La Hérisson by Bernard Amschler - HTML preview

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Chapitre 7

Le commandant des Armoises

 

- Qu’en dis-tu Béatrice ?

 

- Eh bien si je m’attendais…J’étais tellement mal à l’aise, j’avais complètement perdu le contrôle de ma langue, tu as vu comme il m’a regardé ?

 

- Oui, visiblement il cherchait une ressemblance, mais ce que je voulais dire, c’est sa proposition ?

- C'est formidable

 

Ils se mirent à l'ouvrage pour dresser la liste de tout ce dont ils auraient besoin. Après l’épisode de la lettre Mathias et Béatrice se méfiaient du chirurgien, alors que lui ne pouvait sans doute pardonner à Béatrice d’avoir mis son orgueil à vif devant le commandant.

Quelques jours plus tard, alors que le temps c’était enfin décidé à être plus clément, le signal fut donné, on se mettrait en route le lendemain.

Le matériel qu’ils avaient commandé n’avait pas été livré, personne n’en avait plus parlé. Béatrice s’en inquiétait, surtout que depuis leur dernière rencontre le chirurgien ne s’était plus manifesté. Aurait-il changé d’avis à leur égard ?  Que faire ? Mathias se proposa d’aller le voir et d’avoir avec lui une franche discution, cependant Béatrice pensait être plus habile pour le convaincre de leur utilité. Elle n’était pas fille d’Eve pour rien. Elle s’apprêta un peu, lissa ses vêtements, se recoiffa, se frotta et se pinça un peu les joues pour leur donner des couleurs et se présenta chez le chirurgien. Visiblement il était très occupé, il fallait emballer tous le matériel, organiser le transport des hommes qui ne pouvaient pas marcher, refaire des pansements.

Lorsqu’il la vit, il s’écria :

- Oh ! Eh bien, vous avez fait vite. Mathias est-il avec vous ? L’homme que je vous ai envoyé n’a-t-il pas dit qu’il y avait beaucoup à faire ?

- Excusez-moi Monsieur Martin, je n’ai pas vu votre émissaire, je suis venu à tout hasard.

- Vous avez bien fait, j’espère que votre mari nous rejoindra.

 

Le jeune couple fut extrêmement surpris de constater les difficultés qu’entraînait l’organisation d’un départ en campagne.

 

- Ah ! Au fait, j’oubliais de vous dire, le forgeron chez qui vous logez a été réquisitionné, il parait qu’il s’intéresse particulièrement à la serrurerie et pour la mécanique. Eh bien lui et sa femme nous accompagnerons. Le commandant souhaiterait que les armes à feux prises sur l’ennemi soient démontées et si elles apportent un progrès, qu’elles soient copiées par les armureries ducales ou peut-être même améliorées. Pour ce faire le commandant souhaite que le forgeron et vous Mathias fassiez, dès que les affrontements auront cessé, le tour des champs de batailles pour vous emparer des armes qui vous semblent intéressantes avant l’arrivée des pillards, alors que vous Béatrice et l’autre femme apporterez les premiers soins aux blessés et les signalerez aux brancardiers, vous ferez donc équipe avec l’autre couple.

 

Le lendemain, la troupe se mit en route. Nul ne savait apparemment pour où. Ils prirent Hâtonchâtelle aux français puis Saint Mihiel fut assiégée et les suisses du roi de France ne purent que s'incliner. Puis toute cette importante armée se remit en marche, toujours vers le sud. Durant ce temps le général de l’armée impériale, Collorédo, avait quitté Bâle à la tête d’une importante armée et traversait victorieusement l’Alsace. Il s’apprêtait maintenant à passer les Vosges et les deux armées devaient unir leurs forces pour chasser les français du sud de la Lorraine. Il y eut plusieurs batailles, plus meurtrières les unes que les autres. Les vallées vosgiennes d’ordinaire si calmes, retentissaient du bruit du canon, des hurlements des soldats à l’attaque, mais aussi à l’agonie. Le chirurgien et son équipe eurent fort à faire.

