La Hérisson by Bernard Amschler - HTML preview

PLEASE NOTE: This is an HTML preview only and some elements such as links or page numbers may be incorrect.
Download the book in PDF, ePub, Kindle for a complete version.

Chapitre 19

Baden

 

Le bateau sur lequel Béatrice c’était embarquée, n’était pas très grand et n’offrait aucune possibilité de se dissimuler. Il était équipé d’une double banquette qui au milieu courait sur toute sa longueur. Les voyageurs étaient assis dos à dos et les marchandises qu’ils emportaient, étaient déposées à leurs pieds. Quelques enfants avaient pris place sur les caisses et les ballots entassés à l’avant et à l’arrière. Les adultes, bourgeois, paysans, artisans, tous confondus bavardaient entre eux. Alors que l’embarcation s’éloignait de la berge, portée par le courant elle prenait de la vitesse, Jacobus qui s’était placé à l’avant, regardait vers l’autre rive et n’avait pas encore remarqué la présence de Béatrice. La jeune femme assise à quelques places à peine de celui qu’elle poursuivait, lui tournait le dos, elle regardait vers l’arrière de manière à lui dissimuler le plus longtemps possible son visage. Évitant de regarder l’eau ou la berge, elle fixait son attention sur les enfants qui se chamaillaient gentiment, poussant des cris ou éclatant de rire, ce qui changeait radicalement de l’air ennuyé et ennuyeux des voyageurs adultes. Jusque-là, elle avait agi sans trop réfléchir, à présent elle se demandait comment elle s’y prendrait, mais tout au moins elle connaissait le point faible de Jacobus et saurait s’en servir pour le faire parler. Pourvu qu’il lui laisse encore un peu de temps pour réfléchir avant de s’apercevoir de sa présence, car alors sa situation pourrait devenir délicate. Tout dépendrait de l’interprétation qu'il ferait de sa présence et de sa réaction.

 

 Lorsqu’un bruit de lutte s’était fait entendre derrière la porte, Jacobus avait tiré un petit pistolet de sa poche et s’était placé derrière la porte, alors que Béatrice debout derrière la table se trouvait directement en face de la porte. Avec fracas la porte sauta de ses gonds, plutôt qu’elle ne s’ouvrit. La réaction de Béatrice fut de se protéger en plongeant sous la table. Lorsqu’elle entendit claquer le coup de feu, elle eut une terrible frayeur, non qu’elle ait eu peur pour elle-même, mais elle pensa à Mathias qui devait-être sur ses traces. D’un bond elle se redressa. Tout ce qu’elle vit fut un homme, qui visiblement blessé, se tournait, pour fuir vers l’escalier. Elle n’eut pas le temps de voir son visage, mais elle était sûre que ce n’était pas son mari. L’identité de cet homme, sur le coup, lui importait peu, ce n’était pas Mathias, c’était là l’essentiel. Après que l’homme eut dévalé l’escalier, Jacobus, sans se préoccuper de la jeune femme, prudemment sortit de la pièce, se pencha brièvement sur le corps qui gisait au haut des marches, l’enjamba et disparut dans la pénombre de l’escalier en colimaçon. Reprise d’inquiétude Béatrice toute tremblante s’avança sur le palier pour examiner le corps qui gisait en travers du passage. Elle rendit grâce à Dieu, là non plus ce n’était pas Mathias. Le sang de l’homme s’écoulait lentement sur le sol et formait déjà une flaque dans un creux dut à l’usure de la pierre. Béatrice, avant de s’engager dans l’escalier se baissa et prit la dague qu’il portait à sa ceinture et tout en dévalant les marches la fit glisser dans sa cachette habituelle. En quittant la maison elle respira un grand coup. Elle était de nouveau libre et avait de quoi se défendre, elle redevenait maîtresse de son destin. Jacobus n’était pas encore très loin, au bout de la ruelle il tourna à droite et disparut. Mais elle ne le laisserait pas s’esquiver aussi facilement, elle se faufila entre la foule à sa poursuite. Lorsqu’elle le vit monter à bord d’un bateau elle eut une seconde d’hésitation puis à son tour enjamba l’espace mouvant entre le quai et l’embarcation.

