La Hérisson by Bernard Amschler - HTML preview

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Chapitre 24

La Révélation.

 

- Voudriez-vous dire que Dieu serait injuste ?

Et Béatrice éclata de rire.

- Pensez-vous qu’il s’agisse d’un blasphème que d’oser dire ce qu’il arrive à toutes les femmes de penser ?  Allons Anne, cessons ce jeu puéril, voudriezvous me faire croire que ces pensées ne vous ont jamais effleuré ? Allons donc bien sûr que si !

- Oui en effet, mais …Je dois avouer que je suis très gênée…oui, souvent je me demande pourquoi on imagine spontanément que Dieu soit masculin ? Les anges seraient sans sexe et Dieu lui serait masculin, cela paraît absurde, non ?

 

- Oui ! Oui ! Je suis persuadée que ce sont les hommes qui ont organisé le monde pour nous faire croire que Dieu est comme un père qui préfère ses fils à ses filles. Ce monde est organisé pour que nous les femmes nous sentions toujours coupable de quelque chose.

- Oui à ce sujet J’ai été amenée à faire une expérience intéressante sur ce refoulement dû à notre éducation. Tenez, voulez-vous que nous tentions une expérience ? Allons, dites oui ! Comme moi vous êtes d’une nature curieuse et si vous ne le faites pas, maintenant que je vous en ai parlé, vous ne cesserez d’y penser et de le regrettez. Voilà ce que je vous propose, je vous prépare une infusion, vous la buvez, vous tomberez dans un court, mais profond sommeil. Vous ferez des rêves qui vous révéleront à vous-même. Ensuite nous en parlerons. Vous n’avez rien à craindre, croyez-moi sur parole.

Béatrice hésitait, elle connaissait à peine cette femme, pouvait-elle lui faire une confiance aveugle ? Indiscutablement elle ressentait pour elle de la sympathie, ce qui semblait réciproque mais cela suffisait-il ?

Elle regarda Béatrice avec insistance, attendant une réponse.

- C’est sans doute intéressant, mais pouvez-vous m’en dire un peu plus sur les effets de cette …préparation ?

- Il s’agit de…

Subitement une grande émotion semblait l’agiter, son regard s’était troublée et elle avait tourné la tête pour se dérobée au regard de Béatrice. Leur conversation fut interrompue par l’arrivée de Mathias et de la jeune fille qui lui servait de guide.

- Ma mère, je crois que nous venons, grâce à monsieur, d’élucidé le mystère de la jeune fille habillée en garçon.

- C’est vrai Mathias ? Tu as retrouvé la sœur de Babette ?

- Je crois bien que oui !

- Oh que Dieu soit loué ! Nous allons peut-être enfin savoir de quoi souffre cette enfant. On nous l’a amenée délirante et avec une forte fièvre.

La ressemblance avec Babette était frappante. Pendant qu’Anne et la jeune fille s’activaient autour d’Ursi, Béatrice prit Mathias à part et lui dit en quelques mots ce que lui proposait Anne. Cette expérience avec cette femme réputée se mesurer avec Satan lui paraissait extrêmement dangereuse. Mais il était déjà trop tard, Mathias eut beau mettre Béatrice en garde, elle avait déjà pris sa décision, elle voulait savoir et se soumettrait à l’expérience.

Après avoir bu la préparation qu’Anne lui présentait, Béatrice tomba d’abord dans une douce somnolence. Elle ne sentait plus ses membres, c’était agréable, elle se détendit. Elle entendait distinctement Anne lui parler d’une voix douce et mélodieuse, et lentement elle sombra dans un profond sommeil. Anne restait assise à ses côtés et lui tenait la main, comme pour la rassurer, mais en même temps elle surveillait le fluide de vie qui circulait à travers le corps de Béatrice.