 Après chaque affrontement, Béatrice à la tête de l’équipe secouristes se précipitait. Il s’agissait d’arriver avant la foule de pillards. Les femmes qui suivaient la troupe toujours aussi avide de butin étaient féroces et n’hésitaient pas à s’en prendre aux deux forgerons et surtout aux deux femmes pour dépouiller leurs victimes. Béatrice était profondément scandalisée par tant d’indifférence à la souffrance des autres. Un jour, alors que le commandant passait à la tête de son état-major, dans sa fureur, elle alla jusqu’à l’interpeller, elle lui reprocha son indifférence sur le sort de ces hommes blessés où mourants et lui reprocha de tolérer la présence de ces harpies tout de suite après la bataille. On la fit taire et la chassa à coups de crosses. Toute rébellion était passible de la peine de mort. Ni elle ni Mathias ne dormirent cette nuit-là. Le lendemain, un officier d’état-major accompagné de plusieurs hommes en armes vint la chercher pour la conduire chez le commandant. Avant de le suivre elle embrassa Henriette et Mathias puis d’un air résolu elle détourna la tête pour cacher ses yeux pleins de larmes. Mathias était effondré, il serrait contre lui la petite et en silence suppliait Dieu de lui venir en aide. Lorsque monsieur Martin connu la nouvelle il arriva en courant.

- Mon Dieu ! Qu’est-ce que j’apprends ? Mais que s’est-il passé ?

Mathias lui fit part de la violence des propos que Béatrice avait adressée au commandant des Armoises.

- Grand Dieu ! Il faut que j’aille le voir, il ne va tout de même pas faire exécuter une personne qui nous rends de tels services. Je n’ai jamais vu une femme aussi dévouée au service des autres. Non ! Non ! il ne peut pas faire ça !

Il partit en courant. Arrivé à la tente qu’occupait l’état-major, il fut violemment repoussé.

- Le commandant tient conseil avec d’autres officiers de hauts rangs. Le pauvre homme imaginait ces Messieurs réunis en cour martial. Il les voyait déjà condamner sa précieuse aide à être exécutée pour insubordination. Ces Messieurs n’étaient pas très regardants pour la vie des autres, surtout lorsqu’il s’agissait de laver l’honneur de l’un d’entre eux. Béatrice avait offensé leur chef. Craignant pour sa propre sécurité le chirurgien s’éloigna un peu, espérant revoir au moins encore une fois la jeune femme vivante.

Cependant s’il avait eu loisir d’écouter ce qui se disait à l’intérieure de la tente il aurait été surpris.

- Madame, voudriez-vous, je vous prie, mais calmement cette          fois-ci, nous répéter ce que vous m’avez dit hier.

Béatrice toute tremblante s’adressa au commandant sans oser regarder ni à gauche ni à droite.

- Monseigneur, après chaque bataille il y a de nombreux blessés. Nous sommes quatre à nous précipiter sur place aussi vite que possible, sur vos ordres pour, avant tout, nous assurer que nos ennemis ne sont pas en possession d’armes plus efficaces que les nôtres.  Nous sommes très rapidement rejoints par une foule de femmes et d’enfants qui s’empressent sans aucune pitié ni remord de tuer les blessés pour leur dérober leur maigre bien. Un tel comportement n’est même pas digne d’une bande de brigands et encore bien moins d’une armée régulière commandé par des hommes d’honneur.

Emportée dans son exaltation habituelle, elle avait prononcé ces paroles sans se rendre compte de la gravité de l’affront qu’elle faisait à ces messieurs. De toutes parts s’élevait des protestations scandalisées. Le commandant des Armoises attendit que le calme soit revenu.

- Messieurs, l’instruction d’une recrue dure plusieurs semaines et nous coûte cher. Notre pays ravagé par la guerre, la peste, la famine est épuisée. Je pense Messieurs, que vous en êtes tous conscients ! Massacré des hommes, qui avec quelques soins peuvent, pour certains, être remis sur pied et servir dans notre armée et la paix une fois revenue repeupler nos villages.  Cela me semble du plus grand intérêt, ne pensez-vous pas ?

