayé. — Ce que votre honneur ne vous permettrait pas d'accorder, dît le fier ambassadeur, l'honneur du roi mon maître ne lui permettrait pas de vous le demander. » Les paroles de Gardiner devenaient toujours plus impératives. « Eh!

bien, dit Clément poussé à bout, je ferai ce que le roi demande, et si l'empereur se fâche, peu m'importe!... » L'entrevue, qui avait commencé par un orage, finit par un rayon de soleil.

Le rayon devait bientôt disparaître; Clément, qui s'imaginait voir dans Henri un Annibal aux prises avec Rome, voulait jouer le temporiseur, le Fabius Cunctator. —

Bis dat qui cito dat [17], lui dit vivement Gardiner qui remarqua cette manœuvre. «

Il s'agit de la loi, répondit le pape, et comme je suis fort ignorant dans cette matière, je dois donner aux docteurs en droit canon le temps nécessaire pour l'éclaircir. —

Par ses délais, Fabius Maximus a sauvé Rome, répondit Gardiner ; mais vous, par 285

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle les vôtres, vous la perdrez ... [18] — Hélas! s'écria le pape, si je donne raison au roi, il me faudra reprendre le chemin de la prison*... [19] — C'est de la vérité qu'il s'agit, dit l'ambassadeur; qu'importent les jugements des hommes ! » Gardiner en parlait à son aise, mais Clément trouvait que le château Saint-Ange avait bien son poids dans la balance. « Soyez sûrs, répondit le moderne Fabius, que je ferai pour le mieux. » La conférence se termina ainsi.

Telles étaient les luttes de l'Angleterre avec la papauté, luttes qui devaient finir par une rupture définitive. Gardiner reconnaissait qu'il avait rencontré un adversaire habile ; trop fin pour se laisser aller à la colère, il prit à froid la résolution d'épouvanter le pontife : cela était dans ses instructions. Le vendredi avant le dimanche des Rameaux, il se rendit dans le petit cabinet de Clément, où se trouvaient alors avec le pape, De Monte, Quatri Santi, Simonetta, Slaphiléo, Paul, auditeur de rote, et Gambara. « Impossible, lui dirent les cardinaux, d'accorder une commission décrétale dans laquelle le pape se prononcerait de jure en faveur du divorce, avec promesse de confirmation de facto. » Gardiner insista; mais aucune considération, ni douce, ni poignante [20], ne pouvait ébranler le pontife. L'envoyé jugea que le moment était venu de faire jouer sa plus forte batterie. « Grace perverse! dit-il aux ministres du pontife; au lieu d'être simples comme des colombes, vous êtes pleins de dissimulation et de malice comme des serpents ; promet tant tout en paroles, vous ne tenez rien en effet*[21] ! L'Angleterre sera obligée de croire que Dieu vous a retiré la clef de la connaissance, et que les lois des papes, incertaines pour les papes eux-mêmes, ne sont bonnes qu'à être jetées au feu [22].

Le roi a retenu jusqu'à cette heure son peuple, impatient du joug de la papauté ; mais il va maintenant lui lâcher la bride... »

Il se fit un long et morne silence. Alors l'Anglais, changeant tout à coup de langage, s'approcha avec douceur du pape qui s'était levé, et le conjura à voix basse de bien considérer ce que réclamait de lui la justice. « Hélas ! répondit Clément, je vous le dis encore, je ne suis qu'un ignorant! Selon les maximes du droit canon, le pape porte toutes les lois dans la cassette de son esprit'' [23] ; mais malheureusement Dieu ne m'en a jamais remis la clef! » N'ayant pu échapper par le silence, Clément se sauvait par un bon mot, et, sans trop s'en soucier, prononçait la condamnation de la papauté. S'il n'avait jamais reçu la fameuse clef, il n'y avait pas de raison pour que d'autres pontifes l'eussent possédée. Le lendemain, il trouva une troisième échappatoire. En effet, les ambassadeurs lui ayant déclaré que le roi ferait la chose sans lui, il soupira, tira son mouchoir, s'essuya les yeux, et dit : « Plût à Dieu qu'elle fût déjà faite ! » Médicis faisait entrer les pleurs dans les ressources de la politique.

Nous n'aurons pas la commission décrétale (celle qui devait prononcer le divorce), dirent alors Fox et Gardiner, et elle n'est pas absolument nécessaire. Demandons la commission générale (celle destinée à autoriser les légats à le prononcer), et exigeons une promesse qui tienne lieu de l'acte qu'on nous refuse. » Clément, prêt à 286

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle faire toutes les promesses du monde, jura de confirmer sans délai la sentence des légats. Alors Fox et Gardiner ayant présenté à Simonetta le modèle de l'acte qu'ils demandaient, le doyen le lut, puis le rendit aux Anglais, en disant : « C'est bien, je pense, sauf la fin [24] ; communiquez cette pièce à Quatri Santi. » Le lendemain matin, ils portèrent leur projet à ce cardinal. « Depuis quand, s'écria-t-il, est-ce le malade qui écrit l'ordonnance? J'ai toujours cru que c'é tait le médecin... — Nul ne connaît le mal comme le malade lui-même, répondit Gardiner, et ce mal peut être de telle nature que le docteur ne puisse pas prescrire le remède sans prendre l'avis du patient. [25] » — Quatri Santi lut la recette, et la rendit en disant : « Ce n'est pas mal, sauf le commencement [26]. Portez cet acte à De Monte et aux autres conseillers. » Ceux-ci n'aimaient ni le commencement, ni le milieu, ni la fin. — Nous vous rappellerons ce soir, » dit De Monte.

Deux ou trois jours s'étant écoulés, les envoyés d’Henri se rendirent chez le pape, qui leur montra le projet rédigé par ses conseillers. Gardiner y remarquant des additions, des retranchements, des corrections, le jeta dédaigneusement et dit avec froideur : « Votre Sainteté nous trompe, et elle a choisi ces hommes-là pour être les instruments de sa duplicité. » Clément, effrayé, fit appeler Simonetta ; et après une vive altercation les envoyés, toujours plus mécontents, quittèrent le pape à une heure du matin. [27]

La nuit porta conseil. « Je ne demande, dit, le lendemain, Gardiner à Clément et à Simonetta, « que deux petits mots de plus dans la commission. » — Le pape invita Simonetta à se rendre immédiatement auprès des cardinaux; ceux-ci firent savoir qu'ils étaient à leur collation et renvoyèrent au lendemain.

A l'ouïe de ce message épicurien, Gardiner crut qu'il fallait enfin porter les derniers coups. Une nouvelle tragédie commença*[28] : « On nous trompe! s'écria-t-il, on se moque de nous. Ce n'est pas ainsi que l'on gagne la faveur des princes. L'eau mise dans le vin le gâte* [29]; vos corrections affadissent notre document. Ces prêtres ignorants et soupçonneux ont épelé notre projet, comme si un scorpion était caché sous chaque mot.[30] — Vous nous avez fait venir en Italie, dit-il à Staphiléo et à Gambara, comme des éperviers que l'on attire en leur montrant de la viande sur le poing [31] , et maintenant que nous voici, l'appât a disparu, et au lieu de nous donner ce que nous avons cherché, on prétend nous endormir par la douce voix des sirènes [32]. »

Puis se tournant vers Clément : « C'est Votre Sainteté qui en répondra, « dit l'envoyé anglais. Le pape soupira et essuya ses larmes. « Dieu a voulu, continua Gardiner dont la voix devenait de plus en plus menaçante, que nous vivions de nos propres yeux la disposition des gens de céans. Il est temps d'en finir. Ce n'est pas un prince ordinaire, c'est, pensez-y bien, le Défenseur de la foi que vous insultez... Vous allez perdre la faveur du seul monarque qui vous protégé, et le siège apostolique, 287

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle déjà chancelant, va s'écrouler, tomber en poudre et disparaître totalement, aux applaudissements de toute la chrétienté. »

Gardiner s'arrêta. Le pape était ému. L'état de l'Italie ne semblait que trop confirmer les prédictions sinistres de l'envoyé d’Henri VIII. Les troupes impériales, frappées de terreur et poursuivies par Lautrec, avaient abandonné Rome et s'étaient retirées sur Naples. Le général français s'était mis à la poursuite de cette malheureuse armée de Charles

Quint, décimée par la peste et par la débauche; Doria, à la tête de ses galères, avait détruit la flotte espagnole ; Gaëte et Naples restaient seules aux Impériaux; et Lautrec, qui assiégeait Naples, faisait écrire à Henri VIII, le 26 août, que tout se rait bientôt fini. Le timide Clément VII avait suivi avec attention toutes ces catastrophes. Aussi, à peine Gardiner lui eut il dénoncé le danger qui menaçait la papauté, que saisi d'effroi, il pâlit, se leva, étendit les bras avec terreur, comme s'il eût voulu repousser quelque monstre prêt à l'engloutir, et s'écria : « Écrivez !

Écrivez ! Mettez tous les mots que vous voudrez ! »

En parlant ainsi, il parcourait la chambre, levait les mains au ciel, poussait des cris, tandis que Fox et Gardiner, debout et immobiles, le contemplaient en silence ; un vent impétueux semblait remuer les plus profonds abîmes ; les ambassadeurs attendaient que la tempête s'apaisât. A la fin Clément se remit [33], prononça quelques excuses, et congédia les ministres de Henri. Il était une heure après minuit.

Ce n'était ni la morale, ni la religion, ni même une loi de l'Église qui portait Médicis à refuser le divorce ; l'ambition et la peur étaient ses seuls mobiles. Il eût voulu qu’Henri contraignît d'abord l'Empereur à lui restituer son territoire. Mais le roi d'Angleterre, qui se sentait incapable de protéger le pape contre Charles, exigeait pourtant que ce malheureux pontife provoquât la colère de l'empereur. Clément recueillait le fruit du système fatal qui avait transformé l'Église de Jésus-Christ en une triste combinaison de politique et de ruse. Le lendemain, la tempête étant décidément tombée [34], Quatri Santi corrigea la commission. Elle fut signée, munie du sceau de plomb pendant à un fil de chanvre, puis remise à Gardiner. Celui-ci la lut. Elle était adressée à Wolsey, et l'autorisait, pour le cas où il reconnaîtrait la nullité du mariage de Henri VIII, à prononcer judiciairement la sentence de divorce, mais sans bruit, et sans apparence de jugement*[35] ; il pouvait pour cela s'adjoindre quelque autre évêque anglais. — Tout ce que nous pouvons, vous le pouvez, disait le pape. — Nous doutons fort, dit, après avoir lu cette bulle, l'exigeant Gardiner, que cette commission, sans les clauses de confirmation et de révocation, satisfasse Sa Majesté; mais nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir pour qu'elle l'accepte. — Surtout, dit le pape, ne parlez pas de nos altercations. »

288

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

— Gardiner, en discret diplomate, ne manqua pas de tout écrire par le menu dans des lettres en chiffres desquelles nous avons tiré ces détails. — Dites au roi, continua Médicis, que cette commission est de ma part une déclaration de guerre à l'Empereur, et que je me place en conséquence sous la royale protection de Sa Majesté. » — Le grand aumônier d'Angleterre partit pour Londres avec le précieux document.

Mais à un orage en succédait aussitôt un autre. Il n'y avait pas longtemps que Fox avait quitté Rome, quand arrivèrent de nouvelles lettres de Wolsey, qui exigeait le quatrième des actes primitivement requis, engagement de confirmer à Rome tout ce que les commissaires pourraient décider en Angleterre. Gardiner devait s'y employer opportune et importune ; on n'avait gardé de se contenter de la promesse verbale du pape : il fallait cet acte, le pape fût-il malade, fût-il mourant, fût-il mort.

[36] « Ego et rex meus, nous vous le commandons, disait Wolsey ; ce divorce nous tient plus à cœur que vingt papautés*. [37] » L'agent anglais revint à la charge. «

Puisque vous refusez la décrétale, dit-il, raison de plus pour que vous ne refusiez pas V engagement. » Nouveaux combats; nouvelles larmes. Clément céda encore; mais les Italiens, plus fins que Gardiner lui-même, réservèrent dans l'acte une porte de derrière, par laquelle le pontife pouvait s'échapper. Le messager Thaddée porta à Londres ce document; et Gardiner se rendit d'Orvieto à Rome, pour conférer avec Campeggi.

Clément, doué d'un esprit pénétrant, et qui savait mieux que personne faire un discours habile, était * irrésolu et craintif; aussi à peine la commission fut elle partit, qu'il se repentit. Plein d'angoisse, il parcourait les chambres ruinées de son vieux palais, et croyait voir suspendue sur sa tête cette terrible épée de Charles-Quint, dont il avait naguère senti la pointe. « Malheureux que je suis! disait-il; des loups cruels m'environnent; ils ouvrent leurs gueules pour m'engloutir... Je ne vois partout que des ennemis. A leur tête, l'Empereur... Que va-t-il faire ? Hélas ! j'ai livré cette fatale commission que le général de l'Observance espagnole m'avait enjoint de refuser. A la suite de Charles, se présentent les Vénitiens, les Florentins et le duc de Ferrare... Ils ont jeté le sort sur ma robe Puis vient le roi de France, qui ne pro met rien, qui reste les bras croisés ; ou plutôt, ô perfidie ! Me demande, en ce moment critique, d'enlever à Charles-Quint sa couronne!... Enfin, le dernier, mais non pas le moindre, Henri VIII lui-même, le Défenseur de la foi, me fait entendre d'affreuses menaces... L'un veut maintenir la reine sur le trône d'Angleterre ; l'autre veut la renvoyer... Oh! Plût à Dieu que Catherine fût couchée dans le sépulcre !

