La Hérisson by Bernard Amschler - HTML preview

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Chapitre 7

LES GITANS

 

  Mathias, Béatrice et les enfants finirent par arrivé en fin d’après- midi à proximité d’Epinal. Bien qu’ayant interrogé les quelques voyageurs qu’ils avaient croisés en route, ils n’avaient relevé aucune trace de Jean Du Fossé, qui semblait s’être tout simplement volatilisé.  Une auberge se trouvait à une courte distance de la ville et la nuit allait bientôt tomber ils y passeraient la nuit et interrogeraient les autres voyageurs.

 

Les clients se regroupaient à table en fonction de leurs activités ou de leurs langues et pour dormir, tout le monde couchait pêle-mêle dans les combles. Mathias et Béatrice s’étaient installés, avec les enfants dans un coin. Certains voyageurs restaient dans la salle à discuter jusque tard dans la nuit, de temps en temps éclataient des disputes d’ivrognes et on s’insultait dans toutes les langues connues. La salle finit tout de même par se vider et les derniers traînards par monter se coucher. Certains, pris de boisson, titubaient et même tombaient sur les dormeurs, provoquant des protestations plus ou moins violentes. D’autres s’interpellaient à haute voix. L’air y était devenu irrespirable avec ses odeurs de vomissures, de sueur, de pieds sales, certains pétaient, d’autres rotaient tout aussi bruyamment et pour compléter le tout il y avait les ronflements. Ce ne fut finalement qu’au petit matin que Mathias et Béatrice, épuisés, finirent par s’endormir.

A peine assoupis ils furent soudain réveillés par les cris de Zeupy.

- Voleur ! Mama ! Papa ! Voleur !

Le temps, pour eux de refaire surface, un homme s’enfuyait vers ce qui servait d’escalier. Le gamin, en quelques bons par-dessus les corps allongés, avait rejoint le fuyard et se jetait dans ses jambes. L’homme n’eut pas le temps de se retenir et dégringolait au bas des marches, Zeupy, allongé sur lui, tentait de le maintenir au sol, l’autre se débattait pour tenter de se débarrasser de ce petit bonhomme qui s’agrippait à lui comme une sangsue. A peine croyait-il s’en être défait que les petits bras et jambes l’enserraient de nouveau. L’homme tenta de se redresser pour reprendre la fuite, mais à peine s’était-il appuyé sur une jambe qu’il poussait un

cri et s’écroulait en gémissant. Mathias était sur lui. Il gémissait et ne tentait plus le moindre mouvement, la sueur perlait sur son front et il suppliait dans une langue que Mathias ne comprenait pas.

- Zeupy, tu comprends ce qu’il dit toi ?

L’enfant répondit, la gorge nouée et des sanglots plein la voix.

- Homme dire, cassé jambe.

- Mais Zeupy, qu’est-ce qui t’arrive ? Pourquoi tu pleures ?

Le gamin avait pris la main du blessé et tout en pleurant murmurait des mots incompréhensibles. Il se tourna vers Béatrice.

- Lui, Rom.

- Oh ! Mon Dieu ! Il est de ta famille ?

- Non, mais lui comme moi rom.  

Toute l’auberge c’était assemblée autour d’eux. Certains posaient des questions et voulaient simplement savoir ce qui se passait, d’autres étaient plus violents et s’en prenaient sans aucune retenue à l’homme à terre, prêt à le frapper.

- C’est un voleur, il faut le pendre !

- Mais d’abord il faut lui reprendre ce qu’il a volé !

- Oui il faut le fouiller !

Béatrice en colère se redressa.

- Bon sang, vous ne voyez donc pas que cet homme souffre ? Alors avant tout ce bruit voyez donc dans vos poches s’il vous a seulement pris quelque chose.

Les uns se mirent à fouiller leurs poches, d’autres leurs ceintures ou à palper sous leur chemise. Mais celui qui avait crié qu’il fallait le fouiller, sans même vérifier, se mit à hurler qu’on lui avait tout pris. La jeune femme bondit et lui fit face.

- Ah, bon ! Vous avez donc vérifié ? Vous n’avez pas même regardé dans vos poches.

Il se tourna vers les autres, comme pour les prendre à témoin.

- Vous la voyez cette garce ? Pendant qu’il fait semblant d’être blessé, il lui a refilé son butin, c’est sa complice. Il faut voir ce qu’elle cache sous ses jupes! Tenez-là vous autres, je m’en occupe !