 

Mathias irrité par l’attitude de sa femme était retourné voir Ursi. Elle était allongée dans un lit propre et semblait dormir, Ses vêtements de garçon étaient suspendus à un clou. Il aurait aimé les fouiller, pour voir s’il s’y trouvait le carnet noir. Mais une jeune fille l’accompagnait partout, comme pour le surveiller. C’était en tous cas de cette façon qu’il le ressentait. Pourtant elle prétendait être là pour lui tenir compagnie et répondre à ses questions, éventuelles. A l’écurie il retrouva la fillette avec Pschitt, sa petite chèvre. Elle avait rempli son tablier de pissenlits qu’elle distribuait généreusement aux chevaux, mais elle était toujours aussi sale et Mathias s’en étonna auprès de son guide. Avec un sourire la jeune fille lui expliqua que leur communauté était organisée selon le modèle de l’abbaye de Thélème et en avait adopté la règle : « Fais ce que tu voudras ». Mathias s’étonna qu’une telle règle puisse être en vigueur dans un établissement où l’on recueillait des jeunes filles et encore bien moins dans une abbaye. Il demanda donc quelques explications. Selon la demoiselle, dans cette abbaye, en application de la règle, on ne forçait jamais personne à faire quoi que ce soit qu’il ne souhaitait pas. Si la petite fille préférait rester sale on respectait sa volonté, mais elle ne pouvait pas manger avec les autres à table, ni dormir avec elles, non pas pour la punir, mais par respect des autres que cela pourrait incommoder. C’est ainsi que plutôt que d’imposer quelque chose, ici on l’amenait à découvrir par elle-même ce qui est bien et bon. La fillette qui venait d’arriver, n’éprouvait pas encore le besoin de vivre avec des camarades, alors on la laissait faire paître librement sa petite chèvre, mais pour manger elle devait en échange rapporter les plantes qu’on lui demandait de cueillir. De cette façon on lui faisait comprendre que la vie en société s’appuie sur la réciprocité.  Mathias qui jusque-là n’avait connu que des sociétés hiérarchisées, régies avec autorité, n’en revenait pas que l’on puisse éduquer des enfants de cette façon. Cette jeune fille qui lui servait de guide, qu’il avait commencé par considérer comme une de ces mouches qui ne cesse de tourner autour de vous en bourdonnant et dont il aurait aimé se débarrassé d’un revers de main, lui devenait à présent sympathique et il se développa même entre eux une espèce de camaraderie. La jeune fille lui raconta sa propre expérience. Lorsqu’elle s’était jointe à la communauté, au début elle refusait de se laver et de changer de vêtements parce qu’ils étaient pour elle le lien avec sa vie antérieure et qu’elle redoutait ce changement comme une rupture, une espèce de perte d’identité. Elle avait observée par la suite que pour certaines filles même l’ignorance fait partie de leur identité et qu’elles refusent d’en changer en s’instruisant. Ce ne fut heureusement pas son cas, elle avait très vite voulu connaître le nom des plantes qu’on lui demandait de rapporter et ensuite d’en déchiffrer le nom dans le grand herbier de la bibliothèque et c’est ainsi qu’elle avait appris à lire. C’est de cette façon qu’on les encourageait à progresser selon leur rythme et leurs capacités toutes personnelles.

- Vous avez sans doute remarqué que nous ne retenons et n’apprenons que ce qui nous intéresse, alors pourquoi perdre son temps à vouloir inculquer quelque chose qu’on s’empresserait d’oublier alors qu’avec cette méthode on éveille d’abord l’intérêt, pour y répondre ensuite.

 Mathias était subjugué par les réflexions aussi pertinentes que faisait une si jeune personne.     

