[8] “ H Who taught the eagles to spy out their prey?» (Tynd. W., IIp. 50.)
[9] “ H Make an hollow belly in the image. » (Ibid., p. 85.)
[10] “ H Make hira an horse of a stick. » (Ibid., p. 475.) 158
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle
[11] Tynd. W., VL, p. 245.
[12] “ H And lay plainly before them the open and manifest places of the Scriptures, to confute their era>rs and confirm his sayings. » (Fox, Âcts, V, p. 115.)
[13] “ H Antichrist turneth the roots of the tree upward. » (Tynd. W., \, p. 330.)
[14] “ H Though thou hadst a thousand holy candies about thee. » (Tynd., W.,\, p.
86.)
[15] “ H Well, there was such a doctor who may dispend a hundred pounds. » (Fox, Acts, I, p. 118.)
[16] “ H Answering by the Scriptures maintained the truth. » (/Aid.) v 15
[17] “ H In the town of Bristol, in the common place called St-Austin's Green. »
(Fox, Acts, V, p. 117.)
[18] “ H Whatsoever truth is taught them, Ihese enemies of ail truth quenchit again.
» (Tynd., I, p. 3.)
[19] “ H Impossible to establish the lay people in any truth except the Scripture were plainly laid before their eyes in their mother tongue. » (/turf.)
[20] “ H Neither had they the cheer and contenance when they came, as before they had. » (Foi, Acts, V, p. 110.)
[21] “ H Come together to the aie house, wich is their preaching place. » Tynd., Works, I, p. 3.)
[22] “ H They add too of their own heads which I never spake. » (Tynd., W.l,9.9.)
[23] “ H Unclean swine that follow carnal lusts. » (Ibid., II, p. 238.)
[24] “ H Accused me secretly to the chancellor. » (Ibid., I, p. 3.)
[25] “ H Governava il papato e havia più zente a la sua audienzia che il papa. »
[Relatione di Marco Foscari, 1526.)
[26] “ H He by the way, cried in his mind heartily God, to give him strength fast to stand in the truth of his word. » (Fox, Âcts, V, p. 116.)
[27] “ H He threatened me grievously, and reviled me and rated me as though 1 had been a dog. » (Tynd., W., \, p. 4.)
[28] “ H And laid to my charge whereof there would be none accuser brought forth. »
(Tynd., W. I, p. 4.)
[29] “ H Escaping out of their hands. » (Fox, Acts, V, p. 116.) » Tynd., Works, I, p.
333.
159
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle
[30] “ H For to him he durst be bold to disclose lus heart. » (Fox, Acts, V, p. 117.)
[31] “ H Do you not know that the pope is very Antechrist?... It will cost you your life. » (Ibid.)
[32] “ H We were belter to be without God's laws, than the Pope's. » (Fox, Arts, V, p.
117.)
[33]“ H Cause a boy that driveth the plough to know more of the Scrip ture than he did. » (Ibid.)
[34] Cette partie de la maison subsistait encore en 1839; elle a été dès lors abattue.
(Anderson, Bible Annals, I, p. 37.) On ne peut que se joindre au vœu exprimé dans ce livre, savoir que le reste de l'édifice, habité maintenant par un fermier, soit précieusement conservé.
[35] “ H Binding him to no more but to teach children and to preach. »
(Fox^c<î,V,p.H7.)
160
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE V
Les écrits de Luther en Angleterre. — Consultation des évêques. — Publication de la bulle de Léon X. — Les livres de Luther brûlés. — Lettre d’Henri VIII. — Il entreprend d'écrire contre Luther. — Cri d'alarme. — Tradition et sacramentalisme.
— Prudence de Th. More. — Le livre remis au pape. — Le défenseur de la foi. —
Joie d’Henri.
Pendant qu'un simple ministre commençait la réformation dans une tranquille vallée de l'ouest de l'Angleterre, de puissants renforts lui arrivaient sur les bords du Kent. Les écrits et les actes de Luther faisaient une vive sensation dans la Grande-Bretagne. On racontait sa comparution devant la diète do Worms. Des navires arrivant des ports des Pays-Bas apportaient ses livres à Londres [1], et les imprimeurs de l'Allemagne avaient répondu au nonce Alexandre qui poursuivait dans l'Empire les ouvrages luthériens : “ H Eh bien ! nous les enverrons en Angleterre! »
On eût dit que l'Angleterre dût être le refuge de la vérité. En effet, les thèses de 4517, l'Explication de l'Oraison dominicale, les livres contre Emser, contre la papauté de Rome, contre la bulle de l'Antéchrist, l'Epître aux Galates, l'Appel à la noblesse allemande, et surtout la Captivité babylonienne de l'Église passaient la mer, étaient traduits et se répandaient dans le royaume'[2]. La nation allemande et la nation an glaise ayant une commune origine et se trouvant assez rapprochées alors de culture et de caractère, les écrits faits pour l'une pouvaient être lus par l'autre avec utilité. Le moine dans sa cellule, le gentilhomme dans son manoir, le docteur dans son collège, le marchand dans sa boutique, et l'évêque même dans son palais, étudiaient ces étranges écrits. Les laïques surtout, préparés par Wiclef et aigris par l'avarice et les désordres des prêtres, lisaient avec enthousiasme les pages élégantes du moine saxon. Elles fortifiaient tous les cœurs.
En présence de ces efforts, la papauté ne resta pas inactive. Les temps de Grégoire VII et d'Innocent III n'étaient plus, il est vrai. A l'énergie et à l'activité avaient succédé dans le pontificat romain la faiblesse et l'inertie. Le pouvoir spirituel avait cédé la domination de l'Europe aux puissances séculières, et c'était à peine si la foi à la papauté se trouvait dans la papauté elle-même. Cependant un Allemand (le docteur Eck), en remuant le ciel et la terre, avait arraché une bulle au profane Léon X1, et cette bulle arrivait alors en Angleterre. Le pape lui-même l'envoyait à Henri, en lui demandant d'extirper l'hérésie luthérienne* [3]. Le roi la remit à Wolsey; et celui-ci la transmit aux évêques, qui après avoir lu les livres de l'hérétique, se réunirent pour en discuter [4]. Il se trouva à Londres plus de foi romaine qu'au Vatican. “ H Le moine imposteur, s'é cria Wolsey, attaque la soumission au clergé, cette source de toutes les vertus. » Les prélats humanistes étaient les plus irrités; la route qu'ils avaient prise aboutissait à un abîme, et ils reculaient épouvantés.
161
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Tonstall, ami d'Érasme plus tard évêque de Londres, qui revenait d'une ambassade en Allemagne, où on lui avait peint Luther sous les couleurs les plus noires, élevait surtout la voix. “ H Ce moine, s'écria- il en parlant de Luther, est un «protée... je veux dire un athée. Si vous laissez grandir les hérésies qu'il sème à pleines mains, elles étoufferont la foi et l'Église périra [5]. Nous n'avions pas assez des troupes wicléfites ; voici venir de nouvelles légions ! . . . Luther demande aujourd'hui qu'on abolisse la messe ; demain il demandera qu'on abolisse Jésus-Christ [6] il rejette tout, et ne met rien à sa place. Quoi ! si des Barbares butinent nos frontières, il faut les poursuivre. . . Et nous supporterions les hérétiques qui butinent nos autels!...
Non... par les peines mortelles que Christ a en durées, je vous en supplie... que dis-je? L’Église entière vous conjure de combattre cette hydre dévorante... de poursuivre ce cerbère, de faire taire ses sinistres aboiements et de le contraindre à rentrer honteusement dans son antre [7]. » Ainsi parla l'éloquent Tonstall. Wolsey ne restait pas en arrière. La seule affection un peu respectable qui se trouvât dans cet homme était celle qu'il portait à l'Église; on peut l'appeler respectable, parce que c'était la seule qui ne se rapportât pas exclusivement à lui-même. Le 14 mai 1521, ce pape de l'Angle terre rendit, à l'imitation du pape d'Italie, sa bulle contre Luther.
On la publia un dimanche (ce fut probablement l'un des premiers de juin), dans toutes les églises, à l'heure de la grand'messe, en présence d'une foule considérable
[8]. Un prêtre s'écriait : “ H Savoir faisons que pour tout écrit de Martin Luther, qui se trouvera chez vous ou chez les vôtres, quinze «jours après cette injonction, vous encourrez la grande excommunication. » Puis un notaire te nant en main la bulle du pape avec le tableau des opinions perverses de Luther, se dirigeait vers la grande porte de l'église et y clouait cette pancarte* [9].
Le peuple s'assemblait; le plus savant lisait; les autres écoutaient, et voici quelques-unes des sentences qui retentissaient alors, par ordre du pape, dans les parvis des églises cathédrales, claustrales, collégiales et paroissiales de tous les comtés de l'Angleterre [10]
Nul homme n'a le pardon de ses péchés, fût-il même absous par le prêtre, s'il ne croit pas que ses péchés lui sont réellement remis. L'absolution ne suffit pas; il est nécessaire de croire ; si par quelque impossibilité le pénitent ne s'est pas confessé, il suffit qu'il croie à la rémission de ses péchés; pour qu'il la possède. L'évêque et même le pape n'ont pas plus de pouvoir que le moindre prêtre pour remettre les péchés ; et même, s'il ne se trouve pas de prêtre, tout chrétien peut remplir cet office, — fût-ce une femme ou un enfant.
Le pape, successeur de saint Pierre, n'est point le vicaire de Christ.
Il n'est nullement au pouvoir de l'Église et du pape, de décréter des articles de foi ou des ordonnances de mœurs. »
162
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Le cardinal légat, accompagné du nonce, de l'ambassadeur de Charles-Quint et d'un grand nombre de prélats, se rendit à Saint-Paul avec pompe, l'évêque de Rochester y prêcha, et Wolsey brûla les livres de Luther. [11] Mais à peine étaient-ils en cendres, que l'on vit pleuvoir de toutes parts les plaisanteries et les sarcasmes. “ H
Le feu, disait l'un, n'est pas un argument théologique. — Les papistes, disait un autre, qui accusent Martin Luther do faire périr les chrétiens, ressemblent à cet habile fripon qui, sur le point d'être pris, se mit à crier : Arrêtez le voleur [12]... —
L'évêque de Rochester, disait un troisième, conclut de ce que Martin Luther a jeté dans les flammes les décrétales du pape, qu'il y jetterait le pape lui-même...
Ce syllogisme m'en fournit un autre plus solide, je pense : Les papes ont brûlé le Testament de Christ; donc, s'ils le pouvaient, ils brûleraient Christ lui-même*[13]. »
Partout on répétait ces railleries. Ce n'était pas assez que les écrits de Luther fussent en Angleterre, il fallait qu'on le sût; les prêtres se chargeaient de l'annonce.
La Réformation était en marche, et Rome elle-même poussait au char.
Le cardinal comprit qu'il fallait autre chose que ces autodafés de feuilles de papier, et l'activité qu'il déploya nous met sur la voie de ce qu'il aurait fait en Europe, s’il n’était jamais parvenu au trône des pontifes. L'esprit de Satan, dit le fanatique Sanders lui-même, ne lui laissait pas de repos. [14] » Il faut, pensa Wolsey, quelque action qui sorte de page. Les rois ont été jusqu'à présent les ennemis des papes; c'est un roi qui prendra leur défense ! Les princes ne se sont guère souciés des lettres; c'est un prince qui publiera un livre!.... “ H Sire, dit-il au roi, pour mettre Henri en verve, vous devriez écrire aux princes de l'Allemagne, à l'occasion de l'hérésie. »
Le roi le fit. “ H L'incendie allumé par Luther et attisé par le diable porte partout ses flammes dévorantes, écrivit le roi d'Angleterre à l'archiduc palatin ; si Luther ne se repent pas, livrez-le aux flammes avec ses écrits. Je vous offre ma coopé ration royale, et, s'il le faut, ma vie* [15]. » Ce fut la première fois que Henri manifesta cette soif cruelle qu'il devait étancher un jour dans le sang de ses femmes et de ses amis.
Ce premier pas fait par le roi, il ne fut pas difficile à Wolsey de lui en faire faire un nouveau. Défendre l'honneur de Thomas d'Aquin, se poser comme champion de l'Église, obtenir du pape un titre qui valût celui du “ H roi très chrétien, » c'étaient plus de motifs qu'il n'en fallait pour porter Tudor à rompre une lance avec Luther.
“ H Je combattrai avec la plume ce Cerbère sorti des profondeurs de l’enfer [16], dit-il, et s'il refuse de se rétracter, le feu consumera les hérésies et l'hérétique lui-même ...*[17] »
Aussitôt le roi s'enferma dans son cabinet. Tous les goûts scolastiques qu'on lui avait inspirés dans sa première jeunesse s'étaient ranimés ; il travaillait comme s'il était archevêque de Cantorbéry, et non pas roi d'Angleterre; il lisait, avec la permission du pape, les écrits de Luther; il compulsait Thomas d'Aquin; il forgeait 163
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle péniblement les traits dont il prétendait atteindre l'hérétique; il appelait quelques savants à son aide, puis enfin il publiait son livre. Sa première parole était un cri d'alarme. “ H Prenez garde aux traces de ce serpent, disait-il aux chrétiens; marchez sur la pointe du pied; ayez peur des buissons et des cavernes où il se cache, et d'où il vous lancera son poison. S'il vous lèche, à attention ! Couleuvre habile, il ne vous caresse que pour vous mordre [18] ! Après cela, Henri sonnait la charge : “ H
Courage! disait-il, pleins de la même valeur avec laquelle vous marcheriez contre les n Turcs, les Sarrasins et les autres infidèles, marchez maintenant contre ce petit moine, faible d'apparence, mais qui, par l'esprit qui l'anime, est plus redoutable que tous les infidèles, tous les Sarrasins et tous les Turcs* [19]. » Ainsi Henri VIII, Le Pierre l'Hermite du seizième siècle, publiait pour sauver la papauté une croisade contre Luther. Il avait bien choisi le terrain sur lequel il présentait la bataille; le sacramentalisme et la tradition sont en effet les deux caractères essentiels de la religion du pape, comme la foi vivante et l'Écriture sont ceux de la religion de l'Évangile. Henri rendit service à la Réformation en signalant les principes qu'elle devait surtout combattre ; et en fournissant à Luther l'occasion d'établir l'autorité de la Bible, il lui fit faire dans la voie réformatrice, un pas d'une grande importance.
“ H Si un enseignement est opposé à l'Écriture, dit alors le réformateur, il faut, quelle qu'en soit l'origine, traditions, coutumes, rois, thomistes, sophistes, Satan ou même un ange du ciel, il faut que ceux dont il émane soient maudits ! Il n'y a rien qui puisse subsister contre l'Ecriture, et tout doit exister pour elle ! »
L'ouvrage de Henri étant terminé, avec l'aide de l'évêque de Rochester, le roi le communiqua à Thomas More, qui lui demanda de se prononcer d'une manière moins précise en faveur de la suprématie du pape : “ H Je n'y changerai pas un mot, »
répondit ce prince, plein d'un dévouement servile à la papauté. D'ailleurs, j'ai mes raisons, » ajouta-t-il, et il les dit tout bas à More.
Le docteur Clarke, ambassadeur d'Angleterre à Rome, fut chargé de remettre au pape un exemplaire de l'ouvrage du roi, magnifiquement relié. La gloire de l'Angleterre, lui dit-il, c'est d'être au premier rang parmi les peuples quant à la soumission à la papauté. » Heureusement, la Bretagne devait bientôt connaître une gloire d'un genre fort opposé. L'ambassadeur ajouta que son maître, après avoir réfuté les erreurs de Luther avec la plume, était prêt à combattre ses adhérents avec le glaive [20]. Le pape touché de cette offre lui donna son pied, puis sa joue à baiser, et lui dit : “ H Je ferai pour le livre de votre maître, autant que l'Église a fait pour les œuvres de saint Jérôme et de saint Augustin. »
La papauté, alors affaiblie, n'avait ni le pouvoir de l'intelligence, ni même celui du fanatisme. Elle gardait encore, il est vrai, ses prétentions et son éclat, mais elle ressemblait à ces cadavres des princes de la terre, que l'on revêt, sur leur lit de parade, de leurs robes les plus magnifiques ; splendeur pardessus, mort et 164
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle pourriture par-dessous. Les foudres d'un Hildebrand n'ayant plus d'effet, Rome acceptait avec reconnaissance la parole laïque des Henri VIII et des Thomas More, sans dédaigner toutefois leurs sentences judiciaires et leurs échafauds. “ H Il faut, dit le pape à ses cardinaux, honorer les nobles athlètes qui se montrent prêts à couper avec l'épée les membres pourris de Jésus-Christ [21]. Quel titre donner au vertueux roi d'Angleterre? » Protecteur de l'Église romaine, disait l'un, Roi apostolique, disait l'autre; enfin, mais non sans quelque opposition, Henri VIII fut proclamé Défenseur de la foi. En même temps le pape promit aux lecteurs de l'écrit royal, dix années d'indulgence ; c'était une réclame à la mode du moyen âge, et qui ne manqua pas son effet. Par tout le clergé comparait son auteur à Salomon, le plus sage des rois, et le livre, imprimé à plusieurs milliers d'exemplaires, remplit le monde chrétien d'admiration et d'allégresse, dit Cocblée. Rien n'égala la joie d’Henri. “ H Sa Majesté, dit le vicaire de Croydon, n'échangerait pas ce nom-là contre Londres tout entier et vingt milles à la ronde » Le fou du roi, entrant chez son maître au moment où celui-ci venait de recevoir la bulle, lui demanda la cause de ses .transports. “ H Le pape, lui dit le prince, vient de me nommer Défenseur de la foi [22] — Oh ! oh !... bon Henri, répliqua le fou, toi et moi, défendons-nous l'un l'autre; mais, — crois-moi, — laissons la foi se défendre toute seule*.[23] »
— Tout un système moderne se trouvait dans cette parole. Au milieu de l'étourdissement général, le fou seul montra quelque raison. Mais Henri n'écoutait rien. Assis sur un trône élevé, le cardinal à sa droite, il fit lire publiquement la lettre du pape ; les trompettes sonnèrent; Wolsey dit la messe; le roi et la cour s'assirent à une table somptueuse, et les hérauts d'armes s'écrièrent : Henricus, Dei gratia Recc Ângliœ et Franciœ, Defensor Fidei et Dominus Hi berniez ! . . .
Ainsi le roi d'Angleterre était plus que jamais inféodé au pape; quiconque apportera dans son royaume la sainte Écriture, y rencontrera ce glaive de fer, ferreum et materialem gladium, qui charmait tant la papauté.
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FOOTNOTES
[1] Burnet, Hist. ofthc Reformation, 1. ï, p. 30.
[2]“ H Libros Luiheranos quorum magnus jam numerus pervenerat in manus Anglorum. » (Polyd. Yirg., p. 664.)
[3] “ H Ab hoc regno extirpandum et abolendum. » (Cardinal Ebor, Commissio.
Strype, M. I, p. 22.)
[4] “ H Habitoque super hao re diligent! tractatu, » (Ibid.)
[5] “ H Tota ruet Ecclesia. » (Eraami Ep., p. 1159.) 165
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle
[6] “ H Nisi de abolendo Christo soribere destinavit. » (Ibid., p. 1160.)