Avant qu’il n’ait fait un mouvement, il se retrouva projeté au sol par un magistral coup de poing, que lui avait envoyé l’aubergiste.

- Écoutes, toi le tordu, on te connaît, alors tu ne viens pas foutre ta merde chez moi, compris ? Et déguerpis avant que je ne t’écrase !

Cette intervention vigoureuse fit son effet, l’attroupement commença à s’éparpiller, chacun se souvenant qu’il lui restait encore tant à faire et bien du chemin avant la fin du jour.

Mathias, aidé de l’aubergiste, étendirent avec beaucoup de précautions le gitan sur une table. Béatrice dénuda la jambe, aucune blessure n’était pourtant apparente, il ne s’agissait pas d’une fracture ouverte. Elle palpa la jambe en partant du pied, l’homme commença à s’agiter et ses gémissements se transformèrent en hurlements. Il n’y avait aucun doute il s’agissait bien d’une fracture du tibia.

Encore fallait-il voir si la fracture était simple ou bien si l’os avait été déplacé.

- Mathias maintiens lui les épaules et vous monsieur tenez lui solidement les deux jambes. Pour me permettre de palper la fracture et connaître son importance et sa nature.

 La fracture semblait nette, mais les deux extrémités étaient légèrement déplacées, il fallait les remettre bien en face l’une de l’autre.

- Bon, pour commencer, il me faudrait de quoi faire des attelles et des bandes de toile pour maintenir les morceaux en place.

Henriette était restée assise en haut de l’espèce d’échafaudage qui servait d’escalier, d’où elle bénéficiait d’une excellente vue sur ce qui se passait en bas.

Elle n’avait rien à envier aux étudiants en médecine dans un amphithéâtre. Béatrice donna les soins que nécessitait le blessé. L’homme, maintenant transpirait à grosses gouttes et respirait par saccades.

- Maintenant je vais lui préparer de quoi le faire dormir. Mais avant qu’il ne s’endorme, Zeupy, tu vas lui demander s’il y a quelqu’un pour s’occuper de lui ?

Le gamin n’eut pas à traduire. Le gitan non seulement comprenait, mais en plus savait s’exprimer en français. Il expliquât qu’il faisait partie d’une troupe qui campait sur le bord de la rivière en amont d’Epinal, mais qu’il n’était pas là pour voler, mais avait été chargé de fouiller les affaires du jeune couple pour voir s’ils transportaient des lettres.

- Des lettres ? Et qui vous a demandé de faire ça ?

- Un homme qui est venu au campement. Il s’est longuement entretenu avec notre chef, puis j’ai dû l’accompagner jusqu’ici pour qu’il me montre de qui je devais fouiller les bagages et tout de suite après vous avoir désigné il est reparti.

- Il était avec vous, ici dans la salle ?

- Non, non, vous marchiez dehors, le long de la route.

- Et vous pourriez me décrire cet homme ?

- Ma foi, c’est un soldat, il est de taille moyenne et il porte un bandeau sur l’œil, je crois qu’il s’agit du droit.

- Un borgne ! Tiens donc !

- Et vous savez pourquoi il vous demandait ça ?

- Non, il faudrait demander notre chef.

L’infusion que Béatrice lui avait administrée, commençait à faire son effet, sa langue s’empâtait et son élocution devenait difficile. On le transporta près de la cheminée. Alors que Mathias se rendrait au campement accompagné de Zeupy, Béatrice surveillerait les routes venant de Remiremont. D’où elle espérait toujours voire enfin venir son père.

  

La ville d’Epinal s’étale dans une cuvette et borde à droite et à gauche le lit de la Moselle. A droite sur une hauteur se dresse le château, une puissante forteresse, qui contrôle la vallée. La situation de cette ville dans son écrin de verdure est magnifique. Un pont, défendu par un fortin, permettait de franchir la Moselle. Un campement rom s'étalait dans la prairie un peu en amont du pont.

Derrière un rideau de buissons Mathias aperçut une femme accroupie au bord de l’eau lavant du linge. Dès qu’elle se rendit compte de leur présence elle se redressa, les dévisagea et courut vers le campement rom en emportant sa lessive.

