Histoire de la Réformation du Seizième Siècle_Vol 5 by Jean-Marie Merle D'Aubigne - HTML preview

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[2] “ H Milites cum ducibus et comitibus erant prœcipue eis adhéren tes. » [lbid.)

[3] “ H Quasi germinantes multiplicati sunt nimis, et impleverunt ubi que orbem regni. » (Knyghton, lib. I, p. 2660.)

[4] “ H Rex et episcopus in una persona, etc. » (Ibid.)

[5] Foi, Acts, IU, p. 216.

[6] Fox,Acts,m, p. 240.

[7] Ibid., p. 228.

[8] “ H Not of pure man, but of true God, here in earth. » (Fox, Acts, III, p. 242.)

[9] Ces mots se lisent encore dans la Tour.

[10] Blackraore. » “ H Eorum praedicationibus nefariis interfuit et contradictores,si quos repererat, minis et terroribus et gladii secularis potentia compescuit. » (Rymer, Fœdera, t. IV, pars i, p. 50.)

[11] “ H After the laws of arms, to fight for life or death, with any man living. » (Fox, Ads, III, p. 325.)

[12] “ H Quod nullam absolutionem in hac parte peteret a nobis, sed a solo Deo. »

(Rymer, Fœdera, p. 51.)

[13] “ H Incendio propter Deum, suspendio propter Regem. » (Thom. Waldensis in prœmio. — Raynald, ann. 1414, n° 16.)

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE X

Le lollardisme et l'humanisme. — Anglais à Florence, Italiens en Angleterre. — Les Tudors. — Henri VII, sa mère et ses fils. — Érasme et Thomas More. — Mondanité et ascétisme. — Jean Colet et sa table — Visite à Eltham. — L'Octave de l'Angleterre. — Mariage d'Arthur et de Catherine d'Aragon. — Mort d'Arthur. —

Fiançailles de Henri avec la veuve de son frère. — Sa protestation. — Mort d’Henri VII. — Avènement d’Henri VIII. — Érasme appelé. — Jules II et Th. Cromwell. —

Mariage d’Henri et de Catherine. — Fêtes à la cour. —Tournois Cette réformation devait être le résultat de deux forces distinctes, la renaissance des lettres, et la résurrection de la Parole de Dieu. La dernière fut la cause principale, mais la première était nécessaire comme moyen. Sans les lettres, il est probable que l'eau vive de l'Évangile eût traversé le seizième siècle comme ces ruisseaux facilement à sec, qui avaient paru çà et là dans le moyen âge ; elle ne fût pas devenue ce fleuve majestueux qui, en débordant, fertilisa toute la terre. Il fallait découvrir et sonder la source primitive; c'est à cela que servit l'étude du grec et de l'hébreu. Le lollardisme et l'humanisme furent les deux laboratoires de la Réforme.

Nous venons de voir les préparations de l'un; il faut rechercher celles de l'autre, et après avoir trouvé la lumière dans les humbles vallées, la discerner aussi sur de nobles hauteurs. Vers la fin du quinzième siècle se trouvaient à Florence quelques jeunes Anglais, attirés par les nouvelles lueurs que le flambeau des lettres répandait clans la ville des Médicis. Cosme avait réuni à grands frais autour de lui des manuscrits et des savants. William Selling, jeune ecclésiastique anglais, qui se distingua plus tard à Cantorbéry par son zèle pour recueillir des manuscrits précieux, son compatriote Grocyn, Guillaume Latimer, plus modeste qu'une vierge

[1], et surtout Linacer, qu'Érasme mettait au-dessus de tous les maîtres de l'Italie, se réunissaient à Politien, à Chalcondilas, et à d'autres savants encore, dans la délicieuse villa qu'habitait Médicis ; et là, dans le calme d'un soir d'été, sous le beau ciel de la Toscane, ils rêvaient ensemble les sublimes visions de la philosophie platonicienne. De retour en Angleterre, ces savants ouvraient à la jeunesse d'Oxford les merveilleux trésors de la langue des Grecs.

Des Italiens même, attirés par le désir d'éclairer les Barbares, et un peu, semble-t-il, par des offres brillantes, quittaient pour la lointaine Bretagne leur patrie bien-aimée; Corneille Vitelli enseignait à Oxford, et Caïo Ambe Rino à Cambridge ; Caxton enfin rapportait d'Allemagne l'art de l'imprimerie, et la nation saluait avec enthousiasme la brillante aurore qui parais sait enfin dans le ciel si longtemps nébuleux des Bretons.

Tandis que les lettres semblaient naître en Angleterre, une race nouvelle y parvenait au pouvoir, et y apportait cette énergie de caractère qui peut seule 100

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle accomplir de grandes révolutions ; les Tudors remplaçaient les Plantagenets. Cette inflexible intrépidité qui a distingué les réformateurs de l'Allemagne, de la Suisse, de la France, de l'Ecosse, ne se retrouva pas aussi généralement dans ceux de l'Angleterre ; mais elle fut dans le caractère de ses rois; ils la portèrent même quelquefois jusqu'à la violence. C'est sans doute à cette prépondérance de la force dans les chefs de l'État, que l'Angleterre doit la prépondérance de l'État dans les choses de l'Église.

Henri Tudor, prince habile, d'un caractère décidé mais défiant, avare et d'un esprit étroit, le Louis XI de l'Angleterre, régnait alors. Issu d'une famille du pays de Galles, il appartenait à cette race antique des Celtes, qui avait si longtemps lutté contre la papauté. Henri avait éteint les factions et appris aux étrangers à redouter sa puissance. Un bon génie semblait exercer sur sa cour et sur lui-même une influence salutaire ; c'était sa mère, la comtesse de Richmond. Du cabinet où elle consacrait à la lecture, à la méditation et à la prière, les cinq premières heures du jour, elle se rendait dans une autre partie de son palais pour panser les plaies de quelques pauvres malades; puis elle passait dans ses salons, où elle s'entretenait avec les hommes lettrés qu'encourageait sa munificence. Le goût de la comtesse pour l'étude, fort peu partagé par son fils, n'était pourtant pas resté sans influence dans sa famille. Arthur et Henri, fils aînés du roi, tremblaient sous le regard de leur père, mais gagnés par l'affection de leur pieuse grand' mère, ils commençaient à trouver quelque plaisir dans la société des amis des lettres ; une circonstance importante devait donner à l'un d'eux un nouvel élan.

Parmi les amis de la comtesse on distinguait Montjoie, qui avait connu Érasme à Paris et entendu ses mordantes satires contre les scolastiques et les moines. Il invita l'illustre Hollandais, qui fuyait alors la peste, à se rendre à Londres, et Érasme, en ré pondant à l'appel du jeune seigneur, crut presque se diriger vers l'empire des ténèbres. Mais à peine était-il en Angleterre qu'il découvrit des lumières inattendues.

Peu après son arrivée, se trouvant à la table du lord-maire, Érasme remarqua vis-à-vis de lui un jeune homme de dix-neuf ans, dont la taille était dégagée, la peau blanche et colorée, les yeux bleus, mais l'épaule droite un peu plus haute que la gauche et les mains rudes; ses traits respiraient l'affabilité, la gaieté; et de vives saillies s'échappaient sans cesse de ses lèvres. S'il n'en trouvait pas en anglais, il en disait en français, même en latin ou en grec. Une lutte littéraire s'engagea bientôt entre Érasme et le jeune Anglais. Le savant européen, étonné d'avoir trouvé quelqu'un qui lui tînt tête, s'écria : Aut tu es Morus aut nullus \ et l'adversaire à qui l'on n'avait pas dit le nom de l'étranger, repartit vivement : Aut lu es Erasmus aut diabolus [2] Thomas Morus (car c'était lui), ou pour ne pas latiniser son nom, Thomas More, se jeta alors dans les bras d'Érasme, et ne le quitta plus. Fils d'un juge, né à Londres, en 1480, More plaisantait sans cesse, même avec les femmes [3], 101

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle faisait sa cour aux jeunes filles, et s'amusait des simples d'esprit, toute fois sans méchanceté. Mais sous cette enveloppe lé gère il cachait une âme profonde. Il expliquait alors la Cité de Dieu de saint Augustin à un nombreux auditoire, où se trouvaient des prêtres et des vieillards.

La pensée de l'éternité l'avait saisi ; et ne connaissant pas cette discipline intérieure de l'Esprit-Saint, qui est la véritable, il avait eu recours à celle des cordelettes, et se flagellait tous les vendredis. Thomas More est l'idéal du catholicisme de cette époque. Il avait, comme le système romain, deux pôles, la mondanité et l'ascétisme, qui, quoique contraires, se concilient. En effet, l'ascétisme sacrifie le moi humain, mais pour le maintenir, comme le voyageur attaqué par des brigands qui leur jette quelques dépouilles, afin de sauver son trésor. Ainsi faisait More, si nous l'avons bien compris.

Il sacrifiait les accessoires de la vie déchue pour sauver cette vie elle-même. Il se soumettait aux jeûnes, aux veilles, il portait le cilice, il se mortifiait avec de petites chaînes, il immolait tout en un mot, afin de garder ce moi. Qu’une vraie régénération peut seule immoler. Érasme s'était rendu à Oxford, l'Athènes de la Bretagne, y trouva un homme lettré, Jean Colet, qui, plus âgé que More, formait avec lui un frappant contraste. Colet, issu d'une ancienne famille, d'une belle prestance, d'une figure imposante, et possédant une grande fortune, avait une élégance de manières à laquelle Érasme n'était pas accoutumé. L'ordre, la propreté, le décorum se voyaient par tout, sur sa personne et dans sa maison. Il avait une table exquise, ouverte à tous les amis des lettres, et à laquelle le Hollandais, peu amateur des collèges de Paris, de leur vin gâté et de leurs œufs pourris [4], avait grand plaisir à s'asseoir. Il y rencontrait d'ailleurs la plupart des humanistes de la Grande Bretagne, en particulier Grocyn, Linacer, Thomas Wolsey, boursier du collège de Magdeleine, Th. Halsey et d'autres encore : “ H Je ne puis dire corn bien me devient douce ton Angleterre, écrivait-il d'Oxford à lord Montjoie. Avec de tels hommes, je vivrais volontiers aux derniers confins de la Scythie [5]. »

Mais si Érasme transporté sur les bords de la Ta mise trouvait un Mécène dans lord Montjoie, dans More un Labé on et peut-être un Virgile, il ne trouvait nulle part un Auguste. Un jour qu'il témoignait à More ses regrets et ses craintes : “ H Venez, dit celui-ci, allons à Eltham, peut-être y rencontrerez-vous ce que vous cherchez. » Ils partirent; More plaisanta tout le long de la route, se réservant d'expier sa gaieté en se fustigeant le soir dans sa chambre. Ils arrivèrent, ils montèrent l'escalier gothique du château, furent accueillis par lord et lady Mont joie, gouverneur et gouvernante des enfants du roi, entourés de leurs domestiques et d'une partie des gens de la maison royale ; et au moment où les deux amis entraient dans la salle, un tableau charmant et inattendu s'offrit aux yeux d'Érasme. A gauche était une jeune princesse de onze ans, Marguerite, dont l'arrière-petit-fils, sous le nom de Stuart, devait continuer en Angleterre l'empire des Tudors; à droite, sa sœur Mary, âgée de 102

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle quatre ans ; le jeune Edmond était dans les bras de sa nourrice, et au milieu de ce groupe, entre les deux sœurs, se trouvait un prince de neuf ans, dont la belle figure, le port royal, l'œil intelligent et l'exquise courtoisie eurent aussitôt pour Érasme un attrait inouï [6].

C'était Henri, duc d'York, second fils du roi, né le 8 avril 1491. More, s'approchant du jeune prince, lui fit hommage d'un morceau de sa composition, et Érasme eut dès lors avec lui des rapports intimes, qui ne devaient pas être sans une certaine influence sur les destinées de l'Angleterre. Le savant de Rotterdam aimait à voir Henri monter à cheval avec une grâce parfaite et une rare intrépidité, lancer son javelot plus loin qu'aucun de ses compagnons, et plein de goût pour la musique, s'essayer déjà sur plusieurs instruments. Le roi faisait donner une éducation sa vante à ce jeune prince, qu'il destinait au siège de Cantorbéry ; et l'illustre lettré, remarquant son aptitude pour tout ce qu'il voulait entreprendre, s'appliqua dès lors à tailler avec soin ce diamant britannique, afin de lui faire jeter encore plus de feux.

Oh ! s'écriait le Hollandais, il ne commencera jamais rien qu'il ne l'achève. » En effet, ce prince devait toujours parvenir à son but, dit-il même, pour l'atteindre, marcher sur le cadavre de ceux qu'il avait aimés. Flatté des attentions du jeune Henri, gagné par ses grâces, ravi de son esprit, Érasme, à son retour sur le continent, annonça par tout que l'Angleterre allait avoir enfin son Octave.

Quant à Henri VII, il pensait à tout autre chose qu'à Virgile ou à Auguste. L'avarice et l'ambition, étaient ses goûts dominants, et il les satisfit en 1501 par le mariage de l'aîné de ses fils. La Bourgogne, l'Artois, la Provence et la Bretagne ayant été récemment réunis à la France, les puissances d'Europe avaient senti la nécessité de se liguer contre cet Etat envahissant. En conséquence, Ferdinand d'Aragon avait donné sa fille Jeanne à Philippe d'Autriche, et Henri VII lui demandait sa fille Catherine, âgée de dix-sept ans, la plus riche princesse de l'Europe, pour Arthur, prince de Galles, âgé de quinze ans. Le Roi Catholique mit une condition au mariage de cette princesse. Warwick, le dernier des Planta genets, prétendant à la couronne, était enfermé dans la Tour.

Ferdinand, voulant s'assurer que sa fille monterait bien sur le trône d'Angleterre, exigea que ce malheureux, prince fût mis à mort. Ce n'é tait pas encore assez pour le roi d’Espagne. Henri VII, qui n'était pas cruel, pouvait cacher Warwick, et dire qu'il n'était plus. Ferdinand voulut que le chancelier de Castille fût présent à l'exécution.

Le sang de Warwick jaillit, sa tête tomba dûment de ses épaules, le chancelier de Castille vérifia, enregistra le meurtre, et le 14 novembre le mariage fut célébré à Londres, dans l'église de Saint-Paul. A minuit, le prince et la princesse furent conduits avec pompe au lit nuptial [7]. Noces funestes, qui devaient un jour soulever les uns contre les autres les rois et les peuples de la chrétienté, et servir de prétexte aux débats extérieurs et politiques de la Réformation d'Angleterre. Le mariage de Catherine la Catholique était un mariage de sang.

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Dans les premiers mois de 1502, le prince Arthur tomba malade, et le 2 avril il mourut. On prit le temps nécessaire pour s'assurer que Catherine n'avait pas l'espérance de devenir mère, après quoi, l'ami d'Érasme, le jeune Henri, fut proclamé héritier de la couronne, à la grande joie des humanistes. Ce prince n'abandonna point les études; il parlait et écrivait en français, en allemand et en espagnol aussi bien qu'en anglais, et l'Angleterre espéra voir un jour sur le trône d'Alfred le Grand le plus savant des rois de la chrétienté.

Une tout autre question préoccupait l'avare Henri VII. Faudra-t-il qu'il restitue à l'Espagne les deux cent mille ducats que Catherine lui a apportés? Cette riche héritière se mariera-t-elle à quelque rival de l'Angleterre ? Pour prévenir un si grand malheur, le roi conçut le projet de faire épouser à Henri la veuve d'Arthur. On fit les objections les plus graves. Ce ne sont pas seulement les convenances, disait l'archevêque de Cantorbéry, Warham, c'est la volonté même de Dieu qui s'y oppose.

Quand un homme aura pris la femme de ton frère, c'est une souillure, est-il dit dans la loi du Seigneur ; et dans l'Évangile, Jean-Baptiste dit à Hérode : Il ne t'est pas permis d'avoir la femme de ton frère [8]. »

Alors Fox, évêque de Winchester, suggéra la pensée de demander dispense au pape; et Jules II accorda, en décembre 1503, une bulle où il déclarait que pour maintenir l'union entre les princes catholiques, il autorisait le mariage de Catherine avec le frère de son premier mari, accedente forsan copula carnali. Ces mots furent insérés dans la bulle, à la demande de la princesse elle-même. Tous ces détails sont importants pour la suite de l'histoire. Les époux furent fiancés, mais non mariés, vu la jeunesse du prince de Galles.

Le second mariage projeté par Henri VII s'annonçait sous des auspices moins heureux encore que le premier. Le roi étant tombé malade et ayant perdu la reine, regarda ces visitations comme un jugement du ciel [9]. La nation murmurait et demandait si un pape pouvait permettre ce que Dieu avait défendu1. Le jeune Henri, informé des scrupules de son père et des mécontentements du peuple, déclara au moment où il entrait dans sa quinzième année (27 juin 1505), en présence de l'évêque de Winchester et de divers conseillers royaux, qu'il protestait contre l'engagement pris pendant sa minorité, et n'aurait jamais Catherine pour femme.

Une mort, qui le rendait libre, devait le faire revenir de cette vertueuse décision. En 1509, les espérances des amis des lettres parurent se réaliser. Le 9 mai, un char pompeusement décoré, portant sur un drap d'or la dépouille mortelle de Henri VII, avec son sceptre et sa couronne, s'avançait lente ment vers Londres, suivi d'une immense procession. Les grands officiers de l'État, réunis autour du cercueil, rompirent leurs bâtons, en jetèrent les débris dans la tombe, et le héraut s'écria :

“ H Vive le roi Henri VII »I [10] Jamais peut-être un cri semblable ne fut répété avec 104

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle plus de joie par tout un peuple. Le jeune roi satisfit aux vœux de la nation en faisant arrêter Empson et Dudley, accusés d'exactions, et se conforma aux conseils éclairés de sa grand'mère, la duchesse de Richmond, en choisissant les ministres les plus capables et en mettant à leur tête, comme lord chancelier, l'archevêque de Cantorbéry.

War ham déploya de grandes capacités; on le voyait avec un zèle égal entendre la messe, recevoir les ambassadeurs, travailler avec Henri dans le cabinet royal, faire les honneurs de sa table à deux cents convives, s'asseoir sur le sac de laine, et se mettre à genoux sur son prie-dieu. La joie des humanistes surpassa celle du peuple.

Le vieux roi n'avait pas voulu de leurs éloges, de peur d'avoir à les payer ; maintenant ils pouvaient laisser un libre cours à leur enthousiasme. Montjoie donnait au jeune prince le nom de divin ; l'ambassadeur de Venise comparait son port à celui d'Apollon et son busle au torse de Mars; on l'exaltait en grec et en latin; on saluait en lui le fondateur d'une ère nouvelle, et Henri semblait vouloir mériter ces éloges. Loin de se laisser enivrer par tant d'adulation : “ H Ah ! disait-il à Mont joie, que je voudrais être savant! — Sire, ré pondit le courtisan, il suffit que vous témoigniez de l'amour à ceux qui possèdent cette science que vous désirez pour vous-même. — Comment ne a le ferais-je pas ? répliqua vivement Henri ; sans eux nous existons à peine! » Mon (joie écrivit aussitôt ces paroles à Érasme. [11]

Érasme ! Érasme ! Tel était le nom qui retentissait alors à Eltham, à Oxford, à Londres. Le roi ne pouvait vivre sans les savants, ni les savants sans Érasme.

Érasme lui-même, enthousiaste du jeune roi d'Angleterre, n'était pas éloigné de répondre à cet appel. Un jour, rencontrant à Ferrare l'Anglais Richard Pace, le savant Hollandais avait tiré de son habit une petite boîte qu'il portait toujours avec lui. Vous ne savez pas, avait-il dit, quel trésor vous avez en Angleterre; je vais vous l'apprendre. » Et il avait tiré de la boîte une lettre de Henri VIII, qui lui exprimait dans le meilleur latin l'amitié la plus tendre Aussitôt après le couronnement, Montjoie écrivit à Érasme : “ H Notre Henricus Octavus, ou plutôt Octavius, est sur le trône. Venez contempler cet astre nouveau! [12] Le ciel sourit, la terre bondit, tout déborde de lait, de nectar et de miel. L'avarice s'enfuit et la libéralité s'avance, répandant partout d'une main gracieuse ses abondantes largesses. Ce ne sont pas l'or, les perles, les métaux précieux que notre roi désire ; c'est la vertu, la gloire et l'immortalité*. [13] »

Ainsi parlait du jeune Henri l'homme éclairé qui l'avait vu de si près; Érasme ne put résister à cet appel. Il prit congé du pape, arriva à Londres, et le roi le serra dans ses bras. La science et le pouvoir se donnaient la main; la Grande-Bretagne allait avoir ses Médicis; et les amis des lettres ne doutaient plus de la régénération de l'Angleterre. Jules II, qui avait permis à Érasme de quitter la robe blanche des moines pour l'habit noir [14], l'avait laissé partir sans trop de regrets. Ce pontife 105

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle aimait peu les lettres, mais beaucoup la guerre, la chasse et les repas délicats. Les Anglais, en échange de l'humaniste, lui envoyèrent un mets de son goût.