- Monseigneur, que faites-vous des droits de la guerre ? De tous temps, les vainqueurs ont dépouillé les vaincus. Nos hommes pour une bonne part se battent avec l’espoir de s’enrichir de cette façon.

- Je vous entends bien monsieur, cependant ne pensez-vous pas…

- Excusez-moi Monseigneur, mais ne craignez-vous pas que des hommes légèrement blessés, plutôt que de continuer un combat féroce, ne se laisse tomber pour attendre des secours et des soins bien inutiles. Cela pourrait nous coûter une victoire !

Béatrice écoutait scandalisée ces hommes parler avec une telle désinvolture de la vie de leurs hommes. Elle en fut tellement révoltée qu’elle s’apprêtait à reprendre la parole sans y être invitée. Le Commandant s’en aperçut et avant qu’elle n’ait eu le temps d’ouvrir la bouche ordonna aux gardes de la faire sortir et de la garder sous bonne surveillance. A l’extérieur elle entendait le bruit sourd de leur discussion, mais en raison de tout le bruit environnant elle ne pouvait pas distinguer ce qui se disait. Après une longue attente, elle vit les officiers quitter la tente, certains lui lançaient des regards furieux, d’autres se montraient méprisant faisant mine de l’ignorer. Elle, une femme, avait osé remettre en cause ce qui c’était fait de tout temps, ils considéraient cela comme simplement intolérable. Pourtant quelques-uns, sans doute gênés, baissaient les yeux en passant devant elle. Tout cela la prépara à la sentence qui allait tombée, aveugle comme la foudre, pour préserver la discipline parmi les hommes il fallait faire un exemple. Bientôt on la fit rentrer, elle était affreusement pâle, son cœur battait prêt à éclater, évidemment elle redoutait sa condamnation à mort, mais elle était aussi furieuse contre ces hommes qui se permettaient de la juger se prétendant plus respectable qu’elle.

- Madame, j’ai donné des ordres…A la fin de chaque bataille, autant que cela nous serra possible, c'est-à-dire lorsque nous occuperons le terrain, plusieurs équipes seront mises sous les ordres de votre époux pour ramasser les blessés et les emporter à l’infirmerie. Vous disposerez de plusieurs voitures pour leur transport. Cependant vous devrez avant de les emporter les débarrasser de tout ce qu’il pourrait avoir d’une quelconque valeur et que vous laisserez sur place. Ce ne sera qu’après votre départ que la foule sera autorisée à s’étendre sur les champs de bataille. Je m’en remets pour cela à votre bon sens…Pardon, à celui de votre époux. Vous comprenez ce que j’entends par là je pense. Allez à présent !

 

Béatrice sortit épuisée, vidée de toute énergie, elle ne savait plus, son esprit s’égarait-il ? Avait-elle remporté une victoire ? Elle ne parvenait pas à s’en convaincre.

C'est dans cet état d'esprit de tourment intérieur et de révolte que Béatrice retourna au lazaret. Où elle fut bientôt rattrapée par le chirurgien.

- Oh Béatrice ! Comme je suis heureux de voir que vous avez eu l’intelligence de faire vos excuses et ainsi d’obtenir le pardon.

         J’étais venu dans l’intention d’intercéder en votre faveur, mais

         Les gardes m’ont repoussé violemment. Comment avez-vous fait ?  En tous cas je suis heureux du résultat.

- Pardonnez-moi, mais je suis encore toute tremblante de peur de ces messieurs, ne le voyez-vous donc pas !

Mathias arrivait avec la petite. Tous deux pleuraient et avaient l’air très abattu.

Pour eux Béatrice eut tout de même un sourire.

- Merci mon Dieu, Ils t’ont libéré.

Béatrice bien que la gorge encore serrée dut raconter ce qui c’était passé. Elle expliqua qu’elle avait obtenu du commandant de mettre en place des équipes de secours aux blessés qui interviendraient avant l’arrivée des pillards, et qu’eux donneraient des soins immédiats à tous, quelques soit leur camp, avant leur transport au lazaret.

