La Hérisson by Bernard Amschler - HTML preview

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Chapitre 23

Ursi

 

Lorsque Béatrice atteignit les premières maisons du village elle eut vite fait de repérer la petite cabane que lui avait décrite Babette. Elle était vraiment petite, à peine plus grande que la niche d’un gros chien et en très mauvais état. Un lierre qui couvrait les murs et partait à présent à la conquête du toit en dissimulait presque entièrement les ouvertures. Il n’y avait aucun doute possible c’était bien ça. Par précaution Béatrice fit encore une centaine de pas au-delà de la maisonnette et inspecta d’un coup d’œil discret l’entourage. Puis elle revint sur ses pas. Ce fut alors qu’elle remarqua un peu plus haut, un petit vacher assis au pied d’un pommier qui l’observait.  Si elle ne voulait pas devenir suspecte il était temps d’aller frapper à la porte. Une voix répondit, sans doute pour l’inviter à entrer. Elle poussa la porte, qui était tellement basse qu’elle dut se plier en deux pour entrer. Une petite vieille au visage comme un champ labouré de frais, même couleurs, plein de rides et parsemé de touffes de chaumes, leva ses yeux myopes. Elle lui fit signe de s’approcher pour mieux la voir. Elle lui jeta un coup d’œil et se remit à son ouvrage, qui consistait de ses doigts difformes à écosser des fèves. Ne sachant trop que dire Béatrice prononça le nom de la jeune fille : Ursula ! La petite vieille rectifia : Ursi ! Et releva les yeux. Béatrice confirma :

- Ya ! Ya ! Ursi !

Elle haussa les épaules et se replongea dans ses fèves. Béatrice chassa une poule et s’accroupit devant la vieille et colla son visage presque contre le sien, mais très vite se redressa. Une odeur de pue et d’urine formait comme un nuage protecteur autour de la vieille. La femme portait une longue jupe, qui avait été noire, et tenait sur ses genoux un grand bol de terre cuite, ses pieds, enveloppés de chiffons, étaient cachés en partie par le tas de cosses sèches où la poule s’était remise à fourrager. De sous sa jupe, s’écoulait entre ses pieds un filet d’urine qui allait se perdre sous le tas de cosses et de fanes. Béatrice préféra ne pas aller voir ce que cachaient les chiffons. Elle renouvela sa question : Ursi ? La vieille, leva la tête puis fit un vague geste qui semblait vouloir dire qu’elle n’était pas là. Comment allait-elle pouvoir en savoir plus ? Soudain la pièce s’obscurcit. Béatrice compris. Elle bondit vers la porte. Elle ne s’était pas trompé le petit vacher se tenait contre la fenêtre et retenait toute la lumière qui pourtant avait déjà tant de peine à se faire un chemin entre le feuillage du lierre. Il n’eut pas le temps de s’enfuir, elle l’avait attrapé par le revers de sa veste.

- Dis-moi, tu connais Ursi ?

Le gamin la fixait sans répondre.

- Ursi, Mätschen ! Toi connaître ?

Il semblait avoir compris et secouait la tête dans un signe affirmatif.

- Wo is Ursi ?

Avec force mimiques et gestes elle lui fit comprendre qu’elle la cherchait et voulait savoir si elle allait revenir. Le gamin s’adressa à la vieille. Oui elle reviendrait le soir pour manger et dormir. Cela ne servit à rien d’insister, soit on ne la comprenait pas, soit on ne savait pas, en tous cas elle n’en apprit pas d’avantage. Il ne lui restait plus qu’à retourner en ville. En quittant le village elle se demanda si la gamine n’était pas retournée vers l’ancienne auberge. C’était évidemment possible, mais Béatrice n’avait aucune envie de s’égarer dans les champs et ceci d’autant qu’il allait être l’heure du retour des hommes. Tout en réfléchissant, elle repartit vers la ville.  En route elle croisa quelques paysans, mais personne qui ressembla à la jeune fille qu’elle cherchait.