Un jour, peu après le départ du célèbre littérateur, comme le pape revenait de la chasse et qu'il se reposait dans son pavillon, il entendit près de lui un chant singulier. Étonné, il demanda ce que c'était*. [15] “ H Ce sont des Anglais, lui dit-on. » Jules vit paraître trois Bretons, portant des vases soigneuse ment recouverts, que le plus jeune lui offrit, en se prosternant à ses pieds. Ce jeune homme, appelé Thomas Cromwell, qui parait ici pour la première fois, était fils d'un forgeron de Putney. Il avait un esprit si pénétrant, un jugement si solide, un cœur si courageux, une habileté si consommée, une élocution si facile, une mémoire si parfaite, une activité si puissante, une plume si habile, qu'on lui avait présagé le plus brillant avenir.

A vingt ans il s'était embarqué, désirant voir le monde, et arrivé à Anvers, y avait été employé comme secrétaire des négociants anglais. Peu après, deux de ses compatriotes, de Boston en Lincolnshire, vinrent le trouver d'un air embarrassé. “ H

Qu'avez-vous? leur dit-il. Nos concitoyens nous envoient auprès du pape, répondirent-ils, afin qu'il renouvelle les grands et petits pardons, dont le terme est échu, et qui nous sont nécessaires pour réparer notre port en ruine ; mais nous ne savons comment aborder le saint père... «Cromwell, vif, prêt à tout entreprendre, sachant un peu d'italien, s'écria : “ H Je vous accompagnerai! Puis, se frappant la tête, il se dit : Quels poissons pourrais-je jeter comme amorce à ces cormorans avides ? — Le pape, lui dit un ami, est fort amateur de friandises. » —

Aussitôt Cromwell fait préparer de la gelée exquise, à la mode de son pays, et part pour l'Italie avec ses provisions et ses deux compagnons. C'était lui qui se présentait à Jules au moment où celui-ci revenait de la chasse. “ H Les rois et les princes, dit Cromwell au pape, mangent seuls de ce mets dans le royaume d'Angleterre. » Un cardinal, plus cormoran encore que son maître, se hâta d'en goûter. “ H Prenez! »

S’écria-t-il, et le pape, savourant fort cette friandise, signa aussitôt les pardons, à condition toutefois qu'on lui laisserait la recette. “ H C'est ce qu'on a appelé, dit le chroniqueur, des pardons à la gelée. » Ce fut le premier exploit de Cromwell ; celui qui donnait à la papauté des pots de confitures, devait un jour lui enlever l'Angleterre.

Ce n'était pas seulement à la cour du pontife que l'on se divertissait ; on chassait à Londres comme à Rome ; on y dansait ; on y faisait bonne chère, et les fêtes, inséparables d'un avènement au trône, absorbaient alors le jeune roi et tous ses seigneurs. H se rappela pourtant un jour qu'il devait donner une reine à son peuple ; Catherine d'Aragon était encore en Angleterre, et ce fut elle que le Conseil lui recommanda. Henri admirait la sainteté de Catherine sans se soucier de l'imiter

[16]; il aimait son amour des lettres, et éprouvait même pour elle quel que 106

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle inclination*[17]. “ H Catherine, lui disait-on, fille de ot l'illustre Isabelle de Castille, est le portrait de sa mère; elle a, comme elle, la sagesse et la grandeur d'âme qui attirent le respect des peuples; et si elle apportait à quelqu'un de vos rivaux sa dot et l'alliance de l'Espagne, la couronne d'Angleterre, si longtemps contestée, tomberait bientôt de votre tête... Vous avez la dispense du pape; serez-vous plus scrupuleux que lui? [18] » En vain l'archevêque maintint-il son opposition, Henri céda, et le Il juin, sept semaines après la mort de son père, le mariage fut célébré avec les cérémonies usitées aux noces des vierges, l'épouse étant en longue robe blanche et les cheveux épars; dans le même mois le roi et la reine furent couronnés avec pompe.

Alors les fêtes redoublèrent. Les richesses, que les seigneurs de la cour avaient longtemps enfouies, par crainte du vieux roi, reparurent; les dames étincelèrent d'or et de diamants, et le roi et la reine, que le peuple ne pouvait se lasser d'admirer, jouirent, comme des enfants, de l'éclat de leurs robes royales. Henri VIII était alors ce que plus tard fut Louis XIV. Amateur du faste et des plaisirs, idole de son peuple, passionné du beau sexe, devant avoir à peu près autant de femmes que Louis XIV

eut de maîtresses adultères, il fit de la cour d'Angleterre ce que le fils d'Anne d'Autriche fit de la cour de France, le théâtre de tous les divertissements. Il croyait ne pouvoir jamais dépenser les millions qu'il avait trouvés dans les coffres de son père. Ses dix-huit ans, la vivacité de son caractère, la grâce qu'il déployait dans tous les exercices du corps, les romans de chevalerie qu'il dévorait, et que les prêtres eux-mêmes recommandaient alors aux grands [19], les flatteries des courtisans, tout faisait fermenter sa jeune imagination. Dès qu'il paraissait, chacun admirait la beauté de ses formes, et l'éclat majestueux de sa personne; c'est son plus grand ennemi qui nous a laissé ce portrait [20] : “ H Ce front, s'écriait-on, a été fait pour le diadème, et ce port majestueux pour le manteau des rois*. [21] »

Henri résolut de réaliser sans retard les héroïques combats et les pompes fabuleuses des héros de la Table ronde, comme s'il eût voulu se préparer aux luttes plus réelles qu'il devait soutenir un jour avec la papauté. A peine les trompettes avaient- elles sonné, qu'on voyait paraître le jeune prince, recouvert d'une riche armure, et la tête ornée d'une plume qui retombait gracieusement jusque sur la selle de son noble coursier ; “ H semblable, dit un historien, à un taureau indompté qui, brisant le joug et le harnais, s'élance dans l'arène. »

Un jour qu'on célébrait les relevailles de Catherine, la reine, assise avec sa cour sous des tentes de drap pourpre et or, au milieu d'une forêt entrecoupée de rochers et parsemée de fleurs, vit s'avancer un moine couvert d'une longue robe brune, qui mit un genou en terre devant elle, lui demanda la per mission de fournir la course, puis se releva, jeta fièrement sa robe, et parut richement armé pour le combat : c'était Charles Brandon, plus tard duc de Suffolk, l'un des hommes les plus beaux et les plus forts du royaume, le premier après Henri dans les tournois. Alors arrivèrent 107

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle des hommes habillés de velours noir, un chapeau à larges bords sur la tête, un bâton à la main, avec des écharpes ornées de coquilles, comme des pèlerins venant de Saint-Jacques de Compostelle. Ils jetèrent aussi leurs habits, et parurent armés de pied en cap. A leur tête était sir Thomas Boleyn, dont la fille devait un jour dépasser en beauté, en grandeur et en infortune, toutes les femmes de l'Angleterre.

Le tournoi commença. Henri, que l'on comparait à Amadis pour l'audace, à Richard Cœur de lion pour le courage, à Edouard III pour la courtoisie, ne sortait pas toujours sans atteinte de ces luttes chevaleresques. Un jour, le roi ayant oublié de baisser la visière de son casque, et Brandon, son adversaire, étant parti au galop, la lance en arrêt, le peuple s'apercevant de cet oubli, poussa un cri ; mais rien ne pouvait arrêter leurs coursiers ; les deux chevaliers se heurtèrent, la lance de Suffolk se brisa contre Henri, et les éclats le frappèrent au visage.

Chacun crut que le roi était mort, et déjà plusieurs couraient arrêter Brandon, quand Henri, remis du coup qui avait porté sur son casque, recommença le combat, et fournit six courses nouvelles, au milieu des cris d'admiration de ses sujets. Ce courage intrépide devait faire place, avec l'âge, à une horrible cruauté, et le jeune tigre, qui faisait alors des sauts si gracieux, devait un jour, les yeux hagards, déchirer de ses dents acérées la mère de ses propres enfants.

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FOOTNOTES

[1] “ H Pudùrem, plus quam virgineum. » (Erasmi Ep. I, p. 525.)

[2] Life of More by his Great Grandson (1828), p. 93.

[3] “ H Cum mulieribus fere atque etiam cutn uxore nonnisi lusus jocos que tractat.

» (Erasmi Ep., I, p. 536.)

[4] “ H Quantum ibi devorabatur ovorum putrium, quantum vini putris hauriebatur. » (Erasmi Colloquia, p. 564.)

[5] f Dici non potest quam mini dulcescat Anglia tua... vel in extre ma Scythia vivere non recusem. » (Erasmi Mp., I, p. 311.)

[6] Erasmi Ep. ad Botzhem. Fortin, Appendix, p. 108.

[7] “ H Principes summa nocte ad thalamum solemni ritu deducti sunt. » (Sanderus, De schismate Angl., p. Î.)

[8] Lévit, XX, 21 ; saint Marc, VI, 18.

[9] Moryson's Apomacis.

[10] Herbert, Life of Henri VIII, p. 18.

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

[11] “ H Scripsit ad me suapte manu litteras amantissimas. » (Erastni Vita ad Ep.)

[12] “ H Ut hoc novum sidus aspicias. »{Erasmi.E'p., p. 277.) Expression de Virgile en parlant d'Auguste divinisé.

[13] “ H Ridet œther, exultat terra, omnia lactis, omnia mellis, omnia nectaris sunt plena. » (Ibid.)

[14] a Vestem albam commutavit in nigram. » [Ep., ad Servat.)

[15] “ H The pope suddenly marvelling at the strangeness of the song. » {Fox, Acts, V, p. 364.)

[16] “ H Admirabatur quidera uxoris sanctitatem. » (Sander, p. 5.)

[17] “ H Ut araor plus apud regem posset. » (Moryson Apom., p. 14.)

[18] Herbert, Henry VIII, p. 7.— Fuller, Church Hist., V, Book, p. 165. — Erasmi Ep., ad Amerb., p. 19.

[19] * Tyndall, Obedience of a Christian man (1528).

[20] “ H Eximia corporis forma praeditus, in qua etiam regiaj majestatis augusta quaedam species elucebat. » (Sanderus, Deschism., p. 4.)

[21] British museum MSC. Nero. Moryson, Apom., p. 63.

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE XI

Le pape pousse Henri à la guerre. — Sermon de Colet. — Campagne d’Henri. —

Mariage de Louis XII et de Marie Tudor. — Anne Boleyn. —Fètes. — Mort de Louis.

— Mariage de Marie et de Suffolk. Anne Boleyn et Marguerite de Valois. — Les lettres en Angleterre. —More et Henri. — Wolsey veut une réforme. — Colet et Érasme. —Prédication du doyen. — On l'accuse. — École de Saint-Paul. — Les Troyens et les Grecs.

Un message du pape vint arrêter Henri au milieu de ces divertissements. Partout, en Écosse, en Espagne, en France, en Italie, le jeune roi ne comptait alors que des amis; mais la papauté allait troubler cette bonne harmonie. Un jour, au moment où l'on venait de célébrer les saints mystères en présence du roi, l'archevêque de Cantorbéry déposa à ses pieds, de la part de Jules II, une rose d'or bénie par ce pape, ointe d'huile et parfumée de musc [1], avec une lettre où Henri VIII recevait le titre de chef de la ligue italienne.

Le belliqueux pontife ayant abaissé les Vénitiens, voulait humilier la France, et employer Henri comme instrument de ses haines. Ce prince venait, il est vrai, de renouveler son alliance avec Louis XII ; mais le pape ne se laissait pas arrêter par si peu de chose, et bientôt le jeune roi ne rêva plus qu'aux gloires de Crécy, de Poitiers et d'Azincourt. En vain ses plus sages conseillers lui disaient-ils que l'Angle terre, dans des temps plus propices, n'avait pu se maintenir en France, que la mer était le véritable champ ouvert à ses conquêtes ; Jules, connaissant sa vanité, lui avait promis d'ôter à Louis le titre de roi Très-Chrétien pour le lui donner à lui-même. Sa Sainteté, lui faisait-il dire, espère que Votre Grâce exterminera totalement le roi de France*.[2] » Henri ne trouva rien à redire à cette parole peu apostolique, et se décida à substituer aux tournois et aux fêtes le jeu terrible des combats.

Au printemps de l'an 1511, après quelques essais peu encourageants tentés par ses généraux, il pensa à se rendre lui-même en France. Il était au milieu de ses préparatifs, quand les fêtes de Pâques arrivèrent. Le doyen Colet, prêchant le vendredi saint devant le roi, montra plus de courage qu'on n'eût pu en attendre d'un humaniste, car il y avait en lui une étincelle de l'esprit chrétien. Il choisit pour su jet de son discours la victoire de Jésus-Christ sur la mort : “ H Celui qui prend les armes par ambition, s'écria-t-il, combat, non sous l'étendard de Christ, mais sous celui de Satan. Si vous voulez lutter contre vos ennemis, suivez Jésus-Christ votre ca pitaine, plutôt qu'Alexandre ou Jules César. [3]» On se regardait étonné ; les humanistes s'effrayaient, et les prêtres inquiets de l'essor que prenait alors l'esprit humain, se promettaient de profiter de cette occasion pour porter un rude coup à leurs adversaires.

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Il y avait parmi eux de ces hommes, dont on doit condamner les opinions, mais dont on ne peut s'empêcher de respecter le zèle pour ce qu'ils pensent être la vérité, Bricot, Fitz-James et surtout Standish. Leur zèle alla pourtant un peu trop loin en cette occasion ; on parlait de brûler le doyen Au moment où le service venait de finir, on dit à Colet que le roi le demandait dans le jardin des Franciscains, et aussitôt les prêtres et les moines se pressèrent vers la porte, dans l'espérance de voir leur adversaire emmené comme un criminel. “ H Qu'on nous laisse seuls, dit Henri; mettez votre cape, Monsieur le doyen, a et promenons-nous. Rassurez-vous, continua-t-il, vous n'avez rien à craindre. Vous avez parlé admirablement sur la charité chrétienne, et m'avez presque réconcilié avec le roi de France. Mais, hélas !

la guerre que j'entreprends est une nécessité, une guerre défensive et légitime ; veuillez l'expliquer dans un prochain sermon. Je craindrais, sans cela, que mes soldats ne se méprissent sur le sens de vos paroles. » Colet n'était pas un Jean-Baptiste ; touché de la condescendance du roi, il se hâta de donner l'explication demandée, et le prince satisfait, s'écria : “ H Celui-ci est mon docteur! et je lui porte un toast! » Il était jeune alors; ce n'était pas ainsi que Henri devait traiter plus tard ceux qui contrarieraient ses desseins.

Au fond, le roi ne se souciait guère plus des victoires d'Alexandre que de celles de Jésus-Christ. Ayant équipé splendidement son armée, il s'embarqua au mois de juin, accompagné de son aumônier Wolsey, dont la faveur commençait à poindre, et partit pour la guerre comme pour un tournois. Quelque temps après il se rendit, tout couvert de joyaux, au-devant de l'empereur Maximilien, qui le reçut modestement vêtu d'un simple pourpoint et d'un manteau de serge noire. Victorieux dans la journée des Eperons, Henri, au lieu de s'élancer à la con quête de la France, revint tranquillement au siège de Thérouanne, y célébra des joutes et des fêtes, donna à son aumônier l'évêché de Tournay, puis retourna en Angleterre, glorieux d'avoir fait une partie de plaisir.

Louis XII, veuf, âgé de cinquante - trois ans, et courbé sous les infirmités d'une vieillesse prématurée^ mais voulant à tout prix empêcher le renouvellement de la guerre, demanda la main de la belle princesse Marie, âgée de seize ans, et sœur du roi. Marie, qui aimait Charles Brandon, voulait lui sacrifier l'éclat d'une couronne; mais la raison d'État s'y opposait. “ H La princesse, dit Wolsey à Henri VIII, reviendra bientôt en Angleterre, veuve tt et avec un douaire royal. » Cette perspective décida l'affaire. Marie, triste, abattue, pleurant Bran don et l'Angleterre, objet de la pitié universelle, s'embarqua à Douvres avec une suite de trois mille personnes, et le duc d'Angoulême l'ayant reçue à Boulogne, la conduisit au roi, tout fier d'épouser la plus belle princesse de l'Europe.

Parmi les dames qui accompagnaient Marie, se trouvait la jeune Anne Boleyn. Sir Thomas, son père, avait été chargé par Henri, conjointement avec l'évêque d'Ely, des négociations diplomatiques qu'avait nécessitées ce mariage. Anne avait passé 111

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle son enfance dans le château de Rocheford, entourée de tout ce qui pouvait exalter son imagination. Son grand-père maternel, le comte de Surrey, dont le fils aîné avait épousé la sœur de la reine, femme d’Henri VII, avait occupé, ainsi que ses fils, les premières charges de l'Etat. Agée alors de sept ans ' selon les uns, de treize selon les autres, et appelée à la cour par son père, elle lui écrivit en français la lettre suivante, qui paraît se rapporter à son départ pour la France : Monsieur, votre désir est que je me comporte comme une femme respectable quand j'irai à la cour, et vous m'informez que la reine prendra la peine de me parler. La pensée de parler avec une personne si discrète et si honorable, me réjouit à fort.

Ceci augmente mon désir de continuer à parler français et aussi à l'écrire, surtout puisque vous me le recommandez tant. Je viens vous in former par cette lettre que je m'appliquerai autant que je pourrai à ces choses a Quant à moi-même, soyez certain que je ne répondrai pas par de l'ingratitude aux bontés d'un père, et que je me conformerai à ce qu'il me prescrit. Je veux vivre aussi saintement qu'il vous plaît de me le commander, et je vous assure que mon amour est fondé sur une base si ferme qu'il ne pourra jamais s'affaiblir. Je finis maintenant, en me recommandant à votre gracieuse faveur. — Écrit à Hever, par votre très humble et très obéissante fille, Anna de Boullan [4]. »

Tels étaient les sentiments dans lesquels cette jeune et intéressante Anglaise, si calomniée par des écrivains de la papauté, se présentait à la cour. Le mariage fut célébré à Abbeville, le 9 octobre 1514, et après un somptueux banquet, le roi de France distribua ses royales largesses aux seigneurs d'Angleterre, ravis de tant de courtoisie. Mais le lendemain fut affreux pour la jeune reine. Louis XII avait congédié la suite nombreuse qui l'avait accompagnée, et même lady Guilford, à laquelle Henri l'avait spécialement confiée. On ne lui avait laissé qu'un enfant, Anne Boleyn. L'infortunée Marie s'abandonna à la plus vive douleur. Pour la consoler, Louis fit annoncer un grand tournoi. A cette nouvelle, Suffolk accourut en France; et tandis que le roi, couché languissamment sur un lit, pouvait à peine suivre des yeux ce brillant spectacle, que la reine, triste encore, mais rayonnante de jeunesse et de beauté, présidait au combat, Suffolk remportait toutes les couronnes.

Marie ne put cacher son émotion, et Louise de Savoie, qui l'observait, devina son secret. Mais Louis, s'il connut les angoisses de la jalousie, ne les éprouva pas longtemps; il mourut le 1er janvier 1515.

Pendant que l'on tendait de noir les appartements de la reine, son cœur s'ouvrait à l'espérance. François Ier, impatient de lui voir épouser quelque personnage sans importance politique, encourageait son amour pour Suffolk. Celui-ci, chargé par Henri de porter à sa sœur ses compliments de condoléance, craignait la colère de son maître s'il osait prétendre à la main de la princesse. Mais Marie, résolue à tout braver, dit à Brandon : “ H Vous m'épouserez dans quatre jours ou vous ne me verrez plus. » Le choix que Henri avait fait de Suffolk pour son ambassadeur, 112

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle n'annonçait pas qu'il voulût être cruel. Le mariage fut célébré dans l'abbaye de Clugny, et Henri pardonna.

Tandis que Marie retournait en Angleterre comme l'avait prédit Wolsey, la jeune Anne restait en France. Sir Thomas, désireux que sa fille devînt une femme accomplie, la confia à la vertueuse Claude de France, la bonne reine, autour de laquelle se formaient les filles des premières familles du royaume. La Marguerite des Marguerites (c'est ainsi qu'on a nommé la sœur de François Ier), venait souvent charmer par ses conversations le cercle de la reine ; elle distingua bientôt la jeune Anglaise, fut frappée de ses grâces et de son intelligence, et se l'attacha. Anne Boleyn devait être un jour à Londres un reflet de Marguerite de Valois, et ses rap ports avec cette princesse ne furent pas sans in fluence sur la réformation de l'Angleterre.

En effet, le mouvement des lettres, qui d'Italie avait passé en France, semblait alors devoir passer de France dans la Grande-Bretagne. Oxford exerce sur l'Angleterre une influence aussi grande que celle de la métropole ; et c'est presque toujours dans ses murs qu'un mouvement commence, en bien comme en mal. Une jeunesse enthousiaste y accueillait alors avec joie les premiers rayons du nouveau soleil, et poursuivait de ses sarcasmes la paresse des moines, l'immoralité du clergé et la superstition du peuple. Dégoûté du sacerdotalisme du moyen âge, épris des écrivains de l'antiquité et des lumières nouvelles, Oxford demandait instamment une réforme qui brisât les chaînes de la domination cléricale et émancipât les intelligences. Les lettrés crurent pendant quelque temps avoir trouvé dans l'homme le plus puissant de l'Angleterre, Wolsey, l'allié qui leur donnerait la victoire.