A tous ? Vous voulez dire officiers comme simples soldats ? Mais vous ne parlez pas de nos ennemis tout de même ?

- Bien sûr que si ! Ce sont des hommes comme les autres ! S’ils sont bien soignés, une fois remis sur pied, ils préféreront rester chez nous et se battre pour des gens qui les respectent plutôt que chez ceux qui les laissent crevé comme des bêtes, ne pensez-vous pas monsieur le chirurgien ?

- Tu es folle Béatrice ! Tu ne vas tout de même pas soigner des cravates ou des suédois, cette engeance du diable.

- Avant d’être nos ennemis ce sont des hommes et dans la souffrance tous les    hommes sont frères. Ils ont surtout et avant tout besoin qu’on le leur rappelle. Alors traitons-les comme tel !

- Et qu’a dit le commandant ?

- Il m’approuve !

Ses auditeurs la regardaient comme on regarde une illuminée ou une folle, ce qui est à peu près pareil.

 

Quelques jours plus tard alors que l’armée lorraine avançait à marche forcée pour rejoindre les impériaux, qui livraient bataille à Raon-l’Etape, ils apprenaient la terrible défaite. Le marquis de la Force à la tête de l’armée du roi avait remporté la victoire, il avait fait prisonnier aux dires des français près de 3000 hommes, dont le maréchal autrichien Collorédo. Saint-Dié, Blâmont, Rambervillers étaient en feu. Ordre fut donnée de changer de direction et de marcher vers le sud pour rejoindre la Franche-Comté, où le duc Charles attendait son armée. Un jour, alors que le soleil s’apprêtait à se retirer derrière l’horizon, que les hommes se regroupaient autour des feux de camps, un homme du commandant arrivait en courant. Les trois apothicaires étaient occupés à diverses préparations.

- Monsieur le commandant réclame la présence de Madame Béatrice, de Monsieur Mathias et de leur fille Mademoiselle Henriette. Veuillez me suivre sans délai, je vous prie.

Catherine les regarda, puis s’inclina devant eux en sifflant.

- Eh ! Ben dit donc, bientôt il faudra les appeler vos Altesses.

 

Le commandant des Armoises avait installé son quartier général dans un château non loin de la troupe. La famille Colas fut annoncée au commandant. Il s’avança personnellement à leur rencontre.

Venez mes amis !

Béatrice et Mathias encore plus intimidé par cet accueil n’osaient avancer. Le commandant tendit son bras à la jeune femme et la conduisit dans une pièce bien éclairée et assez spacieuse qui semblait être le salon de travail de l’état-major. Devant la bibliothèque, qui couvrait un mur se tenait un homme, il leur tournait le dos et semblait absorbé dans la lecture d’un livre qu’il avait pris dans les rayons.

- Monsieur Du Fossé, voici mes précieux collaborateurs.

L’homme se retourna lentement, comme s’il voulait retarder l’instant de la déception. Il les regarda visiblement ému. Son regard se fixa d’abord sur Mathias, puis sur la petite Henriette et finalement, après encore une hésitation, il osa enfin regarder la jeune femme. Celle-ci, comme tétanisée, n’osait plus respirer. L’homme fit un pas, encore hésitant, vers elle, puis soudain, tous deux, dans un même élan, s’élancèrent et se jetèrent dans les bras l’un de l’autre. Les larmes jaillirent, les : « Oh ! Mon père - Ma chère Béatrice » s’entre mêlèrent. Mathias et le commandant se regardaient, eux aussi rendus muet par l’émotion. Seule la petite Henriette regardait avec étonnement, plus qu’avec émotion cet inconnu.  Jean Du Fossé et Mathias, tous deux un peu intimidé, se donnèrent pourtant l’accolade.

