La Hérisson by Bernard Amschler - HTML preview

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Je crois en effet que tous sont émus ou même bouleversé par ce qui est arrivé à ton père, mais n’ont cependant aucune envie d’être mêlés à cette affaire.

- Oui, cet après-midi j’ai éprouvé la même impression, je suis retourné voir le professeur d’anatomie, il m’a lui aussi très bien accueilli. Je lui ai parlé de l’attitude du concierge, il s’en est dit étonné, mais sans plus. Je lui ai dit que je ne croyais pas au fait du hasard et que je souhaitai trouver pourquoi on a assassiné mon père et là je dois avouer que j’ai été déçue, voir meurtris. J’attendais de la part de cet homme, peut-être parce qu’il est instruit et que je lui attribuai de ce fait une force morale, qu’il s’engage à interroger le concierge, or il ne l’a pas fait et j’ai bien senti qu’il n’en avait pas l’intention.

- Parce que tu crois que c’est l’instruction qui donne la force morale ? Non je pense que nous pourrions demander à notre ami, l’étudiant, d’essayer de sonder ce concierge.

- Oui ! Tu as sans doute raison, après-tout pourquoi pas. Demain j’irais avec les enfants explorer le quartier de l’université et avec un peu de chance nous devrions le rencontrer.

 

Le lendemain, alors que Mathias était à la forge, Béatrice se rendit, avec les enfants dans ce quartier de la ville haute où son père avait probablement été agressé et frappé par son ou ses assassins. Mais Béatrice n’eut aucun succès dans ses investigations, pas le moindre indice, rien qui puisse ressembler à une piste, à se demander si elle ne vivait pas un cauchemar. Si elle ne savait pas avec certitude que son père reposait là tout prêt dans la terre consacrée elle douterait de sa mort. De tangible il ne restait que ce registre, et pour témoin, que le concierge. Et celuilà que lui dissimulait-il ? Il fallait qu’elle obtienne l’aide de cet étudiant. Elle se mit à sa recherche. Ce ne fut que tard dans l’après-midi, avertit par ses camarades qu’il les rejoignit.

- Nous nous apprêtons avec Mathias à repartir en Lorraine, mais auparavant je souhaiterais récupérer un souvenir de mon père, qui m’est très chère, mais je ne peux y parvenir sans aide.

- Ah ! Là je ne vois pas très bien, mais dites toujours !

Eh bien voilà : Je sais que mon père tenait une espèce de journal. J’aimerais le retrouver. Votre professeur d’anatomie m’a adressé au concierge, lequel se défend, disant qu’il aurait brûlé les vêtements et n’aurait connaissance d’aucun carnet. Cela est possible, je ne peux qu’en convenir. Mais il serait tout aussi possible que celui qui a apporté le cadavre lui ait préalablement fait les poches et soit en possession de ce carnet, qui finalement ne lui est d’aucune utilité. Je ne veux pas savoir s’il lui a pris de l’argent, je ne veux que le carnet.

- Oui je comprends, mais moi en quoi puis-je vous aider ?

- Le concierge tient un registre dans lequel il doit noter la provenance des corps et je suppose l’identité de celui qui l’a apporté et en a reçu le prix. Or ce registre il refuse de me le montrer.

- Ah ! Je vois ! Oui, comment consulter ce registre ?... Ah la vieille ! Oui la vieille ! En effet, sa femme, pour peu qu’on lui fasse un peu…qu'on la flatte un peu, on peut tout obtenir d’elle. C’est entendu, je vais essayer et voir si j’ai des dons pour la faire céder.

Après qu’un rendez-vous fut fixé pour le lendemain soir. Bientôt Mathias aurait terminé sa journée et elle avait hâte de le retrouver.

Lorsqu’ils arrivèrent dans la ruelle, où ils demeuraient, ils s’aperçurent qu’un attroupement barrait l’accès à leur porte. En approchant, après avoir un peu écarté les curieux, ils découvrirent leur logeuse gémissante, affalée dans l’entrée, le visage dans les mains.