Wolsey avait peu de goût pour les lettres, mais voyant le vent de la faveur publique souiller dans cette direction, il se hâta d'y déployer ses voiles. Il se fit passer pour un profond théologien, en citant quelques mots de Thomas d'Aquin, et s'acquit la réputation d'un Mécène et d'un Ptolémée, en invitant les lettrés à ses somptueux festins. “ H O heureux cardinal, s'écriait Érasme, qui entoure sa table de tels flambeaux »

Le roi avait alors la même ambition que son ministre, et après avoir goûté tour à tour des plaisirs de la guerre et de la diplomatie, il se tournait maintenant vers les lettres. Il demanda à Wolsey de lui présenter Thomas More. — “ H Qu'irai-je faire à la cour? répondit celui-ci. Je m'y tiendrai aussi gauchement qu'un apprenti cavalier sur sa selle! » Heureux dans le cercle de sa famille, où père, mère, enfants, réunis autour de la table, formaient un groupe délicieux, que le pinceau d'Holbein nous a conservé, More s'obstinait à n'en pas sortir. Mais Henri n'était pas homme à supporter un refus; il employa presque la force pour attirer More au palais, et bientôt le roi ne put se passer de l'humaniste.

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Pendant le calme d'une nuit étoilée, ils se promenaient ensemble sur les terrasses du château et dis couraient sur le mouvement des astres. Si More ne paraissait pas à la cour, Henri partait pour Chelsea et partageait le modeste dîner de la famille, avec quelques simples gens des environs. “ H Où est l'Athènes, disait Érasme, où est le Portique, où est le Lycée qui vaille la cour d'Angleterre?... Elle est un musée plutôt qu'une cour... Un âge d'or commence et j'en félicite l'univers. » [5]

Mais les humanistes ne se contentaient pas des festins du cardinal et des faveurs du roi; il leur fallait des victoires, et c'était contre les cloîtres, ces forteresses de la hiérarchie et de l'impudicité, qu'ils dirigeaient surtout leurs traits [6]. L'abbé de Saint Alban ayant fait d'une femme mariée sa concubine, et l'ayant mise à la tête d'un de ses monastères, ses moines avaient suivi son exemple, et s'étaient livrés aux plus honteux débordements. L'indignation publique éclata, en sorte que Wolsey lui-même, Wolsey, père de plusieurs enfants illégitimes, et qui portait la peine de ses désordres [7], entraîné par l'esprit du temps, demanda au pape une réforme générale des mœurs. A l'ouïe de cette requête, les prêtres et les moines jetèrent les hauts cris. « H Qu'allez-vous faire? dirent-ils à Wolsey. Vous donnerez gain de cause aux ennemis de l'Église, et vous aurez pour salaire la haine de l'univers. »

Ce n'était pas le compte du cardinal ; il abandonna son projet et en conçut un plus facile. Voulant justifier le nom de Ptolémée que lui donnait Érasme, il entre prit de fonder deux grands collèges, l'un à Ipswich, sa ville natale, l'autre à Oxford; et trouva commode de prendre les fonds nécessaires à cette création, non dans sa bourse, mais dans celle des moines. Il signala au pape vingt-deux monastères où, dit-il, le vice et l'impiété avaient établi domicile*. [8] Le pape accorda leur sécularisation, et Wolsey s'étant ainsi procurés 2,000 livres sterling de revenu, fit poser les vastes fondements de son collège, tracer plusieurs cours et construire de superbes cuisines. La disgrâce le surprit avant qu'il eût achevé son œuvre; aussi Gualter dit-il avec malice : “ H Il a commencé un collège et bâti un restaurant [9]. »

Toutefois un grand exemple était donné, le chemin des couvents était frayé par un pape, et la première brèche leur était faite par un cardinal. Cromwell, alors secrétaire de Wolsey, remarqua comment s'y prenait son maître, et sut profiter plus tard de la leçon.

Heureusement les lettres avaient à Londres des amis plus sincères que Wolsey; c'était Colet, doyen de Saint-Paul, dont la maison fut le centre du mouvement littéraire qui précéda l’Information, et Érasme, son commensal. Hardi pionnier, celui-ci frayait alors à l'Europe moderne la route de l'antiquité. Un jour il entretenait les convives de Colet d'un nouveau manuscrit; un autre jour des formes de la littérature ancienne ; puis il livrait de rudes assauts aux scolastiques et aux moines, et Colet lui venait en aide. Le seul antagoniste qui osât se mesurer avec eux, était Thomas More, qui, quoique laïque, commençait à soutenir vivement les ordonnances de l'Église.

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Des propos de table ne pouvaient suffire au doyen; un immense auditoire venait l'entendre à Saint-Paul. La spiritualité des paroles de Jésus, l'autorité qui les caractérise, leur admirable simplicité et leur mystérieuse profondeur, l'avaient ravi : “ H J'admire les épîtres des apôtres, s'écriait-il, mais je les oublie presque quand je contemple a la majesté admirable de Christ [10]. » Laissant donc les textes prescrits par l'Église, il expliqua, comme Zwingli, l'Évangile selon saint Matthieu. Il alla bientôt plus loin. Profitant d'une convocation du clergé, il prononça sur la conformation et la réformation un discours qui fut l'un des nombreux préludes de la grande rénovation du seizième siècle. “ H On voit paraître de nos jours des idées étranges et hérétiques, dit-il, je l'accorde. Mais sachez qu'il n'y a pas pour l'Église de plus dangereuse hérésie que la vie dégradée de ses prêtres. Il faut une réformation; et cette réformation, il faut que ce soit par vous, ô évêques, qu'elle commence, et par vous, ô prêtres, qu'elle continue! Le clergé une fois réformé, nous pro céderons à la réformation du peuple [11]. » Ainsi parlait Colet. Les bourgeois de Londres l'écoutaient avec ravissement, et l'appelaient un nouveau saint Paul [12].

De tels discours ne pouvaient demeurer impunis. Fitz-James, évêque de Londres, vieillard de quatre-vingt ans, superstitieux, opiniâtre, amateur du gain, d'une susceptibilité irritable, peu théologien, mais prosterné devant Duns Scott, le docteur subtil, appela à son aide deux autres évêques, aussi zélés que lui pour la conservation des abus, Bricot et Stan dish, et dénonça à Warham le doyen de Saint-Paul. L'archevêque ayant demandé ce qu'il avait fait : Ce qu'il a fait ! reprit l'évêque de Londres, il enseigne qu'il ne faut pas adorer les images, il traduit le Pater en anglais, il prétend que dans le Pasce oves meas, il ne faut nullement comprendre les subsides temporels que le clergé doit retirer de ses ouailles. De plus, ajouta-t-il avec quelque embarras, il a parlé contre ceux qui portent des cahiers en chaire et qui lisent leurs sermons! » C'était l'habitude de l'évêque; aussi l'archevêque ne peut-il s'empêcher de sourire, et Colet ayant refusé de se justifier, Warham prit lui-même sa défense.

Dès lors Colet travailla avec un nouveau courage à dissiper les ténèbres; il consacra la plus grande partie de son patrimoine à rétablir à Londres la célèbre école de Saint-Paul, dont le savant Lilly fut le premier recteur. Deux partis, les Grecs et les Troyens se mirent à lutter, non avec la lance, comme dans l'antique épopée, mais avec la langue, avec la plume, et quelquefois avec le poing. Si les Troyens (les ignorants) avaient le dessous dans les disputes publiques, ils prenaient leur revanche dans le secret du confessionnal. Cave a Grœcis ne fias hœre ticus ! Telle était la consigne que les prêtres ne cessaient de rappeler à la jeunesse. Ils regardaient, dit-on, l'école fondée par Colet, comme le cheval monstrueux du parjure Sinon, et annonçaient que de ses flancs sortirait inévitablement la ruine du peuple.

Colet et Érasme ne répondaient au fanatisme des moines qu'en leur portant de nouveaux coups. Linacer, enthousiaste des lettres, Grocyn, d'un esprit mordant et 115

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle pourtant d'une âme généreuse, et d'autres encore, renforçaient la phalange des Grecs. Henri VIII lui-même, prenait d'ordinaire l'un d'eux pour l'accompagner dans ses voyages, et si quelque Troyen malencontreux venait à attaquer en sa présence la langue de saint Paul et de Platon, le jeune prince lançait sur lui son Hellène. Les rives du Xante et du Simoïs, ne virent pas jadis plus de batailles.

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FOOTNOTES

[1] “ H Odoriflco musco aspersam. » (Wilkins, Concilia, III, p. 652.)

[2] * Lettre du cardinal Bambridge. Cotton library. Vitell. B î. p. 8.

[3] « H Dr Colet was in trouble and should have been burnt. » (Latimer's Sermons, Parker edition, p. 440.)

[4] L'auteur a pu se procurer en français les lettres de Henri VIII et d'Anne de Boleyn, mais non pas celle-ci qui est antérieure. Il l'a traduite de l'anglais.

[5] “ H Cujus mensa talibus luminibus cingitur. » (Erasmi Ep., p. 725.)

[6] “ H Loca sacra etiam ipsa Dei templa monialium stupro et sangui nis et seminis effusione profanare non verentur. » (Bulle papale. Wilkins Concilia, p. 632.)

[7] “ H Morbus venereus. » (Burnet.)

[8] “ H Wherein much vice and wickness was harboured. » (Strype, I, p. 169. Voir les noms des monastères, ibid., II, p. 132.)

[9] “ H Instituit collegium et absolvit popinam. » (Fuller, p. 169.)

[10] “ H Ita suspiciëbat admirabilem illam Christi majestatem. » (Erasmi Ep., p.

707.)

[11] * Colet, Sermon to the convocation. »

[12] “ H Pene apostolus Paulus habitus est. » (Polyd. Virg., p. 618.) 116

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE XII

Thomas Wolsey. — Son premier exploit. — 11 gagne Henri. — Wolsey archevêque,

— cardinal, — grand chancelier, — légat. — Son ostentation. — Système d'espionnage. — Vertus d'apparat. — Première lutte entre l'Église et l'État. — Un caractère hiérarchique.

Au moment où tout semblait s'acheminer dans le sens d'une réformation, un prêtre puissant vint la rendre plus difficile.

L'un des personnages les plus marquants de ce siècle paraissait alors sur la scène du monde. Un homme devait unir, sous Henri VIII, une extrême habileté à une extrême immoralité; et cet homme devait fournir de nouveau un éclatant exemple de cette vérité salutaire, que l'immoralité est plus efficace pour perdre un homme, que l'habileté pour le sauver. Wolsey fut en Angleterre le dernier grand prêtre de Rome, et quand sa chute vint étonner le royaume, elle fut le signal d'une chute plus étonnante encore, celle de la papauté.

Fils d'un riche boucher d'Ipswich, suivant une tradition qui semble bien justifiée, Thomas Wolsey était parvenu, du temps d’Henri VII, aux fonctions d'aumônier, sur la recommandation d'un gentil homme, sir Richard Nanant, trésorier de Calais, son ancien patron. Mais Thomas ne se souciait point de passer sa vie à dire la messe. A peine avait-il accompli son office, qu'au lieu de se livrer le reste du jour à la fainéantise, comme ses pareils, il s'efforçait de gagner les bonnes grâces des seigneurs qui entouraient le roi.

Fox, évêque de Winchester, lord du sceau privé sous Henri VII, inquiet de l'influence croissante du comte de Surrey, cherchait un homme propre à la contrebalancer ; il crut le trouver en Wolsey. Les Surrey, nous l'avons vu, étaient grand-père et oncles d'Anne Boleyn, et c'était pour s'opposer à cette famille puissante que le fils du boucher d'Ipswich fut tiré de l'obscurité. Ceci n'est pas sans importance pour la suite de l'histoire. Fox se mit à louer Wolsey en présence du roi, et en même temps, à encourager l'aumônier à se donner aux affaires publiques.

Celui-ci ne fil pas la sourde oreille [1], et bientôt il trouva une occasion de se pousser dans la faveur du prince.

Henri VII ayant une affaire avec l'empereur, alors en Flandres, fit venir Wolsey, lui expliqua son dessein et lui ordonna de se préparer à partir. Le chapelain se promit de montrer à son maître comment il entendait le servir. Après-midi, il prit congé du roi à Richmond. A quatre heures, il était à Londres, à sept heures, à Gravesend.

Ayant voyagé toute la nuit, il se trouva le lendemain matin à Douvres au moment où le paquebot allait partir. Après trois heures de traversée, il arriva à Calais, y prit la poste, et le soir même il se présenta devant Maximilien. Ayant obtenu ce qu'il désirait, il repartit dans la nuit, et le surlendemain il reparut à Richmond, trois 117

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle jours et quelques heures après son dé part. Le roi l'ayant aperçu au moment où il se rendait à la messe, lui dit brusquement : “ H Pourquoi n'êtes-vous pas parti? —

Sire, répondit Wolsey, je suis revenu ; » et il remit au roi les lettres de l'empereur.

Henri fut ravi, et Wolsey comprit que sa fortune était faite.

Les courtisans espéraient d'abord que Wolsey, nautonier inexpérimenté, briserait son navire contre quelque écueil ; mais jamais pilote ne navigua avec tant d'adresse.

Quoiqu'il eût vingt ans de plus que Henri YIII, l'aumônier chantait, dansait, riait avec les compagnons du prince, et s'entretenait avec le roi d'histoires galantes et de Thomas d'Aquin. Sa maison était pour le jeune roi un temple du paganisme, le sanctuaire de toutes les voluptés [2], et tandis que les conseillers de Henri conjuraient ce prince de laisser les plaisirs pour les affaires, Wolsey lui répétait souvent qu'il devait consacrer sa jeunesse aux lettres et aux divertissements, et lui laisser le pénible labeur de la royauté. Nommé évêque de Tournay durant la campagne de Flandres, Wolsey, de retour en Angleterre, avait reçu l'évêché de Lincoln et l'archevêché d'York. Trois mitres avaient, en une année, été posées sur sa tête. Il avait enfin trouvé la veine qu'il avait si ardemment cherchée.

Cependant, il n'était pas satisfait. L'archevêque de Cantorbéry demandait, en sa qualité de primat, que la croix d'York s'inclinât devant la sienne. Wolsey n'était pas d'humeur à l'accorder, et voyant que Warham ne voulait pas se contenter d'être son égal, il résolut d'en faire son inférieur. Il écrivit à Rome et à Paris. François Ier, qui voulait se concilier l'Angleterre, demanda la pourpre pour Wolsey, et l'archevêque d'York reçut le titre de Cardinal de Sainte-Cécile au-delà du Tibre. En novembre un ambassadeur romain lui apporta le chapeau : “ H Mieux eût valu lui donner une cape de Tyburn ou une corde de six deniers, dirent quelques Anglais indignés; ces chapeaux romains, ajoutaient-ils, n'ont jamais rien apporté de bon à l'Angleterre

[3]. » Cela a passé en pro verbe.

Ce n'était pas assez pour Wolsey; il désirait par-dessus toute la grandeur séculière.

Warham, las de lutter avec cet arrogant rival, résigna les sceaux, et le roi les remit aussitôt au cardinal. Enfin une bulle l'établit légat à latere du siège romain, et plaça sous sa juridiction les collèges, les monastères, les cours ecclésiastiques, les évêques et le primai lui-même. Dès lors, grand chancelier d'Angleterre et légat du pape, Wolsey régla tout dans l'État et dans l'Église; il fit entrer habilement dans ses coffres l'argent du royaume et des pays étrangers, et se livra sans contrainte à l'ostentation et à l'orgueil, ses vices dominants. Partout où il paraissait, deux prêtres les plus beaux et les plus grands qu'il pût trouver, (il les choisissait à la taille dans tout le royaume), portaient devant lui deux grandes croix d'argent, en honneur, l'une de son archevêché, et l'autre de sa légation pontificale. Chambellans, gentilshommes, pages, huissiers, chapelains, chantres, clercs, échansons, cuisiniers et autres serviteurs, au nombre d'environ cinq cents, parmi lesquels se trouvaient beaucoup de nobles et les plus beaux yeomen du pays, remplissaient son palais.

118

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Wolsey s'avançait au milieu de cette foule, vêtu de velours et de soie écarlate, gants et chapeau de même couleur, souliers brodés d'argent et d'or, ornés de pierres précieuses et de perles. Une espèce de papauté se formait ainsi en Angleterre, car la papauté se développe partout où germe l'orgueil.

Une pensée occupait Wolsey plus encore que le faste dont il s'entourait : c'était le désir de captiver le roi. Il dressa à cet effet l'horoscope d’Henri, et fit faire une amulette qu'il portait toujours sous ses vêtements pour charmer son maître par des vertus magiques [4]. Puis ayant recours à une nécromancie plus efficace, il choisit parmi les compagnons de débauche du jeune monarque les esprits les plus déliés, les caractères les plus ambitieux, et se les attachant par un serment secret, il les plaça à la cour pour y être ses oreilles et ses yeux ; aussi ne se disait-il pas un mol autour du monarque, surtout contre Wolsey, qu'une heure après le cardinal n'en fût informé. Si le coupable n'était pas en faveur, on le mettait à la porte sans miséricorde; dans le cas contraire, le ministre lui faisait donner quelque mission lointaine. Les femmes de la reine, les chapelains du roi, ses confesseurs même étaient les es pions du cardinal ; il prétendait à la toute-présence comme le pape à l'infaillibilité.

Wolsey avait pourtant quelques vertus d'apparat ; généreux jusqu'à l'affectation envers les pauvres, il se montrait, comme chancelier, inexorable envers toute espèce de désordres, et prétendait surtout faire plier sous sa puissance les riches et les grands. Les lettrés seuls obtenaient de lui quelques égards; aussi Érasme l'appelait-il “ H l'Achate d'un nouvel Énée. » Mais la nation ne se laissait pas entraîner par les louanges du savant hollandais. Wolsey, de mœurs plus que suspectes, double de cœur, infidèle à ses promesses, accablant le peuple de pesants impôts, plein d'arrogance envers tous, fut bientôt haï de toute 1'Angleterrë.

L'élévation d'un prince de l'Église romaine ne pouvait être favorable à la Réformation. Les prêtres, qu'elle encourageait, résolurent de tenir tête aux triples atteintes des lettrés, des réformateurs et de l'État ; ils eurent bientôt une occasion d'éprouver leurs forces. Les ordres sacrés étaient devenus, pendant le moyen âge, un passeport pour toute espèce de crimes. Le parlement, désireux de corriger cet abus et de réprimer les empiétements de l'Église, arrêta, en 1513, qu'un ecclésiastique convaincu de vol ou de meurtre, pourrait être poursuivi par les tribunaux séculiers. On excepta pourtant les évêques, les prêtres et les diacres, c'est-à-dire presque tout le clergé. Malgré cette timide précaution, un clerc hautain, l'abbé de Winchelcomb, commença la bataille en s'écriant dans l'église de Saint-Paul : “ H Ne touchez pas à mes oints, dit le Seigneur. » En même temps Wolsey se rendit auprès du roi, à la tête d'une suite imposante de prêtres et de prélats, et dit en levant la main vers le ciel : “ H Sire, mettre en cause * utt religieux, c'est violer les lois divines. » Cette fois-ci, pourtant, Henri ne céda pas. “ H C'est par la volonté de Dieu que nous sommes roi d'Angleterre, répondit-il ; les fois, nos prédécesseurs, 119

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle n'ont reconnu d'autre supérieur que Dieu même, et nous maintiendrons les droits de notre couronne. »

Henri avait compris que mettre le clergé au-dessus des lois c'était le placer au-dessus du trône. Les prêtres étaient battus, mais ils n'étaient pas découragés ; la persévérance est un trait qui se retrouve dans tout parti hiérarchique. Ne marchant pas par la foi, on marche d'autant plus par la vue, et des combinaisons habiles remplacent les saintes aspirations du chrétien. D'humbles disciples de l'Évangile devaient bientôt s'en apercevoir, car le clergé allait préluder par quelques attaques isolées aux grandes luttes de la Réformation.

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FOOTNOTES

[1] “ H Hœo Wolseus non surdis audierit auribus. » (Polyd. Virg., p. m.\

[2] “ H Domi suœ voluptatum omnium sacrariam fecit. » (Polyd. Virg.j p. 623.)

[3] “ H These romish hats neverbroughtgoodintoEngland.»(Latimer's Sermons, p.

119.)

[4] “ H He cast the king's nativity... he made by craft of necromancy graven imagery to bear upon him, wherewith he bewitched the king's mind. » (Tyndale's Practice of frelates, Op., I, p. 452.)

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE XIII

Les loups et les brebis. — Richard Hun cité et justifié. – Guet-apens nocturne. —

Enquête. — Aveux. — Condamnation posthume- Hun réhabilité. — Une barque entre Londres et Gravesend. — Une fête de famille à Ashford. — Brown arrêté. —

Sa torture et sa confession. — Brown à Ashford. — Son martyre et sa fille. —

Guerre aux humanistes. — Érasme. — Sa carrière est finie. — L'an 1517 et le seizième siècle. — Érasme à Etale

Il faut parfois adoucir les couleurs un peu vives sous lesquelles les écrivains du temps nous peignent le clergé romain ; mais il est certaines désignations que l'histoire doit accepter. “ H Les loups, » c'est ainsi qu'on appelait les prêtres, en attaquant les lords et les communes, avaient entrepris une œuvre au-dessus de leurs forces; ils tournèrent sur d'autres leur colère. Des bergers s'efforçaient de rassembler le long des eaux paisibles les brebis du Seigneur. Il fallait effrayer les bergers et chasser les brebis dans les landes arides. “ H Les loups résolurent de se jeter sur les lollards. »

Un honnête marchand de Londres, nommé Richard Hun, [1] l*un de ces témoins de la vérité qui, sincères quoique peu éclairés, se sont souvent trouvés dans le catholicisme, assis dans son cabinet, y étudiait chaque jour avec soin la Bible. Un prêtre ayant exigé de lui à la mort d'un de ses enfants un salaire illégitime, Hun le lui avait refusé, et le prêtre l'avait cité devant la cour du légat. Hun, animé de cet esprit public qui distingue les citoyens de l'Angle terre, s'était indigné de ce qu'on osait appeler un Anglais devant une cour étrangère, et avait pour suivi le curé et son conseil en vertu du prémunir. Cette hardiesse, alors fort extraordinaire, mit le clergé hors de lui. “ H Si on laisse faire ces bourgeois a orgueilleux, s'écrièrent les moines, il n'y aura plus un laïque qui ne se permette de résister à un prêtre. »

On s'efforça donc de faire tomber le prétendu rebelle dans le piégé d'hérésie; on le jeta dans la tour des lollards à Saint-Paul, on lui mit un collier de fer, avec une chaîne si pesante, que ni homme, ni bête, dit Fox, n'eussent pu la porter bien longtemps; puis on le conduisit ainsi devant ses juges. On ne put le convaincre d'hérésie; on remarqua même avec étonnement que son chapelet ne le quittait pas

[2]; et l'on allait le mettre en liberté, en lui infligeant peut-être quelque légère pénitence. Mais quel exemple ! Et qui pourra arrêter les réformateurs, s'il est si facile de résister à la papauté?... Ne pouvant triompher par la justice, quelques fanatiques jurèrent de triompher par le crime.