 Discrètement le commandant s’approcha de Mathias et l’invita à le suivre, sous prétexte de vouloir s’entretenir avec lui il voulait permettre au père et à la fille de profiter pleinement du bonheur des retrouvailles. Le seigneur d’Affléville s’enquit de l’état du village et montra l’intérêt qu’il portait à ses gens. Il se souvint, enfant, avoir vu le père et le grand-père de Mathias marteler le fer incandescent et ferrer les chevaux. Il lui parla du verger et du parc que son père à lui avait planté et qui jouxtait la forge, puis l’interrogea sur les armes pris à l’ennemi.

- Voyez-vous Mathias, il me semble que si Dieu nous a créé tous différents c’est que tout simplement aucun d’entre nous ne peut tout savoir et surtout savoir tout faire. Nous avons tous, dès notre naissance, reçu un certain nombre de dons qui nous rendent utiles aux autres. Il me semble que c’est cela qui donne un sens à notre existence individuelle. Toutes ces fonctions même les plus modestes si elles sont remplies en y mettant le meilleur de nous-même sont honorables.

Mathias notait que le commandant tout en parlant jouait avec une petite tour en bois que souvent il serrait dans son poing. Après un silence méditatif il ajouta. Même si par accident certains par leur naissance héritent d’une fonction pour laquelle ils n’ont indiscutablement aucune disposition. Oui ! A mon avis, si on n’est pas fait pour une fonction on devrait y renoncer, ne pensezvous pas Mathias ?

 

Pendant ce temps Jean Du Fossé donnait à sa fille quelques explications sur sa présence chez le commandant. Béatrice apprit avec une grande douleur la mort de sa mère, tuée par la peste lors de la dernière épidémie. Son père, resté seul, avait commencé par porter des messages pour le compte de Huguenots, ce qui le faisait se déplacer entre l’Allemagne, les provinces des Pays Bas, la Suisse et la France. Bientôt ses services s’étendirent à tous ceux qui le demandaient. Béatrice qui se souvenait de la lettre d’Hélène à son cousin s’en étonnait. Et finit par oser demander pourquoi ces missions revêtaient tant de mystères.

- Oh ! Non Béatrice ne te méprend pas ! Je me limite à offrir un service, il ne s’agit pour moi que de cela. Ce que contient leur courrier ne me regarde en rien. Je ne suis pas un espion, et votre commandant n’est pas un traître. Les gens, de qui j’achemine la correspondance n’échangent pas forcément des informations politiques ou militaires. Je dirais même que la plus part en sont très éloignés et ne s’y intéressent même pas. On peut avoir un avis différent sur certaines choses sans être pour autant ennemies ce que malheureusement certains souverains ne veulent pas admettre. Ce qui est hélas le cas du duc Charles

Le repas fut servi dans une pièce attenante. Dis-moi Béatrice, dans un rêve dont tu as parlé à notre amie Hélène un serpent aux couleurs changeantes était entré dans le feu et s'était transformé en un magnifique rubis as-tu trouvé ce rubis ? Tu t’étonnes de cette question n’est-ce pas ! Pourtant cherches au fond du puits et quand tu l’auras trouvé il faudra tous les jours polir cette pierre pour que de tout son éclat elle illumine ta vie.

Des Armoises qui s'était approché, tendit son bras pour conduire la jeune femme à table et lui souffla : « Vous le trouverez !  J’en suis persuadé. »

 

Henriette dormait dans les bras de sa maman. Le maître de maison la fit coucher sur une banquette et demanda qu’on lui apporte une couverture. Mathias, qui ne connaissait les seigneurs d’Affléville que de ce que l’on racontait d’eux, n’en revenait pas de tant de sollicitude.

Le repas était servi dans une pièce attenante. Mathias nota qu’avant de quitter la pièce son beau-père s’était approché de la table pour y ramasser une autre de ces petites tours en bois clair et la mettre dans sa poche.

Le repas fut simple, cependant bien arrosé, et autour de la table les discutions filaient bon train.

Béatrice parla de leurs progrès dans la connaissance des qualités curatives des plantes, des recherches qu’il serait intéressant de faire pour mieux comprendre le processus d’ingestion et d’absorption des éléments actifs de ces plantes. Son père parla de ses rencontres et de questions religieuses et le commandant de sa passion pour l'astronomie et le mouvement des étoiles.