Zeupy retint Mathias et insista pour qu’ils restent là bien en évidence à attendre. Après un moment, un homme âgé accompagné d’un homme plus jeune s’approcha. Le plus jeune portait, enfoncé dans une écharpe enroulée autour des reins, deux pistolets d’arçons.

- Qu’est-ce que tu veux ?

- Le gamin a quelque chose à vous dire.

- Vas y Zeupy, tu leur expliques.

Le gamin, dans leur langue, leur dit qu’ils venaient en amis et souhaitaient parler au chef. Le vieil homme dévisagea Mathias et finalement lui fit signe de les suivre au campement.

Il s’agissait à peine d’une dizaine de chariots bâchés, éparpillés dans la prairie avec en plus par-ci, par-là, quelques tentes. Autour des feux, les femmes entourées d’une ribambelle d’enfants s’activaient. Un peu à l’écart, les hommes discutaient tout en examinant des chevaux.

D’un simple signe de tête le vieil homme les invita à entrer sous une tente. L’intérieur était tendu d’étoffe rayé de rouge et de bleu, les couleurs avaient beau être défraîchies, mais avec le tapis qui couvrait le sol cela donnait une impression de recherche. Lorsque Zeupy voulut expliquer la raison de leur présence le chef lui posa la main sur l’épaule d’un air protecteur et lui sourit.

- Vous pouvez me parler dans votre langue, je vous comprends.

- Cette nuit, l'un de vos hommes c’est introduit dans l’auberge, sur la route de Remiremont, il a fouillé mes affaires, surpris il a voulu se sauver et est tombé dans l’escalier. Dans sa chute il s’est cassé la jambe. Avec ma femme nous l’avons soigné, mais il faudrait que vous veniez le chercher, car seul il ne peut pas marcher.

Le visage du vieil homme s’était rembruni, ses épais sourcils s’étaient redressés et son front s’était plissé, la parole resta un moment en suspens, puis faisant un signe de la tête vers Zeupy il émit un grognement.

- Hem, mais pourriez-vous m’expliquer la présence de ce garçon de notre race avec vous ?

- Je comprends votre méfiance, vous pouvez lui demander vous-même, dans votre langue, que je ne comprends pas. Ainsi vous aurez toute assurance de sa sincérité.

Le vieil homme eut une courte conversation avec le gamin au cours de laquelle il désigna plusieurs fois Mathias du menton. Le gamin appuyait sa tête contre l’épaule de Mathias et finalement lui saisit la main et la posa sur sa tête. Comme s’il voulait exprimer qu’il se plaçait sous sa protection. Le chef, apparemment satisfait, s’adressa de nouveau à Mathias.

- Vous pouvez retourner à l’auberge, deux hommes vous y rejoindront avec un chariot

- Oui ! C’est bien, mais pour ma part j’aurais pourtant aimé savoir ce que votre homme cherchait dans nos affaires et pour qui ?

L’homme, que la question semblait gêner, répondit dans un grognement.

- Il ne vous a apparemment rien pris ! Alors restons en-là !

Zeupy tira discrètement Mathias par la manche. Le message fut compris. Le vieil homme qui avait surpris le geste leur sourit.

- Avec ce garçon, vous avez un précieux conseiller et guide.

 

Du côté de l’auberge, Béatrice surveillait toujours la route. Durant cette attente, elle eut tout loisir de réfléchir. Si son père venait par cette route, qui représentait au pire deux jours de marche à pieds, il devrait déjà être là. Alors serait-il passé sans se faire remarquer, il était fort possible qu’il prenne des précautions pour éviter à présent de rencontrer les hommes du duc de Lorraine, ou bien avait-il changé de direction en cours de route. Mais dans ce cas, pour aller où ?

 Il fallait qu’elle retourne à l’auberge, là on pourrait certainement la renseigner. L’aubergiste était trop occupé, avec les soins au blessé il avait pris beaucoup de retard dans son travail et il valait mieux ne pas le retarder davantage. Quant à la servante, elle ne savait pas. Un peu découragée, alors qu’elle s’apprêtait à retourner à son poste d’observation son patient lui revint en mémoire. Il est vrai que tellement occupée par l’idée de retrouver son père elle l’avait presque oublié. Il semblait dormir. Pourtant lorsqu’elle lui posa la main sur le front, pour s’assurer qu’il n’était pas pris de fièvre, il ouvrit les yeux, ébaucha un sourire et tendit sa main vers elle. Elle prit sa main et la tapota gentiment en lui souriant. Il attira cette main vers sa bouche et y déposa un baisé, pour lui exprimer sa gratitude.

