La Hérisson by Bernard Amschler - HTML preview

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Chapitre 8

ZEUPY

 

Alors que la troupe s’apprêtait à lever le camp, le commandant fit venir Mathias pour lui apprendre une mauvaise nouvelle. Il venait d’être averti que Jean Du Fossé avait été arrêté par les soldats du duc. Il ignorait pourquoi, ni comment. Des bohémiens qui avaient croisé la troupe avec laquelle se déplaçait Jean Du Fossé avaient été chargés de l’en informer. -  Pourrais-je au moins leur parler ?

-  Hélas non, il s’agit d’une troupe qui se déplace sans cesse. Et seul l’un d’eux est venu en messager pour me prévenir et est repartit aussitôt. Tout ce que je sais c’est que cela aurait eu lieu à Remiremont. Je pense que votre beau-père devait être porteur de courrier pour une chanoinesse.  Lorsque Mathias rapporta, avec beaucoup de précautions, cette mauvaise nouvelle à son épouse, celle-ci voulut absolument voir des Armoises. Mathias eut beau lui dire que le moment était très mal choisi, que la troupe se mettait en route et que le commandant était très occupé, mais elle ne voulut rien savoir. Elle courut à travers le camp à sa recherche. Lorsqu’en fin elle put l’approcher il fut très bref.

Il n’avait pas le temps et en plus semblait irrité d’avoir à s’entretenir avec elle.

Nous allons marcher vers le nord, c'est-à-dire vers les Vosges, donc nous rapprocher de l’endroit où votre père à été arrêté. Je vais y réfléchir et vous tiendrais informée.

Puis, sans plus, il tourna bride et s’éloigna. Béatrice était consternée par la nouvelle de l’arrestation de son père et maintenant de l’accueil glacial du commandant. Ne les avait-il pas précédemment traités en amis ? Comme s’il voulait élever une barrière entre eux. Mathias, eut beau essayez de la raisonner. Ne se rendait-elle donc pas compte que le commandant était sur ses gardes. Dans la lettre que sa cousine Hélène lui adressait ne le prévenait-elle pas contre son entourage ? Pourquoi avait-on arrêté son père ? N’était-ce pas sur dénonciation ? Ce qui signifiait, que le commandant lui aussi risquait d’encourir le courroux de son souverain. Cela fit évidemment réfléchir Béatrice, mais ne calma en rien son anxiété.

 

L’immense colonne s’était remise en marche. Tous ces attelages et piétinement mettaient la route dans un état épouvantable, les ornières devenaient de plus en plus profondes. De temps à autre le commandant entouré de son état-major s’arrêtait sur un promontoire pour observer l’avancée de la colonne. Après avoir contourné Vesoul, puis traversé Saulx, la longue caravane, telle une couleuvre qui se faufile lentement dans une prairie, avançait vers les premiers contreforts des Vosges. La marche sous la pluie était pénible et les hommes épuisés. Aux environs de Luxeuil, que la troupe avait contourné à l’Est, en traversant une zone d’étangs et de marécages, la roue d’un canon c’était brisée et dans sa chute le lourd cylindre de bronze avait blessé plusieurs hommes, qui s’activaient à pousser le monstre. Il avait surtout écrasé la jambe de l’un d’entre eux. Béatrice et Mathias c’étaient précipités pour apporter leur secours à l’homme coincé sous l’affût. Le père de Mathias qui faisait partie des sapeurs avec son équipe, ne parvenait pas à soulever cette masse de métal prise dans la boue, qui entraînée par son poids écrasait toujours un peu plus le bas du corps de l’homme. Celui-ci hurlait de douleur. Il fallut installer un trépied avec un palan pour parvenir à déplacer l’engin. La terre était tellement détrempée qu’un pied de l’appareil de levage s’enfonçait, malgré les pierres que les sapeurs avaient mis pour stabiliser son assise. A tous moment il risquait de chavirer, au risque d’écraser les hommes qui s’affairaient autour de lui. Béatrice, agenouillée à côté du blessé pour lui prodiguer ses soins, était la plus exposée. Finalement, après un long râle, le malheureux s’était tût.

