Un raptor est dans la toute-puissance. C’est un pervers narcissique en équilibre permanent au-dessus des sommets de son triangle mental. Ses mécanismes psychologiques, déficients, le poussent en effet à fuir le centre de sa pyramide du bonheur, dans un total déni des liens géométriques et sacrés qui le relient bio-énergétiquement à son cœur. Roi de la comédie dramatique dans ses grands écarts ubuesques, le raptor se catapulte instantanément selon ses besoins dans les rôles extrêmes de son triangle infernal. Il se retrouve tour à tour victime incomprise, brillant modèle social, et cruel bourreau patenté. Jeu conscient ou inconscient ?
Sa dynastie et généalogie déterminent assidûment ses comportements de prédation, mais son environnement les conditionne aussi fortement. Le développement cortical par exemple n’est pas très abouti chez les sauriens, et un raptor en immersion disjoncte facilement dans son rapport au temps.
Observez donc une meute de ces reptiles endurcis, convaincue qu’il n’y aura pas assez à manger pour tout le monde. De féroces combats s’engagent très logiquement pour déterminer le rang de chacun. Mais que cette horde réalise soudainement que toutes les proies sont en train de lui échapper, tous alors s’assemblent en un bloc structuré et hiérarchisé en un temps record. À l’instar de certaines espèces insectoïdes, chacun trouve sa place spontanément sans logique apparente extérieure…
D’autres espèces ont une structure archaïque plus insaisissable encore et sont capables de changer de forme et de fonction en un clin d’œil. J’ai fais les frais d’une telle rencontre en plein centre de Prvimozk, lors d’une altercation professionnelle avec une directrice en chef raptor. J’ai été subitement horrifié lors de cette joute frontale par une présence à laquelle je ne m’attendais pas du tout… des profondeurs du regard vide et insensé du monstre reptilien me dévisageaient les yeux affreusement noires d’une horripilante légion archnorienne !! J’ai été surpris par l’obscurité de leur attention et j’ai senti mon sang se glacer dans mes veines. Je ne peux retranscrire fidèlement ici un pareil choc. Le pire dans tout cela c’est qu’ils m’ont dévisagé et pris en photo ! Je les ai nettement senti me démasquer les démasquant en cette abominable fraction de seconde et ils ont évidemment perçu mon effroi.
Cet unique face à face a duré l’instant d’un éclair, un temps relativement long pour eux, ce que je devais comprendre par la suite. Zgravja m’avait entretenu à leur propos, mais trop brièvement, évasivement, et je n’avais jamais insisté. Je ne pensais pas être un jour directement concerné. Je pensais vraiment être à l’abri de ce genre de contact. Il fallait les fuir, les oublier, rester invisibles à leurs yeux. C’était la consigne, invariable. C’est ce que j’avais retenu.
Au moment de cette connexion inter-espèce, au moment précis de ce flash, j’ai perçu comme une attaque ciblée et chirurgicale. Ils m’avaient étudié, scanné, analysé, et se préparaient à je ne sais quoi… j’ai immédiatement fuis sans demander mon reste. Je suis parti loin, très loin, et je n’ai jamais revu ce reptile en chef azimuté. Je restais néanmoins épouvanté par ce contact et soucieux de ce qui pouvait, à cet égard, se fomenter dans l’invisible. Tout cela était devenu pour moi très tangible, cette espèce archaïque existait bel et bien et j’avais été en connexion directe avec certains de ses représentants. Je suis retourné à d’autres occupations, pas très rassuré…
Les traits de prédation de chaque espèce déterminent les rapports entre elles, tout comme dans une chaîne alimentaire. Les archnoriens menaient une danse élaborée, murés dans une invisibilité dimensionnelle toute relative et les grands reptiles se prenaient pour les véritables chefs d’orchestres, persuadés que leurs bonnes intuitions provenaient de leur cerveau fécond. Les petits lézards eux, galvanisés par l’idée d’accéder au pouvoir, exécutaient les ordres à la lettre et se chargeaient d’affaiblir la proie étudiante qui elle servait de garde-manger énergétique et de marche-pied social. Et cette population d’apprenants, totalement soumise, connaissait bien tristement la musique… une même litanie résonnait en effet sombrement à Prvimozk où une fausse note était vite repérée et savamment corrigée.
Les agents et autres acteurs inféodés n’y voyaient là qu’une occasion d’ascension sociale, souvent dangereusement fantasmée. Comprimer par exemple des employés consciencieux avec un casse-tête chinois comme faire plus avec moins, permettait à un raptor-chef d’accéder à une notoriété largement prisée. Mais si l’argent et le pouvoir étaient indispensables à la cupidité du raptor moyen, rien n’était plus vital que la domination absolue pour un prince archnorien.