- Vous ne vous sentez pas trop mal ? Ça ira ?

- Je vous remercie de vos soins et de votre gentillesse. Il est vrai que nous ne sommes pas habitués à tant de bienveillance de la part d’une « gadjo ».

- Gadjo ?

- Oui, de personnes étrangères à notre race.

- Ah ! Vous savez il y a quelque chose de plus important que nos races, c’est ce qui nous rend tous semblables, notre humanité. Ne sommes-nous pas tous pareils dans nos souffrances ? Je ne connais pas de race où une mère voit mourir son enfant avec plaisir. Par contre il y a des imbéciles partout et en cela, aussi, nous sommes tous égaux.

- C’est vrai. Et pourtant par nos petites différences nous nous tenons volontiers pour supérieurs aux autres, n’est-ce pas !

- Oui, et surtout nous aimons bien rendre les autres responsables de notre propre bêtise aussi. Mais nous n’allons pas nous mettre à philosopher, ditesmoi plutôt, vous qui connaissez bien les routes, sauriez-vous si venant de Remiremont il en existe une qui parte dans une autre direction qu’Épinal ?

- Oui bien sûr, la route d’Alsace. Elle quitte la vallée de la Moselle pour remonter le cours de la Vologne vers Bruyères, ensuite elle passe le Col et redescend vers Saint Dié, d’où une route part vers Strasbourg et une autre vers Sélestat.

- Ah! Vous savez, je cherche mon père, qui est parti de Remiremont et je me demande dans quelle direction il a bien pu aller.

- Je me réjouis de votre question et en même temps elle m’ennuie. Cela m’ennuie, mais essayez de me comprendre, l’homme qui a demandé que l’on fouille vos affaires, même s’il n’est pas de notre famille, est tout de même de notre peuple et je n’ai pas le droit de le trahir.

- Ah ! On y revient ! La différence ! La race !

Le ton de Béatrice indiquait son irritation qui ne pouvait échapper à son interlocuteur.

- Oui, j’en suis très gêné, ma dette envers vous… Oui, ce que je peux vous dire c’est qu’il surveille votre père. Votre question concernant la route d’Alsace répond à la question qui m’obsédait, comment vous exprimer ma reconnaissance pour votre compassion. L’homme savait que votre père devait se rendre en Alsace, car c’est à Châtenois, juste avant Sélestat, que nous devions l’informer du résultat de... Oui ! Enfin il nous avait effectivement chargés de vous surveiller.

- Ah bon ! Il ne s’agissait donc pas seulement de fouiller nos affaires, mais bel et bien de nous espionner ? Et qu’allez-vous faire ?

- Je demanderais au chef qu’on y mette fin.

- Merci, mais peut-être pourriez-vous encore me dire où vous deviez le retrouver ?

- Non madame, pardonnez-moi, mais il n’y a pas d’endroit précis... mais Zeupy, lui…

- Ah je comprends ! Mais attendez, vous connaissez donc ce garçon ? Zeupy !

- Oui, un peu, je connais surtout son histoire, ou plutôt celle de ses parents -  C'est-à-dire ?

- Vous savez, nous autres roms formons différentes tribus, or Zeupy fait partie d’une autre famille que nous. Toujours est-il que, les parents du garçon, accusés d’espionnage au profit du duc ont étés livrés aux français et ont disparu, le garçon est parvenu à s’échapper et cherche un moyen de les retrouver.

- Il n’a donc plus de famille ?

- Si, en Alsace. Il est de la famille Weiss.

 

Lorsque Mathias rejoignit Béatrice, elle lui fit part de ce qu’elle avait appris. Ils décidèrent donc, sans perdre de temps, de se mettre en route pour Sélestat persuadé de rattraper Jean Du Fossé, dans la journée, ou au plus-tard le lendemain.

Au moment de prendre congé arrivait le chariot dans lequel le blessé devait être transporté, avant de le quitter Béatrice crut devoir lui faire encore quelques recommandations.

- N’ayez aucune crainte, au campement nous avons une vieille femme qui pratique la médecine, elle s’occupera de moi. Par contre si un jour il vous est utile de vous recommander de moi, je m’appelle, comme le gamin,

Joseph, Zep Roming, et que dieu vous garde.

