La Hérisson by Bernard Amschler - HTML preview

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Chapitre 11

Fribourg en Brisgau

 

Le lendemain les Colas quittèrent le campement pour, suivant les indications de leurs hôtes, se rendre à Fribourg en Brisgau. Après ces journées horriblement sombres enfin l’espoir renaissait et comme pour leur faire fête la journée s’annonçait belle. Béatrice avait oublié les idées noires qui obscurcissaient son esprit et oppressaient son cœur la veille encore. Elle se réjouissait de savoir Joseph vivant et de le retrouver bientôt.

Là-bas, avant leur départ, le chef leur avait dit qu’une fois en vue de Freiburg il leur suffirait de remonter le ruisseau, la Dreisam et ils trouveraient le campement de parents qui pourraient les renseigner et éventuellement garder leurs chevaux. Il avait sans doute raison de penser qu’entrer en ville avec ces chevaux attirerait inévitablement l’attention, ce qu’il valait mieux éviter ne parlant pas la langue du pays. En effet ils trouvèrent le camp des gitans sans difficulté. Mais l’accueil fut aussi hésitant que celui de la veille et en plus il était évident que ces gens n’aimaient pas les Lorrains pas plus que les Français d’ailleurs. A leurs yeux tout cela ne faisait qu’un, des gadjos, tout juste bons à être détroussés si l’occasion s’en présentait. Quelques jeunes hommes s’étaient approchés et à les voir examiner leurs montures et à leurs échanges d’œillades il n’était pas nécessaire d’être grand expert pour deviner qu’en secret ils faisaient des plans. Bien conscient du danger, Mathias leur parla tout de même de Joseph.  Non ils ne savaient rien du petit garçon et semblaient s’en soucier comme d’une guigne. Ces gens ne lui plaisaient pas et plutôt que de suivre les conseils du vieux de là-bas ils préférèrent s’éloigner au plus vite. Ils continuèrent donc de longer la rivière jusqu’à la ville. Mathias retint son cheval. Il avait repéré une taverne. Son enseigne une couronne de feuillage était toute flétrie, mais elle semblait malgré tout accueillante.

- Que veux-tu faire Mathias ? Où penses-tu que le gamin pourrait nous attendre ?

- Là près de la porte de la ville.

 

Béatrice partit en éclaireur. Entrer et sortir de la ville ne semblait pas posé de problème, par contre les français ne semblaient pas les bienvenus.

 

 Restait les chevaux, à qui pourraient-ils les donner à garder en toute confiance ? Ah si Joseph était là lui saurait sûrement. Un profond soupir monta de la poitrine de Béatrice.  Des sanglots secouèrent sa poitrine. Elle s'aventura un peu plus loin en ville, sans trop pourtant s'éloigner de la porte Saint Martin. Elle avançait dans l’entrelacs des ruelles sans trouver quelque chose qui ressembla à une écurie, il faudrait sans doute voir hors des murs de la ville.

 

Mathias attendait assis sur un banc et Henriette lui tournait le dos d’un air boudeur.

- Que vous arrive-t-il encore à vous deux ?

- Elle voudrait aller à la recherche de Joseph et j'ai beau lui expliquer que nous ne savons pas où, mais elle ne veut rien entendre.  Alors elle boude.

- Il me semble que d'une certaine façon elle a raison, Joseph n'ira pas en ville, mais il ira au camp rom.

Ils s’éloignèrent de Fribourg en reprenant la direction du campement rom. En passant à proximité ils se rendirent bien compte qu’on les observait, mais sans plus. Un peu plus loin ils trouvèrent une bâtisse en partie en ruine, mais qu’il serait facile de barricader. Ils en firent le tour. La végétation prenait lentement possession de ce que les hommes avaient abandonné. Des ronces et surtout de hautes orties en défendaient l’entrée. Ce qui restait du bâtiment présentait quelques avantages pour retenir leur choix.  En pierre de taille il avait mieux résisté à l’abandon. Les murs étaient encore suffisamment hauts pour en défendre l’accès, il n’y avait qu’une entrée et du toit en partie écroulé il y avait assez de bois pour la barricader et alimenté un feu.

Pendant que sa maman déblayait un coin pour leur permettre de s’étendre pour la nuit et avec des pierres de délimiter un foyer Henriette avait escaladé un tas de pierres et s’était installée à son sommet.

- Moi je surveille la route, pour voir venir Joseph.