Béatrice rapporta à Babette ce qu’elle avait vu et surtout ce qu’elle n’avait pas vu, c’est-à-dire sa sœur. Babette ne s’étonna pas de l’attitude de la petite vieille et était au contraire persuadée qu’Ursi n’était pas loin, compte tenu du mutisme de la grand-mère. Car si elle n’avait pas vu la jeune fille depuis peu elle se serait immédiatement mise à se plaindre de ne jamais la voir. Béatrice en déduisit qu’il faudrait absolument qu’elle y retourne avec Joseph dès le lendemain à la première heure, avant que la demoiselle ne file une nouvelle fois.  

Ils se mirent donc en route avant le lever du jour. Lorsqu’ils arrivèrent en vue des premières maisons il faisait déjà assez clair pour qu’ils voient de loin un garçon sortir de la maisonnette. Le gamin avait vu le geste de Joseph et détalait sans plus de manière.

- Tu l’as vu Mama ?

- Oui, c’est le petit vacher que j’ai déjà vu hier. Il semble pressé de retrouver ses vaches.

La petite vieille lapait sa soupe dans laquelle trempaient quelques morceaux de pain. Pour les faire entrer dans sa bouche édentée elle les poussait avec son index crasseux. Les fanes de fèves à ses pieds n’avaient pas bougé, tout était comme la veille, y compris la poule et cette horrible odeur. La misère de cette femme, matérielle, mais aussi intellectuelle et probablement morale, horrifiait Béatrice. 

Elle se demandait comment un être humain pouvait atteindre une telle déchéance. Mais dans l’immédiat elle se trouvait confrontée à un autre problème et elle préféra remettre à plus tard ses réflexions philosophiques.

La fille n’était pas là et comment faire parler la vieille ? Entre deux lapées elle jetait un coup d’œil furtif à Béatrice. Lorsqu’elle eut vidé son écuelle elle se tourna vers Joseph et lui fit signe d’approcher. Elle tendit son visage pour mieux le dévisager, puis poussa un grognement, qui voulait sans doute dire : Je ne le connais pas celui-là ! Béatrice posa devant la vieille une petite pièce d’argent et expliqua à Joseph ce qu’il devait demander. A peine avait-elle détourné son regard de la pièce avait disparu. Ah ! Voilà donc un point auquel elle était sensible. Béatrice lui présenta sa main, paume ouverte, avec une autre petite pièce, mais cette fois-ci ne la quitta pas des yeux, prête à refermer la main. Joseph posa ses questions. Comme la femme ne répondait pas Béatrice referma la main et fit mine de ranger la pièce. A ce moment se produisit le même phénomène que la veille. L’éclipse de la lumière. Béatrice se précipita dehors et revint un instant plus tard en tenant le petit vacher par le bras. Immédiatement elle comprit qu’elle s’était laissé berner. Les vêtements que le gamin portait étaient beaucoup trop grands pour lui.

- Où est-elle ? Joseph demande à la vieille où est partie la fille.

La vieille ne répondit pas. Alors Béatrice ouvrit sa main et présenta la pièce d’argent au garçon. La vieille se redressa d’un bond et voulut se saisir de la pièce, mais Béatrice avait été plus rapide qu’elle.

- Joseph redemande lui et dit lui bien que la pièce sera pour celui qui répondra à mes questions.

Et Béatrice tourna son regard vers le petit vacher. La vieille voyait déjà la pièce passer dans la main du garçon. Elle se récria, non, non, elle allait parler. Mais finalement elle n’avait pas grand-chose à dire si non que la fille avait peur, mais elle ne savait pas de quoi, ni ce qu’elle faisait durant la journée. Béatrice réfléchit.

- Joseph dis-lui que nous venons de la part de sa sœur Babette qui veut la voir.