- Joseph ! Demandes donc qu’est-ce qui se passe.

- Un monsieur a frappé la dame.

En reconnaissant la voix de l’enfant la femme leva les yeux et se mit à invectiver contre Béatrice.

- Qu’est-ce qui lui prend ? Qu’est-ce qu’elle raconte ?

- Elle dit que c’est de notre faute. Elle dit que l’homme l’a battu après avoir fouillé notre logement.

Les voisins commençaient à prendre parti, certains allaient jusqu’à menacer Béatrice du poing.

- Mais bon sang, dis-leur que nous n’y sommes pour rien, si la femme a subi un quelconque dommage par notre faute elle sera indemnisée par Meister Jacobus.

Ce nom fit son effet, on se le répéta et les esprits se calmèrent. Les voisins retournèrent chez eux, en grommelant. Béatrice aida la femme à se relever et à rejoindre sa cuisine. Effectivement tout était sens dessus dessous. Les placards avaient été vidés, la pauvre vaisselle, cassée jonchait le sol, la paillasse de la vieille avait été éventrée et la paille était étalée par terre, même la marmite contenant sa soupe avait été renversée dans le foyer. Béatrice se précipita dans la petite pièce qu’ils occupaient, elle était dans le même état. Les sacoches de selle avaient été vidées de leur contenu, qui s’étalait sur le sol, pourtant à première vue rien ne manquait. Il est vrai que l’inventaire était vite fait. Dans un coin de la pièce il y avait une cheminée et les cendres qui recouvraient les dalles de l’âtre avaient été éparpillées dans la pièce et on avait tenté de soulever ces dalles. Après s’être assuré que personne ne regardait, Béatrice se faufila sous le manteau du foyer, puis elle se redressa lentement en prenant soin de ne pas se couvrir de suie. Elle tâta le mur, détacha une pierre, et d’une main tremblante s’assura que ce qu’elle avait dissimulé dans cette cache improvisée n’avait pas bougé. Rassurée, elle s’extirpa de la cheminée. Ses mains étaient noires de suie. Elle appela Joseph, qui était avec la logeuse occupé à remettre son ménage en ordre.

- Joseph, regardes-moi, est-ce que je suis noire dans la figure ? Non, et mes vêtements ? Non plus ? Tu es bien sûr ? C’est bien ! Merci !

Elle frotta ses mains dans la poussière, puis se les lava dans un seau d’eau. Elle s’assura encore une fois qu’il ne restait aucune trace qui pourrait guider un intrus vers sa cachette. Elle retourna chez la vieille et l’aida à ranger. Lorsque Mathias revint tout avait quasiment retrouvé sa place. Joseph était partit chercher de la paille fraîche pour les paillasses qui avaient été éventrées et Béatrice, aidée d’Henriette, préparait une autre soupe pour la vieille.

- Qu’est-ce qui se passe ? Tu fais le ménage de notre logeuse ?

- Non, en notre absence nous avons eu un cambrioleur, ou non, disons plutôt un visiteur, qui a tout fouillé mais n’a rien pris. Comme il avait renversé la marmite de soupe et fait d’autres dégâts je l’aide un peu, elle a été rudement bousculée la pauvre et a eu une terrible frayeur.

- Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes, il n’a rien pris, mais alors qu’est-ce qu’il voulait ?

- Apparemment il cherchait quelque chose que nous n’avons pas. D’abord j’ai pensé que cela avait un rapport avec mon père, qu’il cherchait quelque chose lui ayant appartenu, une lettre, le carnet ou autre chose, mais il a aussi tout chamboulé chez elle et l’a même frappé.

Et tu penses qu’il s’agirait de quoi alors ?

- Ben, nous n’avons pas vu mon père avant sa mort alors…ensuite pourquoi aurait-il fouillé chez elle ?

