La Hérisson by Bernard Amschler - HTML preview

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Chapitre 6

Le chirurgien

 

 Dès le départ de son beau-père, Béatrice se mit à fouiller dans les sacs. Elle en sortit des pots, des fioles, des sachets. Tous portaient heureusement des indications sur leur contenu.           

Mathias la regardait faire. Bientôt tout fut encombré d’une multitude de récipients de formes diverses.

- Tu sais Hélène est bien gentille de nous envoyer tout ça, mais comment faut-il s’en servir ?

- Ne vaudrait-il pas mieux donner tout ça au chirurgien qui saurait certainement mieux que nous.

- Mathias, mon chéri, je pense que si Hélène a tant insisté pour que ton père nous remette tout cela à Nous Seul, c’est qu’elle avait ses raisons. Elle nous aime bien et elle sait que savoir soigner est en temps de guerre une excellente garantie de survie et en temps de paix un moyen de s’assurer un certain respect, sans compter qu’aider notre prochain nous aide à gagner notre place au paradis.

- Oui ! Mais encore faut-il savoir !

- Nous apprendrons ! Tu as bien appris à lire et moi à me battre. Ce qui au départ n’était pas tellement évident. As-tu déjà remarqué que l'enchaînement des événements sont quelques fois très bizarres, comme s'ils obéissaient à un programme précis que nous ignorons. Il à fallu que tu ailles sur ce chantier pour que durant ton absence la petite s'échappe, que dans mes recherches et mon effarement je sois agressée et toi blessé. Ce qui nous a amené à reprendre contact avec Hélène et qu''elle nous offre la possibilité d'apprendre quelque chose de nouveau.

Et bien résolue à faire le meilleur usage du cadeau d'Hélène Béatrice se mit à l'ouvrage. Pour les notes elle se mit à lire mais trouva tout cela très confus.

- Ah ! J'ai une idée !  As-tu entendu parler d’un certain Érasme de Rotterdam ?  Il vivait au siècle dernier à Bâle et avait mis au point une méthode de classement qu’on appelle la méthode « Copia », je vais l'appliqué pour les notes d'Hélène mais pour cela il me faut de quoi écrire.

Ce que nous n’avons pas.

- Oui, et ça, pour en trouver…

C’est à ce moment que l’on frappa à la porte. Mathias se fraya un passage entre le tas de notes, de flacons, de pots et tout ce qui encombrait le sol et ouvrit la porte.

C’était le chirurgien.

- Alors ! Qu’a donné l’expédition de votre père ? Est-il rentré ? Et votre guérisseuse l’a-t-elle accompagné ?

- Oui, le père de Mathias est revenu. Cependant il est revenu seul. Par contre notre amie Hélène lui a remis tous ces médicaments et des notes concernant leur emploi. Malheureusement il n’y a aucun classement.

- Vous permettez ?

Le chirurgien c’était agenouillé et commençait à identifier les divers produits.

- Oui en effet, je connais certains d’entre eux, mais ils ont certainement plusieurs emplois. Et dans cette masse de notes il y a, à n’en pas douter, de quoi apprendre. Tout cela est d’un très grand intérêt, malheureusement je n’ai pas le temps qu’il faudrait pour éplucher toutes ces notes. Il faudrait que je trouve quelqu’un pour m’y aider.

Béatrice comprit qu’il était temps de préciser certaines choses.

- Monsieur le chirurgien, n’ayez crainte, si la guérisseuse nous a adressé, à Mathias et à Moi-même, ses notes, en insistant bien qu’ils Nous étaient destinés, c’est parce qu’elle savait que Nous savions lire le français comme le latin et que nous avions la capacité de les comprendre. Si Mathias n’est guère en mesure actuellement de travailler à la forge, il pourra par contre consacrer son temps à classer toutes ces précieuses informations. Que nous sommes bien évidemment tout disposés à partager avec vous. Le chirurgien se redressa lentement, il était visiblement déstabilisé. Il pensait avoir à faire à des gens, sans doute intelligent, mais n’ayant aucune instruction et se mit à craindre que ce que jusque-là il considérait comme son domaine exclusif n’aille lui échapper. Il lui fallut un moment de réflexion avant de répondre. Il comprit l’intérêt pour lui d’une collaboration et finit par acquiescer.

