Le Bois sec Refleuri by Tr. Hong Tjyong-ou - HTML preview

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PRÉFACE

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« Quoique située entre deux mers fréquentées, et aperçue chaque année par des milliers de navigateurs, la Corée est un des pays les moins explorés ». Rien de plus vrai que ces lignes d’Elisée Reclus. Il n’est pas, jusqu’à l’appellation de Corée, qui ne soit inexacte — aujourd'hui du moins — appliquée à notre pays. Ce nom de Corée, fut, selon toute probabilité, introduit en Europe par Marco-Polo. A l’époque où le célèbre, voyageur était à la cour de Koubilaï Khan, le vocable « Corée », désignait encore une partie de la presqu’île, que les Européens dénomment toujours de même. Au XIVe siècle, à la suite d’événements qu’il serait trop long de relater ici, la Corée prit le nom de Tcio-shen « Sérénité du matin », qui est le seul employé aujourd’hui par les habitants du pays.

Je ne m’étonne pas outre mesure, du peu de progrès qu’on a fait en Europe, en ce qui concerne la connaissance de ma patrie. Jusqu’au XVIIe siècle, la Corée était représentée sur les cartes comme une île. Cette ignorance est due à bien des causes, dont la principale est, je l’avoue humblement, le peu d’empressement que nous avons témoigné, jusqu’à ces derniers temps, d’entrer en contact avec la civilisation occidentale. «Il est de tradition constante», dit encore Elisée Reclus, « chez les Coréens, de tenir l’étranger dans I’ignorance complète de leur pays ». Aujourd’hui nous commençons à nous départir de ce système, à l’exemple de nos voisins de l’Est, les Japonais. Il est vrai que nous n’allons pas si vite que ces derniers, car je suis, jusqu’ici, le premier Coréen qui soit venu en Europe. 

Le Tcio-shen présente un grand intérêt, non seulement au point de vue géographique, mais encore au point de vue politique. Sous le premier rapport, il est de tradition de comparer notre pays à l’Italie. Il y a en effet plusieurs points de ressemblance entre les deux contrées. Politiquement parlant, je rapprocherais plus volontiers la situation de la Corée, de celle de la péninsule des Balkhans. Elle est entourée de puissants voisins, dont deux, la Chine et le Japon, se sont à plusieurs reprises disputé la domination de notre pays, et dont le troisième, la Russie, pourra bien un jour, entrer en ligne à son tour. Un royaume qui excite tant de convoitises mérite d’être connu, et c’est pour cela que je me suis décidé à publier la, présente étude.

Il y a quelques mois, j’étais le collaborateur d’un écrivain français, M. Rosny, pour la traduction du roman coréen intitulé « Printemps parfumé ». Après la publication de ce livre, qui eut un assez grand succès, quelques lettrés français me demandèrent, s'il n’y avait pas parmi les monuments de notre vieille littérature, quelque roman digne d’être traduit. Pour répondre à leurs vœux, je donne aujourd'hui un de nos plus anciens romans, intitulé « le Bois sec refleuri ».

Nous ne connaissons ni l'auteur de cet ouvrage, ni l'époque où il a été composé. D’après les lettrés, ce roman était connu, sous la forme de pièce de théâtre, avant l’avènement (1392) de la dynastie actuelle au trône. Mais au moment de la formation du Tcio-shen, il y eut une querelle entre bouddhistes et philosophes.

Ce fut à ces derniers que l'avantage resta. Par esprit de réaction, les philosophes supprimèrent presque tous les monuments du théâtre coréen, en général imprégné d’idées bouddhiques. Il se pourrait que ce roman eut échappé à cette espèce de destruction littéraire.

Dans la préface qu’il a placée en tête de « Printemps parfumé » M. Rosny donne quelques indications sur les mœurs contemporaines de la Corée, presque sans parler de l’histoire de la péninsule. C’est pour compléter ces notes et pour satisfaire un certain nombre de chercheurs, que je vais résumer à grands traits l'histoire de notre pays.