Pendant que Mathias se laissait conduire à travers la maison et ses dépendances, Béatrice avait entamé une autre visite, une descente en elle-même. A une agréable sensation d’abandon, de liberté succéda un cauchemar, une véritable tempête se mit à l’agiter. Jusque-là elle était comme immatérielle, sans apparence, comme un fluide sans volonté propre, pareille à des volutes de fumée ou des nuages dans le ciel qui se laissait porté, poussée par le vent. Avec un sentiment d'inexistence et là, soudain, son environnement commença à tenter de lui donner une forme, de la contraindre dans un moule, à lui opposer une résistance.  Anne, à ses côtés, pouvait lire sur son visage la succession d’émotions que provoquaient ses sensations. Après cette parfaite sérénité du début soudain Béatrice s’était mise à se cambrer,  à gémir, puis à se débattre, à tenter de résister à une force invisible elle  poussait des cris violents, l’expression qui se peignait sur son visage était celle d'un refus, d'une révolte, elle semblait vouloir « Être » puis soudain elle se remettait  à gémir, à supplier, ses bras s'agitaient comme si elle cherchait à se délivrer d'une contrainte et sans transition adopter une attitude totalement contraire affichait une puissante sensualité, cherchait à saisir quelque chose qui lui échappait sans cesse. Son visage était devenu dure. Son visage changeait encore d’expression. Soudain un tourbillon semblait l’emporter et la propulser à travers l’espace. Elle avait perdu pied, elle s’agitait cherchant quelque chose de stable à quoi s’agripper. Elle respirait comme un poisson hors de son élément puis agitait les bras cherchant un rythme, une harmonie comme pour une danse lascive et semblait virevolter comme une plume emportée par une douce brise. Mais elle ÉTAIT et elle en avait parfaitement conscience, mais pour cela il lui fallait déployer une Énergie et pour créer, produire être cette Énergie il lui fallait être double, en mouvement entre le Plus et le Moins. Le Bien et le Mal, le fécondant et le fécondé. Elle se voyait chuté, non plonger, avec délice dans la fange dans l'abjection du Mal d'où elle était propulsée dans le sublime Bien qui l'écrasait de sa magnificence. Mais que lui importait puisqu'elle Était, elle Était le Tout le noir et le blanc le feu et la glace la lumière et les ténèbres, elle riait aux éclats et hurlai de douleur. Mais elle Était, oui elle était tout cela et surtout elle était ELLE.  Lorsqu’en fin ces hallucinations lentement se dissipèrent, que les images se fondirent dans l'informé comme la brume par la douce chaleur du soleil levant, Béatrice, encore frémissante, se retrouva de nouveau dans cette espèce de néant, elle n’était plus, elle n’avait plus de corps ou ne l’avait pas encore retrouvé. Elle n’était plus en sommeil ni encore éveillée, elle cherchait, les yeux obstinément clos, à échapper ou à rattraper ce rêve où se mêlaient la volupté, la jouissance la plus indécente et les pires souffrances. Ses souvenirs s’entremêlaient et lorsque lentement ses idées se firent plus claires, plus ordonnées, elle en ressentit un grand bonheur elle avait compris qu'elle était tout cela.  Lorsque finalement ses paupières se soulevèrent et qu’un, bien que très faible, rayon de lumière l’éblouit elle les rabaissa vivement redoutant toute cette clarté. Ce fut en entendant une voix agréable lui parler avec douceur qu’elle se calma et rouvrit lentement les yeux, elle vit le visage d’une femme souriante, rassurante penchée sur elle. Il lui fallut encore un moment pour se souvenir de ce visage. En reprenant entièrement conscience des larmes coulèrent sur ses joues en feu. Anne lui demanda avec beaucoup de douceur si elle se souvenait de son rêve. Elle osa à peine lui avouer que ses dernières visions restaient claires dans sa mémoire

- Je vais vous laisser vous reposer un instant, essayez pendant ce temps de pénétrer le sens de tout cela.

 

Lorsque Béatrice fut seule, en se remémorant et avoir mis un peu d’ordre dans tout ce qui se bousculait dans sa tête, elle se demanda si ce rêve ne l’avait pas rendu plus lucide   Elle se souvint de ces fêtes païennes de Dionysos, le

« libérateur » qui sous l’effet du vin fait découvrir à ses adeptes leur « Moi » réel.

Dans son rêve, cette dualité de Dionysos et d’Apollon, qui se partage notre

« Moi », c’était révélé à elle.

 

Lorsque Anne revint, elle regarda Béatrice et lui posa dans un geste d’affection la main sur l’épaule.

- Rassurez-vous Béatrice je connais ce que vous ressentez en ce moment. Moi aussi j’ai eu les mêmes visions et ressenti les mêmes déchirements, oui ces émotions qui nous paraissent inavouables, que nous refusons d’admettre venir de nous. Et pourtant notre bestialité est une réalité. Regardez la nature, tout nous semble harmonieux et pourtant, si nous y regardons de plus près c’est une lutte acharnée, sans pitié, dépourvue de toute morale, pour la Vie. La Vie se nourrit de vie et non de morale. Notre humanité tient à très peu de chose. Voyez le cas de cette jeune fille, Ursi, j’ai été la voir, elle dort encore profondément et pour la soulager, il faudra que je comprenne ce qui fait souffrir son âme.  Vous m’avez parlé d’une histoire de serpent qui semble la terrorisée. Vous voyez là encore ce serpent représente pour elle cette frayeur que nous avons de nous-même en découvrant notre … animalité.

