La Hérisson by Bernard Amschler - HTML preview

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Chapitre 21

La fin de Coco.

 

 Au sein de la confédération plusieurs candidats s’étaient manifestés pour représenter les cantons aux négociations qui seraient bientôt entamé entre les souverains belligérants. Les Suisses espéraient enfin obtenir des Habsbourg la reconnaissance de leur souveraineté.

 

Chaque fois que cela lui était possible, Béatrice quittait la ville pour aller le long des chemins et des cours d’eau cueillir des simples. Elle en profitait pour instruire ses enfants. Elle leur parlait des plantes, des oiseaux et leur demandait de temps en temps de lui dire les lettres qui composaient les sons qui formaient leur nom et les enfants y trouvaient un sujet d’amusement. Or un jour, tout en cueillant des herbes, ils s’approchèrent d’une maison isolée, qu’une haie, qui courrait le long du chemin, leur dissimulait en partie. Un homme en sortie pour aller soulager sa vessie. L’homme qui ne les avait pas vu leur tournait le dos et arrosait les fleurs sauvages. Béatrice dans un réflexe de pudeur fit signe aux enfants de se taire et de se dissimuler derrière la haie. Après un court instant de réflexion elle se redressa lentement. L’homme qui à présent remettait de l’ordre dans ses vêtements leur faisait face, et là bien que surprise elle n’eut plus de doute, il s’agissait de Coco.

L’homme retourna d’un pas tranquille, mais assuré dans la maison. Si Béatrice au lieu de s’empresser de repartir pour la ville avait fait encore quelques pas dans la direction de la maison elle aurait découvert, dissimulé dans un buisson, un homme affublé d’un bandeau de cuir sur les yeux qui surveillait cette maison et ses habitants.

Le lendemain dès son travail terminé, Mathias mis au courant de sa découverte par Béatrice se rendit sur place. Il venait de s’installer dans un fourré d’où il aurait une bonne vue quand il vit arrivé sur le chemin venant de la ville son chef d’atelier.

- Eh ben ça alors ! C’est à ne pas y croire !

- Oui fils et tu n’as pas fini de t’étonner !

Mathias avait sursauté. Ce chuchotement venait de derrière lui.

- Pschitt ! Ne fais pas de bruit, c’est pas le moment de nous faire surprendre. Là-haut à gauche il y en a d’autres qui surveillent, regardes là dans ce buisson. Tu les vois ? Et ne me regardes pas comme ça, je t’expliquerai. Le chef d’atelier frappait à la porte et trépignait sur place, regardait en direction de la ville et semblait avoir hâte de se mettre à l’abri des regards. La porte s’ouvrit et enfin il s’engouffrât. Une toute jeune femme sortit et regarda à droite et à gauche, pour s’assurer que l’homme n’était pas suivi.

- Tu l’as reconnu ?

- Oui évidemment ! Mais toi qu’est-ce-que tu fais là ?

- Moi ? Oh moi ça fait un moment que je cour après vous et j’ai bien failli vous perdre si je n’étais pas par hasard tombé sur une de nos amies, mais attends, je vous raconterai. Maintenant écoutes, tu vas retourner chez toi mettre ta femme au courant et continuer ta petite vie comme si de rien-était.

Je suis sûre que maintenant très vite cette histoire trouvera son dénouement et nous aurons le temps de parler. Vas, files maintenant et prends garde à vous !

 