Cette histoire se divise en un certain nombre de périodes très nettement délimitées, et coïncidant généralement avec un changement de dynastie. 

La première de ces périodes est toute légendaire. On la fait commencer avec l’année 2358 avant J.-C. Voici ce que dit la tradition à ce sujet: « Six ans après l’avènement de l’empereur de Chine, Yao, un saint vint s’établir sur le sommet de la montagne de Taihakou. Il ne tarda pas à être entouré d’un grand nombre d’indigènes, qui le vénérèrent comme leur souverain, et l’appelèrent Tankoun. Ce saint monarque vécut 1668 ans et disparut pour monter au ciel. » 

Quelle part de vérité y a-t-il dans cette légende ? On peut lire dans le Chou-King, un des livres sacrés, le passage suivant : « l'empereur Yao, ordonna à Ghi-Tciou, l’un des grands dignitaires de la cour, de se fixer sur une montagne située à l’Est de la capitale. C’était là que le soleil semblait se lever, et Ghi-Tciou, devait au nom de son maître, saluer respectueusement l’astre à son aurore. » Le même livre nous rapporte, que trois autres dignitaires furent envoyés aux trois autres points cardinaux. La montagne où s'établit Ghi-Tciou, pourrait très bien être le Tai-hakou où la légende fait vivre Tankoun. La situation est la même, et la date des deux événements, semble identique. On peut donc conclure avec assez de vraisemblance que Tankoun et Ghi-Tciou ne font qu’un seul et même personnage. La longueur extraordinaire de la vie de Tankoun est un fait assez commun dans les légendes de l’Extrême-Orient. Notre rapprochement, n’est qu’une hypothèse, disons-le en toute sincérité, car il n’existe ni texte ni monument qui viennent le confirmer. 

Avec la seconde période, s’ouvre l’ère vraiment historique de la Corée. C’est à cette époque que la péninsule commence à former un royaume spécial. Le dernier roi de la dynastie chinoise de Chang, se vit déposséder par un prince révolté du nom de Wou-Wang et mourut bientôt après. Il avait mené une vie de débauches, malgré les conseils de son oncle Ghi-si. Ce dernier ne voulait pas servir sous le nouveau maître de la Chine, qui de son côté ne tenait pas à conserver près de lui un homme dont la réputation eut porté ombrage à l’omnipotence royale. Pour se débarrasser de Ghi-si, Wou-Wang lui donna tout le territoire qui devait former plus tard la Corée. (1122 av. J.-C.). Ghi-si, suivi d’un certain nombre de savants, alla se fixer dans le pays qui lui était attribué. Il en fut le véritable souverain, tout en ne portant que le titre de vicomte. La civilisation chinoise fut introduite dans la péninsule, qui, sous l'administration bienfaisante de Ghi-si, devint bientôt très prospère. « Plus de voleurs » dit un historien chinois. « Telle était la sécurité qui régnait dans le pays, qu’on ne fermait plus les portes des maisons, la nuit. La protection de Ghi-si, s'étendait sur toute la contrée. » Ghi-si est donc le vrai fondateur du royaume de Corée.

Parmi les huit savants que Ghi-si avait amenés avec lui, en figurait un du nom de Hong. C'est le véritable ancêtre de la famille à laquelle j’appartiens. Les sept autres savants ont également aujourd’hui encore des descendants. Ces huit familles vivent dans la plus étroite intimité, comme si elles étaient liées par la parenté la plus rapprochée.