Madame ! Je vous en prie éloignez-vous ! Mathias ! Colas ! Ne la laissez pas s’exposer inutilement, vous voyez bien que cette homme ne souffre plus !

 Béatrice fondit en larmes et fut secouée par tous son corps de frissons. Le commandant tendit son manteau.

- Tenez, couvrez-la. Au bivouac, vous me le rapporterez. Colas vous les accompagnerez, ceci ne doit plus se reproduire. Il faudra que vous vous organisiez pour que vos interventions soient plus rapides, et surtout plus efficaces, réfléchissez-y, nous verrons ensemble les dispositions à prendre. Et il s’éloigna. Malgré ses propos cassants plus d’un de ses officiers comme de ses soldats dût s’étonner en entendant le commandant nommer ces gens par leurs noms et aller jusqu’à couvrir la jeune femme de son manteau. Le convoi contourna l’obstacle que constituait tout ce chantier. Les sapeurs s’éreintèrent encore une bonne heure avant d’avoir réussi à remettre le canon sur son affût et reprendre place dans le long cortège. La troupe avait marché encore une ou deux lieues pour enfin trouver un emplacement plus sec pour le bivouac.  Lorsque le campement fut installé, les feux allumés, que tous purent enfin se sécher et prendre un peu de nourriture chaude, maître Colas rejoignit Mathias et sa femme.

- Bon sang ! Je me demande bien ce qui l’a pris, il a pourtant bien vu que notre trépied ne trouvait pas d’assise, c’est tout de même lui qui nous à fait quitter la route pour nous mener dans cette mélasse.

- Calmes toi père, j’ai comme l’impression qu’il y a tout à fait autre chose là derrière.

Ils se rendirent à la tente du commandant. On les fit patienter à l’extérieur. Après un moment d’attente des officiers sortirent et on leur fit signe d’entrer.

- Ah Colas ! Allons ne vous inquiétez pas ! J’ai bien vu que vous faisiez de votre mieux. Êtes-vous au courant du problème qui nous occupe ?

- Excusez-moi d’intervenir Monseigneur, mais sur votre insistance nous sommes resté discret et n’en avons parlé à personne.                          

 Le commandant pensif regardait Béatrice en secouant la tête.

- Hem, c’est très bien, je vous remercie…Depuis que j’ai appris l’arrestation de votre père je suis sur mes gardes, moi aussi. Au fait Colas, jetez donc un coup d’œil.

Et du menton il lui désigna l’entrée. La Forge souleva la portière, il n’y avait personne.

Personne ? C’est bon ! Voilà Colas ! Je pense que vous m’êtes loyal ! Vous souvenez vous de l’homme que vous avez ramené de chez la bossue de Mance ? C’est bien ainsi qu’on l’appelle n’est-ce pas ?

- Oui, Monseigneur !

- Eh bien, cet homme est votre parent ! Puisqu’il s’agit du père de votre bru. Nous l’ignorions tous à ce moment-là. Eh bien, cet homme qui se chargeait d’acheminer mon courrier personnel, fut arrêté, apparemment, sur ordre de notre Duc. Cela s’est-il fait dans le but de me nuire, sur dénonciation ? Je ne saurais le dire. Vous le savez, dans les relations humaines l’ambition et la jalousie joue un rôle important. Plus on est proche du sommet et plus il y aura de gens à souhaiter prendre votre place et pour cela tout disposés à vous nuire. Mon courrier ne contient rien de compromettant, ce qui l’est, c’est le messager. Comprenez-vous ?

Il jeta un coup d’œil à Béatrice.