Quelques jours plus tard, alors que la nuit venait de tombée, Colas frappait à leur porte. Il avait troqué son déguisement contre une tenue d’artisan. Chacun raconta son histoire ce qui prit presque toute la nuit. Colas leur raconta comment après de longues recherches il arriva à Bâle, mais Mathias et Béatrice venaient de partir. Il se mit à la recherche d’indices, de renseignements, pour cela il fréquenta les lieux que d’ordinaire fréquentent les nouveaux arrivants et les voyageurs. Et ce fut ainsi qu’il fit la connaissance d’Elsie. Futée, elle savait que Mathias et Béatrice étaient parti pour les cantons forestiers et se disait que là-bas allait se jouer une partie intéressante pour le gagnant, mais dont elle, tenue éloignée, n’aurait aucune part. Elle donna donc à Colas les renseignements qui lui permettrait à elle de participer à la course au trésor, par personne interposée et se flattait qu’à son retour elle saurait habilement le travailler pour toucher ce qui lui revenait.  Seulement advint ce qu’elle ne pouvait prévoir, son frère rencontra la mort et il lui prit fantaisie de la suivre. Ce qui dans les faits la soulageait plutôt, d’autant qu’elle s’était associé à d’autres filles et que leurs affaires étaient prospères. Mais pour son plus grand malheur et celui de ses associées Coco se substitua au grand frère pour encaisser les dividendes du commerce des jeunes femmes. Il sut se montrer persuasif sans pour autant ne jamais user lui-même de violence ou brutalité. Il déléguait volontiers cette fonction au borgne qui d’ailleurs y excellait, ayant pour cela un don naturel, un sadisme brutal et lorsque les filles venaient se plaindre à Coco il savait les consoler en jouant le protecteur des affligés.  En l’absence du grand frère les filles avaient redonné de l’activité à cette auberge campagnarde, isolée et tombée dans l’oubli depuis quelques années. A leur retour de Zurich Coco et le borgne s’y installèrent sans aucun égard quant aux protestations des filles et géraient sans trop d’efforts ce petit commerce lucratif. Depuis Zurich Colas était sur leurs traces et avait eu ainsi sous divers déguisement l’occasion d’intervenir pour déjouer leurs plans. Comme, entre autres, dans cette auberge au confluent de l’Aar et du Rhin où le borgne s’en était pris à Béatrice et avait reçu un violent coup sur la tête. Béatrice voulut savoir qui était le commanditaire de son enlèvement à Zurich et qui était le couple qui avait procédé en quelque sorte à sa libération, mais Colas l’ignorait car il n’était arrivé qu’après l’épisode de Baden.

- Mais alors tu n’as pas vu non-plus ceux qui ont volé les papiers de Jacobus ?

- Non, je vous ai retrouvé, par le plus grand des hasards, j’étais à bord du bateau sur lequel Béatrice est montée à Baden pour remonter vers Zurich. J’étais assis à quelques pas d’elle, mais à l’arrivée en voyant votre joie de vous retrouver j’ai pensé que le moment était mal choisi pour sortir de l’ombre. Et j’ai bien fait, car dans vos effusions de joies vous n’avez pas remarqué, comme moi, la présence de Coco au milieu de la foule au moment où vous débarquiez.

Après une bonne partie de la nuit à échanger des informations et faire le récit de leurs aventures respectives Colas quitta discrètement la maison pour retourner surveiller l’ancienne auberge où Coco et le borgne tenaient leur quartier général. Car il ne faudrait surtout pas s’imaginer que ces ceux-là se laissaient vivre sans plus s’occuper des fameuses lettres tant convoitées. Colas savait qu’il n’était pas le seul à s’intéresser à leurs activités et son idée était d’entrer en contact avec l’une de ces filles et de s’en servir pour savoir ce que tramait Coco et son acolyte. De ses observations il savait à présent qu’elles étaient quatre. Il y avait Elsie, qui semblait la meneuse, ensuite venait une grande au corps solidement charpenté qui semblait du genre revêche une autre, plus effacée, sortait plus souvent que les autres pour prendre l’air et rêver au clair de lune. Elle semblait plus fragile et le borgne en avait après elle car à peine faisait-elle quelques pas dehors qu’il arrivait, piquait une crise de colère et la tirait par le bras pour la faire rentrer. Colas en était sûr à présent, le chef d’atelier y avait ses habitudes et il souhaitait découvrir avec laquelle des filles. Ce qui l’inquiétait était de savoir si Coco avait déjà entrepris de s’en servir pour mener à bien ses projets. Il restait encore une quatrième fille, celle qui était de loin la plus jeune. A peine pubère, elle avait un corps d’adolescente et semblait être chargée des tâches ménagères. Statut qu’elle ne semblait pas apprécier particulièrement et en l’absence de Coco et du borgne elle était constamment à se disputer avec les autres et plus particulièrement avec la troisième.