 

Après quatre jours d’une pénible chevauchée ils n’avaient toujours pas relevé la moindre trace de Jean Du fossé. Béatrice et Mathias qui n’avaient connu que des paysages légèrement vallonnés, découvraient avec étonnement ces paysages de montagnes. L’aspect sauvage et rude de cette nature les impressionnait De temps à autre ils avaient à franchir un torrent qui se précipitait du haut de la montagne, où il restait encore de la neige, pour se jeter avec un bruit de tonnerre dans les profondeurs d’une Schlucht. Par endroits ces torrents avaient emporté un morceau du chemin. Pour les franchir on risquait à tout moment d’être emporté par la violence de l’eau qui tombait avec fracas sur des roches lisses et glissantes.  Après avoir surmonté encore quelques obstacles de moindre importance, ils atteignirent le sommet et découvrirent l’immense et riante plaine d’Alsace qui s’étendait à leurs pieds. Ils pouvaient voir en partie la route qui serpentait jusque dans la vallée. La pente était encore bien plus raide que celle qu’ils venaient de monter. Là-bas, dans le lointain, enveloppée d’une légère brume on pouvait distinguer une ville avec ses tours et ses clochers. Zeupy tendit le bras.

- Là-bas Schlettstadt.

- Sélestat ?

- Oui, Sélestat.

En effet dissimulé par les arbres à une courte distance se dressait une forteresse. Un peu plus bas sous sa protection s’étalait un village coupé en deux par un torrent. Zeupy expliqua que d'un côté il était lorrain et de l'autre alsacien.

Quelle fut leur surprise, bien que prévenus, de découvrir que ce village était aussi divisé en deux par la langue, la religion et la culture. D'un côté on usait d’un parler roman et sur l’autre rive on parlait un dialecte alémanique et ce n'était pas tout pour ces quelques habitants il y avait deux églises l'une catholique et en face une autre réformée.

- Tu vois Mathias, comme je te l’ais déjà dit, ces gens pratiquent une religion non pas en fonction de leurs convictions, Ils n’en ont sans doute aucune, mais elle leur est imposée par leurs seigneurs et le curé comme le pasteur font tout pour maintenir la distance entre leurs ouailles en leur bourrant le crâne de préjugés

Des mines d'argents, sans doute à cause de la guerre, étaient à l'abandon

- C’est incroyable, apparemment avant la guerre ils ont tout juste eu le temps de terminer cette église là en face.

- Oui elle à l'air plus récente.  Mais attends un peu, à sa structure on dirait un temple calviniste. Viens Mathias ! Allons-y voir.

- Pourquoi ? Nous sommes tellement fatigués, ne veux-tu pas que nous cherchions plutôt à nous loger pour la nuit ?

- Viens ! Tu comprendras.

Ils passèrent donc en Alsace et Béatrice se rendit directement chez le pasteur, quand à Mathias il dut reconnaître qu’elle avait eu raison.

- Monsieur le pasteur, nous sommes à la recherche de mon père, Jean Du Fossé, qui vient de Metz, il est de votre religion, je suis sûre que s’il est passé ici il n’a pas manqué de venir vous voir.

- Je pas parler français.

- Mon dieu, que n’a-t-ont pas inventé pour diviser les hommes ! Ah ! Zeupy vient vite.

Le gamin, qui parlait mieux l’idiome local que le français fit la traduction. Mais le pasteur, méfiant, se montrait très réticent à répondre à cette jeune femme inconnue et secoua la tête en signe de négation. Alors Béatrice eut une idée, elle se mit à chantonner un psaume calviniste. Le visage de l’homme s’illumina. Oui en effet, un homme qui correspondait à la description, était passé la veille et se rendait à Sélestat. Mais le pasteur n’en savait pas plus, ou ne voulait pas en dire d’avantage.

- Au moins à présent nous sommes sûrs d’être sur sa trace.

- Pardonnes-moi Béatrice, mais j’avais totalement oublié.

- Que j’étais calviniste ? C’est ça ?

- Euh…oui. Je n’arrive pas à comprendre non plus comment ton père, à pied, peut avoir encore un jour d’avance sur nous. C’est vrai que la dernière étape nous l’avons, nous aussi, faite essentiellement à pied, mais quand même. Le pasteur écoutait discrètement et finalement s’avança vers eux et dans un français très approximatif leur apprit que non seulement leur père était à cheval, mais en plus qu’il n’était pas seul, deux hommes voyageaient avec lui.