- Votre bru vous expliquera je pense. Je vais donc remettre à chacun d’entre vous sa solde plus de quoi couvrir vos dépenses.  Je vous donnerais également une lettre pour ma cousine, Madame de Lambermont, qui est chanoinesse à Remiremont, elle vous aidera. Pour vous faire reconnaître d’elle parlez-lui d’Hélène, peu de gens connaissent nos liens de parenté.

- Pour quitter le camp, dès demain à l’aube, vous profiterez du tumulte qui règne avant le départ.

- Vous prendrez chacun un cheval et bien sûr emporterez avec vous mademoiselle Henriette.

 Il fit un sourire à Béatrice.

- Ah ! J’allais oublier, le chef de la troupe d’égyptiens à laquelle votre père se mêlait se nomme Hans Reinhardt et se dit comte de la petite Égypte. Si vous parvenez à le joindre il vous sera d’une grande aide. Colas, vous nous servirez de liaison, je compte sur vous pour me tenir au courant, en toute discrétion. J’insiste sur ce mot ! Allez à présent et que Dieu vous garde.

 

 L’abbesse de Remiremont était la princesse Catherine de Lorraine, tante du duc Charles. Elle négociait activement, avec son neveux d’une part et le roi de France d’autre part, pour obtenir des deux parties, la reconnaissance de la neutralité de ses domaines. La sœur du Duc, Marguerite de Lorraine, qui avait épousé secrètement Gaston d’Orléans, le frère du roi de France, séjournait actuellement chez sa tante. On peut facilement imaginer que Remiremont était, à ce moment-là, un haut lieu d’intrigue et d’espionnage politique.

 

Pour s’enquérir de madame de Lambermont, Béatrice se rendit seule au palais abbatial. Elle fut très étonnée d’apprendre que les chanoinesses vivaient non pas dans un couvent mais dans de belles maisons ou des hôtels particuliers. Regroupées autour du palais certes, mais individuelles, où ces dames menaient une vie mondaine qui n’avait rien à envier à la noblesse de Nancy. Après qu’on lui eut indiqué la résidence de la chanoinesse, elle s’y rendit, mais fut fort déçue d’apprendre que celle-ci était absente. Madame de Lambermont prenait les eaux à Plombières. Cette ville, pas très éloignée de Remiremont, est réputée depuis les romains pour ses eaux curatives. S’y rendre ne posait pas de grands problèmes, sauf qu’actuellement le souverain de Lorraine y séjournait lui aussi pour y soigner ses problèmes de cœur. La ville devait fourmiller d’hommes à la solde du duc et pour les Colas tenter d’approcher Madame de Lambermont dans leur accoutrement guerrier ne manquerait pas d’attirer l’attention.

Pendant que Béatrice exposait la situation elle nota qu’un homme, qui n’avait rien d’un citadin très affairé, mais au contraire à l’air désœuvré, et qui jusque-là se tenait debout devant le palais abbatial, s’était dirigé, faussement nonchalant, vers la maison qu’elle venait de quitter. Bien vite elle dût se rendre à l’évidence, il les surveillait.

- Venez, éloignons-nous, mais ne tournez pas la tête, là-bas un homme semble nous surveiller. Partons comme si de rien était, s’il nous suit, nous saurons que c’est bien après nous qu’il en a.

 En effet, l’homme les suivit. Il leur aurait été facile de le semer, il était à pied, il aurait suffi de monter à cheval et de quitter la ville. Pourtant Béatrice avait un autre plan.  

- Nous sommes à la recherche de mon père et cet homme pourrait nous conduire jusqu’à lui.

 

Ils s’engagèrent dans une ruelle étroite, Béatrice portant Henriette marchait en tête, suivait Mathias tenant par la bride leurs deux chevaux et maître Colas fermait la marche avec sa monture. Leur suiveur ne voyait que la croupe d’un cheval et une queue chassant les mouches. Mathias s’apprêtait à tout moment à se dissimuler dans l’encoignure d’une porte pour prendre leur suiveur par derrière.