Mais, hélas! Elle vit... pour être la pomme de discorde qui divise les plus grands monarques, et la cause inévitable de la ruine de la papauté!... Malheureux que je sois! Je me trouve dans une cruelle perplexité, et je ne découvre autour de moi qu'une horrible confusion a ! » [38]

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle FOOTNOTES

[1] Nullius sitroboris vel effectus. » [State papers, VII, p. 50.)

[2] Du Bellay à François I. (Le Grand, preuves, p. 64.)

[3] Find some other way to set him at ease. » (Burnet, Ref., p. 50.)

[4] Sine strepitu et figura judicii. » (Burnet, Records,, I, p. 30.)

[5] Non obstantibus quibuscumque decretis, etc. » [Ibid., p. 31.)

[6] Mei dimidiu n. » (Burnet, Rec, I. p. 27.)

[7] Money to present the cardinals. » (Strype, Memor. p. 137.)

[8] Borrowing of divers men so much as might furnish three beds. » (Stryp., I, p.

1S9.)

[9] Few of them had more garments than one. » (Stryp., I, p. 139.)

[10] It were better to be in captivity at Rome, thenne here at liberty.» [State Pap., VII, p. 63.)

[11] Thirty persons riff-raff'a.ni others standing in the chambers for a garnishment.

» (Strype, ï, p. 139.)

[12] The cardinal's judgement as to the good qualities of the gentle -woman. »

(Strype, I, p. 141.)

[13] Quis praestabit ne hoc divortium raagni alicujus belli causam praebeat. »

(Sanderus, p. 26.)

[14] In medio semicirculi. » (Strype, Records, I, p. 81.)

[15] Promiscuœ plebis. » (Strype, Records, l, p. 82.)

[16] Every man looked on other and so stayed. » [Ibicl.)

[17] Qui donne vite, donne deux fois.

[18] In Fabio Maximo qui rem romanam cunctando restituit. » (Strype, p. 90.)

[19] Materia novae captivitatis. » [Ibid., p. 86.)

[20] No persuasion ne dulce ne poynante. » (Strype, p. 114.)

[21]Pleni omni dolo et versutia et dissimulatione. Verbis omnia pol licentur, reipsa nihil praestant. » [Ibid., p. 98.)

[22] Digna esse quae mandentur flammis pontificia jura. » [Ibid.) 290

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

[23] Pontifex habet omnia jura in scrinio pedoris. » [Ibid., p. 99.)

[24] Sighed and wyped his eyes. » (Strype, p. 100.)

[25] The matter was good, saving in the latter end. » [Ibid., p. 102.1

CORRECTIONS. 457

[26] The beginning pleased him not. » (Strype, p. 103.)

[27] Incalescente disputatione. » [Ibid., p. 104.)

[28] Here began a new tragedy. » [Ibid., p. 105.)

[29] Vinum conspurcat infusa aqua. » [Ibid.)

[30] Putantes sub omni verbo latere scorpionem » (Strype.)

[31] Praetendere pugno carnem. » [Ibicl.)

[32] Dulcibus sirenum vocibus incantare. » [Ibid.)

[33] Compositis affectibus. » (Strype, p. 106.)

[34] The divers tempests passed over. » (Strype, Records, I, p. 106.)

[35] Sine strepitu et figura judicii sententiam divortii, judicialiter proferendam. »

(Rymer, Fœdera, VI, pars II, p. 95.)

[36] In casu mortis pontificis, quod Deus avertat. » (Burnet, Rec, I, p. 55.)

[37] The thing which the king and I more esteem than twenty papalties. » (Burnet, Records, l, p. 50.)

[38] His holiness findeth himself in a marvelous perplexitie and con fusion. »

[Ibid.,$. 108.)

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE XI.

Rapport de Fox à Henri et Anne. — Impression de Wolsey. — Il demande la décrétale. — Une petite manœuvre du cardinal. — Il met sa conscience à l'aise. —

Gardiner échoue à Rome. — Nouvelle perfidie de Wolsey. — Colère du roi contre le pape. — More prédit la liberté religieuse. — Immoralité du socialisme romain. —

Érasme appelé. — Dernier élan de Wolsey. — Efforts énergiques à Rome. —

Clément accorde tout. — Wolsey triomphe. — Union de Rome et de l'Angleterre Pendant ce temps, Fox se rendait en Angleterre. Le 27 avril, il était à Paris; le 2 mai il abordait à Sandwich, et se rendait en hâte à Greenwich, où se trouvait la cour et où il arrivait le lendemain à cinq heures du soir, au moment même où Wolsey venait de retourner à Londres. L'arrivée de Fox était un événement d'une grande importance. « Qu'il se rende dans les appartements de lady Anne, dit le roi, et qu'il m'y attende. » Fox raconta à Anne Boleyn ses efforts et ceux de Gardiner, et le succès de leur mission. Anne lui adressa quelques paroles aimables. Le temps, la volonté royale, l'ambition peut-être l'avaient presque décidée ; elle ne s'op posait plus au projet de Henri. « Madame Anne «, me nommait toujours maître Étienne, »

écrit Fox à Gardiner, « tant son esprit était rempli de vous. » Le roi parut et Anne se retira.

Dites-moi le plus brièvement possible ce que vous avez fait, dit Henri. » Fox remit au prince la lettre insignifiante du pape, que le roi se fit lire par l'aumônier ; celle de Staphiléo, qui fut mise de côté, et enfin celle de Gardiner, que Henri prit précipitamment et lut à part : « Le pape nous a promis, dit Fox en terminant son rapport, de confirmer la sentence du divorce, aussitôt que les commissaires l'auraient prononcée. — Admirable! » Dit le roi; puis il fit appeler lady Anne. «

Répétez devant Madame, dit-il à Fox, ce que vous venez de me dire. » L'aumônier obéit. « Le pape, dit-il en finissant, est persuadé de la justice de votre cause, et la lettre du cardinal l'a convaincu que Madame est digne du trône d'Angleterre. —

Faites ce soir même votre rapport à Wolsey, dit le roi. »

Il était dix heures du soir quand le grand aumônier arriva au palais de Wolsey; celui-ci était couché ; mais il ordonna immédiatement qu'on introduisît Fox près de son lit. Homme d'Eglise, Wolsey pouvait mieux que Henri comprendre les finesses du pape ; aussi, ayant appris que Fox n'apportait que la commission, il fut effrayé de la tâche qu'on lui imposait. « Quel malheur! s'écria-t-il, votre commission ne vaut pas plus que celle de Gambara... Toutefois, allez-vous reposer; j'examine rai demain ces papiers. » Fox se retira tout confus. Ce n'est pas mal, dit Wolsey le lendemain, mais c'est encore sur moi que toute l'affaire retombe ! . . . N'importe, il me faut avoir l'air content, sans quoi!... »

292

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Puis, ayant fait venir après-midi dans son cabinet, Fox, le docteur Bell et le vicomte de Rocheford : « Maître Gardiner s'est surpassé, » s'écria le rusé et flexible cardinal; quel homme! Ô trésor inestimable ! Ô perle de notre royaume [1] ! » Il n'en croyait rien. Wolsey était mécontent de tout, du refus de la décrétale, et de la rédaction soit de la commission, soit de l'engagement (qui arriva bientôt après en fort bon état, quant à l'extérieur).

Mais la mauvaise humeur du roi eût rejailli infailliblement sur Wolsey; il faisait donc bonne mine à mauvais jeu, et ruminant en secret les moyens d'obtenir ce qu'on lui refusait : « Écrivez à Gardiner, dit-il à Fox, que tout me fait désirer la décrétale du pape, — le besoin de décharger ma conscience, celui de pouvoir répondre aux calomniateurs qui attaqueront mon jugement *[2], la pensée des accidents auxquels la vie des hommes est exposée. Que Sa Sainteté prononce donc elle-même le divorce; nous nous engageons, de notre part, à tenir secrète sa résolution. Mais ordonnez à maître Etienne d'employer tous les genres de persuasion que sa rhétorique peut imaginer. » Dans le cas où le pape refuserait absolument la décrétale, Wolsey demandait que Campeggi partageât du moins avec lui la responsabilité du divorce.

Ce n'était pas tout ; en lisant l'engagement, Wolsey avait aperçu la porte de derrière qui avait échappé à Gardiner, et voici ce qu'il imagina. « L'engagement que le pape nous a envoyé, écrivit-il à Gardiner, est conçu en des termes tels qu'il peut le rétracter ; il nous faut donc trouver quel que bon moyen*[3] pour en obtenir un autre. Voici la couleur sous laquelle vous pouvez le faire. Vous vous présenterez à Sa Sainteté avec un air de doléance [4], et lui direz : Hélas ! Le courrier chargé de l'engagement est tombé dans l'eau avec ses dé pêches, en sorte que l'acte est illisible

*[5]. On n'a pas osé le remettre au roi, et si Votre Sainteté ne m'en fait pas délivrer un double, j'encourrai de la part de Sa Majesté le blâme le plus sévère. Au reste, continuerez-vous, je me rappelle les expressions de l'ancien document, et pour éviter toute peine à Votre Sainteté, je les dicterai à votre secrétaire. Puis, ajoutait Wolsey, tandis que le secrétaire écrira, vous trouverez moyen d'introduire dans cet acte, sans qu'il s'en aperçoive, des mots significatifs, gros et forts [6], propres à lier le pape et à agrandir mes pouvoirs. Sa Majesté et moi, nous 't confions à votre habileté cette petite manœuvre politique *. [7] »

Tel était l'expédient inventé par Wolsey. Le secrétaire papal, s'imaginant faire une nouvelle expédition du premier document (qui était du reste en parfait état), devait, sous la dictée de l'ambassadeur anglais, en rédiger un d'une autre teneur. La petite manœuvre politique du cardinal-légat ne ressemblait pas mal à l'acte d'un faussaire, et jette un triste jour sur la politique du seizième siècle. Wolsey fit lire cette lettre au grand aumônier; puis, pour mettre sa conscience en paix, il ajouta pieusement : « Dans une affaire d'une si haute importance, de laquelle dépendent la gloire ou la ruine de cet empire, —mon honneur ou mon ignominie, — la condamnation de mon âme ou mon mérite éternel, — je ne veux écouter que le cri de 293

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle ma conscience et je prétends agir d'une manière si équitable que je puisse sans crainte en rendre compte à Dieu. [8] »

Wolsey fit plus encore ; il semble que l'audace de ses déclarations le rassurait sur la bassesse de ses œuvres. Étant le dimanche suivant à Greenwich, il dit au roi en présence de Fox, de Bell, de Wolman et de Tuke : « Sire, je suis lié à votre royale personne plus qu'aucun sujet ne le fut jamais à son prince. Je suis prêt à prodiguer pour vous mes biens, mon sang, ma vie... Mais mes obligations envers Dieu sont plus grandes encore. C'est pour quoi, plutôt que d'agir contre sa volonté, j'endurerai les maux les plus extrêmes [9]. J'essuierai votre royale indignation, et s'il le faut, je livrerai mon corps aux bourreaux pour qu'ils l'écartèlent.»

Quel esprit poussait alors Wolsey ? Était-ce aveuglement, était-ce impudence? Peut-être était-il sincère dans ces paroles adressées à Henri ; peut-être désirait-il dans le fond de son âme faire passer le pape avant le roi, l'Église de Rome avant le royaume d'Angleterre, et ce désir lui paraissait-il un sublime vertu, capable de voiler une multitude de péchés. Ce que la conscience publique eût nommé trahison, était pour le prêtre romain de l'héroïsme.

Ce zèle pour la papauté s'est rencontré parfois avec la plus flagrante immoralité. Si Wolsey trompait le pape, c'était pour sauver la papauté dans le royaume d'Angleterre. Fox, Bell, Wolman et Tuke écoutaient Wolsey tout émerveillés V

Henri, qui croyait connaître son homme, recevait sans alarme ses saintes déclarations, et le cardinal ayant ainsi mis sa conscience à l'aise s'en allait hardiment à ses iniquités. Il semble toutefois que le reproche intérieur qu'il faisait taire en public prît sa revanche dans le secret. Un de ses officiers entrant peu après dans son cabinet, lui présenta à signer une lettre adressée à Campeggi, qui finissait ainsi : « Tout se terminera à la gloire de Dieu, à la satisfaction du roi, à la «paix du royaume, et à notre propre honneur, avec une bonne conscience.» Wolsey ayant lu la lettre, effaça ces quatre derniers mots [10]. La conscience a un aiguillon auquel nul ne saurait échapper, pas même un Wolsey.