Mais à présent regardant défiler la berge elle se demandait si elle n’avait pas commis une folie en s’aventurant sur ce bateau, qui n’offrait pas la moindre cachette ni possibilité de fuite, surtout que depuis leur traversé épique du Rhin elle craignait l’eau. D’instinct elle tourna la tête vers Jacobus et effrayée croisa son regard. Voyant la chevelure au vent de cette jeune femme, chose absolument inhabituelle et provocante, dans une ville pudique comme Zurich, il avait cherché à voir son visage. Après une brève réflexion, elle tourna la tête, le regarda à nouveau et lui fit un sourire. La stupéfaction se lisait sur le visage de Jacobus. Elle en eut presque envie de rire.

 

Affolé par l’intrusion explosive de cet inconnu, Jacobus, sentant sa vie menacée s’était enfuit sans réfléchir. Mais en s’éloignant du lieu du drame, il se mit à maudire cet instant d’égarement et de faiblesse. Il tenait la jeune femme, là à portée de main. Et qu’avait-il fait ? Il avait fui ! Tout son beau plant était fichu. Comment savoir maintenant ? Après cette mésaventure elle et son mari se méfieraient. Ce qui était sûr c’est qu’elle ne semblait pas connaître l’assassin de son père plus que lui-même. Mais que savaient-ils d’autre pour s’être mis à sa poursuite ?

La reconnaissant, là à quelques pas, avec lui sur ce bateau il n’en croyait pas ses yeux. Il scrutait son visage et doutait, y avait-il simplement une ressemblance, ou était-ce réellement elle, là à lui sourire ? Finalement, il se leva, fit le tour de la banquette et s’approcha d’elle.

- Vous m’avez suivi !

- Oui ! Dois-je vous rappeler que je cherche toujours à m’expliquer la mort de mon père et ce que vous avez à y voir.

Elle se mordit sur les lèvres. Ça lui avait échappé sans y réfléchir et ne correspondait pas du tout à ce qu’elle avait projeté de lui dire.

- Mais ma chère, ma très chère amie, je vous jure que je n’y suis pour rien.

- Ma très chère amie dites-vous ?

- Oui !

 Et il lui saisit les mains et les embrassa. Et voilà qu’ils se retrouvaient à égalité pensa Béatrice tous deux avaient été incapable de dissimuler leurs sentiments. La haine est plus forte que l’amour et là par son attitude il venait de lui donner l’avantage. Le geste de ce bourgeois envers cette jeune femme, les cheveux au vent provoqua quelques murmures parmi les voyageurs.  Quelle conduite !  Il avait enfreint tous les usages. Il haussa les épaules et se tournant vers ceux qui avaient osé exprimer leur réprobation pour les défier du regard.  Repoussant, malgré ses protestations, la voisine de Béatrice il se fit une place à ses côtés, comme pour démontrer à la jeune femme sa hardiesse et qu’il n’attachait aucune importance à ce que disaient ou pensaient ces gens d’une condition bien inférieure à la sienne.

- Oui ma chère je suis heureux, et j’en rends grâce à Dieu, de vous retrouver ici. Figurez-vous qu’après cette attaque, dont j’ignore la raison, je me suis précipité à la poursuite de cet homme qui visiblement en voulait à votre vie. Il est parti sur une barque qui nous précède de peu. Je souhaitais le rattraper et le livrer à la justice. Mais à présent, je ne souhaite plus que d’assurer votre protection.

Comme un vieux chat plein de rhumatisme il essayait par des mouvements malhabiles de tout de même retomber sur ses pattes.

 Il lui saisit à nouveau les mains et les serra entre les siennes. Béatrice se laissa faire en lui souriant.