Seulement ils arrivèrent au bout de la ruelle, elle n’était bordée que de murs qui entouraient des jardins, sans le moindre endroit où Mathias aurait pu se dissimuler. La ruelle aboutissait sur une rue plus importante. Ils prirent à droite et Mathias se colla contre la maison d’angle et attendit, alors que les autres continuaient à avancer. Mais l’homme n’était pas un amateur, il connaissait toutes les ficelles du métier. Prudent, avant de s’engager il passa de l’autre côté de la ruelle et jeta un coup d’œil autour du coin, évidemment il vit Mathias, fit volteface et parti en courant. Mathias et son père se jetèrent à ses trousses, mais au moment où ils allaient le rattraper, un groupe de jeunes gens prenait la ruelle dans l’autre sens. Alors Colas se mit à crier : « Au voleur ! Au voleur ! Arrêtez-le ! ». Deux hommes se saisir du fuyard. Seulement, lorsque Mathias s’en approcha, l’un d’eux se planta devant lui.

- Si vous récupérez ce qu’il vous a pris ce sera grâce à nous et cela mérite une récompense, qu’en pensez-vous ?

Mathias fit mine de fouiller dans ses poches.

- Suis-je bête ! C’est lui qui a ma bourse.

- Ce n’est pas vrai ! Je ne leur ais rien pris, ce sont des espions français que je surveille, je suis au service du duc !

- Ah bon ! Eh ben, ça ce n’est vraiment pas de chance, c’est que nous nous n'aimons ni l’un ni l’autre.

 Et ils se mirent à les rosser tous les trois, sans distinction.

- Pour votre gouverne l’abbesse est Princesse d’Empire, vous n’avez donc rien à chercher ici !

Et les coups se mirent à pleuvoir comme orage en montagne.

Les Romarimontains bien content d’avoir pu se défouler les abandonnèrent à moitié assommé. Et de cette façon l’homme du duc parvint à échapper aux Colas après avoir partagé les coups équitablement distribués par les sujets de l’Abbesse. Lorsque les deux Colas rejoignirent Béatrice, celle-ci les regarda effrayée par leur état.

- Mon Dieu ! Que vous est-il arrivé ?

- Plus tard !  Il faut d’abord filer d’ici ! Il ne serait pas étonnant que l’autre revienne avec du renfort.

 

 Une fois sorti de la ville par le sud, la vallée se resserrait. Sur la gauche, au-delà d’un torrent, s’étendait une cuvette à moitié inondée et un peu plus haut s’étirait ce qui restait d’un village. Toujours au galop, ils quittèrent la route, traversèrent l’eau qui giclait de tous côtés au grand plaisir d’Henriette et atteignirent un groupe d’arbres et de buissons où ils pourraient se dissimuler. Le visage des deux hommes était en sang. Il fallait les soigner et leur redonner un aspect un peu plus civil car dans cet état ils attireraient l’attention et provoqueraient la méfiance. Béatrice ne savait toujours pas ce qui c’était passé. Pendant qu’elle lavait le sang coagulé et soignait les plaies de Mathias les deux hommes lui contèrent leur mésaventure. Finalement ils estimèrent, que malgré les dégâts subis, le bilan était positif puisqu’ils avaient appris que l’homme était bel et bien au service du duc, que les chanoinesses étaient surveillées et que le fait d’avoir cherché à entrer en contact avec madame de Lambermont les rendait suspects. A présent ils savaient aussi que d’autres espions à la solde de Richelieu étaient présents en ville et que la population n’aimait pas plus le roi de France que le duc de Lorraine.

Après avoir un peu arrangé la figure de Mathias ce fut le tour de maître Colas. Pendant ce temps, Henriette, qui avait l’habitude de voir sa maman faire cela, cueillait de grandes fleurs, qui poussaient là en abondance.

- Tiens maman, pour soigner papa et grand père.