Cependant Gardiner ne perdait pas son temps en Italie. Arrivé auprès de Campeggi (auquel Henri VIII avait donné un palais à Rome et un évêché en Angleterre), il le conjura de venir à Londres prononcer le divorce. Ce prélat, qui devait être chargé en 1530 d'étouffer le protestantisme en Allemagne, semblait devoir se prêter à une mission qui sauverait dans la Grande-Bretagne le catholicisme romain. Mais fier de sa position à Rome, où il représentait le pape, il ne se souciait pas d'une fonction qui lui attirerait infailliblement la haine de Henri ou la colère de Charles. Il s'excusa.

Le pape parla dans le même sens. En l'apprenant, le terrible Tudor, commençant à croire que le pape voulait l'enlacer, comme le chasseur enlace le lion dans ses rets, fit éclater sa colère et la déchargea sur Tuke, sur Fox, sur Gardiner lui-même, mais surtoutsurWolsey.il ne manquait pas de raisons pour le faire. Le cardinal, 294

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle s'apercevant que sa haine contre Charles l'avait poussé trop loin, avait prétendu que c'était sans son ordre que Clarencieux, gagné par la France, s'était joint à l'ambassadeur français pour déclarer la guerre à l'Empereur; il avait ajouté qu'il ferait mettre à mort ce roi d'armes d'Angleterre, lors de son passage à Calais.

C'était un moyen infaillible d'empêcher de fâcheuses révélations. Clarencieux, informé à temps, passa par Boulogne, et obtint à l'insu du cardinal une audience de Henri, sous les yeux duquel il plaça les ordres que Wolsey lui avait donnés dans trois lettres consécutives. Le roi, étonné de l'impudence de son ministre, s'écria : « O

Seigneur Jésus, celui en qui j'avais le plus de confiance m'avait dit tout le contraire!

» Puis, ayant fait appeler Wolsey, il lui reprocha rudement ses mensonges. Le misérable tremblait comme la feuille. Henri parut lui accorder son pardon, mais le temps de sa faveur était passé. Il ne conserva plus le cardinal que comme un de ces instruments dont on se sert pendant un temps, et qu'on met au rebut quand on n'en a plus besoin.

La colère du roi contre le pape surpassait encore celle qu'il éprouvait contre Wolsey; il tressaillait, se levait, s'asseyait, déchargeait son courroux par des paroles pleines d'emportement. — Quoi? disait-il, j'épuiserai mes combinaisons politiques, je viderai mes trésors, je ferai la guerre à mes amis, je consumerai mes forces... Et pour qui?...

pour un prêtre sans cœur, qui, ne considérant ni les exigences de mon honneur, ni la paix de ma con science, ni la prospérité de mon royaume, ni les nombreux bienfaits dont je l'ai comblé, me refuse une grâce qu'il devrait, comme père commun des fidèles, accorder même à. son ennemi... Hypocrite!... Tu te couvres des dehors de l'amitié, Tu nous flattes par de subtiles pratiques *[11], mais tu ne nous donnes qu'un document bâtard, et tu dis comme Pilate : Peu m'importe que ce roi périsse, et tout son royaume avec lui ; prenez-le vous-même et le jugez selon votre loi! — Je te comprends... Tu veux nous embarrasser dans tes broussailles, tu veux nous prendre dans tes trappes, tu veux nous faire tomber dans le trou Mais nous avons découvert le piégé ; nous échapperons à tes embûches et nous braverons ton pouvoir ! »

Telles étaient les paroles qu'on entendait alors à la cour d'Angleterre, dit un chroniqueur. [12] Les moines et les prêtres commencèrent à s'effrayer, tandis que les esprits les plus éclairés entrevoyaient déjà dans le lointain les premières lueurs de la liberté religieuse.

Un jour, dans un moment où Henri se montrait sectateur zélé des doctrines romaines, Thomas More étant au sein de sa famille, son gendre Rooper, devenu zélé papiste, s'écria : O heureux royaume d'Angleterre, où pas un hé rétique n'ose montrer sa face! — Cela est vrai, fils Rooper, dit More ; nous sommes maintenant au sommet de la montagne, et nous foulons les hérétiques sous nos pieds comme des fourmis; mais plaise à Dieu que nous ne voyions jamais arriver le jour où nous souhaiterons d'être en paix avec eux, et de leur laisser leurs églises, pourvu qu'ils nous laissent les nôtres! «Rooper répondit avec emportement: [13] « Par ma foi, 295

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Monsieur, c'est parler en désespéré ! » More avait pourtant raison ; le génie est quelquefois un grand devineur. La Réformation allait inaugurer la liberté religieuse, et as seoir ainsi la liberté civile sur une base inébranlable. Henri lui-même s'éclairait peu à peu. Il commençait à avoir quelques doutes sur la hiérarchie romaine, et à se demander si un prêtre-roi, embarrassé dans toutes les complications de la politique, pouvait bien être le chef de l'Église de Jésus-Christ.

Des personnes pieuses de son royaume, reconnaissaient dans l'Écriture et dans la conscience, une loi supérieure à la loi de Rome, et refusaient d'immoler aux ordres de l'Église des convictions morales, sanctionnées par la révélation de Dieu. Le système hiérarchique, qui prétend absorber l'homme dans la papauté, avait opprimé, depuis des siècles, la conscience des chrétiens.

Quand l'Église romaine avait exigé des Bérenger, des Jean Huss, des Savona rola, des Jean Wesel, des Luther, la négation de leur conscience éclairée par la Parole, c'est-à-dire de la voix de Dieu, elle avait fait toucher au doigt tout ce qu'il y a d'immoral dans le socialisme ultramontain. « Si le chrétien consent à cette demande énorme de la hiérarchie, se disaient alors les hommes les plus éclairés, s'il abdique son propre sentiment quant au bien et au mal, dans les mains du clergé, s'il ne se réserve pas d'obéir à Dieu qui lui parle dans la Bible, plutôt qu'aux hommes, leur accord fut-il universel, si Henri VIII, par exemple, fait taire sa conscience qui condamne son union avec la veuve de son frère, pour obéir à la voix cléricale qui l'approuve ; il abdique par cela même la vérité, le devoir, et jusqu'à Dieu lui-même. »

Mais il faut bien le dire : si les droits de la conscience commençaient à être compris en Angleterre, ce n'était pas de choses si saintes qu'il s'agissait entre Henri et Clément. Ils étaient deux intrigants, désireux, l'un d'amour, l'autre de pouvoir, et voilà tout.

Quoi qu'il en soit, une pensée de dégoût pour Rome germa alors dans le cœur de Henri, et rien ne put l'en chasser. Il fit aussitôt tous ses efforts pour attirer Érasme à Londres. En effet, si Tudor se séparait du pape, c'étaient ses anciens amis les lettrés qui devaient être ses auxiliaires, et non des docteurs hérétiques. Mais Érasme, dans une lettre du 1er juin, objecta sa santé, les voleurs qui infestaient les routes, les guerres et les bruits de guerre. « Les destins nous mènent, dit-il, cédons aux destins [14].» Il est fort heureux pour l'Angleterre qu'Érasme n'ait pas été son réformateur.

Wolsey remarqua ce mouvement de son maître, et résolut de faire un énergique effort pour réconcilier Clément et Henri VIII ; il y allait de sa propre sûreté. Il écrivit au pape, à Campeggi, à Da Casale, à toute l'Italie. Il déclara que s'il était perdu, la papauté l'était avec lui, au moins en Angleterre. « C'est de mon propre sang, ajouta-t-il, que je voudrais acheter la bulle décrétale [15]. Assurez sur mon âme le Saint-Père, que pas un œil mortel rte la verra.» Enfin, il fit écrire à Gardiner 296

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle par le grand aumônier : « Si Campeggi ne vient pas, vous ne reviendrez a jamais »

Moyen infaillible de stimuler le zèle du secrétaire [16].

C'était le dernier effort d’Henri VIII. Une année auparavant, Bourbon et le prince d'Orange n'avaient pas mis plus de zèle à escalader les murs de Rome. Le feu de Wolsey avait enflammé ses agents ; ils argumentaient? Ils suppliaient, ils criaient, ils menaçaient. Les cardinaux et les théologiens, effrayés, se rassemblaient à la voix du pape, examinaient, discutaient, mêlaient les intérêts politiques et les affaires de l'Eglise [17]. Ils comprirent enfin cette fois-ci ce que Wolsey leur faisait savoir. «

Henri, dirent ils, est le défenseur le plus énergique de la foi. Ce n'est qu'en lui accordant sa demande qu'on peut conserver à la papauté le royaume d'Angleterre.

L'armée de Charles-Quint est en déroute et celle de François triomphe... » Le dernier de ces arguments trancha la question ; le pape fut pris subite ment d'une grande sympathie pour Wolsey et pour l'Église d'Angleterre ; l'Empereur était battu, donc l'Empereur avait tort ; Clément accorda tout. D'abord Campeggi fut invité à se rendre à Londres. Le pontife savait qu'il pouvait compter sur son intelligence et sur son inflexible adhésion aux intérêts de la hiérarchie ; la goutte même du cardinal était un avantage, car elle pouvait servir à d'in nombrables délais. Puis le 8 juin, le pape, alors à Vilerbe, donna une nouvelle commission par laquelle il conférait à Wolsey et à Campeggi, le pouvoir de déclarer nul le mariage d’Henri et de Catherine, avec liberté pour le roi et la reine de former de nouveaux nœuds [18]. Quelques jours plus tard, il signa la fameuse décrétale par laquelle il annulait lui-même le mariage d’Henri et de Catherine ; mais au lieu de la confier à Gardiner, il la remit à Campeggi, avec défense de s'en dessaisir. Clément n'était pas sûr des événements; si Charles perd décidément son pouvoir, la bulle sera publiée à la face de la chrétienté ; s'il le recouvre, la bulle sera brûlée*[19].

Les flammes consumèrent en effet plus tard ce décret que Médicis avait signé en l'arrosant de ses larmes. Enfin, le 23 juillet, le pape signa un bon engagement, en vertu duquel il déclarait à l'avance toute rétractation des actes, nulle et sans valeur*[20]. Campeggi et Gardiner partirent. La défaite de Charles- Quint était complète, à Rome comme à Naples ; la justice de sa cause s'était évanouie avec son armée.

Rien ne manquait donc aux désirs d’Henri VIII. Il avait Campeggi, la commission, la bulle décrétale de divorce signée par le pape, et l'engagement qui donnait à tous ces actes une irrévocable valeur. Wolsey était vainqueur, et vainqueur de Clément!... Souvent il avait voulu s'élancer sur le cheval rétif de la papauté pour le conduire à sa guise, mais chaque fois le coursier malicieux lui avait fait perdre les arçons.

Maintenant, il était ferme en selle, et tenait le cheval en bride. Grâce aux revers de Charles, il était maître à Rome. La papauté devait, bon gré mal gré, prendre le 297

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle chemin qu'il avait choisi et devant lequel elle avait longtemps reculé. La joie du roi était sans bornes, et n'était égalée que par celle de Wolsey. Le cardinal voulant, dans le ravissement de son cœur, témoigner sa gratitude aux officiers de la cour romaine, leur fit offrir des tapis, des chevaux, des vases d'or [21]. Tout se ressentait autour d’Henri de la bonne humeur de ce prince. Anne souriait ; la cour s'amusait ; la grande affaire allait s'accomplir ; le Nouveau Testament allait être livré aux flammes; l'union entre l'Angleterre et la papauté paraissait à jamais affermie, et la victoire que Rome semblait remporter dans les îles Britanniques pouvait assurer son triomphe dans tout l'Occident. Vains présages ! C'étaient d'autres destinées que renfermait l'avenir.

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FOOTNOTES

[1] O non œstimandum thosaurum, margaritaraque regni nostri. » (Strype, Records, l, p. 119.)

[2] Justissime obstruere ora calumniantium et temere dissentien tium. » (Strype, Records, l, p. 120.)

[3] Ye shall by some good way find the mean to attain a new pol licitation. »

(Btirnet, Records, p. 60.)

[4] By way of sorrow and doleance. » [Ibid.)

[5] Were totally wet, defaced, and not legible. » [Ibid.) v 30

[6] 1 May find the raeans to get as many of the new and other pre gnant, fat and available words. » (Burnet, Records, p. 61.)

[7] Politic handling. » [Ibid., p. 61.)

[8] Reclamante conscientia. » (Strype, Records, T, p. 124.)

[9] «Eitrema quaeque... contra conscientiam suam. » (Strype, Rie, I,p. 126.) > To mj great mervail and no less joy and comfort. » [Ibid.)

[10] The cardinal dashed out. » (Burnet, I, p. 52.)

[11] By crafty means and under the face and visage of entire amity. » (Strype, I, p.

166.)

[12] To involve and cast us so in the briers and fetters. » [Ibid.) * Strype

[13] My uncle said in a rage. » [More's Life, p. 155.)

[14] Fatis agimur, fatis cedendum. » (Er. Ep., p. 103Î.) 298

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

[15] Ut proprio sanguine id vellemus posse impetrare. » (Burnet, Rec, 1, p. 36.)

[16] Neither should Gardiner ever return. » (Strype, I, p. 167.)

[17] Negotia ecclesiastica politicis rationibus interpolantes. » (San clers, p. 27.)

[18] Ad alia vota commigrandi. » (Herbert, p. 262.)

[19] State Papers, VII, 78. Le Dr Lingard reconnaît l'existence de cette bulle et l'ordre de la livrer au feu.