La dynastie fondée par Ghi-si eut une durée de dix siècles. A vrai dire, sa domination ne s’étendait que sur la moitié septentrionale de la Corée. La partie méridionale, connue sous le nom de Shim, était encore sauvage et presque ignorée. Le quarante et unième descendant de Ghi-si, Ghi-Joun, se proclama roi de la presqu'île tout entière. Mais, un prince chinois déclarant la guerre à Ghi-Joun, le chassa du territoire de ses pères. Ghi-Joun dut se réfugier précisément dans la partie de la Corée dont il s’était peu auparavant attribué la souveraineté. Sa position n’était pas désavantageuse, car le nombre de ses nouveaux sujets s’accroissait chaque jour par l’émigration chinoise. Celle-ci était due à ce fait, qu’à cette époque l’empereur de Chine Tsin-Chi-Hoang-Ti, avait décrété une corvée générale pour la construction de la grande muraille.»

Quant au vainqueur de Ghi-Joun, le prince Yei-man, il s’était proclamé souverain de la Corée septentrional. Son fils lui succéda sur le trône, mais son petit-fils You-Kio ne régna pas longtemps. Il fut attaqué par le quatrième empereur de la dynastie Chinoise de Han et dépouillé par lui. Cet empereur, homme d’une bravoure extraordinaire, lutta également contre les Huns qu’il refoula à l’Ouest. Son empire s'étendit jusqu’à la mer Caspienne. L’ancien royaume de Ghi-si, ne forma plus qu’une province du Céleste Empire (109 av. J.-C.) et son nom même disparut pour quelque temps.

Soixante douze ans après un étranger du nom de Co-Shou-mô, étant venu dans la partie septentrionale de la Corée, s’en empara et s’en proclama roi.

C’est avec Co-Shou-mô, fondateur d’une dynastie qui régna pendant huit siècles, que nous arrivons à la troisième période de la Corée . D’où venait ce conquérant? Du royaume de Pou-Yo que l’on doit vraisemblablement placer en Sibérie. Voici en effet ce qu’on lit à ce sujet dans un vieux géographe : « Le royaume de Pou-Yo, se trouvait à mille ri (un ri vaut à peu près 400 mètres) au nord du Tcio-shen. C’était un pays barbare. La naissance de Co-Shou-mô est entourée de légendes. En voici quelques traits. 

Le roi de Pou-Yo rencontra un jour une jeune vierge, fille du « Dieu de la rivière ». Il l’emmena dans son palais, d’où il ne la laissa plus sortir. Or, au retour d’un long voyage, le roi trouva la jeune fille sur le point d’être mère. Il voulut la tuer, mais lui demanda d’abord quelques explications. Voici ce que raconta la jeune fille. « Le soleil dardait sur moi des rayons brûlants, dans ma chambre. J’ai voulu m’y soustraire et me suis retirée en marchant à reculons. Mais la lumière me suivait toujours. C'est depuis cette époque que je me sens enceinte ». Cette réponse mystérieuse sauva la jeune fille. Le roi lui laissa la vie. Bientôt elle mit au monde un garçon. A cause de son habileté à tirer de l’arc, celui-ci reçut le nom de Shou-mô, qui signifie « tireur adroit ». L’adresse de Shou-mô s’accroissant d’année en année, lui valut de nombreux envieux qui résolurent de l’assassiner. Il s’enfuit dans la direction du midi. Arrivé dans une région appelée Kouré, il s’y établit et prit le titre de roi. Son nom de famille étant « Cô », il appela d’abord son royaume Cô-Kouré. Par abréviation on se contenta bientôt de dire Corée. C'est là la vraie origine de l'appellation sous laquelle aujourd’hui encore notre pays est connu en Europe. 