- Merci ma chérie, c’est gentil, mais ça, ce n'est pas bon pour soigner papa et grand-père.

La petite jeta sa cueillette et s’éloigna d’un air boudeur. Mais bientôt elle revint en bondissant comme un chevreau.

- Maman ! Là-bas il y a un garçon qui nous regarde.

En effet, dissimulé dans les buissons, un gamin les observait sans oser bouger. Alors que Béatrice s’en approchait, il se redressa et remonta vivement sa culotte, il venait tout simplement de se soulager. La maman et sa fille éclatèrent de rire. Le garçon, très gêné s’apprêtait à prendre la fuite, mais Béatrice, plus vive que lui, lui barra le chemin. Il n’était pas beaucoup plus grand que la petite fille, mais à voir son visage il devait être plus âgé. La jeune femme, pour ne pas l’effaroucher, s’accroupit devant lui. Lui prenant les mains et lui souriant elle désigna le village du menton et lui demanda s’il habitait là. Il secoua la tête en signe de dénégation.

Alors elle lui demanda d’où il venait ; pour toute réponse il haussa les épaules.

- Tu ne sais donc pas parler ? Tu n’as pas peur tout de même !

Il ne répondit pas.

- Alors dis-nous au moins comment tu t'appelles ?

- Zeupy !

- Ah ! Tu sais donc parler et tout au moins tu me comprends, c’est ça ?

Il secoua légèrement la tête, affirmativement.

- Tu as faim Zeupy ?

Il fit signe que oui en baissant les yeux. Béatrice le pris par la main et l’entraîna vers les chevaux où était resté les deux hommes. Elle défit une sacoche et en retira du pain et du fromage. Elle lui tendit du pain et lui coupa un morceau de fromage.

Il s’en saisit et les dévora, sans lever les yeux.

- J’ai entendu qu’il s’appelle Zeupy, il me semble que c’est un diminutif en bas-allemand de Joseph.

 

La journée était bien avancée et ils ne semblaient pas avoir été suivis. Ils décidèrent qu’alors que les hommes et la petite resteraient à faire brouter les chevaux, Béatrice se rendrait au village pour voir s’ils pouvaient y trouver un abri pour la nuit. Le petit garçon hésita un instant, regarda Henriette, lui fit un sourire et suivit Béatrice. Lorsqu’elle atteignit la première maison du village, le gamin se dissimula derrière un mur, jeta un coup d’œil vers Henriette qui était restée près des deux hommes et surveilla les allées et venues de Béatrice entre les maisons en ruines.

- Tu vois ça ? Ce garçon est habitué à faire le guet, d’où peut-il bien venir ?

- Au campement on disait que l’Alsace n’est pas très loin, on se demandait même si ce n’était pas par là qu’on se rendait, c’est peut-être de là qu’il vient.

- Possible !