Ce matin-là, en rejoignant son poste de guet Colas vit Coco et son factotum partir pour la ville et pensa que ce serait peut-être enfin l’occasion de prendre contact avec les filles et de voir laquelle pourrait être ses yeux et ses oreilles dans la maison. A peine s’était-il installé, avant même d’avoir eu le temps de réfléchir à un plan d’action, que la plus jeune des quatre jaillissait par la porte qui donnait sur la cour en vociférant. Elle jeta son seau au loin, arracha son tablier et prit résolument le chemin de la ville.  Que faire ? Colas devait-il en profiter pour l’approcher ? Déjà elle s’éloignait et pour lui se mettre à courir après elle serait somme toute trop évident. Non il tenterait sa chance avec une autre. La troisième serait sans doute la plus facile surtout qu’elle profiterait sans doute de l’absence des deux hommes pour faire une petite promenade.

L’adolescente avançait d’un bon pas et n’était déjà plus au loin qu’une tache en mouvement. Elle enrageait car elle devait servir de domestique à toute la maisonnée et les brimades d’Elsie la rendaient folle de rage. Arrivé en ville elle se rendit au tripot où elle savait trouver Coco et l’autre. Cette toute jeune fille avait la tête pleine de cette folie des jeunes de son âge et trouvait révoltant d’avoir à faire les basses besognes pour un salaire de misère alors que les grandes semblaient s’amuser avec des hommes qui les payaient bien pour pouvoir rire avec elles. Pourtant, certains clients des vieilles, comme elle les qualifiait, lui avaient déjà fait des avances et des propositions qu’elle jugeait avantageuses, mais sa sœur, Babette, la troisième de la troupe, qu’elle pensait sans doute être jalouse de son succès, s’était fermement opposée à ce qu’elle entre dans la course. Elle avait donc entrepris de se placer sous la protection de Coco. Contre la promesse de l’initier aux petites finesses du métier elle lui rapportait tout ce qu’elle entendait et voyait. Coco trouvant d’avantages d’intérêt à ce service qu’à la mettre sur le marché la laissait s’agiter dans l’ombre. Mais là, après l’affront que lui avait fait Elsie en la traitant comme une domestique, une moins que rien, elle était bien décidée à se venger. Et tant pis, en rapportant ce qu’elle avait vu et entendu elle aurait de quoi la pousser hors de son chemin et elle gagnerait elle aussi de l’argent sans avoir à se fatigué à gratter le plancher et à vider le sceau d’aisance des autres. Coco, ainsi mis au courant des accointances qu’il y avait entre Elsie et le chef d’atelier de la forge de Jacobus entra dans une rage folle et décida que dès le soir il ferait, devant les filles réunies, une démonstration de son autorité en usant de la violence si nécessaire. D’abord il renvoya l’adolescente à l’auberge en lui recommandant le silence et ensuite durant toute la fin de journée il remâcha cette information. Quel mauvais tour lui préparait encore cette jeune guenon d’Elsie ? Ah ! Elle voulait le doubler, elle recevrait une bonne leçon qui serait aussi instructive et se graverait dans la mémoire des deux autres.

Dès leur retour, il commença sans préambule par donner un violent coup de poing à Elsie qui s’écroula au sol. Mais lorsqu’il voulut s’en prendre à la grande, qu’il considérait elle aussi comme une forte tête, il eut à peine le temps de lever la main, mais pas de la frapper, ce fut lui qui dans un gémissement s’écroula. La fille les yeux exorbités et la haine peinte sur le visage s’avançait vers le borgne prête à le frapper à son tour de son couteau.  Celui-ci, fidèle à ses habitudes regardait faire Coco et attendait les ordres en riant dans son coin, lorsqu’il vit la fille se précipiter vers lui il eut tout juste le temps de prendre une fuite salutaire.  