La femme haussa d’abord les épaules puis jetant un coup d’œil à la pièce qui reluisait dans la main de Béatrice promit de parler à Ursi de leur visite, alors Béatrice lui donna la pièce et lui en promit une autre quand elle aurait vu la jeune fille. S’adressant au gamin elle lui montra une pièce de cuivre. Celle-ci serait pour lui s’il les conduisait rapidement à l’endroit où il devait récupérer ses vêtements.  Le gamin se mit à pleurer parce qu’il venait de comprendre que la garce avait filé avec ses vêtements sur le dos sans l’intention de les lui rendre, d’un geste il désigna ceux de la fille roulée en boule dans un coin. Béatrice défit le paquet et examina les vêtements. Mais ils ne contenaient pas le carnet. Elle se retourna vers le gamin et lui fit demander par Joseph si lui avait connaissance du carnet noir. Il secoua la tête. Non il ne savait rien. La vieille suivait attentivement ce qui se disait, elle s’agita comme un chien qui sent un os qui pourrait bien être pour lui. Savait-elle où est le carnet, elle répondit l’avoir vu, mais que la petite l’avait caché, elle ne savait pas où.   Béatrice et Joseph attendirent une bonne partie de la matinée mais ce fut en vain, la jeune fille ne se montra pas, ni ce jour-là ni le lendemain. Babette était de plus en plus inquiète pour sa sœur et après deux jours d’attente elle n’y tint plus, elle décida qu’elle irait elle-même voir la grand-mère et la ferait parler. Elle avait encore quelques douleurs et du mal à faire certains mouvements, mais était persuadé de pouvoir faire ce chemin jusqu’à Gundeldingen. A présent unies par un même intérêt les deux jeunes femmes s’entendaient de mieux en mieux et pour se comprendre utilisaient une espèce de sabir, mélange de français et de dialecte alémanique agrémenté de signes et de gestes que toutes deux arrivaient à comprendre.

Babette se fatiguait facilement et la moindre côte à monter l’épuisait ce qui fit que lorsqu’elles arrivèrent au village la journée était déjà bien entamée. Elles trouvèrent la petite vieille derrière la maison dans son minuscule potager, toujours accompagné de sa poule, occupée à arracher les dernières fanes de fèves. Elle reconnut immédiatement Béatrice, quand à reconnaître Babette elle semblait d’abords avoir quelques hésitations, mais finalement fit le lien avec Ursi. Babette ouvrit son ballot et en tira du pain un fromage et un saucisson, ce qui eut pour effet immédiat de délier la langue de la vieille. Faisant mine de leur révéler un grand secret, elle expliqua qu’Ursi était partie à la recherche d’une espèce de sorcière qui pourrait la délivrer de son tourment. Dans son insouciance juvénile la jeune fille s’était laissé séduire par un démon ou peut-être même par le diable en personne. Lorsqu’elle s’était rendue compte de sa méprise, car le démon avait pris figure humaine, il était trop tard.  Il avait déjà introduit le serpent dans son ventre. Elle l’avait bien senti pénétré en elle et après qu’il se soit tortillé et qu’il ait poussé des grognements de satisfaction il avait prononcé des paroles, qu’elle ne comprenait pas, sans doute de sorcellerie pour faire d’elle Sa chose.  Le serpent était à présent en elle et se lovait dans son ventre. Lorsqu’elle prit conscience de ce qui lui arrivait elle fut prise de panique, elle était terrifiée à l’idée d’être l’esclave du diable.  Elle n’en dormait plus, n’en mangeait plus et était prête à tout pour en être libérée.  Alors en désespoir de cause la vieille lui avait parlé de cette sorcière et voilà qu’elle était partie à sa recherche. Mais la vieille se demandait comment Ursi se débrouillerait pour trouver l’argent pour payer la sorcière qui avait prise sur le diable et elle jeta un coup d’œil significatif à Béatrice.  La petite prétendait avoir quelque chose à vendre et que plusieurs hommes étaient morts pour ce qu’elle avait. En entendant ces explications Béatrice comprit qu'il devait s'agir du carnet de son père.

 

Sur le chemin du retour Béatrice réfléchissait à la suite à donner à ces informations. Ce fut Babette qui le rompit le silence.  Persuadé que Béatrice, puisqu'elle savait soigner des maladies, avait des pouvoirs sur le démon, la suppliait de délivrer sa petite sœur de son  emprises. Béatrice se garda bien de la détromper, et ne cessait de lui répéter que pour lui venir en aide il fallait qu’elle retrouve et parle à sa sœur.