 Entre temps Béatrice était réapparue, elle fit de grands signes, le garçon s’était déjà élancé pour rejoindre les hommes et la fillette, il faisait des bonds dans les hautes herbes et par moment était comme englouti par celles-ci. Arrivé près d’eux, il prit Henriette par la main et émettant un curieux son guttural : « Romeutt » il l’entraîna vers le village, après quelques pas il se retourna et fit signe aux deux hommes de les suivre. Béatrice avait repéré une grange à moitié en ruine mais  en état de les abriter. le village semblait abandonné, pourtant on sentait une odeur de fumée,  Elle finit par retourner à la grange  et y choisit un endroit où s'installer pour la nuit. Le gamin s'assit sur une pierre près de l’entrée en montrant ses yeux. Il était évident qu'il voulait dire qu’il y avait du danger et qu’il fallait être vigilant, durant la nuit il faudrait faire le guet à tour de rôle. Après un repas frugal on déroula les couvertures et chacun choisit son coin pour la nuit. Les chevaux étaient attachés, mais par précaution on les laissa sellés, prêt à partir s’il y avait urgence. Béatrice assurait le premier tour de garde, les deux enfants enroulés en boule sous une même couverture, à ses côtés. Tout semblait silencieux. Elle savait que les chevaux avaient l’ouïe fine et qu’au moindre mouvement insolite ils s’agiteraient ou se mettraient à hennir. Lorsqu’elle sentit qu’elle ne pourrait plus tenir, elle secoua doucement Mathias pour qu’il prenne la relève. La nuit passa ainsi sans alerte. Pourtant lorsqu’au petit matin Mathias se réveilla il constata que son père, de qui c’était le tour de garde, s’était assoupi et que le petit garçon n’était plus couché près de sa nouvelle amie. Il se retint de rire en se souvenant comment ils avaient fait connaissance. Les autres ronflaient en cadence, mais le gamin ne revenait pas. Pour finir, pris d’inquiétude, Mathias se leva en évitant de faire du bruit et fit quelques pas hors de la grange. Le jour commençait à poindre timidement, il faisait froid, mais tout était parfaitement calme et une légère brume montait du ruisseau et s’étendait entre les vieux saules et les roseaux pour monter lentement vers le village. Des maisons s’élevait l’odeur de fumée, mais Mathias ne trouva nulle trace de Zeupy. Il se dit que l’enfant avait peut-être choisi de reprendre sa liberté. Béatrice s'était redressée.

- Tiens !

- Oui le gamin est parti, tu n’as rien remarqué ?

- Non, tout à l’heure il était encore là. Oh, il a sans doute été baissé sa culotte.

- C’est ce que je pensais moi aussi, pourtant ça fait un moment que je suis réveillé et il ne revient pas.  

Béatrice se leva d’un bond et sortit de la grange.  Mais revint aussitôt.

- Le gamin ! Il arrive en courant sur le chemin qui vient de là-bas, de Remiremont !

Le jeune garçon se traînait plus qu’il ne courait, il était évident qu’il avait fait une longue course. Lorsqu’il les vit, il agita les bras et se mit à crier : « Bartir, bartir. » Colas bondit sur son cheval et partit au galop à sa rencontre. Du haut de son cheval il put voir qu’un peu plus loin venait une troupe de cavaliers. Il saisit le garçon par le bras et le hissa devant lui et retourna au galop vers le village.

Mathias qui n’avait pas perdu son père de vue, alerté, aida Béatrice à prendre Henriette, qui était encore à moitié endormie, à l’asseoir devant elle et sauta à son tour sur sa monture. Colas arrivait déjà.

- Sauvons-nous ! Sauvons-nous ! Des soldats arrivent de la ville.

D’un coup d’éperon ils mirent leurs chevaux au galop, filèrent entre les ruines et s’élancèrent vers les restes d’un autre village. Alors que Colas en tête, avec Zeupy sur l’encolure, voulait prendre à gauche vers le col du Xiard, le gamin s’agita : « Non ! Non ! » Le forgeron tira sur les rênes et son cheval s’élança sur la droite vers le ruisseau, et partit en direction de la grande route. En face de lui se dressait une muraille de rochers infranchissable. Où aller à présent ? A droite ou à gauche, le gamin montrait la droite, Colas hésita, il voyait bien que la route repartait vers Remiremont, mais il était trop tard pour hésiter, il prit à droite, toujours suivit par les deux autres chevaux.  Les cavaliers à leur poursuite étaient à peine à une portée de mousquet, le bruit de leur cavalcade à travers l’eau ne passa pas inaperçue. 

- Ils sont là ! Il faut les prendre !

Mais avant d’atteindre le chemin par lequel les soldats pensaient leur couper la route le gamin montra à gauche. Un sentier grimpait le long de la montagne. Colas toujours suivi par le jeune couple s’y engagea, la montée était rude et les chevaux peinaient.