- Attends ! le voleur ne sait pas forcément que nous n’avons pas vu ton père en vie, ou bien il peut très bien croire que nous avons récupéré ce que lui cherche et que nous l’aurions confié à la logeuse. Tu ne crois pas que ce puisse être comme ça ? A moins, oui à moins qu’il ne pense qu’au contraire, ce qu’il n’a pas trouvé sur ton père que ce soit nous qui l’ayons et sommes venu le rejoindre ici pour le lui apporter. Souviens-toi de quelle façon ton père a échappé à ses gardiens à Sélestat, il pourrait tout aussi bien avoir confié son courrier, en attendant à ce… cet homme bizarre, là-bas, ou à ce pasteur et que nous le lui apportions.

- Oui, oui en effet, tu as sans doute raison. Mais s’il n’a rien trouvé il risque de revenir ou de s’en prendre aux enfants. Au fait où est Joseph ? Ah oui ! Il est parti chercher de la paille pour les paillasses. Il n’est pas encore de retour ? Henriette ! Tu n’as pas vu Joseph ?

- Non il est parti par là.

- Bon sang est-ce que tu sais où ?

- Non c’est la femme qui lui a expliqué où il devait aller.

- Et elle ne comprend pas le français, comment on va faire ?

- Attends, on va quand même essayer.

- Heu, madame ! Joseph ? heu, petit garçon chercher paille où ça ?

- Tu vois bien qu’elle ne comprend pas.

- Attends papa, laisse-moi essayer. Garçon, garçon…heu, Jung, Joseph, oui vous avez compris, lui partit, oui dehors, chercher ça là, paille, Mais où, Wo ?

La femme se leva avec peine de son siège et montra vers la porte. Mathias la soutint, et elle lui indiqua la direction en lui montrant le clocher d’une église et agitant le bras droit, comme pour dire, à droite de l’église.

- Bravo Henriette ! Tu vas rester avec maman et moi je vais aller chercher Joseph.

Mathias n’eut pas à aller bien loin. A peine avait-il atteint le bout de la ruelle qu’il reconnut la voix de Joseph, qui poussait des cris. Il se précipita dans cette direction, cela venait de droite, pourtant il n’y avait aucune ruelle ni passage. Joseph devait se trouver derrière ces maisons. Il continua à courir, prit à droite, tout en tendant l’oreille pour s’orienter. La ruelle se terminait dans une courette.

Mathias revint sur ses pas et se mit à appeler Joseph. Il avait le souffle court et ses oreilles bourdonnaient, il ne parvenait plus à localiser les cris. Il s’arrêta pour tendre l’oreille. A présent, il avait l’impression que Joseph lui répondait, mais sa voix venait bien de là-derrière. Il rebroussa chemin une nouvelle fois. Ces ruelles constituaient un vrai labyrinthe. Alors que dans sa course il avait bousculé un homme sur son chemin il n’avait pas remarqué un passage entre les maisons. Il s’y engouffra et trouva Joseph défendant hardiment, malgré sa petite taille, les deux bottes de paille qu’il avait péniblement transporté jusque-là. Trois garçons, bien plus grands que lui, c’étaient ligués pour lui volé son chargement, mais ils n’avaient pas compté avec son opiniâtreté, et que ses petits poings cognaient aussi dure. Lorsque Mathias apparu, les trois petits gueux s’envolèrent comme des moineaux. Il n’y avait aucun doute qu’ils connaissaient mieux le quartier que lui.

Mathias se chargea de la paille et tous deux reprirent le chemin de leur logis.

- Eh bien joseph ! Je te félicite tu es courageux. Mais dis-moi où as-tu été prendre cette paille ?

- Là-bas à l’écurie.

- A l’écurie ? Il y a donc une écurie dans ce quartier ?

- Oui une écurie pour les chevals des voyageurs.