Avant de s’enfuir du royaume de Pou-Yo, Shou-mô avait contracté une union dont après son départ, il naquit un fils, auquel on donna le nom de Roui-ri. Quand cet enfant fut arrivé à l’adolescence et qu’il eut appris la haute situation de son père, il alla rejoindre ce dernier en compagnie de sa mère. La polygamie existait-elle à cette époque en Corée, ou Shou-mô ne tarda-t-il pas à perdre son épouse après qu’elle l’eut rejoint? Nous ne sommes point fixés sur ce point. L’histoire nous apprend seulement que Shou-mô se remaria avec la fille du roi de Pou-Yo. De ce second mariage, deux fils naquirent. L’aîné reçut le nom de Foutsou-Rieou, en souvenir d’une tribu du même nom soumise par Shou-mô. Le second fut nommé Ousho. Le royaume devait revenir à Roui-ri, le premier fils de Shou-mô. Les deux autres jeunes princes, craignant que Roui-ri ne les maltraitât un jour, s’enfuirent ; Foutsou-Rieou, chercha un asile dans la partie méridionale de la Corée, qui se subdivisait alors en trois petits Etats formant une sorte de confédération. Pour comprendre cette partie de l’histoire coréenne, nous sommes obligés de revenir sur nos pas, et de dire un mot du plus grand de ces trois petits Etats, celui connu sous le nom de Kam et dont nous avons déjà parlé à propos de Ghi-Joun.

L’Etat de Kam, correspondait à cette partie de la Corée que nous avons désignée plus haut sous le nom de Shim. Lorsque Ghi-Joun arriva dans ce pays, il habita d’abord une petite île située au midi, puis se proclama roi du pays tout entier. Ba-kam, Ben-kam et Shin-kam, tels étaient les noms des trois régions formant le Shim. La plus importante était le Ba-kam qui ne comprenait pas moins de cinquante trois tribus. Ghi-Joun fut le premier roi de ce pays. Ses fils lui succédèrent pendant deux siècles sur le trône. Lorsque Foutsou-Rieou et son frère arrivèrent dans la contrée, le roi les accueillit avec bienveillance. Il donna même à Foutsou-Rieou un vaste domaine. 

Ce prince n’en jouit pas longtemps, car il mourut très-jeune et à sa mort, les habitants du pays soumis à son autorité, donnèrent à leur district le nom de Koutara. Quant au frère de Foutsou-Rieou, Ousho, il vécut quelque temps dans l’obscurité. Devenu populaire, il en profita pour attaquer le souverain du Ba-kam, le surprit, et se rendit maître du pays tout entier. Ainsi s’éteignit la dynastie de Ghi-Joun. Ousho, donna au territoire qu’il avait soumis, le nom de Koutara, sous lequel il a toujours été désigné depuis cette époque. 

Les deux autres petits Etats de la Corée méridionale, le Ben-kam et le Shin-kam comprenaient chacun douze tribus. On ne connaît pas exactement l’époque de leur fondation en tant qu’Etats distincts. Ils existaient déjà sous cette forme quand Ghi-Joun vint s’établir dans le pays. On a vu plus haut, qu’à ce moment même, les Chinois émigraient en foule pour échapper à la corvée de la construction de la Grande Muraille. Les sujets du Céleste-Empire ne tardèrent pas à se mêler et à se fondre avec les indigènes. Le Ben-kam et le Shin-kam, tout en jouissant d’une certaine indépendance, étaient cependant rattachés par de nombreux liens au Ba-kam. Les trois petits Etats, formaient comme nous l’avons déjà dit, une sorte de confédération.

Parmi les douze tribus du Shin-kam, la plus importante était celle de Shinra. Celle-ci produisit un héros fameux du nom de Kokou-Kyo-Shei, qui après avoir été reconnu comme maître par toute sa tribu, reçut le nom de Shei-Kyo-Khan. Le mot Khan signifie en coréen, comme en Tartare, chef des chefs. C’est peut-être le plus ancien de ces Khans farouches, dont les uns attaquèrent le Céleste-Empire, tandis que les autres ravageaient l’Asie occidentale. Devenu maître du Shin-kam tout entier, Shei-Kyo-Khan, s’empara ensuite du Ben-kam. A partir de cette époque, les noms de Shin-kam et de Ben-kam disparaissent de l’histoire de la Corée. On ne connut plus que ceux de Shinra, de Corée et de Koutara.