Les petits reptiles eux, préféraient bloquer une ou deux proies seulement, avec des manœuvres bien plus modestes mais tout aussi mesquines. Ils appâtaient mielleusement les krjoyens dépendants affectifs en usant de contenances passives-agressives, les ferraient discrètement, et dévoyaient leur énergie volontaire par un sabotage permanent et des tracasseries de tout ordre. Ils parvenaient ensuite à persuader les victimes consentantes de leur propre et unique responsabilité dans toutes ces catastrophes, les rabaissant insidieusement dans leur estime personnelle avec une complaisance très naturelle.
Ces petits lézards aspiraient littéralement l’identité de leurs proies, s’appropriant illégitimement leurs talents en usurpant leurs mérites. Irrémédiablement prises au piège de leurs propres valeurs et engluées par le charme des jeux psycho-affectifs de leur prédateur, l’expression du moindre soupçon se retournait systématiquement contre les proies qui s’en permettaient l’outrecuidance. Le soupçon était sèchement éludé et son expression sévèrement réprimandée. Dans les faits, après la prise d’otage et le chantage affectif, ces petits reptiles amorçaient leur arsenal favori, la culpabilisation. Et ces insignifiants prédateurs, en partie animés d’impulsions archnoriennes, retournaient si habilement le cerveau de leurs proies qu’elles finissaient par s’accabler elles-mêmes de remords infondés…
Les victimes, épuisées par une précipitation d’évènements inextricables, le cerveau lessivé par une accumulation de fausses vérités, deviennent alors idéalement apathiques et finissent par obéir au doigt et à l’œil. Ainsi, au moindre mouvement du gentil petit bourreau, la proie domestiquée lui apporte immédiatement satisfaction, ne réalisant que rarement ou amèrement sa perte d’intégrité.
Les couples hybrides était nécessairement nombreux dans la configuration de ce cycle d’expérience pédagogique. Que ferait un raptor avec un raptor ? J’ai pu observer comment ces bestiaux harponnaient leurs proies sexuelles, qui elles-mêmes s’agrippaient à d’autres proies socialement plus fragiles. Oui, j’ai vu les relations de couple qu’ils s’imposaient les uns les autres… tellement d’exigences égotiques, tellement de maltraitance, trop de maltraitance ! Il fallait que cela cesse !!
Et les reptiliens n’étaient pas plus respectueux entre eux, loin s’en faut. Ils ne connaissent aucune bienveillance et naviguaient entre coalitions et trahisons, sans aucune pitié. Chacun ne cherchant qu’à assouvir ses seuls besoins énergétiques, ils se seraient entre-déchirés sans leur proie d’excellence. Et parmi les formes d’énergies les plus exploitables en Krjoy, l’énergie sexuelle demeurait de loin la plus fantastique et la plus rentable.
Ce sont les archnors qui, à travers la cloison semi-étanche de leur pyramidion, dictaient le consensus sexuel approprié à leur sinistre dessein en Krjoy. Les raptors l’imposaient ensuite aux adaptateurs de masse chargés de contaminer la population étudiante. Cela affectait une majorité d’habitants venus des mondes libres, qui trahissaient dès lors leur intégrité en bridant l’expression de leur plénitude. Conscients d’être en dehors des normes érigées, accablés de contradictions inextricables, ils vivaient une sexualité interdite.
De nombreux étudiants, venus des quatre coins de la galaxie, obéissaient involontairement ainsi au clivage identitaire imposé par la caste au pouvoir, et restaient figés dans une représentation et une expression homo-sexuelle ou hétéro-sexuelle exclusive aux frontières opaques infranchissables. La dualité étaient devenue une règle de compliance quasi-absolue et intouchable, une sacro-sainte norme qui servait ici à retarder la progression naturelle des apprenants… la découverte d’une sexualité non polarisée les aurait immanquablement éveillé avant l’heure !
Tout était fait pour maintenir un clivage sexuel pernicieux, ouvrant la voie à toutes les distorsions possibles et imaginables. Distorsions louées d’un côté et condamnées de l’autre par une même main archno-saurienne omniprésente. Et ces agissements permettaient de détourner une véritable fortune ! Une masse phénoménale d’énergie sexuelle, l’énergie créatrice la plus puissante en Krjoy, était perpétuellement pervertie et convertie en sentiments de honte et de culpabilité… les plus basses vibrations, au service des infrastructures caverneuses les plus nauséabondes des royaumes archnoriens.