- Je vais vous faire découvrir la maison que j’ai acheté et aménagé à Baden, là nous pourrons parler sans être dérangé. Vous me direz qu’est-ce qui vous fait croire que je puisse être mêlé à la mort de Jean.  

Il se félicitait d’avoir réussi à remettre le sujet qui le préoccupait sur la bonne voie. Quand à Béatrice elle s’efforçait de lui donner le change et se demandait comment il pouvait être assez naïf pour s’y laisser prendre. Arrivé à destination il s’empressa de la précéder, la tenant par la main, Il voulait se montrer galant en l’aidant à descendre du bateau. Mais un voyageur malhabile, du pied repoussa l’embarcation. Béatrice fit un bond et en posant son pied sur les pavés inégaux du quai, ressentant une douleur vive poussa un cri.

- Oh ! Mon pied ! Oh ! Que je me suis fait mal.  Oh là là ! Je ne parviens plus à le poser. Oh que j’ai mal, pourvu qu’il ne soit pas cassé.

Jacobus interpella un porteur qui s’affairait à charger les colis sur une brouette. L’homme s’approcha regarda la jeune femme, forma de ses bras un siège et l’invita à s’y asseoir. Béatrice jouant la coquette regarda l’homme en faisant mine d’hésiter. Avec des airs de grands seigneurs Jacobus donna des ordres. Un homme accourut portant une chaise. Béatrice y prit place et les deux porteurs la soulevèrent délicatement, telle une marquise en porcelaine. Jacobus les précédait, repoussant les gens pour dégager le passage. Les passants s’arrêtaient pour regarder passer Béatrice qui grimaçait de douleurs. Bientôt ils arrivèrent devant une maison de construction récente. Sans être très grande elle séduisit immédiatement Béatrice par l'harmonie et l'élégance de ses formes. L’habitation hors des murs était précédée d’un petit jardin fermé par un muret. On y pénétrait par une belle porte en fer forgé, signe évident de l’aisance de son propriétaire. Les porteurs déposèrent avec précaution la chaise en attendant qu’une domestique vienne ouvrir la porte. D’un geste Jacobus congédia les porteurs qui tout en grommelant s’éloignèrent. Toujours aussi empressé il invita la jeune femme à poser sa main sur son épaule et lui passant le bras autour de la taille, rougissant de confusion l’aida à entrer. Béatrice avait observé avec intérêt et satisfaction de quelle façon il avait congédié les deux hommes. Son arrivé dans cette ville n’était non seulement pas passée inaperçue, mais provoquerait des commentaires. Sans en avoir l’air, elle avait, comme le petit Poucet, semé ses petits cailloux blancs que son mari n’aurait pas de peine à suivre. La jeune femme fut conduite dans une petite pièce qui donnait de plein pied sur le jardin de derrière la maison. Avec l’aide de sa domestique il la souleva et la déposa sur un petit lit, puis plein de prévenance et prenant soin de ne pas lui faire mal, il lui retira sa botte.

- Oh merci ! Quel soulagement. Je craignais que ma cheville en enflant ne me permette plus de la retirer.

- Ces affreuses bottes ne conviennent pas à vos pieds délicats, Vous méritez bien mieux que cela.

Le lit très haut sur pieds se trouvait dans une alcôve que l’on pouvait fermer par un joli rideau. Béatrice s’amusait, tout en prenant grand soins de ne pas le laisser paraître, des manières, qui se voulaient très nobles du maître de maison. Elle eut pourtant un frémissement d’inquiétude lorsque Jacobus voulut lui retirer son gros bas de laine et glissa sa main entre les plis de sa robe et la fit monter lentement jusqu’au mollet.