- Ah bon ! Ça c’est tout de même étonnant. Pourriez-vous nous les décrire ?

- Ma foi rien de spéciale, sauf que ce sont visiblement des soldats et que l’un d’entre eux est borgne et parle l’alsacien et l’autre l’allemand, tel qu’on l’écrit.

Le jeune couple se regardait stupéfait.

- Vous avez dit borgne, de quel œil ?

- Droit, il me semble. Oui droit.

- Il faut les rattraper !

Comme il allait faire nuit et que la route était dangereuse le pasteur leur offrit l'hospitalité pour la nuit. Au cours du repas nos amis s'informèrent sur la situation en Alsace qui était tout à fait semblable à celle en Lorraine.

 Au matin, dès que les premiers rayons de soleil atteignirent la cime des Vosges, ils se remirent en route. Bien qu’au départ la pente soit très abrupte et que le chemin fasse de nombreux lacés, contrairement à ce que pensait le pasteur la route était en meilleur état que celle qu’ils avaient eu sur l’autre versant. Une fois arrivé dans la vallée les villages se succédaient, mais grands ou petits, partout on ne parlait que l’alsacien et Zeupy leur fut du plus grand secours pour trouver leur chemin. En traversant l’un de ces villages, subitement, le gamin en gesticulant les fit s’arrêter.

- Là ! Sur la maison !

Il désignait une maison tout à fait ordinaire, si non quelle se dressait bien en face juste dans un tournant. Le jeune couple regardait la maison et n’y voyait rien de particulier.

- Là ! Sur mur !

- Quoi sur le mur ? Je n’y vois qu’un gribouillage noir.

- Çà pas gripouyage ! çà est signe, message rom !

- Tu veux dire qu’un rom a tracé ce signe pour un autre rom ?

- Oui ça est signe d’homme de ma famille, nous aller là !

- Ah ! Je comprends, tu veux dire qu’il y a des gens de ta famille dans les environs ? Et tu voudrais allez les retrouver ?

- Oui, eux aidé nous.

- Tu crois vraiment qu’ils vont nous aider ?

- Oui ! Oui ! Eux aider Zeupy et papa, mama Zeupy.

- Mais comment allons-nous les trouver ?

- Nous aller ! Va ! Va !

Le gamin était tout excité et ne tenait plus en place sur l’encolure du cheval. La route s’étirait dans une vallée en pente douce vers la plaine. A droite et à gauche se dressaient fièrement sur des pics rocheux des châteaux et des tours qui contrôlaient la vallée. Lorsqu’en fin ils débouchèrent en face de la ville de Sélestat à la hauteur de Châtenois le gamin les arrêta -  Là ! Signe !

En effet sur le mur, bien en évidence ce que Mathias appelait un gribouillage tracé au charbon de bois.

- Il faut aller là ! Là campement.