[7] “ H Gladio Spiritus abaotura in antrum suum coges. » (Ibid.)
[8] “ H Cum major convenerit multitudo. » (Erasmi Ep., p. 1160.)
[9] “ H In val-vis, seu locis publicis ecclesiae vestrae. » (Ibid., p. 24.)
[10] Voir Sirype, M. I, p. 57, ou Luther, Op., XVII, p. 306. La traduc tion anglaise n'est pas toujours très exacte ; néanmoins comme elle exprime le sens donné en Angleterre à ces propositions, nous l'avons suivie.
[11] 1 Histoire de la Réformation, t. III,
[12] n, ch. 10.
[13] “ H They would have burnt Christ himself. » (Tynd., Works, 1, 255.)
[14] “ H Satanae spiritu actus. » (De Schism. angl.,p. 8.)
[15] Kapp's Urkunden, II, p. 458.
[16] Velut Cerberum ex inferis producit in lucem. » [Regis ad lectorem Epist., p. 94.)
[17] “ H Ut errores ejus, eumque ipsum ignis exurat. » (Ibid., p. 95.)
[18] “ H Qui tantum ideo lambit ut mordeat. » [Assertio sept. sacram.,p.U.}
[19] “ H Sed anitno Turcis omnibus Sarracenis, omnibus usquam infldeli bus nocentiorem fraterculum. » (Ibid., p. 147.)
[20] “ H Totiusregni sui-viribus etarmis.» (Rymeri Fœdera, VI, p. 199.)
[21] “ H Putida membra... ferro et materiali gladio abscindere. » (Ibid.)
[22] Fox, Acts, \Y, p. 596.
[23] “ H And let the faith alone to defend itself. » (Fuller,Vth.B.;p. 165.) 166
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE VI
Machinations de Wolsey pour parvenir à la papauté. — Il gagne Charles-Quint. —
Alliance entre le roi d'Angleterre et l'Empereur. —Wolsey brigue la place de général en chef. — Traité de Bruges. —Henri se croit roi de France. — Victoires de François ter. — Mort de Léon X.
Pour arrêter plus sûrement les progrès de l'Évangile, il ne manquait plus que l'avènement de Wolsey au pouvoir pontifical. Brûlant du désir de parvenir “ H au faîte de l'unité sacerdotale, » dit Sanders [1], il forma pour atteindre ce but l'un des projets les plus perfides que l'ambition ait enfantés. La fin, pensait-il comme d'autres, justifie les moyens. »
Le cardinal ne pouvait tenir la papauté que de l'Empereur ou du roi de France ; car alors comme maintenant, c'étaient les puissances du siècle qui faisaient élire le chef de la catholicité. Ayant soigneusement pesé l'influence de ces deux princes, Wolsey reconnut que la balance penchait du côté de Charles, et son parti fut pris. D'anciens et intimes rapports l'unissaient à François Ier; n'importe, il fallait le trahir pour gagner son rival.
L'affaire n'était pas facile. Henri était mécontent de Charles-Quint*[2]. Wolsey fut donc obligé de mettre dans ses manœuvres tous les raffinements imaginables. Il envoya d'abord sir Richard Wingfeld à l'Empereur; puis il écrivit au nom d’Henri une lettre flatteuse à la gouvernante des Pays-Bas. La difficulté était de la faire signer au roi. “ H Veuillez y mettre votre nom, lui dit Wolsey, dit-il en coûter quelque chose à Votre Altesse!... Vous le savez... les femmes aiment que l'on se donne do la peine pour leur plaire [3]. » Cet argument en traîna le roi qui avait encore l'esprit galant. Enfin, Wolsey s'étant fait nommer médiateur entre Charles et François, résolut de se rendre à Calais, en apparence pour entendre les plaintes de ces deux princes, mais en réalité, pour trahir l'un d'eux. Wolsey se plaisait à de tels exercices, comme François à livrer une bataille.
Le roi de France repoussa cette médiation; il avait l'œil perçant, et sa mère plus encore. “ H Votre maître ne m'aime pas, dit-il à l'ambassadeur de Charles Quint, je ne l'aime pas davantage, et je suis décidé à être son ennemi*. [4] » On ne pouvait parler plus ouvertement. Loin d'imiter cette rude franchise, le politique Charles s'efforçait de gagner Wolsey, et Wolsey, fort empressé à se vendre, insinuait habilement à quel prix on pouvait l'obtenir. Charles le comprit. “ H Si le roi d'Angleterre s'unit à moi, fit il dire au cardinal, vous serez élu pape à la mort de Léon X' [5]. » François, trahi par Wolsey, abandonné par le pape, menacé par l'Empereur, se décida enfin à accepter la médiation de Henri. Mais Charles pensait maintenant à tout autre chose. Au lieu d'une médiation, il fit demander au roi d'Angleterre quatre mille de ses fameux archers. Henri sourit en lisant la dépêche, 167
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle et regardant Pace, son secrétaire, et Marney, capitaine de ses gardes : “ H Beati qui audiunt et non intelligunt ! » Dit-il ; leur défendant ainsi de comprendre et surtout d'ébruiter cette étrange requête. On convint de porter le nombre des archers à six mille ; puis le cardinal, ayant toujours la tiare devant les yeux, partit pour jouer à Calais l'odieuse comédie d'une hypocrite médiation. Retenu à Douvres par les vents contraires, le médiateur profita de ce délai pour dresser la liste des six mille archers et de leurs capitaines, n'oubliant pas d'y mettre “ H certains cerfs obstinés, auxquels, avait dit Henri, il fallait absolument donner la chasse [6]. * C'étaient des seigneurs dont le roi avait envie de se débarrasser.
Tandis que les ambassadeurs du roi de France étaient reçus à Calais le 4 août, avec de grands honneurs, par le lord chambellan d'Angleterre, le cardinal convenait avec les ministres de Charles, que Henri VIII retirerait au dauphin la main de la princesse Marie, et la donnerait à l'Empereur. En même temps, il ordonnait de détruire la marine française, et d'envahir la France'[7]. Enfin il obtenait que pour dédommager l'Angleterre des 16,000 livres par an qu'elle avait jusque-là reçues de la cour de Saint-Germain, l'Empereur lui payerait dorénavant 40,000 marcs. Sans espèces sonnantes, le marché n'eût pas été bon pape, conçut l'idée de se faire général. Il fallait un commandant en chef aux six mille archers qu’Henri envoyait contre le roi de France ; et pourquoi ne serait-ce pas le cardinal lui-même ? Aussitôt il s'ingénia pour écarter les seigneurs proposés comme généraux en chefs. — “ H
Shrewsbury, dit-il au roi, vous est nécessaire pour l'Ecosse, — Worcester est digne par son expérience que... vous le gardiez près de vous. Quant à Dorset,... il sera bien cher! » Puis le prêtre ajouta : “ H Sire, si durant mon séjour de l'autre côté de la mer, vous avez de bons motifs pour y envoyer vos archers... je m'empresse de vous faire savoir que, quand l'Empereur se mettra à la tête do ses soldats, je < suis prêt, quoique ecclésiastique [8], à me mettre moi-même à la tête des vôtres ! »
Quel dévouement ! Wolsey ferait porter devant lui, disait-il, sa croix de cardinal à latere; et ni François Ier, ni Bayard ne pourraient lui résister. Commander à la fois l'État, l'Église et l'armée, en attendant la tiare, ceindre sa tête de lauriers, telle était l'ambition de cet homme. Malheureusement pour lui, on n'était pas de cet avis à la cour. Le roi nomma le comte d'Essex général en chef.
Wolsey, ne pouvant être général, se tourna vers la diplomatie. Il courut à Bruges ; et au moment où il y entrait à côté de l'Empereur, une voix s'élevant de la foule s'écria : Salve Rex regis tui atque regni suii [9] — parole fort agréable à ses oreilles.
On s'étonnait fort, à Bruges, de l'intimité qui existait entre le cardinal et l'Empereur. “ H Il y a là-dessous un mystère, » disait-on [10]. Wolsey voulait poser la couronne de France sur la tête du roi d'Angleterre, et la tiare sur la sienne. Tel était le mystère qui méritait bien quelques caresses au puissant Charles Quint.
L'alliance fut conclue, et l'on convint “ H de tirer vengeance des injures faites au siège de Jésus-Christ, » ce qui voulait dire à la papauté. Wolsey, pour entraîner 168
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Henri dans les intrigues qui devaient lui procurer la tiare, lui avait rappelé qu'il était roi de France, et ïudor avait saisi vivement cette pensée.
Le 7 août, à minuit, le roi, enfermé avec son secrétaire, dictait dans une lettre adressée à Wolsey, cette étrange phrase : Si ibitis parare régi locum in regno ejus hœreditario, Majestas ejv.s quumtempus erit opportunum, sequetur* [11]. Le théologien qui avait corrigé le fameux écrit latin du roi contre Luther, n'avait certes pas revu cette épître. La France était, selon Henri, son royaume héréditaire, et Wolsey allait lui préparer ce trône A cette pensée le roi ne pouvait contenir sa joie, et s'imaginait déjà surpasser Edouard III et le Prince Noir. “ H Je vais, s'écriait-il, parvenir à une gloire supérieure à celle que mes ancêtres ont conquise par tant de guerres et de batailles ' [12]. » Wolsey lui traçait le chemin pour arriver à son palais des bords de la Seine. “ H Mézières vaêfre pris, lui insinuait-il; après, il n'y a que Reims, qui n'est pas une ville forte ; ainsi Votre Grâce atteindra facilement Paris
[13]. » Henri suivait du doigt sur la carte la route qu'il allait parcourir. “ H Les affaires vont bien, écrivait le cardinal, le Seigneur en soit béni. »
Ce langage chrétien n'était pour lui qu'un vêtement officiel. Wolsey se trompait, les affaires allaient mal. Le 20 octobre, François Ier, que tant de perfidie n'avait pu abuser, François, ambitieux, turbulent, mais honnête dans cette affaire, se confiant en la puissance de ses armes, s'était tout à coup présenté entre Cambrai et Valenciennes. L'Empereur, effrayé, s'était enfui dans les Flandres, et Wolsey, au lieu de se mettre à la tête de l'armée, s'était enveloppé de son manteau de médiateur. Puis, écrivant à Henri, qui, quinze jours auparavant, avait, par son conseil, excité Charles-Quint à attaquer la France : Je m'assure lui dit-il, que votre vertueuse médiation augmentera fort dans toute la chrétienté votre réputation et votre honneur [13]! ... » François Ier refusa les offres de Wolsey ; mais le but de celui-ci fut atteint. Les négociations avaient fait gagner du temps à Charles, et la mauvaise saison arrêta bien tôt l'armée française. Wolsey retourna satisfait à Londres vers le milieu de décembre. L'entrée de Henri dans Paris devenait, il est vrai, très difficile ; mais la faveur de l'Empereur était assurée au cardinal, et avec elle, pensait-il, la tiare; Wolsey avait donc ce qu'il voulait. A peine était-il arrivé en Angleterre qu'une nouvelle vint le mettre au comble du bonheur : Léon X était mort. Son allégresse sur passa celle que Henri avait ressentie à la pensée de son royaume héréditaire. Protégé par le puissant Charles-Quint, auquel il avait tout sacrifié, le cardinal anglais allait enfin recevoir cette couronne pontificale qui lui permettrait d'écraser l'hérésie, et qui était à ses yeux la juste récompense de tant d'infâmes transactions.
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FOOTNOTES
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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle
[1] “ H Unitatis sacerdotalis fastigium conscendere. » (Sanders, De schismate Angliœ, 8.)
[2] “ H Hys owne affayris doth not succede with the Emperouri >S [State papers, vol. I,p. 10.)
[3] “ H Ye knowewell enough that womenmust be pleased. » [State pa pers, I, p. 12.)
[4] “ H He was utterly determined to be his ennemy. » (Cotton MSC, Gai., 3, 1, p.
35.)
[5] “ H Ut Wolseus mortuo Leone decimo flerct summus pontifex. »
[6] “ H Sayinge that certayne hartes. » [State papers, I, p. 26.)
[7] “ H To invade France... and to provide for the destruction of the Frenche kynges navye... » (Ibid., I, p. 23.)
[8] ' “ H Though I be a spiritual man. » [State papers, î, p. 31.)
[9] “ H Salut, roi de ton roi et de son royaume. » (Tynd., W., \, p. 459.)
[10] “ H There was a certain secret where of all men knew not. » (Tynd., . W., I, p.
459.)
[11] “ H Si vous allez préparer au roi la place dans son royaume héréditaire, Sa Majesté vous suivra en temps opportun. »
[12] “ H Majora assequi quam omnes ipsius progenitores, tôt bellis et praeliis. »
[State papers, \, p. 43.)
[13] “ H Your Grace shall have but a levve way to Paris. » [Stale papers, I.P.M.J
[14] “ H Your virtuous and charitable mediation, » (MSC. Cal. D., 8, p. 83.) 170
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE VII
Les justes hommes du Lincolnshire. — Leurs conventicules. —Agnès et Morden. —
Bibliothèque circulante. — Conversations polémiques. — Sarcasmes. — Ordonnance royale et terreur. — Dépositions et condamnations. — Quatre martyres. — Un conclave. — Charles console Wolsey
Wolsey n'attendit pas d'être pape pour persécuter les disciples de la Parole de Dieu.
Désireux de réaliser les stipulations du traité de Bruges, il avait sévi contre “ H les sujets du roi qui inquiétaient le siège apostolique. » Henri avait à justifier le titre que lui avait donné le pape ; le cardinal avait à conquérir la papauté; et tous deux pouvaient satisfaire leur désir en dressant quelques échafaudages.
Dans le beau comté de Lincoln, sur les rives de la mer du-Nord, les longs bords fertiles de l'Hum ber, du Trent, du Witham, et sur le penchant de riantes collines, se trouvaient des chrétiens paisibles, laboureurs, artisans, bergers, qui passaient leur vie à travailler, à garder leurs troupeaux, à faire le bien et à lire la Bible [1]. Plus la lumière évangélique augmentait en Angleterre, plus on voyait s'accroître le nombre de ces enfants de paix [2]. Ces justes hommes, » comme on les appelait, étaient dépourvus de connaissances humaines, mais ils avaient soif de la connaissance de Dieu. Pensant être seuls de vrais disciples du Seigneur, ils ne se mariaient qu'entre eux [3]. Ils paraissaient quelque fois à l'église ; mais au lieu de bourdonner leurs prières comme la foule, ils y étaient, disaient leurs ennemis, “ H bouche close comme des bêtes' [4]. » Les dimanches et les jours de fête, ils avaient des conventicules dans la maison de l'un ou l'autre d'entre eux, et ils passaient quelquefois toute une nuit à lire une portion de l'Écriture. Si les livres manquaient dans l'assemblée, l'un des frères qui avait appris par cœur l'épître de saint Jacques, le commencement de l'évangile de saint Luc, le discours de la montagne, ou une épître de saint Paul, en récitait quelques versets d'une voix sonore et recueillie ; puis tous s'entretenaient pieusement des saintes vérités de la foi, et s'exhortaient à les mettre en pratique. Mais si quelqu'un qui n'était pas des leurs parais sait par hasard dans l'assemblée, tous se taisaient [5] Parlant beaucoup entre eux, ils étaient muets devant ceux du dehors ; la crainte des flammes et des prêtres leur fermait la bouche. Sans les Écritures, il n'y avait pour eux point de fête de famille.
Un de leurs patriarches, le vieux Durdant, mariant un jour l'une de ses filles, on se réunit en secret dans une grange, et on y lut toute une épître de saint Paul. Jamais noce n'avait été célébrée avec de tels divertissements.
S'ils se taisaient devant les suspects et les ennemis, ces pauvres gens ne se taisaient pas en présence des petits un fervent prosélytisme les caractérisait. “ H Venez chez moi, disait la pieuse Agnès Ashfordaubon James Morden, et je vous apprendrai quelques versets des Écritures. » Agnès était une femme instruite ; elle savait lire ; 171
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Morden vint, et la chambre de la pauvre femme fut transformée en une école de théologie. Agnès commença :
Vous êtes le sel de la terre, » dit-elle, puis elle récita les versets qui suivent [6]. Cinq fois Morden revint chez Agnès avant de savoir ce beau discours. Nous sommes répandus comme du sel dans les diverses parties du royaume, disait au néophyte cette femme chrétienne, afin que par notre doc trine et notre vié, nous arrêtions les progrès de la superstition. Mais, ajoutait-elle effrayée, gardez ce secret-là dans votre cœur, comme un geôlier garde un voleur. » [7]
Les livres étaient rares; ces pieux chrétiens avaient établi une espèce de bibliothèque ambulante ; et John Scrivener portait sans cesse de l'un à l'autre les volumes précieux* [8]. Mais au moment où, chargé de ses livres, il se glissait le long de la rivière ou dans l'épaisseur de la forêt, il découvrait parfois tout à coup qu'on était sur ses traces ; il précipitait ses pas, se jetait dans une ferme, où quelque paysan le cachait promptement dans sa grange, sous la paille, ou comme les espions d'Israël, sous des chènevottes de lin[9]. Les sbires arrivaient, cherchaient, ne trouvaient rien, et plus d'une fois les généreux recéleurs de ces évangélistes durent expier rudement le crime de la charité.
A peine les sergents découragés s'éloignaient-ils de la contrée, qu'aussitôt ces amis de la Parole de Dieu sortaient de leur cachette, et profitaient de ce moment de liberté pour réunir les frères. La guerre qu'on leur faisait les irritait contre les prêtres. Ils adoraient Dieu, ils lisaient, ils chantaient à voix basse, mais quand la conversation devenait générale, ils donnaient libre cours à leur indignation : “ H
Voulez-vous savoir à quoi servent les par dons du pape? disait l'un d'eux; à aveugler les yeux et à vider les bourses » — “ H Les vrais pèlerinages, disait le tailleur Geffrey d'Uxbridge, consistent à visiter les pauvres et les malades, pieds nus, si l'on veut, car ce sont ces petits qui sont les images de Dieu. » — “ H L'argent dépensé en pèlerinages, reprenait un troisième, ne sert qu'à l'entretien des courtisanes et des voleurs *. [10]» Les femmes se montraient souvent les plus animées dans la controverse. — “ H Qu'est-il besoin de s'adresser aux pieds [11]» disait Agnès Ward, qui ne voulait pas des saints, “ H quand on peut aller à la tête? » — “ H Les ecclésiastiques du bon vieux temps, disait la femme de David Levis, conduisaient le peuple comme la poule conduit ses poussins [12]; mais maintenant, si nos prêtres conduisent quelque part leurs ouailles, c'est au diable assurément. »
Bientôt l'épouvante fut dans ces campagnes. L'évêque de Lincoln était confesseur du roi ; ce prêtre fanatique, John Longland, créature de Wolsey, profita de sa position pour demander à Henri une franche persécution : c'était à cela que servaient ordinaire ment en Angleterre, en France et ailleurs, les con fesseurs des princes.