Sous le règne du neuvième successeur de Shei-Kyo-Khan, la partie occidentale du Japon se révolta à l'instigation des habitants du Shinra. L’empereur du Japon alla combattre les rebelles, accompagné de l’impératrice. Le souverain étant mort dans son camp, son épouse n’en continua pas moins la campagne. Elle voulait châtier les habitants du Shinra, toujours prêts à encourager les Japonais à la rébellion. Dans ce but, elle fit équiper une très grande flotte, dont elle prit elle-même le commandement. Elle débarqua sur la côte du Shinra et ne tarda pas à rencontrer le roi du pays. Celui-ci frappé de la beauté resplendissante de l'impératrice, crut voir devant ses yeux une déesse, et se jeta à ses pieds. Les rois de Corée et du Koutara vinrent également, présenter leurs respectueux hommages à la belle impératrice. Celle-ci repartit après avoir signé un traité (200 après J.-C.).

C'est de cette époque que datent les relations entre la presqu'île coréenne et le Japon. Ce dernier pays, qui ne connaissait encore presque rien de la civilisation chinoise, y fut initié par l'entremise des Coréens. Sciences, arts, industrie, religion même, les Japonais empruntèrent tout à leurs voisins. Aussi un écrivain français a-t-il dit avec raison :« la Chine et la Corée ont fait au Japon, ce que nous ont fait les Grecs et les Romains. » Rien n’est plus exact, et c’est au IIIe siècle de l’ère chrétienne que les Japonais se firent nos élèves.

Du VIe au VIIe siècle après J.-C., l’histoire de la presqu’île coréenne ne présente aucun fait saillant. Au milieu du VIIe siècle, le royaume de Koutara attaqua celui de Shinra. Ce dernier eut en outre à lutter contre l’Etat de Corée avec lequel il n’avait jamais entretenu de bons rapports. Pour combattre avantageusement ses ennemis, le Koutara fit appel à la Chine. La Corée et le Shinra demandèrent des secours au Japon. La victoire resta aux alliés du Céleste-Empire. Le résultat de la guerre, fut l’annexion de la plus grande partie de la Corée et du Shinra à la Chine. Le nom même de Corée disparut momentanément. Le Shinra s’augmenta de son côté, de quelques districts des deux royaumes écrasés. (662-668).

A dater de cette époque, la moitié septentrionale de notre presqu’île fut une dépendance de la Chine. Seul le royaume de Shinra continua à constituer un Etat autonome. Au commencement du Xe siècle, il fut en proie à des troubles fréquents. De tous côtés éclataient des révoltes, et on vit plusieurs chefs de rebelles prendre le titre de roi. L’un d'entre eux, nommé O-Ken, acquit assez d’influence, pour fonder un nouveau royaume de Corée, et se rendre maître de tout le territoire dont le Shinra s’était emparé grâce à l’alliance chinoise (935 après J.-C.). 

La dynastie d’Oh, fondée par O-Ken, avec qui commence la quatrième période de notre histoire, régna paisiblement pendant trois siècles. Elle ne possédait à vrai dire que la moitié méridionale de la péninsule. Au commencement du XIIIe siècle, l’autorité de l’empire chinois fut ébranlé par Ghengis-Khan. Ce héros fameux que certains historiens japonais considèrent comme originaire de leur pays, fit d’immenses conquêtes. Il ne dirigea pas ses attaques du côté de la Corée, mais son successeur, rendit à la dynastie d’Oh, les territoires que la Chine s’était annexés au VIIe siècle. C’est depuis cette époque que les descendants d’O-Ken, régnèrent sur la péninsule presque tout entière.