 

Maître Colas avant de rentrer avait fait un petit crochet du côté de l’ancienne auberge où Rodolphe et Catherine avaient pris leurs quartiers. Dès son entrée Catherine vint à sa rencontre, pour faire avec lui le point sur la situation. Ici tout était rentré dans l’ordre et les affaires avaient repris de plus belle. Elsie était revenue sans son souteneur, quand à Nelly, durant son absence, elle avait été réglé un compte qui lui tenait à cœur, elle s’était occupée du borgne et l’avait envoyé rejoindre Coco nourrir les poissons.

A son retour, très sûre d’elle, elle avait avec Elsie précisé certaines conditions et repris les choses en mains.  Elle avait également fait à Catherine et Rodolphe des propositions qui leurs convenaient tout à fait. Tout était donc au mieux et la petite sœur de Babette n’avait plus rien à craindre du borgne. En entendant toutes ces bonnes nouvelles Colas se demandait s’il devait s’en réjouir, car au fond il ressentait tout de même une inquiétude sur la décision que prendrait Babette en apprenant ces nouvelles. A son retour il rapporta son entretien avec Catherine, mais prit la précaution de ne pas trop en dire. Bien sûr Babette ne comprenait pas tout ce qui se disait, mais elle comprit tout de même que le tortionnaire de sa sœur était mort et pour l’instant cela lui suffisait. Comme sa sœur elle était persuadée que le borgne n’était rien d’autre qu’un avatar de Satan.   Quand à Béatrice, elle eut une nuit très agitée. Entre cauchemar et veille elle ne cessait de penser à Ursi, cette fille qu'elle ne connaissait pas et dont elle aurait volontiers oublié l'existence si elle ne l'imaginait pas en possession du carnet tant convoité. Mais comment la retrouver ? La seule piste était cette sorcière. Au lever du jour Béatrice avait pris sa décision. Elle irait voir cette femme et trouverait Ursi.  Pour la trouver ses renseignements étaient bien maigres elle se voyait mal arriver dans ce village et aller de maisons en maisons demander qui était cette femme qui exorcise. En tous cas pour savoir il lui faudrait se rendre en Alsace. On disait qu’à présent la région était pacifiée, mais qu’il s’y trouvait toujours encore des bandes de brigands. Il fallait donc qu’elle parvienne à convaincre Mathias de l’accompagner. Elle disposait d’un argument de poids : Récupérer ce carnet noir, qui pour Mathias contenait le secret des alchimistes.  

 