La tête de ce pauvre Mathias en tournait, il avait l’impression d’avoir dans un rêve atterri dans un autre monde. Déjà que Béatrice avec toutes ses interrogations le perturbait, mais là c’était du délire pur. Quel pouvait bien être l’intérêt de chercher à savoir dans quel sens tournaient les étoiles, Dieu l’avait tout simplement voulu ainsi, alors… Par son ignorance de tout ce qui se discutait autour de cette table il se sentait comme tenu à l’écart, il était profondément frustré.

De retour à leur campement Béatrice aurait continuer ces discutions avec Mathias alors que lui souhaitait dormir. Elle aurait tellement voulu rencontrer certains personnages dont il avait été question.

 Dès le lever du jour elle se rendit au quartier général pour en parler à son père. Lorsque le commandant fut averti de sa présence, Il vint la saluer. A son air contrit elle comprit qu’une déception l’attendait.

-  Je suis désolé, Madame, mais votre père a repris la route il y a déjà plusieurs heures, il m’a demandé de vous exprimer ses regrets, mais il en allait de sa sécurité. Cependant, comme il s’agit de votre père, je pense que vous saurez être discrète sur ce que je vais vous confier. Votre père, pour pouvoir se déplacer sans s’exposer à trop de danger, se mêle à une troupe d’égyptiens qui fait le commerce de chevaux. La neutralité de ceux-ci garantit sa tranquillité. Or cette nuit peu de temps après votre départ on l’informait qu’ayant fait affaires avec les officiers de notre régiment ces gens souhaitaient reprendre la route au plus vite.

           Mais rassurez-vous, il reviendra.

           Hem ! Attendez ! Encore quelque chose ! Vous comprendrez j’en suis sûre qu’il ne serait pas bon que l’on soupçonne nos relations, pour le moins on s’en étonnerait et cela compliquerait bien des choses.

 

Béatrice était consternée. Après plusieurs années d’errances, sans nouvelles, elle venait de retrouver son père et déjà celui-ci disparaissait comme il était apparu. 

Mathias, voyant son abattement, essaya de la consoler comme il pouvait. Cependant, pour dire la vérité, au fond de lui-même il se réjouissait de cette nouvelle. La veille au soir il avait pu mesurer la largeur du fossé qui le séparait de cette société, dont son épouse pourtant faisait partie. Il avait même craint que le retour de son beau-père n’éloigne définitivement Béatrice de lui. Il savait bien qu’elle était tout naturellement attirée par cette société savante, mais où, à son goût, on pensait beaucoup de trop.

Avec ce départ tout rentrait dans l’ordre. Le commandant des Armoises avait laissé entendre que leurs relations devaient rester tel qu’elles avaient été par le passé.

 

Le temps passa, la troupe attendait des ordres pour reprendre la route, Béatrice avait pourtant changé, non par son attitude à l’égard de Mathias, non, mais elle rêvait d’études, elle ne cessait de parler de sa soif d’apprendre, de savoir, de lever le voile, comme elle disait.

Ce changement irritait son mari. Il lui reprochait ces idées d’émancipation.

- Voyons Béatrice, comment peut-on perdre son temps à vouloir savoir comment se déplace les étoiles, et toutes ces folies, auxquelles ces gens consacrent tant de temps. Si c’est comme ça, c’est que Dieu l’a voulu ainsi, les problèmes du quotidien ne leur suffisent-ils donc pas ?

- Mais Mathias, n’as-tu donc pas compris que c’est justement à la médiocrité du quotidien que ces gens cherchent à échapper. Essayer de comprendre, c’est justement ce qui nous distingue des animaux. C’est ce que nous faisons tous, chacun à sa façon et selon sa nature. Lorsque toi tu regardes le mécanisme d’une arme, c’est pour comprendre comment il fonctionne, eh bien eux c’est pareil ils regardent le mécanisme du ciel.

 

Une fois de plus Béatrice venait de marquer un point et Mathias ne pouvait que lui donner raison.