[20] Si (quod absit) aliquid contra praemissa faciamus, illud pro casso irrito, inani et vacuo omnino haberi volumus. » (Herbert, p. 250.)

[21] Num illi, aulaea, vas aureum aut equi maxime probentur. » (Bur net, Records, I, p. 28.)

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle LIVRE XX. LES DEUX DIVORCES.

CHAPITRE I

Progrès de la Réformation. — Les deux divorces. — Instances auprès d'Anne. — Les lettres du Vatican. — Henri à Anne. — Seconde lettre d’Henri. — Troisième. —

Quatrième. — Effroi de Wolsey. —Ses démarches infructueuses. — Il tourne. — La suette. — Craintes d’Henri. — Nouvelles lettres à Anne. — Anne malade; sa paix.

—Henri lui écrit. —Terreur de Wolsey. — Campeggi n'arrive pas. — Chacun dissimule à la cour

Tandis que l'Angleterre semblait se rattacher à la cour de Rome, la marche générale de l'Église et du monde faisait pressentir de plus en plus l'émancipation prochaine de la chrétienté. Le respect qui entourait depuis tant de siècles le pontife romain était partout ébranlé; la Réforme, déjà solidement établie dans plusieurs États de l'Allemagne et de la Suisse, se propageait en France, dans les Pays-Bas, en Hongrie, et commençait en Suède, en Danemark, en Ecosse. Le midi de l'Europe semblait, il est vrai, soumis au catholicisme romain ; mais l'Espagne se souciait peu, au fond, de l'infaillibilité pontificale, et l'Italie elle-même se demandait si la domination du pape n'était pas l'obstacle qui s'opposait à sa prospérité. L'Angleterre, malgré les apparences, allait aussi s'affranchir du joug des évêques du Tibre, et déjà des voix fidèles demandaient que la Parole de Dieu fût reconnue dans l'Église comme suprême autorité.

La conquête de la Bretagne chrétienne par la papauté remplit, nous l'avons vu, tout le septième siècle. Le seizième fut la contrepartie du septième. La lutte que l'Angleterre eut alors à soutenir pour s'émanciper de la puissance qui l'avait enchaînée pendant neuf cents ans, fut pleine de péripéties, comme celle des temps d'Augustin et d'Oswy. Cette lutte se retrouva sans doute dans chacune des contrées où l'Église se réforma ; mais nulle part elle ne peut être suivie dans ses diverses phases aussi distinctement que dans la Grande-Bretagne. L'œuvre positive de la Réforme, celle qui consista à retrouver la vérité et la vie si longtemps perdues, fut à peu près la même partout; mais quant à l'œuvre négative (la lutte avec la papauté), on dirait que les autres peuples remirent à l'Angleterre le travail dont ils devaient tous profiter.

Une piété peu éclairée regardera peut-être les rapports de la cour d'Angleterre avec la cour de Rome, à l'époque de la Réformation, comme sans intérêt pour la foi; mais l'histoire ne pensera pas de même. L'essentiel dans cette lutte, on l'a trop oublié, ce n'est pas le divorce (il n'en est que l'occasion), c'est la lutte elle-même et ses graves conséquences. Le divorce d’Henri Tudor et de Catherine d'Aragon est un événement secondaire; mais le divorce de l'Angleterre et de la papauté est un événement premier, l'une des grandes évolutions de l'histoire, un acte pour ainsi dire créateur, 300

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle qui exerce encore une influence normale sur les destinées de l'humanité. Aussi tout ce qui s'y rapporte est-il à nos yeux plein d'instruction. Déjà un grand nombre d'hommes pieux s'étaient attachés à la grâce de Jésus-Christ; mais le roi, et avec lui la partie de la nation étrangère à la foi évangélique, tenaient à Rome, qu'Henri avait si vaillamment défendue. La Parole de Dieu avait séparé spirituellement l'Angle terre de la papauté ; la grande affaire l'en sépara matériellement. Il y a entre les deux divorces que nous venons de rappeler, un rapport intime, qui donne au procès d’Henri et de Catherine une extrême importance.

Quand une grande révolution doit s'accomplir au sein d'un peuple (nous avons ici surtout en vue la Réformation), Dieu instruit la minorité par les saintes Écritures, et la majorité par les dispensations du gouvernement divin. Les faits se char gent de pousser en avant ceux que la voix plus spirituelle de la Parole laissait en arrière.

L'Angle terre, profitant de ce grand enseignement des faits, a cru dès lors devoir éviter tout contact avec une puissance qui l'avait trompée ; elle a pensé que la papauté ne pouvait dominer sur un peuple sans porter atteinte à sa vie, et que ce n'était qu'en s’émancipant de cette dictature d'un prêtre, que les nations modernes pouvaient avancer sûrement dans les voies de la liberté, de l'ordre et de la grandeur. Depuis plus d'une année, les plaintes d’Henri l'attestent, Anne Boleyn rejetait les hommages de Tudor.

Le roi désolé comprit qu'il fallait faire jouer d'autres ressorts, et prenant à part lord Rocheford, il lui découvrit son dessein; l'ambitieux Boleyn promit de tout faire pour décider sa fille. « Le divorce est une chose résolue, lui dit-il; vous n'y pouvez rien. Il s'agit seulement de savoir si ce sera vous ou une autre qui donnerez un héritier à la couronne. Rappelez-vous que de terribles révolutions menacent l'Angleterre, si le roi n'a pas un fils. » Ainsi tout se réunissait pour ébranler celte jeune femme. La voix de père, les intérêts de sa patrie, l'amour du roi et sans doute aussi quelque ambition secrète, la sollicitaient à saisir le sceptre qui lui était offert. Ces pensées la poursuivaient dans le monde, dans la solitude et jusque dans ses rêves. Elle se voyait tantôt sur un trône, distribuant au peuple ses bienfaits et la Parole de Dieu, tantôt dans quelque exil obscur, menant une vie inutile, dans les larmes et l'ignominie. Quand dans les jeux de son imagination la couronne d'Angleterre lui apparaissait resplendissante, elle la rejetait d'abord ; mais ensuite cet ornement royal lui semblait si beau et le pouvoir si digne d'envie, qu'elle les repoussait moins énergiquement. Cependant Anne se refusait encore à dire le oui si vive ment sollicité.

Henri, contrarié par ses hésitations, lui écrivait souvent et presque toujours en français. La cour de Rome se servant de ses lettres, qu'elle garde au Vatican, pour inculper la Réformation, nous croyons devoir les citer. Le vol qu'en a fait un cardinal nous les a conservées ; on verra que loin de pouvoir être invoquées à l'appui des calomnies qu'on a répandues, elles sont propres à les réfuter. Nous sommes loin d'en 301

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle approuver tout le contenu ; mais on ne saurait refuser à la jeune femme qui les a écrites des sentiments nobles et généreux.

Henri ne pouvant supporter les angoisses que lui causaient les refus d'Anne, lui écrivit, à ce que l’on suppose, en mai 1528 [1]: « En débattant par de vers moi le contenu de vos lettres, je me suis mis en grande agonie, ne sachant comment les entendre, ou à mon désavantage, comme quelques passages le montrent, ou à mon avantage comme je le conclurais de quelques autres. Je vous supplie donc de bien bon cœur, me vouloir certifier expressément votre intention entière, touchant l'amour entre nous deux. Car nécessité me contraint de pourchasser cette réponse, ayant été plus d'une année atteint du dard d'amour, sans être assuré si j'échouerais (faliere), ou si je trouverais une place certaine dans l'affection de votre cœur.

Ce point m'a gardé depuis peu de temps en ça de ne vous point nommer ma maîtresse, parce que si vous ne m'aimez d'autre sorte que d'amour ordinaire, ce nom ne vous est point approprié, car il dénote une singularité qui est bien loin de l'ordinaire... Je vous supplie me faire entière réponse de cette ma rude lettre, en sorte que je puisse connaître à quoi et en quoi me puis fier. Et s'il ne vous plaît de me faire réponse par écrit, assignez moi quelque lieu là où je la pourrai avoir de bouche, et je m'y trouverai de bien bon cœur. Je ne veux pas vous ennuyer davantage. Écrit de la main de celui qui volontiers demeurerait votre loyal serviteur et ami. « H. T., rex. » Tels étaient les termes affectueux, et l'on peut dire (si l'on pense au temps et à l'homme) respectueux qu'employait Henri, en écrivant à Anne.

Celle-ci, sans rien promettre, laissa voir quelque affection pour le roi et joignit à sa réponse un bijou emblématique, représentant une jeune fille seule dans une nacelle battue par la tempête, » voulant ainsi faire comprendre à ce prince les grands dangers auxquels l'exposait son amour. Henri fut ravi et répondit aussitôt : Je vous remercie très cordialement du présent si beau que rien ne le dépasse, non-seulement pour le beau diamant et navire dans lequel la seulette demoiselle est tourmentée, mais principalement pour la belle interprétation et trop humble sou mission dont votre bénignité en ce cas use. Mon immuable intention est selon ma devise : Aut illic, aut nullibi, « Ou ici, ou nulle part. » Les belles mots de votre lettre sont si cordialement couchés, qu'ils m'obligent à tout jamais de vous honorer, aimer et servir. Je vous supplie de vouloir continuer en ce même ferme et constant propos, vous assurant que de ma part je l'augmenterai plutôt que de le faire rétrograder (resliproche), tant est grande la loyauté du cœur, qui désire de vous complaire.

Je vous prie aussi que si aucunement vous ai par ci-devant offensé, vous me donniez la même absolution que vous demandez, vous assurant que dorénavant à vous seule mon cœur sera dédié ; et je désire fort que le corps ainsi pouvait, comme Dieu le peut faire s'il lui plaît; à qui je supplie une fois le jour pour cela faire, espérant que à la longue ma prière sera ouïe, désirant le temps bref, le pensant long. Jusqu'au 302

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle revoir d'entre nous deux. Ecrite de la main du secrétaire qui en cœur, corps et volonté est Votre loyal et plus assuré serviteur H. T., rex. »

Henri était passionné, et l'histoire n'est pas appelée à réhabiliter ce prince cruel ; mais on ne peut reconnaître dans cette lettre la parole d'un séducteur. Il est impossible d'imaginer Tudor demandant à Dieu une fois le jour autre chose qu'une union légitime. Ces prières journalières du roi semblent présenter cette affaire sous un aspect différent de celui que les écrivains romains ont imaginé.

Henri s'était cru plus avancé qu'il ne l'était. Anne fit alors un pas en arrière ; embarrassée de la position qu'elle occupait à la cour, elle en demanda une plus modeste. Le roi, d'abord fort contrarié, se sou mit : « Néanmoins qu'il n'appartienne pas à un gentilhomme, lui écrivit-il, de prendre sa dame en place de servante, toutefois en suivant vos dé sirs, volontiers le vous octroierais, si par cela vous pusse trouver moins ingrate en la place que vous choisissez, que vous avez été en la place par moi donnée. Je vous remercie très cordialement qu'il vous plaise encore avoir quelque souvenance de moi. » [2]

Pressée par son père, par ses oncles, par Henri, Anne fut ébranlée. Cette couronne, repoussée par Renée et par Marguerite, éblouissait la jeune An glaise ; chaque jour elle y trouvait un charme nouveau. Elle se familiarisa peu à peu avec ce nouvel avenir, et dit enfin: « Si le roi devient libre, je consens à l'épouser. » Ce fut une grande faute; mais Henri fut au comble de la joie, et Anne, s'étant rendue en mai au château de Hever, dans le Kent, résidence de son père, le roi lui écrivit : Ma maîtresse et amie, moi et mon cœur s'en remettent en vos mains, vous suppliant les avoir pour recommandés à votre bonne grâce. Ce serait grande pitié que d'augmenter leur peine, car l'absence leur fait assez, et plus que jamais j'eusse pensé. Cela nous fait remonte voir un point d'astronomie qui est tel, que tant plus longs les jours sont, tant plus est éloigné le soleil, et nonobstant. « Sa chaleur est plus fervente. Ainsi est-il de notre amour ; par absence nous sommes éloignés, et néanmoins il garde sa ferveur, au moins de notre côté, et j'ai en espoir du vôtre.

L'ennui que par force il faut que je souffre m'est presque intolérable, si ce n'était le ferme espoir que j'ai de votre indissoluble affection vers moi. Pour vous rappeler cela quelquefois et voyant que personnellement je ne puis être en votre présence, je vous envoyai la chose la plus approchant possible, c'est-à-dire ma peinture mise en bracelet avec la devise que vous connaissez déjà [3]. Me souhaitant en leur place quand il vous plaira.

C'est de la main de votre loyal serviteur et ami, H. T., rex. » Les courtisans suivaient d'un œil attentif ces développements de l'affection du roi, et préparaient déjà les hommages dont ils se proposaient d'entourer Anne Boleyn. Mais il y avait à la cour un homme que la résolution d’Henri remplissait de douleur; c'était Wolsey.

Le premier il avait suggéré au roi l'idée de se séparer de Catherine ; mais si Anne 303

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle doit lui succéder, plus de divorce ! Il avait d'abord aliéné le parti de Catherine ; maintenant il allait irriter celui des Boleyns ; aussi commençait-il à craindre que quelle que fût l'issue de cette affaire, elle n'amenât sa ruine.