En route ils avaient imaginé tous les scénarios possibles pour découvrir qui était et où se terrait cette femme qui disait avoir prise sur le diable. Mais une fois sur place ils durent se rendre à l’évidence, ils avaient oublié l’essentiel : Les effets de la guerre. Dès l’entrée du village, sur le bord du ruisseau se dressaient ce qui restait d’une grande maison avec ces dépendances, ruinés par un incendie. Un mur, en partie éboulé, entourait ce qui avait été un verger. Ils menèrent leurs chevaux jusqu’au bord de l’eau. Sous les vieux saules l’eau bondissait gaîment par-dessus les restes d’une digue qui avant l’incendie avait dû canaliser son courant vers la roue d’un moulin. Les ronces et les buissons prenaient vaillamment possession de l’espace qui leur était abandonné. Plus loin, bien que les maisons restées encore debout étaient visiblement habitées, l’agglomération semblait déserte. Pas une voix, pas de cris d’enfants, pas une enclume qui résonna sous les coups de marteau. Tout était silencieux. Sans doute les habitants se terraient-ils chez eux dans la crainte tout en observant sans faire de bruit ces étrangers. Le village s’étirait tout le long du ruisseau. Soudain les bêlements d’une chevrette rompirent cette quiétude. Elle avait dû réussir à échapper à l’attention de son gardien, probablement embusquée non loin dans un fourré. Une petite voix commença par l’appeler par des : Pschitt ! Pschitt ! Mais l’animal trop heureux d’avoir réussi à lui jouer un mauvais tour ne semblait pas vouloir entendre et s’approchait par petits bonds des chevaux. Béatrice s’accroupit et lui tendant une touffe d’herbe l’appela : Pschitt ! Pschitt ! L’espiègle animal vint gambader autour d’elle, tout en agitant fébrilement sa queue blanche : Viens Pschitt ! Viens ! Béatrice crut pouvoir l’attraper et fit un bond, mais la chevrette était plus rapide qu’elle et la jeune femme s’étala de tout son long. De derrière le buisson jaillit un rire cristallin, suivi d’un appel : Pschitt ! Les cabrioles de l’animal et le rire enfantin étaient parvenu à chasser la tristesse de l’endroit. Mais l’animal n’était décidément pas disposé à entendre les appels. Après une nouvelle tentative Béatrice parvint à la saisir par une patte. Mais la petite chèvre se débattait vaillamment. Tout en l’enserrant dans ses bras, Béatrice appela l’enfant. Une tête blonde, hésitante, finit par émergée de derrière le buisson. Puis ce fut un bras tenant un bout de corde et bientôt rassuré par la voix de Béatrice l’ensemble d’une petite fille se dégagea d’entre le feuillage.  Elle était aussi crasseuse qu’apeurée. Tout en restant attentive aux gestes de ces étrangers, elle se saisit de l’animal et lui passa la corde autour du cou, ce qui ne semblait pas du tout du goût de la petite sauvageonne. Béatrice continuait de tenir l’animal. La fillette lui jeta un coup d’œil et se mit à tirer sur la corde.

- Attends ! Je cherche grosses Mädchen. Madel, Ursi, tu connais ?

L’enfant continuait à tirer sur la corde.

- Mathias donne lui un bout de pain et du fromage. Je pense que ça va lui délier la langue.

- Tu ne m’as pas dit qu’elle s’était habillée en garçon ?

La fillette s’était saisie du pain et du fromage et y mordait à belle dents.

- Du papa, mama ?

- Na! Isch haup kah Maume! Awer T’Maume vum Hüss!

- Ah ! je ne comprends pas, elle dit non quand je demande après son papa ou sa maman, mais semble parler de quelqu’un d’autre, probablement une grand-mère ou une tante.

Le pain et le fromage engloutis, Mathias lui tendit une pomme, qu’elle saisit sans hésiter. Si le contacte était établi, ce n’était pourtant pas encore la confiance, la petite continuait tout en croquant la pomme à tirer la corde de la petite chèvre. Béatrice la lâcha. La fillette fit un bon en arrière. Mathias fouillait dans son sac comme s’il cherchait encore quelque chose à lui donner. Elle le regarda et attendit. Alors Béatrice lui fit comprendre quelle voulait voir sa maison. Mathias restait avec la main dans son sac et la regardait, interrogatif, alors que fait-on à présent ?

- Ta maison ?  Du Hauss ?

La fillette fit une grimace, réfléchit un instant, scrutant leurs visages, puis acquiesça de la tête et leur fit signe de la suivre. Elle fit trois pas, puis tendit la corde à Béatrice et en quelques bons disparut derrière le buisson, lorsqu’elle en ressortit elle traînait plus qu’elle ne portait un énorme panier, presque aussi grand qu’elle, qui contenait de l’herbe. Mathias par des gestes lui demanda si c’était pour la chevrette. Elle fit signe que non, c’était pour la maison. Béatrice y regardait avec plus d’attention. Ce n’était pas du fourrage, mais des plantes médicinales par paquets bien distincts.

- Il me semble que nous ayons frappé à la bonne porte !