Bientôt ils entendirent leurs poursuivants, à courte distance. Le chemin, qui n’était plus guère qu’un sentier continuait à grimper, formant des lacets, les pierres roulaient sous les sabots des chevaux. D’évidence ce sentier n’était pas destiné à des cavaliers il tournait brutalement sur la gauche ou la droite en épingle à cheveux. S’ils étaient bons tireurs les poursuivants pourraient bientôt les tirer comme des lapins, car la distance entre les deux groupes se réduisait. Les chevaux avaient de plus en plus de difficultés et avançaient de moins en moins vite. Zeupy sauta prestement du cheval qui avait ralenti devant un éboulis de pierres qui encombrait le passage. Il se mit à pousser une roche qui tenait tout juste en équilibre, celle-ci s’ébranla et se mit à rouler, en entraînant d’autres avec elle. Les chevaux de leurs poursuivants faisaient des bonds et poussaient des hennissements de frayeur et de douleur, l’un d’eux s’écroula en entraînant deux autres dans sa chute, les cavaliers roulaient eux aussi, certains piétinés ou écrasés par leurs montures, d’autres jetés à bas vers le ravin. Henriette était la seule à applaudir et à faire des bonds de joie sur l’encolure de sa monture. Les trois adultes se regardaient époustouflés par la présence d’esprit de leur jeune guide. Ils continuèrent encore un bout de chemin tout en regardant de temps à autre le carnage qui avait eu lieu un peu plus bas.  Bientôt ils atteignirent le sommet de la barre rocheuse.

- Reposons-nous un peu, les chevaux aussi en ont besoin.

- Eh bien Zeupy, tu es un guide précieux, nous te devons une fière chandelle.

Franchement sans toi nous étions foutus.

Henriette, colla un bisou sur la joue du gamin, qui devint écarlate, ses yeux brillaient de plaisir et de fierté. Béatrice ne pouvait pas faire moins que sa fille. Le petit bonhomme s’était redressé de toute sa taille pour recevoir ces marques de reconnaissance. Avec forces gestes il tenta d’expliquer comment, toujours vigilant, il avait perçu avant le lever du jour le bruit de quelqu’un qui se faufile. Colas s’étant assoupi, il s’était levé sans bruit et il avait suivi l'homme qui quittait le village avec mille précautions pour ne pas éveiller l'attention. Arrivé en ville, l’homme s’était rendu au poste de garde. L’enfant comprit immédiatement que cet homme était en train de vendre ses nouveaux amis. Il fit rapidement demi-tour pour venir les avertir.

- Dis-moi Zeupy, tu es donc de la région que tu la connais si bien ?

Les yeux de l’enfant s’embuèrent, il secoua la tête.

- Non tu n’es pas d’ici ? Mais d’où viens-tu alors ? D’Alsace ?

D’Allemagne ? De Suisse ?

Le gamin secouait toujours la tête négativement -  Mais où sont tes parents ?

L’enfant secoua encore la tête, et de grosses larmes roulèrent sur ses joues. Béatrice s’approcha et voulu le prendre dans ses bras. Il la repoussa doucement, puis avec ses petits doigts fit le signe d’un homme qui marche, se désignant il prononça : « Zeupy, Rom ». Que voulait-il dire par là ?

Voyant qu’ils ne l’avaient pas compris, il refit le même geste de marcher et montra avec son doigt dans diverses directions.

- Tu veux dire que tu as beaucoup marché ? Que tu viens de loin ?

Il répondit par un signe affirmatif.

- Et tu t’appelles, Zeupy Rom.

Non, il s’appelait Zeupy, il haussa les épaules et tourna la tête pour signifier que cela n’avait pas grande importance. Il fit un pas vers Henriette, la prit par la main et fit quelques pas puis se tourna vers eux d’un air interrogateur.

- Ah ! Il veut savoir s’il peut rester avec nous.

Ce fut Colas qui fut le premier à répondre à son interrogation muette.