- Chevaux, Joseph, on dit un cheval et des chevaux, tu as compris ?

- Oui. Dans l’écurie il y a beaucoup de chevaux et pas de cheval.

- Bon…Mais dis donc, ça me fait penser, maître Jean est certainement venu à cheval.

- Oh oui, sûrement.

- Alors, il est où ce cheval ?

- Moi aussi j’ai pensé comme ça, alors j’ai voulu demander le monsieur de l’écurie.

- C’est très bien et alors ?

- Je n’ai pas eu le temps, parce que j’ai vu l’homme dehors, qui me regardait et écoutait ce que je disais.

- Quel monsieur ?

- Un monsieur qui m’avait suivi.

- Tu dis qu’un homme t’a suivi, mais d’où ?

- Quand je suis sorti de la ruelle où nous habitons.

Et après ?

- Il a continué à me suivre alors je suis passé par les petites ruelles pour voir ce qu’il allait faire et les garçons ont voulu me prendre ma paille, alors le monsieur je ne l’ai plus vu.

- C’est vrai que j’ai bousculé un homme en venant à ton secours et au lieu qu'il ne rouspète c’est lui qui a pressé le pas en rasant les murs. Ce qui voudrait dire que Béatrice a raison, qu’on nous surveille. 

 

Le lendemain Béatrice décida de faire le tour des écuries de la ville dans l’espoir de trouver des traces du passage de son père. Elle se déplaçait avec mille précautions. A tout instant elle se retournait subitement pour s'assurer qu'ils n'étaient pas suivi.  

- Joseph ! tu connais un peu la ville, en tous cas tu sais mieux t’orienter que moi, pourrais-tu nous conduire sur la route qui vient d’Alsace par où mon père a dû venir.

- Oui, il a dû venir par la route de Huningue, je connais la route.

Hors de la ville, après avoir marché un bon moment Joseph lui montra au bout de la route un poste de garde.

- Là c’est la frontière, là il faut payer la taxe.

- Ah ! Alors allons voir où il y a des écuries et nous interrogerons les palefreniers.

A la première écurie qu’ils visitèrent, la plus proche du poste frontière, on n’avait pas connaissance ni d’un nommé Paulo ni d’un Jean Du Fossé, Béatrice eut beau le décrire et insister. Non, on ne le connaissait pas. A la seconde, un peu à l’écart de la route, ils furent mal accueillis par un gros homme désagréable. Lorsque Béatrice voulut insister il se mit en colère, à l’insulter et à la pousser avec violence vers la porte. Joseph qui avait eu le temps de se faufiler à l’intérieur de l’écurie et de jeter un coup d’œil, dit qu’il n’y avait presque pas de chevaux et qu’ils n’avaient pas l’air bien soigné. Ce n’était certainement pas là que maître

Jean aurait laissé sa monture et c’était là les deux seules écuries de ce côté de la ville.

- Joseph ! Dis-moi, lorsque tu venais avec ton père où laissiez-vous vos chevaux ?

- Tu sais Mama, les suisses n’aiment pas les roms, alors on laisse les …. Le cheval au camp rom de l’autre côté de la frontière. Et puis nous passer par un petit village et les champs jusque Bâle.

- Oui, oui, je comprends vous évitiez les soldats. Alors supposons que mon père ait fait la même chose, dis-moi il est loin le campement dont tu parles ? -  Il faut marcher beaucoup, mais ça va.

- Ah oui quand même ! Et c’est qu’ensuite il faut retourner en ville. Henriette n’y arrivera pas !

- Nous pouvons nous reposer au camp rom.

- Et tu penses que nous y serons bien accueillis ?

- Oui, eux amis.

- Et tu connais le chemin, nous ne risquons pas de nous perdre en route ?

- Non je connais le chemin.

- Bon ! Alors allons-y voir.