Malheureusement, à côté des pieux disciples de la Parole, on rencontrait çà et là des hommes d'un esprit cynique, dont les mordants sarcasmes passaient toutes les 172
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle bornes. Wolsey et Longland surent en profiler pour exciter la colère du prince. “ H
L'un de ces gens, lui dirent-ils, étant occupé à battre du blé dans sa grange, un homme vint à passer, Bonjour, voisin, lui dit ce dernier, vous travaillez rude! — Oui,
» répondit le vieux hérétique en pensant à la transsubstantiation, “ H Je bats hors de la paille le grain dont les prêtres font «le Dieu tout-puissant *...[13] » Henri n'hésita plus. Le 20 octobre, neuf jours après que la bulle sur le Défenseur de la foi avait été signée à Rome, le roi, qui était à Windsor, appela son secrétaire, et lui dicta un ordre, par lequel il commandait à tous ses sujets d'assister l'évêque de Lincoln contre les hérétiques. “ H Vous en répondez sur votre tête, » ajoutait-il. Il remit l'ordre à Longland. Aussitôt l'évêque lança des mandats d'arrêt, et ses sergents portèrent partout l'effroi. En les voyants, ces hommes paisibles mais timides, se troublèrent. Isabelle Barlet les entendant un jour s'approcher de sa chaumière, poussa un cri : “ H Vous êtes un homme perdu ! dit «lie à son mari, et moi, je suis morte [14] ! » Ce cri se répéta dans toutes les cabanes du Lincolnshire.
Bientôt l'évêque, assis sur son tribunal, travailla habilement ces malheureux pour les faire déposer les uns contre les autres. Hélas ! Selon l'antique prophétie, “ H le frère livra son frère à la mort. » Robert Barlet déposa contre son frère Richard et contre sa femme; Jeanne Bernard accusa son propre père, et Tredway sa mère. Ce n'était qu'après de mortelles angoisses que ces malheureux en venaient à de si affreux extrémités ; mais l'évêque et la mort les épouvantaient; un petit nombre seulement restèrent debout. En fait d'héroïsme, la réformation de Wicleff ne devait apporter qu'un faible secours à la réformation du seizième siècle ; mais si elle ne lui donna pas beaucoup de héros, elle prépara le peuple anglais à aimer par-dessus tout la Parole divine.
Parmi ces humbles chrétiens, les uns furent con damnés à faire pénitence dans divers monastères ; d'autres à porter un fagot sur leurs épaules, à faire ainsi trois fois le tour de la place du marché, puis à rester quelque temps exposés aux rires de la popu lace; d'autres encore furent liés étroitement à un pieu, et le bourreau leur appliqua un fer brûlant sur la joue. Ils eurent aussi leurs martyrs. Le réveil de Wicleff n'en avait jamais manqué. On choisit quatre d'entre ces frères pour les mettre à mort. De leur nombre fut le pieux colporteur évangéliste Scrivener ; on voulait s'assurer, en le réduisant en cendres, qu'il ne répandrait plus la Parole de Dieu ; et, par un horrible raffinement de cruauté, on obligea ses enfants à mettre le feu au bûcher qui devait consumer leur père [15] ! . . . Ils avancèrent leur main tremblante, tenue par la forte main des bourreaux!... Pauvres enfants!... Mais il est plus facile de brûler les membres des chrétiens que d'éteindre l'Esprit du ciel. Ces flammes cruelles ne purent anéantir parmi le peuple du Lincolnshire ces mœurs bibliques, qui de tout temps, et plus que la sagesse des sénateurs ou la valeur des généraux, ont été la force de l'Angleterre.
173
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Wolsey, ayant par ces exploits gagnés des titres incontestables à la tiare, tourna vers Rome ses efforts. Léon X, on l'a vu, venait de mourir. Le cardinal envoya Pace, en lui disant : «Représentez aux «cardinaux qu'en élisant un partisan de François ou de Charles, ils s'attireront l'inimitié de l'un ou l'autre de ces princes, et qu'en choisissant quelque prêtre sans pouvoir, ils perdront l'indépendance du siège pontifical. La révolte de Luther, l'ambition de l'Empereur, tout expose maintenant la papauté.' Il n'y a qu'un moyen de prévenir les maux qui la menacent... C'est de m'élire... Allez, «partez, parlez... [16]» — Le conclave s'ouvrit à Rome le 27
décembre, on y proposa Wolsey; mais les cardinaux ne furent pas généralement favorables à son élection. “ H Il est trop jeune, dit l'un; trop «ferme, dit l'autre. Il établira en Angleterre et non à Rome le siège de la papauté, » disaient plusieurs.
Wolsey ne put réunir vingt suffrages. Les cardinaux, c'est le témoignage de l'ambassadeur d'Angleterre, braillaient, se querellaient ; et chaque jour voyait croître leur mauvaise foi et leur haine. » Dès le sixième jour, on ne leur envoya plus qu'un plat ; alors, de désespoir, ils élurent Adrien, ancien gouverneur de Charles, et l'on s'écria : Papam habemus !
Pendant ce temps, Wolsey était à Londres, consumé par l'ambition et comptant les jours et les heures... Enfin, une dépêche de Gand, du 22 janvier, arriva avec ces mots : “ H Le 9 janvier, le cardinal de Tortose a été élu!... » Wolsey fut hors de lui.
Pour gagner Charles, il a sacrifié l'alliance de François Ier, il n'y a pas de ruse qu'il n'ait employée, et Charles, malgré ses engagements, a fait élire son précepteur....
L'Empereur comprit quelle devait être la colère du cardinal, et s'efforça de l'apaiser : Le pape élu, écrivit-il, est vieux et malade; il ne gardera pas longtemps la tiare...*[17] Priez de ma part le cardinal d'York de bien soigner sa santé. »
Charles fit plus encore ; il arriva lui-même à Londres, sous prétexte de ses fiançailles avec Marie d'Angle terre, et dans le traité que l'on rédigea, il accorda l'insertion d'un article en vertu duquel Henri VIII et le puissant empereur s'engageaient, si l'un ou l'autre venait à violer le traité, à comparaître devant Wolsey et à se soumettre à ses excommunications Le cardinal, flatté de cette condescendance, se calma. On le berçait en même temps des espérances les plus flatteuses. “ H Cet imbécile précepteur de Char les, lui disait-on, est arrivé au Vatican sans autre «suite que sa cuisinière; vous, vous y entrerez bientôt entouré de toutes vos grandeurs. [18] » Pour être plus sûr de son affaire, Wolsey se rapprocha secrètement de François Ier; puis il attendit la mort du pape*[19] vin 174
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE VIII
Caractère de Tyndale. — Il arrive à Londres. — Il prêche. — Le drap et l'aune. —
L'évêque de Londres donne audience à Tyndale. — Il est renvoyé. — Un marchand chrétien de Londres. — Un esprit d'amour dans la Réformation. — Tyndale chez Monmouth. — Fryth traduit avec lui le Nouveau Testament. — Sollicitations de l'évêque de Lincoln. — Persécution à Londres. — Résolution de Tyndale. — Il part.
— Son indignation contre les prélats. — Ses espérances Pendant que le cardinal préparait par l'intrigue ses égoïstes projets, Tyndale poursuivait dans l'humilité la grande pensée de donner à l'Angleterre les Écritures de Dieu
Après avoir dit un triste adieu au manoir de Sodbury, l'helléniste était parti pour Londres; c'était vers la fin de 1522, ou au commencement de 1523. Il avait quitté l'Université, puis la maison de son protecteur, sa carrière errante commençait alors; mais un voile épais lui en dérobait les douleurs.
Tyndale, simple, sobre, hardi, généreux, ne craignant aucune fatigue ni aucun péril, inflexible dans le devoir, oint de l'Esprit de Dieu, rempli d'amour pour ses frères, affranchi des traditions humaines, soumis à Dieu seul et n'aimant que Jésus-Christ, plein d'imagination, prompt à la repartie, d'une éloquence rapide, Tyndale eût pu briller au premier rang ; mais il préférait une vie cachée dans quelque pauvre réduit, pourvu qu'il pût donner à son peuple les oracles de Dieu. Où trouver cette tranquille retraite? Voilà ce qu'il se demandait en cheminant solitaire sur la route de la métropole. Cuthbert Tonstall, homme d'Etat et de lettres, plus encore qu'homme d'Eglise, “ H le premier des Anglais dans la littérature grecque et latine,
» avait dit Érasme, occupait alors le siège épiscopal de Londres. L'éloge du savant hollandais revint à l'esprit de Tyndale [20].
C'est le Testament grec d'Érasme qui m'a conduit à Jésus-Christ, se dit-il, pourquoi la maison de l'ami d'Érasme ne m'offrirait-elle pas un asile pour le traduire... Enfin, il arriva à Londres, et inconnu dans cette grande cité, il en traversa les rues, ému tour à tour par la crainte et par l'espérance. Recommandé par sir John Walsh à sir Henri Guil Ford, contrôleur des grâces du roi, et par celui-ci à quelques prêtres, Tyndale commença presque aussitôt à prêcher, surtout à Saint-Dunstan, et il porta ainsi la vérité bannie des bords de la Severn, au centre de la capitale. La Parole de Dieu était pour lui la base du salut, et la grâce de Dieu en était l'essence; son esprit original présentait d'une manière saillante la vérité qu'il annonçait. “ H C'est le sang de Christ, et non les œuvres, qui ouvre le ciel, » disait- il plus tard. “ H Mais que dis-je?... ajoutait-il, je me trompe... Oui, si vous le voulez, c'est par vos bonnes œuvres que vous serez sauvés. — Toutefois comprenez-moi bien, non t par celles que vous avez faites, mais par celles que Christ a faites pour vous. Car Christ est à vous, et toutes ses œuvres sont vôtres. Vous ne pouvez être damnés, que Christ ne 175
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle le soit avec vous ; et Christ ne peut être sauvé que vous ne le soyez avec lui [21]... »
Cette vue si claire de la justification par la foi, met Tyndale au rang des réformateurs. Il ne s'est pas assis au banc des évêques, et n'a pas porté la chape de satin ; mais il est monté sur l'échafaud et a été revêtu d'un manteau de flammes.
Dans le service d'un Sauveur mort sur une croix, cette dernière distinction vaut mieux que la première.
Cependant sa grande affaire était sa traduction; il en parla autour de lui, et quelques-uns s'opposèrent à son projet. “Les enseignements des docteurs, tt disaient des marchands de la Cité, peuvent seuls faire comprendre les Écritures. » :—
“ H C'est à dire, répondait Tyndale, que c'est avec le drap qu'il faut mesurer l'aune*.
Voyez, — continuait-il, employant un argument ad hominem; — voilà dans votre boutique vingt pièces d'étoffes de diverses dimensions? — Mesurez- vous l'aune a avec ces pièces ou ces pièces avec l'aune [22]?... La règle universelle, c'est l'Écriture.
» Cette comparaison se gravait aisément dans l'esprit des petits marchands de Londres.
Voulant réaliser son projet, Tyndale aspirait à devenir chapelain de l'évêque [23] ; son ambition était plus modeste que celle de Wolsey. L'helléniste avait des titres qui devaient plaire au plus savant des Anglais dans la littérature grecque ; Tonslall et Tyndale lisaient et aimaient les mêmes auteurs. Le précepteur résolut de faire plaider sa cause par l'élégant et harmonieux disciple de Radicus et de Gorgias. “ H
Voici une oraison d'Isocrate que j'ai traduire de grec en latin, disait-il à sir Henri Guil t Ford ; je désirerais devenir chapelain de Monseigneur de Londres : voudriez-vous lui en faire hommage. Isocrate doit être une excellente recommandation auprès d'un humaniste; veuillez toutefois y ajouter la vôtre. » Guilford parla à l'évêque, lui remit l'oraison, et Tonstall répondit avec cette bienveillance qu'il avait pour tout le monde. Votre affaire est en bon chemin, dit le contrôleur à Tyndale, écrivez une lettre à Monseigneur, et portez-la-lui vous-même *[24]. »
Ainsi les espérances de Tyndale commençaient à se réaliser. Il écrivit de son mieux son épître, puis, se recommandant à Dieu, s'achemina vers le palais épiscopal. Il connaissait heureusement l'un des officiers de l'évêque, William Hebilthwayte ; ce fut à lui qu'il remit sa lettre. Hebilthwayte la porta à Monseigneur, et Tyndale attendit. Le cœur lui bat tait; trouverait-il enfin cet asile tant désiré? La réponse de l'évêque pouvait décider de sa vie. Si la porte s'ouvre, si le traducteur des Écritures s'établit dans le palais épiscopal, pourquoi son patron de Londres ne recevrait- il pas la vérité comme son patron de Sodbury? Et dans ce cas, quel avenir pour l'Église et pour le royaume!... La Réformation heurtait alors à la porte de la hiérarchie d'Angle terre, et celle-ci allait dire son oui ou son non. Après quelques moments d'attente, Hebilthwayte reparut. Je vais, dit-il, vous conduire auprès de Mon seigneur. » Tyndale se crut au comble de ses désirs.
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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle L'évêque était trop bienveillant pour refuser audience à un homme qui arrivait chez lui avec la triple recommandation d'Isocrate, du contrôleur des grâces et de l'ancien compagnon d'armes du roi. Il reçut Tyndale avec une certaine bonté, mélangée pourtant d'un peu de froideur, comme un homme dont la connaissance pourrait le compromettre. Tyndale ayant exposé sa demande : “ H Hélas! ma maison est pleine, se hâta de répondre l'évêque, j'ai plus de gens que je n'en puis employer [25]. »
Tyndale fut renversé par cette réponse. L'évêque de Londres était un homme savant, mais sans consistance et sans courage, qui donnait sa main droite aux amis des lettres et de l'Évangile, et sa main gauche aux amis des prêtres; puis tâchait de marcher avec tous les deux. Mais quand il lui fallait choisir entre ces deux partis, les intérêts cléricaux l'emportaient; il ne manquait pas autour de lui d'évêques, de prêtres ou de laïques, dont les clameurs l'intimidaient. Après avoir fait quelques pas en avant, il recula donc brusquement.
Tyndale osa pourtant hasarder un mot. Mais le prélat devenait toujours plus froid.
Les humanistes, qui se moquaient de l'ignorance des moines, tremblaient pourtant de toucher à un système ecclésiastique qui leur prodiguait de riches sinécures ; ils acceptaient les idées nouvelles en théorie, mais non en pratique ; ils voulaient bien les discuter dans leurs repas, mais non les publier du haut des chaires; et couvrant d'applaudissements le Testament grec, ils le déchiraient s'il était en langue vulgaire. “ H Cherchez bien dans Londres, dit froidement Tonstall au pauvre prêtre, et vous ne manquerez pas d'y trouver une occupation convenable. » Ce fut tout ce que Tyndale put obtenir. Hebilthwayte le reconduisit jusqu'à la porte, et l'helléniste s'éloigna tristement.
Ses espérances étaient donc déçues. Chassé des bords de la Severn, sans asile dans la capitale, que va devenir la traduction des Écritures? «Hélas! disait-il, je m'étais donc trompé '[26]!... il n'y a rien à attendre des évêques... Christ fut souffleté devant l'évêque [27]... et l'évêque vient aussi de me renvoyer! » Son abattement ne dura pas; il y avait du ressort dans cette âme. “ H J'ai faim de la Parole de Dieu, dit-il, et je veux la traduire ; quoi qu'on dise et quoi que l'on fasse. Dieu ne me laissera pas périr. Il n'a pas fait une bouche, sans l'aliment dont elle a besoin, ni un corps sans l'habit a dont il doit être vêtu *[28]. »
Cette confiance ne fut pas trompée. Un laïque devait donner à Tyndale ce qu'un évêque lui refusait. Parmi ses auditeurs de Saint-Dunstan se trouvait un riche marchand, nommé Humphrey Monmouth, qui avait visité Rome, et à qui le pape s'était empressé de donner (ainsi qu'à sa compagnie), certaines curiosités romaines, des indulgences à culpa et à pœna. Chaque année des navires, faisant voile de Londres, portaient aux pays étrangers les objets que Monmouth avait fait manufacturer en Angle terre. Ancien auditeur du doyen Colet, à Saint-Paul, connaissant depuis 1515 la Parole de Dieu*[29], Mon mouth, l'un des hommes les plus doux, les plus serviables de la Grande-Bretagne, tenait table ouverte pour les 177
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle amis des lettres et de l'Évangile, et sa chambre leur offrait les publications les plus récentes. En revêtant Jésus -Christ, Monmouth s'était appliqué particulièrement à revêtir sa charité; il assistait largement de sa bourse les gens de lettres et les prêtres; il donnait quarante livres sterling au chapelain de l'évêque de Londres, autant à celui du roi, au provincial des Augustins et à d'autres encore. Latimer, qui s'assit quelquefois à sa table, ra conta un jour en chaire une anecdote qui caractérise les amis de la Réformation en Angleterre.
Parmi ceux qui mangeaient habituellement à la table de Monmouth, se trouvait un de ses plus chétifs voisins, zélé catholique-romain, auquel son hôte généreux prêtait souvent de l'argent. Un jour que le pieux marchand exaltait l'Écriture et blâmait la papauté, le voisin pâlit, se leva et sortit : “ H Je ne remettrai pas les pieds dans cette maison, dit-il à ses amis, et je n'emprunterai plus un schelling à cet homme
[30] ! » Puis il se rendit chez l'évêque et dénonça son bienfaiteur. Monmouth lui pardonna et chercha à le ramener; mais le voisin se détournait toujours de son chemin. Une fois ce pendant ils se rencontrèrent dans une rue si étroite qu'il ne put lui échapper. “ H Je passerai sans le regarder, » dit en détournant la tête le catholique romain.
Mais Monmouth alla droit à lui, le prit par la main, lui dit avec affection : “ H
Voisin, quel mal vous ai-je fait? » Et il continua à lui parler avec tant d'amour, que le pauvre homme tomba à genoux, tout en larmes, et lui demanda pardon*[31]. Tel était l'esprit qui animait, dès le commencement, en Angleterre, l'œuvre de la Réformation ; elle était agréable à Dieu et elle trouvait grâce auprès du peuple.
Monmouth, édifié des sermons de Tyndale, s'in forma de ses moyens d'existence. “ H
Je n'en ai point [32], répondit le précepteur, mais j'espère entrer au service de l'évêque; » c'était avant sa visite à Tonstall. Quand Tyndale se vit déçu dans son espoir, il se rendit chez Monmouth et lui raconta tout. “ H Venez, dit le riche marchand, demeurez chez moi, et travaillez. » Dieu faisait à Tyndale selon sa foi.
Simple, frugal, tout à son travail, il étudiait nuit et jour [33], et voulant prendre garde que son esprit ne fût appesanti par les jouissances de la vie, il se refusait aux délicatesses de la table de son patron, et ne prenait que du bouilli et de la petite bière [34]. Il paraît même qu'il poussait un peu loin la simplicité de ses vêtements*[35]. Il répandait dans la maison de son hôte, par sa conversation et par ses œuvres, la douce lumière des vertus chrétiennes, et chaque jour Monmouth l'aimait davantage.