 

Colas était resté à surveiller.   A la tombé de la nuit il avait vu revenir l’adolescente, et à présent il s’apprêtait à quitter son poste d’observation, quand il vit Coco et le borgne revenir de la ville. A peine les deux hommes avaient-ils poussé la porte que l’on entendit des cris. Colas qui se levait pour partir se figea et tendit l’oreille. Maintenant ce furent des hurlements et bientôt une raie de lumière jaillissant de l’obscurité éclaira un homme qui s’enfuyait comme s’il avait vu le diable en personne. A présent il faisait nuit noire et le silence le plus complet entourait l’auberge, il commençait à faire froid et après un moment voyant les lumières s’éteindre et profitant de l’obscurité Colas se redressa pour reprendre la route de la ville.

Le lendemain soir Colas reprouva son poste d’observation. Tout semblait parfaitement calme.

Quand la porte de la façade s’ouvrit Colas se redressa lentement évitant tout mouvement brusque. La silhouette d’une fille, qui sans doute voulait prendre l’air, se matérialisa à contre-jour. Elle se déplaça lentement de gauche à droite, passant de la lumière à l’obscurité puis reprenait sa place en pleine lumière, regardait la lune et les gros nuages qui filaient vers l’horizon, Colas finit par se décider, il sortit de l’obscurité et tout en sifflotant pour ne pas l’effrayer et faire fuir cette frêle silhouette il s’approcha, elle se tenait maintenant immobile, elle l’entendait venir et se retourna lentement pour lui sourire.

Le vocabulaire de Colas dans la langue locale était fort limité, il lui répondit donc par un sourire et se contenta de signe d'amitiés et de sa main calleuse lui caressa la joue. La jeune femme passa son bras sous le sien et se dirigea vers la porte. Une douce chaleur avait envahi Colas. Il se sentait bien avec cette jeune femme, mais lorsqu’il pénétra dans la salle il ressentit immédiatement un malaise. Cet endroit n’était pas fait pour les grands sentiments. Une seule table était occupée par deux hommes et une fille. Sa robe s’accrochait à une épaule laissant l’autre dénudée. Elle avait relevé sa robe jusqu’aux cuisses pour se gratter le genou. Colas qui pourtant n’était pas lavé de la dernière pluie se sentait mal à l’aise en présence de la jeune femme qui l’avait fait entrer. Elle avait retiré le châle dans lequel elle avait enveloppé ses épaules nues, pour sortir. Elle n’était pas vraiment plus jolie que l’autre avec son visage barbouillé de fard qui ne laissait aucun doute sur ses activités lucratives, mais avait plus de retenue dans ses manières et des gestes moins vulgaires. Elle lui sourit d’un air triste. Vieux fou qu’il était il aurait voulu l'enlacer. En se retournant il vit qu’une porte donnait sur une cuisine. Une vieille s’y agitait. Il se pencha un peu pour mieux voir. Cette silhouette ne lui était pas inconnue. Toujours aussi mal à l’aise, il s’aventura à faire quelques pas dans cette direction.

- La Catherine ! Mais qu’est-ce que tu fais là ? Ben comme tu vois le Colas, je m’efforce de me rendre utile. Et toi ? Tu viens voir une fille.

 Colas voulut s'en défendre, non, non la veille il avait observé comme eux qu'il

s'était passé quelque chose et il voulait voir.                                                                                     

Catherine ne simulait pas la surprise, non elle lui parlait comme s’ils s’étaient quittés il n’y avait pas plus d’une heure. Elle lui exposa la nouvelle situation. La grande, là à table avec les deux hommes avait expédié Coco et mis en fuite le borgne. Et elle en avait profité pour venir proposer ses services pour remplacer le petit souillon qui avait pris la clef des champs. A entendre toutes ces nouvelle Colas en avait la tête qui tournait.

- Oui mais je ne m'y retrouve plus moi dans toute cette histoire. Dis-moi juste, ton Pisse-sang et le Coco vous travaillez ensemble ?

- Ben non tu n'y es pas.  Les deux se connaissaient depuis longtemps. Là-bas en bohème ils avaient été ennemis, lorsque la guerre avait éclaté à la bataille de la

Montagne Blanche ils étaient dans deux camps adverses. Coco était du côté des

Habsbourg alors que Rodolphe, de bonne noblesse Moldave, était du côté des

Hussites                                      

                                                                                                                                             

Tout en bavardant Catherine s’activait, Colas qui n’était pas de nature à regarder une femme travailler et lui de ne rien faire se mit lui aussi à l’ouvrage. Babette, la fille qui l’avait fait entrer se joignit à eux et lorsqu’en fin Elsie raccompagna son client, ou plutôt son patient, car il semblait surtout nécessiter des soins, elle eut de la peine à reconnaître l’ancienne souille à cochon.  Et c’est ainsi que la soirée et une partie de la nuit passa à se partager et échanger des nouvelles.