Mathias dépouillerait tout cela, et Lui en profiterait. Il n’avait pas à craindre de concurrence, Il était Lui l’homme de l’art, reconnu et diplômé.

- Oh ! Mais c’est formidable ! Je me réjouis de notre collaboration.

Déjà il se dirigeait vers la porte, prêt à prendre congé.

- Attendez, monsieur le chirurgien ! Il nous faudrait pour ça du papier et de quoi écrire. Auriez-vous une idée à ce sujet ? -  Euh, oui…Oui et il vous en faudrait pas mal.

- Oui, surtout qu’il faudrait faire un classement en double exemplaires, l’un pour vous et l’autre pour nous.

- Oui bien sûr, bien sûr, oui, c’est très bien, je vais y réfléchir.

En sortant, il se disait : Eh bien dis donc, non seulement elle est mignonne, mais en plus intelligente et instruite, c’est une fille que l’on a plaisir à fréquenter.

 

Le lendemain matin, le chirurgien était là, avec une dizaine de grandes feuilles de papier, de l’encre et même trois plumes d’oie.

- Voilà ! Je vous apporte de quoi commencer votre travail, c’est tout ce que j’ai trouvé pour l’instant, mais je vais en parler au commandant. Je dois avouer que j’ai hâte de voir le résultat. Avec votre permission Mathias, je reviendrais voir ce soir.

Après son départ Béatrice prépara une plume. Elle la tailla et en réduisit la longueur de moitié. Pendant ce temps Mathias s’installait près de la fenêtre.

- Pour commencer, tu lis les notes et tu soulignes le mal dont elle parle, dans quelle partie du corps et quel traitement elle applique.

Béatrice jeta un coup d’œil puis ouvrit le livre sur les simples.

Hélène avait fait un travail extraordinaire, elle donnait des explications très précises et très détaillées, ce qui facilitait naturellement la compréhension du tout.

 

Lorsque le chirurgien vint aux nouvelles, Béatrice et Mathias lui firent part des difficultés qu’ils pourraient rencontrer par la suite à la fabrication des différents remèdes.

- Avec tout mon travail de chirurgien il me serait impossible de me consacrer à cela. Ce qui m’intéresserait ce serait de connaître un moyen de soulager la souffrance des gens que je dois amputer ou de permettre aux blessures de guérirent plus rapidement.

- Vous savez depuis peu la médecine et la chirurgie font de grands progrès. Depuis peu les chercheurs s’enhardissent. A Pont à Mousson nous avons ouvert un chien pour observer le fonctionnement de ses organes, malheureusement il est mort trop vite.

En imaginant la souffrance de l’animal Mathias s’étonnait de voir Béatrice écouter avec tant d’intérêt et de constater, à ses questions, que sa soif de savoir ne connaissait pas de limite.

L’homme de l’art avait su captiver son attention.    

Mathias assistait en silence à cet entretient débridé et redoutait que Béatrice dans son enthousiasme oublie le danger et n’en vienne à dévoiler ses convictions intimes.

- Cela semble beaucoup vous intéresser, bien que vous soyez une femme, si cela vous intéresse réellement, je pourrais vous permettre d’assister à quelques opérations. D’ailleurs je pense qu’avec votre mari vous devriez vous partager la tâche. L’un devrait se spécialiser dans la préparation des remèdes et l’autre, vous par exemple, à l’étude des symptômes. Je pourrais vous y aider en vous expliquant le corps humain et ce que nous savons de la fonction des organes.

Mathias jugea plus prudent d'intervenir

- Nous vous remercions de l’intérêt que vous nous portez, mais pour l’instant il nous semble plus urgent de procéder au classement de ce dont nous disposons. Aujourd’hui j’ai dégrossi une petite partie des notes de notre amie et nous pensons que dès demain, Béatrice et moi pourrons commencer à établir des fiches, mais pour bien faire nous aurons besoin de beaucoup de papier.

- Oui, j’ai compris, vous avez raison, il faut procéder par ordre. Je dois voir le commandant pour lui parler de l’approvisionnement de mon infirmerie, je lui parlerais aussi du papier.

Lorsque le chirurgien eut quitté la pièce, Mathias voulut s’expliquer.

- Tu avais raison. Au départ je pensais que nous devions lui donner tout ça, mais maintenant je me rends bien compte que ça représente pour nous un grand atout, d’une part, et que d’autre part, c’est passionnant de trouver comment soigner les maladies.  Ce serait une bêtise de le lui donner. Et ceci, mis à part, ce chirurgien ne pense qu’à profiter de notre travail.