Tyndale avançait dans son travail, quand Jean Fryth, le mathématicien de King's Collège à Cam bridge, arriva à Londres; il est probable que Tyndale, sentant le besoin d'un collaborateur, l'avait appelé. Unis comme Luther et Mélanchthon, les deux amis eurent ensemble de précieux entretiens. “ H Je veux consacrer ma vie à l'Église de Jésus-Christ [36], disait Fryth. Pour être homme de bien, il faut donner 178
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle une grande partie de soi-même à ses parents, une plus grande à sa patrie; mais la plus grande de toutes à l'Église du Seigneur. » — “ H Il faut, disaient-ils tous deux, que le peuple connaisse la Parole de Dieu [37]. L'interprétation immédiate de l'Évangile, sans conciles et sans papes, suffit pour créer dans les cœurs la foi qui sauve. » Ils s'enfermaient donc dans la petite chambre de Monmouth; ils traduisaient, Chapitrer après Chapitre, du grec en bon anglais. L'évêque de Londres ignorait l'œuvre qui se faisait à quelques pas de lui, et tout réussissait au gré de Tyndale, lorsqu'un événement imprévu vint l'interrompre.
Le persécuteur des chrétiens de Lincoln, Long land, ne renfermait pas son activité dans les limites de son diocèse; il assiégeait à la fois, de ses cruelles instances, le roi, le cardinal et la reine, s'appuyant de Wolsey auprès de Henri, et de Henri auprès de Wolsey. “Sa Majesté, écrivait-il au cardinal, montre dans cette sainte querelle autant de bonté que de ferveur. . . Cependant . . . qu'il vous plaise de l'exciter à renverser les ennemis de Dieu. » Puis le confesseur s'adressant au roi, lui disait pour le stimuler : “Le cardinal va fulminer la grande ex communication contre tous ceux qui possèdent les œuvres de Luther et de ses partisans, et faire signer aux libraires un engagement, par-devant les cours de justice, de ne point vendre de livres hérétiques. — Merveilleux! répondait malicieusement Henri VIII; on craindra, je pense, l'engagement juridique plus que l'excommunication cléricale. »
Toutefois, l'excommunication cléricale devait avoir des conséquences très positives; quiconque persévérerait dans sa faute, allait être poursuivi jusqu'au feu [38].
Enfin le confesseur s'adressait à la reine : “ H Nous ne pouvons être sûrs de contenir la presse, lui disait-il. Ces malheureux livres nous arrivent d'Allemagne, de France, des Pays-Bas ; et même ils s'impriment au milieu de nous. Il nous faut, Madame, former des hommes habiles, capables de disputer sur les points contes tés, en sorte que les laïques, frappés d'un côté par des arguments bien développés, et effrayés de l'autre par l'échafaud, soient retenus dans l'obéissance. » Le bûcher devait être, selon l'évêque, le complément de la science romaine. L'idée essentielle du jésuitisme se trouve déjà dans cette conception du confesseur d’Henri VIII ; ce système est le développement naturel du catholicisme romain.
Tonstall, excité par Longland, et désireux de se montrer aussi saint homme d'Église, qu'il avait été auparavant habile homme d'État et élégant homme de lettres, Tonstall, l'ami d'Érasme, se mit à persécuter. Il eût craint de répandre le sang, comme l'avait fait Longland ; mais il est certains procédés qui torturent l'esprit et non le corps, et dont des hommes plus modérés n'hésitent pas à faire usage. John Higgins, Henri Chambers, Thomas Eglestone, Un prêtre nommé Edmond Spilman, et d'autres chrétiens de Londres, lisaient quelques parties de l'Évangile en anglais, et disaient même tout haut : Luther a plus de science dans son petit doigt que tous les docteurs de l'Angleterre [39]. »
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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle L'évêque fit saisir ces rebelles, les flatta, les épouvanta, les menaça d'une mort cruelle (qu'il ne leur eût sans doute pas infligée), et par ces habiles pratiques les réduisit au silence* [40].
Tyndale, témoin de cette persécution, craignit que le bûcher ne vînt interrompre son travail. Si l'on menace de mort ceux qui lisent quelques fragments des Écritures, que ne fera-t-on pas à celui qui les traduit en entier ? Ses amis le supplièrent de se soustraire aux poursuites des évêques. «Ah! s'écria-t-il, il n'y a donc de place nulle part pour traduire l'Écriture!... Ce n'est pas seulement lamai son de l'évêque de Londres qui se ferme pour moi ; c'est, hélas! Toute l'Angleterre [41]! »
Il accomplit alors un grand sacrifice. Puisqu'il n'y a pas de place dans son pays pour traduire la Parole divine, il ira en chercher une parmi les peuples du continent. Ces peuples lui sont inconnus, il est vrai; il est sans ressources ; peut-être même la persécution et la mort l'attendent-elles... N'importe! Il se passera toujours quelque temps avant qu'on sache ce qu'il fait, et peut-être aurait-il pu traduire la Bible. Il porte donc ses regards vers l'Allemagne. Ce n'est pas, disait-il, une vie tranquille que Dieu nous destine ici-bas. S'il nous invite à la paix de la part de Jésus-Christ, il nous appelle à la guerre de la part du monde. [42]»
Il se trouvait alors dans les eaux de la Tamise un navire en chargement pour Hambourg. Monmouth donna dix livres sterling à Tyndale pour son voyage ; d'autres amis lui en donnèrent autant; il laissa la moitié de cette somme entre les mains de son bienfaiteur pour subvenir aux besoins à venir, et s'apprêta à quitter Londres, où il avait passé une année. Repoussé par ses compatriotes, persécuté par le clergé, n'ayant avec lui que son Nouveau Testament et ses dix livres sterling, il se rendit au navire, secoua la poussière de ses pieds, selon le précepte de son Maître, et cette poussière retomba sur les prêtres de l'Angleterre. Il s'irritait contre cette hiérarchie que Rome, aux jours du pape Grégoire le Grand et du missionnaire Augustin, avait envoyée à son peuple.
Il s'indignait, dit le chroniqueur, contre ces moines grossiers, ces prêtres avides et ces somptueux prélats [43], qui faisaient à Dieu une guerre impie. “Quel commerce que celui des prêtres! disait-il plus tard dans l'un de ses écrits ; il leur faut de l'argent pour tous : de l'argent pour baptême, de l'argent pour relevailles, pour noces, pour sépultures, pour images, confréries, pénitences, messes, cloches, orgues, calices, chapes, surplis, aiguières, encensoirs, et toutes sortes d'ornements. . .
Pauvres brebis ! ... Le recteur coupe, le vicaire tond, le desservant rase, le moine racle, le vendeur d'indulgences rogne... il ne vous manque plus qu'un boucher qui vous écorche et vous en lève la peau [44]... Il ne vous fera pas longtemps défaut...
Pourquoi vos prélats sont-ils habillés de rouge ? Parce qu'ils sont prêts à verser le sang de quiconque s'enquiert de la Parole de Dieu. Fléau des États, dévastateurs des royaumes, les prêtres leur enlèvent non-seulement la sainte Écriture, mais 180
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle encore la prospérité et la paix. En majorité a dans les conseils des peuples, ils ne tolèrent aucun laïque dans les leurs [45]*; régnant sur tous, ils n'obéis sent à personne ; et faisant tout concourir à leur grandeur, ils conspirent contre tous les royaumes... »
Nul royaume plus que l'Angleterre ne devait connaître les conspirations de la papauté dont parlait Tyndale ; mais aussi nul ne devait plus qu'elle s'émanciper irrévocablement de son pouvoir. Cependant Tyndale s'éloignait des rivages de sa patrie, et en portant ses regards vers des contrées nouvelles, il renaissait à l'espoir.
Il allait être libre, et faire servir sa liberté à délivrer la Parole de Dieu, si longtemps captive. “ H Les prêtres, disait-il un jour, voulant empêcher la résurrection de Jésus-Christ, entourèrent son sépulcre de leurs haches d'armes [46] ; ils font de même maintenant pour retenir les Écritures. Mais le temps du Seigneur est arrivé, et rien ne peut empêcher que la Parole de Dieu, comme autrefois Jésus-Christ lui-même, ne sorte enfin de la tombe. » En effet, le pauvre homme, qu'un navire portait alors vers l'Allemagne, allait, des rives même de l'Elbe, renvoyer à son peuple l'Évangile éternel.
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FOOTNOTES
[1] «Being simple labourers and artificers. » (Fox, Acts, IV, p. 240.)
[2] “ H As the light of the Gospel began more to appear, and the nura ber of professors to grow. » (Fox, Ads,ïV, p. 217.)
[3] “ H Did contract matrimony only with themselves. » (Ibid., p. 223.)
[4] “ H Did sit mum like beasts. » (Ibid., p. 225.)
[5] “ H If any came in among them that were not of their side, then they would keep ail silent. » (Ibid., p. 223.)
[6] Ev. s. S. Matthieu, V, \. 13 à 16.
[7] “ H As a man would keep a thief in prison. » (Fox, Acts, IV, p. 285.)
[8] “ H Carrying about books from one to another. » (Ibid.,V, p. 224.)
[9] “ H Hiding other sin their barns. » (Fox, ÂcU, Y, p. 243.)
[10] “ H To maintain thieves and harlots. » (Ibid., p. 243.)
[11] “ H What need is it to go to the feet, when v/o may go to the head? » (Ibid., p.
229.)
[12] “ H As the hen doth lead her chickens. » (Fox, Acts, V, p. 224.) 181
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle
[13] “ H I thresh God almighty out of the straw. » (Ibid., p. 222.)
[14] “ H ... Alas! Now are you au undone, man, and I but a dead woman. » (Fox, Ads, p. 224.)
[15] “ H Bis children were compelled to set Are unto their father » (Fox, Acts, V., p.
245.)
[16] “ H The sole way... was to chuse him. » (Fox,Acts, V, p. 245.)
[17] “ H The new elect is both old, sickly... so that he shall not have ' the office long.
» (MSC., Galba, 13, 1, p. 6.)
[18] “ H Both princes appearing before the cardinal of York as judge. » (Art. 13, Herbert, p. lit.)
[19] “ H Mortera etiam Adriani expectat. » (Sanders, p. 8.)
[20] “ H As I this thought, the bishop of London came to my remembrance. » (Tynd., Works, I, p. 4.)
[21] “ H Neither can Christ be saved excepl thou be saved with him. » (Tynd., Works, l, p. 116.)
[22] “ H I must measure the mete yard by the cloth. » (Ibid., p. 190.)
[23] “ H He laboured to be his chaplain. » (Fox, Acts, IV, p. 617.)
[24]“ H He willed me to write an epistle to my Lord and to go to him myself. » (Ibid.)
[25] “ H My Lord answered nje, his house was full. » (Tvnd., Works I,p.4.)
[26] “ H I was beguiled. » (Tynd., Works, I, p. 4.)
[27] “ H Christ was smitten before the bishop. » (Tynd., W., H, p. 235.)
[28] “ H God never made mouth but He made meat for it, nor body but He made raiment also. » (Ibid., II, p. 349.)
[29]“ H The rich man began to be a Scripture man. » (Latimer's Sermons, p. 440.)
[30] “ H He would borrow no money of him. » (Latimer's Sermons, p. 441.)
[31] “ H By and by he fell down upon his knees and asked his forgiveness. » (Ibid.)
[32] “ H He told him that he had none (Hving) at ail. » (Fox, Acts, IV, p. G17.)
[33] “ H Studying both night and day. » (Stripes, Records, I, p. 664.)
[34] “ H He would eat but sodden meat and drink but small single beer. »
[35] «He wasnever seen inthathouse to wearlinenabouthim.» (Ibid.) 182
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle
[36] “ H Wholly to consecrate himself unto the church of Christ. » (Tynd., Works, III.)
[37] “ H That the poor people migt also read and see the simple plain word of God. »
(Fox, Acts, V, p. 118.)
[38] “ H Ad ignem. » (MSG. Cotton. Vilell., B., v. p. 8. — Bible Armais, l, p. 4Î.)
[39] “ H Luther had more learning in his little flnger... » (Fox, Acts, V, p. 179.)
[40] “ H For fear of his cruelty and the rigours of death. » (Ibid., p. 178.)
[41]“ H But also that there was no place to doit in ail England. » (Tyndale, Works, I, p. 5.)
[42]“ H We be not called to a soft living... » (Tynd., Works, p. 249.)
[43] “ H Marking especially the demeanour of the preachers, and behold ng the pomp of the prelates. » (Fox, Acts, V, p. 118.)
[44] 1 “ H The parson sheareth, tue icar shavelh, the parish priest pol leth... »
(Tynd., Works, I, p. 270.)
[45] “ H But of their councils is no raan. » (Ibid., p. 225.)
[46] “ H Pôle axes. » (Ibid., p. 285.)
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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE IX
Bilney à Cambridge. — Conversions. — Un porte-croix. — Un fermier du Leicestershire. — Un repas d'étudiants. — La chasse du diable. — Un « papiste obstiné. » — Les « sophistes. » — Latimer attaque Stafford. — Oraison contre Melanchthon. — Un essayeur. — Un hérétique se confesse à un catholique. — Le confesseur converti par le pénitent. — Transformation de Latimer. — Bilney prêche la grâce. — Musique et prière. — Nature du ministère. — Caractère et prédication de Latimer. — Les travaux de la charité. — Mondanité et brutalité. — Clark et Dalaber
Ce navire n'emportait pas toutes les espérances de l'Angleterre. Il s'était formé à Cambridge un cercle de chrétiens dont Bilney était le centre. Il ne connaissait plus d'autre droit canon que la sainte Écriture, et avait trouvé pour maître “ H le Saint Esprit de Christ, » dit un historien. Quoiqu'il fût naturellement timide, et qu'il eût souvent à lutter contre l'épuisement où l'avaient jeté ses jeûnes et ses veilles, il y avait dans ses paroles une vie, une liberté, une force, qui faisaient, avec sa chétive apparence, un frappant contraste. Il désirait attirer à la connaissance de Dieu [1]
tous ceux qui l'entouraient; et peu à peu, en effet, les rayons du soleil évangélique, qui se levait alors dans le ciel de la chrétienté, perçaient à travers les antiques vitraux des collèges, et illuminaient les chambres solitaires de quelques maîtres et de quelques fellows. Maître Arthur, maître Thistel de Pembroke-Hall, maître Stafford, furent des premiers à se joindre à Bilney.
George Stafford, professeur de théologie, était un homme d'une science profonde, d'une vie sainte, d'un enseignement clair et précis; chacun l'admirait dans Cambridge, en sorte que sa conversion et celle de ses amis avaient porté l'effroi parmi les partisans des scolastiques. Une conversion plus frappante encore, devait donner à la réformation an glaise un champion plus illustre que Stafford et que Bilney.
Il y avait alors à Cambridge un prêtre qui se distinguait par son ardent fanatisme.
Dans les processions, au milieu des pompes, des prières et des chants du cortège, chacun remarquait un maître ès arts d'environ trente ans, qui, la tête haute, portait fièrement la croix de l'université. Hugues Latimer, c'était son nom, joignait à un caractère ardent, à un zèle infatigable, une humeur mordante, et s'entendait à tourner en ridicule les fautes de ses adversaires. Il y avait plus d'esprit et de saillies dans son fanatisme que l'on n'en voit d'ordinaire chez ses pareils. Il poursuivait les amis de la Parole de Dieu dans les collèges et les maisons où ils se rassemblaient, les combattait et les pressait d'abandonner leur foi. C'était un véritable Saul. Il devait bientôt avoir une ressemblance de plus avec l'apôtre des gentils.
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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Né vers l'an 1491 dans les campagnes du comté de Leicester, Hugues avait pour père un honnête fermier. Plus d'une fois, accompagné de l'une de ses sœurs (il en avait six), le jeune garçon avait gardé dans les prairies les cent brebis de la ferme, ou conduit à sa mère les trente vaches qu'elle était chargée de traire [2]. En 1497, les rebelles de Cornouailles, commandés par lord Audley, s'étant campés à Blackheath, le fermier avait revêtu sa vieille armure, et, montant à cheval, s'était rendu à l'appel de la couronne. Hugues, âgé alors de six ans, était présent au départ, et comme s'il eût voulu prendre sa petite part dans la bataille, il avait attaché lui-même les courroies du harnais [3] ; il le rappela cinquante-deux ans plus tard dans un sermon qu'il prêcha devant le roi Édouard. La maison du vieux Latimer était toujours ouverte à ses voisins ; et un pauvre ne s'en éloignait jamais sans avoir reçu quelque aumône. Il élevait sa famille dans l'amour des hommes et dans la crainte de Dieu, et ayant remarqué avec joie l'intelligence précoce de son fils, il le fit instruire dans les écoles de la province, puis il l'envoya à Cambridge, à l'âge de quatorze ans; c'était en 1505, au moment où Luther entrait au couvent des Augustins.
Le fils du fermier du Leicestershire, vif, amateur des plaisirs et des joyeux entretiens, se divertissait souvent avec ses condisciples. Un jour qu'il faisait bonne chère avec eux, l'un des convives s'écria avec l'Ecclésiaste : Nil melius quant lœtari et facere bene! Il n'y a rien de meilleur que de se réjouir et de bien faire. » — “ H
Mort au bene! reprit un moine au regard impudent, je voudrais le bene au-delà des mers [4] ; » ce mot gâte tout le reste. Ce discours étonna fort le jeune Latimer : “ H
Je le comprends, disait-il; le bene pèsera lourd à ces moines, quand ils rendront compte à Dieu de leur vie ! » Latimer, devenu plus sérieux, se jeta de toute son âme dans les pratiques de la superstition, et une vieille cousine très bigote se chargea de les lui enseigner. Un jour, un de leurs parents étant mort : Maintenant, dit la cousine, il nous faut chasser le diable. Prends ce cierge bénit, mon enfant, et promène-le sur le corps, en long, puis en large, de manière à faire toujours le signe de la croix. » Mais l'étudiant s'acquittant fort gauchement de cet exorcisme, la vieille cousine lui arracha le cierge, et dit avec colère : “ H C'est vraiment grand dommage que ton père dépense tant d'argent pour tes études ; on ne fera jamais rien de toi
[5] !.. . »
Ce présage ne se réalisa pas. Fellaw de Clare-Hall, en 1509, Latimer devint maître ès arts en 1514; et ayant terminé ses travaux classiques, il se mit à étudier la théologie. Duns Scott, Thomas d'Aquin et Hugues de Saint -Victor, furent ses auteurs favoris. Le côté pratique des choses l'occupait cependant toujours plus que le côté spéculatif, et il se distinguait dans Cambridge par son rigorisme et son enthousiasme plus encore que par sa science. Il s'attachait à de pures minuties. Le missel prescrivant de mêler de l'eau avec le vin sacramental, souvent pendant qu'il disait la messe, il se sentait troublé en sa conscience, pour n'avoir pas mis assez 185
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle d'eau. Ce remords ne lui laissait pas un moment de tranquillité [6]. L'attachement à des ordonnances puériles remplaçait chez lui, comme chez bien d'autres, la foi aux grandes vérités. La cause de l'Église était pour lui celle de Dieu, et il respectait Thomas Becket au moins autant que saint Paul. “ H J'étais alors, dit-il en 1552, un papiste aussi obstiné qu'il en fût jamais en Angleterre*. [7] » Luther se rendit le même témoignage.