- Oh ! Vous me faites mal ! Je vous en prie, demandez plutôt à votre servante de me préparer des compresses chaudes, cela soulagera ma douleur. Pendant que Jacobus se mettait à la recherche de la domestique, se réjouissant à l’idée de pouvoir lui appliquer les compresses Béatrice retira en vitesse son bas puis fouilla sous sa robe. Elle devait trouver rapidement à cacher son arme car par deux fois déjà sa présence lui avait causé une inquiétude. Là à l’instant, lorsque la main de Jacobus en s’aventurant un peu plus haut risquait de la découvrir, et lorsque le porteur proposait de la porter dans ses bras. Il aurait inévitablement remarqué sa présence ou l’aurait fait tombée. Elle retira l’arme de sous sa robe et la dissimula sous la housse qui couvrait le lit. Observatrice, elle avait bien remarqué que Jacobus n’était pas entièrement dupe de ses coquetteries et son empressement à lui faire la cour dissimulait mal à quel point il était préoccupé.

 

Mathias s’était rendu à l’embarcadère. Il interrogea, tant bien qu’il put, en montrant les barques et la direction de Baden. Mais les hommes qui s’affairaient sur le quai ne semblaient pas le comprendre. Mais peut être ces gens étaient-ils tout simplement trop occupés pour s’intéresser à lui. Un homme qui écoutait ce qui se disait, s’approcha.

- Bateau, Baden, Morgen, aujourd’hui Schluss, finito.

- Vous voulez dire qu’il n’y a plus de bateau pour Baden aujourd’hui ? C’est ça ?

- Ja ! Oui ! Morgen, demain.

En gesticulant avec les bras il fit comprendre à Mathias que pour ce jour-ci il n’y aurait plus de trafic sur la Limmat, mais que le lendemain, il reprendrait dès le levé du jour. En recevant cette information Mathias fut complètement abattu. Comment Béatrice pourrait-elle revenir ? Il continua à errer encore un moment sur le quai, en essayant de voir plus clair dans tout ce qui se bousculait dans sa tête. Que devait-il faire à présent ? Se mettre en route pour Baden ? La distance n’était pas tel qu’il ne puisse la parcourir à pied. Mais il n'y arriverait que de nuit, et là, dans une ville inconnue et déserte comment retrouverait-il sa femme ? Non, il fallait qu’il attende le lendemain. Elle reviendrait sans doute après avoir repéré où se cachait Jacobus à condition qu’elle ne se fasse pas reprendre par lui ou un de

ses hommes. D’autre part le couple de gitans, qui l’avait en quelque sorte libéré, allait peut-être se manifester à l’auberge. Peut-être même l’attendaient-ils déjà. Il se dépêcha de retourner à son quartier général où il retrouverait son précieux aide de camp, Joseph, et son allier, le commandant Schudich.

 En le voyant pousser la porte le commandant se leva et vint à sa rencontre.

- Alors ? Vous avez des nouvelles ? Savez-vous où elle est ?

- Probablement sur les traces de Jacobus. Mais il n’y a plus de bateau ce soir.

Où sont les enfants ?

- Ne vous inquiétez pas, ils sont à la cuisine où la femme du patron les gâte.

- Est-ce que par hasard les gitans seraient venus ici pour me voir ?

- Mais pensez-vous vraiment que ce puisse être des amis de Jean qui aient fait le coup ? Cela m’étonne, car si c’était pour délivrer votre femme ils seraient ressortis ensemble, ne pensez-vous pas ?

- Hem…Oui, je ne sais plus, j’ai beau faire, je ne comprends rien à toute cette histoire. De toute façon je crois qu’il ne me reste rien d’autre à faire que d’attendre.

- Pour ma part, à mon grand regret, je ne pourrais pas vous aider davantage, dès demain je vais prendre le commandement de la petite troupe qui doit assurer la protection du chargement d’armes et le conduire en France. Là vous pourrez toujours m’y joindre.

- Mais où votre régiment sera-t-il stationné ?

- Pour l’heure je n’en ai aucune idée. Mais dans n’importe quelle place française en Alsace on vous renseignera.

 

Lorsque Jacobus reparut, il portait une bouteille de vin et deux verres. La servante qui le suivait avait les bras embarrassés d’une large cuvette de terre et de serviettes. Après avoir déposé le vin et les verres à terre, Jacobus alla chercher un guéridon et l’approcha de la couche de Béatrice.