Le même jour, 2 décembre, à minuit, trois hommes montaient l'escalier de la tour des Lollards; le sonneur marchait le premier, tenant à la main un flambeau ; un sergent nommé Charles-Joseph venait après lui; le chancelier de l'évêque fermait la marche. Ces trois hommes étant entrés dans le cachot, entourèrent Hun alors 121

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle couché, approchèrent de lui le flambeau et reconnurent qu'il dormait. “ H Mettez la main sur le voleur, » dit le chancelier, et aussitôt Charles Joseph et le sonneur se jetèrent sur le prisonnier.

Hun, réveillé en sursaut, comprit ce que signifiait cette scène nocturne ; il résista d'abord aux assassins, mais bientôt frappé, étourdi, étranglé, il ne fut plus qu'un cadavre. Alors Charles-Joseph mit la ceinture du mort autour de son cou, le sonneur l'aida à le soulever, le chancelier épiscopal passa cette ceinture dans un anneau de fer fixé dans la muraille ; puis les trois meurtriers ayant mis le bonnet du marchand sur sa tête, quittèrent en hâte le cachot*. [3]

Bientôt Charles-Joseph, l'àrae bouleversée, les trails hagards, monta précipitamment à cheval et s'éloigna de Londres ; le sonneur quitta aussi la cathédrale et se cacha dans la cité ; le crime dispersait les criminels. Le chancelier seul tint bon, et il était à l'église, quand on vint lui dire qu'un porte-clefs avait trouvé Hun pendu : “ H Richard, dit l'hypocrite, s'est tué de désespoir. » Mais chacun connaissait les sentiments chrétiens de cet homme. “ H Ce sont les prêtres qui l'ont assassiné ! » S’écria-t-on dans Londres, et une enquête fut ordonnée.

Le mardi 5 décembre, William Barnwell, coroner de Londres, les deux shérifs de la cité et vingt-quatre jurés, tous assermentés [4], se rendirent à la tour des Lollards.

Ils remarquèrent que la ceinture était tellement courte, que la tête ne pouvait en sortir, et que, par conséquent, elle n'avait pu y entrer, d'où ils conclurent que la suspension avait été opérée après coup, par des mains étrangères. De plus, ils trouvèrent que l'anneau était trop élevé pour que le malheureux eût pu l'atteindre ; enfin que le corps portait des marques de violence, et que des traces de sang se voyaient dans le cachot : “ H C'est pourquoi, dirent le coroner, les shérifs et les jurés dans leur verdict, nous jugeons devant Dieu et en notre con science que Richard Hun a été assassiné, et nous l'acquittons de toute inculpation quant à sa mort. »

Le fait n'était que trop véritable, les coupables eux-mêmes l'avouaient. Le malheureux Charles-Joseph étant rentré chez lui le soir du 6 décembre, dit à Julienne, sa servante : % Si tu me jures d'être discrète, je te dirai tout. — Oui, maître, dit-elle, si ce n'est ni félonie ni trahison. » Charles prit un livre, fit jurer cette fille, et lui dit : “ H J'ai «tué Richard Hun! — Hélas! Maître, pouf quoi l'avez-vous fait? Il passait pour un honnête homme. — Je donnerais cent livres pour flë l'avoir pas fait ! répondit Joseph ; mais ce qui est fait est fait. » Puis il s'enfuit.

Le clergé comprit le coup que devait lui porter cette affaire. Pour se justifier, il prit la grosse Bible de Hun, et ayant lu dans le prologue que “ H beau coup de pauvres et de simples possèdent la vérité des Écritures mieux que mille moines, docteurs ou prélats; » de plus, que “ H le pape doit être appelé un Antéchrist, » l'évêque de Londres, assisté des évêques de Durham et de Lincoln, condamna Hun comme hérétique ; et le 20 décembre on brûla son corps sur la place de Smithfield. “ H Les 122

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle os de Hun ont été brûlés, donc il était un hérétique, disaient les prêtres; il était un hérétique, donc il s'est pendu. »

Le triomphe du clergé fut de courte durée. En effet, presque en même temps la justice déclarait coupables de meurtre William Horsey, chancelier épiscopal, Charles-Joseph et le sonneur Jean Spal ding; la chambre des communes rétablissait les enfants de Hun dans leur honneur et dans leurs biens; la chambre des pairs approuvait ce bill, et le roi lui-même disait aux prêtres : “ H Restituez aux enfants de ce malheureux l'héritage de leur père, que vous avez cruellement assassiné, à notre juste et grande horreur [5] ! » — “ H Ah! disait-on dans Londres, si la théocratie cléricale parvenait à dominer l'État, elle serait non-seulement le plus grand mensonge, mais encore la plus affreuse a tyrannie ! » Dès lors l'Angleterre n'a pas rétro gradé, et une domination théocratique a toujours inspiré à la partie saine de son peuple une vive et insurmontable antipathie. Voilà ce qui se passait en Angleterre peu avant la Réformation, et ce n'était pas tout.

Le clergé n'avait pas été heureux dans cette affaire, ce qui ne l'empêcha pas d'en entreprendre une nouvelle.

Au printemps de 1517, dans l'année où Luther affichait ses thèses, un prêtre dont les manières annonçaient un clerc bouffi d'orgueil, et un simple chrétien d'Ashford, homme intelligent et pieux, Jean Brown, se trouvaient dans le bateau qui fai sait le service entre Londres et Gravesend. Les passagers, entraînés par le fleuve, arrêtaient leurs yeux sur les rives qui fuyaient derrière eux, quand le prêtre se tournant vers Brown, lui dit d'un ton hautain : “ H Tu es trop près de moi, retire-toi ! Sais-tu qui je suis? — Non, Monsieur, répondit Brown. — Eh bien, apprends que je suis prêtre ! — Vrai ment, Monsieur! Êtes-vous curé, vicaire, ou chapelain de quelque seigneur ? — Nullement, «je suis prêtre d'âme, répondit fièrement l'ecclésiastique ; je chante la messe pour sauver les «âmes. — Oui-da, continua Brown, un peu ironiquement, et pourriez-vous me dire où vous trouvez l'âme quand vous commencez la messe ? — Je ne le puis, dit le prêtre. — Et où vous la déposez quand la messe finit? — Je ne «sais... — Comment? Continua Brown en montrant quelque étonnement, vous ne savez ni où vous trouvez l'âme, ni où vous la mettez...

et vous dites que vous la sauvez! — Va -t'en, dit le prêtre en colère, tu es un hérétique, je saurai bien te trouver! »

Dès lors le prêtre et son voisin n'échangèrent plus une seule parole. Bientôt on arriva près de Gravesend, et la barque s'arrêta. A peine le prêtre fut-il à terre, qu'il courut vers deux gentilshommes de ses amis, Walter et William More, et tous trois étant montés à cheval se rendirent auprès de l'archevêque et dénoncèrent Brown.

Pendant ce temps le bourgeois d'Ashford était arrivé chez lui; et trois jours après, tandis qu'Elisabeth, sa femme, relevée de couche et vêtue de ses habits de fête, allait à l'église rendre à Dieu ses actions de grâces, Brown assisté de sa fille Alice et 123

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle de sa servante, avait préparé le repas qu'il est d'u sage en telle circonstance d'offrir à ses amis. On venait de se mettre à table, la joie brillait dans tous les yeux, quand la porte, assaillie et brusquement ouverte, laissa voir le baillif Chilton, homme farouche et cruel, qui, accompagné de plusieurs serviteurs de l'archevêque, se précipita sur l'honnête bourgeois: Ses hôtes se lèvent épouvantés; Elisabeth, Alice, poussent des cris déchirants; mais les officiers du primat, sans s'émouvoir, traînent Brown hors de la maison et le placent sur son cheval, en attachant ses deux pieds avec des cordes sous le ventre de la bête [6]. Il fait mal plaisanter avec un prêtre. -—

La cavalcade s'éloigna rapidement, et Brown fui jeté dans une prison où on le laissa quarante jours.

Ce temps écoulé, l'archevêque de Cantorbéry et l'évêque de Rochester firent comparaître devant eux l'insolent qui regardait la messe d'un prêtre comme incapable de sauver les âmes. On le somma de rétracter ce “ H blasphème. » Mais Brown, qui, s'il ne croyait pas à la messe, croyait à l'Évangile, répondit : “ H Christ a été offert une fois pour ôter les péchés de plusieurs. C'est par cette oblation que nous sommes sauvés, et non par les redites des prêtres. '» — Alors l'archevêque fit signe aux bourreaux; l'un d'eux ôta les bas et les souliers de ce pieux chrétien; un autre apporta des chars bons allumés ; et ces misérables, saisissant le martyr, placèrent ses pieds sur le brasier ardent*. [7] La loi anglaise défendait, il est vrai, que la torture fut infligée à un sujet de la couronne; mais les prêtres se croyaient au-dessus des lois. “ H Confessez l'efficace de la messe, criaient à Brown les deux évêques. — Si je reniais mon Seigneur sur la terre, ré pondit-il, il me renierait devant son Père qui est au ciel. » La chair était brûlée jusqu'aux os et Brown restait inébranlable ; les évêques ordonnèrent donc qu'il fut livré au bras séculier pour être brûlé vif.

Le samedi avant la fête de la Pentecôte de l'an 1517, le martyr fut conduit à Ashford par les sergents de Cantorbéry, Le jour était sur son déclin quand il y arriva. Un certain nombre de curieux s'assemblèrent dans la rue, et parmi eux se trouva la jeune servante de Brown, qui, effrayée, courut à la maison [8], et tout en pleurs, dit à sa maîtresse : Je l'ai vu!... Il était enchaîné, et on le conduisait à la prison. »

Elisabeth trouva son mari les pieds dans des ceps, les traits changés par la souffrance, et s'attendant à être brûlé vif le lendemain. Alors la pauvre femme s'assit et versa d'abondantes larmes à côté du prisonnier, qui, retenu par ses chaînes, ne pouvait même s'incliner vers elle. “ H Je ne puis à mettre mes pieds à terre, lui dit-il, car les évêques les ont fait brûler jusqu'aux os ; mais ils n'ont pu brûler ma langue et m'empêcher de confesser le Seigneur... O Elisabeth!... continue à l'aimer, car il est bon, et élève nos enfants dans c sa crainte. »

Le lendemain (c'était le jour de Pentecôte), le féroce baillif Chilton et ses gens conduisirent Brown au lieu du supplice et l'attachèrent au poteau. Elisabeth, Alice, ses autres enfants et ses amis, voulant recevoir son dernier soupir, entouraient ce 124

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle chrétien en poussant des cris de douleur. Le feu ayant été mis au bûcher, Brown calme, recueilli, plein de confiance dans le sang du Sauveur, joignit les mains et prononça ce cantique, que Fox nous a conservé :

Jésus! Je me livre à ta grâce. [9]

Que ton sang mes fautes efface !

Que Satan, ce loup ravissant,

M'épargne sa cruelle dent.

A tes saints pieds je veux m'étendre;

Ton bras, Seigneur, me frappera,

Mais de l'enfer, ta main si tendre

Mon âme à jamais sauvera

Le martyr se tut, et les flammes le consumèrent. Aussitôt les cris redoublèrent ; sa femme et sa fille semblaient près de perdre le sens; on leur mon trait la compassion la plus vive, et l'on se tournait vers les bourreaux avec un mouvement d'indignation.

Le féroce Chilton s'en apercevant, s'écria : Allons, courage, jetons aussi dans les flammes les enfants de l'hérétique, pour empêcher qu'ils ne ressortent un jour des cendres de leur père*. [10] » Il se précipita vers Alice, et allait la saisir, quand la jeune fille effrayée, recula en poussant un cri. Elle se rappela toute sa vie cet affreux moment, et c'est elle qui nous en a conservé les détails. On arrêta la fureur de ce monstre. Voilà ce qui se passait en Angleterre peu avant la Réformation.

Les prêtres n'étaient pas encore satisfaits, car les lettrés restaient en Angleterre. Si l'on ne pouvait les brûler, il fallait au moins les bannir. On se mit à l'œuvre.

Standish, évêque de Saint-Asaph, homme sincère à ce qu'il paraît, mais fanatique, poursuivait Érasme de sa haine. Un sarcasme du savant hollandais l'avait fort irrité. On disait souvent par voie d'abréviation Saint-Ass [11] au lieu de Saint Asaph. Or, comme Standish était un théologien assez ignorant, Érasme en plaisantant l'appelait quelquefois : Episcopus a Sancto-Asino. N'ayant pu se défaire de Colet, le disciple, Saint-Asaph se promit de triompher du maître.

Érasme comprit les intentions de l'évêque. Commencerait-il en Angleterre cette lutte avec la papauté, que Luther allait commencer en Allemagne ? Il n'y avait plus moyen de garder le juste milieu. Il fallait combattre ou s'en aller. Le Hollandais fut fidèle à sa nature, et l'on peut dire à sa tâche ; il s'en alla.

Érasme fut, de son temps, le chef du grand commerce des lettres. Grâce à ses liaisons et à sa correspondance qui embrassait toute l'Europe, il établit entre tous les pays de la renaissance un échange de pensées et de manuscrits. Explorateur de 125

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle l'antiquité, critique éminent, satirique plein de sel, propagateur du bon goût, restaurateur de la littérature, une seule gloire lui manqua ; il ne fut pas un esprit créateur, une âme héroïque comme Luther. Il calculait habilement, il épiait le sourire des lèvres, il discernait le froncement des sourcils ; mais il n'avait pas cet abandon de soi-même, cet enthousiasme de la vérité, cette confiance inébranlable en Dieu, sans lesquels on ne peut rien de grand dans le monde et surtout rien dans l'Église. “ H Érasme avait beaucoup, mais il était peu, » dit un de ses biographes*.

[12]

La Renaissance finit, celle de la Réformation commence. A l'époque du renouvellement des lettres succède celle de la régénération religieuse; aux jours de la critique et de la neutralité, ceux de l'action et du courage. Érasme alors n'a que quarante-neuf ans, mais il a fini sa course. De premier qu'il était, il va devenir second ; le moine de Wittenberg le détrône. En vain cherche-t-il à s'orienter; jeté dans un pays nouveau, il a perdu sa route. C'est un héros qu'il faut pour inaugurer le grand mouvement des temps modernes; Érasme n'est qu'un littérateur.

Attaqué par Saint-Asaph, le roi des lettres prit, en 1516, le parti de quitter la cour d'Angleterre, pour se réfugier dans une imprimerie. Mais avant de déposer le sceptre aux pieds du moine saxon, Érasme illustrera la fin de son règne par la plus éclatante de ses œuvres. Cette époque de 1516 et 1517, célèbre par les thèses de Luther, devrait l'être autant par un travail qui allait donner aux temps nouveaux leur caractère essentiel. Ce qui distingue la Réformation des réveils antérieurs, c'est l'union de la science avec la piété, une foi plus profonde, plus éclairée, établie sur la Parole de Dieu. Le peuple chrétien fut alors émancipé de la tutelle des écoles et des papes, et sa lettre d'affranchissement fut la Bible.

Le seizième siècle fit autre chose que les précédents ; il alla droit à la source (la sainte Écriture), la débarrassa des plantes qui l'obstruaient, sonda ses profondeurs, et fit jaillir de tous côtés ses abondantes eaux. L'âge réformateur étudia le Testa ment grec, que l'âge clérical avait presque ignoré : Telle est sa plus grande gloire. Or, le premier explorateur de cette source divine fut Érasme. Attaqué par la hiérarchie, le héros des écoles s'éloigne des palais brillants d’Henri VIII. Il lui semble que cette ère nouvelle qu'il avait annoncée au monde est brusquement interrompue ; il ne peut plus rien par ses conversations pour la patrie des Tudors. Mais il emporte avec lui des feuilles précieuses, le fruit de ses labeurs : un livre qui fera plus qu'il ne le désire ! Il court à Bale ; il s'établit dans les ateliers de Frobénius [13]; il travaille, il fait travailler. L'Angle terre recevra bientôt le germe de la vie nouvelle, et la Réformation va commencer.

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FOOTNOTES

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

[1] “ H To snare him in the trap of heresy. » (Fox, Acts, IV, p. 198.)

[2] “ H And also had his beads in prison with him. » (Fox, Ads, IV, p. Ml.)

[3] “ H And so ail we murdered him... and so Hun was hanged. » (Témoignage de Charles-Joseph. Fox, p. 192.)

[4] Voir leurs noms dans le document de l'enquête. (Fox, Acts, p. 196.)

[5] Verdict de l'enquête. (Fox, Acts, p. 191.)

[6] “ H His feet bound under his own horse. » (Fox, Acts, IVS p. 182.)

[7]“ H His bare foct were set upon hot burning coals. » ( The Lollards, p. 49.)

[8] “ H A young maid of his house coming by, saw her master, she ran home. » [The Lollards, p. 50.)

[9] “ H O Lord I yield me to thy grace. » (Fox, Acts, IV, p. 132.)

[10] * “ H Bade cast in Brown's children also, for they would spring of his ashes. »

(Ibid.)

[11] Ass, en anglais âne. (Voir Erasmi Ep., p. 724.)

[12] Ad. Muller.178 1516 et 1517.

[13] “ H Frobenio3 ut nullius officinae plus debeant sacrarum studia litte rarum. »

(Erasmi Ep., p. 330.)

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle LIVRE XVIII. LA RENAISSANCE DE L'ÉGLISE

CHAPITRE I

Quatre puissances réformatrices. — Laquelle réforma l'Angleterre_ — Réforme papale? — Réforme épiscopale? — Réforme royale? —Ce qu'il faut pour que la Réforme soit légitime. — Part de la' puissance royale. — Part de l'autorité épiscopale. — La haute et la basse Église. — Événements politiques. — Le Nouveau Testament grec et latin. — Pensées d'Érasme. — Enthousiasme et colère. — Vœu d'Érasme. — Clameurs des piètres. — Leur attaque à la cour. — Étonnement d'Érasme. — Ses travaux pour cette œuvre. — Edouard Lee, son caractère. — La tragédie de Lee. — Conspiration.

Quatre puissances pouvaient accomplir au seizième siècle une réforme dans l'Église : la papauté, l'épiscopat, la royauté et la sainte Écriture. La Réformation en Angleterre a été essentielle ment l'œuvre de la sainte Écriture.

La Réformation qui émane de la Parole de Dieu est la seule vraie. La sainte Écriture, en rendant témoignage à l'incarnation, à la mort, à la résurrection du Fils de Dieu, crée dans l'homme par le Saint-Esprit une foi qui le justifie. Cette foi qui pro duit en lui une vie nouvelle, l'unit à Jésus-Christ, sans qu'il ait besoin d'une chaîne d'évêques ou d'un médiateur romain, qui l'en séparerait au lieu de l'en rapprocher. Cette Réformation par la Parole rétablit le christianisme spirituel que la religion extérieure et hiérarchique avait détruit, et de la régénération des individus résultent naturellement la régénération de l'Église.

La Réformation de l'Angleterre, plus peut-être que toutes celles du continent, fut opérée par la Parole de Dieu. Cette assertion paraîtra un paradoxe, mais ce paradoxe est une vérité. Ces grandes individualités que l'on trouve en Allemagne, en Suisse, en France, les Luther, les Zwingli, les Calvin, ne paraissent pas en Angleterre, mais la sainte Écriture y est abondamment répandue. Ce qui, à partir de 1517, et sur une échelle plus étendue à partir de 1526, produit la lumière dans les îles Britanniques, c'est la Parole, c'est la puissance invisible du Dieu invisible.

C'est le caractère biblique qui distingue la religion de la race anglo-saxonne, appelée plus que toutes les autres à répandre dans le monde les oracles de Dieu.