Ils remontèrent la rue, contournèrent l’église et s’arrêtèrent devant une maison, qui sans être grande avait du caractère, probablement le presbytère. La petite monta les trois marches et sur la pointe des pieds, tendant le bras, s’apprêtait à soulever le heurtoir, mais stoppa son geste, se retourna et fit signe à Mathias de déposer le grand panier devant la porte, y jeta un coup d’œil d’inspection puis regarda ses mains sales, fit une grimace et enfin frappa. La porte s’ouvrit sur une jeune fille, vêtue sans prétention, mais correctement, les cheveux bien tirés, sous un petit bonnet et des chaussures aux pieds. La gamine s’adressa à elle dans la langue locale, mais visiblement parlait d’eux en précisant qu’ils parlaient le français. La jeune fille tira à elle le panier l’inspecta et le fit passer par la porte.

En souriant elle dit quelques mots à la fillette qui s’éloigna avec sa petite chèvre. Mathias s’apprêtait à la suivre, mais Béatrice le retint car la jeune fille leur avait fait signe d’attendre. Ils n’eurent pas longtemps à patienter, une femme d’une quarantaine d’années, aux traits réguliers, se tenant bien droite pleine de grâces, et affichant un air sérieux, pourtant sans sévérité, s’avança sur le perron.

- Bonjour, monsieur, madame, que puis-je pour vous ?

Ah ! Elle parlait le français, ce qui ne gomma pourtant en rien son air distant, que l’on devinait inquiet.

- Excusez-nous madame, nous passion le long du ruisseau et avons vu cet enfant cueillir des simples, comme je m’intéresse à leurs propriétés curatives je souhaitais rencontrer celle pour qui elle faisait cette cueillette afin de me renseigner sur leur usage. 

- Je vois ! Eh bien… attendez un instant, je vous envois quelqu’un pour s’occuper de vos montures.

 Deux jeunes filles vêtues de grands tabliers vinrent prendre les chevaux et le couple fut invité à entrer. La maison était le reflet de l’hôtesse. Bien tenue, avec une évidente rigueur. Ils furent invités à prendre place dans une pièce meublée modestement, qui selon son apparence devait servir de salon, de bureau et à d’autres usages pas très bien définis.

Leur hôtesse interroge Béatrice sur ses motivations. Béatrice s'expliqua en toute franchise. Ce qui l’intéressait surtout était les maladies liées à la maternité.

Dérèglements des cycles, infécondité, et maladies après accouchement. La femme secoua la tête d’un air pensif puis se tourna vers Mathias et lui adressa un regard pénétrant. Béatrice comprit que leur hôtesse n’envisageait pas de parler de choses qui relevaient de l’intimité des femmes en présence d’un homme, et proposa que Mathias aille voir après leurs montures pendant que les femmes s’entretiendraient de choses qui ne l’intéressaient ni ne le concernaient.

- Mais pourquoi vous intéressez-vous plus particulièrement à ce sujet ?

- La science populaire est très largement entachée de superstitions et celle réservé aux clercs, ne concerne pas les problèmes particuliers à la féminité.  J’ai donc décidé de courir les villages et d’interroger les unes et les autres sur ce qu’elles ont appris par expérience propre ou ce qui leur a été transmis.

Et c’est le hasard qui m’a amené chez vous.

- C’est très intéressant, vous avez sans doute fait des rencontres très intéressantes et instructives et je dois avouer que je vous envie un peu, car je n’ai pas eu votre chance. Dès ma naissance je fus confiée à un couvent, et mon destin était tout tracé puisque dans ce couvent on accueillait des

femmes nobles qui cachaient leur grossesse et venaient là pour accoucher et y laisser leur enfant. Une fois en âge de comprendre, la sœur qui se consacrait aux soins médicaux des mamans comme des nourrissons prenant de l’âge, je fus désignée pour la seconder ou plus précisément la servir.

Ces présentations faites s’installa entre les deux femmes une espèce de connivence et elles purent parler en toute liberté des choses qui les intéressaient. Elles parlèrent du dérèglement du cycle menstruel et des douleurs occasionnées par celui-ci, des relations sexuelles et des maladies qui y sont liées, des accidents de l’accouchement et encore de bien d’autres maladies en rapport avec lamaternité.

- Ne trouvez-vous pas injuste que Dieu nous ait créé aussi vulnérables ?