Mathias, avait choisi avec soins quelques pierres qui avaient la forme d’un gros noyau de pêche et feraient d’excellents projectiles pour sa fronde, puis s’était un peu éloigné, histoire de voir s’il ne trouverait rien à chasser. Il remarqua un peu plus loin, dans un renfoncement de terrain, les croassements et les disputes d’une bande de corbeaux. Ils battaient des ailes et attaquaient quelque chose avec férocité. Sans doute une charogne quelconque. Il s’en éloigna à la recherche d’une proie plus intéressante. Mais ces croassements s’intensifiaient et qui telle une fausse note dérangeait l’harmonie de cette douce soirée. Je m’en vais les faire taire ces sales bêtes, se dit-il et il s’en approcha en gesticulant et poussant des cris. Quelques oiseaux effrayés se dispersèrent après avoir vigoureusement protesté et ne cessaient de tourner autour de lui en sautillant et croassant tout en se chamaillant, d’autres restaient agglutinés sur leur proie comme de grosses mouches sur une pièce de viande avariée. Là dans ce trou gisait le corps dénudé d’un enfant de la taille d’Henriette. L’odeur en était abominable et la vue de ce petit corps maigre et en partie dévoré par les charognards lui donnait une violente envie de vomir, il s’éloigna en se bouchant le nez.  Les sales bêtes continuaient à battre des ailes et à donner de violents coups de becs au pitoyable petit cadavre.   Mon Dieu Joseph !  Non ce n’était pas possible, non ce ne pouvait pas être lui. Était-ce seulement un garçon ? Le corps était étendu sur le ventre face contre terre. Il hésita redoutant de faire une terrible découverte, mais il ne pouvait pas rester ainsi dans l’incertitude alors il finit par se décider et fit l’effort de retourner voir. Pour s’en approcher il dut s’armer d’un bâton pour disperser les corbeaux qui à présent refusaient de se laisser déranger. A l’aide de son bâton il parvint à soulever une jambe du petit cadavre, il s’agissait bien d’un garçon, mais tellement maigre.  Mathias se souvenait bien que le gamin était maigre, mais il lui semblait que ce n’était pas à ce point. Et pourquoi serait-il nu ? A moins qu’il n’ait enlevé ses vêtements pour les faire sécher ? Mais où les aurait-il laissés ? Il n’y en avait aucune trace. Il retourna le corps complètement, avec ce qu’il découvrit il faillit avoir un malaise. L’enfant avait été éventré comme un porc par le boucher, les intestins s’en répandaient et du sang coagulé sous le corps faisait une grande tache rouge foncé qui virait au noir. Mathias, le cœur et l’esprit chaviré se mit à vomir de dégoût, puis tout tremblant retourna vers leur bivouac. A son approche Henriette l’interpella :

- Papa ! Tu n’as pas vue Joseph ?

Il ne put répondre et fit un petit signe de la main en détournant la tête, incapable d’affronter son regard innocent il s’éloigna dans l’autre direction. Il avait honte de l’acte commis par un inconnu. Tout à ses réflexions, avançant silencieusement, les épaules pliées sous le poids de l’horreur, il lui sembla soudain qu’à quelques pas quelque chose avait bougé. Non ce n’était qu’une touffe d’herbes sèches, sans doute secouée par le vent. En y regardant mieux… il semblait pourtant bien qu’une perdrix était tapie au sol, le mimétisme était parfait, elle ne bougeait pas. Il eut des doutes, mais fit tout de même tourner sa fronde. Bien ! Il n’avait pas perdu la main et avait touché sa cible, mais n’était toujours pas sûr de ce qu’il avait touché.

 Il s’en approcha. C’était pourtant bien ça, il venait de tuer une perdrix. Se félicitant de son habileté il la souleva. Et là, stupeur… il venait de tuer une femelle qui protégeait une couvée de petits oisillons encore en duvet. Effondré il cacha son visage dans ses grosses mains d’assassin et s’affala genoux en terre.

- Oh Mon Dieu ! Pourquoi as-tu créé un monde aussi cruel ? Un monde où pour survivre il faut sans cesse tuer.

Il laissa la dépouille de sa petite victime et retourna en traînant les pieds vers leur refuge. Au-dessus de la petite forteresse où s’était installée Béatrice s’élevaient à présent des volutes de fumé qui se dissipaient lentement dans le ciel. Bientôt paraîtraient les premières étoiles. Non, non, se disait Mathias ce n’était pas possible Dieu ne pouvait pas avoir créé tant de beauté et tout à la fois tant d’horreurs.

Lorsqu’il s’approcha la petite fille dégringola de son perchoir et vint en courant vers lui.

- Alors papa, tu as tué quelque chose ?

Il la repoussa sans douceur. La petite couru se réfugier dans les jupes de sa maman en pleurant.

- Non, mais qu’est-ce qui te prends ? Tu es devenu fou ! Pourquoi te conduitstu comme çà avec cette enfant ?

Mathias, sans un mot, le cœur lourd et la tête bourdonnante alla se recroqueviller dans un coin. Assis sur la selle de son cheval et les coudes appuyés sur ses genoux, le visage enfuit dans ses mains il s’enferma dans son silence. Béatrice était furieuse et lui avait honte, il se reprochait son comportement en vers Henriette et puis encore la mort de cette perdrix et de la mort inévitable de ses petits. Toutes ces horreurs le bouleversaient. La guerre, et toujours la violence et cette errance à laquelle tant de femmes et d’enfants étaient réduit à cause d’elle, alors qu’eux l’avaient choisi. Il se maudissait de s’être laissé entraîner dans cette aventure. Alors il se souvint d’une discussion qu’ils avaient eue avec Béatrice. Pourquoi sommes-nous toujours à chercher à rendre les autres responsables de nos propres erreurs ?