- Tu as bien fait Mathias de lui parler comme tu l’as fait, je pense qu’il a compris le message. Cependant je dois avouer que malgré ses manières sa réflexion sur le partage des fonctions me parait judicieuse, nous devrions chacun nous spécialiser. Il y a trop à apprendre.

Mathias sentait bien que l’intérêt que le chirurgien portait à Béatrice n’était pas uniquement professionnel, mais il savait aussi qu’il ne parviendrait pas facilement à la dissuader d’aller assister aux travaux de l'homme de l'art. Pendant que la jeune femme se consacrait à sa fille et à la préparation du repas, il commença à découper les feuilles en quatre, tout en réfléchissant à la remarque de Béatrice. Le lendemain il relut attentivement l’une des notes. Hélène y parlait d’un homme qui se plaignait de fortes douleurs sur le côté de l’abdomen qui s’étirait jusque dans le dos. Après l’avoir ausculté Hélène avait diagnostiqué une maladie du foie.

Mathias resta un moment à réfléchir à ce qu’il venait de lire. Comment faisait-elle pour savoir où se situait le foie ? Comment procédait-elle pour l’ausculter ? Il n’y avait aucun doute qu’il fallait un minimum de connaissances de l’anatomie humaine. Hem ! Rien que d’imaginer que cet orgueilleux chirurgien pourrait s’occuper de l’instruction de Béatrice lui rongeait le cœur. Il fallait pourtant bien se rendre à l’évidence, une tel opportunité d’apprendre ne se représenterait pas ailleurs et sa femme n’y renoncerait pas. Évidemment le chirurgien pour lui plaire répondrait à sa curiosité et ferait plutôt de trop que pas assez. Mais lui, Mathias, le forgeron, qu’elle serait sa place dans cet arrangement ? Perdu dans ses réflexions il ne s’était pas aperçu que Béatrice c’était approchée.

- Mathias, à quoi penses-tu ?

- Oh ! Je pensais à tout ce que nous avons à apprendre. Je me rends compte, que pour gagner du temps, il nous faudra nous servir au mieux de l’expérience d’Hélène et du chirurgien.  J’ai beau connaître beaucoup de plantes, mais je ne sais pas leur nom latin. D’autre part, Hélène parle d’auscultation et de diagnostique sais-tu toi où se trouve le foie, la rate, les poumons le gros intestin et comment ils fonctionnent ? J’ai été amené à vider des animaux, et je sais un peu ce qui est quoi mais je me demande si c’est la même chose chez les hommes.

- Oui bien sûr on peut se poser la question, moi-même je n’en ai aucune idée.

Mais nous apprendrons !

Face à l’esprit curieux et à la détermination de Béatrice Mathias ne pouvait résister. Sans y avoir réfléchi, comme ça spontanément il lui vint une idée : Tu sais quoi, je pourrais m’allonger sur la table et le chirurgien pourrait nous montrer où se trouve quoi et il pourrait t’expliquer comment il faut ausculter ensuite on pourrait dessiner un homme sur une grande feuille et désigner l’emplacement des organes et toi tu pourrais écrire tes observations. Qu’en penses-tu ?

- Ça c’est une super idée !

- Merci Béatrice.

- Mais de quoi donc ?

- Sans toi, je ne serais qu’un pauvre ignorant. Tu as bouleversé ma vie et je ne pourrais plus vivre comme avant. Je t’aime Béatrice !

Elle le regarda d’un air coquin.

- Seulement pour ça ?

Ils se remirent au travail. Tout en rédigeant leurs fiches ils échangèrent leurs observations et réflexions. Ce qui leur permit d’enrichir encore leurs connaissances mutuelles et de raffermir leur complicité.

- Tiens regardes Béatrice, là, Hélène parle d’une préparation qui hâte la cicatrisation des plaies. Tu vois c’est un truc si on en avait on pourrait l’essayer tout de suite.

- C’est quoi ?

- Une pommade de Calendula Officinalis.

- Attends, je regarde dans les pots.

Effectivement, Hélène y avait pensé.

- Là, j’en ai trouvé. Je vais t’en faire une application. Tu sais ce qui serait pas mal, elle a certainement un truc pour nettoyer les plaies avant les applications. Tu n’as rien vu comme ça ?