Il se promenait souvent dans le parc de Hampton-Court avec l'ambassadeur de France, confident de ses douleurs : « Je voudrais qu'on me coupât un doigt de la main, lui disait-il, pourvu qu'on me permît de parler deux heures seulement au roi de France. » Un autre jour, se croyant poursuivi par toute l'Angleterre : « Le roi mon maître et tousses sujets crieront au meurtre contre moi, disait-il avec effroi ; ils me courront sus plus qu'à un Turc, et toute la chrétienté s'élèvera contre moi ! ... » Le lendemain Wolsey, pour gagner l'ambassadeur français, lui faisait une longue histoire de ce qu'il avait fait pour la France, contre le vouloir de toute l'Angleterre :

« Il me faut, ajoutait-il, beaucoup de dextérité en mes affaires, et user d'une terrible alchimie. [4] » Mais Valchimie ne devait pas le sauver. Rarement tant d'angoisses s'étaient cachées sous tant de grandeurs. Du Bellay était ému de pitié à la vue des souffrances de ce malheureux. « Quand il s'y met, écrivait-il à Mont morency, c'est pour un jour entier; — il crie toujours et à toute heure. — De toutes les passions que vîtes onc en un homme, vous n'en avez vu la pareille [5] »

En effet, Wolsey perdait la tête. Cette fatale idée du divorce était la cause de tous ses malheurs, et il eût donné pour la retirer, non pas un doigt, mais un bras, et peut-être davantage. Il était trop tard ; Henri avait lancé son char à la descente, et celui qui aurait voulu l'arrêter aurait été broyé sous ses roues. Toutefois le cardinal essaya d'obtenir quelque chose. François Ier avait intercepté une lettre de Charles Quint, où l'Empereur parlait du divorce comme devant soulever le peuple anglais.

Wolsey fit lire cette lettre au roi, dans l'espoir qu'elle lui donnerait quelque appréhension sérieuse; mais Henri s'en renfrogna fort, et Du Bellay, à qui le prince attribua le rapport sur ces troubles supposés par Charles, en reçut quelque petit coup de fouet [6]. Ce fut tout l'effet de cette manœuvre.

Alors Wolsey résolut d'aborder sans détours ce sujet important. Sa démarche pouvait le perdre; mais s'il réussissait, il était sauvé, et la papauté avec lui. Un jour donc (c'était un peu avant la suette, dit Du Bellay, probablement en juin 1528), Wolsey de manda ouvertement au roi de renoncer à son dessein ; sa propre réputation, lui dit-il, la prospérité de l'Angleterre, la paix de l'Europe, le salut de l'Église, tout l'exigeait; d'ailleurs le pape n'accorde rait jamais le divorce. Pendant que le cardinal par lait, le visage de Henri se rembrunissait. A peine le discours fut-il achevé, que la colère royale éclata. Le roi usa de terribles termes, » dit Du Bellay.

Il eût donné mille Wolseys pour Anne Boleyn. « Autre que Dieu ne me la saura ôter,

» telle était son inébranlable résolution.

Alors Wolsey ne doutant plus de sa disgrâce, commença à prendre ses mesures. Il bâtissait en plusieurs lieux, afin de s'attirer l'amitié du peuple; il prenait grand soin 304

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle de ses évêchés, qui pouvaient lui assurer une belle retraite ; il faisait bonne mine aux courtisans ; il couvrait ainsi le terrain de fleurs, pour amortir sa chute. Puis il poussait des soupirs comme s'il eût été dégoûté des honneurs, et il célébrait les douceurs de la solitude [7].

Il fit plus encore. Comprenant que le meilleur moyen de regagner la faveur du roi était de se concilier celle d'Anne Boleyn, il lui envoya de superbes présents, et l'assura que tous ses efforts tendraient mainte nant à la porter sur le trône d'Angleterre. Anne, croyant à ces déclarations, répondit à Wolsey qu'elle le servirait à son tour, tant qu'il lui reste rait un souffle de vie [8]. Henri même ne douta plus que le cardinal n'eût profité de la leçon. Ainsi tous les partis s'agitaient, Henri voulait épouser lady Anne, les courtisans se débarrasser de Wolsey, et celui-ci demeurer au pouvoir, quand un grave événement sembla mettre tout le monde d'accord. Vers le milieu de juin, la terrible suette éclata en Angleterre. Les bourgeois de Londres, « dru comme mouches, » dit Du Bellay sentaient tout à coup un mal à la tête et au cœur, se jetaient des rues et des boutiques dans leurs appartements, commençaient à transpirer, et se mettaient au lit. Bientôt le mal faisait des progrès effrayants, une chaleur brûlante dévorait les malades; s'il leur arrivait de se découvrir, la transpiration s'arrêtait, le délire sur venait, et en quatre heures on était mort et roide comme un pan de mur, » dit l'ambassadeur de France

[9].

Toutes les familles étaient dans le deuil. Thomas More, à genoux devant un lit, fondait en larmes *[10], et criait à Dieu de sauver sa fille, sa bien-aimée Marguerite.

Wolsey, qui était à Hampton-Court, ne se doutant de rien, arriva à Londres, pour présider comme d'habitude la cour de chancellerie; mais aussitôt, il fit brider ses chevaux et se sauva. En quatre jours, deux mille personnes moururent à Londres.

La cour fut d'abord à l'abri de la contagion ; mais le quatrième jour, une des dames d'Anne Boleyn fut atteinte; ce fut comme si la foudre était tombée sur le palais. A grande hâte le roi délogea et se rendit à douze milles de là, car il n'était pas disposé à mourir. Il ordonna à Anne d'aller chez son père, fit venir la reine près de lui et s'établit à Waltham. Sa véritable conscience se réveillait en présence de la mort.

Quatre de ses gens et un moine, confesseur d'Anne Boleyn, à ce qu'il paraît [11], étant tombés malades, le roi partit pour Hemsden. Il n'y était que depuis deux jours, quand Powis, Carew, Carton et d'autres hommes de sa cour furent enlevés en deux ou trois heures; Henri a rencontré un ennemi qu'il ne peut vaincre. Il quitte le lieu que le mal a frappé ; il se transporte ailleurs ; et quand la suette vient atteindre quelqu'un des siens dans sa nouvelle retraite, il la quitte encore.

La terreur le glace; il erre poursuivi par la faux terrible dont le coup va peut-être l'atteindre; il se prive de toute communication, même avec ses serviteurs; il s'enferme dans une chambre, au haut d'une tour isolée; il y mange tout seul et ne 305

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle voit que son médecin * [12]; il prie, il jeûne, il se confesse, il se réconcilie avec la reine; il communie tous les dimanches et jours de fête; il reçoit son Créateur, selon l'expression d'un gentilhomme de sa chambre * [13], et la reine et Wolsey font de même. Ce n'est pas assez : son conseiller, sir Brian Tuke, était malade en Essex ; n'importe ; le roi lui ordonne de se rendre auprès de lui, fût-ce en litière; et le 20

juin, Henri, ayant entendu trois messes (il n'avait jamais tant fait en un jour), il dit à Tuke : « C'est pour «écrire mon testament.» — Il n'était pas seul à prendre cette précaution : « Il s'en était fait cent mille, i> dit Du Bellay.

Pendant ce temps, Anne, retirée dans le château de son père, était calme et recueillie et priait beau coup, surtout pour Henri VIII et pour Wolsey [14]. Mais Henri, beaucoup moins soumis, était dans de vives inquiétudes. « L'ennui que j'avais du doute de votre santé me troubla et égara beaucoup, lui écrivit-il ; mais puisque encore n'avez rien senti, j'espère qu'il se passera de vous comme de nous …

Je vous supplie; ma entière aimée, de n'avoir point de peur, ni de notre absence vous trop ennuyer, car où que je sois, vôtre suis. Nonobstant il faut aucune fois à telle fortune obéir, car qui contre for tune veut lutter en tel endroit, en est bien souvent tant plus éloigné. C'est pourquoi réconfortez-vous et soyez hardie et éviter le mal tant que vous pourrez '[15]....»

Ne recevant point de nouvelles, l'inquiétude d’Henri augmenta ; il envoya à Anne un messager avec une lettre : « Pour m'acquitter de l'office du vrai serviteur, disait-il, je vous envoie cette lettre, vous suppliant de m'avertir de votre prospérité, laquelle je prie à Dieu qu'elle soit aussi longue comme je voudrais la mienne. »

Les craintes de Henri étaient fondées ; la maladie redoublait; en quatre heures dix-huit personnes moururent chez l'archevêque de Cantorbéry ; Anne Boleyn elle-même et bientôt son frère furent at teints. Le roi fut fort alarmé; Anne seule paraissait tranquille, la force de son caractère l'élevait au-dessus de craintes exagérées ; mais ses ennemis attribuaient son calme à d'autres motifs : « Son ambition est plus forte que la mort, disaient-ils. Le roi, la reine, le cardinal tremblent pour leur vie, mais elle... elle mourrait contente, pourvu qu'elle mourût reine. » Henri changea de nouveau de demeure.

Tous les gentilshommes de sa chambre étaient atteints, sauf un; il resta seul se tenant sevré, » dit Du Bellay, et se confessa chaque jour. Il écrivit de nouveau à Anne, en lui envoyant son médecin * [16].

Nouvelles me sont cette nuit soudainement venues, les plus déplaisantes qui me pourraient à venir, car pour trois causes touchant icelles faut-il que je lamente. La première pour entendre la maladie de ma maîtresse, laquelle j'estime plus que tout le monde, et voudrais volontiers porter la moitié de votre souffrance pour vous avoir guérie.

306

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle La seconde, pour la crainte que j'ai d'être encore plus longuement pressé de mon ennuyeuse absence, qui jusqu'ici m'a fait tout l'ennui à elle possible, et quand je puis délibérer de faire pis, alors je prie Dieu qu'il me défasse de pensée si importune et si rebelle. La troisième, que le médecin à qui plus me fie est absent. Néanmoins, en faute de lui, je vous envoie le second, priant Dieu que bientôt il vous puisse rendre saine; et adonc que je l'aimerai plus que jamais. Je vous prie d'être gouvernée par ses avis touchant votre maladie, en quoi faisant, j'espère bientôt vous revoir; ce qui me sera plus grand cordial que toutes les pierres précieuses du monde.

» Bientôt la suette redoubla autour de Henri; il s'enfuit effrayé à Hatfield, ne prenant avec lui que les gentilshommes de sa chambre ; puis il quitta ce nouveau séjour pour Tittenhanger, maison qui appartenait à Wolsey, et d'où il ordonna des processions générales dans tout le royaume, afin de dé tourner le fléau de Dieu [17].

En même temps il écrivait à Wolsey : « Aussitôt que quelqu'un tombe malade dans l'endroit où vous êtes, courez dans un autre; allez ainsi de lieu en lieu. »

Le pauvre cardinal était encore plus épouvanté qu’Henri. Il ne lui survenait pas la plus légère sueur, sans qu'il se crût mort. « Je supplie Votre Altesse, écrivait-il -” h tout tremblant au roi le 5 juillet, de se montrer pleine de commisération pour mon âme ; c'est peut-être la dernière parole que je lui adresse...

Le monde entier verra par mon testament que ce n'est pas à un ingrat que vous avez accordé votre faveur... » Le roi, s'apercevant que Wolsey avait l'esprit frappé, lui fit répondre de chasser les fantômes de son imagination' [18], et d'avoir l'humeur gaie au milieu de la mort.

Enfin la suette commença à diminuer, et aussitôt le désir de revoir Anne se réveilla chez Henri ; le 18 août elle reparut à la cour, et le roi ne pensa plus qu'au divorce.

Mais cette affaire semblait aller en raison inverse de ses désirs. On ne savait rien de Campeggi ; s'était-il perdu dans les Alpes ou sur la mer? Sa goutte le retenait-elle dans quelque village, ou l'annonce de son voyage n'était-elle qu'une feinte ? Anne Boleyn elle-même s'inquiétait, car elle attachait une grande importance à la venue de Campeggi. Si l'Église annulait le premier mariage du roi, Anne voyant les plus grands obstacles écartés, croirait pouvoir accepter la main de Henri. Elle écrivit donc à Wolsey : « Je désire savoir de vous des nouvelles du légat, et j'espère que venant de vous, elles seront très bonnes. » Le roi ajouta en postscriptum : «

N'apprenant rien de l'arrivée du légat en France, cela nous donne à penser.