Et lorsque le lendemain au soir Colas reparut chez son fils, sans préambule aucun, il annonça à Béatrice qu’il avait retrouvé de vieilles connaissances qui avaient besoin de son aide et de ses soins. Béatrice tout étonnée lui demanda pourquoi il ne les avait pas amenées avec lui. Colas fit une grimace et lui fit signe qu’ils attendaient devant la porte. En les voyant ou plutôt en les sentant Béatrice comprit. Il s’en dégageait une puanteur que malgré ses goûts rustiques son beaupère n’avait pas osé lui imposer. Elle resta figée sur place comme un point d’exclamation. Elle ne trouvait plus les mots, dans sa mémoire une enfilade de souvenirs se bousculaient, quand finalement l’une d’entre elle, qu’elle n’avait d’ailleurs pas choisie, se fixa. C’était cette image du saccage d’Affléville. Elle voyait Pisse-sang hilare regarder Joseph le charbonnier s’acharner sur cette femme du château. Elle en éprouva un profond dégoût. Elle s’apprêtait à leur tourner le dos et à claquer la porte, mais son beau-père se tenait derrière elle. Il lui souffla à l’oreille : Ils ont besoin de toi et toi encore bien plus d’eux. Elle se tourna lentement tout en cherchant des mots assez forts pour exprimer ce qu’elle ressentait. Mais déjà la femme prenait la parole.

- Ayez pitié ! Pisse-sang m’a tout raconté et je comprends que vous puissiez n’en éprouvé aucune à son égard. Mais ! Mais comme dit le Colas, nous avons besoin les uns des autres et nous avons de quoi.

- Oui Béatrice ! La Catherine sait et a des choses qui t’intéresseront.

Béatrice avait noté que son beau-père, contrairement à ses habitudes devant témoins, la tutoyait. Comme s’il voulait affirmer devant Pisse-sang et Catherine qu’elle était de Sa famille et qu’il la prenait sous son égide et que s’en prendre à elle serait s’en prendre à lui. Ce qui la rassura. Il lui signifiait qu’à ses yeux elle seule comptait pour lui face aux deux autres.

- Oui ! Vous vous souvenez sans doute, chez le Jacobus à Baden, nous savions bien que vous étiez sous le lit.

- C’était donc vous ! Je comprends à présent.

- Vous voyez qu’on ne vous veut aucun mal. D’ailleurs c’est aussi Rodolphe qui a tiré sur le borgne, là-bas à l’auberge au bord du Rhin, pendant que Colas assommait le Coco. Vous vous souvenez ? Le borgne tenait votre fille et le Coco vous tenait par derrière. L’autre salopard s’apprêtait à fuir emportant votre fille.

- Quoi ?

- Oui Béatrice ! Moi je dormais en travers de la porte. Tu m’as bousculé et le temps que je retrouve mes sens toi et la petite étiez dehors. Mais eux, à cause de son odeur, dormaient au grand air.

Une image fulgurante traversa l’esprit de Béatrice. Oui elle s’en souvenait très bien à présent. C’était donc lui qui avait tenu ces propos vulgaires. Elle n’en dit rien, mais n’en pensa pas moins, elle savait qu’il lui répondrait que cela faisait partie de son personnage.

- Et vous saviez qu’ils étaient là ?

- Rodolphe et la Catherine oui, mais les deux autres non.

A la suite de ces explications chacun put exprimer ce qu’il attendait et ce qu’il pouvait offrir. Et on tomba d’accord. Béatrice soignerait Pisse-sang, dont elle venait d’entendre pour la première fois le véritable nom. Ils prendraient connaissance des documents que Catherine et Rodolphe détenaient et verraient ensemble l’usage qu’ils en feraient. Rodolphe qui parlait mieux l’allemand que le français pourrait aussi être un allié utile.