- Non, en tout cas pas encore.

Mathias retira la grande blouse qui couvrait sa chemise et dénuda son torse. Béatrice défit les bandages puis avec un peu d’eau tiède nettoya la grande plaie qu’il avait dans le dos. La guérison était en bonne voie.

- Hem, mes soins sont eux aussi efficaces. On va donc commencer par mon traitement personnel.

- C’est en tous cas celui que je préfère.

Béatrice se mit à lui poser de petits bisous tout autour de la blessure.

- Tu aimes ?

- Venant de toi c’est le meilleur des traitements.

- Tu le mérites bien mon chéri. C’est tout de même pour me défendre que tu as pris ces mauvais coups. Bon, maintenant on va voir si l’amitié d’Hélène est aussi ou encore plus efficace.

Elle étala la pommade avec beaucoup de douceur.

- Tu es une merveilleuse infirmière.

- Tu crois que je pourrais proposer mes services à l’infirmerie du régiment ?

- Ah non ! J’en mourais de jalousie et plutôt j’achèverais tous les blessés et surtout le chirurgien.

- Serais-tu jaloux à ce point, mon chéri ?

- Oui ! Tu me fais mal, tu me serres trop fort.

Henriette arrivait à quatre pattes.

Non mama ! Pas bobo à papa !

Lorsque le soir le chirurgien arriva les bras chargés, les époux avaient rédigé, malgré le petit intermède de câlins, une bonne douzaine de fiches.

- Nous avons bien travaillé, je pense que vous serrez content du résultat. Nous avons trouvé un traitement pour empêcher les trop grandes pertes de sang et une pommade pour hâter la guérison des plaies.

- Formidable ! Mais moi aussi j’ai bien travaillé, je vous ai obtenu tout un lot de papier. On venait de le livrer du moulin à papier de Longwy, il est tout frais. Monsieur le commandant était ravi de servir la science. Sur ses encouragements j’ai raflé tout ce qu’il y avait sur sa table. Il était d’excellente humeur. L’homme que votre père avait ramené de chez votre amie, lui a donné des nouvelles de celle-ci, qui, le saviez-vous ? S’avère être sa parente.

Le jeune couple se regarda étonné. Hélène était une parente du commandant, donc noble, elle n’en avait pourtant jamais rien laissé paraître.

- Il m’a également chargé de vous apporter ceci, avec ses compliments.

- C’est très aimable à lui, mais c’est quoi ?

- Une belle pièce de viande qu’il m’a ordonné de prélever sur la ration de l’infirmerie.

          D’autre part, il me semble qu’il souhaite faire votre connaissance, il m’a longuement interrogé sur vous. Le fait que vous sachiez lire et écrire l’a beaucoup intéressé.

          Bon, voyons à présent ce que vous avez collecté comme nouveaux remèdes.

- Il y a de tout, mais ce dont nous vous parlions c’est ceci.

Après avoir lu attentivement les notes que lui présentait Mathias.

- Hem, pas de doute c’est très intéressant et tout à fait nouveau pour moi, cependant encore faudrait-il avoir cette pommade et d’autre part de l’Equisetum Arvense fraîche pour en faire une décoction.

- Ça... Par contre nous avons un peu de pommade à la Calendula Officinalis et j’en ai déjà appliqué sur la plaie que Mathias a dans le dos.

- Et sur son bras ?

- Non là je n’en ai pas mis, je voulais d’abord voir l’effet.

- Vous avez véritablement un don naturel pour la science, c’est formidable. Voulez-vous s’il vous plaît Mathias me montrer vos deux blessures. Nous pourrons constater si l’une guérie plus vite que l’autre. Vous me les remontrerez toutes deux d’ici trois ou quatre jours. Par contre chaque fois

que vous referez le pansement notez bien les changements que vous observerez.

A peine le chirurgien avait-il franchi la porte qu’ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre. Ils venaient de recevoir là de très beaux encouragements de l’homme de l’art d’une part et par l’intérêt que leur portait le commandant.

- Je suis curieuse de voir ce que contient le paquet que nous envoi le commandant.

- Moi aussi, vas-y ouvres ! Moi je déballe le papier.

La musette contenait une pièce de viande, telle qu’elle serait suffisante pour une grande famille, plus de la farine de froment, des lentilles, des haricots secs et même deux carafons de vin, de quoi faire un vrai festin.