- Nous allons vous soigner chère amie. Retroussez un peu votre robe je vous prie. Ursi a préparé de quoi vous faire des compresses qui vous soulageront rapidement, vous allez voir. Allons, allons ne soyez pas aussi pudique relevez votre robe pour que je puisse glisser cette serviette sous votre cheville.

 Béatrice perçue dans l’expression de son regard sa détermination, elle comprit que toute discussion serait du temps perdu. Jacobus s’installa sur le bord du lit. Dans un réflexe d’infirmière la jeune femme trempa le bout des doigts dans la cuvette.

- Oh ! Mais c’est très chaud. Il faudrait laisser un peu refroidir. Mais ce que vous avez amené là, n’est certainement pas pour être appliqué sur ma cheville.

Elle désigna la bouteille et les deux verres.

- Non, bien sûr que non, il s’agit tout simplement de vous aider à supporter votre mal, il s’agit d’une bouteille de vin de Hongrie, un Tokay, le vin des rois et des empereurs, vous m’en direz des nouvelles. C’est le vin qui convient pour sceller notre amitié.

- Oh ! Votre prévenance me touche.

Jacobus versa le vin doré et fit signe à la domestique qu’elle pouvait se retirer. Il tendit un verre à la jeune femme.

- Oh quel beau verre, je n’en avais jamais vu de pareil.

Jacobus retrouvait sa bonne humeur, il parvenait à faire impression sur la jeune femme et s’en félicitait.

- Il s’agit de verres de Bohême, de Gratzen, le décor est émaillé et cuit, ce n’est pas une vulgaire peinture. Ce sont des verres de grands prix. Lorsque le roi de France nous aura anoblis j’en ferais faire avec nos armoiries. Le « Nous » n’avait pas échappé à Béatrice qui se demandait ce qu’il fallait entendre par là.

- Oh ! Je dois avouer que vous me surprenez par votre goût du beau, mon cher Jacobus.

Béatrice reprenait de l’assurance, mais devait pourtant s’avouer qu’il la surprenait par son goût raffiné. Elle n’avait jamais bu du vin que dans des gobelets en étain. Mais elle sentait aussi que son hôte était extrêmement flatté de pouvoir montrer ses trésors à une jeune femme. Si l’on n’EST pas, on peut toujours essayer de paraître, avec ce que l’on possède. Ainsi il prenait de la valeur à ces propres yeux. Enfin il avait trouvé quelqu’un qu’il pouvait éblouir et Béatrice ne se montrait pas avare d’éloges. Elle trempa ses lèvres dans le vin liquoreux, qui en effet ne supportait aucune comparaison. Jacobus qui selon la mode allemande tenait délicatement son verre par le pied et s’attendait à heurter les verres pour trinquer fut un peu déçu qu’elle ne respecte pas cet usage. La jeune femme qui l’observait discrètement mais avec beaucoup d’attention, perçue l’ombre qui passait dans son regard.

- Oh ! Pardonnez-moi, j’avais tant hâte de découvrir cette boisson digne des dieux, que j’ai faillis aux usages.

- Ne vous excusez pas chère amie. Mais peut-être accepterez-vous de boire avec moi selon l’usage à notre alliance et à l’amitié.

- A notre amitié, pourquoi pas ! Mais qu’entendez-vous par alliance ? Un nouveau nuage passa dans le regard de Jacobus, qui visiblement se demandait toujours ce que cette jeune femme séduisante pouvait connaître de la situation. Il changea habillement de sujet et présenta le flanc, histoire de voir d’où viendraient les coups

- Oui ce vin ! Vous devez me trouver terriblement vaniteux. Un forgeron qui se donne de grands airs !

La jeune femme était prudente.

- Allons donc ! Tout homme a le devoir de chercher à s’élever et à tendre vers le beau et le bon, il ne faut pas confondre l’orgueil, ce levier qui nous pousse vers la vertu et la vanité faite de mensonge qu’on se fait à soi-même. Jacobus, resté sans voix, son verre de vin en main regardait la jeune femme. Elle leva son verre et le fit sonner contre le sien.