 Oui ! Nous nous croyons invulnérable et assumer nos erreurs consisterait à accepter notre humanité avec ses faiblesses et ses ombres.

 

 Le feu pétillait, la mère et la fille serrées l’une contre l’autre s’étaient assises à regarder les flammes s’élever, danser et jouer avec les ombres. La petite fille avait fini par s’assoupir dans les bras de sa maman. Béatrice rongée par le chagrin ne pouvait pas plus que Mathias trouver le sommeil.  Tous deux soufraient du même mal. Êtres brouillés l’un avec l’autre leur était insupportable. Béatrice ne comprenait pas l’attitude de Mathias vis-à-vis de sa fille. D’abord, elle avait été révoltée, trouvant ce comportement injustifié donc inadmissible. A présent que la tension s’était dissipée, elle pressentait une raison beaucoup plus profonde à cette saute d’humeur. Alors qu’ils ruminaient chacun de son côté, ils remarquèrent subitement l’agitation des chevaux. Béatrice s’était redressée, Mathias tendait l’oreille. Quelqu’un escaladait la barricade que la jeune femme avait élevée pour défendre l’entrée. Puis une tête apparut, une tête d’enfant.

- Vous venir ! Vous venir campement !

Les deux époux s’étaient rapprochés l’un de l’autre.

- Qui est-ce ? Qu’est-ce qu’il veut ?

- Moi rom, ami Zeupy, vous venir.

- Vous voulez nous attirer dans un guet-apens, nous trancher la gorge pour nous voler nos chevaux ! C’est-ça ?

- Calmes-toi Mathias, laisse cet enfant s’expliquer, veux-tu !

- Moi ami, pas vouloir mal vous. Vous venir camp rom.

- Mais pourquoi ?

- Vous venir vite, s’il te plaît !

- Allons-y Mathias, il a l’air sincère.

Béatrice réveilla sa fille, qui se mit à protester et à pleurer pendant que Mathias dégageait l’entrée.

 

Ils suivirent leur guide. Au campement il régnait une grande agitation. Tout le monde était assemblé autour d’un grand feu. Le chef vint à leur rencontre -  Venez vite, il vous réclame !

- Mais qui ?

Béatrice n’osait pas y croire.

- Venez par ici.

Étendue devant le feu, emballée dans une couverture, une silhouette qui ne leur était pas inconnue. Comme tout le monde regardait dans leur direction il tourna la tête. Dans un souffle il prononça d’une voix lasse: Henriette ! Papa ! Maman ! Bien que dans ses yeux se lisait le soulagement son visage exprimait une grande lassitude. Ses yeux étaient cernés, enfoncés dans leurs cavités, ses lèvres étaient pâles et il grelottait. Béatrice se précipita pour le serrer sur son cœur et verser des larmes de bonheur et de soulagement. Ce reproche qui lui rongeait le cœur et l’oppressait au point de lui interdire le bonheur de serrer sa fille dans ses bras, ce poids venait de tomber, elle revivait.

 

 Henriette pleurait et les sanglots retenaient les mots sur sa langue. Elle voyait son ami, tellement affaiblit que devinant dans son regard le spectre de la mort elle en avait peur. Quand enfin elle parvint à prononcer quelques mots ce fut pour dire.

- Joseph ! Tu ne vas pas mourir et me laisser toute seule nem !

Mathias regardait le gamin, qui la tête appuyée sur l’épaule de Béatrice n’avait d’yeux que pour Henriette. Il devinait dans ce regard plein de mélancolie un abandon, une lassitude qui n’aspirait qu’au repos. Pour lui permettre de tenir jusque-là, jusqu’à ces retrouvailles, il avait épuisé toutes ses forces. A présent, il n’en restait plus. Il se pencha vers Béatrice.

- Joseph est à bout de force, il faut le laisser se reposer, mais si tu connais un remède qui puisse lui redonner un peu d’énergie, je pense qu’il en aurait grand besoin.

Le vieil homme qui semblait être le chef, avait entendu les paroles de Mathias, il posa la main sur l’épaule de Béatrice.

- Madame, votre mari a raison. Maintenant qu’il est rassuré par votre présence il a besoin de retrouver des forces. Ma femme, qui connaît bien les remèdes, lui a préparé une infusion qu’il faut lui faire boire. Cette boisson est amère mais votre amour l’adoucira pour lui. Avec cette boisson et du repos il aura vite fait de se remettre.

 Béatrice s’installa près du feu, elle serrait Joseph contre elle, Henriette s’était glissée sur l’autre côté de son ami et lui caressait la joue. Après avoir avalé la boisson chaude le corps de Joseph se détendit et lentement il s’enfonça dans un sommeil réparateur.