La Réformation de l'Angleterre ne pouvait être papale. On ne peut espérer une réforme de ce qui doit être non-seulement réformé, mais aboli; et d'ailleurs, nul ne se détrône soi-même. On peut même dire que la papauté a toujours eu une affection toute particulière pour les conquêtes qu'elle avait faites dans la Grande-Bretagne, et qu'elles eussent été les dernières auxquelles elle eût renoncé. Une voix grave s'était écriée au milieu du quinzième siècle : Une réformation n'est ni au vouloir, ni au pouvoir des papes. [1] »

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle La Réformation d'Angleterre ne fut pas épiscopale. La hiérarchie romaine ne sera jamais abolie par des évêques. Une assemblée épiscopale pourra peut-être, comme à Constance, destituer trois papes compétiteurs, mais ce sera pour sauver la papauté*

Et si les évêques ne pouvaient abolir la papauté, ils pouvaient encore moins se réformer eux-mêmes ; la puissance épiscopale, hostile à la Parole de Dieu, et esclave de ses propres abus, était incapable de renouveler l'Église; elle fit, au contraire, tout ce qu'elle put pour empêcher sa renaissance. La Réformation d'Angleterre ne fut pas royale. Des Samuel, des David et des Josias ont pu quelque chose pour le relèvement de l'Église, quand Dieu se retournait vers elle ; mais un roi ne peut ôter une religion à son peuple et encore moins lui en donner une. L'assertion si souvent répétée : “ H C'est du monarque que la Réformation de l'Angleterre tire son origine,

» est fausse. L'œuvre de Dieu, ici comme ailleurs, ne peut être mise en comparaison avec l'œuvre du roi; et si elle la surpassa infiniment quant à l'importance, elle la précéda, quant au temps, de beaucoup d'années. Le monarque faisait encore dans ses retranchements la plus vive opposition, que, sur toute la ligne d'opérations, Dieu avait déjà décidé la victoire.

Dira-t-on qu'une réforme opérée par un autre principe que les autorités établies dans l'Église et dans l'État eût été une révolution? Mais Dieu, le souverain légitime de l'Église, s'est-il donc interdit toute révolution dans un monde plongé dans le mal?

Une révolution n'est pas une révolte. La chute du premier homme fut une grande révolution ; le rétablissement de l'homme par Jésus -Christ fut une contre-révolution. La déformation accomplie par la papauté tint de la chute; la réformation accomplie au seizième siècle dut donc tenir du rétablissement. Il y aura sans doute encore d'autres interventions de la Divinité qui seront des révolutions dans le même sens que la Réforme; quand Dieu créera de nouveaux cieux et une nouvelle terre, ne sera-ce pas par la plus éclatante des révolutions qu'il le fera pour non seulement la réformation par la Parole donne seule la vérité, procure seule l'unité, mais encore elle porte seule les caractères de la vraie légitimité; car ce n'est pas à des hommes, fussent-ils même des prêtres, qu'appartient l'Église ; elle n'avoue pour son souverain légitime que Dieu seul.

Cependant les éléments humains que nous avons énumérés, ne furent pas tous étrangers à l'œuvre qui s'accomplissait en Angleterre. Outre la Parole de Dieu, on y vit agir d'autres principes moins incisifs, moins primitifs, mais qui ont encore parmi ce peuple la sympathie d'hommes éminents. Et d'abord, l'intervention de la puissance royale était jusqu'à un certain point nécessaire. Puisque la suprématie romaine s'était imposée à l'Angleterre par plusieurs usages qui avaient force de loi, il fallait bien que le pouvoir temporel intervînt pour rompre des liens qu'il avait auparavant sanctionnés. Mais la royauté, en prenant pour elle une action négative et politique, devait laisser à l'Écriture l'action positive, dogmatique et créatrice.

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Outre la Réformation de par la Parole, il y en eut donc une autre en Angleterre de par le roi. La Parole de Dieu commença, la puissance royale suivit, et de puis lors ces deux forces marchèrent tantôt ensemble contre l'autorité des pontifes romains, tantôt se heurtèrent l'une contre l'autre, semblables à deux coursiers, en apparence attelés au même char, mais qui tout à coup se précipitent en des directions opposées. Enfin l'épiscopat, qui avait commencé par combattre la Réformation, fut, en dépit de ses convictions, contraint à l'accepter. Il resta opposé en majorité à l'ensemble de cette œuvre; mais on vit quelques-uns de ses membres, les meilleurs, pencher les uns du côté de la Réforme extérieure, dont l'essentiel était la séparation de la papauté, et les autres du côté de la Réforme intérieure, dont l'essentiel était l'union avec Jésus-Christ. Finalement l'épiscopat se posa pour son propre compte, et bientôt deux grands partis surnagèrent seuls en Angleterre: le parti scripturaire et le parti clérical.

Ces deux partis ont duré jusqu'à nos jours, et se distinguent encore à leurs couleurs dans le fleuve de l'Église, comme l'Arve sablonneuse et le Rhône limpide, après leur confluent. La suprématie royale, à laquelle, dès la fin du seizième siècle, se sont sous traits de nombreux chrétiens qui ont préféré les voies de l'indépendance, est dans l'Établissement même reconnue des deux côtés, sauf quelques exceptions; mais tandis que la haute Église est essentiellement hiérarchique, la basse Église est essentielle ment biblique. Dans l'une, l'Église est en haut et la Parole en bas ; dans l'autre, l'Église est en bas et la Parole en haut. Dans les premiers siècles du christianisme on retrouve ces deux principes, l'évangélisme et le hiérarchisme, mais avec une différence notable. Le hiérarchisme effaça alors presque entièrement l'évangélisme ; dans l'âge du protestantisme, au contraire, l'évangélisme continua à subsister à côté du hiérarchisme, et même il est demeuré, de droit si ce n'est toujours de fait, l'opinion seule légitime de l'Église.

Il y a en Angleterre, on le voit, une complication, des influences, des luttes, qui rendent l'œuvre plus difficile à décrire, mais par cela même plus digne de l'attention du philosophe et du chrétien. De grands événements venaient de se passer en Europe. François Ier avait traversé les Alpes, rem porté à Marignan une éclatante victoire, et conquis le nord de l'Italie. L'empereur Maximilien, effrayé, n'avait vu que Henri VIII capable de le sauver.

Je vous adopterai ; vous serez mon successeur dans l'empire, lui avait-il fait dire en mai 1516, votre armée envahira la France ; puis nous marcherons ensemble sur Rome, et le souverain pontife vous y couronnera roi des Romains. » Le roi de France, impatient d'opérer une diversion, s'était ligué avec le Danemark et l'Ecosse, et avait préparé une descente en Angleterre pour y établir sur le trône “ H Blanche Rose, »

le prétendant Pole, héritier des droits de la maison d'York [2]. Henri VIII fit preuve de sagesse ; il déclina l'offre de Maximilien, et donna tous ses soins à la sûreté de 130

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle son royaume ; mais tandis qu'il se refusait à porter ses armes en France et en Italie, une guerre d'un tout autre genre éclatait en Angleterre.

La grande œuvre du seizième siècle allait y commencer. Un volume, sorti des presses de Bâle, venait de passer la mer. Arrivé à Londres, à Cambridge, à Oxford, ce livre, fruit des veilles d'Érasme, était bientôt parvenu partout où il se trouvait des amis des lettres. C'était le Nouveau Testament de notre Seigneur Jésus -Christ, publié pour la première fois en grec, avec une nouvelle traduction latine ; événement plus important pour le monde que ne l'eût été l'apparition du prétendant en Angleterre, ou celle du chef des Tudors en Italie. Ce livre, dans lequel Dieu a déposé pour l'homme les semences de la vie, allait seul, sans patrons et sans interprètes, accomplir en Angleterre la plus étonnante révolution.

Érasme, en publiant ce travail à l'entrée pour ainsi dire des temps modernes, n'en prévoyait pas toute la portée. S'il l'eût prévue, il eût peut-être reculé d'effroi. Il voyait bien une grande œuvre à faire, mais il croyait que tous les hommes de bien l'accompliraient d'un commun accord. “ H Il faut, disait-il, qu'un temple spirituel s'élève dans la chrétienté désolée. Les puissants du monde Offriront pour ce sanctuaire du marbre, de l'ivoire et de l'or; moi, homme pauvre et petit, j'en apporte le fondement ; » et il avait posé devant le siècle le Nouveau Testament grec.

Puis, regardant avec dédain aux traditions des hommes : “ H Ce n'est pas des fondrières humaines, où croupissent des eaux fétides, qu'il faut tirer la doctrine du salut, avait-il dit ; c'est des veines pures et abondantes qui communiquent au cœur de Dieu. » Et quand quelques amis inquiets lui avaient parlé de la difficulté des temps : “ H Si le navire de l'Église, avait-il répondu, ne doit pas être englouti par la tempête, une seule ancre peut le sauver : c'est la Parole céleste, qui, sortie du sein du Père, vit, parle et agit encore dans les écrits évangéliques [3]. » Ces nobles paroles servaient d'introduction aux pages saintes qui allaient réformer l'Angleterre. Érasme, comme Caïphe, prophétisait sans le savoir.

Le Nouveau Testament grec et latin avait à peine paru, qu'il fut reçu, par toutes les âmes bien nées, avec un enthousiasme inouï. Jamais livre n'avait produit une pareille sensation. Il était dans toutes les mains ; on se l'arrachait, on le lisait avidement, on le baisait même s ; les paroles qu'il contenait illuminaient les cœurs.

Bientôt la réaction s'opéra. Le catholicisme traditionnel poussa un cri du fond de ses marécages (pour employer la figure d'Érasme). Franciscains, dominicains, prêtres, évêques, n'osant s'attaquer aux esprits généreux, se jetèrent au mi lieu d'une populace ignorante, et s'efforcèrent de soulever par leurs contes et leurs clameurs des femmes impressionnables et des hommes crédules.

Voici venir d'horribles hérésies, s’écriaient-ils, voici d'affreux Antéchrists ! Ce livre, si on le tolérait, serait la mort de la papauté! » — “ H Il faut chasser cet homme de l'école, » disait l'un. — A il faut le chasser de l'Église, » ajoutait un autre. — Les 131

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle places publiques retentissaient de leurs aboiements, » dit Érasme [4]. Déjà les brandons jetés par leurs mains vigoureuses portaient de tous côtés l'incendie; et le feu allumé dans quelques couvents obscurs menaçait d'envahir toute l'Angleterre.

Cette colère n'était pas sans raison.

Ce livre, il est vrai, ne contenait que du latin et du grec ; mais ce premier pas en annonçait un autre, la traduction de la Bible en langue vulgaire. Érasme la demandait hautement [5]. «Peut-être, disait- il, faut-il ca cher les secrets des rois, mais il faut publier les mystères de Christ. Les saints Écrits, traduits dans toutes les langues, doivent être lus non-seulement des Écossais et des Irlandais, mais des Turcs et des Sarrasins même. Il faut que le laboureur les chante en tenant les cornes de sa charrue, que le tisserand les redise en faisant courir sa navette, et que le voyageur fatigué, suspendant sa course, se restaure au pied d'un arbre par ces doux récits ! »

Ces paroles annonçaient un âge d'or après l'âge de fer de la papauté. Une multitude de familles chrétiennes dans la Grande-Bretagne et sur le continent européen allaient bientôt réaliser ces présages évangéliques, et l'Angleterre devait, après trois siècles, s'efforcer de les accomplir pour toutes les nations de la terre.

Les prêtres comprirent le danger, et par une manœuvre habile, au lieu de s'en prendre au Testament grec, ils attaquèrent la traduction et Érasme lui-même. “ H Il corrige la Vulgate, disaient-ils. Il se met à la place de saint Jérôme. Il abolit une œuvre confirmée par le consentement des siècles et inspirée par l'Esprit-Saint.

Quelle audace !... » Puis, feuilletant le Nouveau Testament, ils en signalaient quelques passages. “ H Voyez ! disaient-ils, ce livre demande aux hommes de se convenir, au lieu de leur demander, comme la Vulgate, de faire pénitence!... »

(Matth. IV, 17.) Partout on tonnait du haut de la chaire [6]. “ H Cet homme, disait-on, a commis le péché irrémissible, car il prétend qu'il n'y a rien de commun entre le Saint-Esprit et les moines ; qu'ils sont des bûches plutôt que des hommes ! » Un rire général accueillait ces naïves paroles. Mais les prêtres, sans se déconcerter, criaient encore plus fort : “ H C'est un hérétique, c'est un hérésiarque, c'est un faussaire!

c'est une grue*[7]..., que dis-je, c'est l'antéchrist!... »

Il ne suffisait pas aux milices de la papauté de faire la guerre dans la plaine, il fallait la porter sur les hauteurs. Le roi n'était-il pas ami d'Érasme ? S'il allait se déclarer le patron du Testament grec et latin en Angleterre, quelle calamité!...

Après avoir remué les cloîtres, les villes, les universités, on résolut de protester courageusement, jusqu'en présence d’Henri VIII. “ H Si on le gagne, pensait-on, tout est gagné ! » Un jour donc, à l'office de la cour, un certain théologien (il ne nous est pas nommé), se déchaîna contre le Grec et ses nouveaux interprètes. Pace, secrétaire du roi, qui l'observait, le vit sourire [8]. Au sortir de l'église, chacun se récria a que l'on fasse venir ce prêtre, dit Henri. Puis se tournant vers More : “ H

132

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Vous défendrez contre lui la cause du Grec, et j'assisterai à la dispute. » La cour littéraire se forma, mais l'ordre du roi avait enlevé au prêtre son courage ; il s'avança en tremblant, fléchit les genoux, joignit les mains, et s'écria : Je ne sais quel esprit m'a poussé ! — Un esprit de démence, dit le roi, et non l'esprit de Jésus Christ [9]. » Puis il ajouta : “ H Avez- vous jamais lu Érasme ? — Non, sire ! — Allez donc, vous n'êtes qu'un sot. — J'ai bien lu, reprit-il, tout honteux, quelque chose de Moria (le livre d'Érasme sur la Folie). — Sire, dit Pace, malignement, c'est là, en effet, un sujet qui doit lui être très familier. » Le prêtre ne savait que dire pour se justifier. “ H Je ne suis pas ennemi du grec, dit-il enfin, parce qu'il vient de l'hébreu*. [10]» Chacun se mit à rire. — “ H Sortez, dit le roi impatienté, et ne revenez pas. »

Érasme était étonné de ces débats. Il avait cru bien choisir son moment. “ H Les temps sont à la paix, s'était-il dit; voici l'heure de glisser dans le monde savant mon Testament grec [11] ! » Mais le soleil ne pouvait se lever sur la terre, sans que personne s'en aperçût. À cette heure même, Dieu suscitait à Wittembergun moine qui allait emboucher la trompette, et annoncer le jour nouveau. “ H Malheureux!

s'écria le timide littérateur en se frappant la poitrine, qui eût pu prévoir cette affreuse tempête [12] ? » Rien n'était plus important à l'aurore de la Réformation, que la publication du Testament de Jésus Christ dans la langue originale. Jamais Érasme n'avait mis tant de soin à un travail. “ H Si je disais mes sueurs, personne ne me croirait*.[13] » Il s'était entouré de plusieurs manuscrits grecs du Nouveau Testament [14], de tous les commentaires, de toutes les traductions, des écrits d'Origène, de Cyprien, d'Ambroise, de Basile, de Chrysostome, de Cyrille, de Jérôme et d'Augustin. “ H Hic sum in campo meol » s'était-il écrié quand il s'était vu au milieu de tous ces volumes. Il avait examiné les textes d'après les principes de la critique sacrée.

Quand l'intelligence de l'hébreu était nécessaire, il avait consulté Capiton et surtout OEcolampade. Rien sans Thésée, disait-il de ce dernier, en se servant d'un proverbe grec. Il avait corrigé les amphibologies, les obscurités, les hébraïsmes, les barbarismes de la Vulgate ; il avait fait imprimer un catalogue des fautes de cette version. Il faut absolument restaurer le texte pur de la Parole de Dieu, » avait-il dit; et en entendant les malédictions des prêtres, il s'était écrié : “ H J'en prends Dieu à témoin, j'ai cru faire une œuvre nécessaire à la cause de Jésus-Christ*. [15]» Il ne s'é tait pas trompé.

A la tête de ses adversaires, se trouvait Edouard Lee, d'abord aumônier du roi, puis archidiacre de Colchester, plus tard archevêque d'York. Lee, alors peu connu, était un homme plein de talent, d'activité, mais aussi de vanité, de loquacité, et décidé à faire à tout prix son chemin. Déjà quand il était à l'école, il ne traitait personne d'égal à égal [16]. Enfant, adolescent, jeune homme, homme fait, il fut toujours le même, selon Érasme [17], c'est-à-dire vain, envieux, jaloux, glorieux, colère, enclin à 133

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle la vengeance. Il faut dire pourtant qu'Érasme, quand il s'agit d'apprécier ses adversaires, n'est pas un juge fort impartial. Il y a toujours eu dans le catholicisme romain des esprits peu éclairés, mais honnêtes, qui ne con naissant pas la vertu intime de la Parole de Dieu, ont cru que si l'on substituait son autorité à celle de l'Église romaine, on sacrifiait la seule base de la vérité et de la société.

Cependant, tout en jugeant Le moins sévèrement qu'Érasme, on ne peut fermer les yeux sur ses défauts. Il avait enrichi sa mémoire, mais son cœur était demeuré étranger à la vérité sainte; c'était un scolastique, et non un croyant; il voulait que les fidèles obéissent à l'Église sans s'inquiéter des saintes Écritures. C'était le docteur Eck de l'Angleterre, mais avec plus de formes et de moralité que l'adversaire de Luther. Il n'était pas cependant un rigoriste outré. Un jour, prêchant au palais, il récita au milieu de son dis cours des ballades, dont l'une commençait ainsi :

Passer son temps en gaie compagnie. » Et l'autre :Je t'aime sans être payé de retour.

» C'est Pace, secrétaire du roi, qui raconte ce trait caractéristique. [18]

Pendant le séjour d'Érasme dans la Grande-Bretagne, Lee, voyant son influence, s'était déclarée son ami, et Érasme, plein de courtoisie, lui avait demandé ses conseils sur son travail. Mais Lee, offusqué de cette grande gloire, n'attendait que l'occasion de la ternir. Elle se présenta, et il la saisit. A peine le Nouveau Testament avait-il paru, qu'Édouard se retourna brusquement, et d'ami d'Érasme devint son implacable adversaire *.[19] “ H Si l'on ne bouche cette voie d'eau, s'écria-t-il en voyant paraître le Nouveau Testament, elle fera périr le navire. » Rien n'épouvante les partisans des traditions humaines, comme la Parole de Dieu.

Aussitôt Lee forma une ligue avec tous ceux qui, en Angleterre, avaient horreur de l'étude des saintes lettres, dit Érasme. Quoique plein de lui-même, il savait, pour accomplir ses desseins, se montrer le plus aimable des hommes; il invitait chez lui les Anglais, il accueillait les étrangers, et gagnait de nombreuses recrues par ses bons repas' [20]. Assis à table avec ses commensaux, il insinuait de perfides accusations contre Érasme ; et ses hôtes le quittaient “ H chargés de mensonges.

[21]» “ H Dans ce Nouveau Testament, disait-il, il y a trois cents passages dangereux, effroyables que dis-je, trois cents plus de mille ! » Non content de travailler de la langue, Lee écrivait des milliers de lettres, et employait plusieurs secrétaires. Y avait-il quelque couvent en odeur de sainteté, il y envoyait aussitôt du vin, des viandes choisies et d'autres présents. Il assignait à chacun son rôle, et dans toute l'Angleterre se répétaient les scènes qu'Erasme appelait “ H la tragédie de Lee*. [22]» On préparait ainsi la catastrophe : une prison pour Érasme, et pour l'Écriture un bûcher.

Alors Lee lança son manifeste. Quoique faible dans le grec, il rédigea sur le livre d'Érasme des annotations que celui-ci appela “ H des moqueries et des blasphèmes, 134

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

» mais que les membres de la ligue regardèrent comme des oracles, lis se les passaient en secret de main en main, et ces feuilles obscures parvenaient, par des moyens détournés, dans toutes les provinces, et trouvaient line foule de lecteurs

[23]*. Mais point de publicité ! C'était le mot d'ordre; Leé èri avait trop petit, Pourquoi, lui écrivait ironiquement Érasme, n*avez-vous pas publié votre ouvrage

[24]? Qui sait si le saint père, vous nommant Aristarque des lettres, ne vous eût pas remis une verge pour morigéner le monde universel [25]? »

Les annotations ayant triomphé dans les couvents, la conspiration prit un nouvel essor. Partout, sur les places publiques, dans les festins, dans les conciliabules, les pharmacies, les voitures, les échoppes de barbier, les mauvais lieux, au prône, à l'université, pendant les disputes des écoles et les conférences secrètes, dans les librairies, les cabanes, les palais, on déblatérait contre le savant Hollandais et contre le Testament grec [26]. Carmes, dominicains, sophistes, invoquaient le ciel et conjuraient l'enfer. Qu'avait-on besoin des saintes Écritures ? N'avait-on pas la succession du clergé? Nulle descente en Angleterre ne pouvait, à leurs yeux, être plus fatale que celle du Nouveau Testament. Il fallait que le peuple tout entier se mette sur pied pour repousser cette invasion audacieuse. Il n'est peut-être pas de pays, en Europe, où la Réformation ait été accueillie par un orage aussi inattendu.

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FOOTNOTES

[1] Jacques de Iûterbock, prieur des Chartreux, De septem Ecclesia statibus opusculwn.

[2] “ H A private combination, etc. » (Strype, Memorials, I, part, n, p. 16.)

[3] “ H In evangelicis litteris, sermo ille cœlestis, quondam a corde Pa tris ad nos profectus... » (Erasmus Leoni, Ep., p. 1843.)

[4] “ H Opus avidissime rapitur... amatur, raanibus teritur. » (Erasmi Ep., p. 557.) •

“ H Oblatrabant Sycophantœ. » (Ibid., p. 329.)