Cependant ni Béatrice ni les deux hommes n’avaient oublié le carnet de maître Jean. Qu’était-il devenu ? En présence de Catherine Colas s’était bien gardé d’en parler à Elsie, mais tout de même il fallait savoir si les filles l’avaient récupéré ou non et si oui ce qu’il était devenu. On s’arrangea donc pour faire revenir Catherine et Rodolphe en ville alors que Colas retournerait durant leur absence voir Elsie. En chemin, Colas sifflotait, il se sentait le cœur joyeux, c’est vrai que le temps était au beau et que son ciel à lui s’éclaircissait. Lorsqu’il poussa la porte, il hésita pourtant à la franchir, son cœur battait plus fort que d’ordinaire et quelque chose dans sa gorge se nouait. Un brouhaha de voix, des rires stridents ou graves, de petits cris de filles qui se voulaient effarouchées, des beuglements et des jappements d’hommes pris de boisson. On se serait cru dans une basse-cour ou un jeune chien donnerait la chasse aux poules. Pourquoi ? Comment ? Il n’aurait su le dire, mais ce soir-là les filles avaient un sacré succès. En faisant ses premiers pas hésitants, il réalisa que tout le monde se parlait en bas allemand et que lui n’y comprenait rien. Comment allait-il faire, non seulement les filles n’auraient pas le temps pour lui, mais en plus il n’avait personne pour traduire. Il croisa le regard d’Elsie qui semblait dire : Qu’est-ce qu’il vient faire là celui-là ? Oui, il était tombé là comme un cheveu dans la soupe. Il en ressentit un serrement de cœur.

Avant de se décider à repasser la porte il jeta un coup d’œil à la ronde. Un grand échalas, la tenant par la taille, entraînait Babette, la fille qui l’avait introduit l’autre jour. En voyant Colas dans l’encadrement de la porte elle s’arrêta malgré les protestations du grand machin qui semblait pressé de passer à autre chose. Elle lui fit un maigre sourire, plutôt une grimace, car ses yeux n’y participaient pas. L’homme irrité la tira par le bras, alors, comme pour le défier, elle fit un petit signe de la main à Colas avant de disparaître par la porte du fond. Colas resta encore un instant à regarder cette porte qui venait de se refermer, puis sortit. En chemin il s’interrogeait sur cette tristesse qui s’était si soudainement abattue sur lui. Oh il en connaissait la cause, mais ne s’en expliquait pas la raison, que lui était cette fille ? Qu’avait-elle de particulier pour lui produire cet effet ? Elle n’était pas particulièrement belle, alors que lui trouvait-il ? Ainsi plongé dans ses réflexions, il avançait, posant un pied devant l’autre sans un regard autour de lui. En arrivant en ville il s’entendit interpeller. Catherine et Rodolphe revenaient de leur consultation.

- Alors, elle dit quoi ?

- Tu sais elle est sacrément intelligente ta bru !

- Ne vas surtout pas le lui dire ! Mais encore ?

- Elle dit qu’il a sans doute pris froid et que le fait de mouiller constamment ses chausses entretenait le mal. Alors elle lui a donné une médication et recommandé de se couvrir le ventre, les jambes et les pieds d’une couverture pour tenir tout ça bien au chaud et tenir entre ses cuisses un cruchon et d’y laisser pendouiller son tuyau pour ne pas pisser dans ses chausses, mais dans le cruchon. Et que toutes les heures il aille vider ce cruchon en faisant l’effort de se retenir de pisser pendant ce court instant. Elle dit que le muscle doit se réhabituer à l’effort. Et toi ! Tu viens de làbas ?

- T’a été voir la fille ?

Colas prit un air surpris.

- La fille ?

- Allez le Colas me prends pas pour une andouille. Les deux autres se moquent déjà d’elle, tu crois qu’on n’a pas compris ? Tu sais elle est gentille cette

Babette, mais depuis que la petite est partie elle n’a plus le cœur à l’ouvrage et Elsie commence à la prendre en grippe.

- La petite ?

- Ben oui la fille qui faisait le travail ingrat, qu’est partie.