Le fervent Latimer reconnut bientôt que tous ceux qui l'entouraient n'étaient pas aussi zélés que lui pour les cérémonies de l'Eglise. Il suivait des yeux avec surprise certains jeunes membres de l'Université, qui, abandonnant les docteurs de l'école, s'assemblaient journellement pour lire et discuter les saintes Écritures. On se moquait d'eux dans Cambridge : Ce sont les sophistes. » Disait-on. Mais les plaisanteries ne suffisaient pas à Latimer ; un jour donc, il arriva dans l'assemblée des sophistes, et les conjura d'abandonner l'étude de l'Écriture. Toutes ses in stances furent inutiles. Faut-il s'en étonner ? se dit Latimer. Ne voit-on pas des maîtres donner eux-mêmes l'exemple à cette, jeunesse égarée? Le plus illustre professeur des universités d'Angleterre, maître Stafford, se consacrant ad Biblia, comme Luther à Wittenberg, n'explique-t-il pas les saintes écritures d'après le texte hébreu et grec? Les étudiants ravis ne célèbrent-ils pas en mauvais vers latins ce docteur.
Qui Paulum explicuit rite, et Evangelium ? [8] » Que des jeunes gens s'occupent de ces jeunes doctrines, cela se conçoit ! Mais un docteur en théologie Quelle honte! —
Latimer attaque donc Stafford. Il l'insulte [9]; il supplie la jeunesse de Cambridge d'abandonner le professeur et ses hérétiques enseignements; il se rend dans les salles universitaires où le docteur professe donne des signes d'impatience pendant la leçon, et la réfute au sortir de l'école. Il prêche même publiquement contre le savant docteur. Mais il semble que Cambridge et l'Angleterre soient frappés d'aveuglement ; le clergé approuve Latimer, il est vrai, il le loue même, mais il ne fait rien. Pour le consoler, on fit pourtant quelque chose ; on le nomma (nous l'avons déjà vu remplir cette fonction) porte-croix de l'Université. Latimer voulut se montrer digne d'un tel honneur. Il a laissé les étudiants pour attaquer Stafford; il laissera maintenant Stafford pour un plus illustre adversaire ; mais cette attaque même lui fera rencontrer quelqu'un qui est plus fort que lui. Devant recevoir le grade de bachelier en théologie, et prononcer à cette occasion un discours latin en présence de l'Université, Latimer choisit pour sujet Philippe Melanchthon et ses doctrines. Cet audacieux hérétique n'a-t-il pas osé dire tout récemment que les Pères de l'Église ont altéré le sens de l'Écriture? N'a-t-il pas prétendu que, semblables à ces pierres dont les nuances diverses communiquent chacune leur cou^ leur aux polypes qui s'y attachent [10], les docteurs de l'Église mettent chacun leur opinion dans les passages qu'ils exposent? N'a-t-il pas enfin découvert une nouvelle pierre de touche (c'est ainsi qu'il appelle la sainte Écriture) avec laquelle il 186
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle faut éprouver les sentences même de saint Thomas! Le discours de Latimer fit une grande impression, Enfin, disait-on, l'Angleterre, Cambridge même, fournissent à l'Église un champion qui tiendra tête aux docteurs de Wittenberg et qui sauvera la barque du Seigneur! Il en devait être autrement. Il se trouvait dans l'assemblée un homme que l'on apercevait à peine à cause de sa petite taille; c'était Bilney.
Depuis longtemps il observait la marche de Latimer, et son zèle l'intéressait, quoique ce zèle fût sans connaissance. Bilney n'avait pas une grande énergie, mais il possédait un tact délicat, un discernement habile des esprits, qui lui faisait reconnaître l'erreur et choisir la voie la plus propre à la combattre. Aussi un chroniqueur l'appelle-t-il : “ H Essayeur a des subtilités de Satan, établi de Dieu pour reconnaître la fausse monnaie, que l'adversaire répandait dans l'Église*. [11] »
Bilney discerna facilement les sophismes de Latimer, mais en même temps il aima sa personne, et il conçut le désir de le gagner à l'Évangile. Comment y parvenir?
Latimer, rempli de préjugés, ne voudra pas même écouter l'évangélique Bilney.
Celui-ci réfléchit, pria et forma un dessein bien candide et bien étrange, qui devait amener l'une des plus étonnantes conversions que l'on rencontre dans l'histoire... Il se rend au collège qu'habite Latimer : “ H Pour l'amour de Dieu, lui dit-il, veuillez entendre ma confession [12]. » L'hérétique demandait à se con fesser au catholique : quel fait singulier!... Le dis cours contre Melanchthon l'a convaincu sans doute, se dit Latimer. Bilney n'était-il pas jadis au nombre des plus fervents dévots?
Sa figure pâle, son corps maigre, son regard timide, montrent assez que c'est aux ascètes du catholicisme qu'il doit appartenir. S'il revient en arrière, tous reviendront avec lui, et le succès sera complet à Cambridge. L'ardent Latimer consent avec empressement à la demande de Bilney, et celui-ci, à genoux devant le porte croix, lui raconte avec une touchante vérité, les angoisses qu'il a jadis endurées en son âme, les essais qu'il a faits pour les dissiper; leur inutilité tant qu'il a voulu suivre les préceptes de l'Église, puis enfin la paix qu'il a éprouvée quand il a cru que Jésus-Christ est l'agneau de Dieu qui porte les péchés du monde. Il décrit à Latimer l'esprit d'adoption qu'il a reçue, et le bonheur qu'il a de pouvoir maintenant nommer Dieu son père... Latimer, qui s'attendait à une confession, a prêté l'oreille sans défiance. Son cœur s'est ouvert, et la voix du pieux ________________________________________
FOOTNOTES
[1] “ H So was in his heart an incredible desire to allure many. » (Fox, Acts, IV, p.
620.)
[2] “ H My mother milhed thirty kine. » (Latimer's Sermons> Parker edition^ p.
101.)
[3] “ H I can remember that I buckled bis harness. » (Ibid.) * Ecclésiaste III, 12.
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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle
[4] “ H I would that bene had been banished beyond the sea. » (Latimer's Sermons.)
[5] “ H It is pity that thy father spendeth so much money upon thee. » (Ibid., p.
499.)
[6] “ H I would that bene had been banished beyond the sea. » (Latimer's Sermons.)
[7] “ H It is pity that thy father spendeth so much money upon thee. » (Ibid., p. 499.)
[8] Qui nous a expliqué le vrai sens de saint Paul et de l'Evangile. (Strype's Memorials, 1, 74.) »
[9] “ H Most spitefully railing against hira. » (Fox, Acts, VIII, p. *•'*)
[10] “ H Ut polypus cuicumque petrœ adhaeserit, ejus colorem imitatur. » [Corp.
Ref., I, p. 114.)
[11] “ H A trier out of Satan's subtelties. » (Fox, Acts, VII, p. 4S8.)
[12] “ H He came to me afterwards in my study, and desired me for Gort's pake, to hear his confession. » (Latimer's Sermons, p. 334.) 188
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE X
Mort d'Adrien, ambition de Wolsey. — Intrigues. — Jules de Médicis élu. —
Irritation et dissimulation de Wolsey. — Sa haine contre Charles-Quint. — Charles offre à Henri la couronne de France. — Mission de Pace. — Réforme de Wolsey en Angleterre. — Réprimande du roi. — Effets de Pavie en Angleterre. — Wolsey décide Henri contre Charles. — Impôt et révolte. — Les chrétiens évangéliques et le clocher de Tenterton
Adrien VI est mort le 14 septembre 1523, avant la fin de la seconde année de son pontificat : Wolsey se crut pape. Enfin il allait être non plus seulement le favori, mais l'arbitre des rois de la terre; et son génie, pour lequel l'Angleterre était trop étroite, allait avoir pour théâtre l'Europe et le monde. Déjà roulant dans son esprit de gigantesques projets, le pape futur rêvait en Occident la destruction de l'hérésie, en Orient la cessation du schisme grec, et de nouvelles croisades pour replacer la croix sur les murs de Constantin. Il n'est rien que n'eût osé entreprendre Wolsey, assis sur le trône de la catholicité, et les pontificats de Grégoire VII et d'Innocent III eussent été éclipsés par celui du fils du boucher d'Ipswich. Le cardinal rappela à Henri VIII sa promesse, et le roi signa le lendemain une lettre adressée à Charles-Quint.
Se croyant sûr de l'empereur, Wolsey tourna tous ses efforts du côté de Rome. «Le légat d'Angle terre, dirent aux cardinaux les ambassadeurs de Henri, est l'homme nécessaire aux temps actuels.
« Seul il connaît à fond les intérêts et les besoins de la chrétienté; et seul il est assez fort pour y pour voir. Plein de bienveillance, il partagera ses dignités et ses richesses entre tous les prélats qui lui prêteront leur concours. »
Mais Jules de Médicis ambitionnait aussi la papauté, et dix-huit cardinaux lui étant dévoués, l'élection ne pouvait se faire sans lui. « Plutôt que de céder, dit-il dans le conclave, je mourrai dans cette prison. -» Un mois s'était écoulé et rien n'était fait.
On mit alors en mouvement de nouveaux ressorts ; on cabalait pour Wolsey, pour Médicis; on assiégeait tous les cardinaux...
« L'intrigue au milieu d'eux par cent chemins se glisse *[1]. » Enfin, le 19 novembre, le peuple s'ameuta et cria sous les fenêtres : « Point de pape étranger ! » Alors, après quarante-neuf jours de débats, Médicis ayant été élu, « courba la tête, » selon son expression, « sous le joug de la servitude apostolique* [2] » et prit le nom de Clément VII.
Wolsey fut exaspéré ; en vain se présentait-il à chaque vacance devant la chaire de Saint-Pierre ; un rival plus agile ou plus heureux y arrivait toujours avant lui.
Maître de l'Angleterre, le plus puissant des diplomates européens, il se voyait 189
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle préférer des hommes qu'il estimait ses inférieurs. Cette élection était un événement pour la Réformation. Wolsey pape, eût, humainement parlant, resserré les liens déjà si étroits qui unissaient l'Angleterre à Rome, tandis que Wolsey repoussé, ne pouvait manquer de se jeter dans des voies tortueuses qui contribueraient peut-être à émanciper l'Église. Il redoubla de dissimulation ; dit à Henri que cette élection était tout à fait conforme à ses désirs, et se hâta de féliciter le nouveau pape. «
Jamais ni le roi, ni le cardinal, lui fit-il dire, n'ont obtenu un succès qui leur ait causé tant de joie; vous étiez justement l'homme auquel ils souhaitaient ce rang élevé » Mais le pape, devinant la colère de son compétiteur, envoya au roi une rose d'or, et à Wolsey l'un de ses anneaux. « Je regrette, dit-il en l'ôtant de son doigt, de ne pouvoir le placer moi-même à celui de son Éminence. »
De plus, Clément lui conféra à vie la fonction de légat, qui jusqu'alors n'était que temporaire [3]. Ainsi la papauté et l'Angleterre s'embrassaient, et rien ne paraissait plus éloigné que la révolution chrétienne qui devait bientôt affranchir la Grande-Bretagne de la tutelle du Vatican. L'ambition déçue de Wolsey lui fit suspendre à Cambridge les persécutions du clergé. Il avait la vengeance dans l'âme, et ne se souciait nullement, pour plaire à son rival, de persécuter les Anglais. D'ailleurs, comme plusieurs papes, il avait certains égards pour les lettres. Jeter en prison des lollards, cela ne pouvait faire aucune difficulté ; mais des docteurs... ceci demandait un plus mûr examen. Il donna donc à Rome un signe d'indépendance. Toutefois, ce n'était pas précisément contre le pape qu'il formait de sinistres desseins; Clément avait été plus heureux que lui; il n'y avait pas de quoi lui en vouloir... C'était Charles-Quint qui était le coupable, et Wolsey lui jurait une haine à mort. Décidé à le frapper, il cherchait seulement la place où il pouvait lui porter le coup le plus sensible. Pour atteindre son but, il résolut de dissimuler sa colère, et de distiller goutte à goutte dans l'esprit de Henri VIII, cette haine passionnée contre Charles, qui allait donner à son activité une nouvelle énergie. Charles comprit l'indignation qui se cachait sous l'apparente douceur de Wolsey, et désireux de retenir Henri dans son alliance, il redoubla d'avances pour le roi. Ayant privé le ministre d'une tiare, il s'empressa d'offrir au roi une couronne; c'était, certes, une belle compensation ! «
Vous êtes roi de France, fit dire l'Empereur à Henri, et je me charge de conquérir pour vous votre royaume. Seulement, envoyez un ambassadeur en Italie pour négocier cette affaire. »
Wolsey, qui pouvait à peine contenir son dépit, devait pourtant avoir l'air de se prêter aux vues de l'Empereur. En effet, le roi ne rêvait plus que son arrivée à Saint-Germain, et chargeait Pace de se rendre en Italie pour cette importante mission. Un espoir restait à Wolsey : il était impossible de traverser les Alpes, car les troupes françaises interceptaient tous les passages. Mais Pace, doué d'une de ces natures aventureuses que rien n'arrête, aiguillonné par la pensée que le roi lui-même l'envoyait, résolut d'escalader le col de Tonde. Le 27 juillet, il se jette dans les 190
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle montagnes; il franchit des cols escarpés; il se met à quatre pour les gravir [4]; et quand il s'agit de redescendre, H tombe souvent. En certains lieux il monte à cheval; mais, écrit-il à Henri VIII, le sentier était si étroit et le précipice si profond, que pour toutes les richesses du monde je n'eusse pas fait tourner ma bête, ou regardé au-dessous de moi. » Après ce passage, qui dura six jours, Pace arriva en Italie harassé de fatigue. « Que le roi d'Angleterre entre immédiatement en France par la Normandie, lui dit le connétable de Bourbon, et je m'arrache les deux yeux si avant la Toussaint il n'est pas maître de Paris ; or, Paris pris, il est maître de tout le royaume. [5] »
Mais Wolsey, à qui ces paroles étaient transmises par l'ambassadeur, faisait la sourde oreille, retardait l'envoi des subsides et demandait certaines conditions propres à faire avorter le projet. Pace, ardent, imprudent même, mais simple et droit, s'oublia, et, dans un moment de dépit, écrivit à Wolsey : « Pour vous parler franchement, si vous ne faites pas attention à ces choses, j'imputerai à Votre Grâce la perte de la couronne de France. » Cette parole ruina définitivement l'envoyé de Henri dans l'esprit du cardinal. Cet homme, qui lui devait tout, aspirerait-il à le remplacer?... En vain Pace affirme-t-il à Wolsey qu'il ne fallait pas prendre au sérieux ce qu'il avait dit; le coup était porté. Pace fut associé à Charles dans la haine cruelle du ministre, et il devait un jour en ressentir les terribles effets. Wolsey put bientôt s'assurer que le service que Charles avait voulu rendre au roi d'Angleterre était au-dessus des forces de l'Empereur.
Satisfait d'un côté, Wolsey se vit tout aussitôt at taqué d'un autre. Cet homme, le plus puissant parmi les favoris des rois, sentit alors souffler sur lui un premier vent de défaveur. Sur le trône pontifical, il eût tenté sans doute une réforme, à la manière de Sixte Quint ; voulant y préluder sur un moindre théâtre, et régénérer à sa façon l'Église catholique en Angle terre, il soumit les monastères à de strictes investigations, favorisa l'instruction de la jeunesse, et donna le premier un grand exemple, en supprimant certaines maisons religieuses dont il appliqua les revenus à son collège d'Oxford. Thomas Cromwell, son solliciteur, se montra fort habile dans cette affaire' [6], et fit ainsi ses premières armes, sous un cardinal de l'Église romaine, dans une guerre dont il devait plus tard prendre le commandement.
Wolsey et Cromwell s'attirèrent par leurs réformes la haine de quelques moines, de quelques prêtres et même de quelques seigneurs, très humbles serviteurs du parti clérical. Ceux-ci les accusèrent de n'avoir point taxé les monastères à leur juste valeur, et d'avoir en certains cas empiété sur la juridiction royale. Henri, que la perte de la couronne de France avait mis de mauvaise humeur, résolut pour la première fois de ne pas ménager son ministre : « Il y a, lui dit-il, de grands murmures dans tout le royaume ; on prétend que votre nouveau collège d'Oxford n'est au fond qu'un manteau commode sous lequel vous cachez vos malversations
[7]. — A Dieu ne plaise, répondit le cardinal, que cette vertueuse fondation 191
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle d'Oxford^ entreprise pour le bien de ma pauvre âme, s'élève ex rapinis[7] Mais surtout, à Dieu ne plaise, Sire, que j'empiète jamais sur votre royale autorité. » Puis il insinua habilement au roi que par son testament il lui laissait tous ses biens : Henri fut satisfait; il avait une part dans l'affaire.
Des événements d'une tout autre importance at tiraient d'ailleurs l'attention du roi ; l'armée impériale et l'armée française étaient en présence devant Pavie. Wolsey, qui donnait ouvertement la main droite à Charles-Quint et par-dessous le manteau la main gauche à François Ier, répétait à son maître : Si l'Empereur a le dessus, n'êtes-vous pas son allié? Si c'est François, n'ai-je pas des communications secrètes avec lui [8] ? Ainsi, ajoutait le cardinal, Votre Altesse aura, quoi qu'il arrive, de grandes raisons de bénir le Dieu tout-puissant [9]. »
Enfin, le 24 février, la bataille de Pavie fut livrée, et les impériaux trouvèrent dans la tente de François Ier des lettres de Wolsey, et dans son trésor et les poches de ses soldats, l'or corrupteur du cardinal. C'était un Génois habile, Joachim, intendant de Louise, régente de France, qui, sous le nom d'un marchand de Boulogne, et caché à Blackfriars, avait tramé cette alliance. Charles-Quint sut désormais à quoi s'en tenir; mais à peine la nouvelle de la bataille de Pavie fut-elle arrivée en Angleterre, que, fidèle dans la perfidie, Wolsey fit éclater une feinte allégresse. Le peuple se réjouit aussi, mais de bonne foi. On alluma de grands feux dans les rues de Londres; le vin coula sur les places de la cité, et le lord-maire, entouré de ses aldermen, parcourut toute la ville, à cheval, au son bruyant de la trompette. Tout n'était pas mensonge dans la joie du cardinal. Il eût bien aimé la défaite de son ennemi; mais sa victoire lui était peut-être plus utile encore.