[5] “ H Paraclesis ad lectorem pium. »

[6] “ H Quam stolide debacchati sunt quidam e suggestis ad populum. » (Erasmi Ep., p. 1193.)

[7] “ H Nos clamitans esse grues et bestias. » (Ibid., p. 914.)

[8] “ H Pacaeus in Regem conjecit oculos... Is mox Pacœo suaviter ar risit. » (Ibid.)

[9] “ H Tum Rex : ut qui inquit, spiritus iste non erat Christi sed stul titiae. »

(Erasmi Ep., p. 914.)

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

[10] “ H Gratis, inquit, litteris non perinde sum infensus, quod originem habeant ex lingua haebraica. » (Ibid., p. 347.)

[11] “ H Erant tempora tranquilla. » (Ibid., p. 911.)

[12] “ H Quis enim suspicaturus erat hanc fatalem tempestatem exoritu ram in orbe? » (Erasmi Ep., p. 911.)

[13] “ H Quantis mini constiterit sudoribus. » (Ibid., p. 329.)

[14] “ H Collatis multis Graecorum exemplaribus. » (Ibid.)

[15] “ H Denm testor3 simpliciter existimabam me rem facere Deo gratam ac rei Christian» necessariam. » (Ibid., p. 911.)

[16] “ H Solus haberi in pretio volebat. » (Erasmi Ep., p. 593.)

[17] “ H Talis erat puer, talis auolescens, talis juvenis, talis nunc etiam vir est. »

(Ibid., p. 594.)

[18] State pap., I, p. 10.

[19] “ H Subito factus est inimicus. » (Erasmi Ep., p. 746.)

[20] “ H Excipiebat advenas, prœsertim Anglos, eos conviviis faciebat suos. (Ibid., p.

593.)

[21] “ H Abeuntes omni mendaciorum genere dimittebat onustos. » (Erasmi Ep., p.

B93.)

[22] “ H Donec Leus ordiretur suam tragœdiam. » (Ibid., p. 913.)

[23] K. Simon» Hist. crit. du N. Testament, p. 246.

[24] “ H Liber volitat inter manus conjuratorum. » (Erasmi Ep., p. 746.)

[25] “ H Tibi tradita virgula, totius orbis censuram fuerit mandaturus. » (Erasmi Ep., p. 742.)

[26] “ H Ut nusquam non blaterent in Erasmum, in compotationibus, in foris, in conciliabulis, in pharmacopoliis, in curribusj in tonstrinis, in fornicibus... » (Ibid., p.

746.)

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE II

Effets du Nouveau Testament dans les universités. — Conversations. — Un fellow de Cambridge. — Bilney achète le Nouveau Testament. — Le premier passage. —

Sa conversion. — Le protestantisme issu de l'Évangile. — La vallée de la Severn. —

Un fils des Roses rouges à Oxford. — Tyndale étudie les Écritures. — Les trames commencent. — Fryth. — Enseignement de l'helléniste, du canoniste et du mathématicien. — La conversion est-elle possible? — La vraie consécration. — La Réformation a commencé.

Tandis que ce vent impétueux passait sur l'Angleterre et sifflait dans les longs corridors des couvents, le doux son de la Parole pénétrait dans les demeures paisibles des hommes de prière et sous les voûtes antiques de Cambridge et d'Oxford. Dans les chambres, dans les salles d'étude et dans les réfectoires, on rencontrait des étudiants, et même des maîtres, lisant le Testament grec et latin.

Des groupes animés discutaient le principe de la Réformation. Christ, en venant sur la terre, disaient quelques-uns, a donné la Parole, et en montant au ciel, il a donné l'Esprit. Ce sont ces deux forces qui ont créé l'Eglise, et ce sont elles qui doivent la régénérer. — Non, répondaient les partisans de Rome, ce fut l'enseignement des apôtres au commencement, et c'est l'enseignement des prêtres maintenant.

— Les apôtres! répliquaient les amis du Testa ment d'Érasme, oui, il est vrai, les apôtres ont été, pendant leur ministère, des Écritures vivantes; mais leurs enseignements oraux se seraient infailliblement altérés en passant de bouche en bouche. Dieu a donc voulu que ces précieuses leçons nous fussent conservées dans leurs écrits, et devinssent ainsi la source toujours pure de la vérité et du sa lut. —

Mettre en avant les Écritures, comme font vos prétendus réformateurs, reprenaient les scolastiques de Cambridge et d'Oxford, c'est répandre partout l'hérésie ! — Et que font les réformateurs, répliquaient les amis du Testament grec, si ce n'est ce que Jésus a fait ?

La parole des prophètes n'existait du temps de Jésus que comme Écriture, et ce fut à cette Parole écrite que le Seigneur en appela quand il voulut fonder son royaume

[1]. De même, maintenant, la Parole des apôtres n'existe que comme Écriture, et c'est à cette Parole écrite que nous en appelons pour rétablir en son état primitif le règne du Seigneur. La nuit est passée, le jour s'approche; tout commence à se mouvoir, dans les hautes salles des collèges, dans les palais des grands et dans les humbles demeures du peuple. Devrait-on, pour dissiper les ténèbres, allumer la mèche desséchée de quelque lampe vieillie ! Ne faut-il pas plutôt ouvrir les portes, les volets, et faire entrer de toutes parts dans la maison la grande lumière que Dieu a placée dans le ciel?

137

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Il y avait dans le collège de la Trinité, à Cam bridge, un jeune docteur fort adonné à l'étude du droit canon, d'une âme sérieuse, d'un naturel timide, et dont la conscience délicate s'efforçait, mais inutilement, d'accomplir les commandements de Dieu.

Inquiet de son salut, Thomas Bilney s'a dressa aux prêtres, qu'il regardait comme les médecins de l'âme. A genoux sur le prie-dieu du confessionnal, la tête penchée vers l'oreille du confesseur [2], le regard humble et le visage défait, il lui disait tous ses péchés et même ceux dont il doutait, Le prêtre lui prescrivait tantôt des jeûnes, tantôt des veilles prolongées, tantôt des messes qui coûtaient cher, des indulgences enfin *[3] ; le pauvre fellow accomplissait ces pratiques avec une grande dévotion, mais n'y trouvait aucun soulagement. Petit et faible, il maigrissait à vue d'œil [4]; son intelligence s'alanguissait, son imagination s'éteignait, et sa bourse s'aplatissait. “ H Hélas ! disait-il avec angoisse, ma dernière condition est pire que la première !» — De temps en temps une idée traversait son esprit : “ H Les prêtres, pensait-il, ne chercheraient-ils pas leur intérêt particulier, et non le salut de mon âme*[5]? » Mais rejetant aussi tôt ce doute téméraire, il retombait sous la main de fer du clergé.

Un jour, Bilney entendit parler d'un livre nouveau; c'était le Testament grec, imprimé avec une traduction latine, dont on vantait fort l'élégance [6]. Attiré par la beauté du latin plus que par la divinité de la Parole [7], il avança la main, mais au moment où il allait prendre le livre, la crainte le saisit et il la retira précipitamment. En effet, les confesseurs défendaient sévèrement les livres hébreux et grecs, sources de toutes les hérésies, » et le Testament d'Érasme était surtout interdit. Bilney cependant regrettait un si grand sacrifice; n'était-ce pas le Testament de Jésus-Christ? Dieu n'y aurait-il pas mis une parole qui peut-être guérirait son âme? Il avançait, il reculait... A la fin il prit courage. Poussé, dit-il, par la main de Dieu, il sortit du collège, se glissa en un lieu où l'on vendait en secret le volume grec, l'acheta en tremblant, et courut s'enfermer dans sa chambre [8] .

Il l'ouvre, et ses regards s'arrêtent sur ces paroles : Certus sermo, et dignus quem modis omnibus amplectamur, quod Christus Jésus venit in mundum, ut peccatores salvos faceret, quorum primus ego sum*[9]. Il pose le livre; il pense à cette étonnante déclaration. “ H Quoi ! dit-il, Paul le premier des pécheurs, et Paul est pourtant certain d'être sauvé ! . . . » Il lit et relit. “ H O sentence de Paul, que tu es douce à mon âme! » S’écria-t-il *[10]. Cette déclaration le suit partout, et Dieu l'instruit ainsi dans le secret de son cœur*[11]. Il ne sait ce qui lui arrive [12] ; il lui semble comme si un vent rafraîchissant soufflait sur son âme, ou comme si un riche trésor était mis dans sa main ; le Saint-Esprit prend ce qui est à Christ et le lui annonce!... “ H Moi aussi, s'écrie-t-il tout ému, je suis comme Paul, plus que Paul, le plus grand des pécheurs!... Mais Christ sauve le pécheur. Enfin j'ai entendu parler de Jésus [13]!... »

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Il n'a plus de doute; il est sauvé... Alors s'o père en lui une admirable transformation ; une joie inconnue l'inonde [14] ; sa conscience, jusqu'alors meurtrie des blessures du péché, se guérit [15] ; au lieu du désespoir, il éprouve une paix intérieure qui sur passe toute intelligence* [16]. “ H Jésus-Christ, s'écrie-t-il, oui, Jésus-Christ sauve!... » Voilà le caractère de la Réformation ; c'est Jésus-Christ qui sauve et non l'Église. “ H Je le vois, disait Bilney, mes veilles, mes jeûnes, mes pèlerinages, mes achats de messes et d'indulgences me perdaient, au lieu de me sauver'. [17] Tous ces efforts n'étaient, comme dit saint Augustin, qu'une marche précipitée vers l'abîme* [18]... »

Bilney ne pouvait se lasser de lire et relire le Nouveau Testament. Ce n'était plus aux leçons des scolastiques qu'il prêtait l'oreille ; il entendait Jésus à Capernaiim, Pierre dans le temple, Paul à l'Aréopage, et sentait en lui-même que Christ a les paroles de la vie éternelle. Un témoin de Jésus-Christ venait de naître par la même vertu qui avait transformé Paul, Apollos ou Timothée. La Réformation de l'Angleterre commençait. Bilney relevait du Fils de Dieu, non par une lointaine succession, mais par une immédiate génération. Laissant aux disciples du pape cette chaîne embrouillée d'une succession imaginaire, dont il est impossible de démêler les anneaux, il se rattachait sans intermédiaire à Jésus Christ. C'est la parole du premier siècle qui a enfanté le seizième. Le protestantisme ne descend pas de l'Évangile à la cinquantième génération comme l'Église romaine du Concile de Trente, ou à la soixantième comme quelques docteurs modernes ; il en est le fils direct, légitime, il est le fils du Maître. Ce n'était pas en un seul lieu que Dieu agissait alors. Les premiers rayons du soleil d'en haut do raient à la fois de leurs feux les gothiques collèges d'Oxford et les vieilles écoles de Cambridge.

Sur les bords de la Severn, qui descend des montagnes de Galles, s'étend une vallée pittoresque, bordée par la forêt de Dean et parsemée de villages, de clochers, et de vieux châteaux. Elle était au seizième siècle particulièrement chérie des prêtres et des moines, et quand on jurait dans les couvents, on disait : “ H Aussi certain que Dieu est dans le Glo cestershire! » Les oiseaux de proie de la papauté s'y étaient abattus. Pendant cinquante ans, de 1484 à i534, quatre évêques italiens, placés successive ment à la tête de ce diocèse, le livrèrent aux papes, aux moines et à l'immoralité. Les voleurs surtout y étaient les objets des tendres faveurs de la hiérarchie. Jean de Lilius, collecteur de la chambre apostolique, avait reçu du souverain pontife le pouvoir de pardonner les meurtres et les larcins, à condition que le coupable partage son gain avec le commissaire pontifical [19].

Dans cette vallée, au pied du sommet occidental du Stinchcomb-Hill, au sud-ouest de Glocester, ha bitait pendant la seconde moitié du quinzième siècle, une famille qui s'y était réfugiée durant les guerres d'York et de Lancaster, et y avait pris le nom de Hutchins. Sous Henri VII, son parti ayant le dessus, elle reprit son nom de Tyndale, porté jadis par d'anciens barons [20]. En 1484, environ un an après la 139

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle naissance de Luther, presque au moment où Zwingli venait au monde dans les montagnes du Tockenbourg, naquit à ces partisans de la rose rouge, dans le village de North- Nibley, un fils, qui fut nommé William. Ce fut dans les campagnes que do mine le château de Berkeley, sur les grandes eaux de la Severn et au milieu des moines et des collecteurs pontificaux, que s'ébattit l'enfance de William. Envoyé de bonne heure par son père à l'université d'Oxford' [21], il y apprit la grammaire, et la philosophie dans l'école de Sainte -Marie -Madeleine, qui touchait au collège de ce nom. Il fit de rapides pro grès, spécialement dans les langues, sous les premiers érudits de l'Angleterre, Grocyn, W. Lati mer et Linacer, et prit ses grades universitaires [22]. Un maître plus excellent que ces docteurs, le Saint Esprit parlant dans la sainte Écriture, allait bientôt lui apprendre une science qu'il n'est pas au pouvoir de l'homme de donner.

Oxford, où Érasme avait tant d'amis, fut la ville de l'Angleterre où son Nouveau Testament trouva le meilleur accueil. Le jeune étudiant du Glocester shire, intérieurement poussé vers l'étude des saintes lettres, lut le livre célèbre qui attirait alors l'attention de la chrétienté. Il n'y vit d'abord qu'un écrit savant, ou tout au plus un manuel de piété, dont les beautés n'étaient propres qu'à exalter le sentiment religieux ; mais bientôt il y trouva davantage. Plus il le lisait, plus la vérité et l'énergie de cette Parole le frappaient. Ce livre étrange lui par lait de Dieu, du Christ, de la régénération, avec une simplicité et une autorité qui le subjuguaient; William a trouvé un maître qu'il n'avait pas cherché à Oxford, Dieu lui-même. Les pages qu'il tient dans ses mains, ce sont les révélations divines, si longtemps égarées. Doué d'une âme noble, d'un esprit hardi, d'une infatigable activité, il ne garda pas pour lui ce trésor. Il poussa ce cri qui convient au chrétien, mieux encore qu'à Archimède : J'ai trouvé! Aussitôt plusieurs jeunes gens de l'université, attirés par la pureté de sa vie et par le charme de sa conversation [23], l'entourèrent et lurent avec lui l'Évangile grec et latin d'Érasme [24]. “ H Un certain jeune homme fort instruit, » dit Érasme dans une lettre où il parle de la publication de son Nouveau Testa ment, “ H se mit à professer avec succès les lettres grecques a Oxford [25]. » C'est probablement de Tyndale qu'il s'agit.

Les moines prirent l'éveil. “ H Un barbare, dit encore Érasme, monta en chaire et vomit contre a le grec de véhémentes injures. » — “ H Ces gens, dit Tyndale, voulaient éteindre la lumière qui dévoilait leur charlatanisme, et il y a plus de douze ans que leurs trames ont commencé [26]. » Cette parole est de 1531, ce qui reporte le fait à 1517. L'Allemagne et l'Angleterre commençaient donc en même temps la lutte, et peut-être Oxford avant Wittemberg. Tyndale se rappelant ce précepte : Quand ils vous persécuteront dans une ville, fuyez c dans une autre, »

quitta Oxford et se rendit à Cambridge. Il faut que les esprits que Dieu a amenés à sa connaissance se rencontrent et s'éclairent mutuellement. Des charbons isolés s'éteignent, mais rapprochés ils se rallument, et peuvent épurer l'or et l'argent. La 140

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle hiérarchie romaine se chargeait de réunir les feux épars de la Réformation. Bilney n'était pas inactif à Cambridge. A peine la sublime leçon de Jésus-Christ » l'avait-elle rempli de joie, que tombant à genoux il s'était écrié : “ H O toi qui es la vérité, donne-moi pour l'enseigner a une grande puissance, et convertis les impies par celui qui a lui-même été un impie*. [27] »

Après cette prière, un feu nouveau avait animé ses regards ; il avait rassemblé ses amis, et ouvrant au milieu d'eux le Testament d'Érasme, il avait mis le doigt sur les paroles qui avaient saisi son âme, et ces paroles en avaient saisi plusieurs. L'arrivée de Tyndale vint augmenter son courage, et la lumière grandit dans Cambridge.

Jean Frylh, âgé de dix-huit ans environ, fils d'un aubergiste de Sevenoaks, dans le comté de Kent, se distinguait au milieu des étudiants de King's College, par la promptitude de son intelligence et l'honnêteté de sa vie. Il était aussi savant dans les démonstrations mathématiques, que Tyndale dans les classiques, et Bilney dans le droit canon. Esprit exact, mais âme élevée, il reconnut dans la sainte Ecriture une science d'un genre nouveau. “ H Ces choses-là, dit-il, ne se démontrent pas comme les propositions d'Euclide ; l'étude suffit pour imprimer dans notre esprit les théorèmes mathématiques, mais cette science de Dieu trouve dans l'homme une résistance qui nécessité l'intervention d'une puissance divine. Le christianisme est une régénération. » — La semence céleste germa promptement dans le cœur de Fryth [28].

Ces trois jeunes savants se mirent à l'œuvre avec enthousiasme. Ils déclaraient que l'absolution des prêtres, ou tel autre rite religieux, était incapable de donner la rémission des péchés, que l'assurance du pardon ne s'obtient que par la foi, mais que la foi purifie le cœur; puis ils adressaient à tous cette parole de Christ qui avait tant scandalisé les moines : Convertissez-vous !

Des idées si nouvelles produisirent une grande rumeur. Un fameux orateur s'efforça de montrer un jour à Cambridge qu'il était inutile de prêcher au pécheur la conversion. “ H O toi, dit-il, qui pendant soixante années as croupi dans les convoitises comme une brute sur son fumier [29], penses-tu pouvoir dans une année faire autant de pas vers le ciel que tu en as fait vers l'enfer ?» — Bilney sortit indigner. “ H Est-ce là, s'écriait-il, prêcher la repentance au nom de Jésus? Ce prêtre ne nous dit-il pas : Christ ne veut pas te sauver [30] ? Hélas! Depuis tant de siècles que cette fatale doctrine est enseignée dans la chrétienté, pas un seul homme n'a osé ouvrir la bouche contre elle ! j> Plusieurs fellows de Cambridge se scandalisèrent de ces paroles de Bilney ; le prédicateur dont il condamnait l'enseignement, n'était-il pas dûment ordonné par les évêques? — “ H A quoi servirait, répondit-il, d'avoir été cent fois consacré, fût-ce même par mille bulles du pape, si la vocation intérieure nous manque ? [31] En vain a-t-on reçu sur la tête le souffle des évêques, si l'on n'a jamais senti dans son cœur le souffle du Saint-Esprit.

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

» Ainsi, dès l'origine de la Réformation, l'Angleterre, rejetant les superstitions romaines, discernait avec une extrême justesse ce qui fait l'essence de la consécration au service du Seigneur.

Après avoir prononcé ces belles paroles, le fellow de Cambridge, qui soupirait après une effusion de l'Esprit-Saint, s'enfermait dans sa chambre, tombait à genoux et demandait à Dieu de venir au secours de son Église. Puis, se relevant, il s'écriait, comme si un esprit prophétique l'eût animé : “ H Un temps, nouveau commence.

L'assemblée chrétienne va être renouvelée... Quelqu'un vient à nous... je le vois, je l'entends, c'est Jésus-Christ [32]... Il est le roi, et c'est lui qui appellera les vrais ministres chargés d'évangéliser son peuple. »

Tyndale, plein de la même espérance que Bilney, quitta Cambridge dans le courant de 1519. La Réformation d'Angleterre commençait donc in dépendamment de celles de Luther et de Zwingli, ne relevant que de Dieu seul. Il y avait dans tous les pays de la chrétienté une action simultanée de la Parole divine. Le principe de la Réforme à Oxford, à Cambridge j à Londres, c'était le nouveau Testament grec, publié par Érasme. L'Angleterre devait un jour être glorieuse de cette origine de sa Réformation.

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FOOTNOTES

[1] Matth., XXII, 29; XXVI, 24, 54; Marc, XIV, 49; Luc, XVIII, 31; XXIV, 27, 44, 45; Jean, V, 39, 46; X, 35; XVII, 12, etc.

[2] “ H In igrnaros medicos, indoctos confessioaum auditores. » (Th. Bil naeus Tonstallo episcopo. Fox, IV, p. 633.)

[3] “ H Indicebant enim mini jejunia, vigiiias, indufgentiarum et mis sartim fimptioncs. » [l/rid.)

[4] “ H Ut parum mihi virium (alioqui natura imbecilli) reliquum fue rit. » (Fox, IV, p. 633.)

[5] “ H Sua potius quaerebant, quam salutem animae meœ languentis. » [lbid.)

[6] “ H Cum ab eo latinius redditum accepi. » [lbid.)

[7] “ H Latinitate potius quam verbo Dei, allectus. » [lbid.)

[8] “ H Emebam, providentia (sine dubio) divina. » (Fox, IV, p. 633.)

[9] “ H Cette parole est certaine et digne d'être entièrement reçue, que Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver des pécheurs, dontje suis le premier. » (1 Tim., 1, 15.)

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

[10] “ H O mihi suavissimam Pauli «ententiam ! » (Biln. Tonstallo.)

[11] “ H Hac una sententia, Deo intus in corde meo docente. » (Ibid.)

[12] “ H Quod tune fleri ignorabam. » (Ibid.)

[13] “ H Tandem de Jesu audiebam. » (Ibid.)

[14] “ H Sic exhilaravit pectus meum. » (Ibid.)