Ils quittèrent la route, traversèrent le ruisseau qu’ils suivaient depuis là-haut, et derrière un rideau de saules, ils découvrirent en effet un campement nomade. Le gamin s’agitait et n’y tenait plus, Mathias le fit descendre de cheval et déjà il se précipitait vers l’attroupement qui c’était formé à leur arrivé. A ses cris, une vieille femme se détacha du groupe et se précipita à sa rencontre. Zeupy se jeta dans ses bras et ce furent des embrassades des larmes et des rires qui se mêlèrent. Mathias et Béatrice, très émus, s’étaient approchés, mais personne ne semblait s’intéresser à leur présence. Soudain, Zeupy se libéra de l’étreinte de la vieille femme, se retourna vers ses amis et saisissant Henriette par la main l’entraîna vers le groupe. En quelques mots il présenta sa nouvelle amie et la serrant très fort dans ses petits bras lui colla un bisou retentissant sur la joue. Toute l’assistance éclata de rire. Un homme, le sourire aux lèvres s’était approché des parents de la fillette, il les salua et leur fit signe de s’avancer, pendant qu’il tiendrait leurs chevaux. Il souffla à Mathias : « Allez saluer la grand-mère ». Alors que le groupe se tenait légèrement en retrait, la vieille dame s’avança vers eux, visiblement aussi gênés qu’eux. La situation n’était sans doute pas ordinaire pour cette vieille femme, mais finalement elle prit Béatrice dans ses bras et l’embrassa puis se tournant vers Mathias, elle le regarda un instant dans les yeux, lui sourit et le serra lui aussi contre son opulente poitrine. Un peu à l’écart un vieil homme était assis sur une chaise devant le feu. Indifférent à ce qui se passait il semblait en contemplation devant le bondissement des flammes et les volutes de fumées. La grand-mère les lui présenta. A leur approche il leva la tête. Zeupy poussa un cri, et se précipita, dans son élan il faillit faire tomber de sa chaise le pauvre vieillard. Tout le monde riait de bon cœur. L’enfant s’agenouilla devant lui et lui prenant la main se la posa sur la tête. L’homme cligna des yeux et lui caressa la joue. On fit les présentations. Le patriarche était visiblement heureux de ce bouleversement qui rompait la monotonie de son quotidien. Les femmes s’empressèrent de proposer à leurs hôtes à boire et à manger. Les Gadjos, étaient, quant à eux très émus de l’accueil qu’on leur réservait. Lorsqu’ils eurent fait connaissance avec tout le monde, Zeupy se mit en devoir d’exposer à sa famille ce qui amenait ses amis en Alsace. Ils étaient à la recherche d’un homme qui fréquentait les roms et était accompagné ou surveillé par deux d’entre eux, mais d’une autre tribu. D’après les descriptions, une femme affirma les avoir en effet vu la veille en fin d’après-midi.

Cette femme se rendait régulièrement à Sélestat avec ses enfants pour gagner quelques sous en disant la bonne aventure.  Alors qu’elle cherchait à accrocher le chaland, elle les avait repérés de loin.  Pour pratiquer son art, la diseuse de bonnes aventures doit observer tout ce qui l’entoure et au moindre signe d’hostilité déguerpir.

C’est donc avec certitude qu’elle avait vu l’homme que recherchaient les ami de Zeupy sous la surveillance de deux soldats. Elle l'avait vu entrer seul dans une maison, alors que les deux autres faisaient les cents pas dans la rue. Il lui semblait d’ailleurs qu’il ne surveillait pas seulement la maison, mais était également en permanence sur leurs gardes. Elle avait été intriguée par cette attitude et sentant le danger flotter autour de ces deux hommes, elle avait préféré s’en éloigner.

 

La grand-mère qui avait autorité sur tout le campement mit en place une équipe pour aider les amis de Zeupy dans leur recherche. Toutes les personnes disponibles seraient déployées dans la ville. Des hommes s’installeraient près des portes de la ville pour surveiller les allées et venues. Les femmes et les enfants iraient parcourir les rues en tachant de repérer les trois hommes. Quant à la diseuse de bonnes aventures, accompagné de Zeupy, elle conduirait Mathias et

Béatrice à la maison où était entré l’homme recherché.

 

La ville était occupée ou diront certains sous la protection des soldats du roi de France. Non loin de l’église Sainte Foy, dans une rue tranquille qui débouchait sur la place se trouvait la maison où était entré l’homme qui pourrait être le père de Béatrice. Après s’être assurée qu’ils n’étaient ni suivis ni surveillés, la jeune femme souleva le lourd heurtoir de bronze. En retombant il fit résonner toute la maison. Tout ce vacarme fut pourtant sans effet, la porte resta close. Après une courte attente elle renouvela son geste, mais là encore sans résultat.

- C’est curieux, non ?

- As-tu remarqué comme ça sonne creux, comme si c'était vide là-dedans ?

- Oui, en effet on dirait que la maison est inhabitée.

- Penses-tu que la gitane ait pu se tromper ?

- Allons la voir, elle a dit qu’elle nous attendrait avec Zeupy devant l’église. La femme s’était assise devant le porche, tendant la main vers les passants, pour se faire passer pour une mendiante. Lorsqu’ils s’approchèrent Zeupy arrivait en courant.

- Les deux hommes ! Là… ils viennent de partir par là.

Tous les trois se précipitèrent sur leurs traces, mais ils avaient disparu, comme envolé.

- Vous êtes bien sûre que c’étaient les deux hommes que vous avez vus hier ?

Et toi aussi Zeupy tu saurais les reconnaître ?

- Je ne les connais pas, mais ces deux-là avais l'air de soldat et l'un était sans doute comme moi rom et il avait un