L'Empereur, dit-il à Henri, ne connaît ni foi, ni loi ; l'archiduchesse Marguerite est une prostituée [10]; don Ferdinand est un enfant, et Bourbon un traître ! Vous avez autre chose à faire de votre argent, Sire, que de le prodiguer à ces quatre personnages ! Charles vise à la monarchie universelle ; Pavie est le premier échelon de ce trône, et si l'Angleterre ne s'y oppose, il y arrivera. » Joachim étant venu secrètement à Londres, Wolsey obtint de Henri que l'on conclurait entre la France et l'Angleterre une paix indissoluble sur terre et sur mer. [11] » Enfin le voilà en état de prouver à Charles que l'on court quelque danger à s'opposer à l'ambition d'un prêtre. Ce ne fut pas le seul avantage que Wolsey retira du triomphe de son ennemi. Les bourgeois de Londres s'imaginaient que le roi d'Angleterre serait dans quelques semaines à Paris; Wolsey, rancuneux et avide, résolut de leur faire payer cher leur enthousiasme. « Vous voulez conquérir la France, dit-il aux Anglais; vous avez raison ; donnez-nous donc pour cela la sixième partie de vos biens; certes, c'est peu de chose pour vous passer une si noble fantaisie. »
L'Angleterre ne pensa pas de même; cette demande illégale y excita d'universelles réclamations : « Nous sommes Anglais et non Français, libres et non esclaves! »
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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle s’écriait-on de toutes parts. Henri pouvait bien tyranniser sa cour, mais non porter la main sur les biens de ses sujets. Les comtés de l'ouest s'insurgèrent; quatre mille hommes furent en un instant sous les armes, et Henri, dans son palais, n'était gardé que par quelques serviteurs ; il fallut rompre les ponts pour arrêter les rebelles. Les courtisans se plaignaient au roi; le roi rejetait la faute sur le cardinal; le cardinal l'imputait au clergé, qui l'avait encouragé à mettre cet impôt sur le peuple, en lui citant l'exemple de Joseph demandant à l'Egypte la cinquième partie de ses biens ; et le clergé, à son tour, attribuait ce mal aux évangéliques, qui suscitaient, disait-il, en Angleterre comme en Allemagne, une guerre de paysans. La Réformation produit la révolution; tel est le thème favori des sectateurs du pape. Il fallait faire main basse sur les hérétiques. Non pluit Deus, duc ad christianos [12].
L'accusation des prêtres était absurde ; mais le peuple est aveugle quand il s'agit de l'Évangile, et quelquefois les gouvernants le sont aussi. De graves raisonnements n'étaient pas nécessaires pour réfuter cette fable. « Je veux, disait un jour Latimer, vous raconter une histoire digne d'être écoutée. Un banc de sable s'était formé devant Sandwich, l'un des cinq ports, et en avait intercepté l'entrée. Thomas More, commis pour en rechercher la cause, se rendit à Sandwich, convoqua les hommes capables de lui donner quelque lumière, et parmi eux distingua un vieillard dont la tête toute blanche lui inspirait un grand respect. — Mon père, lui dit-il, d'où vient le mal, je vous prie? —
Certainement, bon maître, répondit le vieillard, j'en dois savoir quelque chose, car je ne suis pas loin de la centaine. Eh bien, je crois que le clocher de Tenterton est la cause des sables de Goodwin ; car je me souviens très bien du temps où il n'y avait pas encore de clocher, et alors il n'y avait pas de sable. » Après avoir raconté son anecdote, le malin Latimer ajouta : « C'est la Parole de Dieu qui a engendré la rébellion, comme c'était le clocher de Tenterton qui avait barré le port [13]. » Depuis le temps de Latimer, les partisans du pape ont relevé plus d'une fois le clocher de Tenterton. Il n'y eut pas de persécution ; on avait autre chose à faire. Wolsey, certain que Charles lui avait fermé l'accès de la papauté, ne pensait qu'à s'en venger. Mais, pendant ce temps, Tyndale aussi poursuivait son but; et cette année 1525, signalée par la bataille de Pavie, devait l'être dans les îles Britanniques par une victoire plus importante encore.
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FOOTNOTES
[1] Un Conclave, par G. Delavigne.
[2] Colla subjecimus jugo apostolicœ servitutis. (Rymeri Fœderat VI, il, p. 7.)
[3] Collyer's Eccl. Hùt., II, p. 19.
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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle
[4] « It made us creep of ail four. » (Pace to the king, Strype's Memorials, l, p. 27.)
[5] « He will give his grace leave to pluek out both his eyes. » (MSC, ntellius,h., VI, p. 87.)
[6] Very fonvard and industrious. » (Fox, Acts, V, p. 366.)
[7] Collyer's Eccl. Hist., X, p. 20.
[8] By such communications as he seth fufth with France, a parte. » [State papers, p. 158.)
[9] Great cause to give thanks unto almighty God. » [Ibid.)
[10] Milady Margarete was a ribawde. » (MSC, Vesp., C.,IH, p, 55.) »
[11] Since.ra, fldelis, firma et indissolubilis pax. » (Rymeri Fœtlera, ibid., p. 82, 33.)
[12] Dieu n'envoie pas de pluie... tombons sur les chrétiens. » Cette parole est attribuée par Augustin aux païens des premiers siècles.
[13] The preaching of God's word is the cause of rebellion, as Tenterton's steeple was cause Sandwich haven is decayed. » (Latimer's Sermons, p. 251.) 194
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE XI
Tyndale à Hambourg. — Saint Matthieu et saint Marc. — Ennuis et pauvreté. —
Tyndale vit-il Luther? — Tyndale à Cologne. — Le Nouveau Testament s'imprime.
— Soudaine interruption. — Cochlée caché à Cologne. — Les manuscrits de Rupert.
— Découverte de Co- chlée. — Ses recherches. — Son effroi. — Rincke et la prohibition du sénat. — Consternation et décision de Tyndale. — Cochlée écrit en Angleterre. — Tyndale remonte le Rhin. — Il imprime à Worms deux éditions du Nouveau Testament. — Prière de Tyndale
Le navire qui portait Tyndale et ses manuscrits avait jeté l'ancre devant Hambourg, où, depuis 1521, l'Évangile comptait de nombreux amis. Encouragé par la présence de ses frères, le fellow d'Oxford s'étant modestement logé dans l'une des rues étroites et tortueuses de cette vieille cité, avait aussitôt mis la main à l'œuvre. Un secrétaire qu'il appelle son fidèle compagnon, [1]» l'aidait à collationner, mais bientôt ce frère, dont le nom est inconnu, se croyant appelé à prêcher Christ dans des lieux où il n'avait jamais été annoncé, quitta Tyndale.
Un ancien moine de Greenwich, de l'observance de Saint-François, ayant abandonné le cloître et se trouvant sans ressources, offrit ses services à l'helléniste.
William Roye était l'un de ces hommes, toujours assez nombreux, que l'impatience du joug éloigne de Rome, sans que l'Esprit de Dieu les attire à Ghrist. Fin, insinuant, tracassier [2], mais doué de dehors agréables, il charmait tous ceux qui n'avaient avec lui que des rapports passagers. Tyndale, relégué sur les rives lointaines de l'Elbe, au milieu d'habitudes étrangères et n'entendant qu'une langue inconnue, pensait souvent à l'Angleterre et était impatient de la faire jouir du fruit de ses veilles; il accepta le secours de Roye. Les évangiles de Matthieu et de Marc, traduits et imprimés à Hambourg, devinrent à ce qu'il paraît, pour sa patrie, les prémices de son grand travail.
Mais bientôt Tyndale se vit accablé d'ennuis. Roye, facile à conduire quand il n'avait point d'argent [3], était devenu intraitable aussitôt qu'il en avait eu. Que faire? Le Réformateur ayant épuisé les dix livres apportées d'Angleterre, ne pouvait satisfaire aux demandes de son collaborateur, payer ses propres dettes et se transporter ailleurs. Il redoubla de sobriété et d'économie. La Wartbourg, où Luther avait traduit le Nouveau Testament, était un palais en comparaison du réduit où le réformateur de la riche Angleterre endurait la faim et le froid, en travaillant nuit et jour pour donner l'Évangile aux chrétiens anglais.
Vers la fin de 1524, Tyndale envoya les deux Évangiles à Monmouth; et un marchand, Jean Cal lenbeke, lui ayant apporté les dix livres qu'il avait laissées entre les mains de son ancien patron, il se prépara aussitôt au départ.
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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Où ira-t-il? Pas en Angleterre ; il faut qu'il achève avant tout son travail. Pouvait-il se trouver près de Luther sans chercher à le voir? Il n'avait besoin du réformateur saxon ni pour trouver la vérité, qu'il avait déjà connue à Oxford, ni pour entreprendre la traduction des Écritures, qu'il avait déjà commencée dans la vallée de la Severn. Mais n'était-ce pas à Wittemberg qu'accouraient tous les étrangers amis de l'Évangile ? Pour dissiper toute incertitude sur l'entrevue des deux réformateurs, il faudrait peut-être que l'on en trouvât quelque trace à Wittemberg même [4], dans les registres universitaires ou dans les écrits des réformateurs saxons. Cependant plusieurs témoignages contemporains semblent donner à cette conférence un degré suffisant de probabilité. « Il eut, dit Fox, une entrevue avec Luther et d'autres savants de ces contrées*. [5] » Ce dut être au printemps de l'année 1525.
Tyndale, voulant se rapprocher de sa patrie, tourna ses regards du côté du Rhin. Il y avait à Cologne de célèbres imprimeurs, bien connus dans la Grande-Bretagne, entre autres Quentel, et les Byrckmann. François Byrckmann avait des magasins à Londres, au cimetière de Saint-Paul, ce qui pouvait faciliter l'introduction et la vente de Testaments imprimés sur les bords du Rhin. Cette circonstance providentielle décida Tyndale eu faveur de Cologne, et il s'y rendit avec Roye; et ses manuscrits. Arrivé dans les sombres rues de la cité d'Agrippine, il contempla ses nombreuses églises, sur tout son antique cathédrale qui retentissait de la voix des prébendiers, et il fut saisi de tristesse à la vue de ces prêtres, de ces moines, de ces mendiants et de ces pèlerins, qui, de toutes les parties de l'Europe, y venaient adorer les prétendues reliques des trois mages et des onze mille vierges. Alors Tyndale se demanda si c'était bien dans cette cité superstitieuse que le Nouveau Testament devait s'imprimer en anglais. Ce n'était pas tout; le mouvement réformateur qui travaillait alors l'Allemagne avait éclaté à Cologne pendant la fête de Pentecôte, et l'archevêque venait d'interdire tout culte évangélique. Néanmoins Tyndale persévéra, et, se soumettant aux précautions les plus minutieuses pour ne pas compromettre son travail, il prit à l'écart un logement et s'y tint caché.
Bientôt pourtant, se confiant en Dieu, il se rendit chez l'imprimeur, lui présenta son manuscrit, en de manda six mille exemplaires [6], puis, après réflexion, seulement trois mille, de peur d'une saisie. L'impression s'avançait; une feuille succédait à l'autre; l'Évangile exposait peu à peu ses mystères dans la langue des Anglo-Saxons, et Tyndale ne se possédait pas de joie [7]. Il suivait des yeux les triomphes de la sainte Écriture dans tout le royaume, et s'é criait avec transport : « Que le roi le veuille ou ne le veuille pas, bientôt tous les peuples de l'Angleterre, éclairés par le Nouveau Testament, obéiront à Jésus-Christ' ! [8] »
Mais tout à coup le soleil, dont il saluait avec joie les premiers rayons, s'enveloppe d'épais nuages. Un jour, au moment où la dixième feuille sortait de presse, l'imprimeur accourt vers Tyndale, et lui dit que le magistrat de Cologue lui défend 196
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle de continuer ce travail. Tout est donc découvert. Sans doute Henri VIII, qui a brûlé les livres de Luther, veut aussi brûler le Nouveau Testament, lacérer les manuscrits de Tyndale, et le livrer lui-même à la mort. Qui a trahi le fellow d'Oxford? Il se perd en conjectures inutiles, et une seule chose lui paraît certaine : son navire, qui voguait à pleines voiles, vient, hélas ! D’échouer contre un récif. Voici l'explication de cet événement inattendu.
Un homme que nous avons souvent rencontré dans le cours de cette histoire * [9], l'un des plus violents ennemis de la Réformation, Cochlée, était arrivé à Cologne. Le flot des agitations populaires qui avait remué cette ville pendant les fêtes de Pentecôte, avait déjà passé sur Francfort pendant les fêtes de Pâques; et le doyen '
de Notre-Dame, profitant d'un moment où les portes de la ville étaient ouvertes, s'était enfui quelques minutes avant qu'on entrât dans sa maison pour le saisir.
Arrivé à Cologne, où il espérait vivre ignoré à l'ombre du puissant électeur, Cochlée s'y était logée chez George Lauer, chanoine de l'église des Apôtres.
Par une singulière destinée, les deux hommes les plus opposés, Tyndale et Cochlée, se tenaient alors cachés dans la même ville; ils ne devaient pas y rester longtemps, sans se heurter l'un contre l'autre.
En face de Cologne, sur la rive droite du Rhin, se trouvait le monastère de Deutz, dont l'un des abbés, Rupert, qui vivait au douzième siècle, avait dit : « Ignorer l'Écriture, c'est ignorer Jésus-Christ. Voici l'Ecriture des peuples [10]. Ce livre de Dieu qui n'est pas pompeux en paroles et pauvre en intelligence, comme Platon, doit être placé devant toutes les nations, et parler à haute voix à tout l'univers, du salut de tous. » Un jour que Cochlée et son hôte s'entretenaient de Rupert, le chanoine apprit au doyen que Vhérélique Osiander de Nuremberg était en négociation avec l'abbé de Deutz, pour publier les écrits de cet ancien docteur. Cochlée devina qu'Osiander voulait présenter le contemporain de saint Bernard, comme un témoin à décharge de la Réformation. Courant au monastère, il effraya l'abbé : « Confiez-moi, dit-il, les manuscrits de votre célèbre devancier ; je me charge de les imprimer et de prouver qu'il est des nôtres. » Les moines les lui remirent en insistant sur une prochaine publication, dont ils attendaient quelque gloire [11]. Cochlée se rendit aussitôt chez Pierre Quentel et Arnold Byrckmann, pour traiter de cette affaire; c'étaient les imprimeurs de Tyndale. Cochlée devait faire là une découverte plus importante que celle des manuscrits de Rupert. Byrckmann et Quentel l'ayant un jour invité à dîner avec plusieurs de leurs collègues, un imprimeur, mis en gaieté par le vin, s'écria au moment où, selon l'expression de Cochlée, on était entre les verres et les pots*[12] : « Que le roi et le cardinal d'York le veuillent ou ne le veuillent pas, toute l'Angleterre sera bientôt luthérienne [13]! » Cochlée prête l'oreille, il s'effraye ; il questionne, et il apprend enfin que deux Anglais, hommes savants et fort versés dans les langues, sont cachés à Cologne [14] ! ! ! Mais ses efforts pour en savoir davantage sont inutiles.
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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Dès lors, plus de repos pour le doyen de Franc fort; son imagination travaille; son esprit s'épouvante. A Quoi, se dit-il, l'Angleterre, cette fidèle servante de la papauté, serait- elle pervertie comme l'Allemagne? Les Anglais, ce peuple le plus religieux de la chrétienté [15], et dont le roi s'est naguère illustré par son écrit contre Luther, seraient-ils envahis par l'hérésie!... Le puissant cardinal-légat d'York devra-t-il s'enfuir de ses palais, comme moi de Francfort? » Cochlée continue ses recherches ; il fait aux imprimeurs de fréquentes visites ; il leur parle d'un ton amical ; il les flatte; il les invite à venir le voir chez le chanoine ; mais il n'ose encore hasarder l'importante question ; il lui suffit pour le moment d'avoir gagné les bonnes grâces des dépositaires du secret. Bientôt il fait un nouveau pas; il se garde de les interroger en présence les uns des autres ; mais il se procure avec l'un d'eux un entretien particulier [16], et lui verse d'amples libations de vin du Rhin ; c'est lui-même qui nous l'apprend*[17]. Des questions adroites embarrassent l'imprimeur aviné, et à la fin le mystère se dévoile.
Le Nouveau Testament, dit-on à Cochlée, est traduit en langue anglaise; trois mille exemplaires sont sous presse, quatre-vingts pages in-quarto sont prêtes; des marchands anglais font les frais; et dès que l'ouvrage sera terminé, on l'introduira et le disséminera dans toute l'Angleterre, sans que le roi ni le cardinal puissent le savoir et l'empêcher [18]... Ainsi la Grande-Bretagne sera convertie aux opinions de Luther*.[19] »
La surprise de Cochlée égale son effroi [20] ; il dissimule ; il voudrait apprendre cependant où les deux Anglais sont cachés ; ses efforts sont inutiles, et il se retire chez le chanoine plein d'émotion. Le péril est immense. Étranger, exilé, comment fera-t-il pour s'opposer à cette entreprise impie ? Où trouvera-t-il un ami de l'Angleterre, qui mette quelque zèle à détourner le coup qui la menace?... Il s'y perd.
Un éclair vient tout à coup dissiper ces ténèbres. Un personnage considérable de Cologne, le chevalier Hermann Rincke, patricien et conseiller impérial, avait été, dans une occasion importante, envoyé à Henri VII par l'empereur Maximilien, et avait toujours montré depuis lors un grand attachement pour l'Angleterre. Cochlée se décide à lui découvrir le funeste complot ; mais encore enrayé des scènes de Francfort, il craint de paraître conspirer contre la Réformation. Il a laissé dans sa maison sa vieille mère et une petite nièce, et il ne veut rien faire qui puisse les compromettre. Il se glisse donc furtive ment (c'est lui qui nous l'apprend [21]), le long des murs de l'hôtel du chevalier; il y entre à la dérobée, et lui dévoile toute l'affaire. Rincke ne peut croire que l'on imprime à Cologne le Nouveau Testament en anglais ; cependant il envoie vite un homme de confiance aux informations, et celui-ci lui rapporte que la déclaration de Cochlée est exacte, et qu'il a trouvé dans l'imprimerie une immense provision de papier destinée à l'édition* [22]. Le patricien se rend aussitôt au sénat ; il y parle de Wolsey, d’Henri VIII, du salut de l'Église romaine dans la Grande-Bretagne; et ce corps auquel l'influence de l'archevêque a 198
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle fait dès longtemps oublier les droits de la liberté, défend aux imprimeurs de continuer leur travail. Ainsi, plus de Nouveaux Testaments pour l'Angleterre! Une main habile a détourné le coup dont le catholicisme romain allait être frappé; peut-être même Tyndale va-t-il être jeté en prison, et Cochlée jouir d'un complet triomphe.
Tyndale fut d'abord consterné. Tant d'années de travail seraient-elles donc perdues ? Son épreuve lui semble surpasser ses forces [23]. « O loups ravissants!
s'écriait-il, ils prêchent aux autres de ne pas dé rober, et ils dérobent à l'homme le pain de vie, pour le nourrir des écales de leurs mérites, et des cosses de leurs bonnes œuvres*. [24]» Toutefois Tyndale, dont la foi enlèverait les montagnes, ne se laisse pas longtemps abattre. N'est-ce pas de la Parole de Dieu qu'il s'agit? S'il ne s'abandonne pas lui-même, Dieu ne l'abandonnera pas. Il faut devancer le sénat de Cologne. Hardi et prompt dans tous ses mouvements, Tyndale dit à Roye de le suivre; il court à l'imprimerie, il rassemble ses feuilles, se jette dans une barque, et remonte rapidement le fleuve, emportant avec lui l'espérance de l'Angleterre * [25].