- Allons Meister Jacobus buvons à la vertu et aux hommes vertueux ! C’est ce que vous aurait proposé mon père. Mais dites-moi quels-étaient vos rapports avec lui.

L’esprit de cette séduisante et pétillante jeune femme troublait profondément l’homme mûr qu’était Jacobus. Il éprouvait une folle envie d’embrasser cette bouche, de passer sa main dans ses cheveux, de serrer ce corps dans ses bras. Jacobus n’avait pas répondu, mais vidé son verre et se reversait du vin. Il tendit le flacon vers celui de Béatrice.

- Oh ce vin est tellement bon, que je ne le bois pas, je le déguste, j’en reprendrais plus tard. Vous ne me répondez pas ?

- Oui ! Euh ! Si, si, nous étions liés en affaire, je vais vous expliquer. Il leva son verre et y trempa ses lèvres. Visiblement il réfléchissait et cherchait une réponse satisfaisante. Constamment sur ses gardes Béatrice observait chaque mouvement et expression de son visage. Elle remarqua qu’il jetait un coup d’œil furtif vers la cuvette où l’infusion destinée aux compresses devait être froide à présent. Elle tendit la main et trempa le bout des doigts dans le liquide.

- Oh ! Est-ce ce nectar ? Ou est-ce votre compagnie qui m’a fait oublier ma douleur ? En tous cas je vous en remercie.

Et elle tendit son verre qu’elle avait vidé pour qu’il y reverse du vin, ce qu’il fit sans hésitation persuadé que d’ici peu elle succomberait aux séductions du dieu de l’ivresse. Il se resservit aussi un verre qu'il vida sans attendre.  Son visage commençait à s’empourprer. Il jeta un coup d’œil à la bouteille mais ne se resservit pas. On frappa à la porte. Il lui fallut un instant pour se tirer de sa réflexion.

- Yan ! Wass isch ?

La soubrette poussa la porte, s’avança visiblement gênée, regarda la cuvette et les serviettes et sur un signe de son maître débarrassa le tout. Alors qu’elle allait ouvrir la bouche, il lui fit un geste pour la congédier, elle fit une petite révérence et sortit. Béatrice tendit l’oreille. Après un court instant elle entendit la lourde porte d’entrée se refermer. Pendant que la servante quittait la pièce et que Jacobus la suivait des yeux Béatrice avait discrètement échangée les verres, son verre presque plein contre celui vide de Jacobus.

- Nous parlions d’un titre n’existe-t-il pas en Suisse de vieilles familles nobles dont le nom s’est éteint et que vous pourriez relever ?

- Oui, sans doute ! C’est pour ça que j’ai acheté cette maison. Béatrice ne voyait pas le rapport. Il lui semblait que l’esprit de Jacobus commençait à se brouiller.

- Vous ne voulez donc pas retourner à Bâle ?

- Non on m’y connaît et pour eux je ne serais toujours que le forgeron.

Sa parole devenait hésitante, l’alcool faisait son effet et sa langue s’empâtait. Béatrice avait noté que depuis un moment la main qu’il avait posée sur sa cheville, avait glissée et restait inerte, sans qu’il ne s’en aperçoive. Elle se pencha pour se saisir de son verre, lui en fit autant et but. La jeune femme regarda son verre vide.  Elle se saisit de la bouteille et versa ce qui y restait dans le verre de son voisin puis faisant mine de vouloir s’en verser soulevant la bouteille à la hauteur de ses yeux, la secoua.

- Oh, elle est vide ! Dommage ! C’est qu’il est vraiment bon ce vin.

- Euh ! Oui attendez, il m’en reste encore une…

Et il se mit à appeler la servante. Ces appelles restèrent évidemment sans écho.