[15] “ H Peccatorum conscientia saucium ac pene desperabundum. » (Biln.

Tonstallo.)

[16] “ H Nescio quantam intus tranquillitatem sentire. » [Ibitl.)

[17] “ H Didici omnes meos conatus, etc. » (Ibid.)

[18] “ H Quod ait Augustinus, celerem cursum extra viam. (Ibid.)

[19] Annals of the English Bible, I, p. 12.

[20] Bigland's Glos, p. 293. — Armais of the English Bible, I, p. 19.

[21] From a child, dit Fox, Acts and Monuments, V, p. 115.

[22] “ H Proceeding in degrees of the Schools. » (Ibid.)

[23] “ H His manners and conversation being correspondent to the Scrip tures. »

(Fox's Acts and Monuments, V, p. 115.)

[24] “ H Read privily to certain students and fellows, instructing them in the knowledge of the Scriptures. » [lbid.)

[25] “ H Oxoniae, cum juvenis quidam non vulgariter doctus... » (Erasmi Ep., p.

346.)

[26] “ H Which they have been in, brewing as I have this dozen years. » ( Works of the English reformers, Tynd. et Fryth., II, p. 486.)

[27] “ H Ut impii ad ipsum per me olim impium converterentur. » (Fox, Acte, IV, p.

C33.)

[28] “ H Through Tyndale's instructions he first received into his heart the sced of the Gospel. » (Fox, Acts, V, p. t.)

[29] “ H Even as a beast in his own dung. » (Bilnajus Tonstallo episcopo. Fox, Âcts, IV, p. 640.)

[30] “ H Ho will not be thy Jesus or Saviour. » (Fox, Acts, IV, p. 640.) »

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

[31] “ H Without this inward calling it helped nothing before God to be a hundred times elect and consecrated. » (Ibid., p. 637.)

[32] “ H If it be Christ, him that cometh unto us. » (Fox, Aets, IV, p. 637.) 144

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE III

Alarme du clergé. — Les deux jours. — Le docteur Man.— La vraie présence réelle.

— Les martyrs de Conventry. — Standish prêche à Saint-Paul. — Standish à la cour. — Sa défaite. — Dessein ambitieux de Wolsey. — Première ouverture. —

Ambition d’Henri. — Conférence de Th. Boleyn et de François I. - La tiare promise à Wolsey. — Ses intrigues avec Charles et François Ce réveil jeta l'alarme dans la hiérarchie romaine. Satisfaite du baptême qu'elle administre, elle redoutait le baptême du Saint-Esprit, accompli par la foi à la Parole de Dieu. Le clergé, plein de zèle, mais d'un zèle sans connaissance, se prépara donc à la lutte, et les cris poussés par les prélats furent répétés par la foule des moines, des prêtres et des sacristains.

Ce ne fut pas sur les membres des universités que les premiers coups tombèrent; ce fut sur d'humbles chrétiens, restes du ministère de Wiclef, auxquels le mouvement réformateur des hautes écoles avait communiqué une nouvelle vie. Au réveil du quatorzième siècle allait succéder celui du seizième, et les dernières lueurs du jour qui finis sait se confondaient presque avec les premières clartés du jour qui commençait. Les jeunes docteurs de Cambridge et d'Oxford réveillèrent l'attention de la hiérarchie effrayée, et lui firent remarquer les humbles lollards, qui çà et là rappelaient encore Wiclef.

Un ouvrier, Thomas Man, que l'on appelait le docteur Man, » à cause de sa connaissance des Ecritures, avait été, en 1511, enfermé pour sa foi dans le prieuré de Frideswide à Oxford. Tourmenté par le souvenir d'une rétractation qu'on lui avait arrachée, il s'était échappé de ce monastère, s'était rendu dans l'est de l'Angleterre, et y avait prêché la Parole, en subvenant par son travail aux besoins de sa pauvre vie [1]. Puis, ce “ H champion de Dieu » s'était rapproché de la capitale, et aidé de sa femme, nouvelle Priscille de ce nouvel Aquilas, il avait annoncé la doctrine de Christ à la foule réunie autour de lui, dans quelque chambre haute de Londres, dans quelque prairie solitaire arrosée par la Tamise, ou sous les ombrages séculaires de la forêt de Windsor. Il croyait, comme autrefois Chrysostome, “ H que tous les prêtres ne sont pas saints, mais que tous les saints sont prêtres [2]. »

Celui qui reçoit la Parole de Dieu, disait-il, reçoit Dieu lui-même ; c'est là la vraie présence réelle. Les pontifes de ce mystère ne sont pas les vendeurs de messes [3]

mais les hommes que Dieu a oints de son Esprit pour être rois et sacrificateurs. »

Six à sept cents personnes furent converties par ces prédications [4]. Les moines, qui n'osaient pas encore s'attaquer aux universités, résolurent de sévir contre ces prédicants qui prenaient pour temple les bords de la Tamise ou quelque recoin de la cité. Man fut saisi, condamné, et brûlé vif le 29 mars 1549.

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Ce n'était pas assez. Il y avait à Coventry de pieux chrétiens, quatre cordonniers, un gantier, un bonnetier et une veuve, Madame Smith, qui donnaient à leurs enfants une instruction chrétienne. Les franciscains s'indignaient que des laïques, et même une femme, osassent se mêler d'enseignement religieux. Le mercredi des Cendres, Simon Mourton, sergent de l'évêque, les fit prisonniers, eux et leurs enfants. Le surlendemain les parents furent conduits à l'abbaye de Mackstock, à six lieues de Coventry, et les enfants dans le couvent des cordeliers. “ H Voyons, dit le frère Stafford, aux petits tout intimidés, quelles hérésies vous a-t-on enseignées ? » Les pauvres enfants avouèrent qu'on leur avait expliqué en anglais la prière du Seigneur, le symbole des apôtres et les dix commandements. Alors Stafford s'écria d'une grosse voix : “ H Je vous défends, sous peine d'être brûlés (comme vos parents vont l'être), d'avoir jamais rien à faire avec le Pater, le Credo et les Commandements, en anglais. » Cinq semaines plus tard, les hommes furent condamnés à être brûlés vifs, mais on eut pitié de la veuve, à cause de sa jeune famille, dont elle était le seul soutien, et on la renvoya. Il faisait nuit ; Simon Mourton offrit à Madame Smith de la reconduire chez elle ; elle accepta son bras et ils traversèrent les rues étroites et obscures de Coventry. — “ H Eh ! eh ! dit tout à coup le sergent, qu'est-ce que j'entends? » Il entendait, en effet, comme un bruit d'un papier que l'on froisse. “ H Qu'avez-vous là ? » Reprit-il en lui lâchant brusquement le bras. Puis, avançant la main dans la manche de la veuve, l'inquisiteur en retira un parchemin, et s'approchant d'une fenêtre d'où sortaient les pâles rayons d'une lampe, il examina cette feuille mystérieuse et reconnut la prière du Seigneur, le symbole des apôtres et les dix commandements, en anglais. “ H Oh ! oh ! bélître, dit-il, venez ; vaut autant main te nant que plus tard ! »

Puis saisissant la veuve par le bras, il la traîna devant l'évêque. On prononça immédiatement la sentence de mort ; et le 4 avril 1519, Madame Smith, Robert Hatchets, Archer, Hawkins, Thomas Bond, Wrigsham et Landsdale, furent brûlés vif à Coventry, sur la place du Petit Parc, convaincus d'avoir appris à leurs enfants la prière du Seigneur, le symbole des apôtres et les commandements de Dieu.

Mais qu'importe que des lèvres obscures soient fermées, tant que le Testament d'Érasme parlera ? Il fallait reprendre la conjuration de Lee. Standish, évêque de Saint-Asaph, esprit étroit, même un peu fanatique, mais sincère, je pense, d'un grand courage et d'une certaine piété, décidé à prêcher une croisade contre le Nouveau Testament, commença à Londres même, dans la cathédrale de Saint Paul, en présence du lord-maire et du conseil de la Cité. “ H Otez ces traductions nouvelles, dit-il, ou une ruine totale menace la religion de Jésus-Christ [5]. » Mais Standish, qui n'était pas habile, au lieu de rester dans le vague, comme ses confrères, voulut montrer à quel point Érasme avait corrompu l'Évangile, et dit d'une voix larmoyante : “ H Faut-il que moi, qui depuis tant d'années suis docteur 146

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle des saintes Écritures, et qui ai toujours lu dans ma Bible : In principo erat verbcm, je me voie obligé de lire à cette heure : In principo erat sermo... »

C'était ainsi qu'Érasme avait traduit la première parole de l'Évangile selon saint Jean. Risum tenea tis ! se disaient plusieurs à l'oreille, à l'ouïe de cette puérile accusation : “ H Milord, continua l'évêque en se tournant vers le lord-maire, magistrats de cette cité, et vous tous citoyens, accourez au secours de la religion ! »

— Standish continue ses pathétiques mouvements; il crie, il s'élève, il s'abaisse ; mais il a beau faire ; les uns demeurent immobiles ; les autres lèvent les épaules ; d'autres même s'indignent. Décidément les bourgeois de Londres voulaient soutenir la Bible et la liberté.

Standish, voyant qu'il avait manqué son attaque sur la Cité, poussait des soupirs, récitait des prières, disait des messes contre le Livre tant redouté. Il résolut de faire davantage. Un jour, qu'il y avait fête à la cour pour les fiançailles de la princesse Marie, âgée de deux ans, avec un prince fiançais qui venait de naître, Saint-Asaph, recueilli au milieu d'une foule animée, méditait une action hardie. Tout à coup il perce la foule et se jette aux pieds du roi et de la reine; on s'étonne, on se demande ce que veut cet évêque, ce vieillard. “ H O grand roi, dit-il, vos ancêtres qui ont régné sur cette île, — et les vôtres, ô grande reine, qui ont gouverné l'Ara gon, se sont toujours distingués par leur zèle pour l'Église. Montrez-vous dignes de vos aïeux. Des temps pleins de périls sont arrivés1. Un livre vient de paraître, et c'est Érasme qui le publie! — un livre tel, que si vous ne lui fermez l'entrée de ce royaume, c'est fait à jamais parmi nous de la religion de Jésus-Christ. »

L'évêque s'arrêta et il se fit un grand silence. Alors le dévot Standish, craignant que le penchant bien connu de Henri pour les lettres ne s'opposât à sa requête, éleva les regards et les mains vers le ciel, et, à genoux au milieu de la cour, s'écria avec l'accent de la douleur : “ H O Christ ! ô Fils de Dieu! sauvez vous-même votre épouse ! . . . car nul d'entre les hommes ne vient à son secours * [6] ! »

Ayant ainsi parlé, le prélat, dont le courage était digne d'une meilleure cause, se releva et attendit. Chacun cherchait à deviner la pensée du roi. Thomas More était parmi les assistants, et More ne pouvait abandonner son Érasme. — “ H Quelles sont, dit-il, les hérésies que ce livre doit enfanter ? » Après avoir commencé par le sublime, Standish finit par le ridicule. Frappant successivement avec l'index de la main droite sur les doigts de la main gauche [7] : Premièrement, dit-il, ce livre détruit la résurrection. Secondement, il annule le sacrement du mariage.

Troisièmement, il détruit la messe. » Puis, tenant élevés le pouce, l'index et le doigt du milieu, il les montrait à toute l'assemblée, avec le regard du triomphe. La bigote Catherine frissonnait en voyant ces trois doigts de Standish, signes des trois hérésies d'Érasme; Henri lui-même, amateur de Thomas d'Aquin, était embarrassé.

Le moment était critique.

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Le Testament grec était sur le point d'être banni de l'Angleterre. “ H La preuve, la preuve ! s'é crièrent les amis des lettres. — Je la donnerai, reprit l'impétueux Standish, et frappant de nouveau son pouce gauche : Premièrement, dit-il... » Mais il mit alors en avant de si sottes raisons, que les femmes et les ignorants eux-mêmes en rougirent. En vain cherchait-il à justifier son dire, il s'embarrassait toujours plus; il affirma, entre autres choses, que les Épîtres de saint Paul étaient écrites en hébreu... “ H Il est connu, même des enfants des écoles, dit un docteur en théologie, en s'agenouillant devant le roi, que les Épîtres de saint Paul ont été écrites en grec.

» Le roi, rougissant pour l'évêque, détourna brusquement la conversation, et le pauvre Standish, honteux d'avoir fait écrire en hébreu aux Grecs, eût voulu se dérober à tous les regards. “ H Le hanneton ne doit pas s'attaquer à l'aigle, » disait on autour de lui [8]. Ainsi le Livre de Dieu demeura en Angleterre l'étendard d'une troupe fidèle, qui li sait dans ses pages cette devise usurpée par l'Église de Rome : La vérité n'est qu'en moi.

Un adversaire plus redoutable que Standish aspirait à combattre la Réformation, non -seulement en Angleterre, mais dans tout l'Occident. Un de ces desseins ambitieux, qui germent facilement dans le cœur de l'homme, se développait dans l'âme du plus puissant ministre de Henri VIII ; et si ce projet réussissait t il semblait devoir affermir à jamais l'empire de la papauté sur les bords de la Tamise, et peut être dans la chrétienté tout entière.

Wolsey, chancelier et légat, régnait dans l'État et dans l'Église, et pouvait sans mensonge prononcer son fameux : Ego et reoc meus. Parvenu à une si grande hauteur, il voulait plus encore. Favori de Henri VIII, presque son maître, traité comme frère par l'empereur, par le roi de France et par d'autres têtes couronnées, revêtu de ce titre de majesté qui est le propre des souverains* [9], le cardinal, sincère dans sa foi à la papauté, voulait arriver au trône des pontifes, et être ainsi Deus in terris. Si Dieu a permis qu'un Luther parût dans le monde, c'est qu'il aurait, pensait-il, un Wolsey à lui opposer.

Il serait difficile de dire le moment précis où ce désir immodéré s'empara de son esprit; ce fut vers la fin de 1518 qu'il commença à paraître. L'évêque d'Ély, ambassadeur d'Angleterre près de François 1er, étant en conférence avec ce prince le 18 décembre de cette année, lui dit d'un ton mystérieux : Le cardinal a dans son esprit un pensée... à l'égard de laquelle il ne peut s'ouvrir à personne... si ce n'est à Votre Majesté... » — François comprit.

Une circonstance vint faciliter les plans du cardinal. Si Wolsey voulait être le premier prêtre, Henri voulait être le premier roi. La couronne impériale, que la mort venait d'enlever à Maximilien, était briguée par deux princes : Charles d'Autriche, esprit froid et calculateur, se souciant peu des plaisirs et même des pompes du pouvoir, mais se proposant de grands desseins, et sachant les poursuivre 148

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle avec énergie, et François Ier, d'un œil moins pénétrant, d'une persévérance moins infatigable, mais plus hardi et plus impétueux. Henri VIII, inférieur à l'un et à l'autre, passionné, capricieux, égoïste, se crut de force à lutter avec de si puissants compétiteurs, et se mit à poursuivre en secret la monarchie de toute la chrétienté

[10], Wolsey se persuada que, caché sous le manteau de l'ambition de son maître, il pourrait satisfaire la sienne. S'il procurait à Henri la couronne des Césars, il obtiendrait facilement la tiare des papes; s'il échouait, ce serait bien le moins que pour dédommager l'Angleterre de la souveraineté de l'empire, on donnât à son premier ministre la souveraineté de l'Eglise.

Henri fit d'abord sonder le roi de France. Sir Thomas Boleyn se présenta un jour devant François Ier, au moment où celui-ci revenait de la messe. Le roi voulant prévenir une confidence qui devait l'embarrasser, conduisit l'ambassadeur dans l'embrasure d'une fenêtre, et lui dit à voix basse : “ H Plusieurs électeurs m'offrent l'empire; j'espère que votre maître me sera favorable. » Boleyn, troublé, répondit vaguement, et le roi-chevalier, suivant sa pensée, saisit fortement d'une main l'ambassadeur d'Angleterre, plaça l'autre sur sa poitrine [11], et s'écria : “ H Par ma foi, si je deviens empereur, je serai dans trois ans à Constantinople, ou je mourrai en chemin!... » Ce n'était pas ce que voulait Henri ; mais, dissimulant, il fit dire au roi de France qu'il appuierait sa candidature; sur quoi celui-ci, étant son chapeau, s'écria : “ H Je veux voir le roi d'Angleterre, je veux le voir, vous dis-je, dussé-je aller à Londres avec un seul page et un seul les quais! »

François comprit que, contrariant l'ambition du roi, il devait flatter celle du ministre; et se rappelant l'insinuation de l'évêque d'Ély : “ H Il me semble, dit-il un jour à Boleyn, que mon frère d'Angleterre et moi, nous pourrions, nous devrions faire... quelque chose pour le cardinal ; il est préparé de Dieu pour le bien de la chrétienté,... l'un des plus grands personnages de l'Église,... et, foi de roi, s'il y consent, je le ferai ! » Après quelques moments, il continua : “ H Écrivez au cardinal, que s'il arrive quelque chose au pape actuel, je lui assurerai pour ma part quatorze cardinaux [12]! Soyons seulement d'accord, votre maître et moi, Monsieur l'ambassadeur, et, je vous le jure, il ne se fera ni pape, ni empereur en Europe sans notre per mission. »

Mais Henri n'était pas d'accord avec le roi de France. A l'instigation de Wolsey, il appuyait à la fois les trois candidatures; à Paris, il était pour François Ier, à Madrid pour Charles-Quint, et à Franc fort pour lui-même. — Les rois de France et d'Angle terre échouèrent, et le 10 août, Pace, l'envoyé de Henri VIII à Francfort, étant de retour en Angleterre et voulant consoler le roi, énuméra les sommes que Charles avait dépensées : “ H Par la messe s ! [13]» S’écria Henri, et il se félicita de n'avoir pas obtenu une couronne si chère. Wolsey proposa de chanter un Te Deum à Saint-Paul, et l'on alluma des feux de joie dans la Cité.

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Le cardinal n'avait pas tort de se réjouir. A peine Charles fut-il monté sur le trône impérial, en dépit du roi de France, que ces deux princes se jurèrent une haine éternelle, et ce fut à qui gagnerait Henri VIII. Tantôt Charles, sous prétexte de faire visite à son oncle et à sa tante, arrivait en Angle terre, tantôt François avait une entrevue avec le roi dans les environs de Calais. Le cardinal participait aux cajoleries de ces deux monarques. “ H Il est facile à un roi d'Espagne, devenu chef de l'Empire, d'élever celui qu'il veut au pontificat suprême, » lui disait le jeune empereur : et à ces mots, l'ambitieux cardinal se livrait au successeur de Maximilien. Mais bientôt François Ier le flattait à son tour, et Wolsey répondait aussi à ses avances. Le roi de France donnait à Henri des tournois et des festins d'un luxe asiatique ; et Wolsey, dont la figure portait encore l'empreinte du gracieux sourire avec lequel il avait pris congé de Charles, souriait aussi à François Ier, et chantait la messe à son honneur. Il engageait la main de la princesse Marie au dauphin de France et à Charles-Quint, laissant à l'avenir le soin de débrouiller cette affaire ; puis, fier de ses pratiques habiles, il revenait à Londres plein d'espérance.

C'était en marchant dans le mensonge qu'il prétendait arriver à la tiare; et si elle se trouvait encore trop élevée, il y avait en Angleterre certains évangéliques qui pourraient lui servir d'échelle pour l'atteindre ; le meurtre pouvait servir de complément à la fraude.

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FOOTNOTES

1] “ H Work thereby to sustain his poor life. » (Fox, Acts, IV, p. 209.)

[2] Chrysostome, Homélie XLIII, in Matth.

[3] II les appelait : Pilled knaves. (Fox, Acts, p. 209.)

[4] “ H Had turned six or seven hundred people unto those opinions. » (Fox, Acts, p.

211.)

[5] “ H Imminere Christian» religionis 7r«v«is8piàï, nisi novae transla tiones omnes subito de medio tollerentur. » (Erasmi Ep., p. 596.)

[6] “ H CœpitobsecrareChristumdignareturipsesuœsponsœopitulari.» Ibid., p. 598.)

[7] “ H Et rem in digitos porrectos rlispnrtiens. » (Erasmi Ep., p. 598

[8] “ H Scarabaeus ille qui maximo suo malo aquilam qua:sivit. » (Ef. Ep., p. 555.)

[9] “ H Consultissima tua Majestas. Vestra sublimis et longe reveren dissima Majestas, etc. » (Fiddes, d'après les Bodleian Archives, p, 178.)

[10] “ H The monarchie of ail christendom. » [Cotton library MSS. Cal, P,VII, p. 88.) 150

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle

[11] “ H He took me hard by the wrist, with one hand, and laid the other npon his breast. » [Cnttnn Kbrary MSS. Cal. D. VIII, p. 93.)

[12] “ H He willl assure you full fourteen cardinal? for him. » [Cofton MSS. Cal. D.

F., p. 98.)

[13] “ H By the masse! » [State papers, I, p. 9.) 151

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE IV

Tiens à table. — Les Écritures. — Les images. — L'ancre de la foi. —Un camp romain. — Prédications, la foi et les œuvres. — Tyndale accusé par les prêtres. —

Ils arrachent ce qu'il plante. — Il veut traduire l'Écriture. — Conversion au manoir.