- Mais que peut-on y faire ?

- L’assumer tout simplement, tout en nous efforçant de la contrôler ! Voyez cette pauvre fille qui après avoir obéi à son instinct en fut ensuite terrifiée et a cherché à se déculpabilisé en s’inventant cette histoire de possession. C’est tout le temps la même chose, d’un côté la Nature et de l’autre Dieu.

- Je pense qu’elle craint d’être enceinte d’un monstre et que c’est pour ça qu’elle est venue vous voir.

- Non je pense qu’elle vient pour que je la délivre de ce monstre dont elle se croit habitée, elle a à présent peur de ses propres agissements. Ce monstre n’est autre que sa face sombre, celle à la découverte de laquelle vous êtes

allée dans votre rêve. Mais au fait ! Pourquoi étiez-vous à la recherche de cette fille ? Vous ne sembliez pourtant pas vraiment la connaître !

- Eh bien…Disons que c’est une autre histoire. Nous sommes à la recherche d’un carnet qui appartenait à mon père et selon toutes vraisemblances ce serait elle qui l’aurait.

- Un carnet !

La réaction de la mère du refuge fit battre le cœur de Béatrice plus fort et plus vite. Ce pourrait-il qu’elle ait trouvé ce carnet ?

- Vous savez que je suis prête à le racheter !

- A le racheter ? Il a donc de la valeur ?  Ou est-ce uniquement à vos yeux ?

- Oui, il a appartenu à mon père, il a donc pour moi une grande valeur sentimentale.

- Votre père semble avoir exercé une grande influence sur votre vie On venait de frapper à la porte.

- Ma mère ! La jeune fille a retrouvé ses sens et souhaiterait vous parler.  

Anne se tourna vers Béatrice.

- Vous venez ? Il est peut-être temps d’y voir plus clair.

Ursi était éveillée, mais très agitée. Anne s’était assise sur le rebord du lit et lui tapotait la main en lui parlant gentiment dans la langue locale. Ursi semblait rassurée et elles entamèrent un long dialogue. Béatrice et Mathias y assistaient sans trop comprendre, mais à un certain moment toutes les deux se tournèrent vers Béatrice et Ursi lui sourit.

- Je viens de lui dire que vous êtes les amies de sa sœur qui s’inquiète pour elle et vous a demandé de la retrouver. Je vous expliquerai le reste tout à l’heure. Souhaitez-vous que je lui dise quelque chose, ou lui demande quelque chose de particulier ?

Mathias voulait prendre la parole, mais Béatrice lui posa la main sur le bras.

- Dites-lui simplement que sa sœur se réjouira de la savoir entre de bonnes mains. Sa sœur a quitté l’auberge où elle travaillait et vit à présent avec nous à Bâle. Dites-lui aussi que dès qu’elle ira mieux elle pourra elle aussi venir chez nous vivre avec sa sœur.

- Je suis persuadée que ce que vous venez de dire l’aidera à guérir. Mais vous ne vouliez pas lui poser une question ?

La traduction fut faite et semblait effectivement réjouir Ursi, jusqu’au moment où Anne la questionna au sujet du carnet, là elle parut effrayée et se mit à pleurer.

Lorsqu’en fin elle eut retrouvé son calme, elle s’enquit d’abord du borgne, ce que Béatrice et Mathias devinèrent facilement lorsqu’elle se cacha un œil.

- Nous avons compris ! Dites-lui qu’il est mort et qu’elle n’a plus à s’inquiéter de lui. Par-contre pour le carnet ?

- Oui, je vous expliquerais plus-tard.

En effet après qu’Ursi eut reçu les soins qu’elle nécessitait la Mère et Béatrice purent reprendre leur conversation. Béatrice était tendue et avait hâte d’entendre ce qu’elle avait à lui dire au sujet de ce carnet. Mais d’un geste leur hôtesse remis à plus tard ses explications.

- Oui, oui le carnet, mais auparavant parlez-moi un peu de vous et de votre père, voulez-vous ?