Koubilaï-Khan, petit-fils de Genghis-Kan, voulut faire reconnaître son autorité par le Japon lui-même. Il envoya dans ce but plusieurs messagers coréens à la cour de l’empereur japonais. Celui-ci ne fit aucune réponse. Koubilaï-Khan en vint aux menaces. Les porteurs de, ses lettres comminatoires furent mis à mort par ordre du gouvernement japonais. Mais quand Koubilaï-Khan, devenu maître de la Chine en totalité, eut fondé la dynastie des Youen, la face des choses changea. Le conquérant, faisant appel aux Coréens, équipa une flotte nombreuse qui fit voile vers le Japon. Il s'empara d'une dizaine d’îles, puis s’approcha des côtes méridionales de l’empire japonais. Un long mur, haut de 10 mètres, avait été élevé par les Japonais, qui pouvaient ainsi facilement accabler de traits les assaillants. Ceux-ci, pour ne pas être surpris, avaient relié entre eux tous leurs navires, à l'aide de chaînes en fer. Ils attendaient un moment propice pour commencer l’attaque, quand une tempête terrible, comme il s'en élève souvent à l’époque de la mousson, vint les arrêter dans leurs desseins. Attachés les uns aux autres, les navires s’entrechoquant avec fracas, furent tous brisés. Ce fut un désastre sans pareil. Nous en trouvons un écho, exagéré peut-être dans les historiens chinois : « Pendant plusieurs jours », dit l'un d'eux, « les vagues rejetèrent des cadavres dans les golfes qui s'en trouvèrent obstrués. Sur cent mille soldats mongols, trois seulement survécurent. 7000 Coréens sur 10000 périrent. » Il y a certainement de l’exagération dans ce récit ; les historiens chinois donnent généralement un cours trop libre à leur imagination poétique. Néanmoins, ce fut pour Koubilaï-Khan une défaite extraordinaire, à laquelle seule le Japon dut son salut (1281 après J.-C.).

La dynastie fondée par Koubilaï-Khan, ne se maintint pas longtemps sur le trône de Chine. Un siècle ne s’était pas écoulé, qu’elle devait céder la place à la dynastie des Ming. En Corée, le pouvoir des descendants d’O-Ken, allait également s’affaiblissant de jour en jour. Le dernier représentant de cette famille abandonna de lui-même le trône et alla vivre obscurément dans une province. Un général, Li-Shei-Kei prit le titre de roi. C’est lui qui fonda la dynastie qui est encore au pouvoir aujourd’hui (1392 après J.-C.).

Ici commence la cinquième période de notre histoire. Le roi Li, maître de la péninsule tout entière, changea le nom de Corée en celui de Tciô-Shen (1398). Il signa un traité avec la Chine, et les relations les plus amicales existèrent entre les deux pays. Ce fait parait étrange de prime abord et demande une explication.

Avant de monter sur le trône, Li-Shei-Kei, avait vécu retiré dans un monastère bâti sur les flancs des monts Tcio-Hakou. Cette chaîne montueuse sert de limite, au Nord, à la Corée du côté de la Chine. Dans ce même monastère se trouvait un jeune homme, du nom de Tchou-Youan-Tchang, qui devint plus tard le fondateur de la dynastie des Ming en Chine. Quoique voisins, les deux hommes appelés à de si brillantes destinées, n’échangèrent pas un mot pendant leur dix années de séjour au monastère. Mais, par une sorte d’intuition, ils s’étaient rendus compte de leurs capacités réciproques. Ce fut Tchou-Youan-Tchang qui quitta le premier le monastère. Au moment de son départ, il dit à son compagnon : « Vous régnerez un jour sur le pays qui s’étend au sud de ces montagnes ; moi-même j’aurai en partage l'empire du Milieu ». Il s’éloigna sur ces mots. Sa prophétie se réalisa et les deux souverains qui avaient vécu si longtemps côte à côte comme s’ils eussent été muets, conservèrent sur te trône l’amitié tacite qui les avait unis auparavant.