— On l'attaque dans les cabarets. — Comparution devant le chancelier. — Un vieux docteur le console. — Un scolastique veut le ramener. — Retraite et travail. —Son secret s'évente. — Ses adieux au manoir

Tandis que ce prélat ambitieux ne pensait qu'à sa gloire et à celle du pontificat romain, un grand désir, mais d'une tout autre nature, germait dans le cœur de l'un des humbles évangéliques de l'Angleterre. Si Wolsey avait les yeux fixés sur le trône de la papauté pour s'y asseoir, Tyndale songeait à relever le trône de l'Église véritable, en rétablissant la souveraineté légitime de la Parole de Dieu. Le Testament grec d'Érasme avait été un premier pas, il fallait maintenant apporter aux simples ce que le roi des écoles avait donné aux savants. Cette grande pensée, qui poursuivait partout le jeune docteur d'Oxford, devait être le principe puissant de la Réforme en Angleterre.

Dans la belle vallée de la Severn, où Tyndale était né, habitait une famille noble, dont le manoir simple mais vaste, situé sur le revers de la colline de Sodbury, commandait une vue fort étendue. Sir John Walsh, seigneur du lieu, avait brillé dans les tournois de la cour, et s'était ainsi concilié la faveur de son prince. Il tenait table ouverte, et gentils hommes, doyens, abbés, archidiacres, docteurs en théologie et gras bénéficiers, charmés du bon accueil et des bons dîners de sir John, fréquentaient à l'envi sa maison. L'ancien frère d'armes de Henri VIII prenait intérêt aux questions qui se dé battaient alors dans la chrétienté. Lady Walsh elle-même, femme sage et généreuse [1], ne perdait pas un mot des conversations animées de ses commensaux, et s'efforçait discrètement de faire pencher la balance du côté de la vérité.

Tyndale, après avoir quitté Oxford et Cambridge, avait dirigé ses pas vers la vallée de ses pères. Sir John lui avait proposé d'élever ses enfants, et il avait accepté.

William, dans la force de l'âge (il avait environ trente-six ans), était bien instruit dans les Écritures, et plein du désir de faire valoir la lumière que Dieu lui avait donnée. Les occasions ne lui manquaient pas. Assis à table avec tous les docteurs auxquels sir John faisait accueil Tyndale entrait en conversation avec eux. On parlait des savants du jour, beaucoup d'Érasme, quelquefois même de ce Luther qui commençait à étonner les Anglais* [2]. On discutait plusieurs questions touchant les saintes Écritures, et divers points de théologie. Tyndale exprimait ses convictions avec une admirable clarté, les soutenait avec une grande science, et tenait tête à tous avec un indomptable courage. Ces entretiens animés de la vallée de la Severn sont l'un des traits essentiels du tableau que présente la Réformation 152

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle en Angleterre. Des historiens de l'antiquité ont inventé les discours qu'ils ont placés dans la bouche de leurs héros. De nos jours, l'histoire, sans inventer, doit faire connaître les pensées des personnages dont elle parle. Il suffit de lire les œuvres de Tyndale pour se former quelque idée de ces conversations : c'est de ses écrits que les paroles sui vantes sont tirées.

Dans la salle à manger du vieux manoir, se trouvaient autour de la table, sir John, lady Walsh, quelques gentilshommes, plusieurs abbés, doyens, moines et docteurs, avec leurs costumes et leurs babils divers. Tyndale occupait la place la plus modeste, et tenait d'ordinaire à sa portée le Nouveau Testament d'Érasme, afin de prouver ce qu'il avançait [3]. Les domestiques allaient et venaient, et la conversation, après avoir un peu divagué, prenait à la fin une direction plus précise.

Les prêtres s'impatientaient quand ils voyaient paraître le terrible volume. “ H Vos Ecritures ne font que des hérétiques! disaient-ils. — Au contraire, répondait Tyndale, la source des hérésies, c'est Yorgueil; or la Parole de Dieu dépouille l'homme de tout et le laisse aussi nu que Job [4]. — La Parole de Dieu! — nous ne comprenons pas nous, votre Parole, comment donc le peuple l'entendrait-il ? — Vous ne la comprenez pas, répliquait Tyndale, parce que vous n'y cherchez que des questions folles, comme si vous lisiez les matines de Notre-Dame ou les prophéties de Merlin*[5]. Les Écritures sont un fil conducteur qu'il faut suivre, sans se détourner, jusqu'à ce que l'on arrive à Christ [6] ; car Christ est le but. — Et moi je vous dis, reprenait un prêtre, que les Écritures sont le labyrinte de Dédale, plutôt que le fil d'Ariane, un grimoire où chacun voit ce qu'il veut voir. — Ah ! répondait Tyndale, c'est sans Jésus-Christ que vous les lisez; voilà pourquoi elles sont pour vous un livre obscur; que dis-je? Une caverne pleine de broussailles, où vous n'échappez aux ronces que «pour être déchirés par les épines [7]. — Non, répliquait un autre clerc, sans se soucier de contredire son confrère, il n'y a pour nous rien d'obscur; c'est nous qui vous donnons les Écritures, et c'est nous qui vous les expliquerons. — Vous y perdriez votre temps et votre peine, répliquait Tyndale; [8]

avez-vous qui a enseigné à l'aigle à trouver sa proie [9] ? Eh bien, ce même Dieu apprend à ses enfants affamés à trouver leur Père dans sa Parole! Loin de nous avoir donné les Écritures, c'est vous qui nous les cachez ; c'est vous qui brûlez ceux qui les prêchent, et c'est vous qui, si vous le pouviez, les brûleriez elles-mêmes ... »

Tyndale ne se contentait pas d'établir les grands principes de la foi. Il cherchait, il est vrai, toujours ce qu'il appelle lui-même “ H la douce moelle du dedans ; » mais à l'onction divine, il unissait l'esprit, et se moquait impitoyablement des superstitions de ses adversaires. — “ H Vous placez des cierges devant les images, leur disait-il Et pour quoi, puisque vous leur donnez de quoi voir, n ne leur donneriez-vous pas de quoi se nourrir? Faites-leur donc un trou dans le ventre, et mettez-y à manger et à boire [10]. Servir Dieu par de telles momeries, c'est le traiter comme un enfant tr 153

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle qu'on calme avec un hochet quand il crie, et auquel on fait un cheval avec un bâton a. »

Mais bientôt l'helléniste revenait à des idées plus graves, et quand ses adversaires exaltaient la papauté comme la puissance qui, au jour de l'orage, sauverait l'Église, il répondait : “ H Attachons seulement au navire l'ancre de la foi, après l'avoir plongée dans le sang de Jésus-Christ [11], et quand la tempête éclatera, jetons hardiment l'ancre à la c mer; alors, soyez-en sûrs, le navire demeurera ferme sur les grandes eaux. » Enfin, si ses adversaires rejetaient quelque doctrine de la vérité, Tyndale, nous dit le chroniqueur, ouvrant son Testament, montrait du doigt le verset qui réfutait l'erreur romaine, et s'écriait : «Voyez et lisez*! [12] »

Les origines de la Réformation en Angleterre ne se trouvent donc pas, on le voit, dans un matérialisme ecclésiastique, que l'on décore du nom de catholicisme anglais ; elles sont essentiellement spirituelles. Le Verbe divin, créateur de la vie nouvelle dans l'individu, est aussi fondateur et réformateur de l'Église. C'est à l'évangélisme que les Églises réformées appartiennent, et spécialement celles de la Grande-Bretagne.

La contemplation des œuvres de Dieu délassait Tyndale des luttes qu'il soutenait à la table de son patron. Il parcourait souvent la gracieuse colline de Sodbury, et parvenu près de quelques décombres, restes d'un vieux camp romain qui la couronnent, il s'y reposait solitairement sur quelque pierre. C'était là que s'était arrêtée la reine Marguerite d'Anjou, puis Edouard IV, qui la poursuivait, avant la fameuse bataille de Tewkesbury, qui fit tomber cette princesse dans les mains de la Rose blanche. Tyndale, au milieu de ces décombres, monuments de l'invasion romaine et des luttes intestines de l'Angleterre, rêvait à d'autres batailles qui devaient rendre à la chrétienté la liberté et la vérité. Puis il se levait, descendait la colline, et se mettait à l'œuvre avec courage.

Derrière le manoir était une petite église, dédiée à sainte Adeline, dont deux ifs ombrageaient l'entrée. Le dimanche, Tyndale montait en chaire; sir John, lady Walsh et l'aîné de leurs enfants occupaient le banc seigneurial. Leurs gens et tenanciers remplissaient cet humble sanctuaire, écoutant avec recueillement la parole du précepteur, qui sortait de ses lèvres comme les eaux de Siloé qui cou lent doucement. Plein de vivacité dans la discussion, Tyndale exposait les Écritures avec tant d'onction, dit une chronique, “ H que ses auditeurs croyaient entendre saint Jean lui-même. » S'il rappelait Jean par la douceur de sa parole, il rappelait Paul par la force de sa doctrine. “ H Selon le pape, disait-il, il faut d'abord que nous soyons bons envers Dieu, et qu'ainsi nous l'obligions à être bon envers nous. Non, c'est la bonté de Dieu qui est la source de la nôtre. L'antéchrist tourne l'arbre du salut sens dessus dessous [13] ; il met en bas les branches, et en haut les racines ; il 154

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle faut le redresser. Comme le mari épouse sa femme avant qu'il ait eu d'elle des enfants, la foi aussi nous justifie avant que nous ayons produit des bonnes œuvres.

Mais ni l'une ni l'antre ne doivent demeurer stériles. La foi est le flambeau de la vie; sans elle vous vous égarerez dans la sombre vallée delà mort, y est-il autour de votre lit mille cierges allumés [14]. » Les prêtres, indignés de ces discours, résolurent de perdre Tyndale, et quelques-uns d'entre eux invitèrent sir John et sa femme à un banquet, du quel ils écartèrent maître William, Pendant le festin, on déblatéra contre le jeune docteur et son Nouveau Testament, en sorte que le seigneur de Sodbury et sa femme se retirèrent fort ennuyés de ce que leur précepteur se faisait tant d'ennemis. Ils lui répétèrent ce que l'on avait dit, et Tyndale réfuta victorieusement les raisonnements de ses adversaires. “ H Quoi! dit lady Walsh, encore troublée par les discours des prêtres, il y a tel de ces docteurs qui a cent livres sterling à dépenser* [15], tel autre deux cents, un troisième trois cents,... et a c'est vous, maître William, vous, que nous devrions croire !... » Alors le précepteur, ouvrant son Nouveau Testament, répondait : “ H Non ce n'est pas moi!

les prêtres vous ont affirmé cela; mais, voyez! saint Paul, saint Pierre, le Seigneur lui-même, disent tout le contraire *[16]. » La Parole de Dieu était là, positive et souveraine; le glaive de l'Esprit tranchait la difficulté.

Bientôt le manoir et Sainte-Adeline furent trop étroits pour le zèle de Tyndale. Il prêchait chaque dimanche tantôt dans un village, et tantôt dans une ville. Les habitants de Bristol s'assemblaient pour l'entendre dans le grand préau appelé sanctuaire de Saint-Augustin [17]. Mais à peine avait-il prêché en un lieu, que les prêtres s'y précipitaient, arrachaient ce qu'il avait planté*[18], l'appelaient un hérétique, et menaçaient ceux qui l'écoutaient de se voir chassés de l'Église. Quand Tyndale revenait, il trouvait le champ ravagé par l'adversaire ; et le contemplant tristement, comme le laboureur qui voit ses épis brisés par la grêle, et ses riches sillons changés en stériles ravins, il s'écriait : tr Que faire? Tandis que je sème en un lieu, l'ennemi ravage le champ que je viens de quitter. Je ne puis être partout.

Oh! Si les chrétiens avaient en leur langue la sainte Écriture, ils pourraient eux-mêmes résister aux sophistes. Sans la Bible, il est impossible d'affermir les laïques dans la vérité [19]. »

Alors une grande pensée s'éleva dans le cœur de Tyndale. “ H C'est dans la langue même d'Israël, dit-il, que les psaumes retentissaient au temple de Jéhovah ; et l'Évangile ne parlerait pas parmi nous la langue de l'Angleterre?... L'Église aurait-elle moins de lumière en plein midi qu'à l'heure du crépuscule?... Il faut que les chrétiens lisent le Nouveau Testament dans la langue de leur mère. » lyndale vit dans cette pensée une pensée de Dieu. Le nouveau soleil ferait découvrir un monde nouveau, et la norme infaillible ferait succéder à toutes les diversités humaines une divine unité. Vous suivez, disait Tyndale, vous, Duns Scot, vous, Thomas d'Aquin ; vous, Bonaventure, Alexandre de Haies, Raymond de Penafort, Lyra, Gorram, 155

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Hugues de Saint-Victor, et tant d'autres encore... Or, chacun de ces auteurs contredit l'autre ! . . . Comment donc discerner celui qui dit faux de ce lui qui dit vrai?... Comment?... par la Parole de Dieu Tyndale n'hésite plus... Tandis que Wol sey se propose de conquérir la tiare des pontifes, l'humble précepteur de Sodbury entreprend de placer au milieu de son peuple le flambeau du ciel. La traduction de la Bible sera l'œuvre de sa vie. Le premier triomphe de la Parole fut une révolution dans le manoir ; sir John et lady Walsh en goûtant l'Évangile se dégoûtèrent des prêtres. Les membres du clergé n'étaient plus invités si souvent à Sodbury et n'y trouvaient plus le même accueil [20]*. Bientôt ils cessèrent leurs visites, et ne pensèrent qu'à chasser Tyndale du château et du diocèse. Ne voulant pas se compromettre dans cette guerre, ils se firent précéder des troupes légères que l'Eglise tient à sa disposition. Des moines mendiants et des desservants qui comprenaient à peine leur missel, et dont les plus érudits faisaient de l'Albertus de secretis mulierum leur lecture habituelle, se jetèrent sur Tyndale comme une meute de chiens affamés. Ils accouraient au cabaret [21], ils se faisaient donner un pot de bière, l'un se mettait à une table, l'autre à une autre; ils versaient à boire aux paysans, puis ils engageaient avec eux une conversation, à la suite de laquelle retentissaient mille imprécations contre l'audacieux réformateur. “ H C'est un hypocrite, di sait l'un, un hérétique, » disait l'autre. Le plus habile prenant pour chaire un escabeau, et pour temple la taverne, faisait pour la première fois un discours improvisé. Il racontait des paroles que Tyndale n'avait point dites, et des actions qu'il n'avait point faites* [22]. Se ruant sur le pauvre précepteur, dit-il lui-même, comme d'impurs pourceaux, qui se livrent à leurs grossiers appétits [23], ces prêtres déchiraient à l'envi sa réputation, se partageaient ses dé pouilles, et l'auditoire, excité par les calomnies et échauffé par les pots de bière, sortait plein de haine et de colère contre l'hérétique de Sodbury.

Après les moines vinrent les dignitaires. Les doyens et les abbés, anciens commensaux de sir John, dénoncèrent Tyndale à la chancellerie du diocèse* [24], et la tempête qui avait commencé dans le cabaret, vint éclater dans le palais épiscopal.

Le fameux Jules de Médicis, homme instruit, grand politique et prêtre fort rusé, qui, sans être pape, gouvernait déjà la papauté [25], était évêque titulaire de Worcester, apanage des prélats italiens. Wolsey, qui administrait le diocèse pour son collègue absent, avait élu chancelier Thomas Parker, docteur dévoué à l'Église romaine. Ce fut à lui que les clercs s'adressèrent. Une poursuite juridique avait ses difficultés ; le compagnon d'armes du roi était patron du prétendu hérétique, et sir Antoine Poyntz, frère de lady Walsh, était shérif du comté. Le chancelier se contenta donc de convoquer une conférence générale du clergé. Tyndale partit, mais prévoyant ce qui l'attendait, il demanda à Dieu, en remontant le cours de la Severn, de le maintenir ferme dans la confession de la vérité [26]

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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle A peine fut- on réunit, que les abbés, doyens et autres ecclésiastiques du diocèse, la tête haute et le regard menaçant, entourèrent la figure modeste, mais ferme de Tyndale. Son tour étant arrivé, il s'avança et le chancelier lui adressa une sévère réprimande; il répondit avec calme. Alors la chance lier s'anima, articula les accusations les plus étranges, et traita Tyndale comme un chien [27] “ H Où sont vos témoins? demanda celui-ci; que mes accusateurs s'avancent et je leur répondrai !

» Nul n'osa soutenir la plainte ; on détournait la tête ; le chancelier attendait; il lui fallait au moins un témoignage, et il ne pouvait l'obtenir Alors, irrité de ce que les prêtres l'abandonnaient, le représentant de Médicis redevint plus équitable et laissa tomber l'accusation. Le précepteur reprit tranquillement le chemin de Sodbury, bénissant Dieu qui l'avait sauvé des cruelles mains de ses adversaires [28]*, et ne ressentant pour eux qu'une tendre charité. “ H Prenez mes biens, leur disait-il un jour, enlevez-moi ma bonne renommée ! tant que le Christ habitera en moi, je vous aimerai [29] » C'était bien là le saint Jean auquel on avait comparé Tyndale.

Cependant cette rude guerre ne laissait pas de lui porter quelques coups; et où trouver la consolation? Fryth, Bilney étaient loin de lui. Tyndale se rappela un vieux docteur qui vivait près de Sodbury et qui lui avait montré beaucoup d'affection ; il alla le voir et lui ouvrit son cœur [30]. Le vieux docteur le regarda quelque temps comme s'il hésitait à lui dévoiler un mystère. “ H Ne savez-vous pas, lui dit-il en baissant la voix, que le pape est V Antéchrist dont parle l'Écriture...

Mais prenez garde... silence !... Cette science-là pourrait vous coûter la vie [31]. »

Cette doctrine de l'antéchrist que Luther exprimait alors avec hardiesse, frappa Tyndale. Fortifié par elle comme le réformateur saxon, il sentit en son cœur une nouvelle énergie, et le vieux docteur fut pour lui ce qu'avait été pour Luther le vieux moine. Les prêtres, voyant leur complot déjoué, chargèrent un théologien célèbre d'entreprendre sa conversion. Le réformateur répondit aux arguments du scolastique, avec son Testament grec. Le théologien demeura interdit ; puis il s'écria : “ H Eh bien ! plutôt me passer de la loi de Dieu que de la loi du pape [32]1.»

Tyndale ne s'attendait pas à un aveu d’un si choquant naïveté ! “ H Et moi répond-il, je brave le pape et toutes ses lois! » Puis ne pouvant retenir son secret : “ H Si Dieu me conserve la vie, ajouta-t-il, je veux que dans peu d'années un valet de ferme qui conduit sa charrue connaisse l'Écriture mieux que moi*. [33] »

Il ne pensa plus qu'à réaliser ce dessein, et voulant éviter des conversations qui pouvaient compromettre son entreprise, il passa dès lors la plus grande partie de son temps dans la bibliothèque du manoir [34]. Il priait, il lisait, il commençait sa traduction de la Bible, et selon toute probabilité il en communiquait quelques fragments à sir John et à lady Walsh.

Toutes ces précautions furent inutiles; le théologien scolastique l'avait trahi, et les prêtres avaient juré de l'arrêter dans sa traduction de la Bible. Un jour, une bande de moines et de desservants l'ayant rencontré, vociféra contre lui de grossières 157

Histoire de la Reformation du Seizième Siècle injures. A C'est la faveur des gentilshommes du comté qui te a rend si fier, lui dirent-ils ; mais en dépit de tes patrons, on parlera de toi sous peu, et d'une «belle manière!... Tu n'habiteras pas toujours un château! — Reléguez-moi, répondit Tyndale dans le coin le plus obscur de l'Angleterre ; pourvu que vous me permettiez d'y instruire les enfants, d'y prêcher l'Évangile, et que vous me donniez dix livres sterling pour mon entretien [35]... je suis a content ! » Les prêtres le quittèrent, mais pour lui préparer un autre sort.

Tyndale ne se fit plus d'illusions. Il vit qu'il allait être cité, condamné, interrompu dans son grand travail. Il lui faut une retraite où il puisse en paix s'acquitter de la tâche que Dieu lui a donnée. «Vous ne pouvez me sauver des mains des prêtres, dit-il à sir John, et Dieu sait à quoi vous vous expo seriez en me gardant dans votre famille. Permettez < donc que je vous quitte. » Ayant dit, il recueillit ses papiers, prit son Testament, serra la main de ses bienfaiteurs, embrassa les enfants et descendant le couleau, dit adieu aux bords riants de la Severn et s'en alla seul avec sa foi. Que fera-t-il ? Que deviendra-t-il? Où ira-t-il? Il s'avance comme Abraham ; une seule chose le préoccupe : l'Écriture sera traduite en langue vulgaire, et il déposera au milieu de son peuple les oracles de Dieu.

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FOOTNOTES

[1] “ H Lady Walsh a stout and wise woman, » (Foi, Acts, V, p. 105.)

[2] “ H Who were together with master Tyndale sitting at the same table. » (Fox, Acts, V, p. 105.)

[3] “ H Talk of learned men, as of Luther and Erasmus. » (Ibid.)“ H When they, at any time, did vary from Tyndale in opinions and judpement, he wou'd show thèm in the book. » [Ihid., p. 115.)

[4] “ H Maketh them as bare as Job. » (Tynd. W., II, p. 389.)

[5] “ H Our Lady's matins, or as it were Merlin's propheties. » (Ibid.) »

[6] “ H Go along by the Scripture as by a line until thou come at Christ. » (Ibid., I, p.

354.)

[7] “ H A grove of briars, if thou loose thyself in one place, thou art caught in another. » (Ibid., II, p. 230.)