 

Après une bonne marche à travers champs et bois d'environ une heure le gamin fit signe qu’il ne fallait plus parler, pour ne pas attirer les soldats. Après encore un quart d'heure de marche ils finirent par rejoindre le village alsacien. Le campement était un peu à l’écart, près d’un petit étang. Il s’étalait autour de quelques modestes bâtiments, partiellement en ruines. On pouvait entendre de loin le bruit des marteaux qui battaient le cuivre, car dans ce campement on pratiquait la dinanderie, la réparation de récipients et le rétamage. Comme dans tous ces campements, des femmes se regroupaient autour de feux, où elles préparaient leur repas. Lorsqu’elles les aperçurent, l’une d’elle vint à leur rencontre, pensant sans doute que Béatrice venait pour leur acheter l'un de ces ustensiles. Joseph se fit reconnaître d’elles, et comme d’habitude se fit l’interprète de Béatrice. Ils furent immédiatement conduits chez le chef et Joseph expliqua la raison de leur visite. L’homme portait les cheveux mi long, légèrement ondulés de couleur plutôt filasse que blanc, il avait dû être blond dans sa jeunesse. Il avait le visage raviné par de profondes rides. Tout en parlant, il mouillait son pouce et son index de salive pour tortiller les poils de sa longue moustache. Béatrice s'amusait à l'idée que malgré son visage ridé il cherchait encore à plaire à une jeune femme, à croire que le cœur n'est jamais trop vieux pour éprouver des émotions.

- Oui, en effet, je connais votre père, il est passé ici il y a quelques jours, mais il n’a pas laissé sa monture. Ce qu’il ne faisait d’ailleurs jamais car à Bâle il était hébergé chez un ami où il pouvait laisser son cheval. Il n’est resté qu’une nuit chez nous et semblait nerveux. Le lendemain, dès le lever du

jour il a repris la route pour Bâle. Au cours de la soirée il m’avait confié qu’il avait à prendre une décision grave, qui devrait changer sa vie.

- Et vous avez une idée sur ce qui allait changer dans sa vie ?

- Je dois avouer qu’après son départ je me suis posé la question, mais il ne m’avait donné aucun indice. J’y ai réfléchi et j’ai pensé qu’à son âge et dans son état qu’est-ce qui pouvait changer ? Sa vie affective ? Une femme ? Mettre fin à sa vie d’errance, s’établir quelque part ? Vous voyez il n’y a pas grand choix.

Cette idée déstabilisa Béatrice. Elle avait de la peine à imaginer son père tirant un trait sur le passé et recommencer ailleurs une autre vie, avec une autre femme que sa mère.

- Et vous n’avez pas idée qui il pouvait fréquenter à Bâle ?

- Je sais qu’il y connaissait un bourgeois mais je n’ai aucune idée sur leurs relations et je ne me souviens pas même de son nom.

- Peut-être Meister Jacobus ?

- Hem, ce pourrait être ça, mais je n’en suis pas sûr. Mais ce dont je me souviens à présent c’est qu’à plusieurs occasions, mais pas cette fois-ci il m’avait parlé avec beaucoup de chaleur d’un…curé, je crois, quelque part en Forêt Noire et chez qui il allait régulièrement. Mais il y avait aussi une femme, chez qui il lui arrivait de passer plusieurs jours, mais hélas je ne peux pas vous en dire davantage.

Béatrice était sidérée. Son père, qu’elle ne connaissait que huguenot intransigeant, était-il sur le point de se convertir et de se remarier avec une catholique ?

- Et vous dites qu’avant ce changement il devait se rendre à Bâle pour régler quelque chose d’important, vous avez une idée là-dessus?

- Oh vous savez, il ne parlait jamais de ses affaires, pourtant je suis persuadé que ses activités et les nôtres sont liées.

- C'est-à-dire ?

- Je ne sais rien de précis, mais c’est comme une impression.

- Mais ?

- Lié à la guerre. Comme pour nous le commerce des chevaux.