- Tu nous as, grâce à ta présence d’esprit, évité de gros ennuis et par là-même prouvé ton dévouement, nous serions bien ingrats de ne pas accepter avec joie ta compagnie.

Le jeune garçon continuait à les regarder d’un air interrogateur. Colas se rendit compte que son trop long discourt n’avait pas été compris. Alors en hochant la tête il répondit tout simplement : « Oui ! » Zeupy tout sourire leur fit signe de le suivre.

Ils continuèrent ainsi encore un moment, avant de déboucher dans une clairière, où se dressait une grande maison, tout à la fois habitation et ferme. Un troupeau de vaches broutait tranquillement derrière la bâtisse. Le gamin désigna la maison :

« Ça Hérival, amis Zeupy. » Puis il leur fit signe d’attendre.

- Hé ben dites donc ! Vous avez vu l’importance de la ferme ? Le Zeupy a de sacrées relations.

- Oui, à condition que ce ne soit pas un piège à rats.

A l’approche du petit bonhomme une femme surgit de l’ombre de l’entrée.

- Zeupy ! Quelle bonne surprise !

Et ils s’embrassèrent.

- J’aimerais quand même comprendre, ce gamin qui erre dans ces montagnes comme un fugitif a pour amis des gens visiblement très à l’aise.

- Regardes Béatrice, elle nous fait signe d’approcher.

- Zeupy me dit que vous êtes de ses amis, soyez les bienvenus.

Après des présentations très superficielles. Béatrice pris le risque d’expliquer la raison de leur présence.

- Le seigneur de notre village, nous a chargé de prendre contact avec sa cousine, madame de Lambermont, qui est chanoinesse à Remiremont. Je me suis donc rendu à son habitation, où on me dit qu’elle n’est pas là, mais à Plombières et que sa maison est surveillée. Et nous sommes bien conscients qu’avec notre accoutrement et notre équipage nous ne pouvons qu’attirer l’attention et les ennuis.

La femme leur fit signe qu’elle avait compris.

- Cette ferme est la propriété du Chapitre de Remiremont, nous sommes donc un peu au courant de ce qui se passe là en bas.  Le duc de Lorraine menace de mettre la main sur les terres du chapitre, si la dame de Lambermont s’obstine à ne pas vouloir témoigner devant le nonce apostolique que le mariage du duc et de la duchesse Nicole n’aurait jamais été consommé et serait donc nul. La tante du duc, qui est l’abbesse et une sainte femme, est révoltée par de tels agissements. Le duc a donc obligé la dame de

Lambermont de l’accompagner à Plombières où il espère bien la contraindre de céder. Toutes tentatives de votre part d’entrer en contact avec cette dame est actuellement vouée à l’échec.

- Je vois, mais nous avons encore une autre mission. Mon père avait déjà été précédemment adressé à cette dame par son cousin, notre seigneur, or il a disparu sans laisser de traces ni donner de nouvelles et nous aimerions le retrouver.

- Là, je ne peux vous êtres d’aucun conseil, mais si vous voulez nous allons en parler avec mon mari.

- Nous vous sommes infiniment reconnaissants de votre aide, sans Zeupy nous serions, ici sans ressource.

- Ne vous inquiétez pas madame, C’est un brave garçon, qui a de la ressource pour deux. Il est, comme tous ceux de sa race, très débrouillard.

- Qu’entendez-vous par là ? Sa race ?

- Ah ! Vous ne savez donc pas ? Zeupy est un petit gitan. Ses parents, avec d’autres membres de sa famille ont été arrêtés par les soldats du roi de France et envoyer aux galères ou pour peupler les terres nouvellement conquises au-delà des mers, lui seul est parvenu à s’en échapper. Il a erré dans nos montagnes, mourant à moitié de faim. Jusqu’au jour où mon mari l’a surpris qui essayait de boire un peu de lait aux pis d’une vac