Quand Cochlée et Rincke, accompagnés des agents du sénat, arrivent à l'imprimerie, ils sont dans la dernière consternation. L'apostat a mis en sûreté les feuilles abominables [26]!... Leur ennemi s'est échappé comme l'oiseau du filet de l'oiseleur. Où le trouver maintenant? Il va sans doute se placer sous la protection de quelque prince luthérien. Cochlée se gardera bien de l'y poursuivre ; mais il lui reste une ressource : ces livres anglais ne peuvent faire aucun mal en Allemagne; il faut seulement empêcher qu'ils n'arrivent à Londres. Il écrit à la fois à Henri VIII, à Wolsey, et à l'évêque de Rochester. « Deux Anglais, dit-il au roi, semblables aux deux eunuques qui voulaient mettre la main sur Assuérus, complotent méchamment contre la paix de votre royaume ; mais moi, fidèle Mardochée je viens vous découvrir leur complot, a On veut envoyer à votre peuple le Nouveau Testament en anglais. Donnez des ordres dans tous les ports de l'Angleterre, pour que l'on ne puisse y introduire la plus funeste des marchandises [27]. »
Tel est le nom que ce fervent sectateur du pape donnait à la Parole de Dieu. Bientôt un auxiliaire inattendu vient rendre le calme à l'âme de Cochlée. Un champion de la papauté, plus terrible que lui, arrive à Cologne, se rendant à Londres, et se charge d'enflammer la colère des évêques et du roi. C'est le célèbre docteur Eck lui-même
[28]. Les regards des plus grands adversaires de la Réformation semblent se concentrer alors sur l'Angleterre. Eck, qui se vante d'avoir remporté sur Luther les plus éclatants triomphes, viendra bien à bout de l'humble précepteur et de son Nouveau Testament.
Pendant ce temps, Tyndale, la main sur ses précieuses feuilles, remontait aussi vite que possible les eaux puissantes du fleuve. Il passait devant les villes antiques et les riants villages, semés sur les bords du Rhin au milieu d’un pittoresque nature.
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Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Les montagnes, les ravins, les rochers, les sombres forêts, les ruines, les églises gothiques adossées aux citadelles romaines, les barques qui se croisaient, les oiseaux de proie qui planaient sur sa tête, comme s'ils avaient eu une mission de Cochlée, rien ne pouvait détourner ses regards du trésor qu'il emportait avec lui.
Enfin, après un voyage de quatre à cinq jours, il arriva devant Worms, où, quatre années auparavant, Luther s'était écrié :
Je ne puis autrement. Dieu me soit en aide ! » Cette parole du réformateur de l'Allemagne, connue de Tyndale, était l'étoile qui l'avait conduit à Worms. Il savait que l'Évangile était prêché dans cette vieille cité. Le peuple, disait Cochlée, y a des transports de luthéranisme [29]. » Tyndale y arriva, non pas comme Luther, entouré d'une foule immense, mais inconnu, se croyant poursuivi par les sbires de Charles-Quint et de Henri VIII. Il descendit de sa barque, porta autour de lui un regard inquiet, et déposa sur le rivage son précieux fardeau.
Il avait eu le temps de réfléchir aux dangers qui menaçaient son œuvre. Ses ennemis auront signalé l'édition dont quelques feuilles sont tombées entre leurs mains ; il prit donc ses mesures pour désorienter les inquisiteurs, et commença une édition nouvelle, retranchant le prologue et les notes, et substituant à l'in-quarto le format in-octavo, plus portatif. Pierre Schœffer, fils du célèbre gendre de Fust, inventeur de l'imprimerie, donna ses presses pour cet important travail. Les deux éditions furent paisible ment terminées vers la fin de l'an 1525 [30].
Ainsi le méchant était déçu ; on avait voulu priver le peuple anglais des oracles de Dieu, et deux éditions du Nouveau Testament allaient entrer en Angleterre. « Voici, disait Tyndale à ses compatriotes, en leur adressant de Worms le Testament qu'il venait de traduire, voici les paroles de la vie éternelle, par lesquelles, si nous croyons, nous naissons de nouveau, et sommes participants des fruits du sang de Jésus-Christ [31]. » Ce fut dans les premiers jours de 1526, que ses livres, partis d'Anvers ou de Rotterdam, passèrent la mer. Tyndale était heureux ; mais il savait que l'onction de l'Esprit-Saint pouvait seule donner au peuple de l'Angleterre l'intelligence de ces feuilles sacrées ; aussi les accompagnait-il nuit et jour de ses prières. « Les pharisiens, disait-il, avaient renfermé dans une gaine de gloses arides le glaive tranchant de la Parole de Dieu [32]; et ils l'y avaient même tellement enfoncé, qu'on ne pouvait plus l'en tirer pour frapper et pour sauver. Maintenant, ô Dieu ! Sors du fourreau cette puissante épée! Frappe, blesse, partage l'âme et l'esprit, en sorte que l'homme divisé soit mis en lutte avec lui-même, mais aussi en paix avec toi pour l'éternité ! »
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FOOTNOTES
200
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle
[1] « While I abode, a faithfni companion. » (Tynd., 17., I, p. 77.) 2 A man somewhat crafty. » [Ibid.)
[2] As long as ne had no money. » (Fox, Acts, V, p. 119.)
[3] A man somewhat crafty. » [Ibid.)
[4] J'ai prié un théologien allemand de faire quelques recherches à ce sujet, mais elles n'ont rien produit.
[5] * M. Anderson, dans son excellent ouvrage [Bible Annals), a combattu le fait de cette entrevue des deux réformateurs, mais sans me convaincre. On comprend que Luther, fort occupé alors de sa dispute avec Carlstad, ne fasse pas mention dans ses lettres de la visite de Tyndale. Il est d'ailleurs, outre Fox, d'autres autorités contemporaines en faveur de ce fait. Cochlée, Allemand, bien informé de tous les mouvements des réformateurs, et que nous allons voir à la piste de Tyndale, dit de lui et de Roye : « Duo Angli apostatae, qui ali quandiu fuerant Vuitenbergœ » (p.
123). Enfin Thomas More, ayant dit que Tyndale avait été voir Luther, Tyndale se contenta de répondre : When M. More saith Tyndale was confederate with Luther, that is not truth. » (Tynd., Works, If, p. 154.) Il nia la confédération, mais non la visite. Si Tyndale n'avait pas même vu Luther, il semble qu'il eût été plus explicite, et eût probablement dit qu'il ne s'était même jamais rencontré avec lui.
[6] Sex millia sub prœlum dari. » (Cochlœus, p. 123.)
[7] Tanta ex ea spe laetitia Lutheranos invasit. (Cochlœus, p. 124.)
[8] Cunctos Angliae populos, volente nolente rege. [Ibid., p. 123.)
[9] Liv. IX, ch. xn et ailleurs
[10] Scripturœ populorum. » [Opera, I, p. 641.)
[11] Quum monachi quieturi non erant, nisi ederentur opera illa. » (Cochl., p. 124.)
*
[12] Audivit eos aliquando inter pocula fiducialiter jactitare. » [lbid., p. 125.)
[13] Velint nolint rex et cardinalis Angliae, totam Angliam brevi fore Lutheranam. »
[lbid., p. 125.)
[14] Duos ibi latitare Anglos eruditos, linguarumque peritos. » [lbid.)
[15] Ingente illa religiosissima vereque christiana.» [lbid., p. 131.) v 20
[16] Unus eorum in secretiori colloquio revelavit illi arcanum. » (Cochl., p. m.)
[17] Rem omnem ut acceperat vini beneficia. » [Ibid.) 201
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle
[18] Opus excussum clam invecturi per totam Angliam latenter dis pergere vellent.
» [Ibid.)
[19] Ad Lutheri partes trahenda est Anglia. » [Ibid.}
[20] Metu et admiratione affectus. » [Ibid.)
[21] Abiit igitur clam ad H. Rink. » (Cochl., p. 131.)
[22] Ingentem papyri copiam ibi existere. » [Ibid.)
[23] Necessity and combraunce (God is record) above strengih. » [Bible Armais, 72,)
[24] Have fed her with the shalos and pods of the hope in Iheir merits... » (Tynd., Works, II, p. 368.)
[25] Arreptis secum quaternionibus impressis aufugerunt navigio per Rhenum ascendentes. » (Cochl., p. 126.)
[26] 1 He was indebted to me no less than Ahasuerus was indebted to Mordecai. »
[Bible Annals, 1, 62.)
[27] Ut quam diligentissime preecaverent in omnibus Angliae portu bus, ne merxilla perniciosissima inveheretur. » (Cochl., p. 126.)
[28] Ad quem D' Eckius venit, dum in Angliam tenderet. » [Ibid. p. 109.)
[29] Ascendentes Wormatiam ubi plebs pleno furore lutherisabat. » (Cochl., p. 126.)
[30] Un exemplaire de l'édition in-8° se trouve dans le musée baptiste de Bristol. Si on la compare à l'édition in-4°, on remarque un progrès sensible dans l'orthographe.
Ainsi tandis que celle-ci dit : propheties, synners, mooste, burthen, l'édition in-8°
porte prophets, sinners, most, burden. [Bible Armais, p. 70.)
[31] We are born anew, created afresh, and enjoy the fruits of the blood of Christ. »
[Epitt., in init.)
[32] Had thrust up the sword of the word of God in a scabbard or sheath of gloses. »
(Tynd., Works, II, p. S78.)
202
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle CHAPITRE XII
Cambridge. — Paul ressuscité. — Prédications de Latimer. — Un écolier de Norfolk.
— Une merveilleuse transformation. — Une nouvelle vie. — La grâce et la liberté.
— Prédication de Buckingham contre la Bible. — Résolution de Latimer. — Il fustige le prieur. —Agitation des prêtres. — Persécution. — Latimer prêche devant l'évêque d'Ely. — Un sermon contre Luther. — La chaire interdite à Latimer. — Le plus zélé de tons les prélats. — Foi de Latimer. —Barnès le restaurateur des lettres.
— Il lutte avec Stafford. — Bilney prie pour sa conversion. — Son caractère partagé.
— Il donne sa chaire à Latimer. — Caractère de Fryth. — Les évangéliques veulent attaquer l'erreur. — Le dimanche de Noël 1525. — Barnès attaque Wolsey. — On le dénonce. — Rétractation refusée. — Grand mouvement évangélique à Cambridge.
— L'Allemagne et les Allemands. — La « nouvelle Jérusalem. » — Wolsey place à Oxford des hommes de Dieu. — Quelques navires
Pendant que ces travaux s'achevaient à Cologne et à Worms, d'autres s'accomplissaient à Cambridge et à Oxford. Sur les bords du Rhin, on préparait la semence; en Angleterre, on traçait les sillons destinés à la recevoir. L'Évangile produisait à Cam bridge une grande agitation. Bilney, que l'on peut appeler le père de la Réformation en Angleterre, puisque, converti le premier par le Nouveau Testa ment, il avait amené à la connaissance de Dieu l'énergique Latimer et tant d'autres témoins de la vérité, Bilney ne se mettait pas alors en avant comme plusieurs de ceux qui l'avaient écouté ; sa vocation était la prière.
Modeste devant les hommes, il était plein de hardiesse devant Dieu, et jour et nuit il lui demandait des âmes. Mais tandis qu'il était à genoux dans son cabinet, d'autres étaient à l'œuvre dans le monde. Parmi eux on remarquait Stafford. Paul est ressuscité des morts ! » Disaient plusieurs en l'entendant. En effet, Stafford exposait avec tant de vie le vrai sens des paroles de l'Apôtre et des quatre évangélistes [1], que ces saints hommes, dont les figures avaient été si longtemps voilées sous les épaisses traditions de l'école*, reparaissaient aux yeux de la jeunesse universitaire tels que les temps apostoliques les avaient vus. Ce n'était pas seulement leur personne (c'eût été peu de chose), c'était aussi leur doctrine que Stafford rendait à ses auditeurs.
Tandis que les scolastiques de Cambridge enseignaient à leurs élèves une réconciliation qui n'était pas encore opérée, et leur disaient que le pardon devait être acheté au prix des œuvres prescrites par l'Église, Stafford déclarait que la rédemption était accomplie, que la satisfaction offerte par Jésus-Christ était parfaite; et il ajoutait que la papauté ayant ressuscité le règne de la loi, Dieu, par la Réformation, ressuscitait maintenant le règne de la grâce.
203
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Les étudiants de Cambridge, ravis des enseignements de leur maître, les saluaient de leurs acclamations, et se livrant un peu trop à leur enthousiasme, ils se disaient en sortant du collège : « Le quel doit le plus de reconnaissance à l'autre? Stafford à Paul, qui lui a laissé ses saintes épîtres ? * [2] ou Paul à Stafford, qui fait revivre cet apôtre et ses saintes doctrines, que le moyen âge avait obscurcies? »
Au-dessus de Bilney et de Stafford, s'élevait Latimer, qui, par la vertu du Saint-Esprit, faisait passer dans les cœurs les savantes leçons du maître [3]. Instruit de l'œuvre que préparait Tyndale, il insistait du haut des chaires de Cambridge pour que la Bible fût lue en langue vulgaire*[4]. « L'auteur de la sainte Écriture, disait-il, est le Puissant, l'Éternel... Dieu lui-même!.., et cette Écriture participe à la puissance et à l'éternité de son auteur. Il n'y a ni roi, ni empereur, qui ne soit a obligé de lui obéir. Gardons-nous de ces sentiers a détournés des traditions humaines, tout pleins de pierres, de ronces, de troncs déracinés. Suivons le droit chemin de la Parole. Ce n'est pas ce que o les Pères ont fait qui nous importe, mais ce qu'ils auraient dû faire [5]. »
Une foule nombreuse assistait aux prédications de Latimer, et son auditoire était suspendu à ses lèvres. On y remarquait un enfant du comté de Norfolk, dont l'intelligence et la piété illuminaient les traits. Ce pauvre écolier, âgé de seize ans
[6], avait reçu avec avidité la vérité annoncée par l'ancien porte-croix. Il ne manquait pas une de ses prédications; une feuille de papier sur les genoux, un crayon à la main, il écrivait une partie du discours du prédicateur, et en confiait le reste à sa mémoire [7]. Il s'appelait Thomas Becon, et fut plus tard chapelain de Cranmer, archevêque de Gantorbéry. « Si a je possède la connaissance de Dieu, disait-il, c'est, après Dieu, à Latimer que j'en suis redevable. »
Latimer, au reste, avait des auditeurs de plusieurs sortes. A côté de ceux qui faisaient éclater leur enthousiasme, on remarquait des hommes bouffis de colère, enflés d'orgueil, étouffant d'envie, a comme la grenouille d'Ésope, » dit Becon* [8]; c'étaient des partisans du catholicisme traditionnel, que la curiosité avait attirés, ou que leurs amis évangéliques avaient entraînés à l'église. Mais à mesure que Latimer parlait, on voyait s'opérer une merveilleuse transformation; peu à peu ces traits irrités se détendaient, ces regards farouches s'adoucissaient ; et quand de retour chez eux, on demandait à ces amis des prêtres ce qu'ils pensaient du prédicateur hérétique, ils répondaient dans l'exagération de leur surprise et de leur ravissement : « Nun quam locutus est homo sicut hic homo! » (Jean VII, 46.) En descendant de la chaire, Latimer courait pratiquer ce qu'il avait enseigné. Il se rendait dans les petites chambres des pauvres écoliers, dans les sombres réduits du peuple ; il arrosait par ses bonnes œuvres ce que ses saintes paroles avaient planté
[9], » dit l'étudiant qui recueillait ses discours. Les disciples s'entretenaient ensemble avec allégresse et simplicité de cœur; on sentait partout le souffle d'une 204
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle nouvelle vie ; il n'y avait pas encore de réformes au dehors, et pourtant l'Église de l'Évangile et de la Réformation était déjà là ; aussi le souvenir de ces jours heureux fit-il répéter longtemps cet adage :
Quand maître Stafford enseignait,
Quand maître Latimer prêchait,
Dieu Cambridge alors bénissait » [10]
Les prêtres ne pouvaient demeurer dans l'inaction. Ils entendaient parler de grâce, de liberté, et ils ne voulaient ni l'une ni l'autre. Si la grâce est tolérée, n'enlèvera-telle par des mains du clergé la manipulation du salut, les indulgences, les pénitences, et toutes les rubriques du droit canon? Si la liberté est concédée, la hiérarchie avec tous ses degrés, ses pompes, ses violences, ses bûchers, ne sera-t-elle pas ébranlée? Rome ne veut guère d'autre liberté que celle du libre arbitre, qui, exaltant les forces naturelles de l'homme déchu, tarit pour l'humanité les sources de la vie divine, dessèche le christianisme et change cette religion céleste en une morale humaine et des observances légales. Les partisans de la papauté rassemblèrent donc leurs forces pour s'opposer à l'Évangile. « Satan, qui ne dort jamais, » dit le simple chroniqueur, » appela ses esprits familiers et les lança contre les réformateurs. » On tenait des conciliabules dans les couvents, mais surtout dans celui des Cordeliers.
On y convoquait le ban et l'arrière-ban. Œil pour œil et dent pour dent, disait-on.
Latimer exalte dans ses sermons les bienfaits de la sainte Écriture ; il faut faire aussi un sermon pour en montrer les dangers. Mais où trouver un orateur qui puisse lui tenir tête? Ceci embarrassait fort le conciliabule. Il y avait parmi les cordeliers un moine hautain, mais adroit, habile à réussir dans les petites choses, et plein à la fois d'ignorance et d'orgueil ; c'était le prieur Buckingham. Nul n'avait montré plus de haine pour les chrétiens évangéliques, et nul, en effet, n'était plus étranger à l'Évangile. Ce fut lui que l'on chargea d'exposer les dangers de la Parole de Dieu.
Le Nouveau Testament lui était fort peu familier; il l'ouvre pourtant, et prend çà et là quelques passages qui lui paraissent en faveur de sa thèse; puis, couvert de ses plus beaux ornements, la tête haute, le pas solennel, assuré de son triomphe, il monte en chaire, il combat l'hérétique, et d'une voix enflée tonne contre la lecture de la Bible [11] ; elle est, à ses yeux, la source de toutes les hérésies et.de tous les malheurs. « Si la lecture de ce livre prévaut, s'écrie-t-il, c'en est fait, parmi nous, de tout ce qui est nécessaire à la vie. Le laboureur, lisant dans l'Évangile que celui qui a mis la main à la charrue ne doit pas regarder en arrière, abandonnera, découragé, ses instruments aratoires. . . Le boulanger, lisant qu'un peu de levain corrompt toute la pâte, ne nous pétrira plus qu'un pain insipide, et les simples du peuple 205
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle entendant l'ordre que la Bible nous donne d'arracher l'œil a. droit et de le jeter loin de nous, l'Angleterre, après quelques années, ne contiendra plus, ô spectacle affreux ! Qu’une nation de borgnes et d'aveugles, qui mendieront tristement leur pain [12]... » Ce discours émut la partie de l'auditoire à laquelle il était destiné. «
Voilà l'hérétique réduit au silence ! » disaient les moines et les sacristains; mais les gens sensés souriaient, et Latimer était charmé qu'on lui eût donné un tel adversaire. Vif, porté à l'ironie, il résolut de fustiger les pauvretés de l'emphatique prieur. Il y a telles sottises, pensait-il, que l'on ne peut réfuter qu'en montrant leur ridicule. Le grave Tertullien ne parle-t-il pas lui-même de choses dont il faut simplement se moquer, de peur de leur donner du poids par une réfutation sérieuse
[13]? Dimanche prochain, dit Latimer, je répondrai, s L'église était comble quand Buckingham, le capuchon de saint François sur les épaules, et l'air tout glorieux, s'assit solennellement en face du prédicateur. Latimer récapitula d'abord les arguments les moins faibles de son adversaire; puis les reprenant un à un, il les tourna, les retourna et en montra toute la sottise avec tant d'esprit, qu'il ensevelit le pauvre prieur sous sa propre bêtise. Alors se tour nant vers le peuple qui l'écoutait : « Voilà, s'é cria-t-il avec chaleur, « voilà le cas que font de votre intelligence vos habiles conducteurs. On vous regarde comme des enfants qu'il faut tenir à jamais sous tutelle. Non ! L'heure de votre majorité a sonné; sondez courageusement les Écritures, et vous apercevrez sans peine l'absurdité des enseignements de vos docteurs. »
Puis Latimer voulant, comme dit Salomon, répondre au fou selon sa folie, il ajouta :
« Quant aux comparaisons tirées de la charrue, du levain, de l'œil, dont le révérend prieur a fait un si singulier usage, est-il nécessaire de justifier ces passages de l'Écriture ? Faut-il vous dire de quelle charrue, de quel levain, de quel œil il s'agit?