Surprise qu’Anne en revienne à ce sujet Béatrice lui parla néanmoins de son enfance à Metz, de l’éducation que son père lui donna, de leur tentative de départ pour la Hollande, de l’éparpillement de leur famille, leurs retrouvailles avec son père et enfin comment il mourut.

Anne semblait troublée, elle demanda encore quelques précisions sur la physionomie de Jean Du Fossé, elle posa des questions qui étonnèrent encore d’avantage Béatrice. Elle demanda des précisions sur ses petites manies, ses amis, pour finalement lui déclarer qu’elle avait connu son père. Ils étaient amis depuis quelques années et chaque fois que Jean passait par Bâle il venait lui rendre visite. Béatrice en tombait des nues et resta un instant sans voix, mais elle se souvint qu’entre la visite de son père au camp rom et sa réapparition à Bâle il s’était passé quelques jours et qu’elle s’était toujours demandée où il avait bien pu passer pendant ce laps de temps. Depuis leurs retrouvailles chez le commandant des

Armoises elle lui découvrait des amitiés qu’elle n’aurait jamais soupçonnées. D’abord Hélène, une guérisseuse bossue, des Armoises, un grand seigneur, commandant dans l’armée de Lorraine, alors que son père détestait le duc Charles, c’était pour le moins curieux, et il y avait ces gitans et encore Jacobus, et Schudich et maintenant Anne, une religieuse catholique.

- Vous vous demandez naturellement qu’elles pouvaient être nos relations. Et je vous répondrais, qu’elles étaient purement amicales. C’est une espèce de fraternité intellectuelle ou disons plutôt spirituelle qui nous liait. Je peu d’ailleurs vous dire qu’il m’avait parlé de vous, et de votre mari, comme de votre fille. Votre père me parlait aussi des projets qu’il avait pour vous.

- Vous parlez sans doute du régiment ?

- Non, le régiment, ça c’était son grand souci. Non, non ce n'était pas cela il y avait autre chose qui lui tenait très à cœur. -  Cela a-t-il un rapport avec ce carnet noir ?

- Ah oui ! Le carnet noir. Hélas la petite m’a expliqué que ce carnet avait coûté bien des tracas et probablement plusieurs vies humaines. Lorsqu’elle s’en était emparée, c’était avec l’idée d’en tirer un peu d’argent, mais très vite elle avait réalisé qu’il représentait pour elle un bien trop grand danger. Certaines personnes pour le récupérer étaient prêtes à tout, alors elle a préféré le détruire.

Béatrice et Mathias se regardaient très désappointés.

- Mais ne soyez pas aussi dépités. Je vais vous dire l’essentiel de ce qu’il pouvait contenir vous concernant. Votre père souhaitait ardemment que vous vous rendiez à Calw en Forêt Noire, en Allemagne donc, et ceci pour une date bien précise : Le jour de la Pentecôte.

- Mais que devons-nous allez faire là-bas ? Nous avons déjà été du côté de Freiburg en Breisgau et au souvenir de ce que nous y avons vécu, je n’ai aucune envie d’y retourner.

- Mais qu’est-ce que tu racontes Mathias ?

- Comment ? Tu ne te souviens donc plus ? Ce passeur et l’autre qui voulait nous dévaliser ! Et c’était pourtant aussi là qu’ont commencé nos ennuies avec ce médecin maudit, ne me dis pas que tu as oublié !

- Oui bon ! Il faut que je vous explique Anne, j’attendais d’ailleurs l’occasion de vous en parler. Là-bas à Freiburg j’ai fait la connaissance d’un jeune médecin, fraîchement diplômé de la faculté de Bâle qui s’intéressait particulièrement aux organes de la reproduction. D’abord des animaux et ensuite des êtres humains. Mon mari lui a donné l’épithète de « Maudit » parce que pour ses études il n’a pas hésité à sacrifier une bonne dizaine de femmes, afin d’en étudier les organes à différents âges et stades de leur grossesse. Il a pris des notes d’une grande précision et réalisé des dessins dignes de Léonardo da Vinci. Et je dois avouer que, malgré ma répugnance pour sa méthode, grâce à lui j’ai beaucoup appris.