- Tu sais quoi, nous devrions partager avec maître Jean, pour nous montrer reconnaissant de sa bienveillance à notre égard.

- Il y en a assez pour toute l’équipe de la forge, nous allons leur offrir un festin pour les remercier pour tout ce qu’ils ont fait et font encore pour nous.

 

En reculant Mathias fit tomber la pile de feuilles de papier que le chirurgien venait d’apporter.

Béatrice s’empressa de les ramasser avant qu’Henriette ne s’en empare et les passait à Mathias.

- Tiens il y a des feuilles sur lesquelles on a écrit.

- Ah bon, montre voir ?

En effet, parmi les feuilles vierges il y en avait trois sur lesquelles courait une écriture fine.

Mathias s’était saisi de l’une des feuilles et se mit à lire. Il ne s’agissait pas de notes d’Hélène. Mais d’une lettre où il était question d’une coalition de seigneurs des duchés de Bar et de Lorraine ainsi que de puissants bourgeois de villes des duchés pour soutenir Nicole, l’épouse du duc Charles, contre celui-ci. Autrement dit des légitimistes, puisque Charles n’était devenu duc que grâce à un tour de passe-passe en épousant Nicole, la fille du duc de Lorraine et de Bar.

Pour terminer, l’auteur recommandait au destinataire de confier son courrier pour Leyde et Dordrecht au porteur de cette lettre le sieur Jean Du fossé, un homme de confiance et qui faisait partie de leur société. La lettre contenait également un avertissement, le destinataire devait se défier de certains de ses subordonnés et ne devait pas oublier que tous n’épousaient pas leur cause et leurs idées.

La lettre ne portait ni le nom du destinataire ni de signature, mais se terminait par le début d’une phrase inachevée. « Relevons la… »

 

- Quelque chose ne va pas Mathias ? Tu fais une de ces têtes !

- Eh bien regarde ! C’est une lettre, et je crois reconnaître l’écriture d’Hélène.

Mais ce qui est le plus étonnant est ce qu’elle contient.

 

D’abord Béatrice ne fit que survoler la lettre mais lorsqu’elle y découvrit le nom de son père elle fut prise de vertige, elle faillit tomber et dût s’asseoir pour relire avec plus d’attention, elle n’en croyait pas ses yeux. Il s’agissait bien de son père, il était donc bien vivant et vraisemblablement tout proche. Apparemment il faisait partie d’une société secrète qui conspirait contre le duc de Lorraine. Prise d’une véritable frénésie Béatrice voulu se lancer à sa recherche. Après avoir enduré tant de souffrances et de solitude dans le malheur elle voulait le retrouver, se jeter dans ses bras, renouer avec son passé, son enfance. Il fallait qu’elle sache qui était le destinataire qui pourrait lui dire où trouver son père. Elle relut encore une fois cherchant un indice elle réfléchit un instant. Mathias avait parlé de l’écriture.  Elle se saisit de l’une des notes d’Hélène, fît la comparaison. En effet il n’y avait pas de doute, c’était bien l’écriture de leur amie. Le chirurgien leur avait dit que le commandant avait reçu des nouvelles de sa cousine Hélène, leur amie. Dans la lettre elle mettait en garde contre les subordonnés du destinataire, il n’y avait plus de doute, il s’agissait bien du commandant. Elle voulut se précipiter chez celui-ci. Mais Mathias plus lucide et surtout moins enthousiaste à l’idée de ces retrouvailles entre la fille et le père lui fit remarquer qu’il s’agissait d’une lettre confidentielle entre personnes qui conspiraient contre leur souverain et qu’il y avait danger de mort, si cela était découvert, y compris pour son père. Il était donc essentiel d’agir avec circonspection. Béatrice finit par se laisser convaincre qu’il ne fallait pas agir aussi impulsivement et que de toute façon le messager était reparti.

 En attendant de mener à bien leurs recherches que fallait-il faire à présent de cette lettre compromettante ? Si le commandant c’était aperçu de sa disparition il soupçonnerait l’un de ses proches. Ce qui ne pouvait pas nuire, après la mise en garde de l’auteur, le fait que cette lettre ait pu être subtilisée avec autant de facilité, montrait bien la négligence du destinataire.