Béatrice savait à présent qu’elle était seule avec lui dans la maison. Fallait-il s’en réjouir ou s’en inquiété, pour se rassurer elle fit glisser lentement sa main à la recherche de son arme.

Jacobus se leva péniblement.

- Vous aviez bien raison de dire qu’il s’agit d’un vin digne des rois et des empereurs, j’ajouterais et des nobles cœurs, avec vous j’en boirais bien encore un petit verre.

- Oui, moi aussi, oui, je vais… oui j’y vais. Ursi n’entend pas.

- Vous devriez ramener le contrat, pour que nous voyions ce qui y est stipulé pour votre anoblissement, peut-être y est-il fait état d’un titre.

- Oui …Contrat …

Le maître forgeron se saisissant de son verre presque vide le porta à ses lèvres et aspira les quelques gouttes qui y restaient puis d’un pas hésitant se dirigea vers la porte. Béatrice qui était, elle, restée parfaitement lucide le regardait faire des efforts pitoyables. Elle se dit que si ceux qui honorent le dieu Bacchus pouvaient se voir dans cet état ridicule ils boiraient certainement moins. Profitant de l’occasion elle se mit à chercher fébrilement son arme. Elle n’était plus à sa place. Alors elle se mit à fouiller, souleva la housse, l’édredon, se pencha derrière le lit, rien. Alors qu’elle hésitait à se lever, craignant d’être surprise par Jacobus, elle entendit le bruit d’une chute. L’arme venait de tomber derrière le lit. Elle tendit l’oreille. Pas de doute, son hôte continuait à se déplacer dans la maison. Tout en restant vigilante, elle se laissa glisser doucement du lit, souleva la garniture et regarda dessous. Effectivement le poignard était là. Elle se glissa sous le voile et tâtonna pour le retrouver et s’en saisir. Quand soudain la porte d’entrée claqua violemment, puis suivirent des cris et des gémissements. Béatrice dans un mouvement de reflex tira à elle ses jambes pour se recroqueviller dans sa cachette. Le pas massif qui se rapprochait n’était pas celui, hésitant, de Jacobus. Elle posa sa tête contre le planché pour essayer de voir. De grosses bottes de cavalier se dressaient à quelques pas du lit, elle n’en voyait que les talons, elle souleva doucement le tissu qui la dissimulait. L’homme se tenait, lui tournant le dos, devant la petite commode et en vidait les tiroirs. Après avoir renversé celui du bas il se tourna vers le lit, s’en approcha, poussa un grognement, puis d’un coup de pied envoya les bottes de Béatrice sous le lit et s’éloigna pour aller fouiller le tiroir du petit secrétaire qui se trouvait près de la porte fenêtre qui donnait sur le jardin. Ouvrit le tiroir, Le retira entièrement, le secoua pour faire tomber tout ce qu’il contenait puis passa sa main ganté dans l’ouverture, le jeta au sol et sortit, laissant la porte grande ouverte.

Béatrice entendit une voix féminine qui l’interpellait : « Alors ? – Non rien ! » . Il n’y avait pas de doute, ils se parlaient en français. D’après le bruit ils devaient continuer de fouiller les meubles. Béatrice, toujours sous le lit n’osait plus bouger. Elle entendait toujours le bruit qu’ils faisaient en renversant ou jetant à terre des objets, mais ils ne parlaient plus. Le fait qu’ils communiquent en français l’intriguait, elle aurait voulu voir leurs visages. Qui cela pouvait-il bien être ? Pas de simple cambrioleurs, s’ils parlaient le français. Mais alors que cherchaient-ils ? Quand soudain elle entendit que l’homme appelait, elle ne comprenait plus les paroles, mais visiblement il avait trouvé quelque chose. Il s’en suivit une course, puis une discussion, le bruit des pas de l’homme se rapprocha, elle replongea au fond de sa cachette, mais il n’entra pas dans la pièce. Elle tendit l’oreille. La femme avait apparemment rejoint l’homme, ils discutaient en baissant la voix. Mais Béatrice de sous le lit ne parvenait pas à saisir les mots. Ils repassèrent devant la porte sans s’arrêter. Le temps qu’elle soulève un peu le tissu qui la dissimulait ils avaient disparu. Les murmures avaient repris, les pas se rapprochèrent, ils semblaient êtres dans la chambre. Béatrice coucha de nouveau la tête contre le planché. En effet ils étaient là à deux pas du lit, elle n’en voyait que les pieds. La femme portait de grosses chaussures solides, comme on en porte à la campagne. Il faisait plus clairs, ils avaient probablement apporté un autre chandelier et regardaient ce qu’ils avaient trouvé.