Ce qui distingue l'enseignement du Seigneur, n'est-ce pas ces expressions qui, sous une figure populaire, cachent un sens spirituel et pro fond? Ne sait-on pas que dans toutes les langues et dans tous les discours, ce n'est pas à l'image qu'il faut s'attacher, mais à la chose que l'image représente... Par exemple, » poursuivit-il, —
et en disant ces mots Latimer jette un regard perçant sur le prieur, « si nous voyons dans un tableau un renard, revêtu du capuchon d'un moine et prêchant à une nombreuse assemblée, chacun ne comprendra-t-il pas que le peintre a voulu représenter ainsi, non pas un renard, mais la ruse et l'hypocrisie, qui parfois se déguisent sous l'habit monacal? » Aces mots, le pauvre prieur, sur qui se portaient les regards de toute l'assemblée, se leva, sortit précipitamment de l'église, et courut dans son monastère, cacher au milieu de ses frères sa colère el sa confusion. Les moines et leurs créatures poussaient les hauts cris contre Latimer. Il était, disait-on, impardonnable d'avoir ainsi manqué de respect au capuchon de saint François.
Mais ses amis répondaient : « Ne donne-t-on pas le fouet à un enfant? Et celui qui 206
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle traite l'Écriture comme un enfant même ne le ferait pas, ne mérite-t-il pas qu'on le fustige? »
Le parti romain ne se tint pas pour battu. Les chefs des collèges et les prêtres avaient de fréquentes conférences. On invita les professeurs à surveiller attentivement leurs élèves et à les ramener aux enseignements de l'Église par les flatteries et par les menaces. « Nous mettons notre lance en arrêt, disait- on aux étudiants ; si vous devenez évangéliques, c'en est fait de votre avancement. » Mais cette généreuse jeunesse aimait mieux être pauvre avec Jésus-Christ que riche avec les prêtres. Stafford continuait à enseigner, Latimer à prêcher, Bilney à visiter les pauvres, la doctrine de Christ ne cessait de se répandre et les âmes de se convertir.
Il ne restait donc plus aux scolastiques que l'arme favorite de Rome, la persécution.
« Notre opération n'a pas réussi, dirent-ils; Buckingham n'est qu'un sot. Le meilleur moyen de répondre à ces évangéliques, c'est de les empêcher de parler. » Le docteur West, évêque d'Ély, était ordinaire de Cambridge ; on réclama son intervention, et il chargea l'un des docteurs de l'avertir, la première fois que Latimer prêcherait; mais, ajouta-t-il, n'en dites mot à personne; je veux arriver sans être attendu ! »
Un jour donc que Latimer prêchait en latin ad clerum, l'évêque entra tout à coup dans l'église de l'Université, accompagné d'un cortège de prêtres. Latimer s'arrêta, attendant respectueusement que West et sa suite eussent pris place. « Un nouvel auditoire, dit-il alors, et surtout un auditoire digne d'un plus grand honneur, demande un nouveau thème ; laissant donc le sujet que je m'étais proposé, j'en prendrai un qui a rapport à la charge épiscopale, et je prêcherai sur ces paroles : Chrislus existms Pontifex futurorum bonorum. » (Hébr. IX, H.) Alors Latimer, dépeignant Jésus Christ, le présenta comme le modèle des pontifes [14].
Il n'y avait pas une des vertus signalées dans le divin Évêque qui ne correspondit à quelque défaut des évêques romains. L'esprit mordant de Latimer pouvait se donner carrière à leurs dépens; mais il y avait tant de sérieux dans ses saillies, et un christianisme si vivant dans ses peintures, que chacun devait y reconnaître le cri d'une conscience chrétienne plutôt que les sarcasmes d'un caractère malin. Jamais évêque n'avait été remontré par l'un de ses prêtres aussi bien que celui-là. « Hélas!
Disaient plusieurs, ce n'est pas de cette race que sont nos évêques; c'est de celle d'Anne et de Caïphe. » West n'était pas plus à son aise que naguère Buckingham. Il cacha pourtant sa colère, et s'adressant après le sermon, d'un ton gracieux, à Latimer : ' Vous avez un beau talent, lui dit-il, et si vous faisiez une chose, je serais prêt à vous baiser les pieds [15]... » Quelle humilité pour un évêque!... Prêchez dans cette même église, continua West, un sermon... contre Martin Luther, c'est le meilleur moyen d'arrêter l'hérésie. » Latimer comprit l'intention du prélat et répondit avec calme : « Si Luther enseigne la Parole de Dieu, je ne puis le combattre. Mais s'il enseigne le contraire, je suis prêt à l'attaquer... — Bien, bien, 207
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle Monsieur Latimer..., s'écria l'évêque, vous sentez quelque peu le fagot*[16]... Un jour ou l'autre, vous vous repentirez de cette marchandise-là... »
West ayant quitté Cambridge, fort irrité contre ce clerc rebelle, se hâta de convoquer son Chapitre et interdit à Latimer toute prédication, soit dans l'Université, soit dans tout le diocèse. « Ceux qui veulent vivre dans la piété, seront persécutés, a avait dit Paul, et Latimer en faisait l'épreuve. Ce n'était pas assez que le nom d'hérétique lui fût donné par les prêtres et leurs amis et que les passants l'insultassent dans les rues;... l'œuvre de Dieu était brutalement arrêtée. « Voilà donc, disait-il avec un s sourire amer, à quoi sert maintenant l'office épiscopal... à empêcher la prédication de Jésus Christ !... » Plus tard, avec cette mordante ironie qui le caractérise, il esquissa le portrait d'un certain évêque dont Luther aussi parlait souvent. « Savez-vous, dit Latimer, quel est le plus zélé de tous les prélats de l'Angleterre?... Je vous vois tout oreilles... [17] Eh bien! Je vous le dirai... C'est le diable. Cet évêque-là, je vous l'assure, n'est jamais absent de son diocèse, et à quelque heure que vous vous approchiez, vous le trouvez à l'œuvre. Partout où il réside, — à bas les Bibles et vivent les chapelets [18]. A bas la lumière de l'Évangile et vive la lumière des cierges, fût-ce même en plein midi ! A bas la croix de Jésus-Christ, qui ôte les péchés du monde, et vive le purgatoire qui vide les poches des dévots! A bas les vêtements donnés aux pauvres et aux impotents, et vivent les ornements prodigués à des morceaux de bois et de pierre ! A bas les traditions de Dieu, c'est-à-dire sa très sainte Parole, et vivent les traditions des hommes!...
Vraiment, il n'y eut jamais en Angle terre un si puissant prédicateur. [19] »
Le réformateur ne se contentait pas de parler; il agissait. « Ni les menaces de ses adversaires, ni leurs cruelles prisons, dit un de ses contemporains [20], ne purent jamais l'empêcher de proclamer la vérité de Dieu. » Ne pouvant prêcher dans les temples, il parlait de maison en maison. Pourtant il désirait une chaire, et il l'obtint. En vain un prélat orgueilleux lui avait-il interdit la prédication ; Jésus-Christ, qui est au-dessus de tous les évêques, sait, quand on ferme une porte, en ouvrir une autre. Au lieu d'un grand prédicateur, il y en eut deux dans Cambridge.
Un religieux augustin, homme lettré, Robert Barnès, du comté de Norfolk, s'étant rendu à Lou vain, y avait fait de bonnes études, était devenu docteur en théologie, puis, de retour à Cambridge, il avait été nommé prieur de son monastère (1523). Il devait rapprocher dans l'Université les lettres et l'Évangile, mais en penchant du côté des lettres, diminuer la force de la Parole de Dieu. Une grande foule accourait chaque jour à la maison des Augustins, pour lui entendre expliquer Térence et surtout Cicéron. Plusieurs de ceux que le simple christianisme de Bilney et de Latimer offusquait, étaient attirés par ce réformateur d'une autre espèce. Cole man, Coverdale, Field, Cambridge, Barley et beaucoup d'autres jeunes gens de 208
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle l'Université, se groupaient autour de Barnès, et le proclamaient a le restaurateur des lettres [21]. »
Mais les classiques n'étaient qu'un enseignement préparatoire. Les chefs-d'œuvre de l'antiquité ayant aidé Barnès à défricher le sol, il ouvrit devant ses auditeurs les épîtres de saint Paul. Il n'en comprenait point, comme Stafford, les divines profondeurs ; il n'était pas oint comme lui de l'Esprit Saint ; il ne s'entendait point avec lui sur plusieurs doctrines de l'Apôtre, sur la justification par la foi et sur la nouvelle créature ; mais Barnès était un esprit éclairé, libéral, pieux même en une certaine mesure, et qui voulait, comme Stafford, substituer aux stériles disputes de l'école, les enseignements de l'Écriture. Bientôt ils en vinrent aux mains, et Cambridge garda longtemps le souvenir d'une dis pute célèbre, où Barnès et Stafford luttèrent avec éclat, en n'employant d'autres armes que la Parole de Dieu, au grand étonnement des docteurs aveugles, et à la grande joie des hommes clairvoyants, dit un chroniqueur. [22]
Toutefois, Barnès n'était point encore entièrement éclairé, et les amis de l'Évangile s'étonnaient qu'un homme étranger à la vérité, portât de si rudes coups à l'erreur.
Bilney, que l'on retrouvait toujours quand il s'agissait d'une œuvre cachée et d'une irrésistible charité, Bilney, qui avait converti Latimer, s'imposa la tâche de convertir Barnès; et Stafford, Arthur, Thistel, de Pembroke-Halle, Fooke, de Bennet Collège, se mirent tous à prier pour que Dieu lui accordât son secours. L'épreuve était ardue; Barnès se trouvait dans ce juste milieu des humanistes, dans cet enivrement des lettres et de la gloire, qui rendent la conversion plus difficile.
D'ailleurs, un homme tel que Bilney oserait-il bien instruire le restaurateur de l'antiquité? Mais l'humble bachelier, de faible apparence, comme jadis David, connaissait une force cachée, par laquelle le Goliath de l'Université pouvait être vaincu. Il se mit à prier nuit et jour; puis à presser Barnès de manifester franchement ses convictions, sans craindre l'opprobre du monde. Après beaucoup d'entre tiens et de prières, Barnès fut converti à l'Évangile de Jésus-Christ [23].
Toutefois le prieur garda dans son caractère quelque chose d'indécis, et ne sortit qu'à moitié de cet état mitoyen par lequel il avait commencé. Il paraît avoir toujours cru, par exemple, à la vertu de la consécration sacerdotale, pour transformer le pain et le vin en corps et en sang. Il n'avait pas l'œil simple, et son esprit était souvent agité et poussé çà et là par des pensées contraires. « Hélas ! disait plus tard cette âme partagée, mes imaginations ne peuvent se compter'! [24] »
Barnès, ayant reconnu la vérité, déploya aussitôt un zèle qui n'était pas sans imprudence. Les hommes les moins décidés, et ceux-là même qui feront un jour quelque grande chute, sont souvent ceux qui commencent la course avec le plus d'ardeur. Barnès semblait prêt alors à tenir tête à toute l'Angleterre. Uni maintenant à Latimer par une tendre affection chrétienne, il s'indignait de voir la 209
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle parole puissante de son ami perdue pour l'Église. « L'évêque, lui dit-il, vous a interdit la chaire, mais mon monastère n'est point soumis à la juridiction épiscopale ; prêchez-y. » «- Latimer monta donc dans la chaire des Augustins; et l'église ne put con tenir la foule qui y accourait. A Cambridge comme à Wittemberg, la chapelle des Augustins servit aux premières luttes de l'Évangile. Ce fut là que Latimer prononça quelques-uns de ses plus beaux discours. Un homme bien différent de Latimer et surtout de Barnès prenait toujours plus d'influence parmi les réformateurs de l'Angleterre; c'était Fryth. Nul n'était plus humble que lui, mais par cela même nul n'était plus fort. Moins brillant que Barnès, il était plus solide. Il aurait pu pénétrer dans ce que les sciences humaines offrent de plus difficile, mais il était attiré par les profondeurs mystérieuses de la Parole de Dieu ; les besoins de la conscience dominaient en lui ceux de l'entendement. Ce n'était pas à des questions ardues qu'il consacrait l'énergie de son âme; il avait soif de Dieu, de sa vérité et de sa charité. Au lieu de répandre ses opinions particulières et de former des divisions, il ne tenait qu'à la foi qui sauve, et avançait le règne de la vraie unité'
[25]; c'est la marque des grands serviteurs de Dieu. Humble devant le Seigneur, doux devant les hommes et même en apparence un peu craintif, Fryth, en face du danger, déployait un courage intrépide. « Ma science est peu de chose, disait-il, mais le peu que j'ai, je suis déterminé à le donner à Jésus Christ, pour la structure de son temple*. [26] »
Les prédications de Latimer, l'ardeur de Barnès, la fermeté de Fryth, excitaient à Cambridge un redoublement de zèle. On savait ce qui se passait en Allemagne et en Suisse; les Anglais, toujours en avant, resteront ils maintenant en arrière? Latimer, Bilney, Stafford, Barnès, Fryth, ne feront-ils pas ce que font ailleurs d'autres serviteurs de Dieu? Une sourde fermentation annonçait une crise prochaine; chacun s'attendait à un changement en bien ou en mal. Les évangéliques, sûrs de la vérité et se croyant sûrs de la victoire, résolurent d'attaquer l'ennemi simultanément sur plusieurs points. Le dimanche veille de Noël de l'an 1 525 fut choisi pour cette grande affaire. Tandis que Latimer s'adresserait à l'auditoire qui ne cessait de remplir la chapelle des Augustins, et que d'autres prêcheraient ailleurs, Barnès se ferait entendre dans une des églises de la ville.
Mais rien ne compromet l'Évangile comme un esprit tourné vers les choses du dehors. Dieu, qui n'accorde sa bénédiction qu'à des cœurs non partagés, permit que l'assaut général, dont Barnès devait être le héros, fût marqué par une défaite. Le prieur, en montant en chaire, ne pensait qu'à Wolsey. Représentant de la papauté en Angleterre, c'était ce cardinal qui était le grand obstacle à la Réformation.
Barnès prêcha sur l'épître du jour : Réjouissez-vous sans cesse au Seigneur [27]...
Mais au lieu d'annoncer Christ et la joie du chrétien, il déclama imprudemment contre le luxe, l'orgueil, les divertissements des gens d'Église, et chacun comprit qu'il s'agissait du cardinal. Il décrivit ces magnifiques palais, ces brillants officiers, 210
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle ces vêtements d'écarlate, ces perles, cet or, ces pierres précieuses et tout ce faste du prélat, si peu en rapport, dit-il, avec Pétale de Bethlehem. Deux fellows de King's Collège, parents de Tonstall, évêque de Londres, Robert Ridley et Walter Preston, qui se trouvaient à dessein dans l'auditoire, inscrivirent dans leurs carnets les imprudentes paroles du prieur.
A peine le sermon était-il fini que l'orage éclata. On ne se contente plus de répandre de monstrueuses hérésies, s'écriait-on, on s'en prend tt aux puissances établies.
Aujourd'hui on attaque le cardinal, demain on attaquera le roi! » Ridley et Preston dénoncèrent Barnès au vice-chancelier.
Tout Cambridge fut en émoi. Quoi! Barnès, le prieur des Augustins, le restaurateur des lettres, accusé comme un lollard!... L'Évangile était menacé d'un danger plus redoutable qu'une prison ou qu'un bûcher. Les amis des prêtres, connaissant la faiblesse, la vanité même de Barnès, espéraient obtenir de lui un désaveu qui couvrirait de honte tout le parti évangélique. « Eh quoi, lui disaient de dangereux conseillers, la plus belle carrière vous était ouverte, et vous vous la fermeriez?...
Expliquez, de grâce, votre discours. » On l'effraye, on le flatte, et le pauvre prieur est près de se rendre à ces supplications. « Vous lirez dimanche cette déclaration, «
lui dit-on. Barnès parcourt le papier qu'on lui présente, et n'y voit pas grand mal.
Toutefois, il veut le communiquer à Bilney et à Stafford. « Gardez-vous bien d'une telle faiblesse! » lui dirent ces pieux docteurs. Barnès alors retira sa promesse, et pour un temps les ennemis de l'Évangile se turent.
Ses amis redoublèrent d'énergie. La chute que l'un des leurs avait été près de faire leur inspira un nouveau zèle. Plus Barnès a montré d'indécision et de faiblesse, plus ses frères cherchent auprès de Dieu la fermeté et le courage. On assurait, d'ailleurs, qu'un puissant secours arrivait de delà les mers, et que la sainte Écriture, traduite en langue vulgaire, allait être enfin donnée au peuple. On accourait partout où la Parole était prêchée. C'était alors comme au temps des semailles, où tout est en mouvement dans les campagnes, pour préparer le sol et creuser les sillons. Sept collèges au moins étaient en pleine fermentation, Pembroke-Hall, Saint-John's Collège, Peterhouse, Queen's Collège, King's Collège, Gonvil-Hall et Bennet Collège.
L'Evangile se prêchait aux Augustins, à Sainte Marie, ailleurs encore, et quand les cloches retentissaient, on voyait de toutes les maisons universitaires sortir des flots d'auditeurs, dont les bandes animées traversaient les places publiques. [28]
Il y avait à Cambridge une maison, portant l'enseigne du Cheval blanc, et située de manière à permettre aux membres les plus timides des collèges du Roi, de la Reine et de Saint-Jean d'y arriver par derrière, sans être aperçus; dans tous les temps il y a eu des nicodémites. C'était là que se réunissaient ceux qui voulaient lire la sainte Écriture et les écrits des réformateurs allemands. Les prêtres, regardant Wittemberg comme le foyer de la Réformation, nommèrent cette maison 211
Histoire de la Reformation du Seizième Siècle d'Allemagne; il faut toujours au peuple des sobriquets. On avait d'abord parlé de sophistes ; et maintenant quand on voyait un groupe de fellows se diriger vers le Cheval blanc, on disait en riant : « Voilà les Allemands qui vont en Allemagne. —
Non, nous ne sommes pas Allemands, répondaient ceux-ci, mais nous ne sommes pas Romains non plus. » Le Nouveau Testament grec les avait rendus chrétiens.