- Eh bien, comme je vous l’ai dit, mon père a été assassiné et je cherche pourquoi et par qui ? Pensez-vous qu’il puisse y avoir un rapport avec ce que vous venez de me dire ?

- C’est probable, mais quoi qu’il en soit, croyez-moi cette nouvelle me désole, vous avez perdu un père, moi un ami et la société humaine un esprit éclairé et libre de tous préjugés. Ceci dit, dans ses activités il avait forcément des ennemis dont certains puissants et ne reculant devant aucune bassesse. C’est pourquoi si nous pouvons vous être d’une aide quelconque n’hésitez pas à venir me le demander.

- Si cela était le cas j’accepterai très volontiers votre offre et vous en remercie. Maintenant il est temps de nous remettre en route, mon mari travail à la forge et j’aimerais être de retour lorsqu’il aura fini sa journée de travail.

- Ne vous inquiétez pas, un de nos hommes vous reconduira à cheval jusqu’aux portes de la ville.

 

Le cavalier qui avait été désigné pour leur servir de guide et de protecteur était un jeune homme très fier. Mince et élancé, il avait des cheveux foncés, lisses et brillants un visage osseux coupé en deux par une longue moustache qu’il humectait comme le chef de salive de temps à autre pour la tortiller entre ses doigts et lui donner cette forme de cornes dressées pleines d’arrogance. A cheval, il se tenait très droit. Dans sa ceinture il portait deux couteaux et était également armé d’un pistolet. Il présenta son cheval à Béatrice, mais lorsqu’elle voulut s’y hisser elle se rendit compte que sa robe était trop étroite. C’était une robe de dame, pour une femme de la ville, mais pas suffisamment ample pour monter à cheval. Le pied dans l’étrier elle ne put que la relever pour pouvoir enfourcher sa monture. Leur guide fit mine de ne pas y porter attention. Si elle redoutait une remarque ou un geste, elle était tout autant vexée de son apparente indifférence.

Joseph monta derrière l’homme et Henriette prit place devant sa maman.

 

Le retour, qui aurait pu être rapide et sans encombre, fut retardé par la rencontre avec une patrouille de cavaliers des Habsbourg, qui leur barrèrent la route pour procéder à un contrôle.  Leur guide les présenta comme étant son épouse et leurs deux enfants. Les soldats avaient sans cesse le regard attiré vers ces jambes dénudées, mais avaient des frissons de terreur lorsqu’il croisait le regard noir de l’homme. Le chef de la petite troupe redoutant qu’un geste ou une parole maladroite ne soit prétexte à un massacre préféra les laisser repartir sans trop pinailler. Béatrice bien consciente du danger auquel elle venait d’échapper tremblait intérieurement. Le gitan l’observait du coin de l’œil, pas peu fière de l’impression qu’il avait produit sur la jeune femme. Lorsqu’elle osait levée les yeux vers lui, il affichait un air de mépris, qui la vexait profondément, surtout qu’elle se savait réduite à sa merci. Arrivés en vue de la ville, il retint sa monture, fit descendre Joseph et d’un bond fut à côté du cheval de Béatrice. Il saisit Henriette et la posa, tout sourire, délicatement au sol, puis se tournant vers Joseph il lui souffla quelques mots à l’oreille.  Le gamin, un peu effrayé regarda Béatrice, puis prenant Henriette par la main partit tranquillement en direction de la ville. Le jeune homme tenant le cheval par la bride posa sa main sur le genou nu de Béatrice puis faisant glisser sa main sur son mollet lui fit un sourire plein de sousentendus. Il la saisit à deux mains par la taille, et la fit glissé de la selle, en prenant soin tout en la serrant d’une main contre sa poitrine de l’autre de lui relever les plis de sa robe. Mais à peine eut-elle touché le sol qu’il poussait un juron. Elle venait d’un coup de son couteau de lui faire une belle estafilade sur la joue, puis se dressant sur ses pieds, lui posa un baisé sur l’autre joue.