Il n’est pas moins intéressant de savoir en quels termes les gouvernements de la Chine et du Tcio-Shen vivaient avec le Japon. Dans ce pays, on avait vu s’établir le militarisme féodal, sous l’autorité du Mikado (1086). Le véritable chef du gouvernement était le Shiogoun, qui en sa qualité de général suprême, détenait le pouvoir exécutif. Bientôt la fonction de Shiogoun devint quasi héréditaire. A l'époque de l’histoire coréenne où nous sommes arrivés, c’était Oshikaga qui gouvernait. Le pouvoir de ce personnage n’était qu’un pâle reflet du prestige exercé par ses prédécesseurs. Des révoltes avaient éclaté sur tous les points de l'empire. Les petites provinces étaient la proie des grandes. Partout, régnait l'anarchie. Ce fut alors qu'un homme d'une très grande valeur, Hidéyoshi, qui avait commencé par être valet d’un prince, renversa le shiogoun et prit sa place. Il rétablit l’ordre dans le pays, et bientôt personne n’osa plus contester son autorité.Très ambitieux, il avait de bonne heure rêvé d'asservir la Chine au Japon. La perte d’un enfant qu’il adorait avait rempli son cœur de tristesse. Pour échapper à son chagrin, il résolut de tenter une grande expédition contre le Céleste-Empire. Il ordonna à tous les princes féodaux de lever des troupes, et se trouva ainsi à la tête d’une armée de 50.000 hommes. Plusieurs milliers de navires furent équipés pour le transport de ces troupes. La flotte fit voile pour la Corée. L’armée débarqua sans obstacles. Ne se fiant pas à leurs propres forces pour repousser l’invasion, les Coréens firent appel à la Chine. L’empereur envoya une nombreuse armée sous les ordres du général Li-Jio-Shiô. Elle fut défaite, et son chef rentra en Chine, où il demanda, sous prétexte de maladie à être relevé de son commandement. Le souverain chinois dépêcha sur le lieu des hostilités le plus éloquent de ses sujets, Shin-i-Kei, avec mission, de conclure la paix avec le Japon. Shin-i-Kei, s’acquitta à merveille de sa tâche. Il s'entendit avec le général japonais en qui le shiogoun avait la plus absolue confiance. Un traité en quatre articles fut proposé. D’après le dernier de ces articles Hidéyoshi devait être « couronné ». Informé de ce fait, le shiogoun donna son acquiescement au traité projeté, et la paix fut conclue. Des ambassadeurs chinois et coréens, vinrent apporter au shiogoun un cachet d’or, le costume rouge complet et une lettre d’investiture. S’étant revêtu de ces insignes, Hidéyoshi ordonna qu’on lui lut la lettre de l’empereur chinois. Or cette lettre disait simplement : « Je te nomme roi du Japon ». A ces mots, Hidéyoshi entra dans une colère furieuse. Lacérant les habits qu’il avait endossés, ainsi que la lettre impériale, il s’écria : « Je croyais qu’on m’avait promis de me reconnaître empereur de Chine. C’est pour cela que j’ai arrêté mes troupes en plein succès. Si je voulais prendre le titre de souverain du Japon, je n’aurais besoin du secours de personne ». Immédiatement, le shiogoun ordonna une nouvelle expédition contre la Chine. Le théâtre de la guerre fut la Corée. La lutte se prolongea pendant plusieurs années. Hidéyoshi étant tombé malade, ordonna à ses troupes de revenir au Japon. Peu de temps après il mourut. A vrai dire, il n’avait pas porté le titre de shiogoun, mais celui de kouan-bakou, ou grand conseiller impérial. Après le monarque, il avait été le personnage le plus important de l’empire, et avait joui d’une autorité presque absolue.

Six ans après la mort d’Hidéyoshi, l’empereur nomma shiogoun Tokougava. C’était un homme très-habile, complètement dépourvu de cet esprit d’aventure qui avait caractérisé Hidéyoshi.  Tokougava voulait avant tout pacifier le Japon. Il demanda à la Corée de signer avec le gouvernement japonais un traité de paix, ce qui fut accepté. Le Tcioshen en profita pour demander à la Chine de retirer les garnisons qu’elle avait établies dans la péninsule pour la défendre contre les Japonais. C'est en 1604 que fut conclu ce traité entre la Corée et le Japon.