Cependant nous espérons que par votre diligence et votre vigilance, avec l'assistance du Dieu tout puissant, nous serons bientôt sortis de ce trouble. [19] »

Mais toujours point de nouvelles. En attendant cet ambassadeur si désiré, chacun à la cour d'Angleterre jouait son rôle le mieux qu'il pouvait. Anne, soit conscience, soit prudence, soit modestie, refusait les honneurs dont le roi eût voulu la combler, et ne s'approchait de Catherine qu'avec les marques d'un profond respect. Wolsey avait 307

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle l'air de désirer un divorce qu'en réalité il avait en horreur, comme devant entraîner sa ruine et celle de la papauté. Henri s'efforçait de cacher les motifs qui le portaient à se séparer de la reine ; aux évêques, il parlait de sa conscience, aux nobles d'un héritier, à tous de la triste obligation où il se voyait d'éloigner une princesse si justement aimée. En attendant, il semblait vivre avec elle dans la meilleure harmonie, à ce que dit Du Bellay Mais Catherine était celle qui dissimulait le mieux ses sentiments ; elle était avec le roi comme lors de ses plus beaux jours, avait pour Anne toutes sortes d'égards, adoptait un costume élégant, encourageait autour d'elle la musique et la danse, se montrait souvent en public, et paraissait vouloir capter par ses gracieux sourires la bienveillance de l'Angleterre. Triste comédie, qui devait finir par une tragédie pleine d'angoisse et de larmes ! [20]

FOOTNOTES

[1] Lettres du Vatican. Pamphleteer, n° 43, p. 114. La date ci-dessus est indiquée par l'éditeur; je crois cette lettre un peu plus ancienne.

[2] Lettres du Vatican. Pamphleteer, n” h 43, p. 115. Après la signature vient la devise suivante :ne cherche H. T.

[3] Sans doute Aut illic, aut nullibi. Voir pour cette lettre Pamphlt teer, n' 42, p.

346.

[4] Alquemie. (Le Grand, preuves, p. 157.)

[5] Le Grand, preuves (26 avril 1528), p. 93.

[6] Du Bellay à Montmorency, 24 mai 1528. (Le Grand, preuves, p. 102.)

[7] Du Bellay à Montmorency, 20 août 1528. (Le Grand, preuves, p. 165.)

[8] Your rich and goodly present. » [Pamphleteer, n° 43, p. 150.) ' As long as any breath is in my body. » [Ibid.)

[9] Le Grand, preuves, p. 138.

[10] Upon his knees, with many tears. » [More's Life, p. 136.)

[11] Votre frère maître Jesonere est tombé malade. » Henri à Anne, Pamphleleer, n°

42, p. 347.)

[12] With his physician, in a chamber, within a tower, to suppe a parte. » [State Pap., I, p. 296.)

[13] Hath received his Maker. » [Ibid., 290.

[14] I thank Our Lord that them that I desired and prayed for are escaped, and that is the king and you. » (Anne to Wolsey, Pamphl. n” h 43, p. 150.) 308

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

[15] Lettres du Vatican, Pamphleteer, n° 42, p. 347.

[16] Lettres du Vatican, Pamphleteer, n° 43, p. 120.

[17] General procession to be made, universally through the regime.» (State Papers, I, p. 308.)

[18] «Put apart fear and fantasies. » [Ibid., p. 314.)

[19] Pamphleteer, n° 43, p. 149.

[20] Du Bellay à Montmorency, 16 octobre 1528. (Le Grand, preuves p. 170.) 309

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE II

Coverdale et l'inspiration. — Il entreprend de traduire les Écritures. — Sa joie et ses cantiques. — Tyball et les laïques. — Coverdale prêche à Bompstead. — Réveil à Colchester. — Les sociétés in- 4. Complètes et l'Église du Nouveau Testament. —

Persécution. — Mon- mouth arrêté et relâché

Pendant que ce drame se jouait dans les palais royaux, d'autres débats avaient lieu parmi le peuple. Après avoir quelque temps contemplé les agitations de la cour, on se retourne avec bonheur vers les humbles disciples de la sainte Ecriture. La Ré formation d'Angleterre (et ceci la caractérise) fait comparaître tour à tour devant nous le roi sur son trône, et le simple artisan dans son humble de meure ; puis, entre ces deux extrêmes, le docteur dans son collège et le prêtre dans sa chaire.

Parmi les jeunes hommes qui s'étaient formés à Cambridge sous la direction de Barnès, et qui Ils avaient assisté lors de son jugement, Miles Coverdale (plus tard évêque d'Exeter) devait se distinguer par son zèle pour l'Évangile de Jésus-Christ.

Quelque temps après la chute du prieur, la veille de Pâques 1527, Coverdale et Cromwell s'étaient rencontrés dans la maison de Thomas More, et Cromwell avait exhorté l'étudiant de Cambridge à s'appliquer à l'étude des saintes lettres. [1]

La chute de son malheureux maître avait effrayé Coverdale, et il sentait le besoin de s'éloigner de cette activité extérieure qui avait été si fatale à Barnès. Il se tourna donc vers les Écritures, les lut, les relut, et comprit, comme Tyndale, que la réformation de l'Église devait s'accomplir par la Parole de Dieu. L'inspiration de cette Parole, base unique de sa souveraine autorité, avait frappé Coverdale. «

Partout où l'Écriture est connue, disait- il, elle dissipe les ténèbres et réforme toutes choses. Pourquoi? — Parce qu'elle est donnée par Vin aspiration même de Dieu* [2].

» Ce principe fonda mental de la réformation en Angleterre, doit être en tout temps celui de l'Église.

Coverdale trouva le bonheur dans ses études : Maintenant, disait-il, je commence à goûter les saintes Écritures ' ! Gloire à Dieu ! Je savoure leur inexprimable douceur ! » Il ne s'en tint pas là, et crut devoir entreprendre en Angleterre le même travail que Tyndale faisait en Allemagne. La sainte Ecriture était si importante aux yeux de ces chrétiens, que deux traductions furent entreprises presque simultanément. « Pourquoi le peuple de l'Angleterre, dit Coverdale, serait-il moins richement pourvu des oracles de Dieu que d'autres «peuples du monde [3]? —

Gardez -vous de traduire la Bible ! s'écrièrent les partisans des scolastiques ; votre travail ne servirait qu'à produire des divisions*[4]. — Dieu a donné maintenant à son Église, répliquait Coverdale, le don de traduire et le don d'imprimer ; il faut les faire va loir. » Et si quelques amis lui parlaient de la traduction de Tyndale : « Ne savez-vous pas, répondait-il, que quand plusieurs tirent ensemble à la cible, chacun 310

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle s'efforce d'atteindre plus près du but que les autres? [5] — Mais l'Écriture ne doit exister qu'en latin ! disaient les prêtres. —

Non, répondait encore Coverdale, le Saint-Esprit en est aussi bien l'auteur en hébreu, en grec, en français, en allemand et en anglais qu'en latin La Parole de Dieu a toujours la même valeur, quelle que soit la langue dans laquelle le Saint-Esprit parle [6]. » Ceci ne voulait pas dire que les traductions des saintes Ecritures fussent inspirées, mais que la Parole de Dieu, fidèlement traduite, a toujours une divine autorité. Coverdale résolut donc de traduire les saintes Ecritures, et pour avoir les livres qui lui étaient nécessaires, il s'adressa encore à Cromwell, qui, pendant ses voyages, avait recueilli des écrits précieux. Je ne désire rien au monde que des livres [7], lui écrivit-il ; vous avez, comme Jacob, recueilli la rosée du ciel Je demande à boire de votre torrent*[8]. » Cromwell ne refusa pas ses trésors à Coverdale : « Puisque le Saint-Esprit vous pousse à faire les frais de ce travail, s'écria celui-ci, Dieu me donne aussi le courage de l'entreprendre'[9]; » et il se mit aussitôt à l'œuvre en disant : « Celui qui ne croit pas aux Écritures, ne croit pas en Jésus Christ [10]; et celui qui les rejette, rejette Dieu lui-même. » Telles furent les bases de l'Église ré formée en Angleterre.

Ce ne fut pas en scribe que Coverdale traduisit les Écritures. L'Esprit qui les avait inspirées parlait à son cœur ; et savourant leurs promesses vivifiantes, il exprimait son bonheur dans de pieux cantiques : Vous tous, chrétiens, soyez joyeux [11], Chantez vos transports sur la lyre!

Ce salut qui descend des cieux,

La plume ne peut le décrire.

Satan me tenait sous sa loi ;

Mais le Fils de Dieu vint me dire :

Je suis à loi ; toi, sois à moi ;

Désormais rien ne peut te nuire.

Ils ont, m'accablant de douleurs, Dans mon sang leur rage assouvie; Mais ne crains rien : pour toi je meurs, Et pour toi je reprends la vie »

Coverdale ne resta pas longtemps dans la solitude qu'il avait désirée. L'étude de la Bible, qui l'y avait attiré, l'en fit bientôt sortir. Un réveil s'opérait alors dans le comté d'Essex; un homme de Bompstead, John Tyball, ayant appris à trouver dans Jésus Christ le vrai pain du ciel, n'en demeura pas là. Un jour qu'il lisait la première épître aux Corinthiens, ces mots : « manger de ce pain » et boire de cette coupe » répétés quatre fois dans un petit nombre de versets, le persuadèrent qu'il n'y avait pas de transsubstantiation.

311

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Un prêtre n'a pas le pouvoir de créer le corps du Seigneur, dit-il; Christ, il est vrai, est présent dans la Cène, mais il ne l'est que pour celui qui croit, et seulement par une présence et une action spirituelles. » Bientôt Tyball, dé goûté du clergé et du culte romains, convaincu que les chrétiens sont appelés à un sacerdoce universel, crut que l'on pouvait se passer d'un ministère spé cial, et sans rejeter les charges dont parlent les saintes Écritures, comme l'ont fait dès lors quelques chrétiens, il n'y attacha pas d'importance. « La prêtrise n'est pas nécessaire [12], disait-il; tout laïque peut administrer les sacrements aussi bien qu'un prêtre. » Le pasteur de Bompstead, Richard Fox, puis un cordelier de Colchester, nommé Medow, furent successivement convertis par la parole énergique de Tyball.

Coverdale, qui n'était pas éloigné de ces contrées, ayant ouï parler de ce réveil religieux, vint à Bomp stead et y monta en chaire le 29 mars 1528, pour annoncer les richesses que renferment les Écritures. Parmi ses auditeurs se trouva un moine augustin, nommé Topley, qui remplaçait Fox, alors absent. Ce moine, logé au presbytère, avait trouvé dans sa chambre le Guichet de Wycleff ; il l'avait lu avec avidité; sa conscience en avait été agitée, et tout lui avait paru chanceler autour de lui [13]. Plein de trouble, il s'était rendu à l'église, et après le service divin il était accouru auprès du prédicateur, en s'écriant : « Oh! Mes péchés! Mes péchés ! — Con fessez-les à Dieu, lui dit Coverdale, et non à l'oreille d'un prêtre. Dieu accepte la confession qui vient du cœur, et il efface tous les péchés'. [14] »

Le moine crut au pardon de Dieu, et devint un évangéliste zélé pour les contrées d'alentour. A peine la Parole divine avait-elle allumé un flambeau, que ce flambeau en allumait un autre. Dans le même comté, à Colchester, un homme honnête, nommé Pykas, avait reçu les épîtres de saint Paul de sa vieille mère qui lui avait dit : « Mon fils, vis selon ces épîtres, et non selon l'enseignement du clergé. »

Quelque temps après, Pykas ayant acheté un Nouveau Testament, l'avait lu et relu

[15], et un changement fondamental s'était opéré en lui. Il faut, disait-il, être baptisé du Saint-Esprit, » et ce mot avait passé comme un souffle de vie sur cette simple population. Un jour, Pykas ayant appris que Bilney, le premier des docteurs de l'université qui avait connu la puissance de la Parole de Dieu, prêchait à Ipswich, s'y était rendu, car il' ne se refusait pas à écouter un prêtre, quand ce prêtre annonçait la vérité. «Oh! dit Pykas, quel sermon plein de l’Esprit-Saint ! »

Dès lors les réunions des frères en Christ (c'est ainsi qu'on les appelait) se multiplièrent. On lisait le Nouveau Testament, et chacun communiquait aux autres ce qu'il avait reçu pour l'édification commune. Un jour, le vingt-quatrième Chapitre de saint Matthieu ayant été lu : « Quand le Seigneur déclare,» dit Pykas, qui se trompait quelquefois dans l'interprétation spirituelle de l'Écriture, « qu't'i ne sera pas laissé pierre sur pierre dans le temple, il parle de ces prêtres orgueilleux, qui persécutent ceux qu'ils appellent hérétiques et qui prétendent être le temple de Dieu; Dieu les détruira tous. »

312

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Après avoir protesté contre le prêtre, il protestait contre l'hostie : « C'est dans la Parole qu'est le vrai corps de Jésus-Christ, disait-il; Dieu est dans la Parole, la Parole est en Dieu. Dieu et la Parole ne peuvent être séparés [16]; Christ est la Parole vivante qui nourrit les âmes. » Ces humbles prédicateurs se multipliaient.

Des femmes mêmes savaient par cœur les évangiles et les épitres; Marion Matthew, Dorothée Long, Catherine Swain, Alice Gardiner, et surtout la femme de Gyrling qui avait servi chez un prêtre brûlé naguère pour hérésie, prenaient part aux conférences évangéliques. Et ce n'était pas seulement dans les chaumières que l'Évangile était alors annoncé ; Bower-Hall, manoir où résidaient les seigneurs de Bompsteadj était ouvert à Fox, à Topley, à Tyball, qui y lisaient souvent les saintes Écritures dans la grande salle du château, en présence des maîtres et de toute leur maison. Humble réformation, plus réelle que celle d’Henri VIII !