- Tu crois que c’est ça ?

- Hem, sais pas.

- Si seulement on savait lire. En tous cas ce papier-là porte un sceau du roi de France regarde il y a là les fleurs de lys.

- Viens !

Ils s’éloignèrent sans emporter le chandelier. La femme qui marchait derrière s’arrêta sur le pas de la porte.

- Tu as vu il y a deux verres là, il n’était pas seul.

- Hem…

- Remarques, il était peut-être en agréable compagnie.

- Hem…

L’homme revint sur ses pas. Béatrice n’osait plus respirer, elle serrait ses mâchoires pour empêcher ses dents de claquer, elle voyait tout contre le lit les épaisses semelles de ses bottes, elle sentait son odeur, odeur de sueur, de cheval, d’urine et de crasse. Ses narines en étaient irritées, elle sentait l’envie d’éternuer se préciser, elle se pinça le nez et respira doucement par la bouche.

- Hem…Tokay !

- Regardes, le lit ! Il y a peut-être bousculée une fille.

- Ha ! Ha !

- Remarques, nous avons ce qu’on cherchait, alors filons, avant que l’autre ne retrouve ses esprits. Tu aurais peut-être dû l’assommer pour de bon !

- Non ! Peut-être encore besoin.

- Alors filons !

Les pieds s’éloignèrent, mais laissèrent encore flotter derrière eux cette affreuse odeur.

Béatrice n’osait cependant pas encore bouger. Lorsque finalement, ses doigts crispés sur son nez relâchèrent leur pression, elle éternua. Elle fut effrayée par le bruit qu’elle venait de faire et se glissa encore plus au fond de son refuge et tendit l’oreille. Comme en réponse, elle perçut un gémissement. Après une courte attente, tous les sens en éveils, elle se glissa hors de sa cachette. Les gémissements reprirent. Elle trouva Jacobus allongé dans la cuisine en partie dénudé, les cheveux baignant dans son sang, son visage tourné vers le mur. Lorsqu’il sentit sa présence, il tenta de bouger la tête, le résultat ne fut qu’un cri de douleur. Alors il souleva la main et tout en gémissant prononça quelques mots que la jeune femme ne comprenait pas. Elle s’agenouilla près de lui et se pencha par-dessus pour voir son visage tuméfié.

- Mon Dieu ! Les brutes !

- Ah ! C’est vous !   Aidez-moi, je vous en prie, aidez-moi.

Béatrice qui n’avait pensé qu’à fuir au plus vite cet endroit, hésita.

- Oui ! Oui ! Attendez, je reviens.

La cuvette posée dans la pierre d’eau contenait encore la préparation qui était destinée à ses compresses, elle trouva également les serviettes. Elle raviva le feu dans l’âtre y posa une bûche, versa l’eau de la cuvette dans un chaudron et le plaça aux milieux de la braise, qui, débarrassée des cendres qui l’étouffaient, se remit à rougeoyer. Elle remit de l’ordre dans les vêtements de l’homme autant pour préserver sa pudeur que pour le protéger du froid et lui donna les soins qu’il nécessitait. Jacobus finit par s’endormir sans doute assommé par tout le vin qu’il avait bu. Béatrice resta près de lui, veillant à le maintenir au chaud.

 

Au matin lorsque la servante entra, elle poussa un cri et se précipita dans la rue en appelant à l’aide. Très vite