- Vous avez donc vu ses notes et dessins ?

- Oui je les ai vus et lus.  

- Est-ce possible, mon dieu ! C’est fantastique ! Mais dites-moi est-ce que cela vous permet de comprendre comment tout cela fonctionne ? Et où peuton les consulter ?

- Oui, oui il est très explicite ! Actuellement elles sont chez un professeur de Bâle, mais je doute qu’il envisage de les publier. Les croquis et notes sont trop précis pour que l’on puisse douter qu’il les ait réalisés d’après des victimes éventrées à cette fin.

- Cela permet-il aussi de comprendre l’origine de certaines maladies et l’infécondité de certaines femmes ?

- Je pense que… Oui je pense que l’on peut essayez de comprendre d’après ce qu’ils nous révèlent !  

- Vous vous rendez compte qu’enfin on pourrait comprendre ! Il faut que je voie cela et que je voie ce qu’on peut en tirer pour soigner toutes ces femmes en mal d’enfants.

Mathias était profondément choqué qu’à aucun moment ne fut prononcé le moindre mot de compassion pour les victimes. Seul comptait pour elles de pénétrer le grand mystère de la vie et ce qu’elles pourraient en faire. Béatrice ne venait-elle pas de lui donner l’idée d’en faire autant ? Toutes ces pauvres filles qui se réfugiaient auprès d’elle, pour trouver de l’aide, n’allaient-elles pas finir découpées pour satisfaire cette curiosité malsaine. Pourquoi Béatrice n’arrivaitelle pas à maîtriser sa langue et ce maudit médecin, au travers de sa femme, n’allait-il pas faire un disciple.

- Bon ! C’est bien ! Tu es contente ! Tu as trouvé quelqu’un comme toi pour qui les vies d’innocents ne comptent pour rien. Bon, mais il ne s'agit pas de cela, il me semble que dans ce carnet tu espérais trouver des informations concernant l’identité de ceux qui financent ce régiment suisse.

Anne et Béatrice se regardaient d’abord surprises par le ton qu’employait Mathias, puis très mal à l’aise. Alors Ann, pour atténuer l’effet produit, s’empressa de répondre à la question.

- Ah oui ! Ce régiment ! Il lui en a coûté du souci et bien des nuits blanches, vous savez !

- Et probablement la vie !

Béatrice jeta un coup d’œil furtif à son mari.

- Oh mon Dieu ! C’est terrible ! Je l’avais mis en garde, je lui avais dit et répété que cette affaire était une erreur qui ne lui attirerait que des ennuis. Et pourquoi ? Pour cette faible satisfaction morale ! Quelle horreur ! Et comme c’est stupide, vous savez que dans toute cette affaire il n’était qu’un prête nom, c’est tout.

- Attendez ! Vous voulez dire que ce n’est pas Son régiment et que Sa fille n’a rien à voir avec tout ça ?

- Oui évidemment ! Oui c’est tout à fait ça ! Vous n’êtes pas du tout concerné. Il leur fallait un nom, un représentant, quelqu’un pour signer et votre père voulait un peu se venger en obligeant le roi de France et son ministre, le cardinal, de signer ce contrat à côté du nom d’un huguenot proscrit et vous n'avez strictement rien à voir avec tout ça.

 

Toutes ces informations irritaient profondément Mathias. Il était terriblement contrarié par ces explications qui décourageaient tous ses espoirs. Cette Anne affirmait que le carnet, où Mathias espérait trouver des réponses à ces rêves de faiseur d’or, avait été détruit, mais qu’est-ce qui le prouvait ?  Elle était en train de les emberlificoter. En tous cas lui était lucide et devait arracher Béatrice des griffes de cette sorcière. Il fallait quitter sans tarder cet endroit. D’ailleurs le soleil était déjà bien bas et une fois la nuit tombée, une fois le monde des vivants plongé dans les ténèbres Satan serait le maître. Il fallait qu’il hâte leur départ. Il était grand temps, alors que sa femme continuait à bavarder.  A force de faire et de la presser, Béatrice finit par se décider et au moment de se mettre en selle, elle eut un étourdissement et s’effondra pour s’allonger de tout son long. Mathias était furieux et pensait qu’elle allait se relever, mais elle restait étendue inerte. Anne et les deux filles qui avaient amenées les chevaux, sentant l’irritation du mari, restaient planté là, effrayées, sans un geste. Mathias bondit à terre. Tout le sang de Béatrice avait reflué de son visage devenu de cire. Bouleversé il souleva sa femme, la serra dans ses bras, alternant les baisées et les signe de croix sur son front

- Béatrice ma chérie ! Béatrice ! Je t’en supplie ne t’en va pas, reste avec     moi, pense à   Henriette, à Joseph ils ont, eux aussi, besoin de toi.