Il y avait, pourtant, quelque diversité de vues entre les frères. « Tous ceux qui ont commencé à croire, disaient Tyball, Pykas et d'autres, doivent se réunir afin d'entendre ensemble la Parole et de croître en la foi ; nous prions en commun et voilà l'Eglise! »

Coverdale, Bilney, Latimer, reconnaissaient volontiers ces sociétés incomplètes, où l'on se réunissait simplement comme disciples; ils les croyaient nécessaires dans le moment où l'Église se formait. Elles prouvaient, selon eux, que l'organisation n'a pas la priorité dans la société chrétienne, comme Rome l'assure, et que c'est à la foi et à la vie que cette priorité appartient. Mais cette forme imparfaite n'était à leurs yeux que provisoire. Il fallait, pour prévenir de nombreux dangers, qu'à cette société informe en succédât une autre, l'Église du Nouveau Testament, avec ses anciens ou évêques et ses diacres. La Parole de Dieu, selon eux, rendait nécessaire un ministère de cette Parole; et il fallait, pour l'exercer, non-seulement la piété, mais aussi la connaissance des langues saintes, le don de l'éloquence, son exercice et son perfectionnement. Toutefois il n'y avait pas de division entre ces chrétiens pour ces choses secondaires.

Depuis quelque temps l'évêque de Londres suivait ce mouvement avec inquiétude. Il fit arrêter Hacker, qui depuis six ans lisait la Bible de maison en maison, à Londres et en Essex, l'examina, le menaça, rechercha soigneusement les noms de ceux qui lui donnaient l'hospitalité, et le pauvre Hacker, fort effrayé, nomma quarante de ses frères. Sébastien Harris, curé de Kensington; Forman, recteur de Tous-les-Saints; John et William Pykas, et beaucoup d'autres, furent cités devant l'évêque. On les conduisait en prison, on les ramenait devant le juge, on les mettait dans les ceps, on les tourmentait de mille manières ; leurs pensées se troublaient ; leur esprit s'égarait, et plusieurs firent les aveux exigés par leurs bourreaux.

Les adversaires de l'Évangile, fiers de ce succès, ambitionnèrent alors une plus belle victoire. Si l'on ne pouvait atteindre Tyndale, n'avait-on pas à Londres le patron de 313

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle son œuvre, Monmouth, le plus influent des marchands qui obéissaient alors à la foi?

Le clergé avait fait de la religion son affaire, et la Réformation la rendait au peuple.

Rien ne choquait les prêtres comme ces laïques qui s'attribuaient le droit de croire sans leur intervention et même celui de répandre leur foi. L'un des hommes les plus aimables du seizième siècle, Thomas More, vint servir leur haine. « L'Allemagne, écrivait-il à Cochlée, enfante chaque jour des monstres plus affreux que ceux que produit l'Afrique [17] ; mais hélas ! Elle n'est plus seule à le faire ; que d'Anglais qui, il y a quelques années, ne pouvaient consentir à entendre nommer Luther, et qui aujourd'hui publient ses louanges ! L'Angleterre est maintenant semblable à la mer qui s'enfle et s'agite au mo ment où une grande tempête est près d'éclater [18].

» More était surtout irrité de ce qu'à la timidité des lollards succédait la hardiesse des évangéliques. A Les hérétiques, disait-il, ont déposé l'hypocrisie et revêtu l'impudence. » Il résolut donc de mettre la main à l'œuvre.

Le 14 mai 1529, Monmouth était dans ses magasins, quand un huissier vint le sommer de se rendre chez sir John Dauncies, membre du conseil du roi. Le pieu marchand obéit, en cherchant à se persuader qu'il s'agissait d'affaires ; mais il se trompait, et il ne fut pas longtemps à le reconnaître.

Quelles lettres et quels livres avez-vous reçus dernièrement d'outre-mer ? » Lui dit sévèrement Thomas More, qui, avec Sir W. Kingston, assistait Sir' John*[19]. —

Aucuns, répondit Monmouth. — Quels secours avez-vous donnés à des gens qui se trou vent sur le continent ? — Aucun depuis trois ans. W. Tyndale, continua-t-il, a demeuré chez moi pendant six mois, et y a vécu comme un bon a prêtre doit le faire.

Je lui ai remis dix livres sterling au moment de son départ, mais rien depuis lors.

Au reste, il n'est pas le seul que j'aie se couru ; le chapelain de l'évêque de Londres, par exemple, m'a coûté plus de cinquante livres sterling. — Quels livres possédez-vous ? » Continua More. — Le marchand nomma le Nouveau Testa ment et d'autres écrits. « Tous ces livres sont restés plus de deux ans sur ma table, dit-il, et je n'ai jamais ouï dire que ni prêtres, ni moines, ni laïques, y aient puisé de grandes erreurs. [20]»

More hochait la tête. « Il est difficile, avait-il coutume de dire, de mettre un bâton sec dans le feu sans qu'il brûle, ou de nourrir un serpent sans «qu'il nous pique. [21]

— Cela suffit, continua-t-il ; nous allons visiter votre maison. » Pas un papier n'échappa à leurs recherches, mais on ne trouva rien qui pût compromettre Monmouth ; on le conduisit pourtant à la Tour.

Le marchand ayant été plus tard ramené devant ses juges : « Tu es accusé, lui dit More, d'avoir tt acheté des écrits de Martin Luther, d'avoir sou tenu ceux qui traduisaient en anglais la sainte Écriture, de les avoir aidés à se rendre en Allemagne, d'avoir contribué à faire imprimer, avec et sans gloses, le Nouveau Testament en anglais, de l'avoir introduit dans ce royaume ; et enfin, d'avoir affirmé 314

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle que la foi sauve sans les œuvres. [22] » Il y avait là de quoi brûler plus d'un homme.

Monmouth, convaincu que Wolsey avait seul le pouvoir de le délivrer, résolut de s'adresser à lui.

Que vont devenir, pendant mon emprisonnement, mes pauvres ouvriers de Londres et des comtés?... lui écrivit-il. Il leur faut chaque semaine leur argent; qui le leur donnera ?.., De plus, je fais en pays étranger des ventes considérables, qui rapportent beaucoup aux douanes de Sa Majesté [23]. Si je demeure en prison, plus de commerce, et partant plus de droits pour le fisc!...»

Wolsey, homme d'État non moins qu'homme d'Église, commença à s'apitoyer ; à la veille d'une lutte avec le pape et l'Empereur, il craignit d'ailleurs de mécontenter le peuple : Monmouth fut relâché. Alderman, puis shérif de Londres, il fut fidèle jusqu'à sa mort, et ordonna dans son testament que trente sermons seraient prêchés par les ministres les plus évangéliques de l'Angleterre, « pour faire connaître la sainte Parole de Jésus-Christ. — Cela vaut mieux, pensait-il, que de fonder des messes. » La Réformation montra dès le seizième siècle qu'une grande activité dans le commerce peut s'associer à une grande piété.

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FOOTNOTES

[1] Coverdale to Cromwell. (Coverd., Remains, p. 490.) Les éditeurs des Remains datent cette lettre du Ie' mai 1527; d'autres la croient postérieure.

[2] Reformed ail things. And why? Because it is given by the inspi ration of God. »

(Coverd., Remains, p. 10.) 3 Now I begin to taste ofHoly Scriptures. » (/6t't7.,p. 49.)

[3] It grieved me that other nations should be more plenteously provided. » (Coverd., Remains, p. 12.)

[4] Many translations make division in the faith. » [Ibid.)

[5] Every one doth his best to be highest the mark. » [Ibid., p. 14.)

[6] Of like worthings and authority in what language so ever the Holy Ghost speaketh it. » [Ibid., p. 26.)

[7] Nothing in the world I desire but books. » [Rem., p. 490.)

[8] De tuo ipso torrente maxime potare exopto. » [Ibid., p. 491.)

[9] So was I broadened in God to labor in the same. » [Ibid., p. 10.)

[10] Whosoever believed not the Scripture, believed not Christ. » [Ibid., p. 19, 22.)

[11] Be glad now, all ye Christian men. » [Ibid., p. 550.) 315

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

[12] Pristhoode was not necessary. » (Strype's Records, I, p. 51.)

[13] I felt in my conscience a great vravering. » [Bible Ânnals,ç. 185.)

[14] Coverdale, Remains, p. 481.

[15] And read it thoroughly many times. » (Strype, I, ch. i, p. 121.)

[16] God is in the word and the word is in God. » (Strype, I, ch. i, p. 130.)

[17] Germany now daily brings the forth more monsters. » [More's Life, p. 82

[18] Like as before a greatslorm the sea swelleth... » [More's Life, p. 117.)

[19] What letters and what books I received lately from beyond the «eas. » (Strype's Records, p. 363.)

[20] 1 I never heard priest, nor fryer, nor lay man... » (Strype's Records, I, p. 365.)

[21] To nourish a snake in our bosom and not to be stung with it. » [More's Life, p.

116.)

[22] That faith only is sufficient to save a man. » (Strype's Mem., p. 490.)

[23] Which was worth to the king's Grace in his customs. » (Strype'3 Records, \, p.

867.)

316

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE III

Revirement politique. — Nouvelles instructions du pape à Campeggi. — Ses retards. — Il s'ouvre à François I. — Une prédiction. — Arrivée de Campeggi. —

Inquiétude de Wolsey et joie du roi. —Un projet du cardinal. — Réception de Campeggi. — Première entrevue avec la reine. — Avec le roi. — Efforts inutiles pour que Campeggi donne la décrétale. — La conscience du nonce. — Opinion publique. — Mesures prises par le roi. — Son discours aux lords et aux notables. —

Fêtes. — Wolsey recherche l'appui français. — Nouvelle contrariété Pendant que ces persécutions agitaient les campagnes et la capitale de l'Angleterre, tout avait changé dans le monde ecclésiastique, parce que tout avait changé dans le monde politique. Le pape, pressé par Henri VIII et intimidé par les armées de François Ier, avait accordé la décrétale et envoyé Campeggi. Mais tout à coup, nouvelle évolution ; autres faits, autres conseils. Doria avait passé à l'Empereur ; sa flotte avait ramené l'abondance dans Naples ; l'armée de François Ier, ravagée par la famine et par la peste, avait capitulé, et Charles-Quint, triomphant en Italie, avait dit fièrement au pape : Nous sommes décidé à défendre la reine d'Angleterre contre l'injustice du roi Henri. [1] »

Le pouvoir étant revenu à Charles, le pape effrayé ouvrit les yeux sur la justice de la cause de Catherine. « Envoyez quatre messagers après Campeggi, dit-il à ses officiers; que chacun d'eux prenne un chemin différent; qu'ils voyagent à » bride abattue, et lui remettent en toute hâte nos dépêches*. [2] » On atteignit le légat qui ouvrit les lettres du pape. «Premièrement, lui disait Clément VII, traînez votre voyage en longueur. Secondement, quand vous serez arrivé en Angleterre, mettez tout en œuvre pour réconcilier le roi et la reine. Troisièmement, si vous ne pouvez y parvenir, persuadez à la reine de prendre le voile. Quatrièmement enfin, si elle s'y refuse, ne prononcez aucune sentence favorable au divorce sans un commandement exprès et nouveau de ma part. Ceci est l'essentiel. Summum et maximum mandatum. » L'ambassadeur du souverain pontife avait donc pour mission de ne rien faire. C'est une instruction comme une autre.

Campeggi, le moins ancien des cardinaux, était le plus intelligent et le plus lent ; et cette lenteur l'avait fait choisir par le pape. Il comprit son maître. Si Wolsey était l'éperon de Henri pour activer Campeggi, Campeggi devait être la bride de Clément pour arrêter Wolsey [3] L'un des juges du divorce al lait tirer en avant et l'autre en arrière ; l'affaire ne risquait donc pas d'avancer. C'était tout ce que de mandait le pape.

Le légat, fort empressé à ralentir ses pas, mit trois mois à se rendre d'Italie en Angleterre. Il avait dû s'embarquer pour la France le 23 juillet ; mais la fin d'août approchait que l'on ne savait pas en France ce qu'il devait devenu*[4]. Enfin on 317

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle apprit que le 22 août Campeggi était arrivé à Lyon. L'ambassade d'Angleterre en France lui ayant envoyé chevaux, voitures et argent, pour qu'il hâtât sa marche, le légat se plaignit de la goutte, et Gardiner eut toute la peine du monde à le faire avancer. Henri écrivait jour par jour à Anne Boleyn les lenteurs et les progrès du nonce. « Il est arrivé à Paris dimanche ou lundi dernier, lui écrivait-il au commencement de septembre; lundi prochain nous apprendrons son arrivée à Calais, et alors j'obtiendrai ce que j'ai si longtemps désiré pour votre bonheur et pour le mien. [5]» En même temps ce prince impatient envoyait coup sur coup des messages pour hâter la marche du légat.

Anne commençait à désirer un avenir qui dépassait tout ce que sa jeune imagination avait pu concevoir, et son cœur agité s'ouvrait à l'espérance. Je veux, écrivait-elle à Wolsey, exprimer à Votre Grâce ma reconnaissance de toutes les peines qu'elle se donne pour m'assurer le plus grand état qu'une créature vivante puisse obtenir, surtout si l'on compare ma petitesse à la gloire de Sa Majesté. Ah !