- Te voilà puni de ton effronterie et remercié pour le service et sache qu’il n’y a pas que les gitanes à savoir se faire respecter.

Courant vers les enfants elle fit un signe d’adieu à l’homme dépité.

 

En approchant de la porte d’Alsace ils entendirent les cloches de toutes les églises se mettre en branle puis sonner à toutes volées.

- Mais que se passe-t-il donc ? Ah mais c’est vrai, j’avais tout à fait oublié que le samedi les cloches annoncent le jour du Seigneur.

 

A la forge de maître Jacobus, comme partout ailleurs le samedi le travail se terminait avec cette- joyeuse sonnerie. Le maître c’était assis derrière une petite table à tréteaux et le chef d’atelier se tenait debout à ses côtés. Chaque ouvrier se présentait dans l’ordre d’une hiérarchie bien établie. D’abords les compagnons finis, ceux qui ayant suffisamment d’ancienneté et d’expérience dans tous les domaines du métier pouvaient occuper n’importe quel poste et transmettre leur savoir faire. Puis venaient les compagnons, qui bien qu’ayant terminé leur apprentissage, n’étaient pas encore assez habiles pour que leur soit confiées des tâches délicates, Mathias faisait partie de ce groupe, il avait pris la précaution de laisser passer les autres du même groupe avant lui, parfaitement conscient de tout ce qui lui restait à apprendre. Lorsque vint son tour, il fit comme il l’avait vu faire par les autres. A son approche le chef d’atelier se pencha pour donner son appréciation au patron. Maître Jacobus fit un sourire à Mathias.

- Le chef apprécie votre travail, il déplore pourtant que vous ne compreniez pas ce qu’il vous dit et que vous ayez toujours besoin d’un intermédiaire.

Tout en lui comptant son salaire il lui demanda :

- Alors avez-vous réfléchi à ma proposition ? Qu’en dit votre épouse 

- Eh bien, comme vous le savez, chez nous c’est la guerre alors si nous pouvions encore rester un peu, en tous cas jusqu’à ce que nous ayons économisé assez pour le retour.

- Hem, bien, mais ma proposition reste valable. Pourtant si vous souhaitez rester chez moi il faudra faire des efforts pour apprendre notre langue.  Après lui avoir versé son argent le patron en inscrivit le montant sur un registre, puis tendit la plume qu’il venait de tremper dans l’encre pour qu’il émarge.

Mathias écrivit son nom et d’un coup d’œil constata qu’il était le seul à l’avoir fait.

- Oh ! excusez-moi, je croyais…

- Non, non c’est très bien, puisque vous savez écrire votre nom, mais ditesmoi savez-vous aussi écrire autre chose ?

- Oui, je sais lire et écrire.

Maître Jacobus jeta un coup d’œil au chef d’atelier. Mathias s’éloignait et un apprenti prenait sa place, non pour toucher un salaire, mais recevoir des encouragements ou des réprimandes.

 

Béatrice et les enfants attendaient au coin de la rue. Il faisait encore beau, le soleil n’était plus aussi haut, mais il donnait encore ce qui lui restait de chaleur. Béatrice pour une foi oublia sa pudeur habituelle et bien qu’en pleine rue elle posa un pudique baisé sur les lèvres de Mathias. Son mari tout surpris sentit ses genoux trembler. Il jeta un coup d’œil pour s’assurer qu’auprès de ses collègues ils ne faisaient pas scandale. Maître Jacobus était sorti de l’atelier et les observait, Mathias saisit Béatrice par le bras et l’entraîna. En chemin elle lui raconta son enquête par le menu, elle oublia cependant de parler de sa robe trop étroite et des manières cavalières de leur guide. Mathias à son tour lui raconta sa journée et surtout de l’orgueil qu’il avait éprouvé à savoir lire et écrire.