- Oh Mathias, je ne me sens pas bien !

- Attendez Monsieur Mathias, nous allons la transporter à l’intérieure et l’allonger.

- Ne la touchez pas vous ! Tout ça c’est de votre faute !

 

Mathias regardait autour de lui d’un air hébété. Béatrice venait de rouvrir les yeux et s’agrippait au bras de son mari.

Mais elle ne tenait pas sur ses jambes et faillit retomber à terre. Mathias la tenait sous les aisselles, mais elle glissait vers le sol.

Il la tenait serrée contre lui et du regard interdisait qu’on l’approche Anne s’était approchée et Béatrice tendait la main vers elle comme pour lui demander du secours. Le pauvre homme complètement désemparé, fou de rage et d’inquiétude bondit sur son cheval, avec l’idée d’aller chercher de l’aide. De l’aide il ne savait où, mais il fallait qu’il entreprenne quelque chose pour arracher Béatrice à ce repaire de sorcières.

Il laissa les femmes s’occuper d’elle, mais pointant un doigt accusateur vers Anne et s’écria :

- Je reviendrais la chercher !

 

 Au cours de la journée le ciel s’était couvert et à présent de sinistres nuages gris, tirant sur le violet obscurcissaient le ciel. Alors que Mathias galopait vers Bâle soudain le vent grossi et fit plier la cime des arbres, souleva des nuages de poussière et brutalement comme elle avait débuté sa furie cessa pour céder la place à des torrents d’eau. Mathias plié sur l’encolure de son cheval continuait sa folle course. Dans sa hâte il n’avait pas pensé à se couvrir de sa grande cape. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire il fut trempé jusqu’aux os. Cette douche aussi soudaine que froide calma son emportement. Là soudain il prit conscience de la réalité de la situation. Il s'était senti humilié et se croyait victime d'une coalition féminine. A présent il se reprochait son départ précipité. Les sabots de son cheval faisaient gicler l’eau des flaques grandes comme des mares qui inondait maintenant la route. Béatrice était indiscutablement mieux au Refuge bien au sec et à l’abri, d’autre part, là-bas à Bâle les enfants devaient attendre leur retour et son père et Babette s’inquiéter. Il remit son cheval au galop et lorsqu’en fin il arriva en vue de la ville, il dût encore le presser car on s’apprêtait à fermer les portes. Dès son entrée les enfants se jetèrent dans ses bras, mais leurs premiers mots furent pour demander où était leur maman. Il trouva à peine la force de donner quelques vagues explications à son père et de dire à Babette qu’ils avaient retrouvés sa sœur. Colas le regardait sans rien dire, le voyant tout dégoulinant d’eau il se limita à secouer gravement la tête. A présent, là au chaud parmi les siens, il retrouva un peu de calme. Une fois allongé sur sa couche, dans l’obscurité sa main cherchait cette présence qui lui était tellement familière et qui à présent lui manquait cruellement. Il prit conscience que ce qui rongeait son cœur n'était rien d'autre que la jalousie. Jalousie d’une amitié naissante entre Béatrice et cette femme. De toute la nuit il ne trouva le sommeil. Comment faire pour garder la confiance de Béatrice et gagner l’estime d’Anne ? Il se tourna et se retourna sur sa couche tout en essayant de trouver une réponse. Petit à petit dans son esprit une idée prit forme. Les notes et croquis de Palache visiblement intéressaient beaucoup la nouvelle amie de Béatrice, peut-être devrait-il les lui apporter. Oui ! Avec ça aucune des deux ne penserait plus à ses propos fous de la veille. En fouillant un peu dans les affaires de Béatrice il trouva le manuscrit. Avant le lever du jour, sans faire de bruit il se gl