Si le chirurgien s’informerait à son sujet, on saurait qu’il est au courant, si par contre il n’y ferait aucune allusion on saurait qu’il n’est pas dans le secret. Après réflexion on décida de remettre la lettre dans le paquet comme si on ne s’était pas aperçu de sa présence et on verrait.

Le lendemain le chirurgien vint leur faire sa visite quotidienne alors qu’il jetait un coup d’œil aux nouvelles fiches Mathias demanda à Béatrice de l’accompagner un instant à la forge pour parler à maître Jean. Les deux époux restèrent absents durant assez longtemps pour permettre, éventuellement, au chirurgien de fouiller le tas de papier. A leur retour, il s’apprêtait à repartir. Alors qu’il franchissait la porte il se ravisa.

- Il faut que je vous dise, nul n’est encore au courant, mais le régiment s’apprête à lever le camp pour partir en campagne. Je compte bien parler à monsieur le commandant de votre aide précieuse et qu’il vous fera une proposition intéressante, que j’espère vous accepterez !

En effet, le lendemain, Ils furent invités à se rendre à l’infirmerie où ils seraient présentés au commandant. Entre temps ils avaient constaté que la lettre avait disparu. Il fut convenu qu’il ne devait surtout pas laisser deviner qu’ils avaient lu la lettre.

C’est donc un peu inquiet qu’ils se rendirent à l’infirmerie. Le commandant n’était pas encore arrivé et le chirurgien était occupé à faire le pansement d’un homme qui avait reçu une balle de mousquet, celle-ci lui avait brisé la clavicule. Mathias soutenait le blessé, lorsque le bandage ayant glissé, la blessure apparue. Béatrice n’en crut pas ses yeux. Des lambeaux de chairs déchirées pendouillaient autour de la plaie. Si l’homme guérissait, il aurait pour le restant de ces jours des espèces d’excroissances sur l’épaule, qui le gêneraient forcément pour porter et peut être même pour bouger le bras. Elle en fit la remarque au chirurgien. Celui-ci se tourna lentement vers elle et la regarda avec un air de défie -  Ah bon ! Et que proposeriez-vous ?

Il était évident qu’il n’appréciait pas sa remarque. Béatrice ne se démonta pas pour autant.

- Monsieur, je dois avouer que je ne connais rien à la chirurgie, cependant, mon père avait un verger…

- Un verger ? Mais c’est très intéressant çà !

- Laissez-la parler !

La voix était autoritaire. Béatrice et le chirurgien sursautèrent. Derrière eux se tenait un homme, bien qu’habillé sobrement et n’étant pas très grand, il inspirait le respect.

- Continuez, je vous prie !

Béatrice avala sa salive et bien qu’intimidée exposa son idée. Lorsque l’on taille des branches ou que l’on pratique une greffe il faut veiller à ce que la plaie soit nette et sans bavures, ce qui permet d’avoir une cicatrisation plus rapide et plus nette. Le commandant écouta avec attention puis sans dire un mot se tourna vers le chirurgien. Après un silence il s’adressa à Béatrice.

- Visiblement votre père sait prendre soins de ses arbres ! J’aurais sans doute eu plaisir à le connaître, nous partageons apparemment la même passion.

La jeune femme perdit le contrôle de sa langue.

- Mon père, Jean Du Fossé, était potier d’étain à Metz et…

Le commandant leva la tête sans dire un mot et durant un instant il dévisagea la jeune femme. Béatrice effrayé de ce qu’elle venait de dire devant le chirurgien se demanda s’il avait écouté.  En tous cas il ne sembla pas relever. Après un moment de silence le commandant s’adressa au jeune couple.

- Madame et Monsieur, notre chirurgien, monsieur Martin m’a parlé de vous. C’est pourquoi je souhaitais vous rencontrer. Nous nous préparons à partir en campagne. Il y aura sans doute des affrontements très violents, donc de nombreux blessés, monsieur Martin aura besoin d’aide, je vous propose de vous joindre à lui et de le seconder. Vous serez plus particulièrement chargé de la préparation des remèdes, il va de soi que pour ce qui est des soins vous serez, soumis à l’autorité de notre chirurgien, vous n’aurez donc pas à prendre d’initiatives. Et vous toucherez chacun la solde d’un sous-officier. Vous donnerez votre réponse à monsieur Martin et si vous acceptez, je vous demanderais de dresser une liste du matériel dont vous aurez besoins pour la préparation de ces remèdes.