Depuis cette époque la péninsule coréenne a vécu avec calme et sans bruit. En Chine on a vu une nouvelle dynastie arriver au pouvoir après une longue guerre civile (1661), tandis que le Japon a secoué le joug de la féodalité en renversant le shiogoun (1868). Les deux empires qui nous avoisinent à l’Est et à l’Ouest, sont entrés en contact avec l’Europe. La Chine a ouvert ses ports au commerce européen en 1842 ; le Japon a suivi son exemple en 1859. Nous mêmes, fûmes l’objet des sollicitations des gouvernements étrangers. Mais, tant que nous fûmes sous la dépendance chinoise, il nous a été  impossible de conclure des traités. La cour de Pékin ayant autorisé la Corée à traiter, puis finalement reconnu son indépendance, le gouvernement signa d’abord une convention avec le Japon (1876). Puis, ce fut le tour des Etats-Unis, (1886), de l'Allemagne, de la France, de l’Angleterre, de la Russie, etc. Tous ces pays ont envoyé à Séoul des ministres plénipotentiaires ou des chargés d’affaires. Mais le gouvernement préoccupé des réformes intérieures, n’a pu jusqu’ici déléguer aucun ambassadeur en Europe. Ce sera chose faite dans quelque temps.

J'ai essayé de résumer à grands traits l'histoire de mon pays, histoire qui est totalement inconnue à l'étranger. J’espère que ces quelques pages exciteront la curiosité d'un certain nombre de lecteurs et que la Corée deviendra à son tour l’objet des études des savants européens.

Il y a juste cinq cents ans que la dynastie actuelle occupe le trône en Corée. Nous souhaitons une existence éternelle à la famille de nos souverains, car nos rois ont toujours été les bienfaiteurs du pays. Je n’ignore pas que j’écris pour des Français, habitués à vivre en république. Mais je suis sûr qu’ils ne nous en voudront pas de notre attachement à la forme de gouvernement instituée par nos pères. C’est affaire de tempérament. Il y a longtemps qu’on a démontré l’influence du climat sur les mœurs des peuples. Nul ne songe à reprocher aux Indiens, de ne pas s’habiller de même que les Esquimaux. Ainsi en est-il des constitutions des différents pays. Tout en conservant notre forme de gouvernement, nous désirons profiter à notre tour de la civilisation européenne. Tous ceux qui nous aideront dans cette œuvre, sont assurés d’avance de notre estime et de notre affection.

Quand Voltaire, ce grand railleur, voulait parler de quelque chose de lointain et de ténébreux, il ne manquait pas de mettre en avant la Corée. C’est qu’à l’époque où vivait le célèbre écrivain, notre pays était en effet bien loin de la France. Il n’eut pas fallu moins de dix-huit mois à un navire à voiles pour se rendre d’un port français jusqu’en Corée. Aujourd’hui il n’en est plus de même. D’ailleurs, quand il existe une sympathie réciproque entre deux hommes ou deux pays, ils ne sont jamais trop éloignés l’un de l’autre. J’espère que la lecture de ce roman, attirera vers nous les regards de mes lecteurs. Cet ordre d’idées me rappelle les vers que le poëte chinois fait écrire à son héros, obligé de vivre loin de celle qu’il aime :


« Qui donc dit que le fleuve Jaune est large ?

Une feuille de roseau permettrait de le traverser.

Qui donc dit que la province de Soug est loin ?

Je n’ai qu'à me dresser sur mes talons pour la voir. »


Les distances n’existent pas pour les amoureux. Je souhaiterais qu’il en fut de même entre les pays. Quand les Français auront appris à aimer la Corée, notre pays ne leur paraîtra plus situé aux confins du monde. Pour ma part, je m’estimerais le plus heureux des hommes, si j’avais pu contribuer en quelque mesure au rapprochement de deux pays qui ne pourraient que gagner à se connaître réciproquement.


Le 15 Janvier 1893.

HONG TJYONG-OU.