- Tu as donc touché ton premier salaire, c’est formidable.

Elle se jeta pour la seconde fois à son cou. Mathias en était tout surpris surtout après ces mornes journées de deuil. Il poussa un soupir de soulagement, enfin la vie allait reprendre son cours normal. 

- Et si on fêtait ça en allant boire une choppe, d’autant que l’étudiant…Oh ! Mais avec toute cette histoire d’hier soir, j’ai complètement oublié de t’en parler. Oui l’étudiant, celui que tu connais, hé bien hier soir je lui ai demandé s’il lui serait possible de jeter un coup d’œil au registre du concierge. Peut-être le retrouverons-nous à cette brasserie ?

Mathias s'était rembruni, il ne tenait pas vraiment à retourner avec Béatrice dans cette taverne, il aurait préféré l’intimité de leur logis. D’autant qu’elle venait de lui verser un acompte, dont il espérait toucher le capital. Il traîna un peu les pieds. Ce qui n'échappa pas à Béatrice. Mais que pouvait-il faire sans prendre le risque de contrarier la belle humeur et les bonnes dispositions de Béatrice. Celle-ci jugea tout de même préférable de changer de sujet de conversation.

- Dis-moi Joseph, les roms quelle différence font-ils entre un curé et un pasteur ?

- Tu sais Mama nous ne faisons pas de différence, ils ne sont gentils ni les uns ni les autres avec les roms.

- Vous ne faites pas de différence, autrement dit, pour vous curé ou pasteur c'est tout pareil...Je comprends à présent, quand le chef du campement disait que mon père avait pour ami un curé il voulait dire un homme d’église, sans distinction.

- Cela te préoccupait donc tant que ça ! Tu m’as bien dit qu’il considérait ton père comme un homme sans préjugés, cela devrait te suffire ?

- Ah oui, non, oh je ne sais plus ! Il y a aussi cette femme…Oh je ne sais plus que penser Mathias. Tu imagines que quelque part une femme l’attend et ne sait pas qu’il est mort. C’est horrible, que doit-elle penser de lui si elle l'attend et ne le voit pas revenir.

- Tu sais durant la guerre...

 

Lorsqu’ils arrivèrent sur la place, un groupe d’étudiants se tenait prêt de la taverne et discutait avec passion. En approchant, l’un des jeunes gens, les ayant remarqués leur fit un signe amical. Tout le groupe se retourna.

- Ah ! Bonjour ! C’est justement de vous que nous parlions, le professeur Stelius nous a parlé de votre proposition de corriger nos travaux.

- Est-ce bien vrai que vous lisez et écrivez le latin ?

- Eh oui ! Et cela vous étonne, n’est-ce pas ! Non, non ne faites pas semblant, je vois bien, mais si vous avez de quoi écrire vous pourrez tout de suite me mettre à l’épreuve.

- Eh bien entrons, je pense que nous y trouverons de quoi faire. Chacun voulut se faire remarquer de la jeune femme en lui adressant quelques mots dans le style de Cicéron. Elle y répondit avec aplomb et passa ainsi avec succès son épreuve orale.

La salle était toujours aussi sombre et sentait toujours aussi mauvais, il ne restait pourtant qu’à s’y habituer. Toute la bande s’installa en prenant ses aises. Mathias avait d’un coup d’œil fait le tour de l’assistance. La petite dévergondée était làbas, au fond, attablée avec deux hommes d’âge mûr. Elle riait fort et prenait des poses. Le groupe s’installa. Béatrice se mit en bout de table avec les enfants. On commanda à boire et demanda du papier et de quoi écrire. Le second examen allait pouvoir commencer. Béatrice étala et défroissa la feuille de papier que la servante avait déposée sur la table. L’un des côtés était déjà couvert d’une fine écriture. Avec son couteau elle tailla la plume. Tous les yeux suivaient avec attention chacun de ses gestes. Elle prit son temps, d