Monseigneur, vous savez combien peu il est en mon pouvoir de vous récompenser ; toutefois, quoi que ce soit qui puisse vous être agréable, je serai, si je puis vous le procurer, la plus heureuse des femmes. [6]»

Mais l'impatience du roi d'Angleterre et d'Anne Boleyn ne paraissait pas devoir être satisfaite. Campeggi, en passant à Paris, dit à François Ier que le divorce n'aurait pas lieu, et qu'il se rendrait bientôt on Espagne, auprès de Charles-Quint Ceci était significatif. « Il faut que le roi d'Angleterre sache, dit François indigné au duc de Suffolk, que Campeggi est impérial dans l'âme, et que toute sa mission en Angleterre ne sera qu'une longue dissimulation'. [7] »

En effet, la faction espagnole et romaine mettait tout en œuvre pour empêcher une union qu'elle dé testait. Anne, reine d'Angleterre, ce n'était pas seulement Catherine humiliée, Charles-Quint offensé; C’était le parti clérical affaibli, peut-être perdu, et le parti évangélique mis à sa place. La faction romaine trouvait des complices jusque dans la famille d'Anne Boleyn. La femme de son frère George, fière, emportée, stricte catholique, avait juré à sa jeune belle-sœur une haine implacable. On pouvait ainsi porter jusque dans le sanctuaire, domestique des coups qui, pour être plus intimes, n'en étaient que plus profonds. Un jour, dit-on, Anne trouva sous sa main un livre de prétendues prophéties, et ses regards tombèrent sur une image représentant un roi, une reine versant des larmes, et à leurs pieds une jeune fille décapitée. Anne détourna les yeux avec dégoût. Elle voulut pourtant savoir ce que cette image signifiait, et des amis officieux lui amenèrent un de ces soi-disant savants, assez nombreux alors, qui, abusant de la crédulité des ignorants, prétendaient interpréter de tels mystères.

— Cette image prophétique, dit-il, représente l'histoire du roi et de son épouse. »

Anne n'était pas crédule, mais elle comprit ce qu'on voulait lui insinuer, et congédia 318

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle le prétendu interprète sans montrer de frayeur puis s'adressant à celle de ses femmes qu'elle aimait le plus : « Viens ici, Nanne, lui dit- elle, regarde bien ; ceci représente, dit-on, le roi, ceci la reine, et cela (posant le doigt sur la tête sanglante), c'est moi ... — Ah ! s'écria la jeune fille épouvantée, si j'étais à votre place, je n'épouserais jamais le roi, fût-il même empereur ! — Rassure-toi, Nanne, répondit Anne Boleyn avec un doux sou rire, ce livre n'est qu'une niaiserie. [8] Quel que soit l'avenir qui m'attende, continua-t-elle, l'espoir de faire le bonheur de ce peuple en lui don nant un prince, ne doit-il pas contrebalancer ces cruels présages? » Cette histoire repose sur une bonne autorité, et il y avait alors tant de prédictions de ce genre, qu'il se peut que l'une d'elles ait rencontré juste ; on ne se rappelait plus tard que les prophéties confirmées par les événements. Quoi qu'il en soit, cette jeune femme châtiée un jour sévèrement, devait pourtant trouver en Dieu une abondante consolation.

Enfin Campeggi s'embarqua le 29 septembre à Calais, et malheureusement pour lui, il eut une excellente traversée ; une tempête qui l'eût rejeté sur les côtes de la France l'aurait admirablement servi. Mais le i octobre il était à Cantorbéry, et annonçait son arrivée au roi. A cette nouvelle Henri oublia tous ces délais qui l'avaient tant indigné. « Sa Majesté ne pourra jamais témoigner à votre Sainteté une reconnaissance qui réponde à tant de faveur, écrivit Wolsey au pape ; mais elle y emploiera ses richesses, son royaume, sa vie même, et méritera le nom de Restaurateur de l’Eglise a aussi juste titre que celui de Défenseur de la foi... »

Ce zèle effraya Campeggi, car le pape lui écrivait que toute démarche qui irriterait Charles Quint entraînerait inévitablement la ruine de l'Eglise [9]. Le nonce redoubla donc de lenteur, et arrivé à Cantorbéry le 1er octobre, il n'atteignit Dartforci que le 5, mettant cinq jours à faire deux ou trois lieues.

Cependant on se préparait à le recevoir à Londres. Wolsey, plein de dédain pour la pauvreté des cardinaux romains, et fort inquiet de l'équipage dans lequel son collègue allait faire son entrée dans la capitale, lui envoya des coffres précieux, de riches tapis, des carrosses drapés et des mules enharnachées. Campeggi, dont la mission secrète était de ne pas paraître et surtout de ne rien faire, craignait au contraire les panaches, les caparaçons et tout l'éclat d'une entrée triomphale.

Il allégua donc la goutte pour se soustraire aux pompes que son collègue lui avait préparées, se mit modestement dans un bateau, et arriva ainsi au palais de l'évêque de Bath qui lui était destiné.

Pendant que le nonce remontait incognito la Tamise, les équipages envoyés par Wolsey entraient à Londres au milieu d'une multitude ébahie, qui les contemplait avec curiosité, comme s'ils arrivaient des bords du Tibre. Quelques mules ayant fait un écart, les coffres tombèrent, s'ouvrirent, et chacun se précipita pour voir les objets précieux qu'ils devaient contenir,... mais, ô surprise!... ils étaient vides! Cela 319

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle divertit fort les bourgeois de Londres. « Brillants au dehors, vides. au dedans... bel emblème de la papauté, de son ambassade et de ses pompes ridicules! disait-on;...

Légat en peinture, procession de carnaval, vraie scène de comédie!... [10]»

Campeggi était enfin arrivé, et maintenant ce qu'il redoutait le plus, c'était une audience. « Je ne puis me mouvoir, dit-il, ni supporter même le mouvement d'une litière [11]. » Jamais goutte n'était venue si à propos. Wolsey, qui le visitait souvent, reconnut bientôt en lui un prêtre qui l'égalait en finesse. En vain l'entourait-il d'égards, lui serrait il la main, l’embrassait il, le choyait-il [12]; c'était peine perdue, le nonce romain restait bouche close, et Wolsey perdait courage. Le roi était, au contraire, plein d'espérance, et croyait avoir déjà la lettre de divorce dans son portefeuille, parce qu'il avait le nonce dans son royaume.

Le plus grand effet de l'arrivée du nonce fut de mettre fin aux indécisions d'Anne.

Elle avait des retours; les épreuves qu'elle prévoyait, la douleur que Catherine devait ressentir, avaient agité son imagination et troublé son âme. Mais quand elle vit l'Eglise, ses propres ennemis, prêts à prononcer le divorce du roi, ses doutes se dissipèrent, et elle regarda comme légitime la position qui lui était offerte. Le roi, qui souffrait de ses scrupules, fut ravi de ce changement. « Je veux vous dire, lui écrivit-il (en anglais), toute ma joie en apprenant que. Vous vous conformez enfin à la sagesse, que vous supprimez vos inutiles pensées et vos vaines imaginations, et les maîtrisez par la bride de la raison [13]. La possession de tous les biens du monde ne saurait me donner une si grande satisfaction. La maladie non feinte de ce légat bien disposé, retarde seule le moment où il se présentera chez vous. » Ce fut donc la résolution du pape qui décida Anne Boleyn à accepter la main de Henri VIII ; c'est là un renseignement important dont nous sommes redevables aux lettres du Vatican. Il faut être reconnaissant envers la papauté qui nous les a si soigneusement conservées.

Mais plus Henri se réjouissait, plus Wolsey se désespérait; il eût voulu pénétrer dans la pensée de Clément VII, et il ne pouvait y parvenir. S'imaginant que De Angelis, général de l'Observance espagnole, connaissait tous les secrets du pape et de l'Empereur, il conçut le projet de le faire enlever. S'il se rend en Espagne par mer, dit-il à Du Bellay, un bon brigantin ou deux feront l'affaire; si par terre, ce sera plus facile encore. » Du Bellay ne faillit (dit-il lui-même), « à lui mettre au nez qu'après de tels actes, c'en serait fait de la bonne volonté du Saint-Père... » —

N'importe, ré pondit Wolsey, je n'ai rien à perdre ! » En disant cela, la larme lui en venait à l'œil' [14]. Enfin, il se résigna à ignorer les desseins du pontife, sécha ses pleurs, et attendit, non sans trembler, l'entrevue de Henri et de Campeggi.

Ce fut le 22 octobre, un mois après son arrivée, que le nonce, porté sur un fauteuil de velours écarlate, se rendit à la cour. Il fut posé à la droite du trône, et son secrétaire fit en son nom un discours pompeux, saluant Henri du nom de Sauveur 320

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle de Rome, Lïberator urbis. « Sa Majesté, répondit Fox au nom du roi, s'est acquittée des devoirs imposés à un prince chrétien, et elle espère que le Saint-Siège s'en souviendra. » — Bien assailli, bien défendu, dit Du Bellay. » Pour le moment, quelques déclamations latines avaient tiré d'affaire le nonce du pape.

Campeggi ne se faisait pas d'illusion ; derrière le refus du divorce, il entrevoyait la réformation de l'Angleterre. Cependant il espérait encore, car on assurait que Catherine se soumettrait au jugement de l'Eglise ; et persuadé que la reine ne refuserait rien au Saint-Père, le nonce commença les approches, » comme parle Du Bellay. Ce fut le 27 octobre que les deux cardinaux se rendirent chez Catherine, et lui insinuèrent avec des paroles flatteuses, qu'elle pouvait prévenir le coup qui la menaçait en se retirant volontairement dans un cloître. Puis, pour faire cesser toute indécision dans l'esprit de la reine, Campeggi prit un air sévère et s'écria : Eh quoi! Madame, expliquez-nous ce mystère : Du moment que le Saint-Père nous a commis pour examiner la question de votre divorce, on vous à vue non-seulement à la cour, mais en public, vous parer d'ornements magnifiques, assister avec une apparence de gaieté et de dissipation à des divertissements, à des fêles, que vous n'aviez pas tolérés jusqu'alors!... L'Église est à votre sujet dans l'embarras le plus cruel ; le roi, votre époux, % se trouve dans une grande perplexité; la princesse, votre fille, vous est retirée... et au lieu de verser des larmes, vous vous livrez à la vanité... Renoncez au monde, Madame, entrez en religion, c'est notre Saint-Père lui-même qui vous le demande [15].

La reine troublée était près de s'évanouir; elle surmonta pourtant son émotion, et dit avec douceur, mais avec fermeté : « Quoi ! Monseigneur, on demande si je suis la femme légitime du roi! Mais voilà près de vingt ans que je le suis, et personne n'a jamais élevé le moindre doute à ce sujet Des lords, des prélats qui vivent encore, ont déclaré notre mariage légitime et honorable, au moment où il fut contracté ; et maintenant il serait abominable ! Quand je me rappelle la sagesse du roi Henri VII et l'amour que me portait le roi Ferdinand mon père, puis-je croire que ces princes il ôte lustres m'aient fait contracter une union illicite? » A ces mots l'émotion de Catherine la contraignit à s'arrêter. « Si je pleure, Monseigneur, reprit-elle aussitôt, ce n'est pas pour moi-même, c'est pour une personne qui m'est plus chère que la vie.

Quoi! Je consentirais à un acte qui priverait ma fille de la couronne ! Non, je ne sacrifierai pas mon enfant. Je connais les dangers qui me menacent. Je ne suis qu'une faible femme, étrangère, sans lettres, sans conseillers, sans amis et mes adversaires sont habiles, versés dans les lois, et jaloux de mériter la faveur de leur maître Il y a plus ; mes juges mêmes sont mes ennemis. Puis-je recevoir comme tel, dit-elle en regardant Campeggi, un homme arraché au pape par de manifestes mensonges ?..... Et quant à vous, ajoute-t-elle en se tournant avec hauteur vers Wolsey, n'ayant pu obtenir la tiare, vous avez juré de vous venger de l'Empereur mon neveu et vous avez tenu votre serment C'est de vous seul que k viennent tous 321

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle les chagrins qu'il a endurés. Une victime ne vous a pas suffi. Forgeant d'abominables suppositions, vous voulez plonger sa tante dans un affreux abîme Mais ma cause est juste, et je la remets au Seigneur. » Après ces courageuses paroles, l'infortunée Catherine se retira dans ses appartements. L'imminence du danger opéra chez elle une révolution salutaire : elle posa ses brillants atours, prit les vêtements graves sous lesquels on la représente ordinairement, et passa les jours et les nuits dans le deuil et dans les larmes [16].

Ainsi Campeggi voyait ses espérances déçues ; il avait cru trouver une nonne, et il avait rencontré une reine, une mère... Il va mettre en mouvement tous les ressorts imaginables *, Catherine ne voulant pas renoncer à Henri, il fallait obtenir de Henri qu'il renonçât à se séparer de la reine. Le légat romain changea donc ses batteries, et les tourna contre le roi.

Henri, toujours impatient, s'étant rendu sans cérémonie chez Campeggi, accompagné de Wolsey. [17] « Nous voici sans témoins, dit-il en s'asseyant familièrement entre les deux cardinaux; parlons a de nos affaires à cœur ouvert*